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De la lypémanie ou mélancolie (1820)

E.Esquirol (partie 3)


3. MALADIES AUXQUELLES SUCCOMBENT LES LYPÉMANIA­QUES

OUVERTURES DES CORPS

La mélancolie se termine par la mort. Lorry et Mead assurent que la phthisie pulmonaire est sa terminaison la plus fréquente. Les Anglais veulent qu'elle se termine souvent par les hydropisies de poitrine. Le grand nom­bre d'ouvertures de corps que j'ai faites ont confirmé l'observation de Mead et de Lorry ; j'ai vu aussi beaucoup d'affections abdominales mettre fin à l'existence des mélancoliques. Le scorbut, la gangrène consécutive, sont cause de la mort d'un grand nombre de lypéma­niaques. Le défaut d'exercice, le mauvais régime de ces malades, le chagrin qui les poursuit, en les affai­blissant, les exposent aux inflammations chroniques des divers organes. Je ne dois point oublier l'onanisme comme propre à produire les plus funestes effets sur la santé et la vie de ces infortunés : c'est un des écarts de régime auquel ils se livrent et sur lequel il est important de rappeler l'attention de ceux qui ont à diriger et à surveiller des aliénés.

L'anatomie pathologique n'a rien de positif sur le siège de la mélancolie. Ce n'est pas que les ouvertures de corps manquent, mais les observations sont incom­plètes, on ne peut distinguer ce qui est propre à la lypé­manie de ce qui appartient à l'hypocondrie ou à la manie, avec lesquelles on l'a confondue. Dans les ouver­tures de cadavres des aliénés, et par conséquent dans celles des mélancoliques, on a trop négligé de tenir compte des maladies auxquelles succombent ces mala­des. J'ai mis une grande attention à préciser ces maladies : voici le résultat de mes observations à cet égard.

TABLEAU DES MALADIES AUXQUELLES SUCCOMBENT LES LYPÉMANIAQUES
Marasme, fièvre lente 24
Phtisie pulmonaire, pleurésies chroniques 62
Maladies du coeur 16
Phlegmasie chronique de l'abdomen 32
Scorbut 26
Apoplexie 6

De ce relevé il résulte que les mélancoliques succom­bent presque toujours à des maladies chroniques, parti­culièrement aux affections de poitrine. Le marasme et la fièvre lente nerveuse présentent tous les caractères du tabès mèlancolica décrit par Lorry. Ces malades se plaignent les uns de cardialgie, les autres de coliques. Ils mangent peu. Quelquefois ils ont de la voracité, et néanmoins ils maigrissent, ils s'affaiblissent. La consti­pation est d'abord opiniâtre ; il y a des paroxysmes fébriles irréguliers ; ces paroxysmes ont lieu plus ordi­nairement le soir ; le pouls est faible et concentré, la chaleur de la peau mordicante. Quelquefois la peau se couvre d'une sueur visqueuse ; plus ordinairement elle est aride et d'un aspect terreux ; les malades tombent dans une faiblesse extrême, ne quittent plus le lit ; ils ont de l'aphonie, ils ne mangent plus ; les traits s'altè­rent ; enfin, ils s'éteignent sans efforts et sans douleurs. Quelques lypémaniaques sont, pendant plus ou moins longtemps avant la mort, tourmentés de dévoiements séreux, quelquefois sanguinolents ; ce dévoiement est symptomatique de la phtisie, du scorbut, de l'entérite chronique.

Les anciens attribuaient la mélancolie à des amas de bile noire, épaisse ; à des humeurs corrodantes qui, se portant au cerveau, obscurcissent comme d'un voile l'organe de la pensée, et impriment ainsi un caractère triste, sombre, craintif, au délire des mélancoliques. Quelques auteurs ont prétendu avoir trouvé cette hu­meur dans le cerveau. Les progrès que l'anatomie patho­logique a faits de nos jours, permettent de rendre raison de ce phénomène. Il est très vrai qu'on rencontre dans le cerveau de quelques mélancoliques, un liquide rou­geâtre, jaune ; tout le monde sait aujourd'hui que ce fluide n'est point de la bile, mais les restes, les débris d'un épanchement sanguin ou d'une portion ramollie du cerveau. Tantôt cette matière est contenue dans un kyste, tantôt elle est épanchée dans un réseau lâche, formé par la substance cérébrale. Cette altération s'observe sur les cadavres d'individus qui n'ont jamais été aliénés. Elle coïncide avec la mélancolie, mais elle n'est ni la cause, ni l'effet de cette maladie.

Bonet, dans le Sèpulchrètum, dit que les vaisseaux de l'encéphale sont distendus, gorgés de sang ; qu'il y a des épanchements dans les sinus du cerveau ; il signale sur­tout les lésions du thorax et de l'abdomen chez les mélancoliques. Boerhaave dit que le cerveau est dur, friable, d'un blanc-jaunâtre ; que les vaisseaux de cet organe sont gorgés de sang noir coagulé. On ne peut rien conclure de ces faits, puisque les auteurs qui les rapportent confondent la mélancolie avec la manie. Quelques modernes assurent que chez les mélancoliques, la vésicule biliaire contient des concrétions, mais cela est loin d'être constant. Le coeur a paru quelquefois vide de sang, ou bien ses ventricules se sont trouvés pleins de concrétions appelées polypeuses. Gall assure que le crâne des suicidés est épais et dense. Je possède plusieurs crânes d'aliénés suicidés qui sont très minces.

Une des altérations que j'ai rencontrées fréquemment chez les mélancoliques, c'est le déplacement du colon transverse. J'en rapporte plusieurs observations. La posi­tion transverse du colon devient oblique et même per­pendiculaire ; son extrémité gauche se porte vers le pubis, et se cache quelquefois derrière la symphyse.

L'observation suivante doit intéresser ceux qui aiment les phénomènes politiques et ceux qui recherchent les faits extraordinaires en médecine.

Téroenne ou Théroigne de Méricour était une célèbre courtisane, née dans le pays de Luxembourg. Elle était d'une taille moyenne, elle avait les cheveux châtains, les yeux grands et bleus, la physionomie mobile, la démarche vive, dégagée, et même élégante.

Cette fille, née, selon les uns, d'une famille honorable, selon d'autres, sortie du rang des courtisanes, joua un rôle bien déplorable pendant les premières années de la révolution. Elle avait alors de 28 à 30 ans.

Elle se livra aux divers chefs du parti populaire, qu'elle servit utilement dans la plupart des émeutes et contribua surtout les 5 et 6 octobre 1789, à corrompre le régiment de Flandres, en conduisant dans les rangs, des filles de mauvaise vie et en distribuant de l'argent aux soldats.

En 1790, elle fut envoyée dans le pays de Liège, pour soulever le peuple. Elle y avait un grade militaire. Elle se fit remarquer parmi cette populace effrénée qui fut envoyée à Versailles les 5 et 6 octobre 1790. Les Autri­chiens l'arrêtèrent au mois de janvier 1791. Elle fut conduite à Vienne, renfermée dans une forteresse ; l'Em­pereur Léopold désira la voir, s'entretint avec elle, la fit mettre en liberté en décembre de la même année. Elle revint à Paris, se montra de nouveau sur la scène révolutionnaire. Elle se fit remarquer alors sur les terras­ses des Tuileries, dans les tribunes, haranguant le peuple avec audace, pour le ramener au modérantisme et à la Constitution. Ce rôle ne put lui convenir longtemps. Bientôt les Jacobins s'emparèrent de Téroenne, bientôt ont la vit paraître, un bonnet rouge sur la tête, un sabre au côté, une pique à la main, commandant une armée de femmes. Elle eut une bonne part aux événements de septembre 1792. Quoiqu'il ne soit pas prouvé qu'elle ait participé aux massacres, néanmoins on racon­te qu'elle se rendit dans la cour de l'abbaye, et qu'elle trancha la tête avec son sabre à un malheureux que l'on conduisait au tribunal de cette prison. On assure que c'était un de ses anciens amans.

Lorsque le Directoire fut établi, les sociétés populaires furent fermées, Téroenne perdit la raison. Elle fut conduite dans une maison du faubourg Saint-Marceau. On trouva dans les papiers de Saint-Just une lettre d'elle, sous la date du 26 juillet 1794, dans laquelle se montrent déjà les signes d'une tête égarée.

En novembre 1800, elle fut envoyée à la Salpêtrière ; le mois suivant, on la transféra aux Petites-Maisons où elle est restée pendant sept ans. Lorsque l'administration des hospices fit évacuer les aliénés des Petites-Maisons, Téroenne retourna à la Salpêtrière le 7 septembre 1807. Elle avait environ quarante-sept ans.

A son arrivée, elle était très agitée, injuriant, mena­çant tout le monde, ne parlant que de liberté, de comités de salut public, révolutionnaire, etc., accusant tous ceux qui l'approchaient d'être des modérés, des royalistes, etc.

En 1808, un grand personnage, qui avait figuré comme chef de parti, vint à la Salpêtrière. Téroenne le reconnut, se souleva de dessus la paille de son lit sur laquelle elle restait couchée et accabla d'injures le visi­teur, l'accusant d'avoir abandonné le parti populaire, d'être un modéré, dont un arrêté du comité de salut public devait faire bientôt justice.

En 1810, elle devint plus calme, et tomba dans un état de démence qui laissait voir les traces de ses pre­mières idées dominantes.

Teroenne ne veut supporter aucun vêtement, pas même de chemise. Tous les jours, matin et soir, et plu­sieurs fois le jour, elle inonde son lit ou mieux la paille de son lit avec plusieurs seaux d'eau, se couche et se recouvre de son drap en été, et de son drap et de sa couverture en hiver. Elle se plaît à se promener nu-pieds dans sa cellule dallée en pierre et inondée d'eau.

Le froid rigoureux ne change rien à ce régime. Jamais on n'a pu la faire coucher avec une chemise, ni prendre une seconde couverture. Dans les trois dernières années de sa vie, on lui donna une très grande robe de chambre dont elle ne se servait presque jamais. Lorsqu'il gèle et qu'elle ne peut avoir de l'eau en abondance, elle brise la glace et prend l'eau qui est au-dessous pour se mouil­ler le corps, particulièrement les pieds.

Quoique dans une cellule petite, sombre, très humide et sans meubles, elle se trouve très bien ; elle prétend être occupée de choses très importantes. Elle sourit aux personnes qui l'abordent ; quelquefois elle répond brus­quement : «Je ne vous connais pas » , et s'enveloppe sous sa couverture. Il est rare qu'elle réponde juste. Elle dit souvent : « Je ne sais pas ; j'ai oublié ». Si on insiste, elle s'impatiente, elle parle seule, à voix basse ; elle arti­cule des phrases entrecoupées des mots fortune, liberté, comité, révolution, coquins, décret, arrêté, etc. Elle en veut beaucoup aux modérés.

Elle se fâche, s'emporte lorsqu'on la contrarie, sur­tout lorsqu'on veut l'empêcher de prendre de l'eau. Une fois elle a mordu une de ses compagnes avec tant de fureur qu'elle lui a emporté un lambeau de chair : le caractère de cette femme avait donc survécu à son intelligence.

Elle ne sort presque point de sa cellule et y reste ordinairement couchée. Si elle en sort, elle est nue, ou couverte de sa chemise : elle ne fait que quelques pas, plus souvent elle marche à quatre pattes, s'allonge par terre ; et l'oeil fixe, elle ramasse toutes les bribes qu'elle rencontre sur le pavé et les mange. Je, l'ai vue prendre et dévorer de la paille, de la plume, des feuilles dessé­chées, des morceaux de viande traînés dans la boue, etc. Elle boit l'eau des ruisseaux pendant qu'on nettoie les cours, quoique cette eau soit salie et chargée d'ordures, préférant cette boisson à toute autre.

J'ai voulu la faire écrire ; elle a tracé quelques mots. Jamais elle n'a pu former de phrase. Elle n'a jamais donné aucun signe d'hystérie. Tout sentiment de pudeur semble éteint en elle et elle est habituellement nue, sans rougir, à la vue des hommes.

L'ayant fait dessiner en 1816, elle s'est prêtée à cette opération ; elle n'a paru attacher aucune importance à ce que faisait le dessinateur.

Malgré ce régime que Teroenne a continué pendant dix ans, elle était bien et régulièrement menstruée ;elle mangeait beaucoup, elle n'était point malade et n'avait contracté aucune infirmité.

Quelques jours avant d'entrer à l'infirmerie, il s'est fait une éruption sur tout son corps ; Téroenne s'est lavée à son ordinaire avec l'eau froide et s'est couchée sur son lit inondé, les boutons ont disparu ; dès lors elle est restée dans son lit, ne mangeant point, buvant de l'eau.

Le 1er mai 1817, Téroenne entre à l'infirmerie dans un état de faiblesse très grande, refusant toute nourriture, buvant de l'eau, restant couchée, parlant souvent seule, mais à voix très basse. 15. Maigreur, pâleur extrême de la face, yeux ternes, fixes, quelques mouvements convulsifs de la face, pouls très faible, légère enflure des mains, oedème des pieds ; enfin le 9 juin, elle s'est éteinte âgée de cinquante-sept ans, sans qu'elle ait paru avoir recouvré un seul instant sa raison.

Autopsie le 10 au matin.

Dure-mère adhérente au crâne, crâne épais postérieu­rement, ligne médiane très déjetée.

Cerveau très mou, décoloré, membrane qui revêt les ventricules épaissie, la substance cérébrale subjacente, dans l'épaisseur d'une ligne, d'un aspect vitreux et d'un blanc grisâtre.

Plexus choroïdes décolorés, offrant de petits kystes séreux.

Carotides qui côtoient les sinus caverneux ayant acquis le diamètre d'une très grosse plume.

Glande pituitaire contenant un fluide brunâtre.

Sérosité dans les deux plèvres, ainsi que dans le péri­carde.

Coeur flasque.

Estomac distendu par un fluide verdâtre.

Colon transverse perpendiculaire précipité derrière le pubis.

Foie petit, verdâtre ; son tissu très mou ; sa tunique propre se détachant avec la plus grande facilité. Vésicule biliaire distendue par de la bile noire, épaisse, gre­nue.

Rate molle, verdâtre comme le foie.

Vessie très contractée sur elle-même, ses parois très épaisses.

Enveloppe des ovaires épaisse, et même cartilagineuse en plusieurs points.

Dans l'observation de Teroenne, comme dans celles qui suivent, le colon transverse avait changé de direc­tion et il était descendu jusque derrière le pubis.

Jeanne, âgée de cinquante-huit ans, est entrée à la Salpêtrière le 5 octobre 1811. Elle avait toujours joui d'une bonne santé. Son père est devenu aliéné après avoir été trépané, et une des filles de Jeanne s'est jetée dans la rivière après être accouchée.

Jeanne fut mariée à l'âge de vingt-six ans et devint mère de huit enfants. A quarante-cinq ans les menstrues cessèrent sans accident. Elle était couturière.

Cinquante-quatre ans ; départ de son fils pour l'ar­mée : tristesse, pleurs, mélancolie, délire. On emploie plusieurs saignées et la malade guérit.

Cinquante-huit ans. Tout à coup, sans cause nouvelle, délire, tristesse, pleurs. C'était le 19 mai 1811. Le 21 on conduit Jeanne à Charenton d'où, après cinq mois, cette femme est envoyée à la Salpêtrière.

Cinquante-huit ans et demi. A son entrée dans l'hospi­ce, le 5 octobre 1811, maigreur extrême, physionomie inquiète, troublée, peau aride, brune. Jeanne est toujours prête à s'en aller. Pendant la nuit, elle descend de son lit pour partir. Elle répète sans cesse : mon Dieu, mon Dieu ! Elle demande ses enfants ; elle prie qu'on les cache ; elle va, elle vient, elle s'agite ; supplie, pleure souvent ; elle oublie, ne sait point retrouver son lit. Elle mange peu ; les déjections involontaires sont fré­quentes et muqueuses.

26 octobre : Jeanne entre à l'infirmerie, à cause de sa faiblesse et du dévoiement ; d'ailleurs, mêmes inquié­tudes morales, même agitation. La vue de ses parents ne peut lui rendre du calme. Insomnie.

Janvier 1812 : la faiblesse est augmentée, le dévoiement persiste, la malade ne peut plus quitter son lit ; vers la fin du mois la langue devient noire, les lèvres brunâtres, le pouls très faible, très fréquent ; tous les symptômes adynamiques se prononcent ; en février, il se forme des eschares aux deux trochantères, au coccix, enfin la malade succombe le 11 de ce mois.

Autopsie le 12. Marasme ; crâne mince, injecté ; ligne médiane divisant la capacité du crâne en deux moitiés inégales.

Sérosité à la base du crâne ; cervelet mou, cerveau dense ; arachnoïde injectée, plexus chroroïdes offrant des petits kystes séreux ; ventricules latéraux rétrécis dans tous les sens avec les adhérences très étendues à leur portion postérieure.

Colon transverse plongé presque perpendiculairement dans la cavité pelvienne, entraînant avec lui dans cette cavité, une grande portion du colon descendant.

Estomac rétréci, ayant des rides profondes, la muqueuse de ce viscère offre des traces d'inflammation.

Intestin grêle, contenant du mucus verdâtre avec quel­ques vestiges d'inflammation.

Vésicule biliaire très distendue par de la bile fluide jaune, mêlée de plusieurs petites concrétions jaunes.

Rate petite.

Muscles pâles, et faciles à déchirer.

Barbe, veuve Benoît, native de la Martinique, négres­se âgée de trente-sept ans, entrée à l'hospice le 14 juillet 1812 sans qu'on ait pu recueillir le moindre renseigne­ment sur son état, sa manière de vivre, les causes et la durée de sa maladie.

A son arrivée, Barbe est maigre, les yeux sont grands, hagards et quelquefois menaçants. Elle fut mise au lit en arrivant ; elle était faible, la peau sèche et brûlante ; elle buvait beaucoup, ne voulait point manger, assurant qu'on voulait l'empoisonner ; elle paraissait frémir de crainte dès qu'on l'approchait ; son regard devenait obli­que et inquiet. Elle chassait les personnes, les menaçait même, les traitait de coquins, de scélérats, d'empoison­neurs, il lui semblait même reconnaître en nous les objets de sa haine, de ses craintes et de sa fureur. Elle s'est constamment refusée à prendre, autre chose que de '' l'eau, quelquefois elle consentait à boire un peu d'eau rougie.

29 juillet 1812, toux fréquente surtout le soir oppres­sion, fièvre ; vésicatoire aux jambes.

8 août, crachement de sang ; pouls faible, paroxysme bien prononcé ; le soir, toux. Barbe demande avec humeur des remèdes qu'elle ne prend pas. 12, prostra­tion, oppression plus forte ; les vésicatoires ne coulent point. 14, dévoiement, jambes enflées. 16, crachats ver­dâtres très fétides, dypsnée. 17, frissons ; disparition de l'enflure. 18, mort à six heures du matin.

Autopsie; le 19 au matin. Taille élevée, marasme, ,décoloration générale de la peau qui est d'un noir terne. Crâne très épais et d'une petite capacité.

Dure-mère très épaissie, adhérence au crâne, vais­seaux de l'arachnoïde et de la pie-mère injectés, circon­volutions du cerveau petites, serrées ; cerveau mou, séro­sité à la base du crâne, et dans les deux ventricules latéraux.

Adhérence très forte et postérieure, des parois des ventricules, légères adhérences avec les corps striés, capacité des ventricules très diminuée, vaisseaux de la membrane qui les revêt injectés.

Substance blanche injectée.

Substance grise peu colorée. Cervelet mou.

Plèvre gauche adhérente dans une grande portion de son étendue ; sérosité bourbeuse épanchée dans le reste de sa cavité ; le poumon infiltré, suppuré, avec un très grand nombre de tubercules en suppuration.

La plèvre droite n'offre que quelques brides ; mais la portion supérieure du poumon est tuberculeuse, avec quelques points de suppuration.

Sérosité abondante dans le péricarde.

Foie mou, vésicule biliaire contenant de la bile.

Vessie très contractée, ses parois très épaissies ; uté­rus volumineux, mais sain. Le vagin offre des traces de leucorhée ; la muqueuse de l'estomac est très légère­ment phlogosée et enduite d'un mucus grisâtre.

Le colon transverse est précipité derrière le pubis.

Manceau, fille, couturière. A 30 ans, mariage, contra­riétés, manie, mélancolie ; plusieurs fois dans l'année M... a de l'agitation. A 36 ans, fureur presque conti­nuelle et provoquée par la plus légère contrariété. Plus tard M... courait les champs avec un livre de dévotion à la main. Elle n'était pas méchante. 37 ans. Entrée à l'hospice le 10 juin 1806. Très maigre, très délirante et furieuse ; elle est réglée, les yeux sont très hagards et menaçants.

Elle reste habituellement couchée et toujours sur ses couvertures. Pendant les grandes chaleurs, elle se lève et reste assise sur ses talons, toujours à la même place. Elle est seule, ne parle à personne, provoque tout le monde par des injures. Elle est très méchante et frappe avec le dessein de faire beaucoup de mal. Alors elle devient pâle, les yeux sont étincelants ; elle est indomp­table et menace encore, quoique entourée d'un grand appareil de force. Elle ne veut point travailler, elle demande de retourner chez elle parce qu'elle est très riche. Elle injurie et prodigue les noms de voleur, coquin, etc. La nuit, elle est tranquille. Elle est très propre. Elle mange, mais par caprice.

42 ans, octobre 1811. Depuis quelques mois, les règles de M... sont très irrégulières ; elle est malade, mais ne veut recevoir aucun secours.

Décembre. Hémorrhagie utérine très abondante. De­puis, M... répète souvent qu'elle est malade, elle tombe dans le marasme, sans que la disposition à la fureur diminue.

6 mars 1812, M... a la fièvre. 8, les déjections sont involontaires, symptômes adynamiques, fièvre. 9, entrée à l'infirmerie ; il a fallu la contraindre. Langue et dents noires ; fièvre ; déjection involontaire ; soif. 10, respira­tion fréquente, prostration. 11, mort à onze heures du matin.

Autopsie, le 12. Marasme, cheveux gris, peau brune, hâlée ; oedème des pieds, taches de scorbut.

Crâne irrégulièrement épais, ligne médiane déjetée,. bosses pariétales très renflées, fosses de la base du crâne inégales.

Couche de sang membraniforme sur toute la face in­terne de l'arachnoïde. Faux réticulée.

Vaisseaux de la lame externe de la pie-mère injectés plus particulièrement à gauche.

Sérosité entre les deux lames de la pie-mère. Sérosité à la base du crâne.

Glande pinéale offrant des concrétions osseuses.

Adhérence des ventricules antérieurement avec les corps striés.

Plexus décolorés. Substance grise décolorée. Cervelet très mou.

Poumon gauche hépatisé, offrant quelques tubercules, dont deux ou trois en suppuration.

Hydropéricarde.

Colon transverse baissé jusque vers le pubis.

L'estomac contracté, les rides offrant des traces d'in­flammation, et la muqueuse enduite d'un mucus grisâtre.

Intestins enflammés en plusieurs points, noirâtres. Matrice squirrheuse.

Buel était âgée de 28 ans lors de son entrée à l'hospice de la Salpêtrière, le 11 décembre 1808, pour cause de mélancolie religieuse. On n'a pu savoir les causes de sa maladie. La malade était encore menstruée ; mais les menstrues coulaient peu.

Cette femme avait presque toutes les nuits des flu­xions à tête, une céphalalgie habituelle ; elle mangeait peu, et restait souvent couchée.

Son délire avait pour objet les idées religieuses ; elle se disait retenue dans la maison par des coquins. Elle traitait avec mépris ses compagnes, ne se liait point avec elles, vivait seule et à l'écart.

A l'âge de 31 ans, B... ne se plaignait plus de céphalalgie ; elle n'eut plus de fluxions; mais elle devint plus faible ; elle maigrit quoiqu'elle mangeât beaucoup ; elle toussait souvent. Ses plaintes s'accompagnaient de menaces, de cris, d'injures.

32 ans, en juillet 1812 : fluxion à la tête, toux, séjour prolongé au lit, faiblesse extrême.

14 juillet, entrée à l'infirmerie. Phthisie, fièvre.

6 août : toux, dyspnée, paroxysme fébrile tous les soirs. 19, crachats purulens, dévoiement ; oedème des pieds. 21, cessation du dévoiement, oedème des mains et des pieds, dyspnée, délire. 23, mort, à neuf heures du matin. 24, ouverture du corps.

Taille élevée, cheveux blonds, les yeux bleus, peau blanche, membres thoraciques amaigris, membres abdominaux infiltrés, glandes sous-maxillaire développées.

Crâne mince, éburné ; dure-mère adhérente au crâne, celle qui tapisse les fosses moyennes d la base du crâne est réticulée. Sérosité entre la pie-mère et l'arachnoïde ; .circonvolutions du cerveau serrées et eu profondes. Substance grise décolorée, sérosité rougeâtre dans les deux ventricules latéraux, dont la capacité es très dimi­nuée par l'adhérence de leurs parois postérieures.

Sérosité floconneuse dans les deux plèvres, qui elles­mêmes adhèrent fortement aux poumons. Ceux-ci offrent des tubercules dont plusieurs sont suppurés. Sérosité dans le péricarde et dans l'abdomen. Foie d'un aspect granulé, vésicule biliaire distendue par de la bile fluide d'une couleur orangée. Conduit alimentaire dis­tendu par des gaz, colon transverse s'étendant jusqu'au pubis ; quelques points rougeâtres et même ulcérés de la muqueuse de l'estomac et des intestins ; glandes mésentériques très développées.

D. veuve St., était âgée de 36 ans lorsqu'elle entra à la Salpêtrière le 5 janvier 1807, pour cause de mélan­colie avec tentatives de suicide.

28 ans. D. ayant perdu son mari, s'affligea beaucoup et tomba dans une grande misère. Elle était mère de plusieurs enfants. Bientôt elle devint triste, sombre ; elle fut en proie à des terreurs imaginaires. Poursuivie par ses frayeurs, elle se jeta par la croisée, tenant un de ses enfants à son bras.

Traitée à l'Hôtel-Dieu et par plusieurs médecins, rien ne put calmer son imagination terrifiée.

A l'âge de 36 ans, lors de son entrée dans l'hospice, elle était très maigre, restait souvent couchée, était menstruée régulièrement, mangeait beaucoup, s'accusait d'avoir commis divers crimes, voulait être crucifiée elle fit quelques tentatives pour se détruire. Bientôt on s'aperçut qu'elle se livrait à la masturbation.

Tous les hivers, D... avait des catarrhes très intenses, pour lesquels elle passait plusieurs mois à l'infirmerie.

39 ans. Elle parut délivrée de sa terreur religieuse, et parlait des choses saintes sans effroi. Elle avait plus de suite dans ses raisonnements ; mais son caractère devint insupportable. Elle se plaignait de tout, était mécontente de tout, accusant les personnes qui la servaient de négli­gence ou de mauvais traitements ; elle injuriait tout le monde, tracassait ses compagnes, leur donnait de mau­vais conseils, etc.

40 ans. Pendant l'hiver les menstrues cessent ; depuis, la toux a été continue, la malade a dépéri sensiblement ; elle a fréquemment le dévoiement.

41 ans, octobre 1811 ; entrée à l'infirmerie ; maigreur, toux, crachats, fièvre, caprices pour sa manière de se nourrir ; faiblesse, sueurs nocturnes. Cette femme ne déraisonne point, mais elle est triste, taciturne et très irritable.

5 janvier 1812 : dévoiement séreux, fétide, crachats, purulents, toux très douloureuse, oedème des pieds. 15, faiblesse extrême, altération des traits de la face ; paro­xysmes tous les soirs. 18, impossibilité de prendre des aliments solides ; D... soutient ses forces avec un peu de bouillon et de vin : crachats et déjections alvines très abondants et très fétides. 24, cessation du dévoiement, suppression des crachats, dyspnée ; le soir elle sent sa dernière heure approcher : elle souhaite le bonsoir à la fille de service, et s'éteint. 25, ouverture du corps.

Cheveux noirs, marasme ; crâne mince éburné ; ligne médiane divisant inégalement les deux moitiés du crâne. Méninges très injectées : sérosité entre la pie-mère et l'arachnoïde ; sérosité rougeâtre à la base du crâne, ainsi que dans les deux ventricules latéraux, dont les parois adhèrent postérieurement.

Poumons adhérents aux plèvres costales, contenant des tubercules, dont un grand nombre sont en suppura­tion.

Glandes mésentériques développées ; plusieurs rédui­tes en une substance puriforme. Colon transverse s'éten­dant vers le pubis. Foie mou et gras, vésicule contenant de la bile très brune. Rate adhérente au diaphragme. Plusieurs ulcérations de la muqueuse des intestins.

M..., âgé de 43 ans, d'une taille athlétique, d'un tem­pérament sanguin, s'était livré, dès sa première jeunesse, à une ambition effrénée.

Il avait occupé des places très importantes ; mais, depuis quelque temps, il ne remplissait qu'un poste secondaire : ce désappointement le rendit triste sans diminuer ses prétentions ; son caractère changea ; il devint colère, d'un commerce difficile ; il se livra à des écarts de conduite dont la publicité le compromit. Il s'irrita contre les conseils de ses parents, de ses amis ; enfin, sa conduite était celle d'un maniaque, -quoiqu'il n'y eût pas de délire dans ses discours.

Dès qu'on voulut s'opposer à cette conduite, il devint furieux et dangereux pour tous ceux qui l'approchaient, même pour sa famille.

Il fut confié à mes soins. M... avait la taille élevée, la face colorée, les yeux injectés, braillants ; il avait de la loquacité, poussait des cris, faisait des menaces, disait des injures : il se dit roi, et exige les égards dus à la royauté ; il traite avec dédain tous ceux qu'il rencontre. Ces prétentions délirantes deviennent à chaque instant la cause de nouvelles irritations, de nouvelles contra­riétés, de nouveaux éclats de fureur. Insomnie, soif, constipation. Il est facile de s'apercevoir que le malade a, par instants, quelque difficulté pour articuler les sons.

Sangsues à l'anus, aux tempes, renouvelées ; boissons acidulées ; bains tièdes prolongés.

Après deux mois, on donne des douches d'eau froide sur la tête, pendant que le malade a le corps plongé dans l'eau tiède ; le calme se rétablit peu à peu ; il a des instants lucides ; mais toujours même conviction d'être un grand personnage.

Après cinq mois, le malade prend de l'embonpoint, la paralysie de la langue se prononce davantage ; le calme est parfait ; le sommeil et l'appétit sont excellents, mais les idées de grandeur persistent.

Peu à peu le malade prend un très grand embon­point ; il marche avec difficulté, a beaucoup de peine pour faire entendre ce qu'il veut dire ; sa mémoire s'affaiblit, particulièrement celle des choses présentes. On applique un large vésicatoire à la nuque, puis un séton ; la valériane, le quinquina, les drastiques sont alternativement administrés.

Après quinze mois de maladie, une apoplexie fou­droyante termine l'existence du malade.

Le tissu cellulaire est surchargé de graisse. Les téguments de la tête sont très injectés, ainsi que les mem­branes du cerveau, qui est dense. Le foie est gras, volu­mineux. Les intestins sont distendus par des gaz ; il y a des trichurides dans le coecum. Le colon transverse, devenu perpendiculaire, est caché derrière le pubis par son extrémité splénique.

Les faits rapportés ci-dessus offrent un phénomène pathologique qui n'a point encore été signalé.

Les anciens et les modernes qui ont traité de l'aliéna­tion mentale, et particulièrement de la mélancolie, ont tous parlé des lésions des viscères abdominaux : aucun

auteur n'a parlé du déplacement du colon transverse. Cependant on trouve souvent, dans les cadavres des aliénés, cet intestin déplacé. Tantôt sa direction est oblique, tantôt elle est perpendiculaire, en sorte que son extrémité gauche se porte derrière le pubis. Quel­quefois le colon transverse descend en forme d'arc au dessous du pubis et jusque dans la cavité pelvienne.

Ce déplacement ne peut être attribué à une action mécanique dépendante de l'épaississement des parois du colon ou de l'accumulation des matières dans son intérieur car, dans le plus grand nombre des sujets que j'ai ouverts, le colon était vide. Chez tous, ses membra­nes étaient saines. Il en est de même des portions ascen­dante et descendante du colon, qui, par leur traction, pourraient entraîner la portion transverse. Ce déplace­ment n'est point l'effet de la dernière maladie à laquelle succombent les aliénés car ce phénomène s'observe chez des individus qui ont succombé à la suite de différentes maladies.

Les aliénés, particulièrement les mélancoliques, chez lesquels on observe ce déplacement du colon transverse, se plaignent souvent de douleurs épigastriques. Ils disent ressentir une douleur semblable à celle que ferait éprou­ver un lien qui ceindrait le corps à la hauteur des hypo­chondres, les déjections se font généralement mal. Ces symptômes ne trouvent-ils pas leur explication dans le déplacement du colon ?

Les anciens, en donnant l'hellébore, les modernes en prescrivant les émétiques, les drastiques, dans le traite­ment des aliénations mentales et surtout dans la mélan­colie, tout en évacuant, n'ont-ils pas eu pour but de redonner du ton à tous les viscères de l'abdomen ? Les laxatifs ne sont-ils point regardés comme funestes parce qu'ils augmentent le relâchement ? Aussi a-t-on le plus grand soin de les associer avec les toniques. Enfin les voyages de mer, l'exercice du cheval si utiles dans la mélancolie, n'agissent-ils point en fortifiant particuliè­rement les viscères abdominaux ?

La connaissance de ces faits m'a paru intéressante premièrement parce que le déplacement du colon est fréquent chez les aliénés, particulièrement chez les mélancoliques ; deuxièmement parce que cette connais­sance peut rendre plus sûr et plus rationnel le traite­ment de quelques malades.

Le relevé des ouvertures de corps de cent soixante­huit lypémaniaques a présenté les lésions suivantes : il prouve qu'un très grand nombre de mélancoliques suc­combent à la phthisie pulmonaire ; que les altérations des viscères abdominaux sont aussi très fréquentes tandis que les altérations organiques du cerveau sont rares. Car on ne saurait rapporter à la mélancolie les épanchements que l'on a observés dans les sinus du cerveau et dans les méninges. Nous disons la même chose des concrétions osseuses si fréquentes dans le conarium (glande pinéale).

TABLEAU DES ALTÉRATIONS PATHOLOGIQUES TROUVÉES DANS LES CADAVRES DES LYPÉMANIAQUES
Crâne
Epaississement des méninges 2
Lésions organiques du cerveau 4
Points d'ossification adhérents à la faux 3
Épanchements sanguins dans les sinus ou la substance cérébrale 5
Thorax
Lésions organiques des poumons 65
Lésions du coeur 11
Sérosité dans les cavités de la poitrine 6
Abdomen
Colon déplacé 33
Adhérence, suppuration du péritoine 5
Ulcère de l'estomac ou du pylore 6
Ulcère des intestins ou du rectum 7
Vers intestinaux 5
Ténia 1
Lésions organiques du foie 2
Concrétion biliaire 7
Ulcère de l'utérus 6

En comparant les maladies auxquelles succombent les lypémaniaques avec celles qui terminent les autres aliénations mentales, en comparant les résultats des ouvertures cadavériques des mélancoliques avec ceux qu'on observe sur le cadavre des autres aliénés, on est frappé, de la prédominance des maladies pulmonaires chez les mélancoliques, ainsi que de la fréquence des altérations abdominales. Mais les lypémaniaques, comme les autres aliénés, succombent rarement à des maladies aiguës, presque toujours à la suite de mala­dies chroniques.