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Le moi dans la névrose obsessionnelle

Dr MAURICE BOUVET
Nous publions ce texte remis en page par nos soins, dont la numérisation originale,se trouve sur le site Gallica de la BNF, extrait de la RFP 1953, aux fins d'études du séminaire IV de J Lacan, qui le cite abondament, en une critique constructive

Le moi dans la névrose obsessionnelle
Relations d'objet et mécanismes de défense
Rapport clinique
par le Dr MAURICE BOUVET . (Paris)

INTRODUCTION
Présenter un rapport sur le Moi dans la névrose obsessionnelle peut paraître osé, puisqu'aussi bien c'est dans cette affection que cet aspect de la personnalité que l'on nomme le Moi fut depuis longtemps, et de prime abord d'ailleurs, l'objet de l'attention des analystes. Il ne pouvait être question en effet d'envisager l'étude de la névrose obsessionnelle sans aborder celle du Moi, puisque celui-ci est de façon si active impliqué dans cette névrose, et qu'il est si intimement mêlé au développement de sa symptomatologie. FREUD n'a-t-il pas intitulé l'un de ses premiers articles sur la névrose obsessionnelle, Les neuropsychoses de défense.
Tout n'a-t-il pas été dit sur ce sujet. N'a-t-on pas décrit, sous tous ces aspects, la pensée prélogique, n'a-t-on pas suffisamment insisté sur les formations réactionnelles de l'ego ; s'il est un aspect pathologique du Moi, dont la clinique analytique ait donné une description précise, c'est bien celui du Moi obsessionnel.
Aussi n'ai-je pas l'intention de revenir sur des faits qui sont connus de tous, ni sur ces études si pénétrantes qui nous ont fourni les connaissances que l'on sait sur les principaux mécanismes psychopathologiques de la névrose obsessionnelle.
Je désirerais aborder ici, devant vous, un point particulier : Celui des relations d'objet que le Moi obsessionnel, noue avec son environnement, c'est là, je le sais bien aussi, un problème qui dès le début des études analytiques a suscité l'intérêt des auteurs, et chacun a en mémoire les travaux d'ABRAHAM. Néanmoins, mes lectures, tout aussi bien que mon expérience personnelle si limitée fut-elle, m'ont engagé à consacrer ce rapport à l'étude de cette question.
Comme on le verra en effet en lisant le chapitre qui suit, les travaux les plus importants qui eurent trait ces vingt dernières années à la névrose obsessionnelle ont eu pour objet précisément l'examen de ces relations. Peut-être s'étonnera-t-on du titre que j'ai donné à cette présentation : Le Moi dans la névrose obsessionnelle alors que je viens d'en tracer les limites et d'indiquer que je ne ferai qu'allusion à tout ce que la clinique psychanalytique, disons classique, nous apprend sur le Moi obsessionnel; si je l'ai ainsi arrêté c'est que certaines des études contemporaines s'essaient à une description d'ensemble de la personnalité totale du sujet obsédé à la lumière de ses relations objectales, et par là introduisent le problème des rapports de la névrose obsessionnelle, et des autres syndromes psychopathologiques tout aussi bien psychotiques, que névrotiques, alors que d'autres travaux restent limités à un aspect plus restreint de ces relations d'objet.
J'ai pensé que l'on pouvait tenter une synthèse des résultats, obtenus par les auteurs qui se sont récemment intéressés à la névrose obsessionnelle, résultats qui ne font d'ailleurs que compléter et préciser ce qui était déjà impliqué dans les études plus anciennes ; il m'a semblé, que de l'ensemble de ces données, se dégageait la notion d'une relation d'objet dont la portée était très générale et dont j'ai recherché l'expression clinique. Aussi, je consacrerai une large partie de ce travail à un exposé clinique, peut-être un peu minutieux et un peu long et je vous prie de m'en excuser.
J'ai adopté dans cette présentation le plan suivant : Le Ier chapitre sera consacré : à l'état actuel de la question. Le 2e chapitre : à une étude clinique du Moi et de ses relations
d'objet en général. Le 3 e chapitre : à l'étude des relations d'objet dans le transfert. Le 4e chapitre : aux instruments de cette relation et à son évolution
au cours du traitement analytique. Le 5e chapitre : à l'exposé d'une observation qui m'a semblé être assez
démonstrative. Le 6e chapitre : enfin à quelques considérations d'ordre thérapeutique
avant que je ne vous présente les conclusions que je pense pouvoir dégager de cette étude.

I ÉTAT ACTUEL DE LA QUESTION
Le terme de relation d'objet, étant pris dans le sens le plus général, s'applique à toutes les relations du sujet dans le monde extérieur, et, dans le cas particulier de la névrose obsessionnelle, il ne peut être question, étant donné l'importance des déplacements et des représentations symboliques, qu'il en soit autrement.
J'ai fait allusion plus haut aux études d'ABRAHAM sur ce sujet. Il a en effet consacré toute une série de publications à la question des relations de l'obsédé et de ses objets d'intérêt et d'amour, à leurs différences et à leurs similitudes avec celles qui caractérisent d'autres états psychopathologiques comme la mélancolie, la manie, etc. Névrose obsessionnelle et états maniaco-dépressifs, 1911 ; Courte étude du développement de la libido vue à la lumière des troubles mentaux, 1924 ; Contribution à la théorie du caractère anal, 1921 ; pour ne citer que les principales.
Il en arrive à la conclusion que voici : la névrose obsessionnelle aboutit à une régression au stade sadique anal de l'évolution libidinale, où les relations d'objet peuvent être définies comme suit :
Le sujet est capable d'amour partiel d'objet, c'est-à-dire qu'il ne vise qu'à la possession d'une partie de l'objet, ce qui implique un respect relatif de l'individualité de celui-ci. Ce désir de possession, de conservation d'un objet, qui donne au sujet des satisfactions narcissiques, est le témoin de l'organisation instinctuelle de la deuxième phase du stade sadique anal, telle que ABRAHAM lui-même l'a différenciée ; il l'oppose à la première où les désirs sadiques destructeurs avec visées d'incorporation prédominent. La régression de la névrose obsessionnelle est essentiellement pour lui stabilisée à cette phase anale conservatrice, mais il n'en reste pas moins, que ce désir de conservation de l'objet est contrebalancé par un désir d'expulsion, de destruction, ce qui donne à la phase anale ses caractéristiques d'ambivalence bien connues : la conservation répondant à l'amour, la réjection à la haine.
Cette phase de l'organisation anale est celle à laquelle la très grande majorité des auteurs, pour ne pas dire presque tous, fixent le terme de la régression de la névrose obsessionnelle. Tout en effet concorde à ce qu'on la situe à ce niveau : l'existence à ce stade d'une distinction très franche entre le sujet et l'objet, la séparation complète du Moi et du non Moi, l'intensité des différentes formes de sadisme aux phases sadiques anales, l'existence d'une ambivalence physiologique, l'intervention vigoureuse et progressive dans la vie de l'enfant d'une organisation psychique de plus en plus puissante, mais qui s'exprime encore précisément sur un mode archaïque — le mode prélogique. Et il est en effet hors de question que l'on puisse d'une manière générale assigner à la régression dans cette affection des caractères plus primitifs encore ; néanmoins, comme nous le verrons plus loin, l'affirmation d'ABRAHAM : que le sujet dans la névrose obsessionnelle, a renoncé a toute visée d'incorporation, est discutable et controuvée par les faits. Sans doute faut-il voir là, la conséquence d'une trop grande rigueur dans les oppositions qu'ABRAHAM a voulu faire. Étant donné, en effet, que les phases de l'évolution se recouvrent les unes les autres et s'interpénétrent, ainsi que l'a explicité une fois de plus Mme Mack BRUNSWICK, il n'y a pas de difficulté à admettre qu'il n'existe aucune division tranchée, et que les tableaux de concordance des syndromes névrotiques et des phases d'organisation libidinale n'aient qu'une valeur générale et ne puissent servir qu'à établir un rapport entre la structure d'ensemble d'un trouble et une phase de l'évolution. Aussi ne faut-il pas s'étonner qu'à travers une structure psychopathologique donnée, s'expriment, et des signes témoignant de la survivance de formations conflictuelles appartenant à des périodes antérieures et des angoisses inhérentes à ces mêmes phases du développement.
Ce qui est indiscutable, c'est que la phase où est restée fixée et où régresse la libido dans la névrose obsessionnelle, est une phase intermédiaire extrêmement importante du développement en ce qui concerne les relations d'objet, et que comme le fait remarquer ABRAHAM, dès que la libido ne s'exprime plus, sur le mode et avec les qualités des investissements qui sont ceux de la phase sadique anale conservatrice, elle régresse avec une extrême facilité à ses organisations antérieures.
Ceci nous rend compréhensible, sur le plan de l'évolution des pulsions, les rapports intimes qui unissent la névrose obsessionnelle aux psychoses, puisque celles-ci témoignent d'une régression libidinale aux stades d'organisation antérieure.
NACHT, dans Le masochisme, a fait remarquer que les rapprochements que fait ABRAHAM entre la névrose obsessionnelle et la mélancolie sont discutables, et sur le plan topique : dans un cas il s'agit d'un Moi névrotique et dans l'autre d'un Moi psychotique, et sur le plan dynamique : dans le premier cas l'agressivité est transformée en masochisme de par sa réflexion sur le Moi, par l'intermédiaire d'un Surmoi archaïque, et dans l'autre elle prend, sans transformation préalable, le Moi pour objet.

De toute manière l'introjection du déprimé est la conséquence de la rupture des relations libidinales d'objet ; et classiquement, elle est assimilée aux relations d'objet de cannibalisme total de la phase orale sadique de l'évolution instinctuelle, qui est immédiatement antérieure au stade sadique anal (FREUD). De même la rupture de ces relations avec concentration de la libido sur le Moi peut aboutir à la schizophrénie, avec retrait au moins prédominant des investissements objectaux. La clinique nous montre chaque jour le bien-fondé du schéma d'ABRAHAM, en nous imposant la notion des rapports étroits des états obsessionnels et des psychoses, que celles-ci soient caractérisées par une prédominance des mécanismes de rejet et de projection, comme les psychoses de persécution, ou par celles des introjections destructrices comme la mélancolie, ou par un retrait massif des investissements objectaux comme la schizophrénie. La Clinique psychiatrique concorde ici avec les enseignements de la théorie analytique.
Par ailleurs, ce que j'ai dit plus haut, du recouvrement des phases du développement les unes par les autres, rend compte, non seulement de la présence de formations orales sadiques dans toutes les analyses de névroses obsessionnelles qui sont rapportées dans la littérature, mais encore dans certains cas, de troubles de la structuration du Moi qui sont le reflet de son état dans les phases antérieures du développement, comme par exemple, l'absence de séparation complète entre le Moi du sujet et l'objet.
FERENCZI a attaché la même signification qu'ABRAHAM aux conséquences pour l'évolution des relations d'objet, des phases anales du développement. Le sens de la réalité est étroitement lié pour lui à l'éducation des sphincters et à leur « moralité ».
FREUD accepta complètement, comme on le sait, le schéma d'ABRAHAM, et adopta la subdivision des phases orales et anales qu'il avait décrites en phases préambivalentes et orales sadiques d'une part, sadiques anales destructives et sadiques anales conservatrices d'autre part.
C'est ce schéma que l'on retrouve sur le tableau des concordances entre les phases du développement libidinal, les relations d'objet, et les manifestations psychopathologiques que Mme Mack BRUNSWICK publia, et qui représente l'opinion définitive de FREUD sur cette question.
Je voudrais simplement faire une remarque sur la position de FREUD à l'égard de la névrose obsessionnelle ; sans insister sur ses études classiques sur cette affection, je tiens à attirer l'attention sur ce qu'il n'a cessé de réaffirmer, à savoir : que les formes les plus archaïques de la libido sont très voisines des manifestations agressives, qu'un transport d'énergie instinctuelle peut, sous l'influence de la frustration ou d'une cause interne se faire de la signification libidinale de la relation à sa signification destructive, diverses formulations qui expriment toutes cette idée majeure : qu'après que la régression, à partir du conflit oedipien, ait fait son oeuvre, les manifestations agressives expriment autant d'amour que de haine. C'est là, je crois, un point essentiel et sur lequel on ne saurait trop ramener l'attention.
Je ne puis, dans le cadre de cet exposé, que citer des noms qui vous sont connus : celui de JONES, par exemple, dont les études sur Haine et érotisme anal dans la névrose obsessionnelle et traits de caractère anal érotique sont classiques.
Parmi les travaux contemporains dont l'objectif reste limité à la description d'un mécanisme relationnel particulier, je voudrais insister, non que je lui accorde l'importance des travaux de JONES par exemple, sur la tentative de BERGLER. Comme vous le savez, BERGLER, attachant une importance toute spéciale à la phase orale du développement, vit dans les difficultés de l'allaitement le prototype des relations ambivalentes qui précisément sont celles de la névrose obsessionnelle. Il retrouva dans le cours du développement toute une série de circonstances pouvant présenter une analogie avec la situation initiale et se charger des angoisses non surmontées de cette première relation ambivalente, l'éducation des sphincters par exemple, autre expérience de passivité, imposée.
Je ne pouvais pas ne pas être frappé par ces travaux et par ce sentiment qu'il eut qu'une bonne partie de l'agressivité de la névrose obsessionnelle était une réaction de défense contre une tendance passive, masochique, survivance de ces expériences dé passivité imposées. J'ai moi-même étudié l'aspect homosexuel du transfert dans la névrose obsessionnelle, et j'ai pu constater précisément, qu'à partir du moment où le sujet pouvait prendre conscience de son désir homosexuel, c'est-à-dire l'accepter, le contact affectif avec ces malades devenait plus sûr ; ce qui ne veut pas dire pour autant que des traumatismes importants de la période orale soient toujours en cause.
GLOVER en 1935, publia un article sur L'étude du développement des névroses obsessionnelles, qui, me semble-t-il, est d'une importance toute particulière pour la compréhension de la signification d'ensemble des symptômes obsessionnels qui apparaissent comme l'expression d'une véritable technique destinée à maintenir des relations de réalité.
Ce travail s'inspire des conceptions de Melanie KLEIN, et fait allusion au stade paranoïde et psychotique de la petite enfance, à la théorie des bons et des mauvais objets introjectés, théorie au sujet de laquelle GLOVER fait d'ailleurs dès cette époque les plus extrêmes réserves, souhaitant qu'une description plus rigoureuse des phases primaires du développement puisse être élaborée. Mais ce qui me paraît donner à ce travail toute sa valeur, c'est son caractère clinique. Se basant sur l'étude des formes marginales ou limites de la névrose obsessionnelle : névrose obsessionnelle et dépression — névrose obsessionnelle et toxicomanie — phobie, recouvrant un processsus obsessionnel ainsi que sur des cas de névroses obsessionnelles caractérisées. GLOVER démontre que la technique obsessionnelle : déplacement, isolation, symbolisation, permet au sujet de maintenir, à travers un jeu psychologique complexe, des relations d'objet concrètes, et stables, grâce à un émiettement des affects dont l'intensité et l'alternance rapide eussent été insupportables au Moi, le sujet évitant ainsi les dangers des introjections durables et des projections irrémédiables de mauvais objets, par la succession rapide des conduites d'introjection et de projection.
Depuis, GLOVER a, dans de nombreux travaux, pris résolument position contre le concept des objets partiels, en lui déniant la qualité de concepts de base, Concepts mentaux de base, leur valeur clinique et théorique, et en insistant sur l'inexistence de l'objet dans les phases primaires du développement. Il ne nie pas pour autant que l'enfant fasse avec son corps des fantaisies simples qui lui servent à s'exprimer. Mais il différencie ces fantaisies d'objet des imago dont il rappelle le processus de formation, à partir des expériences réelles de plaisir ou de souffrance vécues dans les relations d'objet. Après abandon ou disparition de l'objet se forme, suivant les cas, une bonne ou une mauvaise imago, qui est assimilée à une partie de soi, ce sont ces mauvaises imago qui sont responsables des projections qui transforment les objets en mauvais objets. Mais ces restrictions n'enlèvent rien à la valeur clinique de son travail ; et d'ailleurs, dans la dernière édition de son traité, il fait de nombreuses allusions à la thèse qu'il défendait en 1935, soit par exemple la suivante : les obsédés qui ne souffrent plus de leurs obsessions semblent être privés d'un appui (constatations que j'ai moi-même pu faire à de multiples reprises), ou encore en général la névrose obsessionnelle est une bonne garantie contre la psychose.
Il est d'ailleurs tout à fait certain que ce qu'il écrit, sur les aspects positifs de la régression, soit en substance : qu'elle est une technique sûre et longuement éprouvée de stabilité à laquelle on recourt devant les dangers nouveaux, précisément parce que l'on a l'expérience qu'elle avait déjà protégé contre des dangers antérieurs au stade qui la marque, ne peut manquer d'avoir une valeur générale en dehors de toute discussion relative au concept d'objet.
Au surplus cette thèse cadre trop bien avec ce qu'implique le schéma d'ABRAHAM d'une part, c'est-à-dire qu'après les relations d'objets de caractère sadique anal il y a la psychose, et ce que nous apprend d'autre part l'étude des relations, mais cette fois sous l'angle psychanalytique entre la névrose obsessionnelle et les psychoses.
Ces études démontrent qu'en tout état de cause, en pratique, et quelles que soient les conclusions auxquelles on arrive quant à la signification de la névrose par rapport à une psychose concomitante ou sous-jacente, au sujet de leurs connexions réciproques l'on n'a aucun intérêt à détruire inconsidérément la relation d'objet névrotique, car alors la psychose se précise et s'amplifie.
Je regrette de ne pas avoir le temps d'insister ici sur les études de FEDERN, de STENGEL, de GORDON, de PIOUS, et de bien d'autres. Il est vrai que depuis que l'analyse de la schizophrénie semble devenue de pratique plus courante, soit par l'emploi d'une technique modifiée (FEDERN, PIOUS), soit par une analyse assez classique (ROSENFELD), la position du problème peut être différente ; mais en restant dans les limites de ce travail, il me semble qu'une notion capitale se dégage de l'ensemble de ces recherches : le caractère vital de la relation obsessionnelle, car elle supplée aux relations plus évoluées que le sujet n'a pu atteindre, et les effets cataclysmiques de sa rupture sur l'état d'équilibre et de cohérence du Moi d'un sujet donné.
Peut-être pourra-t-on m'objecter précisément qu'il n'est nullement démontré qu'il y ait une relation de causalité, entre le maintien d'une relation d'objet obsessionnelle et celui d'un certain degré de cohérence du Moi et que, ce sont là simplement deux aspects concomitants et parallèlement variables de la personnalité morbide, ceci est vrai, mais il n'en reste pas moins que l'argument clinique garde toute sa valeur et que si nous admettons depuis FREUD, une échelle de régressions de plus en plus profonde et allant même jusqu'à la stupeur catatonique, il n'y a pas de raison pour ne pas admettre qu'un stade régressif moins profond qu'un autre, et qui par conséquent représente un progrès sur ce stade antérieur, ne soit un palier, une plate-forme, sur lequel se réfugie le sujet qui n'ayant pu accéder à des relations plus évoluées, est sur le point de céder au vertige de la régression sans limite. Cette manière de voir d'ailleurs est en accord avec les constatations faites par les auteurs qui s'occupent de schizophrénie et dont l'un deux écrivait en substance : il est émouvant de voir ces sujets (les schizophrènes) s'efforcer de retrouver à travers un système obsessionnel, un contact avec la réalité.
N'est-ce pas d'ailleurs dans une perspective un peu comparable que BOREL et CÉNAC ont soutenu, devant la conférence des psychanalystes de langue française leur rapport sur L'obsession ? Certes ils mettent avant tout l'accent sur l'essai de résolution par l'obsession d'un conflit intrapsychique, mais en insistant sur son caractère de réaction générale hédonique ils rejoignent par un côté le point de vue précédent. Dans l'auto-observation, rapportée dans ce travail, de l'obsession d'une mélodie apparaissant précisément lors d'un état de fatigue, peut-être en partie comparable à ces. états légers de dépersonnalisation que FEDERN avait étudiés sur lui-même, l'obsession, si l'on peut donner ce nom aux phénomènes rapportés, n'était-elle pas précisément un reflet d'une technique de défense destinée à maintenir le contact avec une représentation d'objet ?
Mais je vous ai rapporté, à partir du travail de GLOVER, toute une série d'études visant les rapports de la relation d'objet obsessionnelle et de celle des états de régression plus accentué de l'appareil psychique, autrement dit les psychoses. Il reste les rapports de cette relation avec celle des régressions moins accentuées, et en particulier de l'hystérie d'angoisse. Ici je ne puis que vous renvoyer à l'admirable rapport d'ODlER (La névrose obsessionnelle) devant cette assemblée, ou du moins celle qui l'a précédée ; je n'ai pas besoin de vous rappeler qu'il y précise les relations d'objet dans l'une et dans l'autre de ses affections, et qu'il y définit avec la clarté que l'on sait le fonctionnement du Surmoi dans chacune d'elles.
Il me reste maintenant à faire allusion à un texte trop court de LACAN, où cet auteur écrit que la névrose obsessionnelle est un trouble résultant des premières activités d'identification du Moi ; il y note que l'effort de restauration du Moi se traduit dans le destin de l'obsédé par une poursuite tantalisante du sentiment de son unité, et l'on verra dans la suite de ce travail combien les idées ici défendues sont voisines de celles de LACAN.
Dans mon travail sur l'importance de l'aspect homosexuel du transfert dans le traitement de quatre cas de névrose obsessionnelle masculine, auquel j'ai déjà fait allusion, j'étudiais les phénomènes d'identification régressive qui procurent à ces sujets un sentiment de force et d'unité nécessaire qui leur permet de passer de cette identification prégénitale et archaïque à une identification adulte.

Sans doute trouverez-vous précisément que l'objection que je me faisais d'avoir donné à ce travail un titre trop prometteur est méritée, puisqu'aussi bien je vous ai présenté jusqu'alors des travaux intéressant la relation d'objet, et rien en ce qui concerne le Moi lui-même.
Ceci tient à ce que, en dehors de tout ce que l'on a écrit sur le Moi et la pensée magique dans la névrose obsessionnelle, je n'ai rien trouvé dans la littérature qui concerne d'autres aspects du Moi, sauf un travail de FEDERN, auquel d'ailleurs je ferai allusion dans le chapitre suivant. Cette étude d'un style très différent de celles que j'ai pu lire jusqu'ici est une tentative d'estimation de la valeur du Moi, et non une analyse de ses mécanismes de défense. Elle consiste en une comparaison avec le Moi hystérique, et se complète d'ailleurs par les descriptions cliniques visant le Moi schizophrénique.
Comme on le voit, l'ensemble des travaux contemporains sur la névrose obsessionnelle se rapporte en somme à l'étude de la relation objectale de l'obsédé, qu'ils soient plus spécialement consacrés à la description de ces relations, ou qu'ils s'intéressent d'une manière plus générale à la signification de la structure obsessionnelle.
Comme on le voit aussi, ces études ne font que prolonger et compléter l'effort des premiers chercheurs. Elles aboutissent toutes à une même conclusion : les relations objectales de type obsessionnel sont pour un sujet donné d'une importance vitale.
II LE MOI DANS LA NÉVROSE OBSESSIONNELLE . SES RELATIONS D'OBJET
Il n'est pas dans mon intention dans cette partie de mon travail d'envisager autre chose que ce que l'on est convenu d'appeler la faiblesse ou la force du Moi. Il est en effet habituel de dire que le Moi dans la névrose obsessionnelle est dans certains cas débile, dans d'autres cas plus fort, et d'en tirer des conclusions pronostiques.
Tous les auteurs insistent à juste titre sur le dédoublement du Moi, FENICHEL par exemple dans son traité sur Hystérie et névrose obsessionnelle, note que la partie magique du Moi est du côté de la résistance et que la partie logique est l'alliée du thérapeute ; il met, dans l'examen qu'il fait des conditions qui rendent le traitement de la névrose obsessionnelle particulièrement difficile, en bonne place ce dédoublement du Moi. Dans les phases de l'analyse où la partie magique de celui-ci domine la personnalité, elle fait du traitement une analyse de psychose. De plus, ce dédoublement crée une difficulté particulière. L'interprétation même bien comprise n'agit pas, elle permet au malade de se constituer une théorie de sa maladie sans vivre son traitement. Autrement dit, le sujet utilise cette scission entre les deux parties de son Moi comme un écran qu'il place entre l'analyste et lui, et déjà se pose la question des relations d'objet au cours du traitement. ODIER, dans son livre sur L'angoisse et la pensée magique parle de secteur prélogique du Moi. NUNBERG insiste s.ur la régression du Moi au stade animistosadique (Traité général des névroses).
Comme je l'ai déjà dit, je ne voudrais pas revenir sur la description du mode de pensée prélogique caractéristique du secteur régressif du Moi. Ce serait une redite qui ne ferait que surcharger inutilement ce travail, de même par la suite, je ne définirai pas systématiquement les mécanismes qui président à la genèse de l'obsession ou qui conditionnent sa maîtrise et ce pour la même raison.
Qu'entend-on donc au juste par force ou faiblesse du Moi. C'est là, une notion bien difficile à définir. NUNBERG, à la suite d'une longue étude arrive à la conclusion suivante : La force ou la faiblesse du Moi dépend de la proportion dans laquelle les instincts de vie et de mort sont combinés, il ajoute : « Bien que cette conclusion ne soit pas très significative... » Aussi je m'en tiendrai à la définition clinique de GLOVER qui examinant le même problème dans un article sur le concept de dissociation écrit en substance : que l'on peut qualifier de fort un Moi qui assure pleinement l'exercice des pulsions instinctuelles modifiées et contrôlées par lui, d'une façon compatible avec les exigences de la réalité extérieure. Il souligne qu'une soumission trop marquée à l'instinct est tout autant une preuve de faiblesse, qu'une limitation trop grande imposée à ce dernier. Dans ce travail, GLOVER fidèle à sa théorie nucléaire du Moi définit sa faiblesse comme le résultat d'une intégration insuffisante des noyaux du Moi primitif dans le Moi total, mais surtout, attitude qui me semble répondre à une conception vraiment réaliste du problème, il insiste sur le fait que c'est de l'examen de la personnalité entière et de son adaptabilité que découle la notion de la force ou de la faiblesse du Moi.
Est fort le Moi qui peut sans désordre majeur faire face aux demandes actuelles et normalement prévisibles de la réalité extérieure.
Je voudrais précisément, en prenant deux exemples concrets, montrer combien est trompeuse, sur le plan pratique, la référence pure et simple à l'importance de la symptomatologie et à sa plus ou moins grande extension, et combien, dans tous les cas, le Moi de l'obsédé est adultéré dans son ensemble, ceci par l'étude des. relations objectables, qui sont l'expression de l'adaptation du sujet au monde. J'ajouterai tout de suite que de cette démonstration qu'un Moi apparemment moins atteint est en réalité malade à un certain degré dans sa totalité, et si l'on veut bien y réfléchir de façon importante, je ne compte pas tirer de conclusion particulière quant au pronostic éloigné d'une telle affection ; je crois qu'il est raisonnable d'admettre que le Moi, qui malgré une amputation réelle et profonde, fait preuve avant toute analyse de la plus grande capacité de synthèse, est plus capable qu'un autre de, maintenir les gains acquis à l'analyse, mais je pense, en tout cas, qu'en ce qui concerne la facilité de la cure elle-même, j'entends d'une cure réelle et non d'une analyse intellectualisée, il est illusoire de tirer un argument pronostic de la force apparente du Moi telle qu'elle nous est sensible au cours d'un examen clinique où sont pourtant minutieusement étudiés et les antécédents morbides, et la date d'apparition des troubles et l'efficience apparente du sujet dans la vie sociale, et enfin l'importance de la symptomatologie. Évidemment, tout ce que je viens de dire n'est valable que dans une certaine limite, il reste hors de doute qu'un sujet atteint de névrose obsessionnelle symptomatique, de schizophrénie latente et présentant de façon massive des phénomènes d'étrangeté et d'aliénation, ainsi que cette réaction paradoxale de la disparition massive en quelques mois de traitement de toute ou de larges pans de symptomatologie obsessionnelle, a un Moi dont la faiblesse pose des problèmes pronostics et thérapeutiques très particuliers. Aux frontières de la névrose obsessionnelle tout ceci est une question de nuances, et dans certains cas, d'ailleurs, bien difficiles à apprécier : cette étude n'intéresse que des cas appartenant indiscutablement au groupe des névroses obsessionnelles et je désirerais comparer entre eux, deux sujets atteints d'une névrose obsessionnelle dont la gravité est apparemment très différente, pour montrer que dans un cas comme dans l'autre la personnalité est atteinte dans son ensemble et que les relations d'objet sont également troublées in toto ; par ailleurs, je dois ajouter que le cas en apparence le plus facile s'est montré le plus résistant. Cette dernière constatation corroborée par tout ce que j'ai pu, jusqu'ici, constater est en accord avec ce que FENICHEL nous apprend du pronostic de la névrose obsessionnelle ; dans l'ouvrage déjà cité, il conclut qu'il est impossible d'établir de règle pronostique ferme et que seule l'épreuve du traitement est concluante. GLOVER place le pronostic de cette affection dans l'importance relative de la fixation et de la régression ; je reviendrai sur ce point en étudiant l'aspect homosexuel de la relation d'objet, mais je dois dire d'ores et déjà qu'il y a là, me semble-t-il, un élément'permettant d'apprécier l'importance de ces deux facteurs dont la signification pronostique est évidemment certaine.
Voici ces deux observations : le premier cas est celui d'un garçon que nous appellerons Paul et dont l'analyse sera rapportée plus loin, aussi ne noterai-je ici que les éléments susceptibles d'intéresser cette partie de mon exposé. Agé de 25 ans, il est malade depuis quatre ans lorsqu'il vient me voir, accompagné de ses parents, car il n'aurait jamais pu venir seul ; il s'exprime avec difficulté et son discours est continuellement accompagné de gestes d'annulation, il présente un léger bégaiement et un tic de réjection nasale qu'il répète continuellement, il m'expose avec beaucoup de réticences ses symptômes qui l'empêchent, actuellement, et en vertu d'une progression croissante, de se livrer à une quelconque activité.
Ce sont des obsessions de « recommencement » qui lui interdisent tout travail et toute lecture. Il doit en effet après avoir lu quelques lignes recommencer, comme s'il regrettait de laisser quelque chose en arrière ; il a encore des obsessions de zones qui sont de beaucoup les plus pénibles l'espace pour lui est divisé en zones fastes et néfastes ; quand il est brusquement saisi de l'idée que tel mouvement engagera une partie quelconque de son corps dans une zone néfaste, il doit, soit suspendre, son mouvement, soit faire usage d'un procédé conjuratoire ; son corps lui-même était divisé en zones ainsi que le corps des autres, comme je l'apprendrai au cours de l'analyse. Il accuse en outre des obsessions « homicides » : « Si j'achète telle chose, si je fais tel geste, mon père mourra ou ma mère !... » et. des obsessions de castration : quand il lisait un roman ou qu'il voyait un film, toute description, ou toute vision d'un acte de violence, lui donnait l'obsession d'avoir le bras coupé ou la gorge tranchée, bref, de ressentir le dol dont la victime avait souffert ; il luttait contre tous ces phénomènes par diverses techniques d'annulation. Son lever et surtout son coucher donnaient lieu à un rituel qui durait pendant des heures et auquel ses parents devaient participer.
Il présentait en outre des phénomènes de dépersonnalisation; il se sentait soudain changé, vertigineux, hésitant, ses mouvements lui paraissaient incoordonnés, maladroits, inadéquats, il avait l'impression parfois que telle partie de son corps lui était étrangère, sa main par exemple. Ce qui se produisait le plus souvent était un trouble de la perception des relations spatiales qu'il désignait sous le nom de trouble de l'accommodation : les objets s'éloignaient, la dimension d'une pièce lui paraissait immense, les situations relatives des objets, étaient modifiées : dans d'autres cas, la luminosité d'un éclairement variait, ou encore une sorte de brouillard s'interposait entre les êtres et lui.
Tout cela était accompagné d'un sentiment d'angoisse indéfinissable, l'angoisse du troisième degré selon sa classification personnelle mais il faut ajouter que ces phénomènes étaient très brefs, parfaitement contrôlés par le Moi, et ne se produisaient qu'à l'occasion de poussées extrêmement violentes d'agressivité provoquées par une frustration quelconque. Comme je ne voudrais pas revenir sur cette description symptomatologique en relatant son observation, j'ajouterai que pour lutter contre ces . phénomènes de dépersonnalisation, les procédés magiques se montraient insuffisants et qu'il devait, comme d'ailleurs es autre sujets dont je parlerai plus loin « s'accrocher au réel en s'intéressant volontairement à quelque chose », en principe à quelques « secteurs consolants de sa vie ». Cet effort de maîtrise, je l'ai retrouvé chez tous les sujets souffrant de tels phénomènes et l'on doit me semble-t-il le considérer comme un procédé de défense, contre la rupture des relations d'objet, à la manière de l'obsession elle-même : On y retrouve le même besoin narcissique d'un objet de complément, la même angoisse à le perdre éventuellement : « Quand je me sens atteint dans mon propre corps, je n'ai plus rien à quoi me raccrocher, puisque mon trouble est en moi, il n'y a plus à compter sur un point d'appui extérieur », les mêmes procédés de déplacement et souvent le même symbolisme. Il faut certainement rapprocher ces « étrangetés » de la forme particulièrement passive de ses obsessions de castration qui me semblent témoigner d'une incertitude des limites du Moi. Devant cette symptomatologie si complexe le diagnostic de schizophrénie avait été évoqué mais écarté en raison du caractère énergique et sans défaillance de la défense dont le sujet avait toujours fait preuve. Ces faits de dépersonnalisation, je lésai rencontrés dans presque toutes mes observations ; les malades ne les avouent qu'avec beaucoup de difficultés et s'ils témoignent d'un trouble de la synthèse du Moi, ils ne sont nullement un argument décisif en faveur de la schizophrénie; pour FEDERN lui-même, ils n'acquièrent une valeur alarmante qu'à condition d'être particulièrement fréquents et de s'accompagner d'autres symptômes, dans ce cas, ils ont toujours été très rares et très brefs. Comme on le verra d'ailleurs ce garçon après trois ans et demi d'analyse est je le crois profondément amélioré.
J'insisterai davantage sur ses relations d'objet, avant l'analyse, dans la vie, telles que je puis maintenant les reconstituer, il gardait de son enfance un souvenir malheureux et de fait il n'avait jamais noué de relations émotionnelles libres et riches avec qui que ce soit ; quoique très entouré par sa famille, il vivait en marge, solitaire, secret, il avait un frère aîné de quelques années seulement plus âgé que lui et dont il dira plus tard qu'il regrette de n'avoir pu l'aimer davantage, ce frère avait, d'après lui, un caractère charmant ce qui n'empêche pas, qu'en dehors des services que ce dernier lui rendait, le sujet n'eut jamais avec lui la moindre intimité foncière, il ne lui confia jamais rien de sa vie intime craignant des moqueries, des rebuffades que rien ne lui permettait de prévoir, d'ailleurs il le jalousait intensément parce qu'il avait le sentiment que ses parents le lui préféraient. Il eut pour son père une certaine admiration pendant une brève période de son enfance, mais là encore il lui fut impossible de se confier, il avait toujours peur que l'on attentât à sa liberté, il eut d'ailleurs de très nombreuses difficultés avec ses parents, sous l'angle de la discipline familiale, il était terriblement ombrageux, et supportait difficilement la moindre manifestation d'autorité ou la moindre taquinerie.
D'un autre côté, il ne songea jamais, sauf ces dernières, années et pour des raisons que j'exposerai dans l'observation, à s'éloigner des siens, il avait trop besoin d'eux pour apaiser une angoisse latente ; dans son enfance, il était sujet à des peurs violentes et craignait pardessus tout la solitude, l'isolement ; ce n'est pas que sa vie émotionnelle fut pauvre, il avait en secret nourri pour sa mère et pour des jeunes filles entrevues, ou camarades de lycée, des sentiments, qui, les progrès de l'analyse le permettant, purent être rapportés dans leur intégrité et qui se montrèrent exceptionnellement vigoureux et violents, il était capable de ressentir des bonheurs indiscibles mais tout aussi bien des peines poignantes ; comme il ne se manifestait jamais, il souffrait atrocement de l'indifférence ou des froideurs que ces réactions de dépit, exacerbées par la moindre frustration, lui faisaient subir, tant et si bien que ce fut précisément à l'occasion d'une déception sentimentale de sa petite enfance qu'il éprouva pour la première fois, à son souvenir du moins, sa première sensation de dépersonnalisation.
Au début de l'analyse, il vivait avec ses parents dont sa maladie le rendait complètement dépendant; il avait quelques amis avec qui il n'entretenait que des relations superficielles, à qui il ne confiait rien de son affection, mais vis-à-vis de qui surtout il n'éprouvait aucun sentiment réel ; il s'en servait avant tout comme de partenaires dans des discussions où il aiguisait ses facultés de réparties et d'argumentation trouvant dans ces joutes oratoires une satisfaction narcissique essentielle à son sentiment de confiance en soi. Il éprouvait dans des circonstances les plus variées de brusques émois homosexuels, s'il se trouvait en présence d'un homme qui pour un motif quelconque évoquait en lui le sentiment d'une puissance supérieure, il avait alors peur et le fuyait, même, si les circonstances commandaient des rapports sociaux ; si j'essayais de caractériser brièvement le style de ses relations d'objet, je dirais que loin d'être indifférent, il était au contraire d'une extrême sensibilité et capable d'attachement passionné mais qu'il fut toujours gêné, non seulement par sa possessivité, par son incapacité à tolérer la moindre frustration, par son agressivité, mais encore par sa peur, car sa réaction à l'émoi homosexuel était représentative de ses difficultés à toute relation objectale ; il avait peur de ce qu'il souhaitait le plus, le contact avec un être fort quel que soit son sexe, contact dont le désir lui était imposé par ses peurs, ses préoccupations hypocondriaques, sa terreur de la solitude, qui lui rendaient ces relations indispensables. Elles devinrent à la fois nécessaires et lourdes, passionnées et glaciales, denses et superficielles ; ce sujet ne connut jamais une récompense instinctuelle substantielle, il vécut, sauf à de rares phases de son existence où son état s'améliora spontanément, dans une atmosphère de terreur où son moi était perpétuellement en danger.
Il trouvait comme beaucoup d'obsédés, un élément de sécurité indispensable dans ses vêtements. Paul, comme le sujet dont l'observation est rapportée par FENICHEL, éprouvait un malaise physique dès qu'il n'était plus habillé à sa convenance ; il souffrait d'une véritable hypocondrie vestimentaire — il en était de même, lorsque se trouvait « terni » un objet lui appartenant en propre, et il préférait le détruire plutôt que de le conserver, de. la même manière qu'il se serait débarrassé à n'importe quel prix d'un lésion cutanée.
Voici un deuxième sujet que nous appellerons Pierre : bien entendu, il s'est présenté seul à ma consultation, son comportement est absolument normal, très soigné, il parle d'une voix douce sans choisir les mots, avec élégance, il sourit sans affectation ; j'apprends qu'il est âgé de 25 ans, qu'il est chef d'entreprise et qu'il assume des fonctions de directions délicates, comportant de lourdes responsabilités ; il est malade depuis quatre ans environ, il souffre d'un symptôme qui à première vue semblerait tenir davantage de la phobie que de l'obsession'. Il est en effet en lui-même très limité, néanmoins, la pulsion qui s'y exprime par son contraire franchit toutes les mesures de défense d'apparence logique que le sujet tente de lui opposer, c'est ainsi que des contaminations se produisent et que l'extension toujours croissante des mesures d'évitement n'arrive pas à apporter un apaisement définitif à la crainte du sujet. D'autres obsessions viennent d'ailleurs se joindre à la précédente et elles ont toutes la même signification agressive, et surtout l'analyse montra qu'il existait un Surmoi non seulement moral mais sadique et que les pulsions avaient subi une régression massive au stade sadique anal ; si je rapporte cette observation en l'opposant à la précédente, c'est que dans ce cas le Moi ne paraît pas avoir subi de régression de type magique, et ceci peut faire illusion, je dis bien faire illusion, car je découvris à l'occasion d'un rêve, à quel point la pensée de Pierre était imprégnée d'une croyance à la toutepuissance de la pensée. N'employait-il pas de procédé de défense magique, je ne saurais le prétendre avec certitude ; après m'avoir violemment exposé sans ambages son besoin d'omnipotence et son mépris systématique de la réalité extérieure : « Ce qui compte, c'est ce que je pense et la réalité c'est ce que j'imagine. » Il me raconta un rêve où il voyait un immeuble dont il souhaitait que les étages supérieurs fussent recouverts de neiges persistantes et voici comment il fournissait une base en apparence rationnelle à ses obsessions : « Quand j'ai une obsession, je m'efforce de la justifier à mes propres yeux, car j'éprouve un sentiment pénible d'insécurité et de déficience mentale à avoir une idée absurde ou inexplicable, je faisais sans bien m'en rendre compte comme dans ce rêve ; en rêvant, je m'étonnais que cet immeuble puisse être aussi haut, je pensais à en compter les étages, mais comme je savais bien que le nombre des étages ne correspondrait nullement à mes désirs, qu'ils soient recouverts de neiges éternelles, je décidais dans le rêve lui-même de conférer la valeur d'un étage, a chacune des lamelles de bois qui constituaient les stores dont chaque fenêtre était garnie, et ainsi je trouvais le compte qu'il me fallait ; j'ai toujours transformé la réalité au gré de mes désirs ; je pourrais multiplier les exemples de ces rationalisations absurdes qu'il employait pour justifier ses obsessions ; en leur donnant une apparence de réalité, il se rassurait en même temps que sur le plan pulsionnel, il assurait en quelque sorte la pérennité de son agressivité. Il me dira plus tard : « J'ai une telle haine quand je me sens rejeté, qu'au fond je le vois maintenant je m'arrange inconsciemment pour appuyer mes pensées agressives sur un raisonnement si arbitraire soit-il, mais cela se retourne toujours contre moi. Je tiens à mes obsessions, tout en les subissant je le vois maintenant. Dans le transfert d'ailleurs, et je pense que c'est un argument de plus en faveur de la nature obsessionnelle de son trouble, il utilisa au maximum l'isolation affective et associative de ses contenus idéatifs. Si j'ai choisi cet exemple, c'est précisément parce que la régression du Moi n'y est à première vue pas apparente, que le sujet témoigne d'un effort de synthèse constant, que la symptomatologie y est très frustre et que par conséquent sur le plan qui nous occupe, il s'oppose trait pour trait au cas précédent, mais voyons ces relations d'objet :
Il garde de son enfance en général, l'impression d'un bagne où la seule consolation est de voir un jour arriver la délivrance, dont la forme ne se précise pas d'ailleurs ! L'enfance est un bagne parce qu'il ne s'y trouve nulle joie ; la vie adulte qui devait apporter la délivrance tant attendue n'est pas plus satisfaisante, il n'y trouve de temps à autre que de rares points de bonheur et cette comparaison spatiale prend tout son sens : le point est en effet un lieu géométrique idéal et le bonheur est si fugace, si passager que l'on peut le figurer par un point. Il est apporté par des satisfactions minimes, purement narcissiques, sans éclat, labiles, toujours à la merci d'un événement quelconque et le reste du temps en dehors de quelques satisfactions professionnelles trouvées dans la conduite de ses affaires, « car l'argent c'est du solide, et le bonheur du vent », tout n'est que grisaille, obligations, efforts comme dans l'enfance : « Si je suis tant attaché à l'argent, dont d'ailleurs je n'use pas pour moi-même, c'est qu'il ne me reste pas autre chose. » La réalité extérieure est peuplée de dangers, d'obligations, de contraintes. « Les gens disent qu'ils sont heureux, ou on dit qu'ils le sont, je ne comprends pas ce que l'on veut dire par là, pour moi c'est absolument irréel, c'est un état dont je n'ai pas le sentiment... Je ne sais pas ce que cela veut dire... Maintenant, j'attends encore quelque chose, probablement la vie future que je ne me représente pas davantage. Quand je suis avec les miens, j'ai le sentiment désagréable d'une contrainte. Quand je suis seul, j'ai peur ! Si ma famille est partie, je ne puis coucher seul dans ma villa, j'ai peur d'être assailli par des voleurs, ou même d'être assassiné, ou encore d'avoir un malaise et de mourir seul, sans que l'on me porte secours, tout ceci est en dehors de mes obsessions. Enfant, l'on m'a envoyé dans une Colonie de Vacances, je n'ai jamais pu m'y adapter, je suis immédiatement tombé malade d'angoisse et de terreur, j'ai toujours considéré ce moment-là comme bien pire que tous les autres, j'étais en effet séparé de ma mère !... Ses relations à sa mère qui sont les plus significatives de son existence n'en sont pas moins extrêmement narcissiques, je me rends compte me disait-il, que ma famille m'est chère, dans la mesure où elle fait partie de moi-même, où je serais perdu sans elle, je n'y ai aucune indépendance, puisque je ne dispose pas d'argent personnel et j'en souffre, mais j'y suis en sécurité, nous formons un bloc et malgré tous les inconvénients que comporte cette situation, j'y trouve mon avantage ; je sais bien qu'il faut que je songe à me faire une vie personnelle, que le maintien de cette optique enfantine est dangereux et absurde mais il me faut le reconnaître, tout mon sentiment de moi-même est assis sur notre fortune et sur ma famille, je ne puis imaginer la vie sans une fortune solide, et la pire catastrophe serait pour moi une révolution qui me priverait de cette sécurité. Un autre fait me trouble encore, l'idée du vieillissement de ma mère ! Sa beauté me flatte et je me demande quelle sera mon attitude quand elle aura vieilli ou ce que je ferais si elle était défigurée, ce serait terrible ! Je me sentirais plus que diminué, et ce serait la même chose si mes frères ne réussissaient pas, je suis heureux de leurs brillantes études, parce que mon importance s'en trouve accrue et tout est ainsi ! C'est la même chose pour mes amis, je m'y attache dans la mesure où j'ai besoin d'eux, pour leur confier mes obsessions et pour trouver en eux un secours contre l'isolement. Tous ceux qui m'entourent remplissent la même fonction, ce sont des réservoirs de puissance.
Il ne faudrait pas croire pour autant que ce sujet n'a jamais été capable que de sentiments strictement utilitaires, l'analyse l'a démontré amplement, il est, lui aussi, susceptible de ressentir des passions violentes, faites de sentiment d'adoration, de tendresse, de dévouement, de connaître un bonheur profond,^ comme je pus le constater en l'entendant me raconter de brèves épisodes d'amours enfantines ou adolescentes qui ne furent qu'un rêve, puisque jamais il ne se risqua à leur donner un commencement de réalité, l'intensité même de ses mouvements émotionnels tout aussi bien dans le sens de l'exaltation et du bonheur que dans celui de la peine, de la rancoeur et de la haine, était telle qu'elle le contraignait à s'interdire, par mesure de précaution, tout mouvement, qui ne fut pas strictement contrôlé, vers un autrui quel qu'il soit, d'ailleurs, derrière ces femmes qu'il aurait bien voulu aimer, comme il aurait bien voulu aimer sa mère, se cachait pour lui une image terrifiante et destructrice, qui se traduisait dans sa conscience par une peur telle des femmes, qu'il craignait le rapport sexuel comme équivalent à un suicide, et c'est ainsi que gêné dans son évolution, tout aussi bien par cette peur de castration par la femme que par celle d'une mutilation par l'homme, il en était resté à ce style archaïque de relation d'objet qui hormis l'échappée obsessionnelle ne pouvait se traduire que par cette restriction quasi totale de sa vie émotionnelle.
Ce sont d'ailleurs ces restrictions qui permettent aux obsédés de protéger certains secteurs de leur vie sociale et professionnelle. Pierre pouvait exercer ses fonctions, à condition de s'y interdire toute satisfaction profonde, de les réduire à une série d'actes très automatisés, d'éviter autant que faire se pouvait toute espèce de conflit, dans le cadre même de son activité, de n'y jouir d'aucune liberté, et c'est ainsi que la vie, pour lui, continuait à être un bagne comme dans l'enfance.
L'anafyse démontra, et j'aurai l'occasion d'y revenir à propos de l'aspect masochique de ses relations d'objet, que ce sujet souffrait d'une véritable incertitude de ses limites corporelles sans phénomène de dépersonnalisation; comme Paul il trouvait dans ses vêtements un élément de protection indispensable.
J'ai tenu à opposer ces deux tableaux cliniques si différents de sujets du même sexe, sensiblement du même âge, de la même intelligence, de la même culture, mais dont la symptomatologie est si contrastée, très riche dans le premier cas, presque mono-symptomatique et très pauvre dans le second, elle s'accompagne chez les deux sujets de la même structure des relations d'objet, qui sont profondément viciées dans un cas comme dans l'autre.
Sans doute, la cohérence du Moi du deuxième sujet est-elle supérieure à celle du Moi du premier, qui n'en a pas moins fait preuve de réactions de défense vigoureuses et poursuivies sans répit, il n'empêche précisément que la structure émotionnelle, de leurs rapports avec le monde, est identique chez l'un et chez l'autre et que malgré les apparences, leurs capacités d'adaptation profonde sont sensiblement équivalentes, car le Moi chez l'un comme chez l'autre est atteint dans sa totalité de façon plus visible chez l'un, moins apparente chez l'autre ; ce qui est essentiel, en effet, si l'on se place sous l'angle de la réalité interne, ce qui compte pour un sujet donné, c'est la richesse, la liberté, la qualité de ses rapports émotionnels avec le monde, or, au départ, elle est sensiblement identique pour chacun d'eux. Du fait de la régression, ils ont chez l'un comme chez l'autre, un certain style que l'on peut définir comme suit :
Avant toute analyse, leurs rapports étaient tronqués, on pourrait écrire, en transposant sur le plan psychologique le schéma d'ABRAHAM qu'ils étaient partiels, ils ne retiraient de leur commerce avec autrui que des satisfactions limitées, hautement narcissiques, de protection, de réconfort et de sécurité, mais aucunement des satisfactions totales, il n'y avait pas d'échange humain complet entre eux et autrui, toujours menacés, toujours menaçants, ils corrigeaient l'un et l'autre leurs tentatives de rapprochement par des réactions de fuite, exprimant à travers ce comportement ambivalent la double signification de ce qui ne nous paraît de prime abord que de l'agressivité, qu'il l'est d'ailleurs en effet, mais qui n'en a pas moins, même sous cette forme, un sens ambigu. Il aurait été inexact de dire qu'il n'y avait que des relations de destruction entre eux et autrui, ils nouaient tout aussi bien avec lui des relations libidinales à travers des conduites agressives il est vrai, et c'est là précisèment
précisèment qui fait l'originalité de la relation d'objet obsessionnelle, relation qui n'a pas seulement un double sens dans la polarité double du désir qu'elle exprime, mais qui est double encore dans son rapport au sujet, désirée et redoutée, libre et imposée en restant seulement sur le plan clinique le plus superficiel d'une étude objective. Je voudrais marquer par là qu'étant donné la faiblesse foncière du Moi, tout se présente comme si ladite relation était imposée du dehors au sujet.
Pour me résumer, je tirerai de ce parallèle, la conclusion qu'il est difficile d'apprécier la valeur relative des secteurs régressif et rationnel du Moi, que les relations du Moi sont même, dans les cas où le secteur régressif paraît peu important, viciées dans leur totalité, et qu'enfin si la symptomatologie extensive peut faire faire les plus grandes réserves quant au pronostic éloigné, elle ne permet pas d'inférence sur la facilité ou la difficulté du traitement analytique. J'ai soigné des sujets à symptomatologie très importante et ne me suis pas heurté, comme dans le deuxième de ces cas, à des difficultés majeures.
Le Moi obsessionnel est si fort par certains côtés, si faible par d'autres, me disait l'un de ceux qui connaissent le mieux cette affection : on peut, je pense, rappeler ici l'opinion de FEDERN qui considère le Moi obsessionnel comme fort, parce qu'il tente de régler le problème de l'angoisse par un jeu intérieur, une défense psychologique spirituelle, qui exige un immense travail. FEDERN, en effet, reconnaît au Moi
obsessionnel une vigueur, une subtilité, une capacité de résistance qu'il oppose à la faiblesse fondamentale, à l'incapacité, à l'absence de contrôle du Moi hystérique sans cesse passif et débordé par les événements
événements Un fait demeure, c'est que l'obsédé s'engage dans son effort pour conserver coûte que coûte des relations objectables à travers une régression structurale, qui fut une défense contre des difficultés impossibles à surmonter et qui, une fois établie, n'en arrive à rendre la solution qu'encore plus difficile, dans une lutte qui ne peut prendre fin que de trois manières : soit qu'à la longue un nouvel équilibre relationnel s'installe sans qu'au fond rien ne soit changé, soit qu'épuisé dans son effort et absolument exsangue le Moi s'abandonne à la psychose, soit qu'enfin, dans les cas' qui peuvent encore recevoir une solution, la dite relation puisse être remplacée par une autre, celle-ci salvatrice quoique longtemps précaire ; cette précarité me semble, autant que l'obstination anale, expliquer la proverbiale ténacité des obsédés dans le maintien de leur système contre les efforts de l'analyste, FENICHEL, dans l'ouvrage déjà cité, conseille de tenter le traitement analytique dans tous les cas même dans ceux à allure schizophrénique, FEDERN reste d'un avis plus réservé suivant en cela l'opinion de FREUD ; quant à moi, je ne saurais, étant donné mon expérience, tout à fait insuffisante, prendre parti dans un tel débat, mais je crois qu'en tout cas, la cornpréhension,
cornpréhension, exacte que possible, à chaque instant du traitement, de la signification de la relation d'objet dans le transfert, peut éviter bien des surprises et des erreurs dont la conséquence serait, en frustrant à contre-temps le sujet dans ses rapports à l'analyste, de défaire ce qu'il a spontanément construit, pour, selon l'expression de bien des
malades, « se maintenir accroché » ou au mieux de lui ôter sa chance de troquer une mauvaise, mais valable relation d'objet, contre une meilleure.
III LA RELATION D'OBJET DANS LE TRANSFERT
Le problème de la relation d'objet dans la névrose obsessionnelle n'a cessé de préoccuper tous ceux qui se sont intéressés à cet état morbide si particulier et si étrange et fait de contrastes les plus violents
à cet état qui se trouve aux frontières de la psychose, qui entretient avec elle les relations les plus intimes, tout en lui restant tout au moins dans certaines formes, tout au long d'une vie, étranger. Et comment en serait-il autrement ? Comment ne serait-ce pas un problème toujours
nouveau, que celui que posent ces sujets à la fois lucides et obéissant aux rites les plus archaïques de la pensée magique, à la fois minutieux, attentifs au moindre détail d'un réel de collection, et assurés de dominer le monde par des affirmations purement déréelles de toute-puissance de la pensée, susceptibles, dans les formes moyennes, à la fois d'une maîtrisei efficace de la réalité de par le jeu d'une intelligence souvent supérieure, et d'un attachement contraint à des rituels enfantins chargés de leur permettre les actions les plus élémentaires de l'existence.
La relation d'objet, telle que je voudrais la décrire ici, me paraît répondre à tous les aspects multiples et contradictoires de leur comportement, aspects que certains auteurs ont isolément décrits, et auxquels ils semblent donner une valeur prédominante, ainsi que nous l'avons vu au chapitre premier de ce rapport, alors que dans mon expérience tout au moins, il m'a été impossible de reconnaître une primauté constante à tel ou tel mécanisme : soit par exemple à la composante active ou passive de la paire antithétique, activité, passivité si caractéristique de la névrose obsessionnelle. Dans chaque cas particulier, d'après ce qu'il m'a été permis de constater, toutes les modalités de la relation d'objet sont à l'oeuvre ; le sujet a à la fois une attitude sadique et masochique, masculine et féminine. Mais surtout, de ces paires antithétiques, la plus importante et la moins caractéristique parce qu'elle est d'une universalité telle qu'on la retrouve hors des limites de la névrose obsessionnelle, celle de l'amour et de la haine est impliquée dans les moindres détails de leur action.
D'autres aspects relationnels opposés ont frappé les observateurs : l'obsédé est un isolé disent les uns ; il s'accroche désespérément, pensent les autres. Il n'est pas jusqu'à l'incertitude du choix objectai qui ne soit déroutante ; de tels sujets semblent présenter une ambivalence affectant tout aussi bien les êtres du même sexe que ceux du sexe opposé. Mais ici pourtant une nuance à peu près constante se dessine ; ils ont plus de possibilité d'échanges émotionnels avec ceux de leur sexe. Et tous ces aspects de la relation d'objet sont importants en eux-mêmes, seulement ils n'expriment qu'un moment de la relation objectale, et un moment seulement où l'un de ces aspects est prévalent : l'on pourrait dire de la même manière que l'obsédé est rigide, ce qui est habituellement vrai, et qu'à d'autres moments il est d'une suggestibilité étonnante, qu'il refuse et qu'il ne demande qu'à accepter.
Tels sont les contrastes auxquels on se heurte lorsque l'on aborde le traitement de ces malades. Quelle va être la relation d'objet dans le transfert, et quelles vont être ses vicissitudes ? Tel est je crois,-le test qui va nous permettre de mieux comprendre l'obsédé, puisqu'aussi bien cette relation nous est la plus familière et la plus compréhensible.

Lorsque le transfert a pu commencer à s'établir et que les premières résistances ont été vaincues, se développe une relation d'objet essentiellement narcissique et ambivalente qui constitue le noeud de la situation de ces sujets dans le monde. Cette relation est objectale, je veux dire
par là que c'est une relation d'objet authentique. Mais c'est une relation
d'objet narcissique, c'est-à-dire que le sujet ne s'intéresse à l'objet qu'en fonction de l'accroissement du sentiment de Soi que sa possession lui procure, qu'en fonction du rôle immédiat qu'il joue auprès de lui et du besoin inextinguible qu'il en a. J'avais autrefois qualifié une telle relation « de narcissisme projeté », voulant montrer par là que le contrôle et la possession de l'objet n'était souhaité qu'à des fins strictement personnelles et égocentriques. Ces relations sont évidemment très différentes des relations d'objet adulte auxquelles on pourrait les opposer trait pour trait. Car si dans l'amour le plus évolué « il y a toujours de l'amour-propre » et si la relation amoureuse, même dans sa forme la plus haute, aboutit normalement à un renforcement du sentiment de Soi de par l'apport de l'objet, et qu'en fin de compte bien des auteurs reconnaissent actuellement que l'amour ne s'oppose pas à l'identification de façon aussi rigoureuse que FREUD l'avait dit (FENICHEL, GRABER, CHRISTOFEL), il n'en reste pas moins que la relation génitale normale est très différente de la relation narcissique décrite ici. Cette relation dans sa forme primitive ne tient aucun compte de la spécificité de l'objet, il peut être remplacé par un autre qui procure les mêmes bénéfices rigoureusement indispensables. Au surplus, cette satisfaction peut être obtenue, pleine et entière, sans qu'intervienne en quoi que ce soit la considération des désirs et des besoins de l'objet lui-même. Le Moi infantile ne sait pas renoncer à une satisfaction immédiate. Évidemment un style de relation un peu améliorée s'installe-t-il très précocement. ABRAHAM en fixe l'apparition dès l'établissement de la seconde période de la phase sadique anale, qui est celle précisément à laquelle il situe la régression de la libido dans la névrose obsessionnelle. Mais il n'en reste pas moins que chez les obsédés adultes se retrouvent, derrière les atténuations qu'un Moi plus évolué que celui du petit enfant impose à l'expression instinctuelle, les traits essentiels de cet amour infantile et avant tout l'utilisation de l'objet à des fins de renforcement de l'ego, du sentiment de son unité (LACAN). J'y ai insisté dans le chapitre précédent et essayé d'en administrer administrer démonstration concrète dans la vie. Ces sujets, avec leur sentiment d'incomplétude (JANET), leur peur, l'incertitude parfois des limites de leur corps, leurs expériences de dépersonnalisation, sont toujours engagés à exercer un contrôle d'autant plus étroit de leurs objets significatifs que leur possession est d'une importance absolument vitale pour eux. Dans le transfert, ils se montrent, malgré l'acharnement avec lequel ils défendent leur for intérieur, étrangement tributaires de leur analyste qui, un jour ou l'autre, devient l'objet narcissique de leur univers.
Comme on le sait ABRAHAM qualifie les relations de l'obsédé d'amour partiel de l'objet. Je m'excuse de revenir ici encore sur une notion qui est si classique ; je ne le fais que dans la mesure où sa discussion précise intervient dans l'analyse que j'essaie de la situation actuelle des relations d'objet de l'obsédé.
Comme je l'ai dit, ABRAHAM a vu dans l'amour partiel, en même temps qu'une réduction des exigences narcissiques, une tentative de résolution de l'ambivalence inhérente à ses phases prégénitales du développement où, selon son expression, la libido est de façon prédominante hostile envers l'objet de ses désirs.
Limiter son exigence à la possession d'une partie seulement de l'objet permet de satisfaire sur cette partie tous ses besoins pulsionnels, sans mettre en danger l'existence de là totalité de l'objet, et la relation objectale dans son ensemble ne risque pas d'être mise en cause ou mieux rompue. L'objet par ce truchement de la relation partielle est à la fois possédé et respecté.
ABRAHAM dans son travail Courte étude du développement de la libido à la lumière des troubles mentaux, définit ainsi la relation d'objet de l'obsédé : L'objet reste entièrement extérieur au corps du sujet qui a renoncé complètement à toute visée d'incorporation. Sa libido reste attachée à une partie de l'objet, mais le sujet se contente de la contrôler et de la posséder. Cette relation correspond à là 4e phase du développement selon ABRAHAM : la phase sadique, anale tardive où les processus de destruction, sans considération de l'objet avec visée d'incorporation de la phase précédente, sont remplacés par le désir ambivalent de possession et de contrôle de l'objet. L'amour des matières fécales, objet de la phase anale, et préfiguration de tous les autres, est la première manifestation de l'amour d'un objet perçu comme nettement indépendant du corps propre. La conservation, la rétention, le contrôle des fèces sont les prototypes de la conservation, du contrôle de ces objets dont la possession est si nécessaire à l'équilibre narcissique du sujet. Génétiquement parlant, cette relation aux matières fécales fait le pont entre le narcissisme proprement dit et l'amour objectai, de même que la relation de l'obsédé au monde est intermédiaire entre le narcissisme prédominant du schizophrène et la relation génitale normale. A vrai dire pour ABRAHAM lui-même l'obsédé est toujours sur le point de régresser à la première phase sadique anale de destruction sans considération de l'objet et avec visées d'incorporation, mais il ne s'y attarde pas. Ainsi qu'il le montre dans l'alinéa consacré à : Névrose obsessionnelle et mélancolie, l'obsédé entre immédiatement en alerte par peur de perdre son objet, c'est en ce sens que l'on peut dire : Que son niveau de régression est celui de la 2e phase anale. Alors que le mélancolique « abandonne » ses relations psychosexuelles, l'obsédé s'arrange finalement pour échapper à ce destin. C'est d'ailleurs en cela, que la technique obsessionnelle qui assure une perpétuelle oscillation entre les deux tendances contradictoires de destruction et de conservation, s'efforce de maintenir des relations de réalité. Par ailleurs, à travers ses activités anales, l'obsédé comme l'enfant exprime ses divers sentiments à l'endroit de son objet, et les fèces peuvent prendre la signification d'un bon objet que l'on donne par Amour, ou d'un instrument de destruction, par projection sur elles, des affects du sujet suivant la prédominance momentanée de l'un des termes de la paire antithétique Amour-Haine, qui me paraît être le noeud de la relation d'objet obsessionnelle.
Cliniquement l'existence de visées d'incorporation dans la névrose obsessionnelle est indiscutable, tous les auteurs les signalent et il semble qu'il n'existe guère d'observation où on ne les retrouve, je ne les ai jamais vu manquer.
Et ceci me ramène au problème des relations d'objet par introjection dans la névrose obsessionnelle. Elles peuvent en effet avoir une double signification, et l'on peut dire que le détour de l'amour partiel ne résout qu'imparfaitement le problème de l'ambivalence. L'introjection en effet d'une partie seulement de l'objet, lorsqu'elle est accompagnée d'un fort investissement agressif, entraîne une réaction d'angoisse extrêmement vive, un état « de panique », selon l'expression de GLOVER. Le sujet se sent habité par une substance mauvaise, dangereuse, toxique, qui met en danger sa propre existence ou plus simplement son individualité. Il tend à se débarrasser de cet hôte dangereux en le rejetant loin de lui. En effet, l'objet, qui a acquis ces propriétés vulnérantes par le fait d'une projection préalable sur lui, ainsi que j'y insisterai plus loin, des propres caractéristiques agressives du sujet, est ressenti comme le vecteur d'un danger mortel, ou mieux comme animé d'une intention mauvaise ; c'est ainsi en tout cas que réagissent les sujets adultes qui se livrent à ces fantasmes d'incorporation avec fort investissement agressif; la partie d'objet qu'ils incorporent possède les mêmes propriétés dangereuses que l'objet tout entier qui est visé dans leurs relations. D'ailleurs elle est, de par la correspondance symbolique de la partie au tout, représentative de la totalité de l'être avec qui il noue une telle relation, tout au moins dans une certaine mesure, car la relation d'objet n'y est pas rompue comme dans la mélancolie. Sans vouloir aborder ici le problème de la valeur conceptuelle de là notion d'objet partiel de Melanie KLEIN, disons simplement : que les malades s'expriment effectivement comme si l'introjection agressive (dorénavant j'emploierai le plus souvent ce qualificatif pour éviter l'expression : avec fort investissement agressif), des parties d'objet équivalait non seulement à une destruction, mais au risque d'être habité par un agent destructeur. « Quels sont les sentiments qui accompagnent cette idée d'absorber votre sperme, me disait l'un de mes patients dans un contexte d'irritation violente ?... J'ai peur d'en mourir... d'être transformé... d'être habité par un être tout-puissant et malfaisant qui échapperait à mon contrôle. » Dans d'autres circonstances, une telle introjection pourrait avoir un tout autre effet, et s'accompagner d'un sentiment de joie, de force, d'invulnérabilité ; mais il est vrai qu'elle se développerait dans une atmosphère non plus agressive, mais amoureuse, véritable introjection conservatrice, dont je parlerai plus loin. Qu'il me suffise de noter ici que, comme les activités anales, l'introjection peut revêtir selon les cas deux aspects opposés, et que ces significations différentes sont rigoureusement déterminées par l'état affectif qui l'accompagne.
En tout cas, le correctif des introjections dangereuses est la projection, car ce rejet est bien une projection, puisqu'aussi bien il ne correspond pas seulement à une réjection hors du corps propre de l'élément dangereux, mais aussi à l'attribution à cet élément de la qualité de dangereux qui lui avait été conférée lors de l'introjection de par une véritable projection, sur lui, au sens plein du terme, des émois et des affects spécifiques du sujet, au moment de l'acte.
L'introduction de la notion d'une signification particulière de l'objet par projection des affects du sujet me paraît être un élément essentiel de la compréhension des relations d'objet obsessionnelles.
Pour l'instant, et quoique à partir de considérations sur « l'amour partiel », une digression nécessaire m'ait amené à effleurer la question de l'identification par introjection au cours de la cure analytique de la névrose obsessionnelle, je m'en tiendrai à cette notion d'une relation d'objet authentique et vitale du fait même de son caractère narcissique. Ce qui tend à lui faire nier tout caractère libidinal, c'est son archaïsme même, ce qui me semble abusif puisqu'aussi bien sa valeur narcissique implique son caractère libidinal. On ne conçoit pas en effet de relations d'objet purement destructrices qui procureraient au sujet une assurance et un réconfort dans son sentiment de Soi. Je pense qu'il y a là, quelque réserve de style que l'on fasse, pratiquement comme un préjugé qui a pesé lourdement sur la névrose obsessionnelle et qui va beaucoup plus loin que ce que FREUD a voulu dire, quand il parle de l'agressivité des obsédés. Ainsi que je l'ai rappelé, il a cependant pris soin de noter dans toute son oeuvre que « après régression l'impulsion amoureuse se présente sous le masque de l'impulsion sadique » (Introduction à la psychanalyse).
Je pourrais ici multiplier les textes, qu'il me suffise de vous rappeler celui-ci : Inhibition, symptôme et angoisse : « Ainsi d'une part, les tendances agressives du passé se réveilleront, et de l'autre, une partie plus ou moins grande des nouvelles pulsions libidinales... La totalité dans les mauvais cas prendra le chemin fixé d'avance par la régression et se manifestera, elle aussi, sous forme d'intentions agressives et destructives. »
« Après ce déguisement des tendances erotiques... le Moi étonné se révolte contre les suggestions choquantes... qui lui sont envoyées par le ça dans la conscience, sans se rendre compte qu'il combat dans ce cas des désirs erotiques et parmi eux plusieurs qui autrement auraient échappé à sa protestation. »
L'activité instinctuelle a régressé à une phase où les pulsions sont difficilement discernables, il s'agit d'une « substance d'où le sexuel et le' sadisme pourraient ultérieurement sortir ».
C'est là je le sais bien un fait qui n'est nullement en discussion, mais je crois qu'il n'est pas inutile d'attirer à nouveau l'attention sur ce point essentiel ; la régression ramenant le sujet à un style de relation d'objet strictement archaïque, et partant s'exprimant, de par l'insatisfaction inévitable, sur un mode très strictement agressif, l'on perd trop souvent de vue ce qu'une telle relation exprime de vital, de fondamental, de dramatique même, derrière toutes les défigurations qu'elle subit de par tous les mécanismes d'atténuation et d'évitement dont nous verrons plus loin toute la portée. Ce qu'elle exprime de positif, en même temps qu'une tendance violente à la destruction dont je ne songe pas à sous-estimer l importance, c'est un besoin d'amour exaspéré, inquiet, douloureux, jamais assouvi, toujours présent, et d'autant plus fonda- mental que si le sujet, par le jeu des substitutions, des symbolismes, des déplacements, n'arrive pas à s'en fournir un ersatz, il ne lui reste plus — et déjà dans l'ambiguïté du jeu intérieur heureusement sans cesse corrigé et adapté, il s'y engagé — il ne lui reste plus qu'à se retrancher dans les ultimes défenses de la psychose dont l'abandon aboutit à la mort elle-même.
Arrivé à ce point de mon exposé, je me rends compte que l'on pourrait me reprocher de me laisser emporter par mon sentiment et d'avancer comme un postulat qui ne s'appuierait sur rien. Aussi avant de revenir sur ce sens que je crois devoir donner à la relation d'objet de la névrose obsessionnelle, je voudrais insister sur le fait que je reste ici dans la plus stricte ligne de la pensée freudienne. La représentationobsédante : « Je voudrais te tuer. » signifie au fond ceci : « Je voudrais jouir de toi en amour » (FREUD) — et que je m'appuie sur le sens général de ce que, à travers une bibliographie sans doute incomplète, j'ai pu dégager des études contemporaines et des allusions à la névrose obsessionnelle contenues dans les travaux relatifs à la structure du Moi. Comme je l'ai indiqué, ces travaux obéissent à deux tendances ; les uns sont consacrés à l'étude de la relation d'objet, les autres (GLOVER, Pioys, STENGEL) présentent la technique obsessionnelle comme une ultime tentative pour maintenir des relations de réalité, et comme des relations d'objet dépend directement, et par voie de conséquence, l'intégrité du Moi en tant qu'agent d'adaptation, par deux approches différentes, les deux catégories d'étude convergent dans le même sens.
Si la relation obsessionnelle protège le sujet contre la psychose, c'est qu'elle n'a pas seulement une signification destructrice mais contient, en potentiel tout au moins, une relation d'objet libidinale : L'agressivité est la force qui provoque et entretient la frustration mais aussi la fait cesser. Je dévore tous ceux qui m'entourent et vous aussi, je voudrais vous ouvrir, vous secouer, vous extraire ce que vous avez dans le crâne... Je suis comme un enfant qu'on laisse tout seul et qui a peur, je voudrais pénétrer en vous et savoir ce qu'il y a en vous ! Et de toute cette violence naît une haine et un remords terribles. Je me dis que je suis une sale bête et pourtant c'est une sorte d'amour, car je vous aime en vous détruisant, je vous prends en moi, et pour la première fois j'emporterai quelque chose de vous en moi, le sentiment d'une égalité. Vous ne m'avez pas rejeté, vous m'avez compris, et je me sens en communion avec vous, j'accède au sentiment de ma liberté et de ma dignité.

Ainsi cette relation d'objet authentique, mais de sujet à un objet narcissique destiné à remplir une fonction précise en même temps qu'élémentaire : augmenter le sentiment de puissance du Moi, lui assurer un contact avec la réalité, cette relation si fortement ambivalente, à quel objet primitivement s'adresse-t-elle, avant que l'expérience répétée de la relation interhumaine du transfert n'en ait interrompu le cours inévitable et modifié l'orientation strictement destructrice à laquelle elle était condamnée, malgré le sens erotique, qui quoique non perceptible de prime abord, y était potentiellement inclus ?
Il est classique de dire, et en se plaçant à un point de vue purement descriptif, que l'obsédé vit dans un monde funèbre où tout est danger, mort, crime.
En étudiant les relations d'objet partiel, j'ai fait allusion à la projection qui transformait l'objet du désir agressif ou mieux ambivalent, « en une chose » agressive elle-même, ou, plus exactement, dont les qualités sont tout aussi bien ambivalentes. Autrement dit, le sujet ressent inconsciemment l'autre, comme il est inconsciemment lui-même. Nous disons qu'il projette sur l'autre sa propre image ; je ne suis pas assuré qu'il ne projette sur lui que son Surmoi, mais tout aussi bien une partie de son Moi, l'identification étant au moment où s'est structurée l'imago, dont la reviviscence rend précisément ce monde si funèbre et si dangereux, à ce point globale et diffuse, qu'elle engage tout l'être. Toujours est-il que le personnage, l'autrui avec lequel il désire si vivement entrer en relation, lui apparaît comme lui-même animé d'un désir incoercible de puissance sans limite, comme aussi dangereux et aussi destructeur qu'il s'accuserait de l'être, s'il connaissait tout ce qui se cache derrière ses rituels et ses conjurations, cet autre, quel que soit l'agent masculin ou féminin des traumatismes qui ont précipité la régression, est une
image phallique dont la figure est trop connue pour qu'il soit nécessaire d'y insister ici : personnage tout-puissant, dévorant, cruel, doué d'une puissance illimitée, magique qui, fait en apparence paradoxal si nous n'en connaissions la racine génétique, est en même temps dispensateur de tous les biens. C'est ce personnage fabuleux que l'obsédé recherche et qu'il fuit. Il le recherche parce que lui seul, comme la mère de la toute petite enfance, possède le charme qui peut remplir son besoin, il lé fuit parce que l'essence même de ce besoin étant de s'en approprier le contenu, la substance vitale, sur le mode le plus archaïque qu'il soit, le sujet a peur d'être victime du talion d'un tel désir retourné sur lui. Au surplus, la destruction de cet objet même consommerait la perte d'une relation nécessaire narcissiquement. Du fait du déplacement, de la substitution, tout être, tout objet qui devient significatif pour le sujet, je veux dire par là, sur lequel se transfère son besoin narcissique, est par le fait même, de façon atténuée ou totalement, le substitut d'une telle image. Tout se passe comme s'il en revêtait tous les caractères, il devient l'être dispensateur de toutes les certitudes, et par là même indispensable, tout aussi bien que figure de mort. Il n'est pas besoin de dire qu'une telle situation est celle de l'analyse, l'obsédé s'efforce d'atteindre à une relation intime qu'il redoute de tout son être. Il .ne peut pas davantage renoncer à son besoin que surmonter sa terreur, et l'un comme l'autre sont justifiés. Le premier de par la nécessité où il est de nouer à tout prix des relations d'objet, la seconde de par la forme même de son besoin. La résolution de cette antinomie est évidemment le noeud de la question. Elle n'est peut-être pas toujours pleinement possible, mais le plus souvent, elle me semble susceptible de recevoir une solution très satisfaisante et dans certains cas complète. En tout état de cause, c'est d'elle et d'elle seule que dépend ce que l'on peut qualifier du nom de guérison ; et je pense que c'était là ce que FREUD voulait exprimer quand il écrivait : « Nous n'avons plus qu'à attendre que l'analyse elle-même devienne une obsession, car toute obsession exprime, à travers tous les déplacements, toute l'armature symbolique, toutes les isolations quelles qu'elles soient, ce dilemme de l'obsédé. » Dire que l'analyse elle-même devient une obsession, n'est-ce pas affirmer que le problème est simplement bien posé, et de la façon la plus réaliste qui soit dans le transfert lui-même ?
Mais avant que le colloque analytique offre au malade l'occasion de solutionner son dilemme, ou si l'on préfère de réduire son ambivalence fondamentale, c'est-à-dire de surmonter les effets de la désintrication des pulsions, qui à son tour est responsable de la régression, le sujet, lui, a essayé de résoudre son problème et de s'accommoder au mieux de la situation vitale dangereuse qu'il transporte avec lui dans toutes les circonstances réelles de l'existence actuelle. Il arrive si bien à le faire qu'en dehors des périodes où une circonstance rompt ce que l'on appelle souvent l'équilibre des rapports agressifs du sujet au monde, ce qui à mon sens est une expression insatisfaisante, toujours pour la même raison qu'elle n'est descriptive que superficiellement, il arrive à éviter le tourment de l'obsession évidente. Comme on le sait, les procédés utilisés pour venir à bout de l'ambivalence peuvent occasionnellement consister en une dissociation des rapports ambivalentiels, et ceci est très sensible dans le transfert ; d'aucuns, par exemple réservent, leur hostilité à leur anatyste, et recouvrent les satisfactions libidinales narcissiques dont ils ont besoin en investissant un personnage de fantaisie ou de réalité des affects positifs qui sont destinés à leur médecin.
Mais la solution de ce dilemme, ou tout au moins sa solution approchée, est contenue dans la structure même de la relation obsessionnelle, soit qu'il s'agisse d'une relation dont le caractère pathologique est absolument évident, parce qu'elle s'exprime, à travers une obsession nettement caractérisée, non voilée et visant directement un sujet déterminé, soit qu'elle constitue un modus vivendi apparemment normal, de par un jeu bien compensé d'échanges, si l'on peut parler d'échanges quand ils sont si étroitement surveillés.
La relation obsessionnelle apporte une solution au dilemme du désir et de la crainte par son caractère fondamental de relation à distance. Lorsque l'on se maintient à distance d'un objet dont le commerce est absolument indispensable, mais dont l'intimité est redoutée, que ce soit à travers le cérémonial correcteur d'une obsession agressive, ou plus simplement en consentant un appauvrissement massif de la vie émotionnelle, on peut maintenir, sans ressentir trop d'angoisse et pour soi et pour lui, une relation d'objet, car il ne faut pas oublier que si pour le sujet l'intimité avec l'objet est dangereuse, puisqu'elle peut entraîner sa propre destruction, elle l'est tout autant pour l'objet puisqu'à ce moment où la composante erotique de la relation est, par suite de l'état de frustration permanent, transformée en une pulsion agressive, le sujet ressent son désir pour l'objet comme essentiellement destructeur ; or, l'objet est indispensable à l'équilibre narcissique et sa disparition entraînerait la perte de la relation à l'objet avec toutes ses conséquences.
Voici un exemple qui fera sentir je l'espère tout ce que je veux exprimer dans cette notion de la relation à distance. Monique éprouve le désir d'une relation sexuelle avec moi, ce qui se traduit par l'obsession de me faire avaler, involontairement s'entend, une parcelle de matières fécales qui est l'équivalent symbolique de son corps tout entier ; en contre-partie elle a l'obsession complémentaire d'avaler une parcelle de mes propres matières. Cette obsession qui correspond à la reviviscence dans le transfert de fantasmes sado-masochiques de l'enfance, au cours desquels elle était découpée « comme un poulet » et dévorée par son père, l'amène à utiliser les procédés de défense que l'on peut imaginer : lavage compulsionnel des mains, renonciation aux soins de propreté des organes génitaux et de la zone anale, rétention volontaire des matières fécales et des urines dans les heures qui précèdent la séance, port de gants, puis refus de me tendre la main même gantée, par suite de la transposition de la crainte de souillures sur ses cheveux, lavage compulsionnel de la tête, toutes ces mesures n'empêchant pas qu'elle s'accorde une satisfaction symbolique de son désir en me parlant très fréquemment de sa crainte. Elle maintenait donc une relation d'objet à travers toutes ces mesures de défense, mais cette situation restait trop dangereuse, en fonction de la forme même que la régression et là fixation combinées imposaient à son désir sexuel. Après la reviviscence dans le transfert d'une situation triangulaire typique de l'enfance dûment rendue consciente avec toutes ses significations, elle sembla poursuivre son évolution libidinale, se liant avec des jeunes gens de son âge et flirtant avec eux ; ses résistances n'en subsistaient pas moins, et elle évitait toujours de prononcer les mots qui pouvaient avoir une signification sexuelle ou scatologique. J'acquis bientôt la conviction que ses flirts, qui n'avaient aucune signification profonde pour elle, n'étaient qu'une transposition de la relation qu'avec moi, objet significatif, elle ne pouvait soutenir, et qu'à travers eux elle me parlait de ses sentiments pour moi, ce qu'elle me confirma plus tard; la relation avec moi, mais, grâce à ce déguisement restait donc maintenue sans qu'elle s'en rendît clairement compte. Par contre voici comment elle avait consciemment procédé pour me garder comme son soutien, sans me faire courir le risque d'une destruction totale. La situation amoureuse était pour elle, en effet, insupportable, moins pour des motifs d'interdiction que parce qu'elle avait peur que je la tue et peur de me tuer : « Si je me rapprochais de vous je vous prendrais quelque chose (castration) et j'aurais peur d'être tuée. » Telle fut la première formulation. La seconde fut plus explicite : « J'ai le sentiment que si j'avais des rapports sexuels avec vous je vous dévorerais et que vous risqueriez d'en faire autant. » Au plus fort de sa maladie elle avait l'obsession que son père se levait la nuit pour aller dévorer des cadavres. Lorsque son attirance pour moi était devenue trop impérieuse, elle m'avait, selon son expression, tué par précaution en accumulant à mon sujet toutes les critiques possibles de manière à se détacher de moi, ce à quoi elle avait d'ailleurs réussi, tout au moins en partie. Me tuer était une solution qui réservait la relation narcissique : « Si je vous tuais je pourrais encore m'appuyer sur votre cadavre que j'imaginerais dans votre cercueil, mais si j'avais des relations sexuelles avec vous, j'aurais l'impression de vous avoir dévoré, vous seriez digéré, il ne resterait plus rien et je serais absolument seule. »
Je crois que cet exemple est tout à fait représentatif de tous les déterminants de la relation à distance de l'obsédé, et de la solution qu'une distance optima apporte à leur dilemme.
Je n ai jusqu ici envisage la relation d' objet des obsédés qu'en fonction de l'ambivalence fondamentale libidinale, agressive de leurs pulsions instinctuelles ; je voudrais maintenant noter les autres aspects ambivalentiels de cette relation : soit son aspect sado-masochique. Je ne pense pas qu'il y ait ici à faire de longs développements, quoique l'on ait tenté d'opposer le masochisme d'une part et le sadisme obsessionnel d'autre part (BERLINER). Comme l'écrit NACHT, en effet, la plus éminemment masochique des névroses est bien la névrose obsessionnelle où le Moi, pour ne pas rompre sa relation libidinale avec le Surmoi, pas plus d'ailleurs qu'avec ses objets, s'impose par l'intermédiaire de ses mécanismes de défense des expiations sans fin, ou bien s'astreint à un ascétisme dont la rigueur peut dépasser toute imagination, et où d'ailleurs la limitation même des pulsions instinctuelles constitue en soi une manifestation masochique. Par le jeu des mesures de défense l'agressivité, qui pourrait se développer sans restriction contre l'objet, se retourne bien contre le sujet, c'est-à-dire contre son Moi.
Mais il y a plus. Si les mécanismes d'atténuation de la relation objectale comportent un aspect auto-punitif, et si à travers eux le Moi est puni par le Surmoi, comme si celui-ci connaissait la signification agressive de la pensée obsessionnelle sous son déguisement, pour reprendre une formulation classique, ceci ne constitue pas tout le masochisme obsessionnel. Il y a un masochisme plus primitif (NACHT) celui qui résulte directement de l'indifférenciation relative du sujet et de l'objet, ou pour parler en termes génétiques, du Moi et dujpersonnage phallique. Si le sujet, comme le disait ABRAHAM, possédait un-Moi nettement différencié de celui de son objet, l'on ne s'apercevrait pas, après avoir écarté les défenses les plus superficielles, que cette individualité est d'autant plus défendue qu'elle est à tout instant mise en cause et au fond d'autant plus affirmée que moins assurée. Le sujet ressent constamment, en vertu de ce transitivisme si frappant, en lui, l'atteinte qu'il inflige à l'autre, et l'on peut sans exagération dire qu'il se dévore en le dévorant, c'est par là au moins, autant que par le mécanisme de l'auto-punition nécessaire pour apaiser l'angoisse du sentiment de culpabilité, que l'obsédé est masochiste.
Je pourrais multiplier les exemples de ces identifications passives qui unissent si étroitement sujet et objet. Je me contenterai de faire ici état d'un cas récent qui m'a beaucoup frappé par la rapidité avec laquelle se sont établies ces correspondances auxquelles j'ai fait allusion. C'était un sujet qui n'est pas celui dont l'observation est relatée plus loin qui présentait des manifestations obsessionnelles en même temps que des inhibitions importantes. A la 7e séance d'analyse, comme je toussais, il me dit avoir la pensée qu'une expectoration le gênait, et il produisit à cette période toute une série de rêves qui montrèrent avec évidence sur un mode très régressif d'absorption orale, son désir de s'identifier à moi. Je ne veux ici faire état de ce fragment d'observation que pour montrer l'étroitesse de la liaison inconsciente entre le sujet et l'objet, et quels rapports intimes se nouent rapidement entre l'objet du désir narcissique et le Moi ; de tels sujets se défendent d'ailleurs extrêmement violemment contre les sentiments d'angoisse que leur cause la perception confuse de la fragilité de leur individualité.
Le malade Pierre, dont il a été question au Chapitre II de ce travail comme présentant un Moi relativement fort, ne se sent protégé que par ses vêtements. La situation la plus dangereuse qu'il puisse imaginer est celle de la nudité, il s'y sent exposé à tous les dangers d'une pénétration par autrui. Il lui était d'ailleurs impossible de tenir dans ses mains un animal vivant, parce qu'il avait peur « de tout ce qui se cachait derrière sa peau », et il redoutait les femmes à peau très claire dont la surface cutanée, pensait-il, était irrégulière et laissait filtrer plus aisément les contenus nocifs et sales de leur corps. Pour lui, toucher des organes génitaux équivalait à une pénétration anale et lui procurerait une exaltation de son sentiment narcissique de puissance. On retrouve chez un sujet dont le Moi paraît à première vue très stable, ce mélange de l'horreur et du besoin absolu d'une identification consubstantielle avec l'objet de son désir, et l'on peut dire que cette perméabilité de tout son être est un pas vers ces identifications passives et instantanées auxquelles j'ai fait allusion plus haut.
L'on comprend que dans de telles conditions toute action agressive sur l'objet comporte ipso facto un aspect masochique. C'est d'ailleurs ce que les malades expriment constamment. Pour Monique : « Me tuer c'est se détruire » ; et je pourrais citer bien d'autres exemples. Je pense que ce masochisme très régressif joue un grand rôle dans la relation obsessionnelle à l'objet, et qu'il est responsable, pour une large part, du luxe de précautions que le sujet développe dans ses rapports avec autrui. Ici s'insère tout naturellement la théorie de BERGLER qui fait de la défense agressive contre le désir de passivité masochique refoulé, l'un des mécanismes essentiels de la névrose obsessionnelle. Il qualifie cette défense de pseudo-agressive. Sans doute y a-t-il là une tendance à méconnaître la puissance des instincts de destruction, et quelques tendances que j'aie à mettre l'accent sur la signification libidinale des rapports obsessionnels, je ne saurais souscrire à l'opinion de BERGLER. L'aspect masochique de la relation d'objet dans la névrose obsessionnelle exprime donc à la fois et concurremment les deux significations fondamentales du masochisme, l'auto-punition par sentiment , de culpabilité et l'auto-destruction par persistance d'une confusion entre sujet et objet.
Un autre aspect de l'ambivalence, activité-passivité se rapproche beaucoup du précédent : sadisme et masochisme. La question est complexe en ce qui concerne l'opposition masculinité, féminité, bien que par un certain côté il y ait une correspondance, chez ces sujets, entre masculin et sadique, féminin et masochique.
Une' telle présentation des faits semble ne pas tenir compte de l'influence du Surmoi sur les relations d'objet dans la névrose obsessionnelle. Or très justement FENICHEL conclut ainsr: des causes altérant les relations objectales, ces relations sont viciées : I° Par les mesures interdictrices du Surmoi ; 2° Par la froideur des affects dans les relations objectales ; 3° Par la nécessité de trouver des appuis extérieurs pour vaincre l'angoisse du sentiment de culpabilité ; 4° Par des fantaisies d'introjection.
Si l'on a bien suivi mon raisonnement l'on verra que la relation objectale, telle que j'ai essayé de la préciser, répond aux trois dernières causes qui sont évoquées par FENICHEL. Quant à la première, de l'influence interdictrice du Surmoi, elle ne paraît pas à première vue intervenir dans l'exposé que je me suis efforcé de faire des relations d'objet, alors que le Moi, « innocent » et qui le plus souvent ignore complètement la signification profonde des relations qu'il tend à nouer avec le monde, est contraint de supporter, comme nous l'avons vu en étudiant l'aspect masochique des relations d'objet, les punitions rigoureuses de cette instance morale inconsciente qu'est le Surmoi. Celui-ci intervient donc éminemment dans les rapports du sujet au monde.
Le fonctionnement du Surmoi dans la névrose obsessionnelle, est selon l'expression d'ODIER, quasi spécifique, le Surmoi s'y montre non seulement hypermoral mais sadique à l'égard du Moi, et l'on sait que deux théories ont été avancées pour expliquer ces particularités. ALEXANDER en fait une question économique ; il existe une sorte de balance entre la sévérité de la répression et la possibilité d'expression des pulsions instinctuelles. Pour FREUD, le Surmoi n'a pas échappé à la régression et il s'y est produit une désintrication des pulsions ; mais ce sur quoi je voudrais plus particulièrement attirer l'attention en ce qui concerne les rapports, je dirai intérieurs du Moi et du Surmoi, c'est l'extrême ambivalence de ces rapports. FREUD avait déjà signalé d'une manière générale la complexité des rapports du Moi et du
Surmoi; une partie du Surmoi est l'allié du Moi, une autre son adversaire et son ennemi, et l'on sait la nécessité pour tout sujet de bonnes relations entre le Moi et le Surmoi; elles sont d'une importance capitale, et ce qui est vrai pour un sujet dont le Moi a sa cohérence normale, l'est encore plus pour l'obsédé dont le Moi a de toute manière la faiblesse que l'on sait; aussi l'obsédé doit-il se concilier sans cesse cette instance, niais là encore son attitude est ambivalente. Tous les auteurs qui se sont occupés des rapports du Moi et du Surmoi dans la névrose obsessionnelle, et plus particulièrement BERGLER, FEDERN, dépeignent ces relations comme un mélange de soumission amoureuse et d'hostilité révoltée ; l'on insiste sur les bénéfices narcissiques que le Moi tire de sa soumission au Surmoi, comme aussi sur les techniques variées qu'il utilise pour enfreindre ses commandements et le tromper : contradictions internes des lois de la pensée obsessionnelle. Lois de FROM citées par FEDERN. Recours à l'utilisation du principe de la toute-puissance de la pensée, etc. Autrement dit le Moi se comporte
à l'égard du Surmoi comme un enfant vis-à-vis d'un parent sévère et oppresseur, il le respecte en le haïssant et le bafoue en l'aimant. Il faut tout aussi bien se garder de perdre l'amour de la mère toute-puissante introjectée qu'éviter de se soumettre aveuglément à elle, une soumission absolue équivaudrait à la mort. Il me semble par conséquent que l'on retrouve ici une autre expression de la relation à distance dont j'ai fait l'axe de ce travail, et qu'en interprétant les difficultés de la relation d'objet comme la conséquence de projections répétées à l'infini des images parentales, j'ai en réalité donné au Surmoi toute l'importance désirable.
Il reste bien entendu que le sujet est absolument inconscient de la signification instinctuelle réelle de ses obsessions, et que par conséquent l'action du Surmoi qui impose au Moi des restrictions dans cette relation n'est nullement déniée par moi au profit d'un mécanisme plus direct, celui de la projection ; ce que je veux mettre en évidence, dans
cette étude, c'est que le sujet est gêné dans sa relation d'objet, non seulement par sa propre agressivité dont il ne perçoit que les rejetons inexplicables pour lui, mais aussi par la qualité agressive qu'il confère, par la projection inconsciente de sa propre agressivité à l'objet de son désir, autrement dit qu'il se comporte sans en connaître le double motif à l'égard de tout comme, enfant, il le faisait avec la personne déjà à demi imaginaire de ses parents. Et comme dans l'enfance avec les personnages parentaux, la relation aux objets significatifs est comme je l'ai déjà noté, indispensable à l'équilibre, à la vie du sujet.
Mais revenons à la question du Surmoi. Comme on le sait, FREUD
en fait l'héritier du complexe d'OEdipe et lui assigne des fonctions morales, il le met à la source du sentiment de culpabilité inconscient. Je ne pense pas qu'à l'heure actuelle se pose encore la question de savoir si le Surmoi n'a pas aussi des origines plus anciennes ; chacun admet
l'existence d'un Surmoi pré-oedipien, il reste à savoir si d'une manière
générale on peut aux phases pré-oedipiennes du développement parler de sentiment de culpabilité. GLOVER dont j'ai rappelé les critiques à l'égard des théories de Melanie KLEIN, estime que l'on ne peut parler de sentiment de culpabilité qu'à partir du moment où l'intervention du
langage, c'est-à-dire seulement au début de la troisième année, a été suffisamment précise et prolongée pour que le moi et le non Moi, le Moi et le monde extérieur soient parfaitement distincts. Auparavant les relations d'objet sont encore trop confuses, trop peu différenciées pour qu'un dialogue quelconque entre soi et une conscience morale puisse s'engager. Il préfère employer le terme « d'anxiété de projection » qui exclut toute intervention d'une voix de la conscience même embryonnaire ; d'autres (HENDRICK) se servent de l'expression « anxiété de talion » qui est l'équivalent de la précédente ; je pense que cette distinction n'est pas inutile parce qu'elle répond à des faits différents ; d'ailleurs ce travail fait, avant tout, état des anxiétés de projection.
Reprenons le schéma de GLOVER et étudions la structuration progressive du Surmoi ou mieux de l'appareil psychique en général.


L'auteur tout en décrivant avec beaucoup de prudence la phase primaire du développement qui précède l'apparition du langage admet l'existence d'un Moi et d'un Surmoi oral ou mieux d'un noyau oral du Moi et du Surmoi, pour citer un exemple. Divers noyaux seront les témoins des principales phases du développement et le Moi et le Surmoi total résulteront de l'intégration de ces divers noyaux. En vertu du principe de fonctionnements simultanés dans la personnalité (GLOVER) chaque phase du développement donne à moins d'un effacement quasi complet, son accord plus ou moins timide dans l'orchestration que nous entendons. Si je fais cette digression, dans un domaine qui n'est pas apparemment celui de ce travail, c'est que chez l'obsédé une telle intervention du fonctionnement de niveaux d'organisation différents du Moi pris dans son ensemble, est tout à fait caractéristique, aisément saisissable et donne au tableau clinique cette allure si particulière de diversités et de contrastes. En ce qui concerne le Surmoi nous voyons que différents niveaux d'organisation de cette instance sont à l'oeuvre en même temps et s'expriment d'ailleurs concurremment à travers la même expression verbale : « Je ne peux pas ou j'ai peur. »
En quoi le Surmoi intervient-il dans les relations d'objet dans le transfert ? Il y intervient de deux manières : d'une part à la façon d'une tierce personne qui s'opposerait à l'intimité de ces relations, ce fut par exemple le cas de Monique dont j'ai déjà parlé, le Surmoi agissait à ce moment de l'analyse où elle revivait son oedipe à la façon de sa mère qui, pendant son enfance, lui avait interdit toute intimité avec son père. Toutes les femmes obsédées que j'ai eu l'occasion d'analyser ont été gênées dans leur contact avec moi par des interdictions facilement rapportées au personnage maternel qui leur rendait difficile l'expression, même atténuée, d'une attirance pour moi. Chez les hommes par contre, de pareilles interdictions, bien entendu comprises comme condamnant une rivalité avec la mère auprès du père, ne m'ont jamais semblé très importantes. De toute manière l'intervention de la tierce personne oedipienne dans le dialogue analytique m'a toujours paru secondaire et variable suivant les cas; au surplus l'obsédé invoque fréquemment l'interdiction pour dissimuler son besoin de faire appel à une troisième personne intervenant seulement à titre d'allié contre l'analyste dans lé transfert.
La seconde modalité de l'intervention du Surmoi consiste en la projection dont j'ai parlé tout au long de ce travail qui est faite sur l'analyste des imago parentales, autrement dit du Surmoi lui-même, du personnage phallique ; le médecin devient alors à la fois interdicteur


et dangereux en soi. Le sujet éprouve dans sa relation avec le médecin des anxiétés qui sont à la fois de culpabilité et de projection et qui se traduisent au début de l'analyse par des inhibitions qui s'expriment au travers d'une verbalisation approximative. Quand le malade dit « j'ai peur ou je n'ai pas le droit, je ne peux me permettre », il exprime tout aussi bien ses sentiments de culpabilité dérivés de l'interdiction que l'angoisse de ses projections. Plus tard il sent fort bien ce qui revient à l'une et à l'autre, il dit : « Je n'ai pas le droit », pour caractériser l'interdiction, et « J'ai peur de vous » pour rendre compte précisément de sa peur de l'analyste en tant qu'objet. Ceci est parfaitement sensible dans le déroulement d'une analyse d'un obsédé. Le premier conflit abordé est celui de l'OEdipe, du moins tel qu'il a été vécu. Dans le transfert le sujet éprouve la peur d'être puni pour ses désirs incestueux ou mieux pour tous ses désirs sexuels ; puis à travers le désir de passivité homosexuelle s'exprime l'angoisse du rapport avec « l'autre », personnage phallique. Ici c'est une anxiété plus violente, plus directe qui se dégage, il n'est plus question d'interdiction mais bien d'une peur de destruction en talion des désirs de rapprochement ressentis comme agressifs, telle que la régression les a façonnés ; enfin l'analyse ayant atteint dans sa marche rétrograde les anxiétés les plus primaires et le sujet les ayant dépassées, les relations d'objet changent de signification, le sujet a peur à nouveau de ses désirs incestueux mais sous l'angle plus limité de l'interdiction ; l'analyste est entre lui et la femme, le sujet hésite à se donner le droit de faire comme lui, il ne s'agit là bien entendu, et j'ai à peine besoin de le souligner, que d'une représentation schématique d'une telle évolution et je ne voudrais pas que l'on put croire, que pour moi, les choses se passent suivant un ordonnancement régulier, je crois néanmoins que ce schéma pour si arbitraire qu'il soit peut servir de point de repère. C'est dans cette dernière phase que viennent à jour les documents oedipiens réels, je veux dire accompagnés de toute leur charge affective.
L'aspect homosexuel de la relation objectale a ceci de particulier, et c'est pourquoi je l'ai détaché de l'ensemble des relations d'objet, de nous fournir assez précocement des renseignements sur l'équilibre pulsionnel dans un cas donné.
J'ai en effet remarqué que la relation d'objet homosexuel dans la névrose obsessionnelle pouvait prendre deux aspects différents. Dans


un premier groupe de cas qui correspond à ceux qui ont fait l'objet de mon travail sur « l'aspect homosexuel du transfert », l'attrait homosexuel, spontanément ressenti dans l'enfance et l'adolescence, s'accompagnait de réactions émotionnelles très riches, très nuancées de véritables amitiés au sens plein du terme et ne donnait lieu qu'à une défense modérée ; parfois même y avait-il eu des contacts sexuels ; dans le transfert de telles situations sont revécues avec un minimum de réactions de défense et dans un contexte émotionnel très exactement comparable à celui des expériences juvéniles, dans ces cas l'imago paternelle s'est toujours montrée infiniment plus accueillante que l'imago maternelle.
Dans un second groupe de cas les choses se présentent tout à fait différemment. Ces sujets ont comme ceux du premier groupe des sentiments homosexuels conscients, mais ils consistent en phénomènes de fascination brutale devant un homme offrant une image de puissance ce qui détermine une réaction d'angoisse extrêmement profonde. Ces patients ont des amis, même de « bons amis », mais leur commerce avec eux est limité à des fins strictement narcissiques, ils n'ont pas « d'amitiés ». Contrairement aux sujets du groupe précédent, dans le transfert ils se défendent furieusement d'éprouver quelque sentiment affectueux à l'égard de l'analyste utilisant une attitude paranoïaque à minima, ils l'accusent de leur suggérer des sentiments homosexuels ; dans leurs fantasmes ce ne sont que combats, luttes, ouverture du corps, images sanglantes de castration... quand des fantaisies d'introjection interviennent elles sont toujours chargées d'un énorme potentiel agressif et provoquent des réactions de dégoût, de rejet, des sentiments de panique. Nous verrons plus loin un exemple de ce tableau clinique, les imago parentales sont mal différenciées.
Il m'a semblé que ces deux types de malades répondaient à des formules pulsionnelles différentes ; chez les premiers là libido a atteint le stade génital, l'OEdipe a été franchement abordé ainsi qu'en témoignent non seulement la différenciation des images parentales, mais encore l'extrême richesse des possibilités émotionnelles et leur grande variété. La régression a joué un rôle plus important, toutes proportions gardées, que la fixation; le transfert est plus aisé, la résolution thérapeutique plus facile.
Quant aux seconds ils me paraissent témoigner d'une évolution libidinale très timide. Dans leur évolution ils n'ont abordé l'OEdipe que dans de très mauvaises conditions, les images parentales sont moins bien différenciées que dans le cas précédent quoique l'imago


paternelle m'ait toujours paru un peu moins archaïque que l'imago maternelle. Leurs émotions sont toujours extraordinairement violentes, démesurées, sans nuance, déclenchées lorsque les défenses sont abolies par les causes les plus minimes. Le transfert est très difficile, la résolution thérapeutique moins aisée.
J'ai pensé qu'il y avait là, dans la mesure où le style des relations homosexuelles dans le transfert témoigne du degré d'évolution génitale de la libido, un élément de pronostic d'autant plus intéressant qu'au moins, à travers leurs fantasmes isolationnés dont ils ne comprennent d'abord qu'à demi la signification, les obsédés nous laissent jeter assez vite un regard sur leur structure profonde.
IV
LES INSTRUMENTS DE LA RELATION D'OBJET
SON ÉVOLUTION AU COURS DU TRAITEMENT ANALYTIQUE
Je voudrais, avant d'aborder l'étude des instruments de la relation à distance et de l'évolution de cette relation au cours du traitement analytique, vous rappeler les principales conclusions auxquelles j'ai été amené jusqu'ici :
I) Il m'a semblé que de l'ensemble des travaux consacrés à l'étude de la relation d'objet, tant sous l'angle de la description d'un aspect isolé de cette relation (BERGLER) que sous celui de la signification générale de la structure des relations d'objet obsessionnelles (ABRAHAM, GLOWER) se dégageait la notion de la nécessité vitale de la dite relation qui, à la fois, supplée à des relations plus évoluées et protège des ruptures relationnelles de la psychose, du moins chez un sujet donné, en assurant le maintien de relation de Réalité ;
2) Que l'étude clinique du Moi dans la névrose obsessionnelle montrait à l'évidence que, dans les cas les meilleurs, il était affecté d'une faiblesse qui rendait précisément indispensable l'intimité de ces relations ;
3) Que la nature des rapports de l'obsédé était, de par le fait de la régression instinctuelle, d'une part, et de la projection, d'autre part, telle qu'elle posait un véritable dilemme dont la solution approximative et spontanée était le maintien d'une distance optima entre le sujet et


l'objet d'où l'expression de relation à distance par laquelle j'ai choisi, faute de mieux, de la caractériser. Ainsi, dans le chapitre précédent, je me suis efforcé de préciser la nature de la relation d'objet obsessionnelle et de montrer que tout ce que nous savions de la structure de cette affection s'exprimait à travers cette relation.
Peut-être me reprochera-t-on de n'avoir pas assez, dans son analyse, mis l'accent sur les facteurs qui nous apparaissent comme innés et de n'avoir pas encore fait allusion aux éléments constitutionnels qui peuvent jouer un rôle dans son déterminisme, soit à une répartition malheureuse des énergies instinctuelles ou plus simplement à une hyperagressivité. FENICHEL schématise ainsi les différentes causes d'une fixation anormale à un stade évolutif donné :
1) Une répartition anormale des énergies pulsionnelles ;
2) Une récompense excessive des besoins instinctuels à ce stade ;
3) Une frustration extrêmement sévère de ces mêmes besoins ;
4) Une impossibilité quasi complète de tolérer l'anxiété en rapport avec une frustration.
Je me suis attaché simplement, et avant tout, à caractériser un état de fait et à en préciser la signification et non les causes ; la preuve en est que j'ai réservé la question de la' nature des traumatismes responsables.
Je crois que c'est là affaire de cas particuliers et que, seules, des remémorations précises et des données convergentes issues de l'analyse nous permettent d'assigner, à tel ou tel épisode que nous serions tenté de considérer comme traumatique, une valeur univoque. J'ai eu eh analyse un malade que tous ses fantasmes et ses rêves désignaient comme le témoin d'une scène de coït parental, qui aurait entraîné chez lui une identification à la mère possédée sadiquement, pourtant il n'a jamais retrouvé un souvenir précis d'une scène de ce genre- etil semble qu'il y ait eu peu de chance pour qu'il put en être réellement témoin ; par ailleurs, il a revécu, avec beaucoup d'intensité et dans le transfert et dans son souvenir, un conflit essentiellement oral qui fut suivi quelques années plus tard de la vision traumatisante d'un coït d'animaux ; sa mère lui faisait absorber contre son gré des bouillies qui lui déplaisaient et qu'il recrachait au fur et à mesure. De moi, il ne tolérait que des interprétations très courtes, dès que je parlais trop, il s'agitait avec les réactions motrices d'un enfant qui se débat : « Vos paroles, disait-il, avec une violente attitude d'opposition, je voudrais les recracher. » Il semble qu'à la suite d'une série de transpositions, il ait imaginé le. fantasme de la scène primitive, mais que le traumatisme


significatif évoqué par le coït animal reste celui de ses rapports oraux avec sa mère. Il n'est pas dans ma pensée de soutenir que toutes ces incertitudes, quant au trauma, soient sans importance, je crois tout au contraire qu'elles doivent être résolues dans la mesure du possible, mais je pense que nous ne sommes à même de le faire qu'à partir du moment où, précisément, cette relation à distance du transfert s'est dissoute et muée en une relation directe.
Mon expérience clinique m'a toujours appris, comme à chacun de nous, que c'est à partir de ce moment seulement que les faits déjà retrouvés et abordés analytiquement prennent tout leur relief et acquièrent toute leur valeur démonstrative.' C'est pour cela que je me suis attaché à l'étude de la relation transférentielle, dont il ne suffit pas, à mon sens, de dire par exemple qu'elle est sadomasochique pour la caractériser suffisamment. Elle est d'une « qualité affective spéciale », suivant l'expression si heureuse de NACHT, à propos du masochisme prégénital qui est précisément l'un des aspects de la relation d'objet obsessionnelle.
Voyons maintenant les instruments de cette relation, je pense que ce titre se passe de commentaire, je serai très bref sur ce point, car il s'agit ici de tous les procédés de défense de la névrose obsessionnelle et ils ont été minutieusement décrits. Relations d'objet et mécanismes de défense s'intriquent étroitement du fait que les mécanismes de défense contre les pulsions s'appliquent à la situation actuelle considérée comme dangereuse, et rendue telle d'ailleurs par les exigences instinctuelles.
* L'obsédé en analyse est dominé par un dessein à peine inconscient celui de garder sa relation à son analyste sans que cette relation devienne dangereuse pour aucun des deux partenaires : les diverses techniques qu'il emploie sont celles qu'il utilise dans la vie habituelle, tout aussi bien dans le secteur de ses obsessions que dans ses autres contacts humains symboliques ou concrets. Sous cet angle, l'expérience analytique démontre à l'évidence que le Moi est malade dans sa totalité et que le sujet est gêné dans l'ensemble de ses relations d'objet, qu'elles soient obsessionnelles ou pas.
Pierre, auquel j'ai fait allusion dans le chapitre consacré au Moi, manifeste une indifférence complète à l'égard de son traitement, c'est-àdire envers moi, souligne très régulièrement qu'il vient pat habitude,


qu'il n'attend rien de cette thérapeutique, qu'il ne pense jamais à l'analyse en dehors des séances, que je lui suis complètement étranger, telle est du moins sa position habituelle. Or, une circonstance extérieure intervint brusquement, qui faillit lui imposer la cessation de ses visites, Pierre fit une crise d'angoisse extrêmement violente, tomba malade, dut s'aliter et lorsqu'il se releva quarante-huit heures après, ses amis s'étonnèrent de l'altération de ses traits; il n'eut aucune peine à se rendre compte qu'il était tombé malade en pensant devoir se retrouver seul dans la vie. Je crois que le récit de cet incident illustre d'une façon tangible ce qu'est la relation d'objet chez les obsédés.
Je n'insisterai pas sur le caractère stéréotypé et la monotonie de leur comportement, ils s'expriment toujours de la même manière et utilisent d'ailleurs dans leurs discours le même procédé de défense, les uns parlent sans arrêt, les autres ont tendance à garder continuellement
continuellement silence. Plus intéressant peut-être est l'emploi de la périphrase qui sert à éviter de prononcer non seulement certains mots tabous, mais aussi d'employer des expressions trop réalistes ; l'abandon de ce procédé de défense, même dans ce dernier cas, s'accompagne d'une libération instinctuelle, dont l'importance semble, à première vue, sans rapport avec la cause qui la détermine, tant sont grandes les implica-- tions dynamiques du langage. Puisque j'en suis au discours des obsédés, je voudrais faire remarquer combien l'on risque de faire d'erreurs en interprétant abusivement leur comportement en termes d'agressivité dans le sens d'activité purement destructive : un silence, par exemple, peut à bon droit, surtout chez une malade qui refuse absolument de le rompre, être considéré comme une manifestation d'hostilité, or, toutes mes malades m'ont affirmé un jour ou l'autre qu'il leur
était beaucoup plus facile de me dire des choses désagréables ou injurieuses,
injurieuses, pourtant authentiques d'agressivité, que de tenir des propos amoureux. Elles n'étaient ici limitées que par la crainte que je rompe le traitement, alors que l'allusion la plus lointaine à un
rapprochement, déterminait une angoisse intense. Pour les hommes, il m'a semblé qu'il en était sensiblement de même. Et l'on saisit ici sur le vif toute l'ambiguïté de ces manifestations agressives ; l'agressivité
chez les obsédés est loin d'être toujours une manifestation d'opposition ; l'on peut même dire que les manifestations agressives qui équivalent à un mouvement d'opposition sont les plus facilement produites, car elles sont les moins dangereuses, elles mettent à l'abri et renforcent le sentiment de puissance et d'individualité, mais l'agressivité liée au désir de rapprochement et, par conséquent, de signification libidinale


au sens vrai du terme, constitue le vrai danger : celui contre lequel les obsédés luttent.
Il en est d'ailleurs d'autant plus facilement ainsi qu'étant données les restrictions nécessaires de la technique analytique, ces sujets voient se muer en tendances agressives ce qui, dans leur désir de rapprochement, à la naissance de leurs sentiments, avait une signification libidinale directe, et ce n'est pas la moindre difficulté de leur traitement que la transformation si facile de leurs tendances affectueuses, fragiles en un désir de possession haineuse et exaspérée en fonction de la frustration réelle des rapports analytiques. Ceci explique, me semble-t-il, les difficultés plus grandes que j'ai rencontrées dans le traitement des femmes obsédées ; car, pour les hommes, les fantasmes homosexuels gardent un caractère de fantaisie relative que les sentiments amoureux de transfert n'ont pas pour les femmes et le dosage de la frustration est plus aisé. J'en terminerai avec ces notations cliniques sur la manière dont, dans leurs associations, ils cherchent à parler tout en ne disant rien, en relatant le procédé que Pierre avait employé pour éviter de se confier à moi. Alors qu'au début de son analyse, il avait eu les plus grandes difficultés à m'apporter un matériel significatif, je remarquais que peu à peu ses associations étaient exclusivement faites de fantasmes, de propos, de signification scatologique ou homosexuelle ; il avait utilisé conjointement l'isolation et le déplacement, ce qui était devenu important était précisément ce qui ne l'était pas au. début, les faits de sa vie journalière. « Ce que je fais ne vous regarde pas, vous vous efforcez d'avoir un moyen de chantage, en sachant tout ce qui se passe dans ma profession. »
J'ai prononcé le mot d'isolation, et ceci m'amène à énumérer la liste des procédés de défense dont le Moi se sert, dans la névrose obsessionnelle, pour maîtriser les impulsions du ça, que le refoulement n'a pas réussi à juguler, réactions éthiques, annulation rétroactive, expression du principe de toute puissance de la pensée. Ces procédés sont évidemment utilisés dans les relations d'objet du transfert, complétant les techniques de déplacement et de symbolisation communes à toutes les activités de l'esprit, elles permettent au sujet d'assouplir sa relation à son analyste. Je pourrais vous donner des exemples multiples de l'utilisation de ces techniques dans le sens que je viens de dire, je crois que ce serait inutile et fastidieux. Quand l'analyste est l'objet d'une obsession, comme cela se présentait dans le cas de Monique, il est tout à fait clair que la technique obsessionnelle protège le contact entre les deux partenaires en présence, mais quand un malade se contente de nier toute signification affective à ses rapports d'analyse, ce qui, à mon sens, n'est absolument pas différent de ce qu'il fait dans la vie courante quand il renonce à l'expression de ses émotions en même temps qu'il s'interdit de les ressentir, ne croyez-vous pas que là encore il sauvegarde ses relations d'objet ?
GLOVER insiste sur le fait que la technique obsessionnelle est celle qui permet à l'enfant de nouer, pour la première fois, des relations de réalité, je ne crois pas qu'il soit nécessaire de rappeler, par exemple, l'importance de la pensée symbolique dans la maturation de l'appareil intellectuel et l'acquisition du langage, ni celle des pratiques magiques dans l'essai de maîtrise active de la réalité et je me contenterai seulement de faire un rapprochement entre ce que je viens de vous exposer de la relation à distance et ce que FREUD a écrit sur l'analyse de ses malades. Le terme même que j'ai employé, ce que d'ailleurs j'ai souligné dans ma description, implique le maintien aussi prolongé que possible de cette relation mitigée, FENICHEL note l'horreur que les obsédés ont du changement ; or FREUD nous enseigne que les analyses de ces sujets peuvent continuer indéfiniment, n'est-ce pas précisément mettre l'accent sur le besoin qu'ils ont d'un contact et de la difficulté qu'ils éprouvent à l'amener à une conclusion ?
J'insisterai davantage sur l'évolution des rapports analytiques de l'obsédé, le sujet comme je viens de le dire ne désire que les poursuivre en les stabilisant à un certain point, il est prêt à faire toutes les concessions possibles et même à renverser complètement la valeur relative de ses associations, à condition que les dits rapports n'évoluent pas. Tous les auteurs ont noté combien il fallait prendre garde aux tendances qu'ont ces sujets à intellectualiser leur analyse. Parfois ils adoptent une attitude plus courageuse, apparemment du moins, mais tout aussi inféconde. Ils parlent abondamment de l'analyste sans le nommer, ils semblent aborder directement leurs conflits avec lui à travers la personne dont ils parlent ; une de mes malades m'exposa ainsi tout à fait clairement les angoisses qui s'attachaient pour elle aux relations sexuelles, en m'entretenant de ses flirts. Tous ces procédés dilatoires ont la même signification et le même résultat : Ils représentent un effort pour maintenir le contact, mais quelle que soit la richesse apparente du matériel apporté, la situation reste la même.
Je ne voudrais pas que l'on puisse croire que dans une analyse de ce genre je néglige le matériel infantile ; il est nécessaire à la compréhension de la situation de transfert et trouve tout naturellement son utilisation dans l'interprétation de celui-ci, mais dans l'exposé que je désire faire maintenant, je serai amené à négliger tous les autres aspects de l'analyse pour ne m'intéresser qu'à la relation d'objet. Avant d'aller plus loin, je voudrais faire deux remarques : La première analogue à celle que Ella SHARPE, pour d'autres raisons que les miennes, faisait dans un travail où il était question du traitement analytique de la névrose obsessionnelle : il faut laisser à ces sujets le temps de s'habituer au contact analytique qui les amène naturellement, à condition bien entendu que le transfert de défense soit correctement analysé, à un « rapproché » qui se traduit par la production de fantaisies sadiques dont le médecin est l'objet; la seconde est que l'apparition de ces fantasmes coïncide régulièrement avec une amélioration de la situation de transfert, je veux dire par là que le malade réagit comme si le sentiment d'une sorte de communauté entre son analyste et lui rendait son contact affectif plus substantiel, plus aisé.
La façon dont s'introduisent ces fantaisies sadiques varie selon les cas : tantôt elles émergent à travers des représentations de relations génitales, tantôt elles s'imposent à l'esprit sans contexte affectif un peu à la manière d'une obsession, parfois d'ailleurs, elles donnent lieu, comme ces dernières, à des mesures d'annulation ou à des comportements compulsionnels. En tout cas, elles sont au début très régulièrement isolationnées, mais bientôt elles s'accompagnent de réactions affectives extrêmement violentes.
Voici quelques exemples de ce type de réactions : Pierre me rapporte un jour le rêve suivant qui témoigne d'un désir d'introjectioh encore atténué : « J'ai rêvé cette nuit que je vous embrassais et que j'avalais violemment votre salive, j'ai été très étonné de constater en me réveillant que j'avais eu une éjaculation, ce rêve est ridicule, il est idiot, il ne signifie rien, je vous déteste, je vous considère comme un sadique qui s'acharne contre moi, qui prend plaisir à me torturer, à m'arracher ce que j'ai en moi, à me violenter; vous le savez, je vous l'ai déjà dit : Je pense que c'est par pure cruauté que vous prolongez ce traitement, vous auriez pu me guérir depuis longtemps, vous êtes responsable de ma maladie, mais le pire de tout c'est de penser que j'ai pu.faire un tel rêve, cela me fait mal au ventre d'imaginer que je puisse vous aimer, il faut que je sois fou... jamais personne n'a pu m'influencer, et vous, insidieusement vous arrivez à me modifier, j'ai peur, j'ai longtemps pensé que cette rue où vous habitez était dangereuse ; je m'aperçois que je prends, progressivement, vos façons de penser, de juger, vos intonations de voix, vous m'empoisonnez vraiment, j'ai envie de vous précipiter par la fenêtre, je ne peux pas concevoir que je continue ce traitement !» A ce moment-là, le malade se soulève brusquement sur le divan et crie : « Entendez-moi bien, je préférerais rester malade comme je le suis plutôt que de vous donner raison en guérissant. » Cette crainte d'être possédé et pénétré par moi repose sur l'idée qu'il se fait de ma cruauté et de ma puissance, car dans une autre phase de son analyse particulièrement significative pour lui, pour des raisons que je ne puis pas développer complètement ici, il faisait toute une série de rêves, de relations homosexuelles avec son père, et en me les relatant, il me disait : « Le bonheur que j'éprouvais dans ces rêves était absolument extraordinaire, je ne puis vous dire ce que j'éprouvais, j'étais si heureux, je n'avais plus peur de rien, je me sentais fort, j'avais le sentiment d'avoir compris combien l'amour peut transformer la vie d'un être, moi, pour qui elle a toujours été et est encore un bagne sans fin ; vous remarquerez ajoute-t-il que j'emploie la même comparaison en parlant de l'analyse, mais ces temps-ci j'ai un peu changé d'opinion, je me dis c'est un criminel ou c'est un Saint... je dois reconnaître que, quand la deuxième impression domine, je me sens transformé, la vie me paraît ouverte... »Pour rendre compréhensible pleinement le sens de ces fantasmes, je dois préciser deux points :
Le premier est que le mode d'introjection utilisé par ce sujet est essentiellement cutané : caresser, toucher équivaut à avaler, prendre. Imaginer de toucher une verge me donne autant de plaisir que d'imaginer que je l'embrasse, ce sujet souffrait, d'ailleurs, comme je l'ai dit plus haut, de l'impossibilité de tenir un animal vivant dans ses mains par peur de ce qui grouillait derrière sa peau, et se représentait que les femmes étaient dangereuses parce qu'à travers leurs téguments pouvaient filtrer des substances toxiques et mortelles. Le deuxième point est que dans des relations sexuelles imaginaires il recherche la cohabitation avec un personnage puissant qui le fasse participer à ses qualités de force et de courage en se laissant caresser les organes génitaux et le corps. Le rapport de puissance de l'objet au sujet est réglé par toute une série de dispositions minutieuses.
Jeanne qui témoigna, dans son comportement, après que ses résistances furent ébranlées, d'un besoin de recevoir quelque chose de moi en sollicitant des réassurances, en posant des questions, produisit de nombreux fantasmes d'introjection orales isolationnés. Un jour, elle imagina le suivant : « J'ai rêvé cette nuit une fois de plus que je vous mordais la verge avec une sorte de fureur, que je la mâchais lentement, le besoin de m'approprier quelque chose de vous, de le garder en moi définitivement et puis j'ai vu un sein dégoûtant, énorme comme celui d'une femme qui allaite, j'ai eu une impression de dégoût et de peur abominable, j'avais l'impression que vous étiez comme le clou que je sens en moi et dont je vous ai parlé si souvent », et elle ajouta : « Tiens j'ai une impression d'étrangeté ! » Comme je lui demandais de me préciser ce qu'elle ressentait, elle ne me répondit qu'au bout d'un moment : « Maintenant, c'est passé, c'est quelque chose d'indéfinissable et d'abominable », mais je ne sus que beaucoup plus tard en quoi consistait cette impression d'étrangeté : « C'est, dit-elle (je condense ici, ce que j'ai obtenu en de nombreuses reprises), un double phénomène dont je ne saurais dire lequel est le premier. Toujours est-il que cela se produit quand j'éprouve une émotion violente, soit de peur, soit de colère : mes perceptions s'altèrent, je vois moins bien et j'entends les gens comme à travers du coton, j'ai une impression d'irréalité, tout est flou et je suis saisie d'une sorte de panique et c'est là l'autre face du phénomène, je me penche sur le fonctionnement de mon corps, j'écoute mon coeur, le battement de mes artères, j'ai l'impression que mon crâne va éclater, mon cerveau se déchirer, j'ai un sentiment de misère, d'isolement absolu, de mort imminente, il n'y a rien à faire contre cela, sinon s'occuper immédiatement à quelque chose, à n'importe quoi, si futile que ce soit, ou bien à compter, c'est le seul moyen de reprendre contact. » J'ai choisi à dessein deux types très différents de fantasmes d'introjection le premier à peine sadique, le second violemment destructeur, pour bien montrer précisément que des réactions qu'ils déterminent sont fonction de l'intention destructrice que le sujet y met quelle que soit la forme qu'il leur donne.
Au fur et à mesure que l'analyse avance, ils tendent à revêtir tous le même aspect sadique de dévoration rageuse dans un contexte violent de sadisme oral ou musculaire, tout au moins jusqu'à ce qu'une autre phase évolutive ne s'engage.
Voici d'ailleurs un exemple qui montre que les effets de l'introjection sont independants de la forme même du fantasme et en rapport avec l'état affectif du sujet. Jeanne se trouvait dans une phase de son analyse où elle supportait mal les frustrations qu'impliquent cette technique et où par conséquent son agressivité était exacerbée, elle résolut de recourir au miracle et se fit apporter de l'eau de Lourdes avec l'intention de l'ingérer, elle est croyante, avec cette ambivalence que l'on retrouve chez les obsédés. Toujours est-il qu'au moment d'avaler le liquide miraculeux, elle fut brusquement saisie de la pensée que cette eau allait l'empoisonner et elle ne put qu'en humecter ses mains, son dessein ne comportait en soi aucune idée destructrice, il n'était question que d'avaler et non de mâcher ou de mordre. Je dirai plus loin, ce qui paraîtra contradictoire avec le sens 1 de ce que je rapporte actuellement, que les fantasmes d'introjection changent de forme, quand ils perdent leur agressivité et deviennent conservateurs, ils consistent alors à sucer, à absorber un liquide organique et non plus à mâcher, à dévorer ; à la lumière de cet exemple et d'ailleurs d'autres encore, je pense que le changement de forme témoigne et exprime une modification de l'équilibre pulsionnel mais que la forme en elle-même, n'est pas à elle seule révélatrice de la signification du fantasme.
Les exemples que je viens de rapporter montrent quel sentiment de panique entraîne chez le sujet l'introjection avec forte composante agressive, que ce sentiment accompagne ou non un état de dépersonnalisation. Les menaces de frustration de l'objet produisent des états analogues et peut-être encore plus accusés, or, la frustration exalte l'agressivité du sujet, il n'est donc pas étonnant que l'introjection agressive d'un objet entraîne les mêmes troubles que la menace de sa perte. Dans les deux cas l'agressivité est à son maximum et peut-être est-ce dans les états émotionnels de ce genre, qui assaillent le sujet aussi bien quand il veut s'approprier avec rage ce qu'il désire que quand il risque de le perdre, que se trouve la racine de l'obstination avec laquelle les obsédés maintiennent une relation à distance avec leur objet. Monique se persuade que par sa faute ses parents seront ruinés et qu'elle ne pourra plus continuer son traitement, elle éprouve un état tout à fait comparable à celui qui l'avait assaillie quand elle était allée voir poser un homme nu, qui évidemment, par déplacement, me représentait : « J'étais complètement perdue, tout était sombre, la lumière avait baissé, je devais faire attention à mes gestes pour que l'on ne s'aperçoive de rien, j'avais peur de mourir. Enfant, j'ai éprouvé, bien des fois, la même sensation, cette affreuse angoisse que tout était modifié, que moi-même je n'avais plus aucune consistance, que j'allais me dissoudre sans que personne ne fasse attention à moi, mon obsession au moins ne m'inflige jamais les mêmes tourments. » Je voudrais ici, puisque l'occasion s'en présente, insister sur la manière dont les malades parlent de leurs obsessions lorsque l'analyse étant assez avancée, pour qu'ils aient retrouvé ces intenses orages émotionnels que GLOVER qualifie de sentiments préambivalentiels, ils puissent les situer par rapport au déchaînement des affects qu'entraînent leurs relations directes et non atténuées à leur thérapeute. En pensant à tous les cas qui m'ont servi à élaborer ce rapport, je ne puis +-qu'être frappé de leur opinion unanime : si pénible que soit l'obsession, elle est préférable à ces grands déchaînements affectifs qui s'accompagnent le plus souvent de ces sensations indicibles et ineffables de dépersonnalisation. J'ai déjà noté que Jeanne, quand elle éprouve ce malaise profond se raccroche à une occupation quelconque ou se prend à compter et l'on sait que la .rithmomanie est classiquement considérée comme' recouvrant les pensées agressives (BARTEMEIR). Monique déclare nettement que ces préoccupations obsessionnelles la défendent contre ses impressions d'émiettement ; le malade dont on lira plus loin l'observation accuse une certaine nostalgie de ses mécanismes obsessionnels, une autre malade, à laquelle je n'ai jusqu'ici pas fait allusion, présentait un ensemble symptomatique dont l'analyse n'est pas sans intérêt, je n'en rapporterai ici que les éléments absolument indispensables à la compréhension du rôle de l'obsession. Cette femme ayant une obsession relativement limitée, malade durant toute son existence, a présenté des crises obsessionnelles importantes chaque fois que les circonstances de la vie lui faisaient subir une frustration. La première crise a éclaté à la suite de l'interdiction qui lui avait été faite de rapports sexuels « réservés », cette crise cessa spontanément quand la malade renonça à toute pratique religieuse, elle connut une accalmie d'une dizaine d'années. La deuxième crise fut provoquée par la frustration involontaire que lui infligea son mari revenant de captivité, il ne put répondre à ses exigences sexuelles ; et elle connut une recrudescence de ces phénomènes morbides chaque année au moment de la fête de Pâques, époque de la communion obligatoire à laquelle elle était obligée de renoncer du fait même de sa maladie qui lui interdisait, par l'interférence de pensées agressives d'ailleurs, de recevoir le sacrement. J'ai pu me rendre compte que son équilibre dépendait étroitement de ses contacts affectifs avec des personnages significatifs les siens ou une femme élue, quand ces contacts sont mauvais, elle devient violemment agressive et se prive volontairement de toute communion affective avec son entourage, souffre terriblement de la frustration qu'elle s'impose, et c'est alors que l'obsession proprement dite fait son apparition, son thème même est éloquent, elle craint de voir Dieu, de marcher sur la verge du Christ, etc. Mais avant que l'obsession ne s'installe, comme Jeanne, elle essaie de se raccrocher à des occupations incessantes.
Dans tous ces cas la réaction obsessionnelle semble bien être à la fois la conséquence d'une violente poussée agressive, insupportable au sujet et la correction de cette poussée agressive elle-même non seulement parce qu'elle constitue un essai de satisfaction substitutive mais aussi dans la mesure où elle morcelle et tamise les violents affects dont l'intensité provoque ces états de dépersonnalisation dont je ne saurais affirmer qu'ils existent dans tous les cas, mais qui, de toute manière, comme on vient de le voir, sont extrêmement fréquents. La littérature analytique prête à la dépersonnalisation des significations variées tout aussi bien en ce qui concerne sa signification que son mécanisme ou les états psychopathologiques dans lesquels elle se rencontre. Un certain nombre d'auteurs, dont BERGMANN, SCHILDER soulignent qu'entre autres causes, ce symptôme peut être en rapport avec de violentes poussées agressives plus particulièrement orales sadiques ; dans les cas de névrose obsessionnelle que j'ai eu à traiter, il semble qu'il en ait toujours été ainsi. Évidemment obsession et état de dépersonnalisation peuvent à certains moments coexister, mais je ne crois pas que cela enlève sa signification de procédé de défense à l'ensemble de la technique obsessionnelle, il me semble que l'on ne peut qu'en conclure que la défense est en partie et transitoirement submergée par la violence des réactions émotionnelles, qui sont responsables à leur tour des phénomènes de dépersonnalisation. De toute manière, et quelle que soit la signification qu'on leur prête que ce soit celle d'un surinvestissement narcissique (FREUD), ou d'une insuffisance de la libido du Moi (FEDERN) ; ils témoignent d'une déficience, au moins passagère, de la structuration de l'ego.
Je pense d'ailleurs que cette manière de voir trouve une démonstration, par l'absurde dans les effets de Pintrojection, qui se développe dans un tout autre climat affectif et que j'appellerai l'introjection conservatrice.
Après que se sont développés, pendant un temps souvent assez long, ces fantasmes d'introjection avec fort investissement agressif de l'objet, apparaissent des fantaisies d'introjection avec fort investissement libidinal, qui au lieu de provoquer cette sorte de panique à laquelle j'ai tant de fois fait allusion, s'accompagnent d'un sentiment de plénitude, d'unité de force. L'un de mes malades me disait : « J'ai rêvé que nous avions un rapport sexuel, je participais à votre force et à votre virilité, j'avais le sentiment d'un épanouissement, d'une certitude, je n'avais plus peur, j'étais devenu fort, je vous portais en moi. »

Pour ne pas surcharger ce travail, je ne reviendrai pas sur les extraits que j'ai déjà fait des observations de Jeanne, de Pierre, et je n'anticiperai pas sur celle de Paul que vous lirez plus loin, je noterai simplement, ce dont vous pourrez vous rendre compte, d'ailleurs, en lisant ce dernier protocole, le fait qu'à mon sens l'apparition de tels fantasmes d'introjection conservatrice témoigne d'une évolution libidinale et s'accompagne d'une augmentation de la cohérence du Moi. Comme preuve de la première de ces assertions, je citerai simplement quelques paroles de Jeanne relatives aux sentiments qu'elle éprouve maintenant dans des relations sexuelles réelles ; je dois dire que, jusqu'ici, elle n'avait pu accepter sa féminité et si une première analyse avait diminué ses répugnances, elle restait néanmoins à demi frigide et s'efforçait d'éviter le rapprochement sexuel. Or, quelque temps avant de me confier ce que vous avez pu lire, elle me disait ceci : « J'ai eu une expérience extraordinaire, celle de pouvoir jouir du bonheur de mon mari, j'ai été extrêmement émue en constatant sa joie, et son plaisir a fait le mien. » N'est-ce pas caractériser au mieux des relations génitales adultes ; quant à l'affirmation de la cohérence du Moi, elle ressort non seulement de la disparition de la symptomatologie obsessionnelle et des phénomènes de dépersonnalisation, mais encore se traduit par l'accession à un sentiment de liberté et d'unité qui est une expérience nouvelle pour ces sujets.
Telle m'a paru être l'évolution de la relation d'objet dans la névrose obsessionnelle, au cours du traitement analytique et dans les cas heureux, car je ne voudrais pas que l'on retire de ce travail l'impression que je pense que tous les obsédés sont susceptibles d'une pareille amélioration, et même dans les cas les meilleurs avant qu'elle ne se stabilise, sous des influences accidentelles qui réactivent leur agressivité, se produisent des rechutes, chaque amélioration affermissant le Moi, d'ailleurs je devrais poursuivre mon exposé et montrer comment, à partir de cette identification très archaïque, s'instaure une identification génitale adulte ; l'observation qui suit montrera qu'à partir de ce moment de l'identification régressive peuvent être abordées les anxiétés de ce qui fut la période oedipienne.
Ce qui vient d'être dit sur l'évolution de la relation d'objet au cours du traitement m'a obligé à me poser trois questions :
I° Comment s'accordent les faits constatés avec la théorie sadique anale de la névrose obsessionnelle ?
2° Comment concevoir la résolution de la relation à distance en regard de la théorie classique de l'identification ?
3) Comment se représenter sur le plan théorique l'amélioration substantielle qu'entraîne l'introjection conservatrice ?
Le point de départ de la régression libidinale dans aucun de mes cas ne soulève de difficulté, chacun d'eux a éclaté qu'il y ait eu ou non des signes prémonitoires pendant la seconde enfance, au moment où la maturation sexuelle plus ou moins précoce a posé les problèmes correspondant à une réactivation d'un complexe d'OEdipe plus ou moins bien abordé, et dans certains cas à peine effleuré. Par contre, ce qui peut soulever une discussion, c'est le stade auquel s'est fixée la libido et auquel la régression s'est arrêtée, et l'on sait que BERGLER a situé le conflit d'ambivalence à l'époque orale du développement et qu'il a vu une reproduction de ce conflit dans toutes les situations de passivité imposée.
Je ne pense pas que les analyses d'obsédés que j'ai pu mener à bien me permettent de confirmer la théorie de BERGLER. Si dans un certain nombre de cas l'anamnèse révèle des difficultés variées de l'allaitement ou du sevrage et l'existence de signes d'inhibition orale certains, dans d'autres des traumatismes, paraissent plus tardifs. Je ne crois donc pas que l'on soit en droit de généraliser, comme je l'ai déjà dit d'ailleurs, d'autant plus qu'il est toujours difficile de situer avec certitude le moment d'une fixation comme GLOVER le fait très justement remarquer ; l'on ne peut guère compter sur la signification en soi des fantasmes, les tendances orales sadiques se retrouvant dans toutes les névroses d'ailleurs ; au surplus, et je crois que c'est là l'argument le plus important, ce qui compte dans un état pathologique, c'est sa structure et je l'ai déjà souligné en étudiant l'état actuel de la question, la structuré des relations d'objet et du Moi dans la névrose obsessionnelle est celle que l'on a toutes les raisons d'attribuer à la phase sadique anale du développement. Par contre, malgré que les intérêts de la sphère anale remplaçant ceux de la zone orale, l'enfant, soit naturellement amené, par l'apparition de cette nouvelle phase de l'évolution qui lui réserve des satisfactions substantielles, à se détourner définitivement de ses conflits antérieurs, il n'est pas exclu qu'il exprime à travers les difficultés de la phase anale des angoisses mal surmontées de la phase précédente, et c'est peut-être ce qui rend compte de la difliuence du Moi de certains obsédés et de la violence de leurs réactions à la frustration ou à l'introjection avec forte charge agressive, ainsi que du caractère très archaïque des identifications auxquelles ils se sont arrêtés.

L'on sait que pour FREUD l'identification primaire est représentée par l'introjection qui est profondément ambivalente, et possède toujours un caractère agressif; quant au processus de projection, il n'intervient pas dans le phénomène de l'identification, il est toujours passif. Je ne reprendrai pas ici les arguments de GRABER en faveur de l'inclusion dans la sphère de l'identification des phénomènes projectifs, toujours est-il que ce que j'ai constaté est en faveur de la thèse de GRABER, et qu'il y règne un chassé-croisé continuel d'introjection et de projection, et que d'ailleurs si l'introjection est le plus souvent active et la projection passive, le contraire existe aussi ; ce chassé-croisé me semble répondre au transitivisme auquel LACAN fait jouer un rôle important. C'est justement de ce jeu que dépendent à la fois les modifications que subit l'image que le sujet se fait de l'objet et ses propres modifications à lui.
La persistance chez l'obsédé d'une image archaïque ne peut se concevoir que comme un échec des identifications primaires, le sujet n'a pu dominer- les anxiétés correspondant à ses désirs relationnels archaïques et il avait la possibilité de solutionner cette difficulté, soit en réprimant presque complètement ses agressivités, soit en utilisant de façon prédominante les mécanismes de projection et d'introjection.- Dans le premier cas, il eut connu des troubles caractériels de la structure du Moi de type paranoïde (HENDRICK) et dans le second il devait, après régression, devenir un obsédé, c'est ce que ce travail tend à démontrer. La projection ne suffit pas toujours à empêcher cette carence du Moi qui résulte de l'absence d'intégration des agressivités primaires au Moi total et je crois que cette étude en est une démonstration. HENDRICK a remarqué que les fantasmes agressifs disparaissent quand l'identification difficile a été surmontée et que, précisément, l'intégration des agressivités primaires au Moi total s'est enfin réalisée ; cette thèse me paraît parallèle à celle de GLOVER, qui se représente la structuration du Moi comme le résultat des intégrations au Moi total des éléments nucléaires des premières phases du développement. Je pense que cette façon de voir permet de comprendre ces améliorations de la structure du Moi qui suivent les introjections conservatrices, pourvu que celles-ci soient en rapport avec la résolution du problème réel, c'est-à-dire après que se sont pleinement effectuées, grâce à une technique humaine mais stricte, les projections angoissantes nécessaires pour que l'identification surmontée, le renforcement du Moi, et une évolution pulsionnelle puissent dans les cas heureux se produire.

V L'OBSERVATION
Au Chapitre II de cet exposé, j'ai étudié la symptomatologie et les relations objectales de Paul ; aussi, me limiterai-je ici au récit de cet aspect de son analyse qui intéresse ce travail. Les traits caractéristiques de son comportement allaient en s'affirmant. Au fur et à mesure que le temps passait, il devenait de plus en plus violent et secret, s'éloignait de plus en plus de son frère et de son père, se battait avec l'un et refusait d'obéir à l'autre qu'il avait complètement dévalorisé. Puis un jour, il eut un rêve qui l'éclaira brusquement sur ses sentiments à l'égard de sa mère : « Elle se penchait sur moi et j'eus une éjaculation. » A partir de ce moment, il eut le sentiment d'être différent des autres, marqué par une faute indélébile, et s'interdit toute pensée, qui puisse de près ou de loin la mettre en cause. Et les obsessions s'installèrent progressivement.
Il me semble dans ce cas que la renonciation brusque aux relations libidinales génitales ait, de façon particulièrement manifeste, nécessité l'entrée en jeu d'un nouveau système de relations d'objet : Le système obsessionnel avec les substitutions, la symbolisation, l'isolation, les techniques de maîtrise magique et rationnelle que ces relations impliquent. C'est là un fait bien connu que l'apparition des phénomènes obsessionnels dans des circonstances identiques ; mais ici tout se passe de façon presque schématique. Le sujet peut maintenir à sa mère une relation vivante sur un mode atténué, ne l'obligeant pas à faire face à des affects trop puissants et trop rapidement changeants.
En effet si, de prime abord cette régression pulsionnelle et relationnelle semble être en rapport direct avec le sentiment de culpabilité et la crainte de la castration par le père, ici, perçue comme une condamnation sociale directe, elle fut aussi, et plus encore, déterminée par la forme même qu'avait conservé, du fait de fixations importantes, la sexualité de Paul, autrement dit par des angoisses de projection ; il me dira bien longtemps après le début de son traitement : « Ce qui reste pour moi chargé d'angoisse dans cet « OEdipe » c'est la manière dont j'étais attiré par ma mère. Je me reproche encore le fait d'avoir été poussé à sentir et à flairer ses vêtements les plus intimes et d'avoir eu une sorte d'envie de les mordre, ce qui me donne une impression de bestialité odieuse. Avant le rêve, je ne comprenais pas ce que cela signifiait mais après !!!

La technique obsessionnelle le protégeait de la situation dangereuse du rapport sexuel, dangereuse dans la mesure où elle impliquait une rivalité avec le père, mais aussi des relations orales destructrices avec l'objet aimé, qui était d'ailleurs lui-même une figure phallique terrifiante. Sa libido génitale était en effet très faible comme en témoigne la fixation dont je viens de parler ; j'ajouterai qu'il ne s'était jamais masturbé durant son adolescence, et que dans ses rêves même, il se retenait d'éjaculer. Quant à la résurgence de l'OEdipe dans le rêve, elle paraît ici plus en rapport avec l'intensité des tensions instinctuelles qu'avec une défaillance du Moi.
Pour rendre sensible cette suppléance par la relation obsessionnelle des relations génitales rendues impossibles par l'angoisse de la castration au sens le plus large du terme, je prendrai dans la symptomatologie de ce malade un exemple simple et facile à exposer : Soit l'obsession des zqnes. En usant du déplacement, le sujet avait transformé l'angoisse insurmontable que lui inspiraient les organes génitaux, jugés castrateurs de sa mère en celle plus aisément maîtrisable : de zones néfastes, le retour du refoulé étant possible sous cette forme symbolique et déplacée ; la zone néfaste représentait symboliquement, à travers une généralisation, qui en garantissait l'absence apparente de signification, la chambre où il s'était trouvé seul à l'âge de 4 ans avec sa mère, tout aussi bien que le cabinet de travail de son père ainsi qu'on le verra plus loin. La persistance de la relation objectale était encore plus étroitement notifiée par l'existence de zones néfastes sur son propre corps. Dans cette dernière formation il utilisait, sans s'en douter et en le modifiant à peine, un geste vulgaire dont la signification est bien connue : toucher un espace interdigital de la main gauche avec l'index de la main droite est une représentation symbolique du rapport sexuel. Quant aux techniques de correction de l'obsession leur signification est trop évidente, sous l'angle de cette relation symbolique, pour qu'il soit nécessaire d'y insister.
LA PREMIÈRE PHASE DE L'ANALYSE
Je passerai très rapidement sur le récit de la première année de l'analyse, non qu'elle ne fut vivante mais, parce que l'accumulation des procédés de défense destinés à éviter un contact trop intime avec moi, rend, du point de vue qui est celui de ce travail, moins démonstratif le matériel recueilli pendant cette période, je ferai simplement allusion à son comportement stéréotypé, à ses procédés de défense habituels : Isolation, annulation, tabouisme.

J'étais pour lui un personnage terrifiant, assimilé avant tout à ce médecin sadique qui attirait chez lui des malheureux qu'il torturait et dont il brûlait ensuite les corps, mais aussi à un juge intègre et sévère; mon action pouvait s'exercer d'une façon mystérieuse et s'il dressait entre nous une barrière magique qu'il construisait avec son manteau ou ses livres qu'il plaçait sur le divan du côté le plus proche de moi, ce n'était pas seulement pour me protéger de Son agressivité mais aussi pour se soustraire à la mienne. S'il ne l'eut pas fait, il aurait dû faire face à une angoisse qui eut peut-être été insurmontable, ce qui prouve bien, s'il est encore nécessaire d'en fournir une preuve supplémentaire, que l'ensemble des procédés obsessionnels assure au sujet la possibilité de maintenir une relation d'objet qui garde même dans les cas les plus sévères, au moins sur le plan intérieur, une certaine réalité. A l'abri de sa barrière et de tous ses autres procédés de défense, il pouvait ne pas perdre le contact avec moi.
Le sens général de son attitude durant les premiers mois fut celui d'un masochisme terrifié, il était sans défense : devant un magistrat à qui il n'osait avouer ses fantaisies sexuelles, devant un médecin cruel qui pouvait se précipiter sur lui d'un instant à l'autre ; il apporta à ce moment un matériel oedipien d'abord symbolique, puis de plus en plus précis mais toujours objectivé sans aucune émotion, il me disait bien qu'il avait honte, qu'il était coupable, qu'il avait peur mais rien dans son ton ou son attitude ne trahissait quoi que ce soit de vécu.
Puis il produisit toute une série de fantaisies : de luttes, de duels avec moi où il se défendait victorieusement, m'assassinait, me détruisait. Ces fantasmes firent leur apparition d'abord timidement, puis de façon de plus en plus claire, enfin s'imposèrent avec une telle fréquence qu'ils servirent sa résistance.
Ils se développèrent dans un contexte oedipien : « Je fus successivement l'homme que l'on fuit en compagnie d'une femme, à qui l'on vole ses organes génitaux, le Roi que l'on poignarde au milieu de sa Cour. » Je les laissais se développer pendant un temps assez long et c'est ainsi qu'ils se transformèrent. Ils devinrent plus actuels, plus dépouillés, en rapports plus directs avec la situation analytique, on peut approximativement les classer ainsi :
I° Des fantaisies de rapprochement passif : « Je vous entends tousser et cracher, je sens votre crachat couler dans ma gorge... vous venez de remuer, j'ai l'impression d'avoir remué aussi... vos organes génitaux sont au contact de mes lèvres... j'ai le sentiment d'être affreusement distendu par une pénétration anale... » Dans toute cette série de fantaisies il avait une attitude complètement passive, l'on ne peut manquer de les rapprocher de certaines de ses obsessions de castration. L'on y trouve la même tendance à ressentir sur lui ce qui se passe chez autrui : « J'ai le sentiment que vous avez penché la tête et que la mienne s'est penchée de la même manière... »; 2° Des fantaisies de rapprochement actif : « Je mords votre sexe, j'ai des rapports sexuels avec vous en jouant un rôle actif, je vous prends ce qu'il y a à l'intérieur de votre corps, je vous prends dans mes bras et je vous embrasse violemment... je vous prends votre sperme et je le bois... » J'ai employé à dessein le mot de rapprochement ne voulant pas établir une distinction rigide entre projection passive et introjection active. Ce point a déjà été abordé dans le chapitre précédent et je n'y reviendrai pas, je dirai seulement que dans ce cas, comme dans tous les autres d'ailleurs, il existe des phénomènes d'introjection passive : « Je sens votre sexe se placer sur mes lèvres... » et des phénomènes de projection active : « Je bondis hors de ma peau pour me jeter en vous. » Mais surtout projections et introjections sont intimement entremêlées, il me semble difficile de séparer les deux processus : s'il m'introjecte et se sent ensuite en danger, c'est par une projection préalable d'une partie de lui-même qu'il a pu me rendre agressif et dangereux,
Ce qui me paraît pratiquement plus important, c'est le contexte affectif qui entoure ses fantaisies. D'abord elles se manifestèrent sans aucune teinte affective, puis le sujet s'en défendit avec dégoût et terreur, enfin il en éprouva à la fois du plaisir et de l'angoisse. Je crois inutile de multiplier les exemples, d'ailleurs j'aurai l'occasion, plus loin, d'en rapporter un autre en étudiant l'aspect de « résistance » de ces fantaisies. Je dois noter toutefois que peu à peu s'établit une sorte de division de mon corps en zones de valeur différente : mon pénis fut l'objet de visées d'incorporation accompagnées de plaisir et d'un sentiment de réconfort, tandis que celles qui avaient trait aux contacts anaux furent toujours ressenties avec dégoût et redoutées comme dangereuses et même mortelles. Peu après, il me fut possible de lui rendre sensible le côté résistance de ses imaginations, il lui arriva en effet de se souvenir des propos grossiers de son grand-père ou de ses camarades. Il ne les répétait jamais et se servait toujours d'une périphrase. Je le lui fis remarquer, il ne le reconnut d'abord qu'avec difficulté, mais bientôt se convainquit qu'une telle conduite était significative ; j'avais remarqué en effet et lui avec moi, qu'il redoutait d'entendre qui que ce soit employer ces expressions, ces mots qui « le blessaient » et effectivement il ressentait une anxiété analogue à celle qu'il éprouvait devant la nécessité de porter un vêtement taché ou de conserver un objet personnel altéré ; il était menacé dans sa personne, et symboliquement blessé, castré, il se sentait diminué, impuissant, en danger, comme s'il avait reçu physiquement une blessure, et il éprouvait immédiatement une violente réaction de haine contre le coupable ; s'il s'interdisait, comme je viens de le dire, d'employer des expressions de ce genre, c'est qu'il craignait les conséquences d'une telle agression et pour lui et pour autrui ; et la formule indirecte lui permettait de satisfaire à peu de frais ses besoins d'agression, comme d'ailleurs de tendresse : « Je puis tout vous dire à travers mes images, mais dès qu'il s'agit de vous parler plus directement, plus concrètement dans le langage de tout le monde, j'ai peur. Comme je vous raconte mes imaginations sans y participer ou en me laissant aller le moins possible, ce qu'elles auraient de trop violemment affectif ne se manifeste pas. » A partir de ce moment, il fut plus direct, ses fantasmes d'introjection prirent un tour plus violemment agressif. Il eut à cette époque, concurremment, de nombreuses fantaisies de destruction par flattus émanent de lui ou de moi, des phénomènes de dépersonnalisation stéréotypée qu'il qualifiait de troubles de l'accommodation qui accompagnaient ces diverses fantaisies, tout aussi bien celles d'introjection avec fort investissement agressif que celles de réjection destructrice : « J'ai eu le sentiment, je ne sais pas pourquoi, que vous étiez irrité et sévère, je vous en ai voulu, je vous ai expulsé hors de moi, je vous ai vomi et tout m'a semblé étrange, dans une atmosphère lourde et angoissante, vous m'avez paru très loin, la table n'était plus à sa place, je vous entendais parler d'une voix blanche... c'est intraduisible. »
Maintenant le transfert changeait de signification. Plusieurs rêves de duel rigoureusement identiques à ceux au cours desquels il se battait avec moi, mirent en cause sa mère, qui se trouvait en mes lieux et place, puis elle fut l'objet de plusieurs rêves dans lesquels elle présentait des caractères phalliques, ce qui confirma l'émergence de l'imago maternelle phallique dans le transfert. Un peu plus tard vint le rêve qui devait clore cette période, après que furent rapportées quelques fantaisies oniriques de rapprochement sexuel avec la mère, le voici-: « J'ai embrassé la poitrine de ma mère. » J'eus, à ce moment, l'intuition qu'il me cachait quelque chose d'important et lui dis qu'il avait toujours peur et employait toujours son procédé de neutralisation affective, il me répondit : « C'est vrai ! » D'abord il y avait dans le rêve une confusion entre ma mère et moi, je portais ses seins, mais en même temps, ils restaient les siens — ce que j'éprouvais ? : « La fin de tous mes tourments, je pense que c'est ce que doit ressentir un bébé, une sensation ineffable et indicible d'union, plus rien n'existe, tout est fini, consommé, le sentiment de l'union que j'ai toujours souhaité avec la femme idéale de mes rêves, un sentiment de béatitude, de bonheur parfait, une absolue confusion », et il ajouta : « Je dois vous dire aussi que je m'imagine avoir un sexe comme une femme, je ressens une impression très douce de pénétration et c'est absolument comparable ! » Il n'y avait que des sentiments de bonheur dans ce fantasme qui ne comportait aucune destruction, semblable en cela aux fantaisies de succion des mélancoliques d'ABRAHAM. Cette sorte d'introjection que l'on pourrait peut-être qualifier de passive me paraît beaucoup mieux mériter le nom de conservatrice. N'a-t-elle pas des traits communs avec la communion religieuse où l'on avale sans mâcher ; le changement de forme du fantasme traduisant seulement, comme je l'ai fait remarquer plus haut, une modification capitale dans l'affectivité du sujet, elle provoque chez Paul, le même sentiment de force et d'identification à l'être idéal générateur de toutes les puissances. Et ceci se traduira concrètement, d'une part en effet dans les semaines qui suivirent il passa avec succès un examen comportant non seulement un écrit mais aussi un oral, et embrassa une jeune fille pour la première fois de sa vie ; d'autre part, sur le plan analytique, il renonça presque complètement à ses techniques d'isolation ; l'un de ses besoins narcissiques fondamentaux était satisfait ; l'objet introjecté n'était plus mauvais ni dangereux, le désir de l'absorber ne se heurtait plus à une défense narcissique exaspérée. Bien au contraire, la possession de cet objet apportait un appoint considérable à ce même narcissisme. Devenu moins agressif, parce qu'il avait surmonté les anxiétés liées à l'acceptation de sa propre image reflétée par l'analyste, le sujet n'avait plus à projeter sûr l'objet de son désir ses propres caractéristiques agressives. Le cercle vicieux névrotique se trouvait rompu comme si une sorte de satisfaction symbolique eut pu progressivement atténuer le sentiment de frustration, jamais apaisé jusqu'ici qui donnait à la pulsion orale régressive toute sa qualité destructrice, et que sa signification libidinale ait pu enfin se dégager.
LA DEUXIÈME PHASE DE L'ANALYSE
J'ai donné tous ces détails sur l'entourage, l'anamnèse et la symptomatologie de l'affection de Paul, ainsi que sur l'évolution de l'analyse jusqu'à ce point, de manière à ce que vous ayez un tableau aussi exact que possible de ce cas et que ce qui va suivre puisse tout naturellement se situer dans un contexte précis. Je voudrais, en effet, vous exposer maintenant les interrelations qui m'ont paru lier, de façon assez démonstrative, le Moi dans son degré de cohérence et les pulsions dans leur dynamique du moment, les variations parallèles de ces deux dimensions de la personnalité étant elles-mêmes en relation étroite avec le style des relations d'objet. La faiblesse du Moi fait que toute frustration est encore plus insupportable et moins tolérable, celle-ci, à son tour, rendant plus sensible le défaut de structuration de la personnalité, en détruisant l'état d'équilibre instable dans lequel elle se trouve, ce qui aggrave derechef sa sensibilité à de nouvelles frustrations. Ceci est particulièrement sensible quand il existe des phénomènes de dépersonnalisation, conséquence directe des frustrations subies, en même temps que témoin de la fragilité du sujet. Mais un processus analogue, quoique moins apparent, peut être détecté dans les cas où il faut une analyse minutieuse pour découvrir l'équivalent atténué de ces troubles de la cohérence du Moi. Quant à la forme obsessionnelle dès relations d'objet, elle prend alors toute sa signification, puisqu'elle est la seule procédure susceptible d'atténuer ou même de neutraliser ces frustrations capables, si elles n'étaient aménagées, de précipiter la déchéance du Moi.
J'ai pensé à vous exposer successivement l'évolution des divers aspects de la personnalité auxquels je viens de faire allusion, mais outre que j'avais le dessein de vous présenter les faits de façon aussi synthétique que possible, ils m'ont paru, de par la nature même de leur interrelation si étroitement mêlés, que je me suis décidé à suivre l'ordre chronologique qui vous permettra de suivre de façon plus aisée la courbe générale de la cure, sans que soit artificiellement dissocié ce qui, dans le temps, se trouve étroitement uni : transfert, relations d'objet dans la vie, répartitions pulsionnelles, état du Moi, résistances.
Deux événements essentiels ont marqué, pendant cette phase de l'analyse, la vie de Paul ; je les prendrai comme point de repère : ces deux événements, en face desquels l'attitude du malade me parut étroitement déterminée par les progrès de la cure, furent : l'évolution d'une liaison sentimentale et un échec à un concours.
Paul connaissait depuis quelque temps une jeune fille que je prénommerai Geneviève, dont je dirai simplement qu'à travers les récits du malade, elle m'apparut douce, intelligente, aimante, sans attitude névrotique accentuée. Ce n'était pas le premier essai d'intimité avec une femme qu'il tentait depuis le début de son traitement, mais jus- qu'ici, après s'être traînées plus ou moins longtemps, ces relations avaient toujours tourné court, et il n'était pas difficile de voir que l'angoisse que la femme inspirait à mon malade en était la raison, mais comme vous le savez, Paul embrassa Geneviève ; mon exposé sera plus facile si je le situe par rapport à l'établissement entre eux de relations sexuelles ; leur flirt s'échelonna sur plusieurs mois et prit, dès l'abord, une allure un peu particulière. Paul en effet donna à la maîtrise qu'il tentait de s'assurer de la jeune fille, les caractères que l'on devait tout naturellement attendre, c'est-à-dire qu'il fut, disons, sadique, d'un sadisme très anodin d'ailleurs et beaucoup plus symbolique que réel ; mais enfin, d'une part, il pratiqua sur elle toutes les prises de judo qu'il connaissait, ne dépassant pas d'ailleurs le stade de la démonstration, d'autre part, il chercha à la dominer intellectuellement, puis il éprouva pour elle une attirance sexuelle plus précise que celle qui l'avait poussé à l'embrasser.
A ce moment le transfert pour un temps changea de signification : le malade parut hésitant et je compris qu'il cherchait à me dissimuler les progrès de sa relation amoureuse : « Cela me gêne... j'ai une difficulté à vous dire que j'ai des relations plus intimes avec Geneviève... », mais cela fut très court et je devins l'alter ego de Geneviève par une sorte de transposition vraiment saisissante ; mais ce qui nous intéresse davantage ici ce sont ses relations psychologiques avec sa partenaire. Il avait peur de l'aimer, de souffrir tout autant psychologiquement que physiquement, d'ailleurs la suite de l'analyse le montra, il projetait très exactement dans cette nouvelle relation ce qu'il avait vécu avec sa mère, ce que je savais déjà, et qu'il avait déjà revécu dans Je transfert vis-à-vis de moi. Mais après ce « nouveau début » auquel j'ai fait allusion plus haut, il lui était possible de me donner toutes les nuances affectives de ses relations et avec elle et avec moi : « Geneviève a changé mon existence, elle est comme un point lumineux dans ma vie sombre et triste, mais j'ai peur, j'ai peur qu'elle n'éprouve pour moi que de la pitié ou qu'elle m'aime en me dominant, elle est très intelligente, très subtile, elle a une force de caractère analogue à la mienne, un orgueil aussi puissant que le mien. Je m'efforce de lui montrer dans nos relations de « discussion » que je suis plus fort qu'elle sur le plan de l'intelligence pure, je tiens à avoir le dernier mot dans chacune de nos polémiques parce que je me sens toujours en danger d'être méprisé ou dominé, j'ai peur de souffrir de sa supériorité ; à ce moment-là je cherche ce qu'il y a de plus blessant, de plus susceptible de la faire souffrir, je tiens à me venger. Sans trop de peine je lui ai fait sentir que physiquement je la dominais, je veux la réduire à merci sur le plan de la pensée. »
Avec moi aussi, il en use de la même manière : « Vous me paraissez intelligent, et je ne puis m'empêcher de craindre votre supériorité, aussi j'essaie d'avoir raison, de vous entraîner dans des discussions, de faire étalage de ma culture littéraire, j'ai en effet une répugnance invincible à l'idée que vous puissiez me dominer. Ce qui me rassure avec Geneviève c'est qu'elle n'est pas très jolie;, ainsi je ne serai pas pris de toutes les manières ; hier soir au théâtre j'ai tout au contraire trouvé qu'elle avait un visage fin et très agréable, j'ai tout de suite pensé : « Mon Dieu ! Si je tombais amoureux d'elle, je serais tout à fait perdu, il faut que je me garde, j'ai alors immédiatement cherché quels pouvaient être ses plus gros défauts physiques et je me suis efforcé de les exagérer. »
« Hier, je me suis disputé avec Geneviève, elle m'avait tenu tête et j'ai fait un cauchemar la nuit suivante : j'étais avec une femme très belle, grande, forte et autoritaire, ce n'est pas la femme idéale dont je vous ai si souvent parlé et qui est plus douce, plus fine, tout en gardant une élégance de raisonnement et un cerveau d'homme : celle-là était plus impérieuse, elle s'est précipitée vers moi et a découvert une verge énorme, je me suis réveillé en sursaut, j'avais la terreur que sous sa pénétration mon corps n'éclate tout entier, j'avais une crise de suffocation et je dus appeler mes parents. » Ainsi, ce personnage phallique qui le fascine et qu'il recherche, qui est son seul partenaire possible et dont il s'écarte constamment telle est l'imago qui se profile derrière Geneviève et qui rend si difficiles, si inquiétantes ses relations avec elle.
« Geneviève m'est indispensable, j'ai besoin qu'elle soit là, près de moi, ne croyez pas que je désire seulement échanger quelque chose avec elle, non c'est plus que cela, j'ai besoin qu'elle m'accompagne, qu'elle soit là, qu'elle m'écoute ; hier j'ai voulu tenter une expérience (en réalité il avait été blessé par une inattention quelconque de sa part). J'ai décidé de ne pas la voir, de me libérer d'elle, j'ai retrouvé cette sorte d'étrangeté dont je vous ai parlé : un manque de contact, une inquiétude sourde, tout était noyé dans une sorte de brouillard, du coton, tout était triste, désert, j'étais obligé de faire attention à tout, il fallait que je surveille mes gestes, il n'y a que les femmes de son genre qui m'intéressent ; une femme douce et exclusivement féminine est pour moi un être sans signification fut-elle très jolie, il faut qu'elle me soutienne. Si je fais le tour de son intelligence et que je la découvre médiocre, alors tout s'évanouit, sa beauté, ses attentions ne comptent plus, elle est complètement dévalorisée, la femme idéale de mon rêve est un mythe puisque je lui prête des qualités contradictoires, elle est puissante-tout en ne me faisant pas peur. »
C'est une réaction que j'ai trouvé quasi constante chez les obsédés, ils ne s'intéressent qu'aux personnages qu'ils jugent puissants hommes ou femmes, et du fait même de la puissance qu'ils leur prêtent, ils les redoutent et ne peuvent s'abandonner à eux ; telle est en première analyse l'expression de ce dilemme auquel j'ai tant de fois fait allusion ; ils ne peuvent, dans l'état actuel de leur organisation psychique, arriver à le résoudre. La faiblesse de leur sentiment de soi est telle qu'elle les pousse à rechercher toujours un personnage dominateur à aimer, et le sentiment qu'ils ont de cette dépendance aggrave leur insécurité et altère encore chez eux le sentiment du Moi selon l'expression de FEDERN. Dans mon cas, les phénomènes de dépersonnalisation qui accompagnent la frustration que, dans la circonstance rapportée plus haut, le malade s'était imposé lui-même, mais qui peut tout aussi bien venir du dehors, ces phénomènes qui se produisent aussi lors d'un contact trop intime (introjection destructrice) donnent au tableau clinique une allure très spectaculaire, voire dramatique, mais même dans d'autres cas, où ils manquent apparemment, la trame de la relation d'objet est la même. Pierre par exemple me dit : « Vous avez raison, je ne puis avoir de relations homosexuelles qu'en imagination et avant tout parce que dans la réalité j'aurais bien trop peur d'être dominé, et encore faut-il qu'en rêve je dose minutieusement les forces, en présence. »
Ainsi, ils ne peuvent s'attacher qu'à celui qui les rassure, mais qui leur fait en même temps peur. Cette situation de dépendance analogue à celle de leur petite enfance réveille en effet les angoisses attachées aux fantasmes infantiles qu'ils projettent sur leur interlocuteur actuel, comme je me suis efforcé de le démontrer. Et c'est là l'expression profonde du dilemme obsessionnel. Ce rêve de la mère phallique s'accompagnait d'une crise de dyspnée qui reste pour mon malade beaucoup plus angoissante que toute autre manifestation morbide, même que l'état de dépersonnalisation, or tout enfant et glouton il s'étranglait fréquemment au cours de la tétée, ce qui semble d'ailleurs confirmer les vues de BERGLER qui souligne l'importance des relations mère-enfant du tout premier âge.
Cependant Paul revit dans le transfert une situation analogue : « C'est terrible d'avoir le sentiment de dépendre de quelqu'un comme je dépends de vous. Dans cette période pénible de rupture « expéri« mentale » j'ai pensé à vous. » Suit le récit d'un fantasme d'incorporation : « Je sais que je ne puis vivre seul et cela me crée un malaise indéfinissable, je ne suis pas libre, je suis à la merci de vos moindres réactions et le cours de mes pensées est orienté par l'expression de votre visage ou la nuance que je crois trouver dans votre poignée de mains. C'est exactement comme avec Geneviève, je passe mon temps à essayer de tester, votre humeur, aujourd'hui vous m'avez accueilli froidement, j'ai immédiatement pensé : une idée désagréable va me venir à son sujet, puis, je vais émettre un flattus, puis j'ai eu la sensation ou l'imagination que votre sperme me coulait dans la bouche avec un sentiment de dégoût extrême, un besoin de vous rejeter une sorte de hoquet intérieur : vous écarter violemment avec un coup de poing, éliminer tout ce que vous avez pu m'apporter quelque chose comme : vous défoncer la poitrine à coups de pieds, vous piétiner, vous réduire en fragments, vous faire disparaître. » Ici, l'on saisit sur le vif le désir d'incorporation agressif suscité par la frustration imaginaire puis la réaction anxieuse à cette introjection et la réjection exaspérée qui l'accompagne : « A d'autres moments, je pense que vous avez un bon sourire, peut-être avez-vous plaisir à me voir, peut-être me trouvezvous intelligent, bien fait, et alors j'ai un sentiment de tendresse immense envers vous, quelque chose de profond, de chaud, qui me pousse à imaginer que je vais vous rencontrer dans la rue, j'aurais plaisir à vous ressembler, je me vois volontiers dans un fauteuil comme le vôtre, je m'imagine que vous m'embrassez, que ce qu'il y a dans votre bouche passe dans la mienne comme quelque chose de précieux qui me donne la vie. Je suis frappé de la transposition que je fais continuellement de Geneviève à vous. » Il passe en effet au même moment dans sa relation amoureuse par des oscillations extrêmement rapides d'enthousiasme et de refus ; il craint toujours d'être dominé et frustré et sa peur le poussant, témoigne d'un désir d'omnipotence infantile tout à fait caractéristique ! Geneviève doit penser comme lui à la même minute. C'est d'ailleurs dans une certaine mesure ce qui se passe, ils ont les mêmes goûts, beaucoup d'opinions semblables, mais il y a autre chose qui ne le satisfait pas, elle ne l'aime pas d'un amour absolu au sens métaphysique du terme. C'est vrai, dit-il, tout est relatif et je comprends la différence que vous faites entre l'absolu humain et l'absolu que je souhaite, je suis un. enfant. C'est absurde, je m'en rends bien compte mais je ne peux pas m'en empêcher, je suis même jaloux de l'affection qu'elle porte à sa mère ; quand elle veut rentrer chez elle, je m'efforce de la retenir par n'importe quel procédé. Je suis saisi d'une rage folle, d'un besoin de violence indescriptible. Cela m'étouffe, je gronde intérieurement, j'affecte un air glacial... le même besoin que dans mon enfance de tout refuser parce que l'on me contrarie en quoi que ce soit... c'est d'ailleurs la même chose avec vous... Il fit à ce moment un rapprochement : « C'est saisissant quand mes parents sortaient, et qu'ils me laissaient à mes grands-parents, je devais avoir 2 ans. Je me rappelle encore de mes colères quand je m'apercevais qu'ils étaient partis et que mon grand-père m'avait trompé, je l'aurais tué si j'avais pu, c'est pour cela que je suis irrésistiblement poussé à retenir Geneviève. » J'ai assez insisté je pense sur l'extrême dépendance de ce sujet vis-à-vis de moi comme de son amie, et je voudrais maintenant aborder un autre aspect de ses relations d'objet : « Je me suis aperçu que je pouvais sans angoisse toucher quelques parties du corps de Geneviève, par contre j'ai plus ou moins senti confusément son sexe sous sa robe ; immédiatement j'ai eu un sentiment analogue à celui que j'éprouvais quand je pénétrais dans une zone dangereuse et qu'accompagnait l'idée d'avoir la main ou le bras coupé. » Le corps de la jeune fille est donc divisé en zones : non dangereuses dont on a le droit de jouir, et en zones interdites dont le contact évoque un danger de castration ; j'ai déjà noté que le corps du sujet lui-même est divisé de cette manière. Au plus fort de sa maladie il avait imaginé que l'espace interdigital entre son médius et son index gauche était une zone néfaste, et lorsqu'il touchait cet espace de son index droit il devait « annuler » ce geste ; cette zone qui se révéla être représentative du sexe féminin peut prendre comme on le verra d'autres significations, tout le processus aboutissant à réaliser un contact symbolique entre l'objet de son désir et lui-même.
Un jour où il lui avait semblé que j'étais particulièrement de mauvaise humeur, et où il s'était demandé quelle faute il avait bien pu commettre envers moi, faute qu'il s'était représentée comme un acte d'agressivité anale, il produisit le fantasme suivant : « Je sens tout d'un coup ma main gauche gonfler », ce qui le fit penser à une érection, mais il eut dans le même moment la pensée qu'il mordait à pleine bouche dans une balle de caoutchouc mousse, ce qui par association évoqua la boule brillante qu'enfant il voyait dans les cafés et qu'il considérait comme un objet précieux, il en faisait un attribut viril « les garçons de café (personnages ambigus puisque nourriciers), s'en servent », de là il glissa sans savoir pourquoi au coin d'une cour de leur deuxième habitation qui revient souvent dans ses associations : « Cette main dit-il est une main de femme étrangère à moi, et pourtant appartenant à mon corps et que je tiens tendrement dans ma main. » A ce moment, il soutenait sa main gauche de sa main droite ensuite il continua :
« C'est aux confins de la folie. » J'interprétais cette confusion comme une survivance de l'époque où l'enfant différencie mal son corps de celui de sa mère, il conclut alors : L'énorme boule, c'est le sein de ma mère et mon autre main qui serrait tendrement cette main-boule, c'est ma petite main d'enfant qui essaie de maîtriser l'énorme sein d'où la sensation de mordre dans une balle de caoutchouc mousse ; l'on saisit le rapprochement qui peut être fait entre ce fantasme et celui de l'index droit pénétrant l'espace interdigital gauche : la petite bouche phallique mordant le vagin féminin (HENDRICK) ; je n'attacherais pas une grande valeur à cette interprétation si le sujet n'avait spontanément ajouté : Étrange « je pétris le sein de Geneviève avec mes doigts pour le faire entrer en moi, à travers ma peau, comme une pommade. Posséder réellement une femme, c'est la faire pénétrer en soi, l'incorporer, c'est cela l'amour, mais je suis toujours déçu ce n'est qu'un rêve »...
Je ne poursuivrai pas l'énumération de ces fantaisies de division des corps en zones comme celles de l'espace. En tout cas, en entendant un tel malade, on ne peut s'empêcher de penser aux fantaisies de corps composés dés analystes d'enfants.
Sans doute en écoutant ou en lisant cette observation, aurez-vous le sentiment que le Moi de ce sujet est bien débile, et qu'un autre diagnostic aurait pu être porté. Je vous rappellerai seulement qu'il réagissait vigoureusement contre de telles impressions, et que tout un système obsessionnel en assurait le contrôle et la maîtrise. Toujours ce sujet a su considérer ces phénomènes comme morbides et les ressentir comme des pensées étranges, des impressions bizarres. D'ailleurs SCHILDER nous a familiarisé avec l'existence de phénomènes de dépersonnalisation chez les obsédés, les plus authentiques. En conclusion et pour en terminer avec ce moment de l'analyse, je dirai :
1) Que son Moi était certainement faible, mais non psychotique. Qu'il connaissait des expériences de dépersonnalisation intéressant aussi bien le monde externe que la perception de soi, que ces phénomènes étaient devenus infiniment moins fréquents et d'une thématisation beaucoup plus précisé, à la suite d'un long travail analytique qui avait défait les mécanismes d'atténuation de la relation à distance en familiarisant le sujet avec la véritable signification de cette relation.
2) Que l'existence de tous ces fantasmes témoignait de la régression massive de l'organisation pulsionnelle au stade sadique anal avec visées d'incorporation particulièrement orales ; qu'à cause de la faiblesse de son moi, ici plus particulièrement sensible, la « distance » dans sa relation prenait un caractère de nécessité d'autant plus aiguë, que du fait de la régression d'une part et de la projection de l'autre, le rapprochement nécessaire ne pouvait qu'être esquissé.
Avant de vous relater les conséquences de l'établissement de relations sexuelles dans ce couple, je voudrais rapporter un incident qui, à mon sens, montre précisément cette sorte de correspondance qui s'établit entre l'analyste et l'analysé dans un cas de ce genre, et que l'on pourrait être tenté d'attribuer au pouvoir magique prêté au médecin par le malade. En l'espèce je pense qu'il s'agit simplement d'un phénomène relevant de l'identification toujours plus puissante depuis le fantasme d'introjection du sein, puis du pénis, qui a marqué le début de cette phase de l'analyse. Je faisais, pour la ne fois, remarquer à mon patient qu'il utilisait toujours sa barrière magique, il me rétorqua qu'il y avait longtemps qu'elle n'avait plus, pour lui, aucune signification et je me rappelle que j'avais désigné du doigt les livres qui, ce .jour-là, lui servaient de rempart et le lendemain sans commentaire, il me dit qu'il avait pour la première fois touché le sexe de la jeune fille et qu'il avait éprouvé une vive angoisse; je pense qu'il avait touché la barrière, alors qu'à la séance précédente je l'avais montrée du doigt. Il m'était facile de lui faire sentir toute l'angoisse qu'il mettait entre Geneviève et lui et le travail analytique progressait ; il eut avec elle une première expérience sexuelle qui le déçut, d'autant plus qu'il s'aperçut qu'il sourirait d'une éjaculation asthénique et qu'il avait la crainte d'avoir provoqué une grossesse. Pour ne pas être tenté de commettre à nouveau la même faute, il renonça à sa chambre d'étudiant ; je pus démonter les raisons qu'il se donnait et lui prouver que réellement son angoisse enfantine d'être dévoré par la femme était l'un des principaux motifs qu'il avait de s'éloigner de Geneviève; quelque temps après il tenta une nouvelle expérience qui eut les conséquences les plus importantes, quoique transitoires en partie : « J'ai, dit-il, ressenti une impression de puissance extraordinaire, j'avais et j'ai depuis un sentiment de plénitude, de force, d'unité, de liberté, d'indépendance, je vis seul dans l'appartement familial, j'ai dû, par suite du manque de transports, faire 8 kilomètres à pied, dans un quartier mal famé, moi qui avait toujours la hantise d'être attaqué, je n'avais plus peur, je prenais des précautions normales en marchant au milieu de la chaussée, c'est tout. Chez moi, il y a une place dans le couloir sur laquelle je ne marchais pour rien au monde : l'impression, disons l'imagination, que le cercueil de mon frère est toujours là et qu'une vapeur tremblotante se dégage du sol ; je n'y ai même pas pensé ! » Il se sent fort, puissant, gai : « Non pas de cette exaltation morbide ou presque qui me prend par période, mais d'une tranquillité calme, solide, Geneviève voyez-vous me paraissait indispensable et ma dépendance vis-à-vis d'elle m'oppressait ; elle était, puisque je me croyais absolument incapable de conquérir une autre femme, la preuve vivante de mon infériorité, maintenant cette sorte de preuve absurde de ma déchéance, que je trouvais en elle, a disparu; j'ai le sentiment que toute la vie, toutes les femmes sont ouvertes devant moi et je pourrai aimer Geneviève puisqu'elle n'est plus pour moi castratrice malgré elle. » Il était tellement heureux d'avoir cette femme totalement, complètement à lui dans un hôtel inconnu et il enchaînait : « J'ai la certitude qu'enfant, à 4 ans, j'ai eu la même joie tumultueuse, violente, féroce, quand je couchais seul avec ma mère dans cet hôtel dont je vous ai parlé, je l'avais à moi, bien à moi ; je suppose que j'ai couché dans son lit, en tout cas il y eut quelque chose de formidable dans ma joie et mon orgueil, l'exaltation de ma puissance, puisque je pourrais vous décrire cette pièce pourtant banale avec des meubles quelconques, comme si j'en avais la photo sous les yeux. Pendant toute mon enfance, elle a été le centre de toute une série d'imaginations et de rêveries tirées d'un roman La main du diable. Tiens ! je ne sais pourquoi j'ai mis ce titre sur un conte qui ne le porte pas, toujours est-il qu'il y était question d'un vase qui contenait un diablotin et qui conférait à celui qui le possédait, la toute-puissance, seulement le dernier possesseur de ce vase est damné. » Il me fait remarquer que, sans doute, ce qu'il cherche désespérément dans ses voyages, c'est cette chambre et sa mère dedans (il est, en effet, presque compulsivement poussé à partir à l'étranger dès qu'il a un moment de liberté). Et il est particulièrement intéressé, bien qu'en en ayant peur, par les quartiers louches où il trouve des marins qui pourraient lui vendre un vase magique comme celui du conte. Au cours des séances qui suivirent, la signification d'une de ses obsessions les plus importantes apparut clairement : Celle de la division de l'espace en zones ; j'y ai déjà fait allusion plusieurs fois, cette division reposait sur un double déterminisme, la zone néfaste représentait sur le plan prégénital anal celle d'où peut sortir quelque chose de mauvais ; sa signification génitale était en rapport avec le thème du remplacement du père auprès de la mère : « Dans notre appartement de X... il y avait deux couloirs à angle droit, tout comme devant notre maison de campagne il y a deux routes qui se croisent. Enfant, je m'imaginais par jeu que l'une des branches de l'X... était zone dangereuse, mais plus enfant encore je situais la chambre de l'hôtel à la place du cabinet de mon père dans la branche de la croix, faite par les couloirs, qui correspondait à la situation de la zone dangereuse à la croisée des chemins. » Il marquait ainsi très précisément son' désir de remplacer son père doublement auprès de sa mère et sur le plan professionnel.
J'ai fait le récit de ces séances pour montrer combien la solidité qu'il se sentait s'accompagnait d'un effondrement des résistances, tout devenait clair, prenait sa place et ceci dans un contexte émotionnel vigoureux. Maintenant la symptomatologie obsessionnelle était éclairée, un souvenir de l'âge de 2 ans m'apporta en effet la clef de l'obsession du recommencement, réaction à la frustration intolérable : ce qui passe ne reviendra jamais. Le voici : « Enfant, tout petit, mal assuré sur mes jambes, j'entrais dans la salle à manger et j'entendis à la T. S. F. un air qui me remplit de ravissement, à ce moment quelqu'un tourna le bouton, l'air s'en alla ; j'eus une crise de désespoir, on le rechercha et on ne le retrouva jamais. Depuis, j'ai une atroce tristesse devant les choses qui vont finir, mon obsession de recommencement, de retour en arrière doit prendre ici son origine. »
J'aurais beaucoup d'autres choses à rapporter, mais puisque cette observation n'a pour but que de démontrer les inter-relations entre l'état du Moi d'un sujet donné, l'équilibre pulsionnel et les manifestations obsessionnelles, je ferai simplement remarquer ceci : c'est qu'à partir de ce deuxième pas qui consista en l'apparition de relations libidinales adultes, comme on l'a sans doute remarqué : « Maintenant, je pourrai aimer Geneviève. » Et comme on le verra plus loin, la cohérence du Moi s'est progressivement renforcée et le système obsessionnel a, de plus en plus, perdu de son importance pour disparaître complètement.
Ces trois aspects de la personnalité morbide : déficience du Moi, régression pulsionnelle, archaïsme des relations d'objet, m'ont paru liés entre eux par une relation rigoureusement constante. Je ne veux pas dire pour autant que le degré de structuration du Moi dépende absolument de la formule pulsionnelle ; ce que j'ai dit au chapitre II de cet exposé serait la démonstration du contraire, puisqu'un équilibre pulsionnel perturbé correspond, chez Pierre, à un Moi qui, malgré ses limitations, est incontestablement mieux structuré que celui de ce dernier malade, FEDERN d'ailleurs a bien insisté sur le fait que l'état du Moi est, partiellement du moins, indépendant du degré de régression des pulsions, ce que je veux dire seulement : c'est que chez le même sujet, le Moi s'affermit et se différencie parallèlement à l'établissement de relations libidinales normales et que le système de relations obsessionnelles qui n'est qu'une suppléance disparaît ou tend à disparaître en fonction même de l'installation de relations libidinales plus évoluées.
Je ne voudrais pas que l'on puisse tirer du protocole de ce fragment d'analyse le sentiment que tout fut fini et qu'une catharsis spectaculaire intervint. Ce fut une crise comme la première, un deuxième grand pas simplement. Si, à la séance suivante, le malade m'apporta un rêve tout à fait oedipien où je redevenais, de personnage phallique que j'avais été de façon prédominante pendant cette phase, un rival détesté et vaincu, il devait continuer à connaître les difficultés que l'on devine et à apprécier par lui-même, de façon quasi expérimentale, les désordres que peuvent déterminer sur un Moi fragile encore une agressivité frustratrice.
En attendant, il était profondément heureux, beaucoup plus stable, exerçait son agressivité de façon coordonnée au dehors, savait tenir tête à divers personnages masculins dans la vie courante, et « étala », de façon beaucoup plus adéquate mais encore grâce à un certain subterfuge dont il avait depuis longtemps le secret, cette épreuve redoutable, entre toutes pour son narcissisme, qu'était le concours. Sur le plan psychosexuel, son éjaculation asthénique avait disparu lorsqu'à la suite d'un rêve de castration, j'avais pu lui en faire connaître la signification, la crainte de blesser la femme.
Les épreuves du concours : il les passa sans angoisse, mais en utilisant un procédé qui m'a paru très souvent-employé par les obsédés pour faire face à certaines épreuves sociales : Prendre artificiellement une position désintéressée à l'endroit de la dite épreuve, ce qu'il fit et ce dont il comprit le sens ; il n'en reste pas moins que quelle que fut la valeur relative de son comportement, il put concourir avec sa liberté d'esprit habituelle et remettre des copies cohérentes qui n'avaient que le défaut de témoigner d'une préparation insuffisante, il saisit fort bien le paradoxe qu'il y avait à se donner comme preuve de sa virilité le fait d'être reçu, après s'être donné antérieurement comme preuve de cette même virilité, le fait même de ne pas préparer son concours. Aussi il accepta l'échec avec beaucoup d'objectivité.
Mais pendant les dernières semaines qui précédèrent les épreuves, il se sentait dans un état d'exaspération et de violence sans précédent : « Je hais le monde entier, disait-il, j'ai envie de tout détruire », et il fit porter le poids de son animosité sur Geneviève et sur moi, et voici ce qui nous intéresse le plus dans l'ordre des relations d'objet et de la cohérence du Moi : « J'ai fait une constatation curieuse, vous vous rappelez combien j'avais le pouvoir de ressentir instantanément sur moi-même le coup qui frappait un personnage dans un film par exemple ou la violence que me suggérait une lecture, cela en était venu à un tel point que j'avais renoncé à voir un film quelque peu dramatique, c'était une pensée, une sensation peut-être résultant d'une contraction automatique de mes muscles : or j'ai vu deux films, tous deux suggestifs. Pour voir le premier, j'étais en compagnie de Geneviève, j'étais très intéressé par le spectacle, j'avais un sentiment de pitié pour les malheureux que l'on martyrisait, mais quelle que fut ma. participation émotionnelle, cela m'était complètement étranger, je veux dire étranger à mon Moi. J'ai vu un deuxième film, un autre jour, où j'étais seul parce que j'avais décidé de punir Geneviève en refusant de sortir avec elle, j'avais accumulé dans cette soirée ce que je pouvais faire de plus intéressant, de manière à provoquer son dépit, quand j'ai assisté à ce film, j'ai ressenti comme autrefois cette identification instantanée au héros malheureux avec une différence toutefois c'est que cette sensation n'éveillait plus en moi le malaise qui l'accompagnait habituellement, je ressentais le coup qui le frappait, mais cela n'avait que la valeur d'un phénomène curieux, je n'éprouvais plus le besoin d'annuler et j'ai pensé que je devenais l'homme qui souffre par besoin d'auto-punition. » Il me parla longuement, en faisant un rapprochement, des fantaisies masochiques de son enfance en punition érotisée, des désirs de mort qu'il avait vis-à-vis de son père. Je pense qu'il avait en partie raison en ce sens que dans les fantasmes auxquels il faisait allusion, et qui étaient très fortement érotisés comme je l'ai dit, son sentiment de soi n'était nullement défaillant et bien au contraire très violemment exalté, mais qu'il avait tort, par ailleurs, dans la mesure où ce phénomène d'identification passive et très rapide était voisin de ses obsessions de castration, qu'il éprouvait le besoin d'annuler immédiatement, ce qui voulait dire que son sentiment de soi y était en péril.
Toujours est-il que ce phénomène mixte ici, prouvait encore que la régression agressive temporaire entraînait un trouble dans l'organisation de son Moi, tout en n'altérant plus son sentiment général de lui-même, ce qui était un progrès important !
D'ailleurs, il fut « collé » et voyant la peine de Geneviève, il se sentit aimé, et se confirma chez lui le sentiment de l'autre en temps que tel. Il fut saisi de pitié, d'un besoin immense de protection, d'un désir de donner et de soulager qui n'avait rien d'une obligation mais tous les caractères d'un courant libidinal riche et profond. Dans le même temps, il liquidait avec moi la peur que je lui inspirais encore du fait» des désirs incestueux qu'il avait transférés sur un couple dont j'aurais fait partie. Le processus d'identification génitale se poursuivait.
Je ne voudrais pas tirer de conclusions prématurées de cette évolution. J'ai simplement rapporté ce fragment d'analyse de préférence à d'autres, dont je suis sûr que la guérison reste acquise depuis plusieurs années, parce que j'ai pu y suivre au jour le jour l'évolution des relations d'objet, et les ai vues changer de qualité : de narcissiques et partielles qu'elles étaient au début elles ont tendance à devenir globales et adultes.
Même au plein de l'OEdipe, elles furent toujours marquées d'une intense fixation. Il réagit à la crainte d'une castration, résultant avant tout de cette même fixation, puisqu'aussi bien plus que la crainte du père ou de son substitut (grand-père) ce fut celle de la mère qui compta.
Au cours de l'analyse, ces relations purent s'exprimer progressivement dans des rapports concrets, tant et si bien qu'elles semblent perdre leur caractère archaïque pour devenir des relations génitales au sens plein du terme. Cette évolution ne fut possible qu'à cause du caractère très modéré de la frustration qu'il y rencontra.
Les satisfactions libidinales qu'il reçut fortifièrent considérablement son Moi-Actuellement, il n'est plus question de ces grands états de dépersonnalisation qu'il connut, par ailleurs il n'a plus d'obsession depuis longtemps, mais surtout, je pense que le système obsessionnel lui-même ne se montrera plus nécessaire et sera remplacé définitivement par un autre ordre de relations d'objet (1).
VI QUELQUES CONSIDÉRATIONS THÉRAPEUTIQUES
Me voici arrivé au terme de ce long travail, et sans doute vous demandez-vous quel intérêt pratique s'attache à cette tentative de rechercher l'expression clinique d'une synthèse des résultats, des études anciennes et contemporaines sur la relation d'objet dans la névrose obsessionnelle d'une part, et d'autre part de ceux des travaux d'inspiration structuraliste. Car s'il n'est pas sans portée de constater qu'en parlant de deux points de vue aussi différents que celui de l'évolution pulsionnelle et celui de la structure d'une personnalité morbide l'on arrive à une convergence telle qu'une proposition simple puisse être avancée à savoir que la structure du Moi, d'un sujet donné, est fonction de celle de ses relations d'objet, et que dans une certaine limite s'entend, tout n'est qu'interjeu au sens le plus littéral du terme entre le sujet et le monde, il n'en reste pas moins que de la notion de relation à distance, expression clinique de cette synthèse quelque inférence pratique doit se dégager.
(1) Lors de la correction des épreuves de ce texte, j'ai appris que ce sujet dont l'analyse était, à ce moment, terminée depuis plusieurs mois, était toujours « parfaitement bien » et venait d'être reçu parmi les tout premiers au concours d'une de nos grandes Écoles.
Je pense qu'hormis tout ce qu'elle nous donne comme significations des relations de transfert, elle nous en apporte au moins deux qui ne sont d'ailleurs que le corollaire des dites significations :
Elles visent l'attitude générale de l'analyste, le dosage des frustrations, et comme tout se tient on pourrait les formuler en ces quelques mots : L'importance de la compréhension.
J'avoue que je suis très gêné dans cette partie de mon exposé car ce que j'ai à dire est familier à chacun et beaucoup d'entre vous seraient plus habilités que moi à parler d'un tel sujet, mais puisque j'ai pris la charge d'en noter tous les aspects, je me hasarderai donc à en aborder le côté thérapeutique.
Si l'on veut se souvenir que l'obsédé dans l'analyse est tout orienté précisément par la nécessité d'une relation à distance et que l'on veuille bien prendre en considération qu'il est, dans le silence et dans son for intérieur, rendu plus sensible qu'un autre par l'étroitesse de sa dépendance même à toute frustration réelle, l'on comprendra peut-être mieux la raison de certains échecs du colloque analytique.
Si le médecin se rapproche, le sujet prendra de la distance tant qu'il n'aura pu faire l'expérience de l'irréalité de sa peur, si le médecin se dérobe et il y a tant de façons de se dérober, le mieux que l'on puisse attendre, c'est que le sujet frustré d'un contact réel aggrave ses procédures obsessionnelles au sens très large du terme, qu'il s'agisse d'obsessions vraies ou d'une neutralité affective réactionnelle. C'est ainsi que le sujet réagit toujours en s'éloignant, chaque fois qu'en temps inopportun, sans parler même de tentative de séduction, car l'on devine aisément quel sens elles auront pour lui, l'on s'efforce simplement de le déculpabiliser en prenant l'initiative.
Quelqu'effet apaisant que puissent avoir à un niveau très superficiel de son organisation psychique, des paroles rassurantes, elles n'en auront pas moins la valeur d'une proposition dangereuse pour l'obsédé. Ici ce qui compte c'est le mouvement du médecin vers son patient, ce mouvement est toujours ressenti comme une attaque, tout au moins par un côté en raison de la projection préalable de l'imago phallique sur le thérapeute. Bien d'autres causes interviennent dans ce recul, surdéterminé comme on l'imagine : Interdictions, masochisme, sadisme, mais je les considère comme secondaires en regard de la peur. Les choses se présentent différemment quand le malade va vers son interlocuteur, et il n'est pas de bonne politique d'opposer une apparente incompréhension systématique aux demandes de réassurance ; je ne -veux pas dire par là d'ailleurs qu'il faille promettre ou rassurer, mais je crois qu'il n'est pas judicieux de garder le silence. Nous avons en effet un moyen, d'éviter tout aussi bien d'entrer dans le jeu du malade sans le lui rendre clairement compréhensible que de le frustrer sans lui apporter le témoignage de notre compréhension générale de ses particularités et de ses besoins, et ce moyen c'est l'interprétation. Mais avant d'aller plus loin, je voudrais insister un peu sur le second aspect de la relation de l'obsédé à son médecin : Le besoin qu'il a de sa présence effective. Il est évidemment hors question que le sujet ne reçoive pas toute l'attention qu'il est en droit d'attendre, mais ce que je voudrais noter ici c'est son extrême sensibilité à l'état intérieur de son partenaire ; les moindres variations de comportement lui sont immédiatement sensibles et je ne pense ici qu'à celles auxquelles personne, sauf lui et des paranoïaques, ne songeraient à donner une signification quelconque et j'irai même plus loin : dans certaines circonstances, le sujet fait preuve d'une véritable divination ; il perçoit très exactement ce qui se passe dans l'esprit de son interlocuteur, même si celui-ci est assez ,disponible pour lui donner tout ce qu'il lui doit, le moindre état de fatigue, de préoccupation lui est perceptible et bien entendu lui sert à nourrir sa projection. C'est dire combien ils sont sensibles aux moindres variations du contre-transfert.
Je crois qu'ici la représentation exacte de la situation que donne cette notion de distance peut aider le thérapeute à éviter un contretransfert inadéquat en lui permettant d'apprécier à leur juste valeur, les hésitations, les fuites, les comportements paradoxaux de ces sujets, qui sur le point de s'abandonner à la confidence la plus sincère, se réfugient dans une attitude d'indifférence affectée, qui sollicitent des conseils qu'ils ne peuvent suivre et qui manifestent sans cesse des « bonnes volontés » qui vont dans le sens opposé de ce qu'ils semblent souhaiter. Mais il est vrai que la situation est habituellement encore plus complexe que ce que j'en dis, puisque leurs attitudes sont tout autant conscientes qu'inconscientes et que l'imputation de mauvaise volonté viendrait bien souvent aux lèvres si l'on perdait de vue tout ce que représente pour eux un rapprochement complet.
Ils sont véritablement à l'affût de tout ce qui peut leur être un écho du sentiment qu'ils ont, que l'autre est mauvais, dangereux, qu'il peut à chaque instant se dévoiler sous son vrai jour, que son accueil même est la marque de son impérieux désir de possession destructrice et leur sentiment est si fort que quand ils sont absolument sincères, ils avouent qu'ils se font de leur médecin une image ambiguë qui s'impose à eux, au delà de tous les raisonnements qu'ils peuvent se faire et de toutes les assurances rationnelles qu'ils peuvent se donner. L'on est véritablement stupéfaits de la vigueur de ces projections qui entraînent, dans les cas les plus accentués, des certitudes quasi délirantes, ce qui a pu faire dire, à juste titre, que la partie régressive de leur Moi se comportait comme un Moi psychotique et l'on peut être assuré que ce qu'il y a de rationnel en eux joue un rôle bien faible, quoique essentiel dans leurs échanges avec l'objet quand celui-ci devient significatif : cette partie rationnelle de leur Moi leur sert en effet à justifier à leurs yeux le bien-fondé de leur démarche, à s'affirmer qu'ils ont raison d'attendre quelque chose et que l'autre auquel ils s'adressent n'est pas seulement destructeur, et c'est précisément cette aptitude si faible à une objectivité relative qui adoucit la violence de leurs projections agressives, qu'il convient de respecter avec le plus grand soin. Aucune affirmation ne saurait jamais remplacer l'expérience qu'ils vivent profondément : de se sentir, de se croire compris, il y a en eux à la fois tellement peu de possibilités réelles de croire qu'ils ont affaire à un personnage bienveillant et une tendance si puissante à saisir la moindre nuance de l'agacement ou de l'indifférence même intérieure qu'il faut à tout prix qu'ils aient l'expérience répétée d'une compréhension totale.
C'est à mon sens la seule condition dans laquelle sera assumé ce rôle de miroir que FREUD assigne à l'analyste ; ils y verront se refléter leur propre image agressive qu'ils considéreront d'abord comme étrangère, puis ils en prendront la mesure, et ainsi domineront les anxiétés de talion qui s'opposaient à ce qu'elles soient intégrées dans l'ensemble de leur Je, de leur Moi suivant la terminologie classique : « L'autre est comme moi et je suis comme lui » tel est, je pense, le ressort « de cette désaliénation où LACAN voit le fruit propre du Working Through analytique en tant que le sujet par l'analyse des résistances est sans cesse renvoyé à la construction narcissique de son Moi où il peut reconnaître à la fois son oeuvre et ce pourquoi il en a été l'artisan : C'est-à-dire cette peur dont il peut se dire enfin : « Lui, ne l'éprouve pas, ni de moi ni de lui-même. »
LACAN ajoute que : « C'est à cet autre enfin découvert, que le sujet pourra faire reconnaître son désir en un acte pacifique qui à la fois exige cet autre et constitue l'objet d'un don authentique... »
Par contre, si le sujet sent intuitivement que l'objet est hostile et se retranche, il s'effraiera encore davantage d'un contact direct, leur relation restera toujours aussi étroite mais son devenir sera diamétralement opposé. Au lieu de servir dé point de départ, elle deviendra une occasion d'arrêt.
Le transfert n'offrira plus au sujet l'objet narcissique indispensable à sa sécurité. La frustration affective réelle exaspérera les tensions agressives, l'objet du désir d'introjection en sera violemment investi et les introjections seront génératrices d'anxiété et donneront lieu à toutes ces manifestations de réjection sadique bien connues. Le senti-- ment que le sujet a de lui-même sera compromis et les conséquences de la frustration sur la cohérence du Moi se feront, dans les cas où il existe des troubles manifestes de sa structuration, durement sentir, ce qui à son tour ne fera qu'aggraver l'incapacité du sujet à faire face à ses projections terrifiantes.
Sans doute est-il nécessaire que le sujet puisse pleinement développer ses projections et les surmonter, mais encore faut-il qu'il lui reste une possibilité d'en sentir le caractère imaginaire et comme je l'ai écrit plus haut, elle n'est pas naturellement bien grande et si le contre-transfert est si aisément perçu, le danger dès qu'il n'est pas tout à fait satisfaisant, qu'elle s'oblitère complètement, lui, est grand.
Quant au dosage de la frustration, il me semble poser des problèmes surtout dans la mesure où le contrertransfert n'a pas la qualité désirable du fait d'une relative incompréhension de la situation, génératrice elle-même de réactions affectives d'opposition plus ou moins, conscientes chez l'analyste, une appréciation insuffisamment exacte de la signification du transfert pouvant par ailleurs entraîner des interprétations fausses, qui constituent en elles-mêmes une véritable frustration puisqu'aussi bien le sujet a immédiatement le sentiment de ne pas être compris.
Et ce sont ces frustrations-là, je veux dire, les frustrations affectives de l'incompréhension qui comptent vraiment, je n'ai jamais eu beaucoup de difficultés à faire accepter à mes malades les rigueurs de la discipline analytique dans tout ce qui regarde le protocole de la cure. Tout au contraire, l'exactitude avec laquelle sont maintenues les dispositions arrêtées au début donnent à ces malades un sentiment de sécurité, ils craignent plus que tout de voir leur analyste faiblir en quelque mesure car alors il n'est plus ce personnage fort qu'ils cherchent, leur relation avec lui perd tout son sens, ils ne trouvent plus en lui l'appui narcissique dont ils ont tant besoin ; on leur a infligé malgré les apparences la frustration la plus grave qu'ils puissent ressentir : les priver d'un appui solide et intangible.
Par contre, ils sont très sensibles à une autre frustration, celle du silence et c'est pour cela que j'ai dès le début insisté sur la nécessité de leur apporter quelque chose, BERGLERG, dans une longue étude d'ensemble consacrée aux malades souffrant des conséquences d'une frustration orale, appuie sur la nécessité, dans une première phase du traitement, de leur donner beaucoup. Je ne crois pas qu'il faille, comme il semble l'indiquer, parler à tout prix, mais je pense par contre qu'il convient d'apporter une grande attention à ne pas méconnaître leur besoin de contact, non seulement parce que reste toujours en suspens l'éventualité d'un syndrome obsessionnel symptomatique, mais surtout parce qu'il n'y a nul intérêt à les laisser s'enfoncer dans une technique de distance, où ils trouveront le moyen de se satisfaire indirectement de leur commerce avec l'analyste, en palliant aux frustrations que l'on croira nécessaire de leur faire supporter, car alors se dérouleraient ces séances monotones où rien ne bouge jusqu'au jour, où lassé, le médecin aura à dominer ce contre-transfert si compréhensible mais si néfaste dont je parlais plus haut ; je pense qu'une analyse serrée et précise du transfert obvie à cet inconvénient et que son interprétation juste reste le plus sûr moyen d'éviter toutes les difficultés que l'on côtoie dans un traitement de ce genre. C'est la raison pour laquelle j'ai plus particulièrement insisté autrefois sur la. détection précoce des manifestations homosexuelles chez les hommes et des désirs de castration chez les femmes, manifestations qui introduisent les désirs d'incorporation chez les uns et chez les autres ; je me suis toujours bien trouvé de laisser ces fantaisies d'incorporation se développer librement pendant un temps assez long en m'efforçant d'amener le sujet à leur donner leur pleine signification affective. Il semble que de leur libre exercice résulte une sorte de maturation pulsionnelle, comme si leur expression verbale et émotionnelle permettait la reprise d'une évolution qui s'était trouvée bloquée.
Par ailleurs, je crois qu'il est nécessaire de les interpréter, dans le sens général du transfert, au moment où elles se produisent, sans insister systématiquement sur leur ambivalence. Il est bien certain qu'elles sont ambivalentes, mais il est non moins évident que l'investissement affectif dominant dont elles sont chargées est de signe variable selon les circonstances et que saisir toute la signification de leur charge émotionnelle est pour le sujet une expérience cruciale qui n'est pleinement vécue qu'à condition de mettre l'accent sur la signification qu'elles ont à un moment donné par exemple, en fonction d'une impression de frustration.
En matière de névrose obsessionnelle les mots de neutralité bienveillante prennent une signification toute particulière, si vous avez bien voulu me suivre dans la description que j'ai tenté de leurs relations d'objet, avec eux, il faut plus que partout ailleurs rester neutre pour ne pas les effrayer et leur donner l'occasion de surmonter pleinement l'identification archaïque, qu'ils n'ont pu dépasser, en leur permettant dé la projeter toute entière sur l'analyste et être aussi bienveillant pour saisir toujours ce qui fait leur dilemme et les aider à le vaincre.
Mais il arrive un moment, et c'est là-dessus que je terminerai, où l'on doit intensifier cette action médiatrice dont la fonction a été dévolue par le sujet à son objet d'identification (LACAN). Je pense qu'il ne convient de le faire qu'à partir du moment où les premières identifications franchies, le sujet songe à imiter les conduites adultes de son modèle ; là encore les interprétations correctes sont nécessaires et suffisantes. Il n'est pas plus nécessaire de formuler des conseils que d'imposer des consignes, il suffit d'analyser dans les situations triangulaires nouvelles ou vécues, de façon nouvelle, que l'évolution des relations d'objet ne peut manquer d'amener, les aspirations et les craintes dissimulées du sujet, ce dont personnellement je m'abstiens en règle générale tant que les significations de la situation de transfert ne se sont pas complètement éclaircies et qu'une évolution préalable ne s'est pas produite, pour éviter précisément que le sujet n'en profite pour déplacer le centre de gravité de l'analyse sur des relations réelles grâce à quoi il arrivera à manifester indirectement son transfert en évitant le « Rapproché » qu'il craint et pourtant vers lequel il tend nécessairement. Je crois que l'accès à de nouvelles et substantielles relations d'objet de type adulte est la seule garantie contre une rechute tout comme les relations de type obsessionnel étaient le seul garant contre l'effondrement psychotique. Le Moi s'affermissant dé plus en plus, le sentiment de soi allant se confirmant sans cesse, le sujet peut nouer des relations d'objet pleines et entières dont l'exercice à son tour confirme la personnalité dans sa plénitude et comme je l'ai déjà écrit, c'est là seulement que l'on peut parler d'une amélioration réelle, les identifications génitales résiduelles se dissocient lentement et le sujet peut accéder à une vie vraiment individuelle qui ne soit pas l'expression d'une défense mais celle d'un libre exercice.

CONCLUSIONS
Il me reste à condenser en quelques lignes les conclusions que je crois pouvoir dégager de cette étude, et que j'ai d'ailleurs déjà formulées au fur et à mesure que j'avançais dans ce rapport.
I° De l'ensemble des travaux consacrés à la névrose obsessionnelle ces dernières années, découle la notion de l'importance primordiale pour un sujet donné, qui n'a pu accéder à un autre type plus évolué de relations objectales de la « technique obsessionnelle », cette technique assurant une relation stable du sujet aux objets ;
2° De l'étude clinique du Moi, sous l'angle de la notion communément admise de sa force ou de sa faiblesse en fonction des critères pratiques d'adaptabilité, se dégage la notion de l'atteinte du Moi dans son ensemble au cours de cette affection, les relations objectales étant profondément troublées dans tous les cas ;
3° J'ai essayé ensuite de caractériser aussi exactement que possible : la relation d'objet obsessionnelle, je me suis efforcé de montrer la nécessité de son maintien tout aussi bien que l'impossibilité fondamentale de la réalisation du désir qui la sous-tend, et sa stabilisation dans une solution de compromis : la distance ;
4° Cette situation dans certains cas peut et doit évoluer, le sujet renonçant progressivement à employer les moyens qui lui permettaient de maintenir la distance convenable entre lui et son objet d'amour.
J'ai insisté sur les états émotionnels qui accompagnent les relations devenues intimes entre le sujet et l'objet qui indiquent le sens dans lequel évoluent ces relations et sur la résolution finale du dilemme obsessionnel, par l'instauration, dans les cas heureux, d'une identification, point de départ de nouvelles identifications plus évoluées. J'ai rapporté l'observation que vous avez lue pour illustrer par un exemple clinique l'évolution tout aussi bien des relations objectales que de la formule pulsionnelle et de l'état du Moi.
Enfin, je me suis permis de vous présenter quelques considérations thérapeutiques, qui m'ont paru s'appuyer précisément sur l'analyse relationnelle que j'ai essayée.
Je m'excuse de ce long exposé que j'aurai voulu plus vivant et plus original car, en fin de compte, ce que j'ai décrit n'est qu'une variation, sur des thèmes qui vous sont familiers.
Il y a cependant un point sur lequel je voudrais encore attirer l'attention; j'ai le sentiment que de considérer sous cet angle général la structure des relations objectales de la névrose obsessionnelle, peut nous aider à comprendre mieux le sens et la portée du dialogue que ces sujets s'efforcent d'engager avec nous. J'ai été frappé au moment où j'écrivais ces conclusions de trouver sous la plume d'une analyste, qui traitait des indications de la thérapeutique analytique dans la névrose obsessionnelle, cette affirmation répétée que : le pronostic était fonction de leur capacité à grandir — car il s'agit bien de cela en effet : Il faut qu'ils grandissent c'est-à-dire qu'ils changent radicalement leur manière de voir le monde. Plus que d'autres, gênés seulement par des sentiments de culpabilité qui nous sont familiers dans leur intimité, leur modalité, ils ont à parcourir un long chemin car la structure de leurs rapports réels, significatifs est à ce point archaïque, qu'aucune possibilité d'épanouissement ne leur est donnée. Comme le dit FREUD : « Il est probable que c'est le rapport d'ambivalence dans lequel est entrée la pulsion sadique qui rend possible tout le processus ; l'ambivalence, qui avait permis le refoulement par formation réactionnelle est justement le lieu par où s'opère le retour du refoulé. C'est pourquoi le travail de refoulement dans la névrose obsessionnelle se traduit par une lutte qui ne peut connaître ni succès ni conclusion.
Si nous ne perdons jamais de vue qu'à la fois, leur agressivité exprime autant d'amour que de haine, et que par la projection ils éprouvent l'autre, comme ils sont, et que malgré leur grand besoin, ils en ont peur, je pense que nous pourrons mieux les comprendre et les aider à grandir, dans les limites où des facteurs innés ne s'y opposent pas.
Deux questions auraient dû trouver une réponse dans ce rapport, la première est celle des indications du traitement analytique, l'autre a trait à la possibilité d'un clivage dans le groupe des névroses obsessionnelles.
J'ai essayé de trouver à la première une réponse, en décrivant les deux types d'homosexualité que l'on y rencontre.
Quant à la seconde, elle ne me paraît pas susceptible d'une solution d'ensemble, comme pour les traumatismes c'est affaire de cas particuliers. Là encore la considération de l'aspect relationnel du problème nous permet une compréhension plus exacte, si nous admettons que l'obsédé oscille sans cesse entre des introjections et des projections angoissantes, il nous est facile de comprendre qu'il existe des cas, où de la prédominance de l'un de ces deux mécanismes dérivent des traits dépressifs ou des attitudes paranoïaques ou paranoïdes de même que, ce que nous savons sur l'amour partiel nous fait comprendre les formes mixtes de perversions et d'obsessions ou de toxicomanie et d'obsessions.


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Intervention de Mme MARIE BONAPARTE
Mme Marie Bonaparte rappelle qu'à diverses reprises Freud lui exprima son opinion que les névrosés obsessionnels auraient manifesté dans l'enfance une maturation du moi plus précoce que celle de la libido. Comment concilier ce point de vue avec le concept d'un moi faible dans cette névrose ?
Plus tard, dans la discussion des instincts de mort, Mme Marie Bonaparte dit que Freud, chez qui elle se rendit plusieurs semaines ou mois pendant une douzaine d'années, fit toute son analyse sans faire une seule fois allusion aux instincts de mort, sinon pour des discussions théoriques.
Intervention du Dr HELD
Nous avons été frappés à différentes reprises et depuis un certain nombre de mois par le fait suivant : En dehors des faits ressortissant à la médecine psychosomatique proprement dite, en dehors des « balancements » qui se font parfois entre névrose et maladie organique (par exemple une névrose obsessionnelle et une tuberculose pulmonaire) il nous a semblé que certains symptômes, singulièrement dans le domaine des voies digestives, permettaient au patient de garder avec le médecin et avec autrui la possibilité de contacts rapprochés. Que si l'on « attaquait » ces symptômes d'une manière ou d'une autre, en cas de réussite même partielle, apparaissaient dans certains cas des mécanismes de défense obsessionnels. En somme, au fur et à mesure que le malade devenait un « patient », et le médecin un analyste, le premier se trouvait amené malgré lui à user envers le second — comme envers autrui dans la réalité extérieure — d'une technique obsessionnelle de « relation à distance ». Par exemple : Un monsieur de 35 ans, avec qui un contact excellent est établi immédiatement sous le signe de la maladie organique, veut prendre la fuite quand on parle de névrose dissimulée derrière un syndrome douloureux épigastrique ayant résisté à tous les traitements et au sujet duquel le diagnostic ne peut être posé avec certitude. On discerne alors des traits évidents de « caractère obsessionnel ». Ceci certes est très banal. Voici qui, à notre connaissance, paraît l'être moins. Un jeune homme de 28 ans nous est adressé pour troubles digestifs de caractère indéterminé, avec symptômes vagues tels que subictère léger, langue saburrhale, douleurs épigastriques, tous symptômes calmés par l'absorption de, nourriture. Un contexte anxieux se dessine lors des entretiens suivants. Il y a certes un sentiment global d'insatisfaction dans l'existence ; mais les études, la vie sexuelle, les relations avec autrui paraissent moyennement bonnes et troublées surtout par les malaises digestifs. On relève dans l'enfance une naissance prématurée, un séjour en couveuse, des lavages gastriques, etc.
Après une série d'entretiens disons psychosomatiques, avec tout ce que cette psychothérapie a parfois de fluide et de décevant, nous décidons devant la persistance des troubles, de faire passer le patient du fauteuil sur le divan, et la technique du « tête à tête » fait place à une technique analytique rigoureuse. Nous avions éliminé auparavant un diagnostic de psychose hypocondriaque malgré quelques fantasmes de « ver rongeant l'estomac » qui nous avaient temporairement inquiétés. Après le déroulement classique des premières séances, si bien décrit par Bouvet dans son beau rapport et sur lequel nous n'insisterons pas, se manifesta une régression d'une intensité peu ordinaire. Tandis que s'extériorisaient tous les symptômes d'une névrose obsessionnelle, que notre patient mettait en jeu la technique la plus savante de relation à distance (jusqu'à se poudrer les mains de talc avant de nous donner une poignée de main, etc.) se constitua une situation que j'appellerai volontiers « Repas de Tantale » et que Bouvet nous a également décrite. L'analyste est pour le patient une nourriture vague, diffuse, un « plasma » vital qui va l'apaiser et lui. donner la vie. Comme il ne peut l'absorber, sa fureur croît à chaque séance. Cette envie de me tuer provoquait ici une angoisse épouvantable, car, me disait mon malade « nous sommes comme deux frères siamois, en vous tuant je meurs... ».
Il semble évident que la névrose obsessionnelle de ce jeune homme ait été camouflée depuis des années sous les symptômes digestifs auxquels elle est symboliquement si apparentée, tant sur le mode oral que sadique anal Sous le couvert de ces symptômes, ce patient (et plusieurs autres que depuis, et à la lueur de ce cas privilégié, nous avons étudiés à l'hôpital) pouvait se rapprocher des siens, de ses amis, de ses médecins. Ce faisant, il satisfaisait à la fois à ses tendances agressives en leur fourrant sous le nez son « incurabilité » et aussi à ses désirs narcissiques d'être palpé, soigné, dorloté, de toutes les manières par une famille inquiète ou par de nombreux spécialistes successivement consultés.
Nous pensons que certains malades vus uniquement par des médecins de médecine générale ressortissent à cette catégorie de névrosés obsessionnels, camouflant leur technique de relation à distance sous le « rapproché » de l'examen du symptôme physique. Il y a là un aspect particulier de la médecine psychosomatique qui nous paraît intéressant à plus d'un titre et mériterait une étude plus approfondie.

Intervention du Dr LAFORGUE
J'ai déjà eu l'occasion de dire à Bouvet ce que sa conférence avait pour moi d'émouvant. En effet, pour la première fois depuis la guerre, je vois de nouveau la pensée psychanalytique atteindre le niveau auquel nous avaient habitués Nunberg, Helena Deutsch, Théodore Reik et tant d'autres. Rendons également hommage à Nacht qui, pendant les années difficiles de l'après-guerre, a su défendre avec beaucoup de discernement et de courage la qualité de cette pensée en France.
Bouvet nous a laissé entendre combien les traitements des obsédés lui paraissaient longs, difficiles et — si j'ai bien compris — souvent décevants. Cette constatation ne nous surprend guère et apporte un témoignage supplémentaire de la sincérité avec laquelle Bouvet a fait son travail. Nous voyons tous des obsédés améliorés menacés à chaque instant de rechute et traîner, souvent pendant des années, en s'accrochant d'une façon parfois pénible à leur psychanalyste. Comment sortir du cercle vicieux que représente une obsession ?
Bouvet nous a montré, dans son rapport, comment on pouvait y entrer et quelle était la nature des échanges qui pouvaient s'établir à l'intérieur de ce cercle entre psychanalyste et malade, mais j'ai l'impression qu'il ne nous a guère montré comment on pouvait en sortir, et c'est sur ce point que je voudrais vous donner quelques indications.
Dans l'ensemble, mes critiques ne s'adressent pas directement à Bouvet, mais à une certaine façon de poser le problème et de le concevoir, façon qui — je le confesse — a été également la mienne il y a une vingtaine d'années environ. A cette époque, je pensais que la technique que j'employais, technique classique telle que Bouvet nous l'a exposée et telle que Loewenstein et moi l'avons enseignée à nos élèves, représentait déjà un progrès considérable par rapport à ce qu'on avait pu faire avant d'employer la psychanalyse. Par la suite, au fur et à mesure que j'ai pris davantage conscience de l'ampleur du problème, j'ai modifié ma conception et ma technique, ne serait-ce que pour avoir la certitude de pouvoir faire honnêtement mon travail et pour me mettre à l'abri du reproche qu'auraient pu m'adresser certains malades de méconnaître leurs difficultés ou d'abuser de leur faiblesse. Ne vous étonnez donc pas si, pour préciser ma pensée au sujet des conceptions de Bouvet, je suis amené — selon la mode du jour — à faire une sorte « d'auto-critique » qui, je l'espère, nous apportera à tous un bénéfice.
La conception de Bouvet me paraît caractérisée par ce qu'il appelle lui-même : la relation à distance avec l'objet. Je m'explique : la façon dont nous avons conçu le problème au début de notre expérience, en partant des bases qui nous avaient été fournies par Freud, Ferenczi et leurs premiers élèves, m'apparaît aujourd'hui comme marquée par ce qui caractérise la névrose obsessionnelle. Vous m'avez bien entendu : selon moi, il existerait une façon obsessionnelle de concevoir la méthode psychanalytique du traitement des malades, façon qui conduirait l'analyste à sacrifier par principe le malade à l'idée, comme on sacrifie un cobaye à l'expérience du laboratoire ou à la vivisection.
Comme vous le savez, et comme j'ai eu l'occasion de le préciser ailleurs, on risque dans ces cas de substituer l'obsession de la psychanalyse à l'obsession du malade que nous prétendons guérir. La psychanalyse se trouverait plutôt utilisée pour fermer la porte de sortie du cercle vicieux dont nous avons parlé au heu de l'ouvrir comme ce serait nécessaire et pour l'analyste et pour le malade.
Je voudrais préciser davantage ma pensée à ce sujet en me servant du cas de Paul dont Bouvet nous a rapporté l'observation d'une manière si remarquable. Je ne crois pas qu'il soit suffisant de se réfugier derrière la formule un peu abstraite : le surmoi est l'héritier du complexe d'OEdipe pour comprendre effectivement les rapports entre le surmoi et le moi, c'est-à-dire le conflit qui a déterminé l'obsession chez le malade. Il me paraît indispensable, dans ces cas, de procéder à une analyse correcte du super-ego étant donné que, dans la plupart des obsessions, le conflit auquel nous avons affaire ne serait que l'expression de la névrose de l'un, sinon des deux parents du malade. En d'autres termes, nous devons tenir compte et analyser aussi complètement que possible la situation créée chez l'obsédé par la névrose familiale à laquelle il a dû s'adapter en faisant appel aux mécanismes de défense caractéristiques de la névrose obsessionnelle. Bien plus, cette névrose familiale est souvent dominée par la névrose maternelle, davantage encore que par la névrose paternelle, la mère ayant le pouvoir d'influencer l'enfant dès le bas-âge et de le marquer par ses réactions beaucoup plus fortement que ne le fait généralement le père.
C'est pourquoi, dans nos travaux sur les aspects cliniques de la psychanalyse, nous avons toujours attiré l'attention des psychanalystes — et cela dans toute la mesure du possible — sur les différentes formes de névrose familiale, souvent dues à la reproduction des névroses des grands-parents, reproduction assurée en vertu d'une tradition défendue par le super-ego familial
Pour sortir du cercle vicieux de cette névrose, dont l'obsession du malade n'est qu'un aspect, et pour donner un sens à cette obsession, il ne suffit pas — comme Bouvet a un peu l'air de le préconiser — de devenir l'alter-ego du malade ni un miroir froid sur lequel l'analysé projetterait toutes ses, réactions.
L'attitude réservée, si bien décrite par Bouvet, est bien entendu nécessaire au début du traitement pour faciliter le développement de la névrose de transfert chez le patient. Par la suite, cette attitude a besoin d'être révisée et corrigée pour aider le malade, par nos interprétations, par les directives que notre expérience nous permet de lui donner et par notre comportement, à toucher aux tabous de la névrose parentale. Il s'agit d'intellectualiser cette névrose pour corriger les influences à contre-sens qui, par l'intermédiaire des parents ou des circonstances, se sont exercées sur l'individu, afin de le rendre capable de se libérer de ces influences en neutralisant la névrose parentale, familiale ou même collective dont il a été accablé et qu'il a introjectée dans son moi pour en faire une partie de son surmoi.
Le cas de Paul nous apporte un matériel particulièrement instructif à cet égard. La première phase de l'analyse telle que l'a pratiquée Bouvet me paraît, dans son ensemble, irréprochable. Mais le matériel de la deuxième phase — où le malade explique jusqu'à quel point il s'identifie avec la femme en ressentant exactement la même chose qu'elle, où il rapporte le souvenir d'une nuit passée avec sa mère dans une chambre d'hôtel, les rêveries inspirées par le roman La main du Diable — m'oblige à envisager, parmi d'autres, l'hypothèse suivante :
Paul, confondant et différenciant mal son corps de celui de sa mère — comme l'indique Bouvet — aurait pu éprouver, au contact de sa mère en possession de la « main du diable », des extases dont il semble avoir gardé dans son inconscient un souvenir profond et ineffaçable, impressions qu'il chercherait à retrouver par l'intermédiaire des fantaisies du « diablotin dans des vases ». Ne serait-ce pas le souvenir de ces extases que Paul poursuivrait dans ses expériences sexuelles qui semblent le décevoir par la qualité des émotions éprouvées ? Ne serait-ce pas l'orgasme féminin qu'il cherche à atteindre, orgasme vécu au contact de sa mère — cette dernière ayant peut-être fui le père cette nuit-là — et en comparaison duquel tout ce qui est à sa portée, c'est-àdire l'attitude et l'orgasme masculins, lui paraît décevant et dénué d'intérêt ?
Cette hypothèse — qui, je le répète, n'en est qu'une parmi beaucoup d'autres — nous obligerait à envisager le fait que la mère de Paul pouvait être une femme névrosée et condamnée par sa névrose, comme c'est si souvent le cas chez certaines femmes frigides dans les rapports avec l'homme, à se contenter de l'orgasme solitaire éprouvé au contact de la « main du diable ». S'il en était ainsi, seule la compréhension de la névrose maternelle, ainsi que des situations qu'elle aurait pu créer pour la mère et pour l'enfant, expliquerait la tendance obsessionnelle du malade à mettre toujours la pointe de l'index dans l'angle formé par deux doigts de sa main.
Je n'insiste pas davantage ; je crois en effet que le matériel apporté par le malade a peut-être été insuffisamment analysé ou passé sous silence pour des raisons de discrétion, mais je maintiens cependant que la névrose familiale ne doit pas être méconnue ou sous-estimée.
Il est vrai que la simple reviviscence d'un souvenir traumatisant et refoulé, même si cette reviviscence n'a pas été correctement analysée, peut donner heu à certaines abréactions affectives qui soulagent le malade. Elle peut déterminer une amélioration notable de l'état de ce dernier, sans toutefois le réconcilier complètement avec les moyens affectifs normaux qui seraient à sa portée, car il resterait plus ou moins fortement prisonnier d'une inversion déterminée par un super-ego qui lui est contraire.
Quelques mots encore au sujet du processus de guérison de l'obsession. L'analyste qui réussit à libérer le malade de ses obsessions déclenche généralement chez celui-ci une névrose d'angoisse, souvent caractérisée par des idées de persécution. Cette névrose d'angoisse ne doit pas être méconnue. Elle est la conséquence de ce que le travail analytique a fait sortir l'analysé de ses retranchements en l'amenant à faire face au problème qui l'angoisse et qui joue sur sa culpabilité. Une fois cette névrose d'angoisse établie, il s'agit de la transformer par l'analyse en névrose de conversion hystérique. Celle-ci fait en général son apparition lorsque le moi angoissé, déjà en contact avec la réalité, n'arrive pas encore à intégrer normalement ses pulsions au moi conscient. Les pulsions se frayent alors un chemin vers la porte de sortie que représente pour elle la névrose de conversion hystérique. A ce stade, ce n'est ni l'obsession ni l'angoisse qui dominent le tableau clinique de la maladie, mais une légère paralysie de la jambe ou du bras, une tachycardie, des spasmes, bref, un ensemble de symptômes qui se situent à la frontière de la névrose de conversion et de la névrose psychosomatique. Cette névrose d'angoisse et de conversion se trouverait environ à mi-chemin de la distance qui sépare la structure normale du moi et sa structure obsessionnelle, celle-ci se situant au stade anal du développement affectif, comme l'a très justement montré Bouvet. Ce n'est donc que lorsque les symptômes caractéristiques de la névrose de conversion seront entièrement liquidés que l'ancien obsédé, à qui l'analyste a appris à faire face à ses pulsions, trouvera la voie libre et pourra s'installer plus ou moins confortablement dans la vie, en s'y intégrant d'une façon harmonieuse et selon ses moyens.
Tout cela m'amène à parler d'un aspect de la question que Bouvet ne paraît pas avoir mis suffisamment en évidence. Nous sommes obligés de conclure, du fait que la névrose obsessionnelle est une réaction — et souvent même la réaction la plus normale — à une névrose familiale, que les circonstances sociales peuvent également être pour beaucoup dans la constitution d'un super-ego déterminant un comportement obsessionnel chez un individu.
En effet, nombreux sont les cas où des groupes d'individus, des collectivités et des peuples entiers se trouvent engagés normalement dans une névrose obsessionnelle qui leur est indispensable pour réaliser un contact avec la réalité. Il ne s'ensuit nullement que nous devons toujours considérer dans ces cas la personnalité comme étant malade et atteinte dans sa totalité. Bien plus, nous savons que des circonstances ethniques peuvent avoir une telle influence sur la formation du super-ego collectif d'un groupe que, dans des cas de ce genre, seule la névrose obsessionnelle permet aux individus de ce groupe de maintenir le contact avec la réalité en les empêchant de sombrer dans l'anarchie, l'homme normal — dans notre sens — se révélant incapable de faire face aux conditions ethniques en question.
Je me permets de rappeler ces faits surtout pour nous encourager à renoncer à une certaine attitude de supériorité que le psychanalyste à cheval sur ses conceptions et prisonnier de l'obsession de l'analyse serait souvent tenté d'adopter à l'égard de tous ceux qui ne pensent pas exactement comme lui. Nous devons lutter contre l'esprit de chapelle qui est la conséquence inéluctable de l'attitude obsessionnelle du psychanalyste, esprit de chapelle qui, avec ses notions d'orthodoxie et de purisme, porte si souvent préjudice à une compréhension vraiment scientifique des problèmes que nous avons à étudier et des sujets que nous avons à traiter et à sauver.
Bouvet m'excusera d'avoir fait cette « autocritique ». Si j'ai pu la faire, c'est grâce aux contacts que j'ai eus avec Freud que j'ai vu parfois procéder d'une façon fort peu orthodoxe et qui m'a associé au traitement de quelques-uns de ses malades dont les cas ont été pour moi particulièrement édifiants.
Il serait trop long de vous expliquer comment je suis arrivé à modifier complètement la façon de mener une psychanalyse en m'adaptant aux possibilités morales et matérielles du malade, il me faudrait consacrer une conférence à cette question. Je dirai seulement combien les obsédés, au moment d'abandonner leur obsession, réagissent à contresens, comme si leur boussole marquait à l'envers, c'est-à-dire comme si on avait renversé chez eux l'échelle des valeurs éthiques et morales. L'obsession leur donnait un sentiment de toute-puissance et de supériorité ; engagés dans la névrose d'angoisse, ils ont un sentiment de terreur et d'infériorité, alors même que leurs possibilités de contact augmentent, qu'ils deviennent moins exclusifs et descendent du haut de leur grandeur pour établir des échanges avec leurs semblables. La femme, quoique devenant plus maternelle, se plaint d'avoir été « ravalée » et renvoyée « à la cuisine », alors que — même si elle exerce une profession comme celle de médecin ou d'avocat — par les contacts plus directs qu'elle établit, son travail devient plus efficace et qu'elle est moins dangereuse pour ses enfants. L'homme se plaint d'avoir à subir des comparaisons humiliantes, de se sentir engagé dans la mauvaise direction, en danger d'être abandonné, et cela au moment même où la nouvelle direction lui permet de faire face à ses problèmes en agissant dans le bon sens d'une façon de plus en plus adaptée à la réalité.
Inutile de vous dire qu'à ce stade de l'analyse il ne suffit pas seulement d'analyser. Il faut savoir également réconforter des malades qui vous ont fait confiance et qui se sentent angoissés et en désarroi du fait de votre traitement, dont ils ignorent encore l'action et dont ils sont incapables de prévoir les conséquences. Se cantonner uniquement dans une réserve prudente serait pour l'analyste un moyen commode de ne pas se compromettre en évitant de payer de sa personne. Mais cela ne suffit pas lorsqu'on veut mettre le traitement sur une base nette. Malgré les difficultés que nous avons à affronter et qui nous obligent souvent à une attitude non-conformiste par rapport à la méthode classique de la psychanalyse, je vous avoue que la possibilité d'éviter des malentendus certains' en servant de soutien et d'exemple au malade dans les moments difficiles nous donne une force morale dont nous avons absolument besoin. Elle nous est nécessaire, non seulement pour réussir notre travail, mais aussi pour défendre la psychanalyse contre les adversaires malveillants qui tirent argument de nos erreurs, de nos faiblesses, en nous reprochant un dogmatisme sectaire et obsessionnel excluant toute considération humaine et équitable.
Quelques mots encore concernant le moi fort et le moi faible. La conception obsessionnelle du problème nous permettrait de croire que le moi obsessionnel est un moi fort, solidement retranché derrière les bastions de ses fixations infantiles et se cantonnant dans un domaine où il se sent tout-puissant, parce qu'il se contente de prendre en considération que ce qui lui cède et ce qu'il peut « avaler ». Il rejette énergiquement tout ce qui lui résiste et se trouve, de ce fait, hors des limites de son domaine, au delà de son moi, dominé par les besoins impérieux de la personne accrochée au stade anal de son développement affectif. Par contre, la conception réaliste du problème, c'est-à-dire celle qui tient compte de la réalité à laquelle il faut apprendre à s'adapter, nous amène à considérer le moi obsessionnel comme étant faible, malgré ses manifestations agressives pour donner l'illusion de la toute-puissance et les efforts qu'il fait pour cacher sa faiblesse, dont il a peur et qui le pousse à faire peur.
En effet, alors que le moi obsessionnel ne s'attache qu'aux apparences de la réalité et a toujours besoin de s'appuyer sur des notions observables et statiques, le moi au stade génital de son développement ne s'arrête pas aux apparences, mais saisit le jeu des relations de forces qui conditionnent une situation, il le pénètre, comme j'ai essayé de le démontrer dans mon travail sur la Relativité de la réalité (1). Il élabore une connaissance qui va au delà des apparences et il s'émancipe des notions statiques dont le moi au stade obsessionnel a besoin pour se représenter la réalité. Il aboutit ainsi à une conception dynamique des faits et de la réalité, celle-ci étant conçue comme un système de forces et de pulsions en équilibre plus ou moins stable et dont la matérialisation à un moment donné se présente toujours comme relative et non comme absolue.
Mais je crois pouvoir vous présenter une formule qui permettra de mettre d'accord les différentes conceptions de la force ou de la faiblesse du moi au stade obsessionnel. Disons que ce moi — surtout chez les sujets doués — est fort intellectuellement, mais faible affectivement. Il défend les positions de l'individu et de l'individualisme avec beaucoup de forces contre une réalité qui tend à asservir l'individu et à l'intégrer à un système de vie dominé par les besoins de l'espèce et non pas seulement de la personne.
(1) Denoël, Paris, 1937.

Intervention du Dr NACHT
Je me joins à tous ceux qui ont fait l'éloge du rapport Bouvet. Certaines remarques que je vais faire, et qui ne soient pas, à vrai dire, des critiques, s'imposent comme une mise au point.
Ces remarques portent sur la manière dont Bouvet a traité les mécanismes décrits à la base des relations que l'obsédé vit, du rôle de la peur qu'il éprouve, et de la qualité de son moi.
Les mécanismes si magistralement décrits par Bouvet ne sont pas uniquement propres aux obsédés, ils prennent certes, ici, une plus grande ampleur, mais ils se retrouvent aussi dans d'autres névroses.
Quant à la peur, qui domine et écrase toute la vie de l'obsédé, elle aurait dû, à mon avis, être d'avantage analysée et définie dans son rôle.
Et ceci m'amène tout naturellement à exprimer mon étonnement devant l'affirmation faite ici par certains orateurs selon laquelle le moi de l'obsédé serait un moi fort.
Il me semble de toute évidence, ainsi que les faits d'observation le prouvent, que le moi des obsédés est écrasé par la peur intense qu'il ne peut surmonter. L'énorme agressivité qui l'habite en est responsable.
Mais ce moi, rendu faible de ce fait, n'est plus capable que de déplacer l'agression à travers le circuit si compliqué des symptômes obsessionnels afin que nul ne la reconnaisse. C'est ce qui explique l'effondrement « cataclysmique » pouvant mener à la psychose, lorsque l'obsédé perd l'usage de ses obsessions sans que son moi ait acquis au préalable la force d'intégrer — et non seulement de déplacer — son agressivité.
Intervention du Dr DE SAUSSURE
Je tiens à féliciter le Dr Bouvet de son remarquable rapport. La relation du sujet à l'objet est un rapport particulièrement important parce qu'il nous renseigne sur les modalités du transfert. Le travail qui nous est présenté a donc une double utilité théorique et pratique.
(P. 134) : L'auteur insiste sur ce que le transfert des obsédés est une relation d'objet narcissique, il ajoute : « C'est-à-dire que le sujet ne s'intéresse à l'objet qu'en fonction de l'accroissement du sentiment de soi que sa possession lui procure ; qu'en fonction du rôle immédiat qu'il joue auprès de lui et du besoin inextinguible qu'il en a. »
Cette remarque est extrêmement juste et peut prendre des formes très variées, car souvent le sujet ne s'intéresse guère aux qualités intrinsèques de l'objet, mais cherche par toutes sortes de manoeuvres (fishing des Anglais) à obtenir des compliments de l'objet. C'est dans la mesure où il se sent apprécié qu'il valorise l'objet.
Ces malades tirent vanité ou tout au moins réassurance d'aller chez un analyste qu'ils estiment le meilleur. Le fait même de cette association leur apporte un bien-être et fait qu'ils ne veulent pas abandonner l'image idéalisée de l'analyste.
Une des difficultés à faire sortir les premières fantaisies sadiques est qu'elles représentent une rupture avec l'identification à l'image parfaite.
Au cours d'une de mes analyses est survenu un incident assez pittoresque : Un compulsif qui réussissait admirablement dans sa profession reçoit la visite du contrôleur des impôts. Celui-ci voyant les notes payées à l'analyste lui dit : « Mais vous êtes fou de payer de pareilles sommes à un médecin quand vous réussissez si bien. » Le malade introjecta le contrôleur qui le flattait et oubliant l'incident vint pendant trois jours à son traitement, silencieux, ne laissant échapper qu'une plainte, celle d'être en analyse alors qu'il ne savait pas pourquoi il suivait ce traitement. L'introjection du contrôleur s'était faite très inconsciemment au détriment de celle de l'analyste.
Cet exemple permet aussi de voir l'intrication des mécanismes de projection et d'introjection. Le malade projette sur autrui son désir d'être fort et il introjecte le personnage qui répond à sa projection.
Bouvet nous dit encore en substance : L'obsédé s'efforce d'atteindre une relation intime qu'il redoute de tout son être. « Il recherche d'autant plus cette puissance que l'objet apparaît plus fort et qu'alors il a davantage peur d'être dominé par lui. » En somme, il y a conflit entre l'omnipotence et la dépendance.
Toute cette lutte est particulièrement déterminée par le fait des projections : Ainsi un de mes malades ne peut avoir de rapports avec sa femme que lorsqu'il pense qu'elle les désire. Le cercle vicieux s'établit ainsi : « Il ne peut pas prendre la responsabilité de l'acte, mais il ne peut être puissant qu'en obéissant au désir de sa femme. »
Si sa femme montre de l'insatisfaction, c'est qu'elle ne veut pas de rapport, qu'il ne peut pas la satisfaire et immédiatement il devient impuissant. Le cercle vicieux vient de ce que la puissance est fonction de la dépendance et celle-ci est toujours insatisfaisante.
Dans bien des cas, l'ambivalence est due à un mécanisme de projection du type que nous venons de décrire.
Certaines difficultés des obsédés viennent encore de la structure de la pensée magique, laquelle ne connaît pas la relativité de la pensée. Par suite l'analyste ne peut pas commettre de faute, car une seule faute correspondrait à l'échec de toute l'analyse puisqu'elle empêcherait le patient de s'identifier à l'analyste.
On observe chez certains malades qu'à cause de leur omnipotence, ils ne peuvent pas être névrosés et qu'ils ne viennent à l'analyse que pour l'analyste parce que celui-ci veut qu'ils viennent. Il y a une sorte de marché tacite : « Si j'accepte l'analyse de l'analyste tout-puissant, je serais analysé donc omnipotent et comme, pour la pensée magique, le temps n'existe pas, ils sont déjà omnipotents donc l'analyse n'est plus nécessaire. »
C'est cette situation paradoxale qui les empêche de conquérir leur indépendance et qui renforce leur ambivalence. Cercle vicieux dont ils ne sortiront que lentement en acceptant progressivement leur imperfection et éventuellement celle de l'analyste.
Cette ambivalence se marque encore en attribuant tout progrès à l'analyste et non à eux-mêmes. Pierre, par exemple, le malade que j'ai décrit au dernier Congrès international de Psychiatrie, a une impossibilité de partir en vacances. Cependant le désir de partir est là. Il en prend conscience, fait le projet de s'absenter et un jour plus tard s'irrite contre l'analyste qui le force à partir.
Là encore nous observons cette alternance d'introjections et de projections. Le malade introjecte l'analyste qui a la liberté de s'absenter. Il s'identifie avec lui, puis projette son désir comme s'il venait de l'analyste.
Lorsque Bouvet écrit p. 176 : « Les obsédés ne s'intéressent qu'aux personnages qu'ils jugent puissants et du fait même de la puissance qu'ils leur prêtent, ils les redoutent et ne peuvent s'abandonner à eux », ce fait s'explique en grande partie par l'obligation qu'ils ressentent (en suite de leur identification) d'agir avec puissance. Or ils ne le peuvent pas et leur identification même devient un test de leur impuissance.
Ils ne sortent que difficilement de ce paradoxe : A cause de leur faiblesse, ils doivent s'identifier avec les forts. Mais cette identification, dès qu'elle est mise à l'épreuve, les oblige à constater leur faiblesse. C'est pour éviter ce cercle vicieux qu'ils préfèrent l'isolation.

Intervention du Pr EMILIO SERVADIO
Je désire en premier lieu rendre hommage à notre estimé confrère, le Dr Bouvet, pour son très remarquable exposé. A mon avis, la description qu'il nous a donnée des relations d'objet chez les obsédés est une des plus complètes qu'on puisse trouver dans la littérature psychanalytique.
Il est dommage que les limites qu'il s'est lui-même imposées n'aient pas permis au Dr Bouvet de nous faire connaître avec une égale ampleur ses vues personnelles sur la structure génétique de la névrose obsessionnelle. Dans quelques discussions préliminaires que nous avons eues à Rome sur le thème qui nous occupe, nous avons constaté, mes confrères et moi, que les problèmes des relations objectales dans cette névrose sont à peu près inséparables de ceux qui concernent sa psychogenèse. Le point de vue psychogénétique se reflète, en effet, tant sur l'interprétation du comportement du névrosé vis-à-vis de ses objets que sur les interprétations de transfert.
Je ne crois pas avoir à soulever de sérieuses objections sur aucun point fondamental du rapport du Dr Bouvet. Je voudrais seulement attirer son attention et la vôtre, sur la question des défenses primaires et secondaires des obsédés en rapport à leurs pulsions agressives.
Nous sommes tous familiers avec certaines formations caractérielles de ces névrosés qui, par leur comportement stéréotypé, formel, froid et suave nous donnent régulièrement l'impression de bloquer une agressivité démesurée, laquelle se manifeste dans l'analyse aussitôt que cette première ligne de défense est décelée et peut devenir matière d'interprétation. Je crois pouvoir affirmer aussi que le déblocage de cette ligne de défense caractérielle n'offre pas d'énormes résistances, et que les patients reconnaissent assez tôt le degré de leur agressivité et de leur ambivalence soit envers leur milieu social et familier, soit dans leurs rapports avec l'analyste.
On doit cependant se demander si cette agressivité est primaire, ou bien défensive à son tour. C'est la question que s'est posée Bergler, et qu'il a résolue en affirmant que l'agressivité des obsédés cache de profondes tendances passives, anales et orales, et que c'est contre ces tendances que ces sujets se défendent en déployant leur agressivité.
Je dois dire que, dans mes analyses d'obsédés, j'ai pu constamment vérifier le bien-fondé de la thèse de Bergler : au sujet de laquelle il me semble que notre honoré confrère ne s'exprime pas toujours d'une manière convaincante.
A la page 116 de son Rapport, le Dr Bouvet déclare en effet s'être persuadé qu'une bonne partie de l'agressivité de la névrose obsessionnelle est une réaction de défense contre une tendance passive, masochique, survivance d'expériences de passivité imposée. Il souligne encore autre part (p. 146) le rôle qu'un « masochisme très régressif joue dans la relation obsessionnelle à l'objet », et l'aspect masochique des actions agressives de ces névrosés. Cependant, il écrit aussi (p. 116) que « cela ne veut pas dire que des traumatismes importants de la période orale soient toujours en cause » ; et il se demande si la qualification de « pseudoagressive », que Bergler emploie pour définir la défense en question, ne manifeste pas « une tendance à méconnaître la puissance des instincts de destruction » (p. 146).
Il me semble qu'il y a là un malentendu. En aucun passage des travaux de Bergler on ne peut lire qu'il met en cause des traumatismes de la période orale pour appuyer sa thèse. Bien au contraire, il répète assez souvent (par exemple, dans son livre The Basic Neurosis, p. 9) que ce qui est décisif, ce n'est pas tel ou tel traumatisme réel de la phase orale, mais la projection de l'agressivité de l'enfant sur la mère, et les fantasmes d'être attaqué qui s'ensuivent. « La névrose » — dit-il — « a affaire avec des fantasmes refoulés, non point avec des réalités. »
Ce point, me paraît-il, ne fait désormais plus de doute, après les travaux de l'École anglaise de Psychanalyse, travaux dont Bergler d'ailleurs fait état. Je n'y insisterai donc pas. Quant à l'idée du Dr Bouvet, que Bergler puisse méconnaître la puissance des instincts de destruction, je trouve aussi qu'il s'agit là d'une impression que les exposés de Bergler ne justifient pas. D'une manière constante, Bergler insiste sur la qualité primaire des instincts destructifs et de leur expression dynamique, de la « destrudo », comme il l'appelle en adoptant le terme d'Edoardo Weiss. Il insiste, aussi, sur le fait que le masochisme n'est qu'agressivité « névrotiquement déplacée » (The Basic Neurosis, p. Il) ; et il schématise comme suit ses vues génétiques sur la position masochique : « La séquence historique des événements est la suivante : désir de recevoir — refus, ou fantasme de refus — furie et haine — incapacité motrice — inhibition de l'agression, premièrement de l'extérieur, puis de l'intérieur — retournement de l'agression contre sa propre personne à cause de la culpabilité — masochisation de la culpabilité. » Ici se termine, selon Bergler, la description génétique de la position masochique, et commence celle du cadre clinique, c'est-à-dire de l'élaboration névrotique, par un premier refoulement massif, du plaisir masochique d'être refusé, et du déploiement conséquentiel de ce qu'il appelle la « défense pseudo-agressive ».
Le Dr Bouvet s'est peut-être mépris sur la valeur du terme « pseudo ». On peut en effet s'y méprendre au premier abord, et croire que ce que Bergler a voulu dire, c'est qu'au fond, celle de l'obsédé n'est pas une agressivité vraie !... Mais je suis persuadé que cette impression n'est pas justifiée. L'agressivité de l'obsédé est quelque chose de terriblement vrai : seulement, elle est en grande partie tournée contre une cible factice, pour des motifs de défense inconsciente du moi, qui veut se détourner de la position que Bouvet, fort heureusement, appelle de « soumission amoureuse ». C'est bien l'attitude que notre distingué confrère décrit quand il rapporte (p. 160) les réactions violentes de Pierre à ses rêves d'être possédé par l'analyste et d'avaler sa salive ; et Bouvet lui-même semble reconnaître la nécessité de faire prendre conscience au malade de sa passivité masochique (qu'il essaie de nier en manifestant son agressivité) lorsqu'il admet (p. 116) « qu'à partir du moment où le sujet pouvait prendre conscience de son désir homosexuel, c'est-à-dire l'accepter, le contact affectif... devenait plus sûr ».
J'ai remarqué, enfin, que les exemples cliniques si instructifs et si frappants, rapportés par le Dr Bouvet, confirment singulièrement les vues de Bergler, même en ce qui concerne la qualité orale de la position masochique de fond. Il n'est pas nécessaire que je cite des passages à l'appui, car vous avez tous le texte sous vos yeux ou dans votre mémoire. Je conçois qu'on puisse avoir de la peine à accepter la proposition de Bergler, que les conflits de la phase anale et de la phase phallique ne sont que des « stations de secours » (rescue-stations) dont les névrosés se servent pour ne pas retomber dans les affres de la phase orale. J'ai même l'impression que Bergler a un peu trop souligné l'aspect négatif — ou, dirais-je mieux, négateur — de ces « stations de secours », et qu'il a par contre négligé le fait qu'elles sont aussi des étapes progressives et affirmatives, bien que non finales, du développement de l'enfant et de l'établissement de ses relations objectales — ce qui ressort si éloquemment, en ce qui concerne la névrose obsessionnelle, de l'exposé du Dr Bouvet. Cependant, il me semble résulter de plus en plus clairement, d'après les recherches analytiques récentes, surtout de Melanie Klein et de son école, que toute structure névrotique est un édifice défectueux par sa base même, que les conflits et les mécanismes psychiques de fond doivent nécessairement déterminer la qualité et le sens des mécanismes plus mûrs et le développement futur de la personnalité totale, et que le fait que ces mécanismes — tels que l'introjection et la projection — s'établissent dans la toute première enfance implique forcément leur qualification orale.
D'ailleurs, mon ami Perrotti me faisait remarquer, il y a quelques jours, que Freud avait, comme toujours, devancé ces points de vue sans en avoir trop l'air, et tout particulièrement dans son travail sur Un souvenir d'enfance de Léonard de Vinci : travail qui n'est pas de nature clinique, ce qui fait que nous pouvons facilement l'oublier quand nous nous occupons de problèmes de clinique psychanalytique. Il n'est pas moins vrai que Freud a vu dans une situation de dépendance orale de Léonard envers sa mère, la clef de voûte de sa structure psychologique et des traits obsessionnels de son caractère.
Je voudrais citer encore un exemple, tiré d'une de mes analyses. Je négligerai évidemment une grande quantité de détails. Il s'agissait d'un jeune homme, qui avait des fantasmes obsédants sado-masochiques : la scène fondamentale était celle d'une femme mûre et dominatrice, qui tyrannisait une jeune fille tremblante et soumise. En imaginant cette scène, le sujet se masturbait. « Je suis un sadiste virtuel » — disait-il. Dans la réalité, il avait une dose énorme d'agressivité contre sa mère, et il cherchait toutes les occasions pour l'attaquer. Il se défendit longtemps contre mon interprétation de son comportement comme étant défensif, et employé pour rejeter un masochisme de fond, en me disant, par exemple, que sa difficulté vis-à-vis des femmes était due à ses fantasmes sadiques, et qu'il se retenait par crainte de les détruire. Mais. après quelques mois d'analyse, il rêva, avec beaucoup d'angoisse, qu'un serpent ailé avec deux têtes blanches était sur son oreiller. J'interprétai ce rêve, lui montrant qu'il était inconsciemment attaché à l'idée qu'il dépendait d'une mère agressive, phallique, aux seins dangereux, pour sa nourriture et pour son existence même — ce qui était vrai aussi dans la vie réelle ; et que toute son agressivité ultérieure ne servait qu'à nier cette dépendance. Alors il se rappela plusieurs attitudes masochiques qu'il avait eues dans son enfance, et il me dit lui-même, en contredisant ce qu'il avait toujours déclaré auparavant : « La femme qui me représentait dans mes fantasmes obsédants n'était pas celle qui dominait et s'imposait, c'était plutôt l'autre. »
Je remercie encore le Dr Bouvet de m'avoir donné l'occasion de réfléchir sur des problèmes si importants, et je lui renouvelle toute mon admiration pour son excellent travail.

Réponse du Dr BOUVET
Le rapporteur remercie tout d'abord les personnes qui ont bien voulu l'argumenter avant de répondre en particulier à chacune d'elles.
Mme Marie Bonaparte rappelle que Freud a, à plusieurs reprises, soulevé l'hypothèse d'une maturation du moi, plus précoce que celle de la libido, comme facteur déterminant de la forme obsessionnelle de la névrose et cette précocité de la structuration du moi paraît inconciliable avec la démonstration que le rapporteur tente de faire de l'existence d'une faiblesse fondamentale de l'Ego dans une telle affection.
Dans sa réponse, le Dr Bouvet rappelle que précisément dans Inhibition, symptôme et angoisse, Freud envisageant à nouveau le problème de la pathogénie de la névrose obsessionnelle discute l'importance relative de deux facteurs, l'un constitutionnel et l'autre chronologique. Au facteur chronologique répond la précocité de la formation du Moi. Au facteur constitutionnel, des caractéristiques particulières de la libido qui rendent très labile son organisation génitale. Et Freud conclut à la vraisemblance de la prévalence du facteur constitutionnel, après avoir discuté divers arguments sur lesquels l'auteur n'insiste pas.
Il n'en reste pas moins que le Moi obsessionnel est d'une qualité telle que l'on peut, dans une certaine mesure, le considérer comme fort. Fedenr n'oppose-t-il pas la vigueur, la précocité, l'ampleur des défenses psychologiques du Moi obsessionnel à la fragilité, à l'insuffisance, à la pauvreté des mêmes défenses dans le Moi hystérique. Alors que le problème de l'angoisse est réglé par un jeu psychologique, dans le premier cas, il est liquidé par des réactions somatiques adaptatives inconscientes dans le second. Le Moi psychologique obsessionnel apparaît donc comme plus fort que le Moi hystérique.
Mais il ne s'agit là que d'une force relative. Et, faisant allusion à l'intervention du Dr Lacan (1), le rapporteur met l'accent sur le fait que la persistance, chez l'obsédé, de mécanismes de défense archaïques, témoigne par là-même de la faiblesse profonde de son Moi ; qu'il existe une phase normale du développement où les mécanismes d'adaptation de type obsessionnel prédominent, et que cette phase doive être normalement dépassée témoigne de la faiblesse relative du Moi obsessionnel par rapport au Moi « génital », capable, de par l'utilisation de techniques d'adaptation plus souples et plus variées, d'un ajustement plus satisfaisant à la réalité extérieure.
(1) intervention ne nous étant pas parvenue, nous n'avons pu l'insérer dans ce numéro.

Répondant ensuite au Pr Emilio Servadio, de Rome, le rapporteur tient d'abord à le remercier de la sympathie qu'il a témoignée à l'endroit de son travail, puis il essaie de schématiser les critiques que lé Pr Servadio lui adresse.
En ce qui concerne la première de ces critiques, celle relative à l'exclusion de son travail des problèmes intéressant la psychogenèse de l'obsession, le Dr Bouvet rappelle qu'il lui semble avoir noté toute l'importance de ces mécanismes qui président à la formation du symptôme, et en avoir montré l'incidence sur les relations d'objet en général et dans le transfert en particulier, en divers points de son exposé et plus spécialement au chapitre relatif aux instruments de la Relation à distance. Il s'est efforcé de situer à leur place, dans l'étude générale qu'il fait des relations objectales, les mécanismes utilisés dans la technique obsessionnelle.
Mais la critique essentielle formulée par le Pr Servadio a trait au rôle que joue l'agressivité dans la conception qu'a Bergler de la Névrose obsessionnelle. Le Pr Servadio estime en effet, à la manière dont le rapporteur le comprend, que Bouvet méconnaît l'importance que Bergler attache à la violence des pulsions agressives primaires dans la pathogénie de cette affection.
Il se peut en effet que le rapporteur ait trop pris au sens littéral certains des passages qu'il a relevés dans l'oeuvre de cet auteur et qu'il se soit exagéré « une tendance (de Bergler) à sous-estimer la puissance des instincts de destruction ». Cependant Bouvet rappelle à ce sujet divers textes dont il ne prétend pas ici donner une traduction rigoureuse, mais dont il pense respecter l'esprit. Dans un article de 1948 du Psychoanalytic Quarterly, Bergler note que l'on n'a jamais, dans la Névrose obsessionnelle, souligné le fait que l'agressivité est utilisée comme moyen de défense contre la passivité, ce que Freud avait fait pour la paranoïa et que ce mécanisme est le trait central de la Névrose obsessionnelle. Il ajoute plus loin : trop souvent l'agressivité est prise comme une valeur de face et la formulation anale-sadique trop littéralement considérée.
Dans un article de 1942 intitulé Deux formes de l'agressivité dans la névrose obsessionnelle, Bergler insiste sur le fait en parlant des obsédés qu'il faut considérer plutôt leur passivité anale inconsciente que leur agressivité. Il parle encore ici de la passivité fondamentale du patient.
Il semble donc bien que s'il y a malentendu ce soit sur une question de nuance.
Enfin le rapporteur ne pense pas méconnaître l'importance de la « projection des agressivités de l'enfant sur la mère » puisque aussi bien il fait jouer à la projection un rôle capital dans les relations d'objet de l'obsédé et qu'il parle de la personne déjà à demi imaginaire que l'enfant voit en ses parents. Mais il tient à noter que Bergler invoque explicitement la conduite imprudente des mères et des nourrices. En terminant le rapporteur remercie encore le Pr Servadio de sa si intéressante intervention.
Au Dr Held, qui a posé le problème des relations entre certains syndromes digestifs et la névrose obsessionnelle, en relatant le cas de sujets qui voient se développer des conduites obsessionnelles lors du traitement psychosomatique de leur affection, le Dr Bouvet propose une hypothèse visant le cas plus précisément rapporté. Il pense que le jeune malade auquel fait allusion le Dr Held satisfaisait à travers ses relations avec ses médecins des tendances homosexuelles inconscientes, significatives de désirs de relations sado-masochiques avec un personnage phallique et que, à l'émergence imminente de ses tendances pulsionnelles, il réagissait en utilisant les instruments de la relation à distance, qui prendrait dans ce cas, précisément la signification que le rapporteur s'est efforcé de lui donner.
Le Dr Bouvet remercie tout particulièrement S. Lebovici de son apport à cette discussion, et lui dit combien il a été sensible à la façon dont il a accueilli son travail. Il est tout particulièrement heureux que Lebovici ait pu retrouver, dans son expérience personnelle, chez les enfants, l'essentiel de ce qu'il avance après bien d'autres, comme signification en regard du développement et de la régression, de la relation d'objet obsessionnelle.
Mme Dolto rapporte des faits constatés par elle dans ses analyses d'enfants et intéressant les processus d'incorporation : incorporation d'un objet « partiel » ; le rapporteur n'a pas le sentiment d'avoir dans ses analyses d'obsédés adultes, retrouvé un matériel exactement superposable à celui de Mme Dolto.
Le rapporteur remercie ensuite le Dr Laforgue d'apporter ici les enseignements qu'il a tirés de sa longue expérience. Mais il craint que le Dr Laforgue ne l'ait pas exactement compris dans quelques aspects de son étude.
Le Dr Bouvet ne pense pas, en effet, que le traitement des obsédés soit aussi décevant que M. Laforgue le lui fait dire. Certes ce traitement est long, délicat, certes il convient de ne pas s'abuser sur la valeur de certains résultats, mais l'auteur précisément pense qu'avec une technique rigoureuse autant qu'humaine, des modifications structurales de la personnalité peuvent être obtenues. Et c'est d'ailleurs ce qu'il s'est efforcé de montrer tout au long de son rapport.
De. même le Dr Laforgue a retiré de la lecture de ce travail l'impression que l'attitude thérapeutique proposée était celle d'un miroir froid alors que l'auteur s'est attaché à montrer sans cesse combien cette attitude devait être celle d'une compréhension attentive et sans défaillance, et pour tout dire d'une chaude compréhension, dosant sans cesse la distance que le sujet peut supporter et l'amenant progressivement à un « rapproché » nécessaire.
Bouvet insiste sur l'importance d'une attitude active à une certaine phase, tardive d'ailleurs, du traitement, alors que doit être intensifiée cette fonction de « médiation » que le sujet a dévolu à son thérapeute.
En ce qui concerne l'étroitesse des liens névrotiques qui unissent l'obsédé à son environnement, l'auteur est tout à fait en accord avec le Dr Laforgue. Il n'a pu expliciter dans son rapport ce que sa pratique lui a appris touchant la vigueur des réponses complémentaires névrotiques du milieu familial mais, dans sa réponse, il en cite de nombreux exemples qui lui semblent plus particulièrement démonstratifs, et qui l'amènent à comparer le bloc de la famille obsessionnelle à un organisme pluricellulaire ; néanmoins, dans les cas dont il eut à connaître, l'analyse put arriver à une détente suffisante des relations familiales du seul fait de l'amélioration du sujet.
Le Dr Laforgue a soulevé l'hypothèse d'une séduction du sujet par sa mère dans le cas de Paul, l'auteur ne peut que répondre à son interlocuteur que rien, dans l'analyse, ne lui permit de confirmer cette manière de voir.
En terminant, Bouvet remercie le Dr Laforgue de rappeler dans ce débat ses vues si originales sur « l'Ego collectif ». Après tout ce que le rapporteur vient de dire sur la valeur de la « technique obsessionnelle », instrument d'adaptation, il ne saurait être question qu'il minimise son importance dans l'élaboration de l'âme collective.
En quelques mots, le rapporteur remercie ensuite le Dr de Saussure des intéressantes observations qu'il a rapportées dans son intervention. Il est heureux de constater que M. de Saussure s'associe aux conclusions qu'il a formulées et insiste à son tour sur l'importance des mécanismes d'introjection et de projection dans la névrose obsessionnelle.
Après avoir remercié le Dr J. Lacan des paroles chaleureuses dont il a honoré son travail, le rapporteur répond sur deux points particuliers. A une question posée sur la signification des introjections passives dans le processus d'identification, le Dr Bouvet répond qu'il n'a rien à ajouter à ce qu'il avait déjà conclu dans son travail sur l'utilisation de l'aspect homosexuel du transfert dans le traitement de quatre cas de névrose obsessionnelle masculine, tout au moins en ce qui concerne ce point particulier : Les introjections passives ont la même valeur structurante que les introjections actives.
Par contre Bouvet ne se rallie pas entièrement aux idées de Lacan sur la force du Moi dans la névrose obsessionnelle, comme il l'a déjà précisé dans sa réponse à Mme Marie Bonaparte ; pour lui le Moi obsessionnel ne dispose que d'une force relative et de toute manière d'une qualité moindre que celle du Moi génital adulte, ce qui ne veut pas dire pour autant qu'un Moi, qui a largement maîtrisé les problèmes auxquels il devait faire face par un jeu obsessionnel d'abord, puis en le dépassant ensuite, ne soit pas d'une qualité supérieure.
Le Dr Nacht partage d'ailleurs la même opinion. Pour lui, le Moi obsessionnel est un Moi faible. Le rapporteur, après avoir remercié le Dr Nacht de son intervention, répond aux autres remarques que celui-ci a faites et spécialement sur le point particulier de la spécificité de la relation d'objet telle qu'il l'a décrite. Certes, l'on peut trouver quelque chose d'approchant dans d'autres névroses, mais l'originalité de la relation obsessionnelle est faite précisément des caractéristiques qui ont été longuement précisées dans ce rapport : sa nécessité, son étroitesse, son caractère dramatique, la contradiction interne qu'elle recèle, ainsi que la spécificité des instruments dont le sujet se sert pour tenter de résoudre la contradiction qui s'y exprime. Quant à la peur, elle en est inséparable et son analyse ne semble pas à l'auteur pouvoir être dissociée de celle de la relation objectale telle qu'il l'a tentée.
Le gérant : Daniel LAGACHE.