PREMIÉRE PUBLICATION FAITE EN FRANCE SUR L'HYPNOTISME
(Archives générales de médecine, janvier 1860.)
L'hypnotisme est un moyen particulier de provoquer un sommeil nerveux,
un somnambulisme artificiel, accompagné d'anesthésie, d'hyperesthésie,
de, catalepsie, et de quelques autres phénomènes portant sur le sens
musculaire et l'intelligence.
L'origine de l'hypnotisme ou de pratiques analogues se perd dans la
nuit des temps et se retrouve dans tous les pays; je n'en étudierai pas
l'immense historique, d'autres l'ont fait mieux que je ne saurais le
faire . Qu'il me suffise de dire qu'un médecin, anglais, M. Braid, en
1842, a simplifié son étude d'une façon singulière, en découvrant un
procédé très simple, pour le produire; il l'a étudié avec soin, lui a
donné le nom qu'il porte, et a fait un grand nombre d'expériences
curieuses.
Mais, présentées. sous une forme qui a pu éloigner les gens sérieux,
ces études étaient tombées dans l'oubli. Plusieurs livres
scientifiques, qui sont entre les mains des médecins en Angleterre, en
Allemagne, en France, les avaient rappelées avec peu, de détails, se
contentant presque tous de reproduire la page 27 du livre de M. Braid,
dans laquelle le procédé est exposé succinctement. Un vulgarisateur
distingué des sciences, M. Victor Meunier, les avait aussi rappelées
dans un feuilleton de la Presse en 1852.
Seulement, par une préoccupation d'esprit inexplicable, personne en
France, ne les avait répétées avec persévérance, pour voir les
avantages qu'il était possible d'en retirer, et elles seraient encore
dans l'oubli si, il y a dix mois, le hasard ne m'avait mis sur cette
voie.
Comprenant toute l'importance de. cette méthode au point de vue
chirurgical et du secours qu'elle pouvait apporter à la physiologie et
à la psychologie, je l'étudiai avec soin et patience, et ma conviction
faite; je l'apportai à Paris, seul tribunal convenable pour la juger de
haut comme elle méritait de l'être; et, par l'intermédiaire de mes
savants amis, MM. Broca et Verneuil, agrégés à la Faculté, auxquels
j'en fis l'exposé, elle a fait, ces jours derniers, son entrée dans le
monde scientifique.
Voici comment j'ai été conduit à cette élude.
Au mois de juin 1858, je fus appelé pour donner des soins à une jeune
fille du peuple, qu'on disait atteinte d'aliénation mentale, et qui
présentait des phénomènes singuliers de catalepsie spontanée,
d'anesthésie, d'hyperesthésies; elle présentait en outre une
intéressante lésion de la mémoire, sur laquelle je reviendrai dans un
travail spécial.
Déjà, depuis plusieurs années, il m'avait été donné d'observer chez
d'autres malades des phénomènes de ce genre, et ma curiosité était
vivement excitée, Peu disposé par la nature de mon esprit à accepter le
merveilleux les yeux fermés, je résolus d'étudier plus attentivement.
Du reste, je dois le dire, je n'avais rencontré dans ces faits aucune
des prétendues merveilles du magnétisme, niais j'avais compris comment
avec eux il était facile d'en faire ; j'y voyais des faits
extraordinaires, mais qui dérivaient tous d'états morbides du système
nerveux ou d'états physiologiques d'essence inconnue. Comme beaucoup de
gens sérieux, j'avais un principe : c'est qu'on ne doit pas rejeter
sans examen ce qu'on ne comprend fias; la somme de nos connaissances
physiologiques et psychologiques est loin de nous en donner le droit.
Alors je me mis à examiner ces questions avec patience.
Un premier obstacle s'élevait devant moi; je veux parler de l'évidente
parenté de ces phénomènes avec ceux du magnétisme animal, et, je
l'avoue, j'avais un vif éloignement pour une doctrine qui, si elle
compte quelques adeptes convaincus et sérieux, a des exploiteurs sans
vergogne. Cependant je savais, comme tous les médecins, que le
somnambulisme provoqué existe réellement, et que pour être étudié comme
il mérite de l'être, il ne lui manquait que d'être élevé à la hauteur
de la science, d'où certains de ses enthousiastes
l'avaient exclu. D'autre part, depuis quelque temps, des hommes
instruits et haut placés avalent publiquement étudié ces problèmes
ainsi la Société médico-psychologique avait, sur la proposition d'un de
ses membres les plus éminents, M. Cerise, mis à l'ordre du jour les
névroses extraordinaires, une discussion longue et remarquable s'en
était suivie, des faits nombreux, des arguments de toute espèce avaient
été échangés, et, comme d'usage pour les questions .de cette nature,
croyants et sceptiques étaient rentrés. sous leurs tentes, plus
fermes qu'auparavant dans leur conviction. Ces maîtres de la science
vont de nouveau s'occuper de la question du somnambulisme; j'ai
l'espoir que la résurrection de l'hypnotisme pourra leur être de
quelque secours : préciser la part de la physiologie et de la vérité
dans des phénomènes qui jusqu'ici ont été victimes d'un scepticisme
aveugle ou d'un enthousiasme ridicule serait, je le pense, rendre un
grand service aux esprits éclairés.
Mais revenons à notre malade. Je montrai cette jeune fille à plusieurs
confrères les uns, comme je devais m'y attendre, considérèrent ces
phénomènes morbides comme une jonglerie; d'autres m'engagèrent à les
étudier et à faire des recherches, entre autres M. le Dr Bazin,
professeur à la Faculté des sciences, et médecin en chef de l'asile,
homme d'une grande érudition. Ce médecin me dit avoir lu dans
l'Encyclopédie de Todd, article Sommeil (Sleep), qu'un médecin anglais,
M. Braid, avait découvert un moyen de reproduire artificiellement des
phénomènes analogues à ceux que j'avais observés chez cette malade. Il
avait lu, mais n'avait jamais essayé par lui-même de répéter ses
expériences. Je les répétai non sans avoir des doutes, je l'avoue, tant
les résultats annoncés me paraissaient extraordinaires. Au premier
essai, après une minute ou deux de la manSuvre connue, ma jeune malade
était endormie, l'anesthésie complète, l'état cataleptique évident. à
la suite survint ,une hyperesthésie extrême, avec possibilité de
répondre aux questions, et d'autres symptômes particuliers du côté de
l'intelligence.
La réussite fut complète; cependant, comme nette jeune fille présentait
spontanément et morbidement, pour ainsi dire, tous ces phénomènes, il'
était évident qu'elle devait être prédisposée.
Dans la même maison était une autre jeune fille très bien portante; je
la priai de se soumettre à l'essai, et après deux minutes au plus, les
mêmes résultats furent obtenus, plus remarquables et plus complets
peut-être.
Cette observation pouvant être considérée comme un type, je vais la
raconter avec quelques détails; elle me servira à l'exposition du
procédé et de ses résultats les plus généraux.
Mlle Marie X, âgée de vingt-deux ans, rue Arnaud Miqueu, à Bordeaux,
ouvrière en orfèvrerie est grande et bien constituée, d'un tempérament
nerveux, mais n'a jamais eu d'attaque de nerfs; sa santé a toujours été
bonne ; elle porte sur le visage les traces peu apparentes d'une
ancienne paralysie faciale. Assise sur une chaise ordinaire, je la prie
de regarder une clef, un lancetier, un objet quelconque un peu
brillant, placé à 15 ou 20 centimètres au-dessus de ses yeux. Après un
temps qui varie d'une minute et demie à trois minutes, jamais plus, ses
pupilles ont des mouvements oscillatoires, son pouls s'abaisse, ses
yeux se ferment, son visage exprime le repos; immédiatement après, ses
membres gardent les positions données, et cela avec une extrême
facilité, pendant un temps que j'ai fait durer jusqu'à vingt minutes,
sans la moindre fatigue. Elle a gardé plusieurs fois les bras en avant,
les pieds élevés au-dessus du sol, assise seulement sur le bord de la
chaise, et je ne cessais l'expérience que lorsque j'y étais engagé par
l'extrême accroissement du pouls. Chez elle l'anesthésie dure de quatre
à cinq minutes; j'ai rarement vu chez les autres sujets cette période
aussi courte.
Voici les moyens employés pour m'assurer de l'insensibilité; pincements
violents, ammoniaque sous lé nez, barbes de plume dans les narines,
chatouillement de la plante des pieds, transpersion d'un pli de la peau
par une aiguille, piqûre subite dans les épaules, etc.
Après la période d'anesthésie, survient celle d'hyperesthésie; je
m'aperçois de son invasion par ceci : Mlle X se rejette la tête en
arrière, son visage exprime la douleur. Interrogée, elle répond que
l'odeur du tabac que je porte sur moi lui est insupportable. Le bruit
de ma voix ou de celle des assistants, celui de la rue, le moindre son
enfin, parait affecter cruellement la sensibilité de l'ouïe ; un
contact ordinaire amène une certaine douleur, puis deux doigts placés,
l'un sur la. tête, l'autre sur la main, amènent comme une forte
commotion très douloureuse; ma montre est entendue à une distance de 8
à 9 mètres, ainsi qu'une conversation à voix très basse.
. Quelquefois la parole est impossible; une simple friction sur le
larynx la rappelle immédiatement, et Mlle X.., parle, mais seulement
quand elle est interrogée, et d'une voix plus faible qu'à l'état
naturel et comme voilée. Une. main nue est-elle placée à 40 centimètres
derrière son dos, Mlle X.., se penche en avant et se plaint de la
chaleur qu'elle éprouve; de même pour un objet froid et à même
distance, et tout cela sans que je lui eusse jamais parlé de ces
phénomènes décrits par Braid.
Un souffle d'air, une friction font cesser la catalepsie sur un membre,
sur un doigt; cet état revient en replaçant doucement le membre à sa
place. Si, pendant la résolution, je l'invite à me serrer la main, et
si en même temps je malaxe les muscles de l'avant-bras, ceux-ci se
contractent, durcissent, et la' force développée est au moins d'un
tiers, plus considérable qu'à l'état ordinaire.
Mlle X... enfile' rapidement une aiguille très fine, et écrit très
correctement, un gros livre étant placé entre ses yeux fermés et
l'objet. Elle marche dans sa chambre sans se heurter; c'est ce qu'on_ a
raconté déjà du fameux séminariste de Bordeaux. En un mot, le sens
d'activité musculaire est hyperesthésie.
Si, pendant la période de catalepsie, je place les bras de Mlle X...
dans la position' de la prière et les y laisse pendant un certain
temps, elle répond qu'elle ne pense qu'à- prier, qu'elle se croit dans
une cérémonie religieuse; la tète penchée en avant; les bras fléchis,
elle sent son esprit envahi par toute une série d'idées d'humilité, de
contrition; la tête haute, ce sont des idées d'orgueil; en un mot, je
suis témoin des principaux phénomènes de suggestion racontés par Braid
et attestés dans l'Encyclopédie de Todd par l'éminent physiologiste, M.
Carpenter.
Ces expériences, répétées un grand nombre de fois différentes et sur
d'autres personnes, arrivent ordinairement au même résultat,
J'ai essayé fort peu, il est vrai, mais sans succès, les expériences de
Braid sur ce qu'il nomme le phréno-hypnotisme; je n'ai pas vu qu'il fut
possible, en pressant certaines parties du crâne de Mlle X..., de lui
suggérer les idées correspondantes aux protubérances phréno logiques.
Ne croyant guère à la' phrénologie, du moins dans l'état où est'
actuellement cette science, je n'ai pas été porté vers cette
expérimentation; je l'essaierai bientôt, sur Mlle X... et sur d'autres.
Peut-être pourrait-il en découler quelque résultat important.
Tels sont: les principaux; phénomènes que j'ai pu observer chez cette
hypnotique; c'est la personne qui m'a offert l'ensemble le plus
complet; c'est pour cela que je l'ai choisie comme type. Les phénomènes
que j'ai observés: le plus souvent chez les nombreux sujets sur
lesquels, j'ai; expérimenté sont, par ordre de fréquence; la
catalepsie, l'anesthésie, l'hyperesthésie, l'exaltation du sens
musculaire, enfin les phénomènes psychiques. Je suis parfaitement
convaincu qu'en répétant souvent ces expériences sur des personnes qui
n'offrent, en commençant que les plus simples de ces manifestations, on
peut arriver, dans un temps donné, a les produire toutes.
Chez la plupart des sujets, j'ai observé un fait bizarre : en souillant
sur un oeil pendant que les membres sont en catalepsie, les membres du
même côté tombent immédiatement dans la résolution.
Sur deux sujets, deux femmes, j'ai observé un état singulier qui a
succédé à la période de catalepsie : c'est une résolution musculaire
complète, absolue, avec conservation- entière de l'intelligence ; j'ai
vu ces personnes glisser de leur chaise; et leurs muscles relâchés et
sans force rappeler l'état du cadavre: Cet n'a jamais duré plus de
quatre ou cinq minutes, et s'est- terminé spontanément comme il était
venu.
Je mandat ces expériences 1 un assez grand nombre de médecins: les uns
n'y virent qu'une mystification dont j'étais victime, d'autres
refusèrent de les voir. Quelques-uns, plus attentifs, en comprirent
toute l'importance et furent .convaincus, entre autres M. le professeur
Gintrac, M Bazin, M. Parchappe, qui en fut vivement frappé ; 4. Ernest,
Godard, ; de Paris; M. Albert Lemoine, professeur de philosophie a' la
Faculté des lettres, aujourd'hui au lycée Bonaparte; M, Oré, professeur
de physiologie a Bordeaux, qui les répéta immédiatement sur plusieurs
personnes' de sa famille et sur un Moine dominicain avec le même
succès,; Six mois après, M. Bazin parla de l'hypnotisme à la Société de
médecine, et cita uses expériences; mais la discussion n'eut pas' de
suite, et les expériences ne furent répétées par personne, Cependant je
continuais mes recherches sur d'antres personnes, et je réussissais
souvent J'étais contraint, par la nature même, du sujet, d'agir dans'
l'ombre comme un coupable, et dans un cercle restreint encore en
transpirait-il quelque chose, et si mon. caractère, heureusement bien
connu, ne m'eût mis au-dessus du soupçon, le mot de charlatanisme eut
été prononcé. Cependant, dans l'Asile des femmes aliénées, j'avais
expérimenté avec des succès divers, constatant,, entre autres choses,
qu'une des premières conditions est l'attention du sujet, difficile, à
fixer chez les aliénés. J'avais constaté aussi que, chez les
épileptiques et les hystériques à convulsions, l'attaque était
immédiatement provoquée par le strabisme convergent; ce fait s'est
présenté assez souvent à moi, et j'ai dû renoncer à ces expériences, au
moins inutiles sur des malades.
Je ferai à ce sujet une courte digression : je suis convaincu qu'il
existe d'une part entre les phénomènes cérébraux de l'attaque
d'épilepsie ou, d'hystérie, et peut-être d'autres états purement
physiologiques, et d'autre part le strabisme convergent supérieur, une
relation particulière encore inconnue.
. Voici sur quoi je me fonde- dans l'attaque d'épilepsie, si on ouvre
de force les paupières des malades les yeux sont convulsés en haut et
en dedans; de même dans l'attaque d'hystérie et dans les attaques
convulsives des enfants, de même enfin dans le sommeil physiologigue.
Or, on l'a vu, en faisant .convulser artificiellement les yeux en ,haut
et en dedans, on provoque l'attaque, d'épilepsie, l'attaque d'hystérie
on produit aussi un sommeil non physiologique il est vrai, mais enfin
un sommeil.
Quel curieux sujet d'études l pans la dernière séance de la Société
médico-psychologique à laquelle j'ai assisté, M. Baillarger, après que
j'eus exposé -ce que je savais sur l'hypnotisme,, nous a raconté les
deux faits suivants Un enfant était atteint de vertiges épileptiques,
et son,, père les reproduisait à volonté en lui faisant fixer de très
près un objet quelconque. Ce fait s'est passé devant le savant
aliéniste.,
Il a donné de plus des soins à un jeune homme d'une éducation
distinguée, qui ne pouvait fixer, longuement un objet rapproché, les
caractères d'un livre par exemple, sans voir se reproduire les attaques
d'épilepsie auxquelles il était sujet.'
Enfin nous avons à l'asile de Bordeaux une jeune épileptique des plus
intéressantes, Henriette R qui nous, vient de la Salpetrière, service
de M. Trélat. Quand elle a eu une série d'attaques, elle devient
strabique; après quinze jours ou un mois de repos, ses yeux reprennent
leur position normale; rien qu'on la voyant de loin, nous savons
qu'elle a eu ses accès. Je suis convaincu que la- lecture de ces faits
va réveiller les souvenirs d'un grand nombre de médecins qui ont
observé des phénomènes analogues, et auxquels il ne manquait qu'un lien
pour les réunir en faisceau.
M. Piorry a fait depuis longtemps des remarques de ce genre et adopté
une théorie de l'attaque d'épilepsie basée sur les lésions de la rétine.
Mais revenons à nos expériences, J'étudiai avec le plus grand soin ces
phénomènes sur plusieurs personnes d'âge et de sexe différents, et je
pus me convaincre que, sur beaucoup de points, Braid avait dit la
vérité; que sur d'autres il l'avait singulièrement exagérée; d'autre
part, il me sembla, et la plupart des expérimentateurs sont aujourd'hui
de cet avis, que la succession des périodes n'était pas rigoureusement
celle que l'auteur anglais avait donnée; enfin que tout était à
vérifier par soi-même.
Si j'ai donné plus haut l'observation qu'on a lue, c'est que je la
considère comme un type qui réunit presque tous les phénomènes que j'ai
observés; je ne doute pas qu'on ne puisse facilement en rencontrer de
semblables, surtout en dirigeant convenablement les expériences sur des
sujets qui auront été hypnotisés un assez grand nombre de fois, il est
donc évident queues sujets ne sont pas, surtout dans' les premiers
essais affectés de la même manière
En premier lieu, il est probable qu'on ne réussit pas aussi souvent sur
les hommes que le dit Braid. Voici quelques-uns de ses chiffres à
Manchester, en séance publique, il réussit 10 fois sur 14 adultes à
Rochester, 30 fois en une séance, 16 fois dans une autre, en présence
de M. Herbert Mayo. Je dois dire que j'ai réussi, en petite proportion,
sur les hommes adultes; peut-être qu'avec de la patience et par
d'autres procédés, on fera mieux que moi.
D'autre part, alors même que le sommeil est obtenu après un temps plus
ou moins long, les phénomènes successifs varient en durée et en
intensité. D'après Braid, il y aurait une succession presque constante
dans l'ordre suivant: excitation, anesthésie, et pendant les deux,
catalepsie. J'ai observé le plus souvent l'ordre contraire, et tous les
médecins qui à Paris ont répété ces expériences l'ont observé comme
moi. Cependant. M. Trousseau,, chez un petit garçon, a observé
l'excitation d'emblée, Cette période existe du reste dans l'anesthésie
chloroformique, et ne se montre pas toujours. Je crois que
l'anesthésie, son intensité, sa durée même sont en raison de
l'intensité de la contraction des muscles de l'oeil, Chez les malades
qui sont très rapidement endormis, j'ai observé le plus souvent l'état
de somnambulisme complet avec hyperesthésie.
La durée de la période anesthésique peut être très longue, Chez
plusieurs malades, elle a duré jusqu'à une demi-heure, sans la moindre
fatigue. Des exemples de longue anesthésie ont été observés par MM.
Velpeau, Follin, Natalis Guillot, Préterre, etc. Ce profond sommeil,
quand on ne provoque pas une catalepsie inutile, est au contraire un
repos qui, au dire des sujets (quand ils parlent), ne manque; las de
charme.
Au sujet de la période d'insensibilité, qui est la principale au point
de vue de l'application pratique, je ferai quelques remarques qui me
sont dictées par ce que je vois se passer autour de moi.
En premier lieu, je me défends d'avoir jamais prétendu que l'hypnotisme
devait et pouvait remplacer complètement, et dès aujourd'hui, le
chloroforme. Quand j'ai apporté à Paris et raconté le résultat de mes
expériences sur cette anesthésie, il était constant pour moi qu'elle
était applicable aux opérations; mais il fallait l'étudier, et,
l'expérience dira les cas dans lesquels elle peut remplacer le précieux
mais terrible agent dont on se sert aujourd'hui : te temps montrera si
ces cas sont nombreux, Je n'admets pas qu'on puisse se passionner sur
ces sortes de choses, et juger, sans avoir vu ou entendu. Le but est
grand et d'une importance singulière, il mérite des recherches
sérieuses. Je ne suis pas, grâce à Dieu, enthousiaste par nature,, et
ne cherche pas tout dans quelque chose; mais il -m'est permis d'espérer
pour l'hypnotisme de sérieuses applications.
Ce moyen venant après le chloroforme, il semble qu'il doive être
employé dans les mêmes conditions et de la même manière; il semble
qu'on n'ait, pour endormir les malades, qu'à remplacer l'éponge ou la
compresse par un objet brillant. On ne réussit pas! Faut-il repousser
et condamner le moyen? N'est-il pas plus rationnel de baser un procédé
sur la nature, l'essence même de l'agent qu'on -emploie? Ayant pour
principale condition l'attention . du sujet, le calme d'esprit,
l'absence do bruit, l'hypnotisme, on le comprend, peut faire triste
figure à l'amphithéâtre, au milieu de nombreux: spectateurs, près des
Instruments, avec l'idée dominante d'une opération. Il faut vraiment
que le chloroforme soit puissant et brutal, comme il l'est, pour
terrasser les malades dans des conditions parentes, encore cela
n'arrive-t-il pas toujours.
On comprend ce qu'il y a à faire désormais: hypnotiser le malade
plusieurs fois avant l'opération, pour s'assurer de. son aptitude et de
la durée de la période anesthésique; ne pas l'avertir du moment, agir
dans le calme, éloigner les préoccupations .violentes.; enfin il n'est
pas un chirurgien qui ne comprenne la conduite à suivre. C'est long,
meurs-t-on; la chloroforme est bien plus commode. Je ne dis pas non;
mais faisons-nous de la chirurgie pour nous ou pour nos malades?
Il faut également y mettre une certaine persistance, éviter les
mouvements de l'objet brillant; le moindre bruit peut distraire,
surtout certains malades, dont le sens de l'ouïe, s'exalte
immédiatement. Un médecin hypnotisé par, M. Verneuil, et qui rend
parfaitement compte de la période initiale, affirme que les mouvements
de l'objet, ou un bruit même léger, retardent ou empêchent chez lui
l'invasion du: sommeil.
Du reste le nombre des hypnotisations faites au moment où j'écris est
considérable, et chacun peut déjà contrôler ces données avec sa propre
expérience.
L'hyperesthésie hypnotique présenta un vif intérêt au point de vue de
la physiologie; elle se montre d'une manière moins constante,
quelquefois la première, le plus souvent après la torpeur; elle porte
sur tous les sens, sauf la vue, mais surtout sur le sens de la
température et sur le sens musculaire, dont elle démontre l'existence
d'une manière irréfragable L'observation citée plus haut nous, en offre
des exemples remarquables. L'ouïe atteint- une telle acuité qu'une
conversation peut être entendue à un étage inférieur; les sujets même
sont très fatigués de cette sensibilité; leur visage exprime la douleur
que leur fait éprouver le bruit des voitures celui de la volté; -le
bruit d'une montre est entendu à 25 pieds de distance.
L'odorat se développe et acquiert la puissance de celui des animaux.
Les malades se rejettent en arrière, en exprimant le dégoût pour des
odeurs dont personne ne s'aperçoit autour d'eux. A-t-on touché de
l'éther, ou fait une autopsie trois ou quatre jours auparavant, les
malades ne s'y trompent, pas. Quel est le médecin, j'en appelle à M.
Briquet, qui n'a observé très souvent ces phénomènes spontanés chez des
hystériques? Si, derrière le malade, à 30 ou 40 centimètres de
distance, on présente sa main ouverte bu un corps froid, le sujet dit
immédiatement qu'il éprouve du froid ou du -chaud, et cette sensation
est si forte qu'elle devient pénible, et que le sujet cherche à
l'éviter,
il en est de même du goût. Le sens musculaire acquiert une telle
finesse, que j'ai vu se répéter devant moi les choses étranges
racontées du somnambulisme spontané, et de beaucoup de sujets dits
magnétiques. J'ai vu écrire très correctement en interposant un gros
livre entre le visage et la papier; j'ai vu enfiler une aiguille très
ho dans' la même position; marcher dans un appartement, les yeux
absolument fermés et bandés : tout cela sans autre guide réel que la
résistance de l'air, et la précision parfaite des mouvements, guidés
par le sens musculaire hyperesthésié.
Du reste, si l'on veut y réfléchir, nous sommes entourés d'analogies le
pianiste joue la nuit, sans jamais se tromper de touche; et qui dira
l'incommensurable fraction de mètre à mesurer sur la corde du violon
entre la note fausse: et la note juste, si imperturbablement obtenue
par la pression du doigt de l'artiste? La facile excitation de la
contractilité musculaire dans l'état hypnotique est un des faits las
plus faciles à vérifier. Les bras étant dans la résolution (et s'ils
n'y sont pas, on obtient cet état par une simple friction prolongée),
on prie le malade de serrer un objet quelconque, un dynamomètre, par
exemple; si alors on malaxe les muscles avec les mains, on les sont se
raidir, acquérir la dureté du bois, le sujet, développe une force
extraordinaire et sans accuser la moindre fatigue.
M. Verneuil a raconté à la Société do chirurgie une expérience faite
sur lui-même. En fixant un objet éloigné en haut et en arrière, il peut
se mettre dans un état qui n'est pas le sommeil hypnotique, car- la
conscience du monde 'extérieur persisté; si alors, il étend
horizontalement le bras, il peut garder cette attitude pendant douze à
quinze minutes, presque sans fatigue, et l'on sait que l'athlète le
plus vigoureux peut à peine conserver la position dite bras tendu
pendant quatre à cinq minutes. Le médecin brésilien cité plus haut
garda cette, position dans les mêmes conditions pendant plus de vingt
minutes.
Ainsi la fatigue ne paraît plus exister, les muscles s'oublient, leur
conscience ordinaire est troublée, et l'équilibre normal de nos sens
est rompu par une concentration cérébrale particulière.
Si nous voulions nous laisser entraîner sur le terrain des analogies,
nous écririons de longues' pages, mais je dépasserais le cadre que je
me suis tracé.
Ne pense-t-on pas comme moi que la force du prétendu fluide magnétique
et de ses merveilles, de la double vue, etc, etc, est dans ces
hyperesthésies et dans cet équilibre du sens musculaire détruit? Tous
ces phénomènes, je l'ai déjà; dit, anesthésie, hyperesthésie,
catalepsie, désordres du sens musculaire, se montrent dans tee
maladies. L'hypnotisme permet de les reproduire artificiellement chez
l'homme sain : c'est extraordinaire, c'est vrai ; mais je n'y vois
point de merveille. Or, comme un sujet hypnotisé lient conserver toute
sa raison, et par suite les idées de fourberie, il pourrait attribuer é
une double vue ou à n'importe quel agent mystérieux les prodiges que
lui permettent de faire des sens singulièrement exaltés. Si les' chiens
pouvaient parler, ne serions-nous pas très portés à les croire, s'ils
nous racontaient que c'est par la 'puissance d'un fluide mystérieux
qu'ils peuvent reconnaître dans' la rue les'' traces de leur maître,
deux heures après son passage?
Je sais bien que les magnétiseurs disent qu'ils font des choses
beaucoup plus extraordinaires; je ne les ai point vues, on me permettra
de garder le silence.
.Je crois à ce que je raconte, -parce que je l'ai étudié et réétudie et
je trouve cela bien suffisant. Du reste, je n'impose ana conviction à
personne; bien au contraire, je demande qu'on ne me croie pas sur
parole, et qu'on expérimente comme moi,
Je dirai quelques mots du phénomène de catalepsie : c'est le plus
constant, il peut exister avec l'anesthésie comme avec l'hyperesthésie;
l'on éprouve une :émotion singulière à voir, un cataleptique en
hyperesthésie faire des efforts impuissants pour soustraire- ses brai
au plus léger contact, son oreille au bruit qui l'assourdit.
Il est le premier qui se produise, et il peut se montrer avant même
l'anesthésie. Le fait curieux observé par M. Verneuil sur lui-même
démontre combien la contractilité musculaire est sous l'empire de
l'état des yeux avant même que l'hypnotisme soit établi. Il peut
s'accompagner de contracture partielle : je l'ai observé deux fois; M.
Verneuil une fois, chez le médecin cité plus haut. Cet état
cataleptique atteint en général tous les muscles du corps, et il est
possible de donner aux sujets les poses les plus étranges, sans qu'ils
éprouvent aucune fatigue, pendant quinze à vingt minutes, quelquefois
plus longtemps. Serait-ce là, comme le dit Braid, le secret de la
statuaire grecque, qui connaissait le moyen de faire poser d'une façon
parfaite d'excellents modèles? Cela est possible. Il n'est du moins pas
douteux que les poses des faquirs n'aient cette origine. Bernier
raconte qu'ils arrivaient a cette sorte d'extase en regardant longtemps
le haut de leur nez, de même pour les, extases des moines du mont
Athos, nommés omphalo- psychiens, parce qu'ils regardaient obstinément
leur nombril. Souvenons-nous des extases de sainte. Thérèse, des
convulsionnaires, de Saint-Médard, des proscrits des Cévennes, etc.,
etc, M. Pouzin a raconté devant moi, à la Société médico-psychologique,
le fait d'une jeune hystérique de sa connaissance qu'il a trouvée
plusieurs fois en catalepsie devant sa glace, dans les posas les plus
bizarres; il se l'explique aujourd'hui.
Les malades peuvent entendre la voix, et l'état cataleptique des
muscles du larynx s'opposer à la phonation; une friction sur la partie'
antérieure du cou fait cesser cet état, et la parole reparaît. Cette
propriété remarquable de la friction ou du courant d'air froid pour
faire cesser la catalepsie générale ou locale étonne par la rapidité de
son action; M. Fuel l'a découverte il, y a quelques années, bien aprés
Braid, mais il n'était pas probable qu'il eût connaissance des travaux
du médecin anglais. Dans son très remarquable travail sur la
catalepsie, couronné par l'Académie, il raconte longuement
l'observation d'une cataleptique spontanée; par hasard, il découvrit
que par une légère friction il faisait cesser la catalepsie des mains,
puis des muscles des membres et du tronc; enfin un jour il fit cesser
l'accès on frictionnant les paupières, et éveilla la malade. Ce moyen
lui servit à la guérir. Chez la cataleptique spontanée qui n motivé mes
.recherches, j'ai- observé le même phénomène et pratiqué les mêmes
manSuvres avec succès; mais la catalepsie n'était qu'un des accidents
de sa maladie.
Nous avons vu, pendant la période d'anesthésie, le pouls s'abaisser
singulièrement, sans cependant descendre aux caractères du pouls
syncopal dans la catalepsie provoquée, il en est tout autrement après
quatre ou cinq' minutes, le pouls s'accélère, les battements du coeur
deviennent énergiques; quelquefois les malades éprouvent de
l'oppression; il est alors prudent de mettre les membres au repos ou de
faire cesser l'hypnotisme. Nous verrons tout à l'heure quels sont les
phénomènes psychiques que cette catalepsie peut permettre de constater.
;
J'ai reconnu maintes fois qu'en frictionnant un Sil on fait cesser la
catalepsie de la moitié correspondante du corps;
Il-est des sujets chez lesquels la catalepsie ne paraît pas s'établir
d'emblée, c'est-à-dire que les membres ne gardent pas immédiatement les
positions, données, il faut alors les prier, si du moins ils entendent,
de faire un petit effort pour garder la position, et l'on voit cet
effort devenir en quelque sorte constant et l'état cataleptique du
membre élevé se produire C'est dans Braid que j'ai pris l'indication de
cette expérience, sa traduction va paraître, j'y renvoie le lecteur, il
y trouvera un très grand nombre d'autres faits non moins dignes
d'intérêt. Il arrive souvent quo l'état cataleptique ne peut être
produit 'que dans les membres supérieurs.
Un fait curieux est celui-ci - si, pendant cette période, l'opérateur
place un doigt sur la main du sujet, l'autre doigt sur la face ou la
tète, il se. produit dans tout-le corps du patient un frémissement
-douloureux en tout semblable é une vive commotion électrique. J'ai
constaté ce fait sur six ou sept personnes, et je ne saurais trop
engager à l'étudier.
L'action- de l'électricité d'induction sur les sujets hypnotisés est un
très intéressant 'sujet d'études, je les ai commencées, et j'en
publierai les résultats quand mon opinion sera bien établie et rues
conclusions arrêtées. Nous arrivons maintenant au dernier ordre de
phénomènes, ceux (tue je nommerai psychiques. Dans ce sujet délicat, je
mettrai de la réserve et ne citerai que ce que j'ai observé, toujours
en priant ceux qui me liront de répéter par eux-mêmes avec patience
quand ils auront un sujet convenable. J'ajouterai que Braid raconte,
dans un chapitre intitulé, Phréno-hypnotisme, un très grand nombre de
faits étranges. J'en ai vérifié quelques-uns., pour, d'autres, je n'ai
pas réussi;' il on est d'autres enfin qua je n'ai pas contrôlés. Il nie
manquait, pour diriger mes recherches, une foi plus robuste. Cette
partie du sujet est 'donc celle qui demande le plus d'études nouvelles;
pour moi, comme pour tous, c'est la plus Importante au point de vue
psychologique, mais aussi la plus difficile c'est celle, je le prévois,
qu'on étudiera' avec, le plus: d'ardeur. ,
La plus importante et la plus curieuse des découvertes de Braid, dit M.
Carpenter dans l'article Sleep de l'Encyclopédie de Todd, est la
démonstration qu'il a faite du principe de la suggestion. Par
suggestion, Braid entend ceci: un sujet, dans l'état cataleptique, est
placé dans une position donnée exprimant l'orgueil, l'humilité, la
colore, etc.; immédiatement ses idées seront portées vers ces
sentiments, et cola avec une grande force.; son visage ,l'exprimera
vivement, ainsi que ses paroles. M. Carpenter s'est convaincu de la
vérité du fait;: je l'ai étudié avec le plus grand soin, et je puis
ajouter mon témoignage à celui de l'éminent physiologiste.
Bien plus, l'idée d'une action limitée peut être suggérée; ainsi les
mains placées dans` la position de grimper, (le combattre, de lever un
fardeau, de tirer à soi, l'idée de ces actions vient immédiatement et
avec force; bien mieux, les deux bras étant placés dans la situa tien
do porter deux seaux, j'ai vu une personne hypnotisée exprimer une
grande fatigue du poids qu'elle disait porter. Je renvoie, pour plus de
détails, à l'article de M. Carpenter et à Brald lui-même.
Les sensations extérieures ont sur les hypnotisés un très grand
pouvoir; ainsi la musique provoque la danse d'une manière irrésistible;
une musique douce fait verser d'abondantes larmes. Je n'ai pas-eu
occasion do vérifier ces assertions.
Le phréno-hypnotisme est, d'après :braid, la démonstration de la
phrénologie par l'hypnotisme.
Ainsi il serait possible d'exciter les sentiments particuliers, les
goûts, les idées, en pressant fortement sur les protubérances
correspondantes du crâne du sujet hypnotisé. Braid cite un très grand
nombre d'expériences dans lesquelles il a pu donner des idées de vol en
pressant l'organe du vol ou de l'acquisivité de combat, on pressant sur
celui de la combativité, etc., et cela sur des sujets qui n'avaient en
rien la notion de la phrénologie. Je suis :arrivé seulement amener une
excitation du sens de l'odorat en frottant vivement le nez; niais je
n'ai pas vérifié les phénomènes phrénologiques purement intellectuels;
j'avoua que l'idée ,de jouer de l'intelligence comme d'un piano m'a
paru étrange!
Tels sont les principaux phénomènes qu'il est possible d'étudier par
cette méthode curieuse d'analyse, qui permet de reproduire
artificiellement les états pathologiques les plus curieux du système
nerveux, et d'examiner les théories philosophiques sur la sensibilité
et l'intelligence.
Quels sont les fruits que l'avenir retirera de la résurrection de ces
études? Il est impossible dès aujourd'hui de le prévoir. Si l'on en
croit l'auteur anglais, un grand nombre de malades pourraient être
guéris par l'hypnotisme. Il cite 65 observations de cure des maladies
les plus diverses. Il est impossible. au médecin sérieux de ne pas
reconnaître dans ces faits la complaisance et l'enthousiasme de
l'inventeur pour. son oeuvre; on en jugera .en les lisant.
Cependant une méthode qui amène a volonté l'anesthésie,
l'hyperesthésie, qui peut contraindre a l'immobilité la plus absolue
telle ou telle partie du corps, qui déprime ou excite à loisir la
circulation, qui amène un sommeil calme et peut faire cesser, comme M.
Net et moi l'avons vu, la catalepsie spontanée, etc, une méthode
pareille, dis-je, doit avoir un certain avenir thérapeutique, pourvu
qu'elle soit expérimentée sans passion, dans le seul but de chercher la
vérité.
Ici doit être posée une question importante: l'hypnotisme offre-t-il
des dangers? Je crois que l'abus de ces manSuvres pourrait fatiguer le
système nerveux, provoquer des attaques d'hystérie. Je ne crois pas
prudent de les employer chez les épileptiques, chez ceux qui ont des
maladies du coeur. Mais je n'ai jamais rencontré dans ma pra tique, et
Braid n'a jamais vu dans la sienne, la vie compromise par l'hypnotisme;
je n'ai même jamais observé de syncope, Du reste cette méthode ne doit
pas sortir des mains des médecins; eux seuls savent en effet les
contre-indications qu'elle peut avoir, et sauraient porter remède aux
accidents nerveux qu'elle peut amener. Tout l'avenir de l'anesthésie
chirurgicale hypnotique est dans une expérimentation patiente et bien
faite, et les opérations pratiquées aujourd'hui suffisent pour
démontrer que l'insensibilité à la douleur peut être réalisée. Si cette
pratique se généralise, ma joie sera grande d'avoir remis en honneur,
en tirant Braid de l'oubli, un moyen qui puisse permettre de remplacer
le chloroforme, ne fût-ce que pour les petites opérations.
Je terminerai par quelques remarques. L'imitation a sur les phénomènes
hypnotiques une influence non douteuse; ils n'échappent pas à la loi
qui régit un grand nombre de manifestations du système nerveux. La
contagion du bâillement, celle de l'attaque d'hystérie, les épidémies
de suicide et de démonomanie du moyen âge, les convulsionnaires, etc.,
démontrent et au delà cette singulière loi. Une personne étant en
hypnotisme, j'ai pu mettre dans le même état quatre ou cinq autres
femmes à la fois, en les priant de regarder attentivement la première.
Les magnétiseurs expliquent cela par un fluide ; la contagion et
l'imagination suffisent. Tous les médecins ne savent-ils pas que
lorsque dans une salle d'hôpital une femme a une attaque d'hystérie, il
n'est pas rare d'en voir, un grand nombre d'autres prises en même temps
du même accident?
Il n'est pas douteux non plus que l'imagination excitée ne joue dans
l'hypnotisme un certain rôle, moins grand peut-être que dans le
somnambulisme provoqué, mais analogue
Aujourd'hui que l'exactitude du fait physique sur lequel est basé
l'hypnotisme est reconnue, et qu'on sait l'importance du strabisme
convergent supérieur, il surgit une quantité de faits observés en tous
temps et en tous lieux, auxquels il ne manquait qu'un lien pour être
réunis en faisceau. Tels : en Orient, les mystères d'Isis, ceux du
temple de Diane, à Éphèse; les pythonisses d'Apollon; à Rome, les
incantations, le sommeil sacré imposé par certains prêtres d'Afrique,
sommeil qui n'est autre que l'hypnotisme au moyen d'un poignard;
certains procédés de sorcellerie et de certaines paroles grossières.
Chacun a entendu raconter des faits analogues. Eu Franche-Comté, de
tout temps on a endormi les dindons en leur mettant une paille sur le
bec; un spirituel cultivateur, dans une lettre datée de sa basse-cour,
a rapporté, ces jours derniers, le fait à M. Velpeau. Dans le Midi, on
endort les coqs et les poules par un procédé analogue. On se rappelle
l'oiseau -de proie, qui, après avoir décrit des cercles au-dessus du
gibier s'arrête, immobile, battant des ailes; à 45 ou 20 pieds, et,
après quatre ou cinq minutes, fond sur lui.
0n en rapprochera avec raison certaines pratiques du magnétisme; ses
adeptes honnêtes et convaincus y verront avec plaisir l'explication
d'un grand nombre de phénomènes attribués à un prétendu fluide et à des
causés trop extraordinaires, Le merveilleux descendra ainsi du
piédestal où l'ont placé l'enthousiasme irréfléchi des uns et
l'industrialisme des autres, et beaucoup de ses phénomènes rentreront
dans la science d'où ils n'auraient jamais dû sortir. Des faits
pathologiques sont déjà venus se rattacher à l'hypnotisme. J'ai cité
ceux de M. Baillarger, celui de M. Pouzin, et les idées de M. Piorry
j'ajouterai celui-ci, très bizarre : Un des jeunes littérateurs les
plus éminents de l'époque, devenu spontanément strabique, éprouvait une
telle fatigue à fixer un point rapproché que tout travail prolongé
était devenu impossible, Le hasard lui fait découvrir qu'en couvrant un
oeil, Il peut travailler de longues heures.
Je ne terminerais pas ce travail si je citais tous les faits qui
surgissent autour de nous, pour s'aller ranger autour de l'hypnotisme.
Aujourd'hui la question est sur son véritable terrain : l'étude est
faite par des hommes consciencieux et éclairés; les expériences sur
l'homme et les animaux se comptent par centaines; les tentatives
chirurgicales se multiplient, et même, pendant que s'imprimera ce
mémoire, un grand nombre de faits nouveaux surgiront sans doute pour
attester l'importance et la vérité de ceux que j'ai racontés.
L'hypnotisme est-il le dernier mot de la science sur cette question? Je
ne le pense pas. S'il est jusqu'ici le meilleur moyen de provoquer
sommeil nerveux chez un; certain nombre de personnes, il n'agit pas
indistinctement sur toutes. Il est .à espérer qu'on découvrira un moyen
star ou des moyens variés de provoquer chez tous ce .sommeil, qui est
encore dans l'ordre des faits physiologiques.
Nous l'avons, dit plus haut, tous les états nerveux, qu'ils soient
spontanés ou provoqués, physiologiques ou pathologiques, sont connexes,
et l'hypnotisme est, venu démontrer cette liaison aux yeux les moins
clairvoyants. Le sommeil physiologique a pour pendant le somnambulisme
spontané; celui-ci, le somnambulisme provoqué. La catalepsie et
l'extase, reléguées parmi les curiosités médicales, l'hypnotisme les
reproduit à souhait; les hyperesthésies, les anesthésies, l'excitation
de la force musculaire: observées chez les hystériques, on les retrouve
chez les hypnotisés de tout âge et de tout sexe ; on retrouve chez eux
la reproduction ries phénomènes pathologiques, étudiés dans ces
derniers temps comme des lésions de la conscience musculaire. Le sens
musculaire exalté, chez l'hypnotisé, nous rend compte de certaines
merveilles du somnambulisme spontané ou provoqué.
Et il n'est pas douteux pour nous, que de même qu'il existe un
somnambulisme naturel, dont les phénomènes sont reproduits par
somnambulisme artificiel, il existe un hypnotisme naturel, c'est à dire
des états pathologiques qui réunissent la plupart des phénomènes de
l'hypnotisme. La jeune cataleptique qui a provoqué mes recherches en
est un exemple frappant. La malade de M. Puel, Mlle D..., qu'il a
guérie par un procédé emprunté, sans le savoir, à la pratique de
l'hypnotisme, en est un autre. Confusément rangés, jusqu'à ce jour,
sous le titre Hystérie, tous ces états nerveux doivent être aujourd'hui
séparés; une seule chose est vraie, c'est que cette maladie propre aux
femmes est le champ qui convient le mieux à leur développement, naturel
ou artificiel.
Aujourd'hui, l'hypnotisme démontrant leur existence, ils doivent
quitter leur rang et leur nom de curiosités morbides et se classer dans
la physiologie.
Je me suis souvent préoccupé des différences qui pourraient exister
entre le sommeil hypnotique et le sommeil magnétique. Chez l'hypnotisé,
on obtient une exaltation ou une dépression de la sensibilité ou du
sens musculaire, pendant que l'intelligence reste à peu près à son état
normal ; chez les somnambules spontanés ou provoqués, l'intelligence
pont être hyperesthésiée, pour ainsi dire, et certaines de ses
fonctions, la mémoire, par exemple,
acquérir une puissance considérable ou avoir des dépressions subites.
Ce fait, je dirai en passant, a aussi sa reproduction pathologique. Je
rappellerai l'histoire bien connue d'une jeune fille de vingt ans,
hystérique et somnambule spontanée, qui parlait latin dans ses
attaques. Or, c'était une paysanne absolument ignorante, et comme les
phrases qu'elle disait étaient empruntées à la liturgie, on criait au
miracle, un pèlerinage s'était même organisé, lorsqu'un médecin crut
reconnaître dans ce latin des phrases du bréviaire; il chercha dans les
antécédents de la jeune fille, et il eut la certitude qu'à l'âge douze
ans elle avait, été placée chez un vieux. curé, qui avait l'habitude de
lire tout haut son bréviaire devant elle. Ce latin n'était qu'une
évocation étrange d'un souvenir ordinairement effacé. M Broca m'a cité
un jeune somnambule qui, chez un pasteur protestant, parlait,
disait-on, hébreu, probablement de la même manière. On comprend les
étranges résultats que peut amener cette exaltation de la mémoire.
Or, si les magnétiseurs les reproduisent, cela ne tiendrait-il pas à ce
que leurs procédés s'adressent plus particulièrement au moral qu'au
physique? Ils frappent l'imagination et imposent leur prétendue
puissance: aussi leur faut-il des sujets prédisposée, des malades
impressionnables et croyants.
L'hypnotisme, au contraire, qui agit sur la généralité des gens, par un
procédé d'abord physique ou mécanique, produit plus particulièrement
des phénomènes censoriaux d'un ordre moins élevé, comme il agit moins
sur l'intelligence, celle-ci est appelée à jouer un rôle moins marqué
dans les phénomènes hypnotiques.
Je considère donc la différence des procédés comme devant amener une
différence dans les états obtenus; c'est une raison de plus pour moi de
croire qu'on finira par trouver un jour un moyen commode et facile
d'agir sur tous les hommes et à volonté, sur l'intelligence comme sur
les sens : il me semblé que l'étude de l'hypnotisme y conduira.
De même que l'alchimie et ses pratiques ont été le berceau de la
chimie, la thaumaturgie, les sciences occultes enfin apporteront à la
physiologie et à la philosophie une source précieuse d'études nouvelles
dont il est impossible de prévoir l'étendue.
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