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Le cabinet de Lecture

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biblioMarie Christine Forest: Benoît Peeters Sandor Ferenczi

Est-il venu le temps de FERENCZI ?


Benoît Peeters nous livre une biographie, hors les sentiers battus du genre, tout à fait passionnante.

Ferenczi, l’analyste, où le désir en acte. Désir qui produit une clinique engagée novatrice, anti –dogmatique et, profondément humaine.
Il sera l’analyste de Mélanie Klein et de Ernest Jones - qui le lui rendra fort mal.
Il restera toute sa vie en relation privilégiée avec Freud qui suite aux ruptures avec Fliess puis Jung lui réservera la primeur de ses découvertes et écrits. (Non sans heurts cf la rédaction du texte sur le président Schreber)
En 1913, il constitue le groupe hongrois qu’il tiendra en vie malgré les fortes turbulences. Après la chute de l’Empire des Habsbourg, la Hongrie, comme toute cette ère politique, connaît une longue période de troubles pendant et après l’indépendance. Les régimes se succèdent et, le plus souvent dans une franche hostilité à la psychanalyse, voire à sa propre personne au point qu’il envisage d’émigrer.
Enrôlé comme médecin pendant la première guerre mondiale, son travail auprès des blessés lui vaudra d’être reconnu en Hongrie, et nommé professeur de l’université, il sera plusieurs fois démis puis confirmé dans sa fonction.
Ferenczi est avant tout un chercheur. Ses observations de médecin militaire le conduiront à la notion de névrose de guerre, pour parler des symptômes présentés par les soldats alors perçus comme simulateurs. Il aborde la clinique, la psychanalyse en est à ses débuts, faut-il le rappeler, d’une manière très intuitive et audacieuse, partant toujours du patient-e. Sa conception du transfert peut le porter à garder quelqu’un-e lors d’une séance difficile jusqu’au retour de la tranquillité émotionnelle. Il propose à une femme mutique de sortir dans la rue et de marcher, ce qui produit l’échange qui permettra d’enclencher l’analyse. Il use de ‘tact, forme d’empathie, qu’il recommandera. Il s’interroge sur la durée de la cure, sa fin, sur le contre-transfert, estimant que trop souvent les analystes, insuffisamment analysés, confondent neutralité et indifférence. Son écoute se situe loin d’une position de maîtrise ou de surplomb. Il tâtonne, explore, avance et recule, n’oublie jamais qu’il écoute un « être humain souffrant ».
Une passion de guérir anime celui qui parle de lui, comme d’un « thérapeute incorrigible »
« La où Freud cherche à remettre de la loi, Férenczi propose une expérience réparatrice » p.282
Sàndor Ferenczi nait le 7 juillet 1873 à Miskolc en Hongrie. Son père meurt alors qu’il n’a que quinze ans. Ses deux parents sont des juifs d’origine polonaise dont les familles ont émigré. Les Ferenczi tiennent une librairie réputée, flanquée d’une imprimerie avec une activité éditoriale, et d’une agence artistique. Ecrivains et artistes s’y rencontrent, y débattent ; les langues s’y croisent. Le jeune Sàndor Ferenczi grandit et se forme dans ce milieu artistique et intellectuel foisonnant, particulièrement fécond et en maints domaines, avant-gardiste, dont la Mitteleuropa, regorge.
Son esprit en restera marqué et il prendra des positions assez radicales, à propos de ce que nous nommons, les questions sociétales dénonçant l’hypocrisie qui prévaut dans d’éducation, au sein du couple, dans les relations sociales, prône l’égalité homme femmes. Il défend l’homosexualité.

Benoît Peeters ouvre sa biographie sur ce qui fut l’hallali de la relation avec Freud : la question des traumatismes infantiles. ferenczi repère au cours des longues et nombreuses cures qu’il a menées la fréquence des viols et des abus sexuels sur les enfants tous milieux sociaux confondus. Récits recueillis auprès des victimes ou du propre aveu d’abuseurs.
Il décrit l’éboulement psychique qui s’en suit, le clivage entre innocence et culpabilité de l’enfant, la manière dont l’éventuel remord de l’adulte se déplace en culpabilité chez l’enfant, la réception du récit de l’enfant par les siens, (mère famille etc) moment déterminant pour la suite.
On peut considérer et prendre aujourd’hui la mesure de ses observations au sujet des enfants abusés. Il souligne la fréquence des abus, les ravages qu’ils causent. Ses réflexions très justes sur la sexualité infantile, et l’écoute des jeunes enfants ou des adultes abusés dans l’enfance, sont malheureusement toujours actuelles. N’en déplaise à ses détracteurs d’alors.

Le long compagnonnage avec Freud qui fut aussi son analyste, est semé de période de grande proximité – jusqu’à plusieurs lettres par jour, et de relâchements causés par les circonstances, les années de guerre, ou le travail, puis d’éloignement dû à des divergences théoriques à la fin de la vie de Ferenczi.
Beaucoup d’affinités unissent les deux hommes, leur goût pour l’antiquité, pour l’Italie, la télépathie.
B. Peeters nous rend vivantes leurs discussions, nous ouvre une porte sur l’intimité de leur lien, leurs traits de caractères, sur leurs inquiétudes, leurs fragilités, leurs soucis matériels, leur affection. Lorsque Ferenczi reproche à Fr de ne pas avoir dit son agacement devant sa passivité pendant le voyage aux US, celui-ci se défend, arguant que, de même qu’avec ses fils, il ne peut se montrer sévère avec lui.
On les retrouve en voyage aux US, en Italie, en vacances en famille dans les Alpes, on imagine l’un quittant Budapest en train, pour passer la fin de semaine chez l’autre à Vienne. Freud rendant visite à son ami en pleine guerre, à Pàpa (!) - où Ferenczi exerce en tant que médecin militaire-.
L’analyste et l’ami se confondent lorsqu’il s’agit de la vie amoureuse de Ferenczi, pris entre deux femmes, la mère et la fille. Les doutes qui le tenaillent ne seront pas levés par les différentes tranches d’analyse qu’il consacrera à ce sujet. Les cures que les deux femmes effectueront avec Freud n’apporteront pas plus de solution au malheureux trio.
Ce dernier, en posant d’emblée, un diagnostique hasardeux sur la fille, ne cache pas sa préférence pour la mère. Ferenczi finira par épouser sur le tard Gizella Pallos, et sans parler de mariage malheureux il semble que cette union ne l’ait jamais satisfait et que Elma Pallos lui ait inspiré des sentiments particuliers.
Le disciple résiste au maître qui voudrait l’envoyer à Berlin s’occuper du groupe allemand après la mort de K Abraham et préfère séjourner aux US. Cette décision, l’éloignement géographique, les succès qu’il engrange finiront par donner à leur relation la bonne forme. A partir de là, il se mettra à travailler ses propres sujets, à écrire Thalassa, et à tenir son Journal clinique.


B P nous fait circuler dans les hauts lieux du mouvement psychanalytique naissant, en Allemagne, Suisse, aux Us ... Il donne une version animée de ses soubresauts, intrigues, amitiés, inimitiés, excommunions et consécrations. Dresse des portraits intemporels des gardiens de l’orthodoxie et des chercheurs, des aventuriers. Il nous fait partager l’effervescence et le bouillonnement qui traversent ce moment singulier, l’avènement d’une nouvelle science et de ceux qui y oeuvrent. On entend Freud et Ferenczi discuter de leurs dernières recherches ; Rank et Ferenczi échanger à propos de leur ouvrage commun, Grodeck exposant à ce dernier ses succès thérapeutiques.
On y voit Freud et Ferenczi au coude à coude s’opposer à Jung, défendre l’analyse profane. Freud soutenir Ferenczi dans ses explorations cliniques, s’en remettant à lui pour développer la technique psychanalytique.
On y voit l’ascension d’un Jones, esprit assez falot, antisémite à ses heures, peu inspiré et volontiers plagiaire.
Enfin nous assistons à la chute de Sàndor Ferenczi dans une scène captée en ‘camera cachée’ par Benoît Peeters. Nous suivons à travers l’œilleton de son appareil, un drame émouvant dans le cabinet de Freud si familier à Ferenczi, qui se transforme en souricière, lieu d’humiliation, de solitude, de trahison. Mais ce n’est qu’après son décès quelques mois plus tard que l’Ipa, présidée par Jones, procède à la mise à mort du psychanalyste. La méthode à l’œuvre relève de procédés qui auront cours quelques années plus tard pas loin de là : ses prétendus errements théoriques seront mis au compte d’une démence qui se serait emparée de lui à la fin de sa vie. Ferenczi n’était pas dément ses proches les démentirent. La lecture de la communication de Ferenczi au congrès de Wiesbaden de 1932, initialement intitulée : Les passions des adultes et leur influence sur le développement du caractère et de la sexualité de l’enfant*, montre qu’ils avaient raison, Ferenczi n’était pas fou et il avait raison de tenir à ce texte. Son analyse demeure d’une justesse et d’une pertinence toutes actuelles.

Benoît Peeters nous présente l’avènement d’une pensée articulée à des amitiés fortes, dont il nous offre le récit. Outre l’intérêt majeur du texte, ce beau livre en bleu et blanc, accompagné d’une très riche iconographie, donne très envie de se replonger dans l’œuvre de Sàndor Ferenczi ou de le découvrir. En effet il semble bien que le temps de lire et relire Ferenczi soit venu.

* paru en français sous le titre : « Confusion de langues entre les adultes et l’enfant », 1932, Psychanalyse, Œuvres complètes, t. 4, (1927-1933), Paris, Payot, 1982, p. 225.

Benoît Peeters : Sandor Ferenczi, l’enfant terrible de la psychanalyse, Flammarion 2020