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Propos Introductifs Bilinguisme

Alain HARLY

Les Séminaires Pictaves de l'Association Freudienne vous invitent donc à vous mettre au travail sur le thème de "Bilinguisme et Langue maternelle". Si vous vous êtes privés d'une belle journée pour venir parler, écouter, dialoguer sur cette question; c'est j'imagine, chacun, pour des raisons qui lui sont propres, et elles peuvent donc être fort diverses. Cependant on peut aussi supposer que quelques unes de ces raisons vont se recouper ici dans ce moulin, et viendront ainsi stimuler par ce recoupement un échange qui sera je l'espère pour chacun, fécond.
Nous avons prévu un certain nombre d'exposés qui vont tenter de présenter différentes facettes de cette question, sans prétendre pour autant la clore. Les temps réservés à la discussion étant conséquents, cela devrait permettre à chacun qu'il pose au moins un bout de ses questions. C'est une manière de dire que pour aborder ce thème de "bilinguisme et langue maternelle" sur un mode qui laisserait la chance de quelques surprises, il ne serait certainement pas souhaitable que certains restent bouche bée, alors que 'd'autres se prévaudraient d'une langue de bois. Mais j'ai bon espoir, car il me semble que c'est un sujet qui invite à la parole, ne serait ce que par son actualité.
Certes le bilinguisme, ou le plurilinguisme a toujours existé. L'histoire des langues ne recouvre pas l'histoire des états, mais l'articulation de la langue et du pouvoir reste une question centrale. Les migrations ont de tous temps entraîné l'usage de plusieurs langues Son actualité, si elle fait question, ce n'est pas seulement par un effet d'aléas politiques mais dans le cadre d'une crise de la civilisation. Nous n'aborderons pas cette crise sur un mode frontal, mais sur un mode qui pourrait apparaître à certains le petit bout de la lorgnette, c'est-à-dire par la question du sujet pris dans ces conjonctures, ou pour le dire autrement' comment apprécier pour le sujet moderne, les effets sur sa propre subjectivité du bilinguisme.
Jean-Jacques Lepitre présidera nos travaux pour la matinée, et nous allons commencer par deux exposés qui aborderont une clinique avec des enfants pris dans des histoires complexes de langue. Anne-Sophie Warot et Danièle Bruneval-Maisonneuve vont apporter leurs témoignages et leurs questions avec ces histoires de langues mêlées ou disjointes, perdues ou retrouvées, valorisées ou dépréciées. Il sera légitime de se demander qu'elle est alors la langue maternelle pour ce sujet là.
On pourrait faire la remarque qu'il y a quelque chose de paradoxal dans le maintien des bilinguismes, car finalement pourquoi les langues dominantes n'auraient-elles pas absorbé et annulé les langues dominées ? Pourquoi la permanence de cette babélisation ? Plusieurs milliers de langues parlées se maintiennent de par le monde alors que la mondialisation et la pensée unique tentent d'installer leur hégémonie et font briller au sujet moderne le mirage de la communication. Qu'est-ce qui fait qu'il y a résistance à ce qui pourrait paraître tellement plus simple avec une unique langue ?
Mais est-ce bien poser la question ? Je vous propose de la reprendre à l'envers ? Au lieu de considérer ce mouvement de réduction de la multiplicité des langues vers une langue unique, pourquoi ne pas considérer l'origine des langues et du langage ? Vous savez qu'il y a toute une spéculation sur cette origine, et l'idée d'une langue unique qui serait la langue mère en quelque sorte, la langue originaire d'où dériveraient les familles de langues a eu ses défenseurs y compris chez un grand penseur comme Leibnitz (cf in Nouveaux essais sur l'entendement humain).
La recherche antropologique et préhistorique (je pense entre autres aux travaux d'André Leroy-Gouran etd'Yves Coppens) a invalidé ce mythe : point de langue mère unique, point de langue originaire adamique en quelque sorte. Par contre ce qui fait consensus, c'est l'idée que l'humain se spécifie par la faculté du langage. (Cette faculté étant à différencier de son effectuation dans une langue). On peut même dater l'émergence de cette faculté entre moins 1,5 million d'années et moins 200 000 ans avec l'Homo-Erectus et sa vie socialisée. Ces approches font valoir, qu'à partir de cette universalité, de cette capacité au langage, il ait fallu un temps considérable pour en venir à des systèmes codés élémentaires, c'est-à-dire à ce qu'on peut considérer comme les premières langues, avec l'Homo Sapiens vers -200 000 à - 30 000 ans. Une remarque qui est souvent faite à partir de là pour expliquer la multiplicité des langues, ce qui n'est pas sans apropos pour notre question du jour, c'est qu'elle serait liée aux grandes migrations déjà préhistoriques, migrations provoquées par des bouleversements climatiques en particulier dans l'Est-Africain, (cf les travaux d'Yves Coppens) La diversité écologique des milieux d'accueil aurait provoqué différentes organisations sociales et les premières langues.
Cette détermination du milieu écologique sur les formes des langues'semblerait s'opposer à la thèse de Saussure sur l'arbitraire du signe. Mais nous ne sommes pas dans le même ordre d'appréciation : spéculation sur l'origine des langues d'une part, étude de la structure du langage d'autre part. Je vais laisser à d'autres le soin de développer,'à l'occasion, dans cette journée, ses questions et, certainement que Cyril Veken dont le cheminement personnel l'a conduit de la linguistique à la psychanalyse, nous apportera des éléments précieux pour avancer.
Une autre remarque que l'on pourrait faire encore sur l'origine des langues, c'est le choix du canal vocal-auditif pour produire du son alors que d'autres canaux étaient possibles. On pourrait faire l'hypothèse par exemple que le signe gestuel a précédé historiquement le signe vocal. Pourtant c'est ce dernier qui a été retenu d'une manière universelle. Peut-on considérer qu'il y a une exception à cette universalité ? Comment en effet considérer les êtres qui se trouvent privés, pour de multiples raisons, du fonctionnement de ce canal vocal-auditif, et qui vont donc privilégier le canal de la gestualité et utiliser des signes gestuels pour signaler, s'entretenir, colloquer, signer... (les mots deviennent soudain maladroits pour en rendre compte), pour échanger avec ses congénères. Là nous entrons dans l'histoire de la surdi-mutité et de l'usage de ce que certains ont convenu de nommer la langue des signes.
Michel Lamothe qui est le responsable du "Service d'Education bilingue pour enfants sourds" à Poitiers va nous entretenir tout-à-l'heure de l'histoire de cette langue du silence dont la reconnaissance ne s'est pas faite sans bruit. En contre point, je tenterai moi- même quelques observations sur le bilinguisme des Sourds, puisqu'ils se trouvent pris entre deux langues : la langue dite des signes, et la langue dite oralisée. Et nous serons conduits a nous demander quelle est la langue maternelle pour un Sourd?
Nous aurions pu aussi faire un détour par la clinique de l'autisme, puisqu'il s'agit pour l'autiste, tout en étant dans le langage de ne pas avoir accès à la parole ; un peu comme le sourd muet Nous n'aborderons pas cette clinique là aujourd'hui, (la réservant pour d autres tournées d'études), mais elle serait propre à nous suggérer combien la subjectivité n est pas sans rapport avec la parole, et que pour parler, il y a la nécessité d'en passer par une certaine expérience que la psychanalyse a nommée "perte de l'objet" et dont Freud nous a appris a repérer avec la castration comment il n'y avait pas pour le sujet humain d'autre voie pour en arriver à une retrouvaille de l'objet, ce qu'on peut entendre comme une invention, non pas une pure invention, mais une invention "orientée" par les signifiants du sujet que d'en passer par cette dite castration.
Pour l'après-midi, Bernard Vandermersch assurera la présidence et Jean-Luc Cacciali reprendra cette problématique à partir des enfants de migrants et dégagera à l'aide d'un cas clinique d'un enfant né en France de parents maghrébins, comment les accidents de l'histoire peuvent être utilisés dans un évitement de la castration. "Dans la mesure ou la diminution de l'altérité, radicalement autre est abolie au profit de la dimension de 1 étranger , écrivait J.L Cacciali en 1992. La condition pour qu'une langue soit maternelle va-t il nous proposer, c'est qu'elle castre le sujet.
L'avantage de la théorisation de Lacan pour notre propos, c'est sa thèse d'un inconscient structuré comme un langage. Soulignons-le comme un langage et non comme une langue auquel cas le sujet serait comme possédé par une langue. Cette thèse nous permet d'articuler plus simplement le statut du sujet dans l'ordre symbolique. C'est ce qui permettra, je pense à Jean-Jacques Rassial de prendre au sérieux le parlé des adolescents qui surgit aux abords de nos grandes cités, comme le verlan des beurs, autre manière de dire la possibilité (probablement infinie) qu'ont les langues de rester vivantes et de donner aux sujets, même dans ces situations hors du monde, les moyens d'être au monde ; par une langue pour un temps secrète, et qui autorise à parler en maître.

Jeanne Wiltord enchaînera ensuite pour nous parler du créole des Caraïbes, cette langue née dans de la confrontation de l'esclave et de son colonisateur Mais que dire a l'époque post-coloniale du bilinguisme qui prévaut dans ces régions? Il y a aussi la transmission matrilinéaire qui vient colorer la question ; comment, sans rejeter tout a la mer, articuler la métaphore paternelle ? Cyril Veken engagera le dialogue à partir de cette question et aura aussi la lourde tâche de synthétiser tous ces propos, toutes ces pistes qui auront été frayées au cours de la journée. en dégageant une distinction sur ce qu'il en serait d une langue maternelle en regard de la langue privée et de la langue publique.

M Lamothe n'a pas souhaité donner une forme écrite à sa communication qui avait pourtant vivement retenu l'attention de l'auditoire. Qu'il veuille bien accepter cependant ici l'expression de notre gratitude pour sa nche contribution.

Et finalement Jean-Jacques Lepitre dira le mot de la fin pour clôturer nos travaux