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De la lypémanie ou mélancolie (1820)

E.Esquirol (partie 1)

Les auteurs, depuis Hippocrate, donnent le nom de mélancolie au délire caractérisé par la morosité, la crainte et la tristesse prolongées. Le nom de mélancolie a été imposé à cette espèce de folie parce que, selon Galien, les affections morales tristes dépendent d'une dépravation de la bile qui, devenue noire, obscurcit les esprits animaux et fait délirer. Quelques modernes ont donné plus d'extension au mot mélancolie et ils ont appelé mélancolique tout délire partiel, chronique et sans fièvre. Il est certain que le mot mélancolie, même dans l'acception des anciens, offre souvent à l'esprit une idée fausse, car la mélancolie ne dépend pas toujours de la bile. Cette dénomination ne saurait convenir à la mélancolie telle que la définissent les modernes. Cette double considération m'a fait proposer le mot monomanie,. formé de mono, seul, et de manie, terme qui exprime le caractère essentiel de cette espèce de folie dans laquelle le délire est partiel, permanent, gai ou triste. Cette dénomination généralement accueillie est adoptée aujourd'hui par le plus grand nombre de médecins, et a acquis droit de bourgeoisie dans notre langue '.

Le mot mélancolie, consacré dans le langage vulgaire, pour exprimer l'état habituel de tristesse de quelques individus, doit être laissé aux moralistes et aux poètes qui, dans leurs expressions, ne sont pas obligés à autant de sévérité que les médecins. Cette dénomination peut être conservée au tempérament dans lequel prédomine le système hépatique pet désigner la disposition aux idées fixes, à la tristesse, tandis que le mot monoma­nie exprime un état anormal de la sensibilité physique ou morale, avec délire circonscrit et fixe.

La monomanie est, de toutes les maladies, celle qui présente à l'observateur les phénomènes les plus étranges et les plus variés, qui offre à l'étude les sujets de méditation les plus nombreux et les plus profonds elle embrasse toutes les mystérieuses anomalies de la sensibilité, tous les phénomènes de l'entendement humain, tous les effets de la perversion de nos penchans, tous les égaremens de nos passions.

Celui qui veut approfondir l'étude de la monomanie ne peut être étranger aux connaissances relatives aux progrès et à• la marche de l'esprit humain. Ainsi cette maladie est en rapport direct de fréquence avec le développement des facultés intellectuelles. Plus l'intel­ligence est développée, plus le cerveau est mis en activité, plus la monomanie est à craindre. Il n'est point de progrès dans les sciences, d'invention dans les arts, d'innovation importante qui n'aient servi de causes à la monomanie, ou qui ne lui aient prêté leur caractère. Il en est de même des idées dominantes, des erreurs générales, des convictions universelles vraies ou fausses qui impriment un caractère propre à chaque période de la vie sociale.

La monomanie est essentiellement la maladie de la sensibilité, elle repose tout entière sur nos affections. Son étude est inséparable de la connaissance des passions ; c'est dans le coeur de l'homme qu'elle a son siège, c'est là qu'il faut fouiller pour en saisir toutes les nuances. Que de monomanies causées par l'amour contrarié, par la crainte, par la vanité, par l'amour propre blessé ou par l'ambition déçue Cette maladie présente tous les signes qui caractérisent les passions le délire des monomaniaques est exclusif, fixe et permanent comme les idées de l'homme passionné. Comme les passions, tantôt la monomanie se manifeste par la joie, le contentement, la gaîté, l'exaltation, l'audace et l'emportement ; tantôt elle est concentrée, triste, silencieuse, timide et craintive ; mais toujours exclusive et opiniâtre.

Il y a longtemps qu'on a dit que la folie est la maladie de la civilisation ; il eût été plus exact de le dire de la monomanie : en effet, la monomanie est d'autant plus fréquente que la civilisation est plus avancée. Elle emprunte son caractère et retrouve les causes qui la produisent dans les différens âges des sociétés ; elle est superstitieuse et érotique dans l'enfance sociale, comme elle l'est encore-dans les campagnes et dans les contrées où la civilisation et ses excès ont fait peu de progrès. Tandis que dans les sociétés avancées, elle a pour cause et pour caractère : l'orgueil, l'abnégation de toute croyance, l'ambition, le jeu, le désespoir, je suicide. Il n'est pas d'époque sociale qui n'ait été /remarquable par quelques monomanies empreintes du caractère intellectuel et moral de chaque époque.

L'état des sociétés modernes a modifié les causes et le caractère de la monomanie et cette maladie se révèle sous des formes nouvelles. Avec l'affaiblissement des convictions religieuses, la démonomanie, les folies superstitieuses ont disparu. L'influence de la religion sur la conduite des peuples s'étant affaiblie, les gouvernemens, pour maintenir les hommes dans l'obéissance, ont eu recours à la police : depuis lors, c'est la police qui trouble les imaginations faibles. Les maisons de fous sont peuplées de monomaniaques, qui, craignant cette autorité, délirent sur l'action qu'elle exerce et dont ils se croient poursuivis. Tel monomaniaque qui autrefois eût déliré sur la magie, sur la sorcellerie, sur l'enfer, délire aujourd'hui se croyant menacé, poursuivi, prêt à être incarcéré par les agens de la police. Nos convulsions politiques ont produit beaucoup de monomanies en France, provoquées et caractérisées par les événemens qui ont signalé chaque époque de notre révolution : en 1791, il y eut à Versailles un nombre prodigieux de suicides. Pinel rapporte qu'un enthousiaste de Danton, l'ayant entendu accuser, devint fou, et fut envoyé à Bicêtre. A la mort du roi et de son infortunée famille, il éclata un grand nombre de monomanies. Le procès de Moreau, la mort du duc d'Enghien en produisirent beaucoup. Lorsque le pape vint en France, ce grand événement réveilla les idées religieuses, il y eut alors beaucoup de monomanies superstitieuses qui disparurent bientôt après. A l'époque où l'empereur peuplait l'Europe de nouveaux rois, il y eut en France beaucoup de monomaniaques qui se croyaient empereurs ou rois, impératrices ou reines. La guerre d'Espagne, la conscription, nos conquêtes, nos revers, produisirent aussi leurs maladies mentales. Combien d'individus frappés de terreur, lors des deux invasions, sont restés monomaniaques 1 Enfin, on trouve dans les maisons d'aliénés plusieurs individus qui se croient dauphins de France et destinés au trône. Plusieurs observations qu'on peut lire dans cet ouvrage viendront encore appuyer cette vérité générale : l'état de la société exerce une grande influence sur la produc­tion et le caractère de la monomanie.

L'étude approfondie de cette maladie se lie à la connaissance des moeurs, des habitudes de chaque peuple. Les gymnosophistes se tuaient par mépris de la mort, les stoïciens par orgueil, les Japonais se tuent par vertu. La monomanie était superstitieuse chez les Juifs, comme elle l'est aujourd'hui en Espagne et dans quelques contrées de l'Europe, où l'indifférence, l'incrédulité pour les antiques croyances livrent les esprits à l'exaltation du sentiment religieux, d'où naissent les idées les plus bizarres, les plus absurdes. C'est ce qu'on observe en Angleterre, en Allemagne parmi les adeptes des sectes qui se multiplient à l'infini. Cette observation a été faite par tous les médecins anglais et allemands qui ont écrit sur les maladies mentales. La monomanie était érotique en Grèce, comme elle 'l'est aujourd'hui en Italie. L'habitude d'être toujours à cheval, rendant les Scythes impuissans, ils se crurent changés en femmes. Dans quelques pays on craint le diable noir, dans d'autres le diable blanc. Là, les monomaniaques se croyaient ensorcelés ou loup-garou ; ici, ils craignaient les magiciens et les sorciers ; sur le bord de la mer, ils ont peur des naufrages et des tempêtes. Ces folies s'observent encore chez quelques peuples de l'extrême nord.
Telles sont les considérations générales qui appartiennent à toutes les monomanies, à tous les délires partiels, permanens et sans fièvre. Mais cette maladie se présente sous deux formes opposées. Les anciens, qui avaient donné pour caractère de la mélancolie, la tristesse et la crainte, furent forcés de ranger parmi les mélancolies - quelques délires partiels, entretenus par une violente exaltation de l'imagination ou par des passions vives et gaies. Lorry qui a si bien décrit la mélancolie, quoique sa définition consacre l'opinion des anciens, admet une variété de mélancolie compliquée de manie, laquelle a pour signe le délire partiel avec exaltation de l'imagination, ou avec une passion excitante. Rush divise la mélancolie en mélancolie triste qu'il appelle tristimanie, et en mélancolie gaie à laquelle il donne le nom d'aménomanie et constate ainsi les résultats d'une observation que chacun peut faire.

La monomanie caractérisée par une passion gaie ou triste, excitante ou oppressive, produisant le délire fixe et permanent des désirs et des déterminations relatifs au caractère de la passion dominante, se divise naturellement en monomanie proprement dite, ayant pour signe caractéristique un délire partiel et une passion excitante ou gaie et en monomanie caractérisée par un délire partiel et une passion triste et oppressive. La première de ces affections correspond à la mélancolie maniaque, à la fureur maniaque, à la mélancolie compliquée de manie, enfin à laménomanie (Rush). Je lui consacre le nom de monomanie. J'en parlerai plus tard.

La seconde correspond à la mélancolie des anciens, à la tristimanie de Rush, à la mélancolie avec délire de Pinel. Malgré la crainte d'être accusé de néologisme, je lui donne le nom de lypémanie, mot formé de xxx, tristitiam infero, anxium reddo; et de manie. Nous allons traiter de la lypémanie dans cet article, en employant indifféremment les mots mélancolie ou lypémanie, en attendant que l'usage ait consacré cette dernière dénomination.

Hippocrate donne pour caractères de la mélancolie la tristesse et la crainte prolongées, sans parler du délire. Arétée appelle manie la mélancolie dès qu'il y a fureur. Galien adopte et développe sur ce point comme sur beaucoup d'autres les idées d'Hippocrate. Coelius Aurelianus ne distingue pas la mélancolie de l'hypocondrie et rapporte plusieurs observations très intéressantes de délires partiels. Presque tous les auteurs qui ont suivi n'ont fait que copier ou arranger à leur manière les idées de Galien. Rhazès prétend que la bile noire refluant de la rate dans l'estomac, produit la mélancolie. Michaëlis de Héréda et Forestus veulent que les idées tristes et la crainte s'associent au délire partiel pour former le caractère de la mélancolie. Sennert admet une disposition occulte ou ténébreuse des esprits animaux dans la mélancolie. Sydenham confond l'hystérie avec l'hypocondrie et celle-ci avec la mélancolie. Ettmuller distingue le délire de l'affection mélancolique, le délire, selon lui, est secondaire à l'affection mélancolique. Frédéric Hoffmann et Bœrhaave regardent la mélancolie comme le premier degré de la manie. Sauvages définit la mélancolie un délire exclusif, sans fureur, compliqué de maladie chronique. Lorry adopte la définition et les théories des anciens, mais il divise la mélancolie en trois espèces : l'une avec matière, l'autre sans matière, la troisième mixte. Cullen distingue très bien la mélancolie de l'hypocondrie. Dans celle-ci il y a dyspepsie et le délire est relatif à la santé de l'individu malade. Pinel caractérise la mélancolie par la tristesse, la crainte, avec délire partiel concentré sur un seul objet ou sur une série particulière d'objets. Moreau de la Sarthe s'en tient à la définition des anciens, et désigne cette vésanie sous le nom de mélancolie avec délire. Mon honorable ami le docteur Louyer-Villermay a parfaitement décrit les différences qui doivent distinguer à jamais l'hypocondrie de la mélancolie. La mélancolie consiste dans l'intuition permanente et exclusive d'un objet quelconque poursuivi avec ardeur et presque toujours accompagnée de crainte, de défiance, etc. Telle est la définition de la mélancolie qu'on lit dans le Traité du délire du respectable professeur Fodéré. Ce même auteur donne le nom de manie à la mélancolie lorsque celle-ci passe à l'état d'excitation ou de fureur.

Ce rapide exposé prouve la fluctuation et l'incertitude des opinions sur les caractères et la nature de cette maladie : nous la croyons bien définie en disant que la mélancolie avec délire, ou la lypémanie, est une maladie cérébrale caractérisée par le délire partiel, chronique, sans fièvre, entretenu par une passion triste, débilitante ou oppressive. La lypémanie ne saurait être confondue avec la manie dont le délire est général, avec exaltation de la sensibilité et des facultés intellectuelles, ni avec la monomanie qui a pour caractère les idées exclusives avec une passion expansive et gaie ; ni avec la démence dont l'incohérence et la confusion des idées sont l'effet de l'affaiblissement : on ne saurait la confondre avec l'idiotie, car l'idiot n'a jamais pu raisonner.

La lypémanie a été si souvent prise pour l'hypocondrie, que je ne peux me défendre de présenter en peu de mots les différences qui existent entre ces deux maladies. La lypémanie est plus souvent héréditaire ; les lypémaniaques naissent avec un tempérament particulier, le tempérament mélancolique qui les dispose à la lypémanie. Cette disposition est fortifiée par les vices de l'éducation et par des causes qui agissent plus directement sur le cerveau, sur la sensibilité, l'intelligence ; les causes qui la produisent sont plus ordinairement morales. Tandis que l'hypocondrie est l'effet de causes plus souvent physiques qui modifient l'action de l'estomac qui troublent les fonctions digestives. Dans la lypémanie, les idées contraires à la raison sont fixes, entretenues par une passion triste, par une vicieuse association d'idées. Dans l'hypocondrie au contraire, il n'y a point de délire, mais le malade exagère ses souffrances, il est sans cesse préoccupé, effrayé des dangers qu'il croit menacer sa vie et il y a dyspepsie.

Comme pour les autres espèces de folies, je considérerai dans la lypémanie ou la mélancolie, les causes qui la produisent, les symptômes qui la caractérisent, la marche qui lui est propre, ses terminaisons et son traitement.



SYMPTOMES DE LA LYPÉMANIE OU MÉLANCOLIE

Le lypémaniaque a le corps maigre et grèle, les cheveux noirs, le teint pâle, jaunâtre, les pommettes parfois colorées, la peau brune, noirâtre, aride et écailleuse, tandis que le nez est d'un rouge foncé. La physionomie est fixe et immobile, mais les muscles de la face sont dans un état de tension convulsive et expriment la tristesse, la crainte ou la terreur ; les yeux sont fixes, baissés vers la terre ou, tendus au loin, le regard est oblique, inquiet, et soupçonneux. Si les mains ne sont pas desséchées, brunes, terreuses, elles sont gonflées, violacées.

M..., âgée de 23 ans, est conduite à la Salpêtrière le 8 juin 1812. La taille de M... est moyenne, ses cheveux et ses yeux sont noirs, les sourcils très épais se rapprochent vers la racine du nez, le regard est fixé sur la terre, la physionomie exprime la crainte, l'habitude du corps est maigre, la peau est brune. On observe quel­ques taches scorbutiques sur les membres abdominaux. Les mains et les pieds, toujours très froids, sont d'un rouge violacé, le pouls est lent et très faible. La constipation ordinairement très opiniâtre est quelquefois remplacée par le dévoiement, l'urine est rare.

M... ne profère pas un mot, se refuse à toutes sortes de mouvemens, s'obstine à rester couchée dans son lit. On a recours à divers moyens pour la déterminer à prendre de la nourriture, les affusions d'eau froide ont triomphé de cette répugnance et M... mange plus volontiers ; cependant elle manifeste de temps en temps sa répugnance pour se nourrir, quoique avec moins d'opiniâtreté. Depuis quatre ans que cette fille est dans la maison, elle n'a laissé échapper que quelques mots qui ont laissé comprendre que la frayeur absorbait toutes ses facultés.

Elle habitait la campagne et avait été très effrayée par des soldats.

Il faut contraindre M... à quitter son lit. Aussitôt qu'elle est habillée, elle va s'asseoir sur un banc toujours à la même place, restant dans la même attitude, la tête penchée sur le côté gauche de la poitrine, les bras croi­sés reposent sur ses genoux, les yeux sont fixement ten­dus vers le sol. M... reste ainsi sans mouvement et sans parole toute la journée. A l'heure des repas elle ne va pas prendre ses alimens, il faut les lui apporter et la presser pour qu'elle mange. Pour cela elle ne change point de position et ne se sert jamais que du bras et de la main du côté droit. Si l'on s'approche de la malade, si on lui parle, si on l'interroge, si on l'exhorte, etc., son teint se colore légèrement, quelquefois elle détourne les yeux, jamais elle ne répond. Il faut l'avertir pour se coucher, elle se déshabille, se pelotonne dans son lit et s'enveloppe entièrement avec les couvertures.

La menstruation est irrégulière et peu abondante, elle se supprime pendant six mois. Jamais on n'a pu vaincre le silence ni l'aversion de cette fille pour le mouvement ; jamais elle n'a eu de fureur. Elle est morte phthisique à l'âge de 29 ans. L'observation suivante nous montre la lypémanie avec des caractères différens. Dans celle-ci la lypémaniaque semble accablée sous le poids des idées qui l'oppriment, tandis que la lypémaniaque dont l'observation suit, révèle par son regard et son attitude, l'activité et la fixité de son intelligence et de ses affections. Mademoiselle..., d'une très forte constitution, d'une taille élevée, avait passé son enfance dans le château de Chantilly et avait souvent joué avec le duc d'Enghien, enfant lui-même. Lors de l'émigration, mademoiselle... fut confiée à une dame chargée de veiller à son éducation. Les événemens politiques devinrent plus graves. Cette jeune enfant sentit la misère, son éducation fut négligée. A la mort du duc d'Enghien, Mademoiselle tombe dans la lypémanie la plus profonde, elle avait 16 à 17 ans, ses cheveux devinrent gris presque subitement. Mademoiselle... fut envoyée à la Salpêtrière où elle a vécu un grand nombre d'années avant de succomber. Mademoiselle était d'une haute taille, très maigre, ses cheveux étaient très abondants et gris, ses yeux grands et bleus, fixes ; le teint de sa peau était pâle. La malade vêtue seulement de la chemise et la tête nue était constamment assise sur le traversin de son lit, les cuisses fléchies sur le ventre et les jambes fléchies sous les cuisses, les coudes appuyés sur les genoux, la tête toujours élevée, droite, était soutenue dans la main droite. Pendant la nuit, la position de cette malade est la même, mais elle s'asseoit sur les matelas, appuyant son dos contre le traversin, en ramassant les couvertures sur sa poitrine. Mademoiselle ne parle jamais, de temps en temps elle murmure à voix très basse quelques monosyllabes qui ont permis de croire qu'elle voit et attend quelqu'un. Elle ne répond à aucune question, repousse par un mouvement du tronc la personne qui l'interroge. Elle mange peu et la constipation est opiniâtre. Elle marche sur ses fesses, à la manière des culs-de-jatte, soulevant son corps à l'aide de ses bras. Ses yeux et son regard ne se détournent jamais d'une croisée qui est à portée de son lit et au travers de laquelle elle semble voir ou entendre quelqu'un qui fixe son attention. Les cuisses et les jambes, par la continuité de cette position, sont contractées, et quelques tentatives qui aient été faites, on n'a pu étendre ses membres abdominaux.

L'unité d'affection et de pensée rend les actions du mélancolique uniformes et lentes, il se refuse à tout mouvement, passe ses jours dans la solitude et l'oisiveté Il est habituellement assis, les mains croisées, ou bien debout, inactif, les bras pendans le long du corps. S'il marche c'est avec lenteur et appréhension, comme s'il avait quelque danger à éviter, ou bien il marche avec précipitation et toujours dans la même direction comme si l'esprit était profondément occupé. Il en est qui déchi­rent leurs mains, l'extrémité des doigts, et détruisent les ongles. Tourmenté par le chagrin ou la crainte, l'ail et l'oreille incessamment au guet, pour le lypémaniaque le jour est sans repos, la nuit sans sommeil. Les sécré­tions ne se font plus.Quelques mélancoliques repoussent opiniâtrement toute nourriture. On en voit qui passent plusieurs jours sans manger quoique ayant faim, mais retenus par des hallucinations, par des illusions qui enfantent des craintes chimériques. L'un craint le poison, l'autre le déshonneur, celui-ci veut faire pénitence, celui-là croit que s'il mangeait, il compromettrait ses parents ou ses amis, enfin il en est qui espèrent se délivrer de la vie et de ses tourmens par l'abstinence de toute nourriture.

On en a vu soutenir l'abstinence pendant 13, 20 jours et au-delà. Lorsque l'on triomphe de la répugnance de ces malades, la plupart sont moins sombres, moins tristes, après qu'ils se sont décidés à prendre des alimens.

Le pouls est ordinairement lent, faible, concentré ; quelquefois il est très dur et l'on sent sous les doigts une sorte de frémissement de l'artère. La peau est aride, d'une chaleur sèche et quelquefois brûlante. La transpi­ration est nulle tandis que les extrémités des membres sont froides et baignées de sueur.

Les lypémaniaques dorment peu. L'inquiétude, la crainte, la terreur, la jalousie, les hallucinations les tien­nent éveillés. S'ils s'assoupissent, dès que leurs yeux se ferment, ils voient mille fantômes qui les terrifient ; s'ils dorment, leur sommeil est interrompu, agité par des rêves plus ou moins sinistres. Souvent ils sont éveillés en sursaut par le cauchemar, par les rêves qui leur représentent les objets qui ont causé ou qui entretiennent leur délire. Plusieurs, après une bonne nuit, sont plus tristes et plus inquiets ; plusieurs autres croient ne pou­voir jamais atteindre la fin de la journée et sont mieux lorsque la nuit commence, persuadés qu'on ne pourra pas les arrêter. Quelques-uns sentent leurs inquiétudes augmenter à l'approche de la nuit ; ils redoutent l'obscurité, la solitude, l'insomnie, les terreurs du sommeil, etc.

Les sécrétions pressentent aussi des désordres remarquables chez les lypémaniaques. L'urine est abondante, claire, aqueuse ; quelquefois elle est rare, épaisse et bourbeuse. Il est des mélancoliques qui, par divers motifs, retiennent l'urine pendant plusieurs jours de suite. L'on connaît l'histoire de ce malade qui ne voulait point uriner par la crainte d'inonder la terre, et qui ne se décida à rendre son urine qu'après qu'on lui eut persuades qu'il n'y avait que ce moyen pour éteindre un violent incendie qui venait d'éclater.

La mélancolie avec délire ou la lypémanie pressente dans l'ensemble de ses symptômes deux différences bien marquées. Tantôt les lypémaniaques sont d'une susceptibilité très irritable et d'une mobilité extrême. Tout fait sur eux une impression très vive ; la plus légère cause produit les plus douloureux effets ; les événe­mens les plus simples, les plus ordinaires leur paraissent des phénomènes nouveaux et singuliers, préparés exprès pour les tourmenter et pour leur nuire. Le froid, le chaud, la pluie, le vent, les font frissonner de douleur et d'effroi ; le bruit les saisit et les fait frémir ; le silence les fait tressaillir et les épouvante. Si quelque chose leur déplaît, ils la repoussent avec rudesse et avec obstination. Si les alimens ne leur conviennent pas, leur répugnance va jusqu'à éprouver des nausées et des °t vomissements. Ont-ils quelques sujets de crainte ? Ils sont terrifiés. Ont-ils quelques regrets ? Ils sont au désespoir. Eprouvent-ils quelques revers ? Ils croient tout perdu. Tout est forces, tout est exagéré dans leur manière de sentir, de penser et d'agir. Cette excessive susceptibilité leur fait rencontrer sans cesse dans les objets extérieurs de nouvelles causes de douleurs. Aussi le jour et la nuit ont-ils l'oreille aux écoutes et l'oeil aux aguets. Ils sont toujours en mouvement, à la recherche de leurs ennemis et des causes de leur souffrance. Ils racontent sans cesse et à tout venant leurs maux, leurs 'craintes, leur désespoir. Tantôt la sensibilité concentrée ',sur un seul objet semble avoir abandonné tous les organes ; le corps est impassible à toute impression, (,tandis que l'esprit ne s'exerce plus que sur un sujet > nique qui absorbe toute l'attention et suspend l'exerce de toutes les fonctions intellectuelles. L'immobilité tau corps, la fixité des traits de la face, le silence obstiné..hissent la contention douloureuse de l'intelligence ;fit des affections. Ce n'est plus une douleur qui s'agite, ,qui se plaint, qui crie, qui pleure, c'est une douleur qui tait, qui n'a pas de larmes, qui est impassible.

Dans cet état d'exaltation douloureuse de la sensibilité, non-seulement les lypémaniaques sont inaccessibles à toute impression étrangère à l'objet de leur délire, mais ils sont hors de la raison parce qu'ils per­çoivent mal les impressions. Un abîme les sépare, disent­ils, du monde extérieur. J'entends, je vois, je touche, disent plusieurs lypémaniaques, mais je ne suis pas comme autrefois ; les objets ne viennent pas à moi, ils ne s'identifient pas avec mon être ; un nuage épais, un voile change la teinte et l'aspect des corps. Les corps les mieux polis me paraissent hérissés d'aspérités, etc. Les objets extérieurs n'ayant plus leurs rapports natu­rels, les chagrinent, les étonnent, les effraient, les épouvantent. Les lypémaniaques ont des illusions des sens, des hallucinations. Ils associent les idées les plus disparates, les plus bizarres : de tout cela naissent des convictions plus ou moins contraires au sens commun, des préventions injustes, la peur, l'épouvante, la crainte, l'effroi, la terreur, etc.

Les passions modifient les idées, les croyances, les déterminations de l'homme le plus raisonnable. Les passions tristes entraînent aussi la lésion partielle de l'entendement : la vie intellectuelle de celui que maî­trise le délire mélancolique est toute empreinte du caractère de sa passion. Le montagnard ne peut supporter l'absence des lieux qui l'ont vu naître, ne cesse de gémir, dépérit et meurt s'il ne revoit le toit paternel. Celui qui redoute la police, ou les poursuites des tribunaux, s'alarme, s'épouvante, craignant d'être arrêté à tout instant, il voit partout des agens de police, des suppôts des magistrats, il les voit même dans ses amis et ses parens.

Antiochus meurt désespérant d'obtenir de Séleucus, son père, la femme qu'il adore. Ovide, le Tasse, passent les jours et les nuits, ayant l'esprit et le coeur incessamment irrités par l'absence de l'objet de leur amour. La crainte, avec toutes ses nuances, quelle qu'en soit la cause réelle ou imaginaire, exerce l'influence la plus générale sur les mélancoliques. L'un, superstitieux, redoute la colère du ciel, les vengeances célestes ; il est poursuivi par les furies ; il se croit au pouvoir du diable, dévoré par les flammes de l'enfer, et voué aux sup­plices éternels. L'autre éponvanté de l'injustice des gou­vernemens, appréhende de tomber entre les mains des agens de l'autorité, d'être conduit à l'échafaud ; il s'ac­cuse d'avoir commis les plus grands crimes, dont il cherche à se justifier ; il préfère la mort aux angoisses de l'incertitude, tandis que dans d'autres instans, il supplie d'ajourner l'exécution du supplice auquel rien, selon lui, ne peut le soustraire. Celui-ci redoute la méchanceté des hommes, croit que des ennemis secrets, des jaloux, des méchans, le menacent dans sa fortune, dans son honneur, dans ses affections, dans sa propre vie; le moindre bruit, le moindre mouvement, le moindre signe, la parole la plus innocente, le font tressaillir d'effroi et lui persuadent qu'il va succomber sous les efforts de ses ennemis. Si une éducation plus forte et plus éclairée met l'homme à l'abri des terreurs superstitieuses ou de la crainte de ses semblables, ingénieux à se tourmenter, il trouve des élémens de chagrin et de terreur dans son instruction et dans son savoir ; ses inquiétudes prennent un caractère scientifique. Le lypémaniaque se croit soumis à l'influence funeste de l'électricité ou du magnétisme ; il se persuade qu'avec des agens chimiques on peut l'empoisonner ou qu'avec quelques instrumens occultes, la physique lui prépare mille maux, entend tout ce qu'il dit quoique à de très grandes distances, ou même devine toute sa pensée. Les remords qui suivent quelques grands crimes, jettent les coupables dans la mélancolie et caractérisent leur délire. Oreste est poursuivi par les furies. Pausanias, le Lacédémonien, ayant tué une jeune esclave dont on lui avait fait présent, est tourmenté jusqu'à sa mort par un esprit qui le poursuit en tous et qui ressemble à sa victime. Théodoric, ayant fait trancher la tête à Symmacus, croit voir la tête de Symmacus dans celle d'un poisson qu'on lui sert à table. Le trop fameux Santerre se croit à tout instant surpris par des gendarmes qui doivent le conduire au supplice. Les lypémaniaques s'effraient pour les motifs les plus bizarres, les plus imaginaires. Alexandre de Tralles dit avoir vu une femme qui n'osait ployer son pouce, craignant que le monde s'écroulât. Montanus parle d'un homme qui s'imaginait que la terre était couverte d'une croûte de verre sous laquelle étaient des serpens, il n'osait marcher crainte de briser la glace et d'être dévoré par les serpens. Un général, auquel je donnais des soins, n'osait sortir dans la rue, croyant que tous les passans lui adressaient des reproches ou des injures.

Quelques lypémaniaques s'effraient de tout, et leur vie se consume dans des angoisses perpétuellement renaissantes, tandis que d'autres sont terrifiés par un sentiment vague qui n'a aucun motif. « J'ai peur », disent ces malades, « j'ai peur », mais de quoi ? « je n'en sais rien, mais j'ai peur ». Leur extérieur, leur physionomie, leurs actions, leurs discours, tout exprime en eux la frayeur la plus profonde, la plus poignante, de laquelle ils ne peuvent ni se distraire ni triompher.

Le délire prend le caractère de l'affection morale qui préoccupait le malade avant l'explosion de la maladie, ou conserve celui de la cause même qui l'a produit, ce qui a lieu surtout lorsque cette cause agit brusquement et avec une grande énergie. Une femme, dans une f dispute, est appelée voleuse : aussitôt elle se persuade que tout le monde l'accuse d'avoir volé, et que tous les suppôts de la justice sont après elle pour la livrer w aux tribunaux. Une dame est effrayée par des voleurs qui pénètrent dans sa maison ; dès-lors elle ne cesse de crier au voleur ! Tous les hommes qu'elle voit, même son fils, sont des brigands qui viennent pour la voler et l'assassiner. Au bruit le plus léger, elle crie au voleur, croyant qu'on enfonce la porte de sa maison. Un négociant éprouve quelques pertes légères, il se croit ruiné, réduit, à la plus profonde indigence et refuse de manger parce qu'il n'a plus de quoi payer même sa nourriture.

i, On lui présente l'état de ses affaires qui sont très brillantes : il l'examine, le discute, semble convenir de son erreur ; mais, en définitive, il conclut qu'il est ruiné Deux frères ont une discussion d'intérêt, l'un deux se persuade que l'autre veut le tuer pour jouir de son bien. Un militaire perd son grade, devient triste et rêveur ; bientôt il se croit déshonoré, et se persuade que ses camarades l'ont dénoncé ; il est perpétuellement occupé à justifier sa conduite qui a toujours été très honorable. Une femme voit son enfant renversé par un cheval ; tous les raisonnemens, la vue même de cet enfant qui se porte bien, ne peuvent la convaincre qu'il est vivant.

En analysant ainsi toutes les idées qui tourmentent les lypémaniaques, on les rapporte facilement à quel­ques passions tristes et débilitantes. Ne pourrait-on pas établir une bonne classification de la lypémanie, en prenant pour base les diverses passions qui modifient et subjuguent l'entendement ?

. Quelquefois les sentiments moraux des lypémaniaques, non-seulement conservent toute leur énergie, mais leur exaltation est portée au plus haut degré quoique ces malades s'en défendent, et quoiqu'ils soient plongés dans la plus profonde tristesse. La piété filiale, l'amour, l'amitié et la reconnaissance sont excessifs et augmen­tent les inquiétudes, les craintes du mélancolique et le poussent à des actes de désespoir. Ainsi une mère se croit abandonnée par son mari, elle veut tuer ses enfants pour épargner un semblable malheur. Un vigneron tue ses enfans pour les envoyer au ciel.

La lenteur, la répétition monotone des mouvemens,

des actions et des paroles du lypémaniaque, l'accablement dans lequel il est plongé en imposeraient, si on jugeait que son esprit est inactif comme le corps. L'attention du mélancolique est d'une activité très grande, dirigée sur un objet particulier avec une force de tension presque insurmontable. Concentré tout entier sur l'objet qui l'affecte, le malade ne peut détourner son attention ni la porter sur les autres étrangers à son affection. L'esprit comme le cerveau est, qu'on me passe cette expression, dans un état tétanique ; une forte commotion physique ou morale peut feule faire cesser ce spasme. N'ayant la raison lésée que sur un point, il semble que les lypémaniaques mettent en action toute leur puissance intellectuelle pour se fortifier dans leur délire. Il est impossible d'imaginer toute la force, toute la subtilité de leurs raisonnements pour justifier leurs préventions, leurs inquiétudes, leurs craintes : rarement parvient-on à les convaincre, jamais on ne les persuade : «J'entends bien ce que vous me dites », me disait un mélancolique, « vous avez raison, mais je ne puis vous croire ». Quelquefois, au contraire, l'esprit des mélancoliques est dans une sorte d'état cataleptique ; ils saisissent avec énergie et conservent, avec plus ou moins de ténacité, les idées qu'on leur suggère et l'on peut, dans ce cas, les faire changer presque à volonté, pourvu que les idées nouvelles aient quelque rapport avec la passion dominante. Une dame croit que son mari veut la tuer d'un coup de fusil, elle s'échappe de son château, elle va se jeter dans un puits ; on lui crie que si l'on voulait la faire périr, le poison est un moyen plus facile, aussitôt elle a peur du poison, et refuse toute espèce de nourriture. Un mélancolique se croit déshonoré : après avoir inutilement cherché à le rassurer, on lui donne des consolations prises dans la religion, et bientôt il se persuade qu'il est damné.

Quelques lypémaniaques ont le sentiment de leur état, ils ont la conscience de la fausseté, de l'absurdité des craintes dont ils sont tourmentés. Ils s'aperçoivent bien qu'ils déraisonnent ; ils en conviennent souvent avec cha­grin et même avec désespoir. Ils sont sans cesse ramenés par la passion qui les domine aux mêmes idées, aux mêmes craintes, aux mêmes inquiétudes, au même délire. Il leur est impossible de penser, de vouloir, d'agir autrement. Plusieurs assurent qu'une puissance insurmontable s'est emparée de leur raison ; c'est Dieu, c'est le démon, c'est un sort et qu'ils n'ont pas plus la force de la diriger que celle de maîtriser leur volonté. N'est-ce pas la lypémanie raisonnante ?

La volonté de la plupart des lypémaniaques est inflexible ; rien ne peut la vaincre, ni le raisonnement, ni les sollicitations de la plus vive tendresse, ni les menaces. Rien ne peut triompher de leurs erreurs, de leurs alarmes, de leurs craintes, rien ne peut détruire leurs préventions, leurs répugnances, leurs aversions. On ne les distrait de la fixité des préoccupations de leur esprit et de leur coeur, que par des secousses vives, inattendues, propres à détourner leur attention. Quelques lypémaniaques n'ont plus de volonté ; s'ils veulent, ils sont impuissans pour exécuter. Après avoir lutté, combattu contre un désir qui les presse, ils restent sans action. Un ancien magistrat très distingué par son savoir et par la puissance de sa parole, à la suite de chagrins, est atteint d'un accès de monomanie, avec agitation et même violence. Après quelques mois le délire cesse mais le malade conserve d'injustes préventions ; enfin il recouvre l'entier usage de la raison, mais il ne veut pas rentrer dans le monde quoiqu'il reconnaisse qu'il a tort ; il ne veut pas s'occuper, ni soigner ses affaires, quoiqu'il sache très bien qu'elles souffrent de ce travers. Sa conversation est aussi raisonnable que spirituelle. Lui parle-t-on de voyager, de soigner ses affaires,' il répond : « Je sais que je devrais et que je peux le faire, vos conseils sont très bons, je voudrais suivre vos avis, je suis convaincu, mais faites que je puisse vouloir, de ce vouloir qui détermine et exécute. Il est certain, me disait-il un jour, que je n'ai de volonté que pour ne pas vouloir, car j'ai toute ma raison, je sais ce que je dois faire, mais la force m'abandonne lorsque je devrais agir ».

Les lypémaniaques ne sont jamais déraisonnables, même dans la sphère des idées qui caractérisent leur délire. Ils partent d'une idée fausse, de principes faux, mais tous leurs raisonnemens, toutes leurs déductions sont conformes à la plus sévère logique. Pour ce qui est étranger à leur délire, ils sont comme tout le monde, appréciant très bien les choses, jugeant très bien des personnes et des faits ; raisonnant tout aussi juste qu'avant d'être malades, mais le caractère, les affections,les habitudes, la manière de vivre du mélancolique ont changé, comme il arrive toujours dans le délire parce que le délire altère les rapports naturels entre le moi et le monde extérieur. Celui qui était prodigue devient avare ; le guerrier est timide et même pusillanime ; l'homme laborieux ne veut plus travailler ; les libertins s'accusent avec douleur et repentir ; celui ' qui était le moins exigeant crie à la trahison. Tous sont défians, soupçonneux, en garde contre tout ce qu'on dit, contre tout ce qu'on fait. Ils parlent peu ; laissent échapper quelques monosyllabes : n'ayant qu'une même pensée, ils répètent sans cesse les mêmes paroles. Il en est un petit nombre qui sont bavards ; le bavardage a pour objet les plaintes, les récriminations, l'expression de la crainte, du désespoir.


2. DES CAUSES DE LA LYPÉMANIE

Les causes de la mélancolie sont nombreuses ; elles sont communes aux autres espèces de folies : nous ne parlerons ici que de celles qui ont une influence plus immédiate sur la fréquence et le caractère de la mélancolie.

a) Saisons et climats

Les climats et les saisons ont une influence particulière sur la production de la mélancolie. Les habitants des montagnes qui sont peu civilisés, lorsqu'ils quittent leur pays, sont pris de nostalgie, tandis que les habitans des plaines, avancés dans la civilisation, sont peu disposés au développement de cette maladie. Le voisinage des marais, l'air brumeux et humide, en relâchant les solides, prédisposent à la lypémanie ; les pays chauds et secs, lorsqu'il règne certains vents, y prédisposent aussi. Tout le monde connaît les effets mélancoliques du sirocco sur les Italiens ; du solano, sur les Espagnols ; du kamsim, sur les Egyptiens. Dans les régions où l'atmosphère est brûlante et sèche, la sensibilité est plus exaltée, les passions sont plus véhémentes, les mélancoliques sont plus nombreux. Telles furent la Grèce et l'Egypte d'après le témoignage d'Arétée, de Bontius, de Prosper Alpin, d'Avicenne ; confirmé par les voyageurs modernes qui assurent que les affections mélancoliques sont fréquentes dans l'Asie-Mineure, dans la Haute-Egypte, au Bengale, sur les côtes d'Afrique.


Hippocrate, et tous les auteurs qui l'ont suivi, assurent que l'automne est la saison qui produit le plus grand nombre de mélancolies ; cette saison, suivant la remarque de Cabanis, est d'autant plus fertile en maladies de cette espèce que l'été s'est montré plus chaud et plus sec. Cette remarque est confirmée par ce que j'ai observé pendant l'automne de 1818. Tous les médecins ont pu voir la mélancolie plus fréquente cette année là, pendant les mois d'octobre et de novembre que dans les années précédentes. Nous avons reçu à la Salpêtrière, pendant ces deux mois, un beaucoup plus grand nombre.