DE LA CONTRACTURE
HYSTÉRIQUE SOMMAIRE. Formes de la contracture
hystérique. - Description de la forme hémiplégique; - analogies et
différences entre ta contracture hystérique et celle qui dépend d'une
lésion en foyer du cerveau. - Éxemple de la forme paraplégique de la
contracture hystérique.
Pronostic. - Soudaineté de la guérison dans quelques
cas,-Interprétation scientifique de certains faits réputés miraculeux.
- Incurabilité de la contracture chez un certain nombre d'hystériques.
- Exemples. - Lésions anatomiques. - Sclérose des cordons latéraux. -
Variétés que présente la contracture du Pied bot hystérique.
Messieurs,
Dans son traité fondamental sur l'hystérie, M. Briquet, bien qu'il
n'accorde pas à l'histoire de la contracture permanente dont un ou
plusieurs membres, chez les hystériques, peuvent être atteints, tout le
développement qu'à mon sens elle comporte, trace cependant avec une
grande sûreté de main les traits les plus saillants de ce symptôme.
C'est la, écrit-il, une complication rare. Il ne l'avait, en effet,
rencontrée que six fois à l'époque où il a publié son ouvrage. Dans un
cas, la contracture occupait un seul membre; dans deux autres elle se
présentait sous forme hémiplégique, et dans les trois derniers elle
revêtait la forme paraplégique. Il est parfaitement exact que la
contracture hystérique peut offrir tous ces aspects. Vous allez, du
reste, vérifier le fait par vous-mêmes, car je suis assez liquoreux
pour pouvoir faire passer sous vos yeux deux malades, qui présentent
l'une la forme hémiplégique, l'autre la forme paraplégique de la
contracture hystérique. Nous sommes ainsi mis à même de vous faire
toucher du doigt les particularités les plus intéressantes relatives à
cette manifestation singulière de l'hystérie.
A. E..., aujourd'hui âgée de 40 ans, est atteinte depuis vingt mois
d'hémiplégie gauche. Vous voyez le membre supérieur de ce côté dans la
demi-flexion (Voy. Fig. 21); il est le siège d'une rigidité
considérable, ainsi qu'en témoignent la difficulté que
Fig. 21.
l'on éprouve à exagérer la flexion et l'impossibilité d'obtenir
l'extension complète Le membre inférieur gauche est dans l'extension
ses diverses parties sont, pour ainsi dire, dans une, attitude forcée.
Ainsi la cuisse est fortement étendue sur le bassin, ta jambe sur la
cuisse. Le pied offre la déformation de l'équin varus le plus prononcé
En outre les muscles adducteurs de la cuisse sont, eux aussi, fortement
contracturés. En somme, toutes les jointures sont également rigides, et
le membre, dans son ensemble, forme comme une barre inflexible, car, en
le saisissant par le pied, vous pourriez soulever tout d'une pièce la
partie inférieure du corps de la malade. J'insiste sur cette attitude
du membre inférieur, parce qu'elle est très-rare dans l'hémiplégie liée
à l'existence d'une lésion cérébrale en foyer, et qu'elle est, au
contraire, pour ainsi dire la règle dans la contracture hystérique.
Dans ce dernier cas, la flexion permanente de la cuisse et de la jambe,
si j'en juge d'après mes observations, est un fait réellement
exceptionnel.
Il s'agit là d'une contracture permanente dans l'acception rigoureuse
du mot; je me suis assuré qu'elle ne se modifie en rien pendant le
sommeil le plus profond; elle ne subit pas, dans la journée,
d'alternatives d'aggravation et de rémission. Seul le sommeil provoqué
par le chloroforme la fait disparaître pour peu que l'intoxication ait
été poussée un peu loin.
Bien que chez notre malade a contracture hémiplégique dite, je le
répète, de près de deux ans, vous voyez que la, nutrition des muscles'
n'a pas souffert sensiblement. J'ajouterai encore que la contractilité
électrique est restée à peu près normale.
Je vous ferai remarquer, en passant, qu'en redressant fortement la
pointe du pied, on détermine dans le membre inférieur Contracturé une
trémulation convulsive qui persiste quelquefois pendant longtemps,
alors que le pied abandonné à lui-même,, a repris son attitude
primitive. Vous savez que cette même trémulatîon se rencontre très
habituellement dans la paralysie avec contracture, liée à une lésion
organique spinale, lorsque, par exemple, les cordons latéraux- sont
sclérosés mais je l'ai observée également dans nombre de cas où la
contracture hystérique s'est terminée par la guérison. Vous voyez par
là que ce phénomène n'a pas, au point de vue du diagnostic anatomique,
l'importance que quelques personnes lui ont accordée bien à tort.
A part la différence que nous avons signalée à propos de l'attitude du
membre inférieur, toutes les particularités que nous venons de rappeler
pourraient, à la rigueur, s'appliquer à un cas d'hémiplégie organique,
résultant d'une lésion profonde de l'encéphale, hémorrhagie ou
ramollissement, par exemple.
Un nouveau trait de ressemblance est celui-ci: l'hémiplégie chez
Etch... a débuté tout à coup, pendant une attaque. La malade, à la
suite de cette attaque, est restée sans connaissance durant plusieurs
jours.
Après avoir indiqué les analogies, il faut faire ressortir les
différences. Elles sont nombreuses, péremptoires et de fait, le plus
souvent, rien n'est plus simple, en s'aidant de ces caractères presque
toujours présents, que de rapporter la contracture hystérique à sa
véritable origine.
4° Remarquez en premier lieu, Messieurs, l'absence de paralysie faciale
et de déviation de la langue, lorsque celle-ci est tirée hors de la
bouche. Vous savez que ces phénomènes existent au contraire toujours à
un certain degré dans l'hémiplégie, par lésion en foyer du cerveau (4).
9.9 Notez ensuite l'existence d'une analgésie et même d'une anesthésie
pour ainsi dire absolue, étendue à toute la moitié du corps,, répondant
au côté paralysé, occupant par suite la face, le tronc, etc.. Cette
altération de la sensibilité intéresse non seulement la peau, mais
encore les muscles et peut-être les os; elle s'arrête exactement à la
ligne médiane.
Cette sorte de généralisation de l'anesthésie à tout un côté du corps,
tète, tronc et membres, cette limitation, en quelque sorte
-géométrique, des parties anesthésiées par un pan vertical qui divise
1e corps en deux moitiés égales, appartiennent pour ainsi dire en
propre à l'hystérie. Quoi qu'il. en soit ce symptôme ne s'observe que
très rarement dans l'hémiplégie de cause cérébrale, et s'il s'agissait
de l'hémiplégie spinale, c'est à dire résultant de la lésion d'une
moitié unilatérale de la moelle épinière,- l'anesthésie, ainsi que l'a
montré Brown-Séquard, occuperait le côté du corps opposé à la paralysie
motrice.
30 Nous avons à relever encore bien d'autres caractères distinctifs. La
malade est intelligente et rien n'autorise à suspecter sa sincérité;
elle peut donc nous renseigner d'une façon véridique sur le mode
d'évolution de son affection. Voici, en quelques mots, son histoire.
Il n'y aurait pas eu chez elle, semble-t-il, d'antécédents hystériques.
La maladie a débuté à 34 ans, après une violente secousse morale, par
une attaqué avec perte de connaissance. Cette attaque, selon toute
vraisemblance, a pris la forme épileptique de l'hystérie ; Etch..., en
effet, pendant l'accès est tombée dans le feu, et elle porte sur la
figure des traces de la brûlure qu'elle s'est faite dans cette
circonstance. De nouvelles attaques, tantôt franchement hystériques,
tantôt prenant quelques-uns des aspects de l'épilepsie, sont survenues,
à plusieurs reprises, durant les années suivantes; mais c'est à 40 ans
que sont apparus les symptômes permanents de l'hystérie que nous avons
à étudier aujourd'hui. Nous devons indiquer au milieu de quel concours
de circonstances ils se sont développés, car nous trouverons là
quelques traits caractéristiques.
a. Les règles, jusque-là régulières, se dérangent ; la malade a de
temps en temps des vomissements de sang (4); son ventre est le siège
d'un ballonnement considérable avec douleur vive à la pression de la
région ovarienne gauche, douleur d'un caractère spécial s'accompagnant
de sensations particulières qui s'irradiaient vers la région
épigastrique et que la malade reconnaissait comme précédant la plupart
de ses attaques. Ces douleurs, comme d'ailleurs le ballonnement et la
rétention d'urine, existent encore aujourd'hui.
b, Presque en même temps, Etch... est affectée d'une
rétention d'urine persistante, qui nécessite habituellement le
cathétérisme.
c. Les choses en étaient là lorsque, en octobre 1868, survient une
attaque très intense, accompagnée de convulsions et suivie d'un état
apoplectiforme avec respiration stertoreuse; c'est alors que débuta
tout à coup l'hémiplégie.
Eh bien, Messieurs, ce ballonnement considérable du ventre, ces
douleurs de la région ovarienne, cette rétention des urines,
constituent un ensemble de symptômes dont l'importance, au point de vue
du diagnostic, est à peu près décisive. Rien de semblable ne s'observe
dans les prodromes des hémiplégies de cause cérébrale, et il est au
contraire très-habituel de voir' ces symptômes précéder l'apparition
des phénomènes permanents de l'hystérie : hémiplégie ou paraplégie.
C'est un point que M. Briquet n'a pas manqué de faire ressortir; on le
trouve également relevé comme il convient, du moins en ce qui concerne
la paraplégie hystérique, par M. Laycock, dans les termes suivants : a
La paralysie plus ou moins prononcée des extrémités inférieures, dans
l'hystérie, est toujours accompagnée il aurait pu ajouter : " et
précédée " par un degré correspondant de perturbation dans les
fonctions des organes pelviens; cette perturbation se traduit par a
constipation, la tympanite, a paralysie vésicale, l'accroissement ou la
diminution de la sécrétion urinaire, l'irritation ovarienne ou utérine,
etc.. (4). "
d. Lorsque Etch..., est entrée à la Salpêtrière il y a un an (juin
1869), l'hémiplégie datait déjà de sept ou huit mois. Indépendamment de
toutes les particularités, si caractéristiques qui viennent d'être
rappelées, l'état des membres paralysés pouvait, lui aussi, être
invoqué en faveur de l'origine hystérique de la paralysie. Ainsi,
tandis que le membre supérieur était dans un état de flaccidité
complète, absolue, le membre inférieur présentait au genou une rigidité
très-marquée: Ce serait là une anomalie considérable dans un cas
d'hémiplégie consécutive à une lésion cérébrale, car en pareil cas la
rigidité tardive se manifeste toujours de préférence dans le membre
supérieur.
e. La contracture, qui, aujourd'hui, occupe le membre supérieur, ce
mois seulement, et elle s'est développée tout à coup, sans transition,
à la suite d'une attaque. Ce n'est pas de la sorte, vous le savez, que
procède la contracture tardive dans l'hémiplégie due à l'hémorrhagie où
au ramollissement du cerveau ; constamment, dans ce dernier cas, la
contracture s'établit lentement, d'une manière progressive.
Ainsi, Messieurs, en tenant compte de toutes les circonstances qui
viennent d'être énumérées, rien n'est plus facile que de reconnaître
chez Etch... la véritable cause du mal. Il en sera de même encore dans
le fait suivant, qui est relatif à un cas de paraplégie hystérique (1).
B. Alb..., âgée de 21 ans, enfant trouvé, est atteinte
depuis. deux ans environ d'une contracture permanente des membres
inférieurs, qui sont, comme vous pouvez le constater; dans l'extension
et tout à fait rigides. De même que chez Etch..., la contractilité
musculaire n'est pas amoindrie. Les membres sont amaigris, mais d'une
façon générale, et cet amaigrissement tient à ce que la malade est
affectée de vomissements presque incoercibles qui l'empêchent de
s'alimenter suffisamment. On note, en outre, une analgésie à peu près
complète des membres paralysés.
Voici maintenant des circonstances vraiment décisives qui permettent
d'établir le diagnostic.
a). Alb... a des attaques hystériques depuis l'âge de 16 ans; - b) elle
est atteinte, depuis quatre ans, d'une rétention d'urine réclamant
ordinairement le cathétérisme; - c) elle présente un ballonnement
énorme de l'abdomen; d) les régions ovariennes sont douloureuses à a
pression, et en insistant un peu dans l'exploration, on ne tarderait
pas à provoquer une attaque hystérique; -e) la contracture des membres
inférieurs est survenue tout d'un coup, sans transition, et c'est là un
point que nous avons fait ressortir déjà dans l'observation précédente.
or de semblables symptômes ne s'observent pas dans la progression de la
sclérose des cordons latéraux...
Ainsi, Messieurs, rien de plus simple, je' le répète,
que l'interprétation clinique de ces deux cas, en ce qui concerne le
diagnostic. Mais voici le point où, dans ces cas mêmes et dans les cas
analogues, des difficultés sérieuses peuvent surgir.
Qu'adviendra-t-il de ces malades? Depuis deux ou trois ans, la
paralysie avec contracture a persisté, chez elles, sans amendement.
Cette contracture pourra-t-elle se résoudre quelque jour, ou, au
contraire, doit-elle persister indéfiniment et constituer de la sorte
une infirmité incurable? voilà des questions que nous devons poser sans
nous engager, toutefois, à y répondre d'une façon catégorique.
A. Il est possible que, malgré sa longue durée, cette
contracture disparaisse sans laisser de traces; demain peut-être, dans
quelques jours, dans un an; on ne peut rien préjuger à cet
égard. En tout cas, si la guérison a lieu, elle pourra être soudaine
(1). Du jour au lendemain, tout peut rentrer dans l'ordre; et s'il se
trouve qu'à cette époque la diathèse hystérique soit épuisée, ces
malades reprendront la vie commune.
A ce propos, Messieurs, je ne puis pas ne point m'arrêter un instant
devant ces guérisons rapides, inespérées souvent, d'un mal qui, pendant
si longtemps, se sera fait remarquer par sa ténacité et par sa
résistance à tous les agents thérapeutiques. Une émotion morale vive,
un ensemble d'événements qui frappent fortement l'imagination, la
réapparition des règles depuis longtemps supprimées, etc., sont
fréquemment l'occasion de ces promptes guérisons.
J'ai vu dans cet hospice trois cas de ce genre, que je vous demande la
permission de résumer brièvement.
1° Dans le premier cas, il s'agissait de la contracture d'un
Fig. 22.
membre inférieur (fig. 22) datant de quatre ans au moins. En raison de
l'inconduite de la malade, je fus obligé de lui adresser une vigoureuse
semonce et de lui déclarer que je la renvoyais. Dés le lendemain, la
contracture avait entièrement cessé. Ce fait est d'autant plus
important que l'hystérie convulsive n'existait plus que dans les
souvenirs de cette femme. Depuis deux ou trois ans, a contracture était
la seule manifestation de la grande névrose.
2° Le second cas concerne une femme également atteinte d'une
contracture limitée à un seul membre. Les crises hystériques proprement
dites avaient depuis longtemps disparu. Cette femme fut accusée de vol
: a contracture qui avait duré plus de deux ans se dissipa tout à coup
à l'occasion de l'ébranlement moral que produisit cette accusation.
3° Dans le troisième cas, a contracture avait pris la forme
hémiplégique; elle affectait le côté droit et était surtout prononcée
au membre supérieur. La guérison survint presque toul à coup, dix-huit
mois après le début, à la suite d'une vive contrariété. Il n'y avait
pas alors d'anesthésie. La malade, tout en avouant avoir éprouvé des
troubles nerveux bizarres, niait l'existence passée de véritables
attaques hystériques.
Il faut bien connaître, Messieurs, a possibilité de ces guérisons qui,
aujourd'hui encore, font crier au miracle, mais dont les charlatans
seuls se font gloire. Avant notre siècle, ces faits là étaient souvent
invoqués lorsqu'il s'agissait d'établir devant les plus incrédules
l'influence du surnaturel en thérapeutique.
A ce point de vue, vous lirez avec intérêt un article publié dans la
Revue de philosophie positive (1er avril 1869) par le vénérable M.
Littré. (4) Je fais allusion à un écrit intitulé : Un fragment de
médecine rétrospective (Miracles de saint Louis), et dans lequel on
trouve l'histoire de plusieurs cas de paralysie guérie après des
pèlerinages faits à Saint-Denis au tombeau où les restes du roi Louis
1X venaient d'être déposés. Trois de ces cas surtout sont intéressants
pour nous à cause de a précision des détails. Ils se rapportent à des
femmes, jeunes encore, frappées subitement de contracture de l'un des
membres inférieurs ou des deux membres du même côté du corps, lesquels
présentaient en autre une anesthésie considérable. Chez ces femmes, la
guérison était survenue tout d'un coup, au milieu de circonstances bien
propres à émouvoir l'imagination. Vous voyez, Messieurs, que les choses
ont peu changé depuis la fin du XIIIe siècle (2).
B. Mais si la guérison de ces malades est possible, vraisemblable même,
elle n'est pas nécessaire, et il peut se faire que la contracture
persiste à titre d'infirmité incurable. Voile une assertion qu'il ne me
sera pas difficile de justifier. Mais, permettez-moi de vous faire
remarquer tout d'abord que vous ne trouverez dans la plupart des
auteurs sur ce sujet que des assertions vagues, incertaines, vraiment
peu satisfaisantes.
a. Je vous présente une femme, âgée maintenant de 55 ans et qui, il y a
dix-huit ans, fut prise à la suite d'une attaque hystérique de la
paraplégie avec contracture, dont vous pouvez encore aujourd'hui
reconnaître les principaux caractères. La contracture d l'origine
s'amendait de temps à autre temporairement. Mais depuis plus de 4 6
ans, elle n'a jamais subi la moindre modification; il s'agit ici d'une
véritable rigidité des muscles avec prédominance de l'action des
extenseurs et des adducteurs; 'même après seize ans d'immobilité des
membres inférieurs, les parties ligamenteuses n'y sont pour rien, du
moins aux genoux, ainsi qu'une exploration faite alors que la malade
avait été sou mise à l'anesthésie du chloroforme nous a permis de le
vérifier., Seule, la déformation des pieds, qui rappelle celle du
varuséquin, ne s'est point modifiée pendant le sommeil chloroformique.
Les muscles des jambes et des cuisses sont notablement atrophiés; la
contractilité faradique y est amoindrie. Depuis, plusieurs années,
l'hystérie paraît complètement épuisée chez cette femme, et il est
devenu fort peu probable qu'aucun événement puisse, chez elle, rien
changer désormais à l'état des membres inférieurs (Fig. 23.).
b. Quelle condition est donc survenue et a entretenu ainsi l'existence
de cette paraplégie avec rigidité des membres? Évidemment, dans les cas
récents de contracture hystérique, la modification organique, quelle
qu'elle soit, quelque siège qu'elle occupe, qui produit la rigidité
permanente, est très légère, très fugace, puisque les symptômes qui lui
correspondent peuvent disparaître tout à coup, sans transition. Il est
certain qu'avec les moyens d'investigation dont nous disposons
aujourd'hui, la nécroscopie la plus minutieuse ne serait pas en état de
retrouver, en pareil cas, les traces de cette altération. Mais en
est-il de même dans les cas invétérés ? Non, Messieurs; je crois pouvoir
Fig. 23.
avancer, en me fondant sur la connaissance d'un fait analogue, que,
chez cette femme,-il--s-'est s'est produit, à une certaine époque, une
lésion scléreuse des cordons latéraux, lésion que la nécroscopie
permettrait actuellement de reconnaître.
Il m'est arrivé en effet d'observer une fois, chez une femme
hystérique, atteinte, depuis une dizaine d'années, de contracture des
quatre membres, et dont le début avait été subit, une sclérose qui
occupait symétriquement, et à peu près dans toute la hauteur de la
moelle, les-cordons latéraux. A diverses reprises, cette femme avait vu
la contracture céder temporairement, mais après un dernier accès,
celle-ci était devenue définitive (4).
Des faits qui précèdent, il est sans doute légitime de tirer quelques
inductions relatives à la physiologie pathologique de la contracture
hystérique. D'après les considérations-que nous avons émises, les
cordons latéraux, ou tout au moins leur partie postérieure - celle qui
tient sous sa dépendance la contracture permanente dans les cas de
sclérose en plaques ou fasciculée - ces cordons, dis-je, sont désignés
comme étant le siège de modifications organiques, d'abord temporaires,
et qui donneraient lieu aux contractures hystériques. A la longue, ces
modifications, quelles qu'elles soient, font place à des altérations
matérielles plus profondes : une sclérose véritable s'établit.
Peut-être n'est-elle pas au-dessus des ressources de l'art; mais,dans
tous les cas, elle ne permet très certainement plus d'espérer cette
brusque disparition des contractures qui constitue un des caractères
les plus frappants de la maladie lorsqu'elle n'est pas parvenue encore
aux phases les plus avancées de son évolution (4).
Existe-t-il quelque signe qui permette d'indiquer, à coup sûr, le
caractère du cas, de savoir par exemple si la sclérose a définitivement
ou non élu domicile dans les cordons latéraux ? Je ne crois pas,
Messieurs, que l'on puisse, dans l'état actuel de la science, signaler
n seul symptôme qui présente à cet égard une valeur pronostique absolue.
La trémulation convulsive des membres contracturés, provoquée ou
survenant spontanément (épilepsie spinale tonique), an certain degré
d'émaciation des masses musculaires, un peu d'amoindrissement dans
l'énergie de la contractilité électrique, ne devraient pas; si j'en
juge d'après les observations qui me sont propres, faire désespérer
complètement de voir la contracture disparaître sans laisser de traces.
Au contraire, l'atrophie limitée plus particulièrement à certains
groupes de muscles, surtout s'il s'y joignait des contractions
fibrillaires analogues à celles qu'on observe dans l'atrophie
musculaire progressive ou un affaiblissement très notable de la
contractilité faradique, devrait faire supposer non seulement que les
cordons latéraux sont profondément lésés, mais que, en outre, les
cornes antérieures de la substance grise ont été envahies. Je n'ai
observé, jusqu'à présent,-ces derniers symptômes que dans des cas de
contracture hystérique de date très ancienne et qui ne laissaient plus
guère d'espoir de voir les membres affectés reprendre jamais leurs
fonctions normales.
J'ajouterai enfin que l'existence d'une lésion organique spinale plus
ou moins profonde serait mise à peu près hors de doute si, sous
l'influence du sommeil déterminé par le chloroforme, la rigidité des
membres ne s'effaçait que lentement ou persistait même à un degré
prononcé.
A mon avis, tant que ces symptômes ne sont' pas nettement accusés, il
ne faut désespérer de rien. Il importe, d'ailleurs, de ne pas oublier
que la sclérose latérale, alors même qu'elle est parfaitement établie,
n'est pas, tant s'en faut, j'espère vous en donner bientôt la preuve,
une affection incurable.
Citez les malades sur lesquelles je viens d'appeler votre attention, la
contracture occupait soit la totalité d'un membre, soit même deux
membres, ou plus encore. Mais il est des cas où la rigidité spasmodique
reste limitée à quelque partie d'un membre, au pied par exemple et
produit une sorte de pied bot hystérique (Talipedal Distorsions de T.
Laycock). Tout récemment le docteur R. Boddaert a communiqué à la
Société de médecine de Gand (4) un cas de ce genre fort intéressant. La
contracture avait donné lieu à la déformation connue sous le nom de
pied bot varus. Des faits analogues ont été recueillis et publiés par
le docteur Little (2), par C. Bell (3), par M. F. C. Skey (4) et par
quelques autres auteurs.
Si je ne me trouvais retenu par certaines convenances,
je pourrais, Messieurs, rapporter à mon tour dans tous ses détails
l'histoire d'un cas qui rappelle celui qu'a publié M. Boddaert.
Qu'il me suffise de vous dire qu'une jeune fille âgée actuellement de
22 ans, très nerveuse et appartenant à une famille où les affections
nerveuses prédominent, fut prise, il y a trois ans,
tout à coup, sans cause connue et sans avoir offert jusque-là de
symptômes caractérisés d'hystérie, d'une contracture douloureuse des
muscles de la jambe gauche. Cette contracture, qui imprime au pied
l'attitude du varus équin le plus accentué, avait cédé d'abord, pendant
la première année, à plusieurs reprises; mais, depuis près de deux ans,
elle paraît définitive (juin 1870.) Plusieurs des muscles de la jambe
ont subi une atrophie profonde; ils présentent, en outre,-des
contractions fibrillaires très accusées et répondent mal aux
excitations électriques. Je crois, par conséquent, qu'il y a peu de
chances de voir la contracture se résoudre, d'autant plus qu'elle ne
s'amende que très imparfaitement durant le sommeil produit par le
chloroforme. Je signalerai encore une particularité fort intéressante,
au point de vue clinique : chez cette jeune malade, les attaques
hystériques se sont manifestées seulement dans le courant des derniers
mois...