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REMARQUES CURSIVES ET INEDITES SUR LA MELANCOLIE

Marcel CZERMAK

Mélancolie sans masque.
Le mélancolique n'est pas un disciple de Saint-Augustin. Il ne vous dira pas " excusez-moi, ce n'est pas de ma faute ; c'est celle de mes petits camarades à qui j'ai cédé, et j'en ai honte ". Sa honte est d'une toute autre nature : j'ai connu ainsi un garçon, préparant une thèse dans laquelle, par injonction de son patron, et alors qu'il savait avoir raison, avait permuté sur un graphique les abscisses et les ordonnées faussant ainsi toute une démonstration fondamentale. Le lendemain, il tentait de se pendre. Mais sur le coup, il était dans l'impossibilité de coordonner sa lâcheté et le retour surmoïque accusateur mortel.
Devant un mélancolique, c'est plutôt nous qui serions augusténiens. Et la théologie de la présence réelle, celle d'un Béranger, s'incarnerait mieux dans le cas du mélancolique, présence immortelle au surplus.
Il est remarquable de constater comment, jusqu'à ce jour, nombreux sont ceux qui s'interrogent encore sur le caractère de psychose d'une mélancolie. Devant celui qui dit "je suis un salaud, une ordure, j'infecte tout le monde, je suis un désastre planétaire, j'ai causé votre malheur ", nous sommes étreints de compassion et répétons " mais non, mon pauvre vieux, vous n'avez rien fait de terrible, calmez-vous, on va vous dorloter ". Mais il n'en a cure.
Face à lui, nous ne manquons ordinairement pas de lui supposer une espèce d'au-delà, un masque donc, une grimace qui, à être percé, un peu remodelé le délivrerait de Dieu sait quel démon, méconnaissant que le mélancolique est sans masque, et ne fait nulle grimace de son front gravé de l'oméga.
Ces quelques notules pour indiquer à quel point nous sommes sensibles à la posture, à la tenue et peu aptes à écouter quiconque sans lui supposer l'écrire d'une grimace, tant l'omniprésence de la personne nous accompagne comme notre écrin propre, au point qu'elle nous soit vitale.
L'objet parlant :
Et quand un pur sujet de la psychose, celui qui s'équivaut à un pur objet se met à parler, nous lui prêtons derechef une persona.
Car enfin, le mélancolique, celui qui en l'occasion s'équivaut à l'objet le plus pur, quand il parle, il produit cette irruption proprement inouïe que ce soit l'objet a qui cause, parle en clair et énumère toutes les caractéristiques de cet objet sans qu'il faille y chercher quoique ce soit d'une signification ou d'une posture qui y serait dissimulée. Un mélancolique produit le catalogue simple et limpide de ce x que nous passons notre vie à quêter, sans savoir qu'il nous commande : Lacan l'appelait encore l'abjet. C'est lui qui nous infecte et nous tyrannise. Vous seriez bien contents d'en être débarrassé, mais il n'en a aucun souci, il n'est pas soucieux et rattrape tout le monde.
Certes, cet objet, vous n'avez périodiquement qu'une envie : le jeter par la fenêtre. C'est notre boursouflure , mais - comme névrosé - vous pouvez toujours courir pour mettre la main dessus et vous en délivrer. Mais quand vous le rencontrez face à face, vous ne le reconnaissez pas.
J'essaye de faire un sort à ce que je ne trouve pas assez vigoureusement formulé dans notre littérature contemporaine sur la mélancolie, qui rate cet aspect essentiel de l'objet, de l'abjet qui parle sans nul besoin d'interprète et nous dit " il n'y a rien à faire, je vous pollue, vous n'avez qu'une issue : vous débarrasser de moi ".
Pour saluer Béranger et la présence réelle comme immortelle, rappelons comment dans le syndrome de Cotard - pente extrême de la mélancolie et de la mort du sujet - se présente ce sentiment d'immortalité qui fait son malheur car il est parvenu en ce point - celui que les névrosés se lamentent de ne pouvoir atteindre, sans savoir que c'est leur chance - celui de vivre enfin au présent, du présent réel.
Alors, exclu de toute vectorisation et saisi d'une pétrification temporelle qui annihile en lui toute mort possible, il supplie qu'on le supprime, qu'on l'éradique parfois, au point de s'éradiquer parfois de son chef.
Comme on le voit, il ne s'agit de nul objet grimaçant ; c'est un objet sans fard. Il se peut bien que, dans toute la clinique, il soit celui qui nous parle le plus explicitement, le plus limpidement de ces caractéristiques de l'objet alors que vous aurez passé des nuits sur l'Suvre de Freud, puis de Lacan à vous demander : mais enfin, qu'est-ce que cet objet d'infamie qu'est l'objet a ?
Freud avait-il raison ?
Freud nous a légué cette formule que l'on ne manque jamais de citer, à cause des tourments qu'elle suscite chez les commentateurs, au point d'être devenue inexorablement canonique : dans la mélancolie, " l'ombre de l'objet tombe sur le moi ". Permettons-nous une hérésie : le problème serait plutôt que, dans une mélancolie, vous pouvez vous échiner à chercher trace du moi. Et pourquoi n'en serait-il pas ainsi, dès lors que c'est l'objet qui a occupé tout le terrain ? Aussi proposerai-je volontiers de retourner la formule pour marteler : dans la mélancolie, c'est l'objet qui a volatilisé tout le moi, qui occupe toute la scène laissée vacante par l'éjection de la persona. Du moi, il ne reste plus qu'une ombre.
L'objet unique et le corps
Quand Lacan évoquait la notion abrahamienne d'objet partiel, il signalait qu'elle n'avait de sens qu'en tant que c'est la pulsion qui s'y partialise. Soit que la pulsion prenne parti, c'est-à-dire se spécifie, avec - simultanément - la fonction corrélative.
Les pulsions, orales, anales, scopiques et autres sont l'indication - en tant que spécifiées - d'une prise de parti, comme d'une prise à partie. Aussi la fonction n'a-t-elle affaire en apparence qu'à un objet partiel qui, cependant est toujours le même et foncièrement unique. Les psychotiques nous l'indiquent en clair et - aux Journées d'Etudes de Grenoble sur " la disparité de l'oralité " - avec J-J. Tyszler et S. Hergott, nous avons eu l'occasion de le montrer, avec l'effet de production d'angoisse chez nos auditeurs : les manifestations de la psychose comportent des manifestations fondamentales d'obturation orificielle, ce que nous appelons hypocondrie, qui sont, sur le fond des manifestations de despécification pulsionnelle, indiquant que l'objet a vient de surgir pour désorganiser les fonctions. Et si, pour l'homme, l'objet est fondamentalement unique, le psychotique nous indique que ses orifices pourraient bien se réduire à un seul, remplissant à lui seul toutes les fonctions, mais qui peut - le cas échéant - se retrouver également obturé.
Nous connaissons ces fausses-routes si fréquentes chez les mélancoliques, où toutes les explorations électriques du cavum confirment l'absence qui fait témoignage de l'unicité même de cet objet dans sa polyvalence révélée, propre à désorganiser notre réflexologie. Unicité, mais aussi iniquité de l'objet.
Soigne-t-on l'objet ?
Cet objet, vous pouvez toujours essayer de " le soigner ", puisqu'il est clair que c'est lui qui s'occupe de vous. Je vous soigne aux petits oignons mais reste insoignable comme tel. Demande de l'objet ; impératif de l'objet qui vous commande. Celui qui tyrannise.
C'est une erreur que de dire qu'il manque une case au mélancolique : car c'est lui qui occupe celle qui vous manque et vous répartit. Et quand il fait émergence chez votre patient, vous ne savez plus où vous mettre : il vous déloge, vous décase.
Vous pouvez constater que si, reprenant sa formule du fantasme S <> a, vous logez à cette place du a le propos du mélancolique, vous y perceve Zcomment vous n'en pouvez plus mais ça vous en bouche un coin. Vous n'ave Zplus qu'une envie, le faire taire tant il est vrai que l'objet est impardonnable. Aussi, l'auto accusation du mélancolique n'est certes pas à entendre sur le mode augustinien : C'est le constat d'un réel qui vous laisse bouche bée, ou coite, et qui - comme le dit le langage courant - vous la coupe. Nous sommes logés, dès lors et, en bons névrosés romains que nous sommes, s'avère que nous sommes incapables de dire : il n'est, effectivement, pas pardonnable.
Psychoses cycliques : mélancolie, paranoïa, manie
Egalement pouvez-vous relever ceci : dans notre clinique classique, et grâce à Kraepelin, nous isolons la psychose dite maniaco-dépressive, encore appelée anciennement des jolis termes de folie circulaire, alterne, à double forme, cette psychose que dans notre actuelle mollesse dogmatique nous préférons appeler trouble bipolaire, cette psychose existe bel et bien. Cependant, si les remarques que nous amenons sont pertinentes, on pourra apprécier que le revers de la mélancolie soit bien davantage du côté de la paranoïa.
En effet, un paranoïaque vous dira " ils veulent me traiter comme une ordure, une infection, ils veulent m'éliminer ". En d'autres tenues, cet objet que parle en clair chez le mélancolique, le paranoïaque, le paranoïaque l'entend on le suppose formulé dans l'Autre : " on " veut la réduire et il s'insurge. C'est donc de son côté que subsiste le moi qui récuse qu'on veuille le ramener à un infâme objet. Aussi la formule : l'ombre de l'objet est tombée sur le moi vaudrait bien davantage pour le paranoïaque.
Quant au maniaque, ce sujet qui ne tient pas en place, qui a été complètement aspiré, sucé par la grande gueule de l'Autre sans pouvoir résister à rien et gigotant, impudique et bavard, malfaisant et incontrôlable, vous lui trouverez le caractère suivant - à condition de reprendre nos indications sur la manie - que, ce que le mélancolique dit, le maniaque l'est, ce qui n'est pas le contraire.
Nous verrons, contestant la grossièreté de nos répartitions cliniques habituelles, de tenter de remettre un peu les faits sur un socle plus robuste.
Ne prêtons pas au mélancolique, objet dévoilé, ce qu'il n'a pas : la duplicité propre à la grimace du sujet. L'objet ne grimace pas. Ne prêtons pas au maniaque ce qu'il n'opère pas, en en festin totémique sur lequel nos maîtres insistaient, car c'est lui qui est comme objet - avalé tout vif par l'Autre. Prêtons, par contre, au paranoïaque de défendre son moi contre sa transformation en objet ; ce qui fait aussi bien, son malheur que sa tentative de guérison.