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HYPNOTISME ET DOUBLE CONSCIENCE

Dr Azam

DEUXIÈME SUITE A L'HISTOIRE DE FELIDA
NOUVELLES OBSERVATIONS - UN FAIT NOUVEAU DU MÊME ORDRE


Les lecteurs de la Revue scientifique n'ont pas oublié l'histoire de Félida X... que j'ai racontée l'an dernier, et ils apprendront avec quelque intérêt le résultat des observations que j'ai faites sur cette même personne depuis mon dernier récit.
A ce récit j'ajouterai quelques réflexions et aussi l'exposé d'un fait analogue que j'ai eu la bonne fortune d'observer récemment.
On sait que Félida présente le phénomène singulier d'une existence comptant deux modes, deux conditions que sépare l'absence du souvenir; quelques mots suffiront pour rappeler la succession des phénomènes et résumeront sa situation.
État normal, - perte de connaissance, retour à la connaissance et entrée dans un mode d'existence complet, parfait, qui ne diffère de la vie ordinaire que par- le caractère et les allures. - Deuxième perte de connaissance qui parait semblable à la précédente, et rentrée dans l'état normal, Le fait saillant qui caractérise ce dernier, c'est que Félida ignore absolument tout ce qui s'est passé pendant la condition seconde d'où elle sort, quelle qu'ait été sa durée, tandis que, étant dans cette condition seconde, elle sait parfaitement tout ce qui s'est passé pendant les deux autres états, ayant ainsi en ces moments la notion complète de son existence.
Dix-neuf années se sont écoulées depuis le jour où j'ai commencé cette étude, et pendant cette longue période, l'état de Félida, quant aux phénomènes généraux, n'a pas changé, les modifications n'ont porté que sur la durée relative des périodes; mais ces modifications sont assez grandes pour mériter d'être étudiées avec soin.
Les questions que soulève cette étude, au point de vue de la physiologie cérébrale et de la psychologie, ont une telle importance que j'ai cru devoir en saisir l'Académie des sciences morales, et que depuis la dernière publication, elle a été l'objet de nombreux travaux. Cette importance sera mon excuse pour le soin, la minutie que j'apporterai dans le supplément qui va suivre.
Félida X... a aujourd'hui trente-quatre ans. Elle vit en famille avec son mari et les deux enfants qui lui restent. A la suite de circonstances diverses, elle a repris son ancien état de couturière et dirige un petit atelier, Sa santé générale est déplorable, car elle souffre de tous les maux que l'hystérie confirmée amène avec elle : névralgies, hémorragies passives, contractures, paralysies locales, etc. ; elle est cependant fort courageuse, surtout dans la condition seconde, où ses douleurs ont, du reste, une moindre intensité.
A ma dernière visite, il y a peu de jours, je l'ai trouvée souffrante comme d'habitude. A la question: Dans quel état êtes-vous actuellement? elle m'a répondu : Je suis dans ma raison (c'est le terme qu'elle emploie).
-Je le vois, ai-je dit, mais vous souvenez-vous de ce qui s'est passé pendant votre dernier accès?...
- Parfaitement. C'était il y a quinze jours; mon accès n'a duré que trois ou quatre heures. J'ai taillé une robe pour une nouvelle cliente, mais j'ai horriblement souffert de toutes mes douleurs.
Cette rêponse me donna la certitude que loin d'être, comme elle le croit, dans sa raison, Félida est en condition seconde; cet état est en effet caractérisé par ces faits que le souvenir de toute la vie y est complet et que les douleurs ordinaires y sont moins intenses.
Dans l'étude qui suit, je passerai successivement en revue les différents états de cette jeune femme, et je noterai au fur et à mesure les modifications survenues depuis ma dernière publication ; de plus, j'ajouterai quelques réflexions à leur exposé.
La première manifestation morbide est la période de transition qui fait entrer Félida en condition seconde. Ces périodes sont de plus en plus courtes et ressemblent tout à fait aujourd'hui à la forme de l'épilepsie connue sous le nom de peut mal.
Bien que Félida soit devenue plus habile à la dissimuler, la perte (le connaissance est complète. Dans ces derniers temps, sur, ma demande, son mari a constaté, comme, je l'avais fait antérieurement, qu'elle y était toujours absolument étrangère à toute action extérieure. L'étude de cette période nie donne à penser aujourd'hui que de tous les états de Félida, elle est le plus important; c'est le phénomène' initial qui entraîne probablement après lui tous les autres.
Bien que cet état ait toutes les apparences du sommeil, il en est en réalité bien loin. Il faut, en effet, reconnaître que dans l'état actuel de nos connaissances nous sommes habitués, soit par ignorance, soit par pauvreté de langage, à donner le nom de sommeil à nombre d'états qui n'ont de commun avec cet état physiologique que la perte de l'activité, ressemblance absolument grossière. Quand nous avons vu la massue du boucher s'abattre sur la tète d'un boeuf, nous disons que le choc l'a étourdi; si nous ignorions cet, acte, nous dirions qu'il dort. Nombre (les phénomènes d'origine inconnue sont comme des coups de massue frappés en dedans, non par le boucher, mais par des lésions morbides, Le coup de sang est-il autre chose?...
Il sera permis à un chirurgien d'hôpital de dire que le diagnostic différentiel des états soporeux ou comateux, dus â des causes quelconques, n'est pas si précis que les livres classiques veulent bien le dire. Du reste, les états qui méritent l'appellation d'analogues au sommeil ont une telle importance, que le savant auteur du livre Le Sommeil et les Rêves, Alfred Maury, se préoccupe de leur étude, et nous ne doutons pas que ses réflexions ne jettent un grand jour sur ces obscurités. Je n'insisterai pas sur ce point : ce serait sortir de mon sujet.
S'il était nécessaire de rappeler que la période de transition, loin d'être un sommeil, n'est qu'un état analogue et surajouté, nous insisterions sur ce fait que souvent Félida s'endort dans la condition seconde et s'éveille dans l'état normal, et réciproquement. Donc, semblable à l'attaque d'épilepsie que les malades peuvent ignorer, la transition a lieu en plein sommeil; elle ne saurait par suite être le sommeil lui-même.
M, Victor Egger, maître de conférences de philosophie de la Faculté de Bordeaux, qui prépare un travail important sur le sommeil, croit, avec raison, qu'il y aurait intérêt à savoir si la transition a lieu au moment où Félida s'endort, ou pendant le sommeil, ou bien au moment où il cesse. Son mari, chargé de l'observation, a récemment constaté qu'en plein sommeil, au milieu de la nuit, Félida a eu une période d'état normal qui a dure environ trois quarts d'heure; qu'elle était éveillée pendant ce temps, et qu'après la transition ordinaire, elle a passé, toujours éveillée, en condition seconde; enfin, qu'endormie de nouveau, elle s'est réveillée le matin, à l'heure ordinaire, dans l'état où elle était quand elle s'est endormie le soir. - Cette observation sera continuée. Il est cependant permis dies aujourd'hui de dire, d'une façon générale, que, chez Félida, le sommeil et la veille sont normaux, et que les accidents que nous décrivons surviennent indifféremment dans les deux états.
La période qui suit, c'est-à-dire la condition seconde, ou deuxième personnalité, diffère toujours de l'état normal par une
plus grande légèreté dans le caractère, une plus grande insouciance, et surtout par ce fait considérable que, pendant sa durée, Félida a la notion entière, complète de toute son existence, tandis que, pendant l'état normal précédent, elle ignorait ce qui s'était passé pendant la condition seconde. Nous avons déjà noté ce fait important.
La condition seconde est toujours une existence entière et parfaite, si bien que l'attention la plus grande d'un observateur même prévenu est nécessaire pour la reconnaître. --- Sur ce point, rien de nouveau. Seulement, plus encore que l'an dernier, la modification dans le caractère paraît s'effacer Félida a un an de plus, avec des soucis et des préoccupations, et elle ,devient de plus en plus sérieuse. De plus, les douleurs et autres phénomènes d'origine hystérique s'accentuent chaque jour davantage.
Comme cette condition constitue aujourd'hui la vie presque entière de Félida, on y peut observer à' loisir divers phénomènes, d'origine hystérique, d'une grande' rareté, j'avais indiqué ces phénomènes - dans ma dernière publication depuis, ils- ont pris une grande intensité et deviennent de plus en plus fréquents. Je veux parler des congestions spontanées et partielles. A un moment donné, sans cause appréciable, et tous les trois à quatre jours, Félida ressent une sensation de chaleur en un point quelconque du- corps; cette partie gonfle et rougit.- Cela se passe souvent à ta face, alors le phénomène est frappant, mais le tégument externe est trop solide pour se prêter à l'exsudation sanguine; une fois seulement, un suintement de cette nature a eu lieu pendant la nuit au travers de la peau de' la' région occipitale, reproduisant, sans le moindre miracle, les stigmates saignants dont les ,ignorants font tant de bruit. Dans les points de l'organisme où-le tégument est moins solide,, au travers des muqueuses, la paralysie partielle et momentanée des tuniques vasculaires amène des hémorragies qui proviennent alors du poumon, du nez, de l'estomac, de la vessie, etc., simulant ainsi des lésions graves de ces organes; mais heureusement pour Félida, ces pertes de sang n'ont eu jusqu'à ce jour aucune importance.
Je n'insisterai pas sur ces phénomènes, qui touchent plus à la médecine qu'à la psychologie, et qui, par suite, auraient peu d'intérêt pour un grand nombre de vos lecteurs. Il me sera seulement permis de déduire les remarques suivantes de leur coexistence avec l'amnésie et autres phénomènes d'ordre psychologique.
Les- divisions, les catégories que la science impose aux études biologiques sont absolument artificielles et arbitraires. Toutes ces études se réduisent en dernier ressort à la connaissance des fonctions des organes, par suite à la science biologique qui porte le nom de physiologie, laquelle nous parait les contenir toutes. Je ne parle pas de la métaphysique pure, dont le champ se restreint d'heure en heure, et qui finira par n'être plus qu'une rêverie, donnant la mai., dans l'ordre des choses de l'esprit, à la poésie, à l'esthétique et autres conceptions qui ne sauraient être que des plaisirs' intellectuels, des distractions pour des penseurs délicats. Prenons l'exemple de Félida; sous l'influence indéniable d'un état maladif, de l'hystérie, nous voyons se développer en elle des phénomènes d'ordre que j'appellerai matériel ou tangible, tels que saignements de nez, vomissements de sang, etc..; en même temps se montrent des phénomènes d'amnésie, lesquels sont d'ordre purement intellectuel. Entre les deux, on observe des phénomènes mixtes, tels qu'extase, catalepsie,' accès de délire, etc.. Où est, je le demande, la séparation entre ces accidents, séparation qui ferait distinguer le champ de la psychologie de celui do la physiologie pure? Cette séparation n'existe pas; sous l'influence d'un désordre dans la circulation ou dans l'innervation, l'équilibre fonctionnel est partout détruit; surviennent alors les saignements de nez, dus à une paralysie momentanée des capillaires de la muqueuse qui laisse transsuder le sang; puis le délire, les paralysies, l'amnésie se montrent, amenés par un trouble fonctionnel analogue (paralysie ou contracture) se passant dans les centres nerveux.
Comment séparer, catégoriser ces phénomènes? Tous sont dus a la même cause; matériels, mixtes ou intellectuels, tous doivent être justiciables de la même analyse et (le la même science, et cette science, nous l'avons dit, c'est la Physiologie. Son domaine doit grandir aux dépens de celui de ses aînées, la métaphysique et la psychologie. Aujourd'hui, bien qu'arbitrairement séparées, ces sciences se prêtent un mutuel appui. Demain se fera la fusion intime, plus tard'' l'absorption' sera complète, et de la métaphysique pure il ne restera que le souvenir. -
Dans mes publications précédentes, j'ai peu insisté sur u. troisième état qui _s'était rarement présenté; j'y dois revenir, car il est devenu assez fréquent.
Depuis deux ans, très souvent lorsque Félida a 'étés vivement émue, au lieu d'entrer en condition seconde après la période de transition, elle entre dans un état qui se rapproche beaucoup d'un accès de folie, Le désordre intellectuel est très grand, le visage exprime une terreur profonde; elle ne reconnaît plus personne, excepté son -mari; elle a de véritables hallucinations terrifiantes de la vue et de l'ouïe et se croit entourée de fantômes et d'égorgements, Cet état dure peu (quelques heures), et se termine par une période de transition ordinaire; la malade rentre alors dans la condition seconde dont l'état précédent n'est en quelque sorte que la préface ou l'annexe
Dans un précédent travail, j'ai été conduit par l'analyse et par les analogies à. considérer la condition seconde de Félida comme un somnambulisme parfait, ou mieux total, c'est-à-dire comme un état dans lequel tous les sens, toutes les fonctions intellectuelles étant en activité, la personne a les apparences de la veille sans cependant être éveillée. Cette manière de voir a soulevé des objections. J'y insiste cependant,, car depuis que ces objections ont été faites, mes réflexions sur le sommeil, les rêves et le somnambulisme ont confirmé mon appréciation. Toutefois il n'est pas superflu d'y revenir.
Je ne saurais m'adresser aux somnambules, puisqu'en immense majorité ils ignorent, comme Félida, ce qui se passe dans leur condition seconde, dans leur somnambulisme; mais je puis demander au lecteur quel qu'il soit de faire un retour sur lui-même et de considérer combien est grande la perfection de certains rêves. Il en peut juger, car il s'en souvient, si surtout, ainsi que l'a fait pendant deux ans M. Victor Egger, il prend le soin d'en écrire les détails au réveil; il sera frappé de leur ressemblance avec la vie ordinaire. Que manque-t-il à ces rêves pour être la vie ordinaire elle-même?...
Il leur manque la cohérence et l'activité. Le dormeur est en effet immobile, et ses conceptions, si parfaites, si complètes qu'elles soient, prises isolément, flottent incohérentes et sans liaison les unes avec les autres; la réminiscence ne tient aucun compte du temps ou de l'espace, et la coordination fait voyager le rêveur sans aucun souci de la vraisemblance.
Si à l'homme endormi vous rendez par la pensée l'activité et le jugement, même incomplet, vous en faites un somnambule. Les observateurs savent que le rêveur actif est presque un homme complet. Il ne lui manque qu'une volonté suffisante pour résister aux suggestions, et que l'équilibre dans le fonctionnement des sens, particulièrement de la vue, laquelle le mettrait en rapport avec le monde extérieur. Est-il téméraire de penser que l'exercice de ce sens, grand directeur de l'activité, lui_ donnera ce qui lui manque pour être un homme complet? Nous ne le pensons pas, biais alors nous aurons le spectacle d'une personnalité agissante et parfaite, ne conservant du somnambulisme que l'amnésie. - Telle est Félida.
MM, Egger et Lereboullet, reconnaissant implicitement la réalité de cette hypothèse, préfèrent, pour désigner cet état, le terme de vigilambulisme au terme de somnambulisme total. Nous n'y contredirons pas, quoique le mot vigilambulisme paraisse être une sorte de pléonasme. Je reconnais volontiers que le mot de somnambulisme n'est pas absolument exact, car Félida n'a jamais été somnambule dans le sens ordinaire du mot, ses périodes de veille et de sommeil étant normales; mais il faut bien user des mots que la langue met à notre disposition, malgré leur insuffisance.
Vous me permettrez de ne pas insister sur une analyse purement psychologique. J'y serais trop inhabile. J'ai, du reste, la confiance que la solution de ce problème sera donnée par les psychologues (lui ont pris pour sujet de leurs études le sommeil et ses analogues.
Nous venons d'étudier les modifications survenues dans la condition seconde de Félida; nous sommes conduit naturellement à la transition qui la fait rentrer dans l'état normal.
considCette transition est de plus en plus courte et identique à la précédente, 'quant â la perte de connaissance; mais elle en diffère parla durée. Cela s'explique. Dans la condition seconde, Félida est moins -souffrante et plus avise que dans l'autre état, et elle considère cet autre état comme un état maladif dont elle a honte, sentant venir le mal comme toutes les hystériques sentent venir l'attaque; elle le dissimule avec une grande habileté. - J'ai insisté précéminment sur cette habileté; je n'y reviendrai pas; il me suffira de dire que, bien plus que l'an dernier, cette période est presque insaisissable. Il est un autre point par lequel la période de sortie de la' condition seconde diffère de la période d'entrée : c'est que, immédiatement après elle, se manifeste l'amnésie; il n'est pas douteux que ce phénomène ne soit morbide; or est-il naturel de croire qu'il appartient à l'état dans lequel il se manifeste, c'est-à-dire à l'état normal ou ordinaire, lequel est parfait en tous autres points, et n'est-il pas plus légitime de croire que c'est pendant le court instant précédent qu'a disparu le souvenir?
Si pour éclairer le raisonnement nous remontons à l'origine de la maladie de Félida, à sa première manifestation, que voyons-nous? Nous voyons une jeune fille hystérique prise d'une perte de connaissance qui, la conduit à une condition seconde; mais jusqu'ici nulle amnésie; le souvenir de la vie précédente est complet elle vit plus ou moins longtemps pendant cette Condition acquiert des idées, enregistre des faits puis survient une deuxième perte de connaissance. loi la scène change, Félida est bien rentrée d'ans la vie normale ordinaire, celle'' dont elle vivait avant toute maladie; mais à cette existence manque complètement le souvenir de la condition seconde qui vient de finir, - Ce phénomène d'amnésie appartiendrait-il' à cet état de vie ordinaire? Nous l'avons dit, cela ne nous paraît pas probable; il serait plus naturel de penser que pendant ce court instant, pendant la courte période de transition qui précède, la mémoire, auparavant complète et parfaite, a vu disparaître un de ses éléments, la reproduction des idées.
En un mot, ainsi que je l'ai dit ailleurs, si Félida ne se souvient pas, ce n'est pas parce qu'au moment o t elle a oublié, elle est dans un état morbide, c'est parce qu'à ce moment elle n'a plus la faculté
de reproduction, ayant perdu cette faculté dans la petite période de transition précédente.
Serrant de moins près l'analyse, j'avais dit que Félida avait perdu le souvenir parce que dans la période précédente les idées n'avaient pas fait une impression suffisante sur son cerveau; cela n'était pas tout à fait exact, car si cette impression était sans valeur, le souvenir ne reviendrait pas tout entier dans la condition seconde suivante.
Je reviens toujours à dire qu'on peut comparer Félida rentrant dans la vie ordinaire à un convalescent de, fièvre typhoïde : il a déliré, puis il a oublié tous les faits de son délire; il n'en est pas moins dans un état physique moral parfait, et c'est la faute au détire s'il ne se souvient plus. Félida n'a point déliré; mais, je le répète, il s'est passé dans ses facultés, pendant la courte période de transition qui a précédé l'amnésie, un désordre limité qui n'a porté que sur la reproduction du souvenir, - je n'y saurais trop insister.
Après la période de transition dont je viens de parler, Félida rentre dans la vie ordinaire, sinon normale; alors se passe le phénomène qui, s'il n'est pas le plus considérable, est certainement le plus' frappant, je veux parler de l'amnésie; bien que j'en aie déjà longuement parlé, il me sera permis d'y revenir, conduit par l'ordre logique de cette étude. - Félida revient à elle après des mois entiers d'une autre existence,-- mais elle a oublié tout ce qui s'est passé pendant ce temps, si long qu'il soit; rien de changé dans la nature de cet oubli. Il ne porte toujours que sur ce qui s'est passé pendant la précédente condition seconde, ainsi que l'ont fait remarquer MM. Egger et Lereboullet dans la savante analyse qu'ils ont publiée; cet oubli n'est toujours qu'un état latent, une éclipse momentanée de la mémoire, car pendant tout ce temps les impressions ont été non seulement perçues, mais conservées, emmagasinées, la preuve en est dans ce fait déjà signalé et frappant que, pendant la condition seconde qui suit, la mémoire revenue, ces impressions revivent. - Je reconnais avec ces auteurs que cette amnésie n'est pas celle de la dame américaine de Mac Nish et d'autres amnésiques, dont l'oubli complet fait supposer l'absence même de l'impression. - Pour mieux faire apprécier cette différence, je prendrai un exemple grossier rien d'étonnant qu'un ivrogne à jeun ait perdu le souvenir de ce qu'il a fait durant son ivresse, - pendant ce temps le cerveau était inhabile à percevoir. Cette particularité, cette limitation de l'amnésie, font précisément l'originalité de l'histoire de notre malade.
Bien plus que l'an passé, Félida est triste pendant ses courtes périodes d'état normal. Cette tristesse va jusqu'au désespoir, et la pauvre femme en voudrait finir avec la vie. Aujourd'hui les souffrances d'origine hystérique sont pendant ce temps plus intenses que jamais; il paraît certain que l'une des causes de la tristesse toujours croissante de notre malade, est la croyance de plus en plus grande que' sa maladie est au-dessus des ressources de l'art.
M. Egger m'ayant récemment engagé à, rechercher si l'amnésie portait sur des faits d'habitude aussi bien que sur tout autre fait, j'ai institué des observations sur ce point délicat; elles ne m'ont pas encore donné de résultat satisfaisant; à cette heure je puis seulement dire que le mari de Félida a remarqué que pendant le temps où elle est amnésique, sa femme laisse passer l'heure à ' laquelle elle a l'habitude de préparer le repas de la famille; mais est-ce là une habitude dans le sens exact du mot?... M. Egger ne l'admet pas, une sensation organique à retour périodique, la faim, pouvant, si elle est absente ou présente, suggérer ou non l'idée en question. Quoi qu'il en soit, je donne cette petite observation pour ce qu'elle vaut. Serait-il possible de faire prendre à Félida des habitudes réelles,' bien qu'elle ait depuis longtemps passé l'âge où on les contracte? -J'y essayerai, mais, je l'avoue, sans grand espoir d'y réussir.
Cette observation sur la persistance ou non persistance des habitudes chez les amnésiques de l'ordre de Félida ne doit pas être perdue, car elle peut être faite sur les sujets plus jeunes qui seront ultérieurement étudiés.
Après avoir successivement passé en revue les divers- états, périodes ou conditions qui caractérisent- l'existence de Félida, et indiqué les modifications, peu importantes du reste, qu'il m'a été donné d'observer pendant cette dernière année, je terminerai cette étude supplémentaire par quelques remarques générales,
MM. Eggor et Lereboullet, bien qu'admettant que des phénomènes intermittents (comme l'est' l'amnésie. de Félida) peuvent être des symptômes d'une lésion permanente, se refusent à croire qu'il en puisse être ainsi chez notre malade, vu la longue durée de ces intermittences. Je n'admets pas cette manière de voir. En effet, je crois avoir établi plus haut que l'oubli, est un phénomène non de la condition seconde, qui est la période la plus longue, ni des courts instants de la vie normale, mais plutôt de la période d'entrée dans cette dernière vie, laquelle période est d'une durée presque insaisissable : c'est, je l'ai, dit plus haut, pendant ce court moment qu'est déchiré le feuillet du livre. On ne saurait donc arguer de la longue durée des intermittences.
Du reste, l'argument d'après lequel on se 'refuserait à voir dans un phénomène, morbide intermittent le symptôme d'une action permanente peut; être réfuté par l'analogie. On voit tous les jours, sous l'influence permanente de l'hystérie, des paralysies, des contractures, etc, durer des mois et des années, guérir et revenir ainsi un grand nombre de fois.
Ce n'est donc pas cette raison qui me ferait repousser l'hypothèse que, chez Félida, l'hystérie provoque une lésion intermittente de a circulation, dans la partie du cerveau où siègent les fonctions intellectuelles, sinon la mémoire, seule, dont la localisation (en tant que fonction isolée), n'est pas aussi admissible que j'ai pu le penser.
Je ne crois pas qu'on puisse mettre, en doute aujourd'hui quo l'activité, le fonctionnement d'un organe, ne soient en rapport étroit avec la quantité de sang qu'il reçoit : ce qui est vrai pour le rein, pour le foie, la rate, etc.., ne saurait être faux pour le cerveau; on sait que les lésions de la couche, corticale, chez les paralysés généraux, sont dues à l'hyperémie, laquelle est consécutive à l'abus des fonctions intellectuelles. -. L'exercice répété d'un groupe de muscles sous l'influence, de la volonté amène manifestement leur hyperémie, et celle-ci seule est l'origine de leur développement hypertrophique, l'hyperémie; ayant provoqué ce que j'appellerai l'hypernutrition. Tout le inonde sait cela.
Qu'a donc de contraire à la vraisemblance la pensée que le bon fonctionnement du cerveau est en rapport étroit avec l'intégrité do la circulation, etc..? que, par suite, les troubles de la mémoire chez Félida sont dus à un trouble dans l'apport (lu sang à certaines parties de cet organe? Ou il ne sera plus permis de faire d'hypothèse, et alors que deviendront les; sciences biologiques? ou l'on admettra que les accidents de congestion partielle, qu'on observe chez Félida dans diverses' parties du corps, rendent possibles des troubles circulatoires du mérite ordre, sinon semblables, dans le cerveau.
Si, poussant plus loin l'analyse, je rie demande si ce trouble est une anémie ou une hyperémie, je croirai plutôt à une anémie par contraction des tuniques vasculaires; l'hyperémie est, en effet, plutôt l'origine d'une exaltation des fonctions, tandis que l'anémie répond à une dépression; or l'amnésie appartient à l'ordre des dépressions intellectuelles; elle est comme le sommeil de la mémoire, et le sommeil s'accompagne d'anémie cérébrale; telle est, du moins, ma conviction.