Ici, comme partout, dans une séance de supervision, il faut commencer.
Rompre le silence, ou le bruit, ouvrir.
On dit : "prendre la parole", c'est un des
moyens par lequel s'effectue cette rupture, sans savoir ni d'où on
prend la parole, ni à qui on la prend, Sans se demander non plus
si on n'est pas pris par la parole, dans la parole.
J'ai pensé un temps intituler ceci : "il y a des mondes et il y a des
langages, sauf qu'il y a des vérités".
Cette formule est me semble-t-il une formule logique.
Peut- être même décrit-elle une logique. Elle
sert d'axe, un des axes, au travail philosophique d' Alain
Badiou. Vous remarquez peut être l'idée de césure : commencer,
rompre, rupture, et ce petit index : " sauf que" qui introduit plus
qu'une exception. Non seulement terme troisième, mais changement de
registre non encore perçu, qui le sauve en quelque
sorte. A « sauf que » , je superpose un point que développe Alain
Badiou : le concept d’événement. Pour en saisir la
pointe il faut différencier par un saut, « l'événement » de la
"révolution". révolution c'est tourner autour, rouler sous la voûte et
se
retrouver au même point, répéter en quelque sorte ; événement
c'est venir, marcher, traverser, advenir pourrait dire Freud.
Pour qu'une révolution soit le nom d'un changement, il faut donc
qu'elle fasse événement.
Qu'est-ce que je fais là Cette question, qu'est-ce
que je fais là ? François Tosquelles, la posait, comme un point
d'origine au soin, un point d'interrogation préliminaire à tout
traitement possible de ce à quoi nous avons affaire. Dans le
cas particulier de la supervision ce serait
: « qu'est-ce que je fais là, à
demander à d'autres ce qu'ils font là? » Pourquoi et comment la
supervision? Freud écrivait à
Lou-Andréa Salomé le 30 juillet 1915 " Ce qui m’intéresse c'est la
séparation et l'organisation de ce qui autrement se perdrait dans une
bouillie originaire". " Qu'est-ce qui m’intéresse."
? Entre quoi et quoi est-ce que je me mets ?
Ou, mieux dit, approchant l'étymologie : qu'est-ce qu' être
entre... Je voudrais en passer par un peu d'enfance :
enfant, j'ai sans doute eu à me faire œil ou me faire oreille pour être
entre, pour faire peau. Était-ce pour séparer, pour
lier? Comme tout enfant sans doute! Depuis un
fort, une forteresse. Comment passer de f.o.r.s, c'est à dire de «hors
de », comment le corréler au f.o.r. intérieur, à la loi
intérieur, tribunal du dedans de soi. J'associe avec cette opération
fondamentale autant qu’énigmatique, d'articulation entre un « jugement
d'existence »
et un « jugement d'attribution ». La magie de la langue, ici
l'homophonie propre au mot « fort » ,est riche de fiction ou de
mythe où par torsion, invagination se constitue non pas le sujet
encore, mais sa condition. Pour que le sujet
grammatical affleure, je postule que « sauf que » doive assumer une
valence dé-négative. Cette hypothèse devrait être validé ou infirmé par
une étude, à l'aune de la
fonction de la dénégation, concept freudien, dans la constitution du
sujet. Passons par un conte enfantin, pour
esquisser un sol pré-
mythologique. Je voudrais rêver un événement qui préside, non pas à :
"pourquoi la supervision?", mais qui concerne ses conditions de
possibilité. Cet
événement m'est arrivé, et je pense que vous êtes issus du même rêve ,
donc nous est arrivé il y a tout juste 3 milliards 800 millions
d'années, dans une bouillie immense, dans la soupe
primordiale. Dans l'eau, de simples molécules s'agglutinent et une
membrane, voilà le mot précurseur de l’événement, une membrane, se
constitue et ça devient, tout de suite une cellule. Yves coppens, un
des trois hommes devant le couffin de notre cousine Lucy, a cette
formule pour l'homme, il dit "dès que l'homme est homme, il est homme".
Ici nous pourrions dire cet événement comme ceci "dès que la cellule
est, elle est cellule." C'est à dire qu'il y a un dedans et un
dehors, elle se nourrit et se reproduit. Il y avait donc des
agglomérats, des profondeurs, des matières et des densités, des
turbulences et des tourbillons, cependant avec cet événement, moment
qui a dû s'étirer sur quelques
millions d'années, plus rien n'est comme avant. Il s'en déduit la
possibilité de la tourbe, selon une vieille racine : « turba », où l'on
doit pressentir la foule. Cet
événement-membrane, c'est la possibilité de la surface, de la frontière
et du voisinage, qui posent encore tellement de grandes questions
cruelles à l'humanité. Plus modestement et avec moins de conséquences
dramatique mais avec sérieux, certains y reconnaîtront une possibilité
de la topologie. Il y a des mondes. Dans le champs sémantique de turba,
par turbo interposé, on passe du tourbillon aux tourbières rêvées où on
trouve la turbulence de la foule.
Une institution a toujours à faire avec turba.
Je pense ici à cette institution dont la spécificité est
que la pluridisciplinarité s'effectue, à domicile, par chacun des
acteurs. Chacun entretient sa membrane sans
perméabilité au sein des réunions institutionnelles où les projets des
enfants sont élaborés. Il y a donc bien le commun du projet, mais
chaque / un, au sortir de ce projet s'adosse à sa propre frontière
théorique et pratique. J'ai souvent cette formule : comment s'adosser à
l'institution? Faire que cette membrane soit douée d'une perméabilité
mesurée. On le sait bien, la superposition de travailleurs
défensivement
indépendants ne fait pas institution.
Il y a, donc, des mondes et je poursuis ma fiction : Un saut de puce,
et ces mondes s'assèchent... En ce temps là , il
est 3 millions 500 000 à 1 million 500 000 ans avant aujourd'hui,
l'assèchement ou toute autre raison indépendante ou ajoutée font que
l'homme se dresse, cela prend du temps, mais se dressant, sa langue est
déliée. Est-ce par la mâchoire reculant, par la main
libérée par le pied par l'ouïe et par l'écho rehaussés, par le
regard et le miroir enchevêtrés que le proche et le lointain
s'articulent, nous n'en serons jamais tout à fait certains, mais dès
lors un « parlêtre » est né. Il y a donc des mondes
et des langages, irrémédiablement
La prochaine fois que lors d'une séance de supervision le silence
envahit, je propose qu'on se dresse pour vérifier si ça libère la
parole.
Je pourrais profiter de cet assèchement de la tourbe pour
introduire par esprit d'à-propos l'asepsie qui est annoncée dans le
titre, mais il me semble devoir préciser cette question : pourquoi la
supervision?
Longue digression : Dans une mise en scène à deux
éléments, des mondes et des langages, nous devrions pouvoir résoudre
toutes les contradictions, et c'est ce que tente ou force, l’ingénierie
actuelle, par opération simplifiée, à deux entrées, que sont
l'offre et la demande, une question/une réponse, un mal/un remède, un
pourquoi/un parce que. Ce champs opératoire est quadrillé par des
normes, déjà des
institutions obtiennent et beaucoup visent les normes ISO qui sont des
préliminaires à la jouissance du grand marché. Les mouvements à
l'intérieur de ce champ sont régit par des opérations
qui le saturent. Pierre Legendre identifie quatre de ces
opérations, comme étant au principe efficient du militaire : commander,
organiser,
contrôler et coordonner. Je mets coordonner en dernier parce qu'il est
dans le champs du médico-social le dernier à être réintroduit, bien sûr
on coordonnait avant, cependant on l'a vu réapparaître déconnecté d'un
quelconque statut, comme un pur artefact de fonction. Ainsi dans
une institution est transformé du temps éducatif afin qu'un égal
coordonne ses pairs, pour le temps et pour son emploi. Tête sans le
chapeau nécessaire qui l'instituerait, évidemment ceci a des effets. La
coordination en ce sens n'est-elle pas l'évitement d'un litige
potentiel qui est diffracté sur le corps d'un semblable ? Ce miroir
sans tain est une capture imaginaire, et que cela se paye
d'un impossible , se déduit de la mise en scène
même. Ailleurs ce sont des chefs, qui en portent le
nom ceux-là, avec une soustraction toutefois, leur capacité
d'agir est prise dans ce que le texte appelle une "sub-délégation"
qu'ils ont signé et qui les oblige pour certains actes
à demander l'aval de leur supérieur, les rendant impuissant par zones
ou par secteurs. Au fond le mot dit bien la chose, il semble que ce
"sub", sonne avec subordination. Accolé à "délégation" il vient
créer une espèce particulière d'aporie,
une aspiration, un embarras en tout cas. Cette soustraction est une
ligne de faille où on s'en doute, est aspirée l'autorité toute entière,
c'est leur parole qui est invalidée. Ils y pallie en différant les
décisions, le temps d'aller « sub » leur délégation. Afin de
complexifier
ce nouage, qui devient un nuage permanent de suspicion d’incompétence,
les personnels, comptables dans cette soustraction d'autorité,
s'adressent parfois directement au N+1 , N+2, voire au sommet de
l'association. Cette agencement a pu se rejouer entre les délégués du
personnel et le conseil d'administration de l'association, squeezant
ainsi la direction. La cerise sur le gâteau est que la hiérarchie
peut accéder à cette shuntage avec effet de retombée sur les chefs de
service, sur la direction... Au quatre principes
relevés par Pierre Legendre, il faut en ajouter un autre, " LTI" est
son nom ; ceci fait référence à : Lingua Tertii Imperii, Langue du
Troisième Reich dont Viktor Klemperer, au jour le jour de la seconde
guerre mondiale, informe le catalogue afin de résister à ces mots qui
imposent la réalité nazi dans le corps de la langue, c'est à dire dans
le corps, et qui meurtrissent la chair du monde à
exclure. Toute proportion gardée bien
évidement, la langue du médico- social s'est vu modifiée dans le sens
de l'opératoire. De codir en copil la rationalisation ordonne les
compétences. Dans la nouvelle nomenclature du médico-social, il n'est
plus correct, par respect de la personne, de parler de "handicapé",
alors on remplace cette appellation jugée dégradante, par « personne en
situation de handicap.
» Ironie, comme c'est un peu long pour un
logiciel cela fait retour sous forme abrégée et les dossiers
devenaient les dossiers "PESH" (rectifié suite à observations des
personnels choqués). Pour notre contexte qui n'est
pas celui du nazisme, Eric Hazan a forgé le terme de LQR pour Langue de
la cinquième République, il décrit ce qui s'évite de la division en
déplaçant le litige. LQR est un rapport édifiant sur la propagande
quotidienne de la nouvelle
gouvernance. Fin de
digression Alors pourquoi la
supervision? Revenons à l'homme
debout. Alors que l'homme se déplie, cela provoque le pli du
« parlêtre ». Appelons événement, ou vérité, ce point de disjonction
qui déplace l'homme dans la révolution par un saut d'évolution. Sans
doute
que se dressant, c'est à l'horizon qu'il s'aliène, horizon de lui-même
à quoi il s'adresse en même temps qu'il lui répond se sentant appelé et
qu'il lui obéit, se sentant intimé. Pli invaginé sur lui même incluant
ce qui l'inclue, ce pli lui donne une allure chiffonnée, un sentiment
parfois d'être chiffré à son insu. Ce bouclage « ordonne » cet
homme dressé au bord de monde qui parle. Vous
aurez compris, j'essaie d'avancer en gardant déguisée la logique de
l'inconscient ;habiller l'invisible pour en rendre
l'énigme. Alors il y a des mondes et il y a des
langages : sauf qu'il y a
l'inconscient, sauf qu'il y a
de la répétition, sauf qu'il
y a de la pulsion, sauf qu'il y a
des transferts.... Combien de fois cette expression :
"c'est inconscient". Dans celle ci, l'accent est-il à porter sur le "c
apostrophe" // peut-être sur l'apostrophe, tant cela parfois nous
apostrophe comme une
vérité ?. A chaque rencontre entre deux petits
sujets, cet apostrophe teinte, c'est à dire colore, et d'abord, tinte
comme une invocation résonnante, dans le for intérieur de chacun, où
chaque rencontre est toujours déjà scénarisée, qu'on le transfert
"à la bonne" ce petit autre, ou qu'on « l'ai à l’œil
». Pour le versant pulsionnel, nous pourrions
réfléchir à ces fluides qui irriguent, circulent, innervent, diffusent
dans les institutions, par flux constant ou par poussées : Tel le
circuit des informations,
retenues ou fuitant, selon la logique du bruit, de la rumeur ou du mot
d'ordre // telles ces manières de surveiller et de punir, //ou encore
tels ces contrôles divers qui s'écoulent avec viscosité retardant le
flux de l'inventivité // sans compter ces variations
individuelles/collectives sur le
sexuel. Ces flux qui font le quotidien même des
institutions, nous pourrions les appeler l'« étoffe » institutionnelle,
puisque c'est ainsi qu'un temps, Jacques Lacan définissait la libido,
comme « étoffe de la pulsion ». Voilà en vérité
pourquoi la supervision : parce que même écrasé à deux dimensions, il y
a un sourd travail du fait psychique, qui infiltre les peaux de
chagrins laissées par l'ingénierie techno- scientifique, et qui
prolifère en plaintes , symptômes et autres embarras/fantômes de pli.
Au
pli, Jacques Lacan préfère la métaphore de la vessie dont il nous dit
qu'à y ajouter une ampoule ça pourrait bien nous servir de
lanterne. Les enjeux techno-scientifique du
management des institutions du médico-social ont pour moyens et
conséquences la tentative de neutralisation de ce qui suinte de cette
vessie chez ceux qui sont intimés d'appliquer, ce que leur ordonne ce
management, à leur corps défendant. En LQR, on préfère dire «
mettre en œuvre ». Ce qui est
étouffé de ce pli a tendance à transpirer, de souffrance et de
formation embarrassante. Le management techno- scientifique considère
comme un reste cette transpiration qui grippe le système. Ce reste est
parfois appelé "résistance au changement". C'est souvent à cet endroit
qu'une supervision est convoquée, demande de paix sociale, ou, comme me
l'exprimait
un directeur lors d'une demande d'intervention : « pour accompagner le
changement. » et il m'associait d'un: « vous savez de quoi je parle ! »
l'air entendu.
Lorsque débute une supervision, je vois souvent une foule.
Une foule de plaintes, de désirs contrariés, d'embarras
croisés, de besoins d'assurance, ça parle de tout, de rien, on se tait
parfois de ce trop qu'il y aurait à dire ou dans la trouille d'un
autre-voisin, ombre d'une figure tutélaire. On parle
d'éthique et de rancœur. Pour y entendre
quelque chose il me faut reculer d'un pas , pour faire une mise au
point, trouver un degré zéro, un point praticable dans cet espace
saturé par des singularités massifiée par l'embarras commun. La
débilité native dont parle parfois Jacques Lacan, ma débilité, me
pousserait facilement à combler tout ces trous qui émergent à la
surface du tissus, comblant la faille de l'autre, m'y prenant moi-même
pour un fil ajoutant un nœud aux nœuds. Voilà
sans doute la première asepsie et je pense ici à la sagesse du tailleur
de pierre, décrite par Damien CRU. Il dit qu'il faut "louper" la
façade. Mot du vocabulaire professionnel, « louper » est équivoque,
c'est en même temps rater et regarder de près, être à la fois dans le
proche et le lointain. C'est à dire se tenir devant et en appréhender
l'intégralité, c'est un geste d'oubli et d'imprégnation, de mesure
subjective, le tailleur de pierre le fait comme un jeu, traduisez «
jonction », mine de rien, c'est un véritable réglage, en prenant un
café peut-être. Ensuite, seulement,on peut retourner à la matière. Vous
trouverez tout ça chez Jean Oury. J'ai une pensée ici pour tout ces
temps de chevauchement des équipes, que l'on supprime sous prétexte
d'économie. Il me faut aussi dégager, autant
que possible, "l'horizon de l' attente". Bien sur il y a la
commande institutionnelle avec l'entendu : « vous savez de quoi je
parle ! » , position dans laquelle déjà cela risque de coucher mes
oreilles, // il y a aussi les légitimes questions rarement
formulées comme telles par les équipes, dans lesquels on est toujours
attendu,
et qui semblent dire : « de quel côté êtes vous ? ».
Mais il y a ceci : si m'accompagne un livre, travaillant un concept,
une idée, mes oreilles quadrillent l'espace afin de retrouver partout
dans ce qui est dit une résonance de forme ou de fond. Comme si mon
écoute ramifiait ma préoccupation, autour de ce que dit l'autre. Se
méfier donc de prendre avec ce qui me prend. Se méfier mais pas trop
quand même, plutôt mi-dupe mi-raisin. Ce serait donc le premier
temps de l'asepsie, se demander ce que je fais là? Où se tenir ?
Procéder donc, à mon propre réglage pour ne pas trop être empêtrer. Non
seulement,
faire un pas de côté, mais encore sortir de ma trace propre. Autrement
dit, me laver les mains pour ne pas introduire trop de germes
extérieurs.
Il y a un lien caché, imaginaire, entre l'embarras et
l'asepsie. Embaraza c'est en espagnol être enceinte.
Le mot "asepsie" n'est pas inventé lorsque Ignace
Semmelweis obstétricien Hongrois vers 1840, s'effraie du nombre de
décès de femmes dans ses services. Il compare deux de ses services dont
l'un est singulièrement plus morbide que l'autre. Il fait le lien avec
le fait que dans ce service les étudiants qui le secondent ont un cours
de dissection juste avant. Il n'a pas les éléments pour expliquer, mais
intuitivement sans doute, il instaure un "protocole de lavage des
mains", ce qui s’avérera extrêmement efficace ;
premier nom de l'asepsie. Pour les germes il faudra
attendre Pasteur la décennie suivante. Lorsqu'un siècle plus tard,
François Tosquelles, psychiatre catalan, arrive en France
il fuit l’Espagne et son régime. Il a déjà deux jambes, l'une est
politique, l'autre sa fréquentation de la psychanalyse et pour marcher
il se sert
de ses deux jambes. L'idée de double aliénation, psychique et sociale
est au principe de son
abord des malades, qu'avec d'autres il accueille à Saint
Alban. Cette allusion aux jambes de Tosquelles
pourrait être le début d'une autre promenade entre aliénation et
séparation. Cependant, quand à l'aliénation, pointons d'emblée une
différence cruciale
entre deux et double.C'est peut-être dans cet écueil que s 'est
confondue une certaine anti-psychiatrie.
Prendre en compte l'ambiance dans toute ses dimensions,
dans le proche et le lointain. Avant, pour introduire un minimum
d'histoire, avant que le terme de psychothérapie institutionnelle soit
proposé par Georges Daumezon, c'est le terme "d'Asepsie de l'ambiance
"qui identifiait cette manière d'accueillir et de tenir
compte. L'asepsie est une modalité de lecture, recul
nécessaire pour voir clair dans la pénombre, distinction de ce qui
s'invite dans la perception, identification des brouillages dans
l'énonciation. Arrêtons nous ici, sur ce qui
précipite dans les réunions. Vous reconnaîtrez cette vignette qui est
déconcertante de simplicité : un locuteur commence un
récit, son voisin termine sa phrase. C'est souvent
plus fort que lui, pour aider ou parce que ça brûle la langue, comblant
toute hésitation, ou tout silence. Mais, comment laisser chacun se
débrouiller avec ses signifiants, bafouiller le quotidien sans que
cette même
débilité déjà convoquée ne vienne combler les aspérités de la langue,
son génie. Dire le passage où un acteur "prend"
la parole sur la parole d'un autre, en rompant son fil sous prétexte
d'une suspension, d'un silence, ou d'une irrépressible envie de
compléter le discours de l'autre, dire ce passage donc me parait être
une césure qui sauve, une coupure singulière. Que chacun se débrouille
avec ses signifiants, parce que souvent, c'est dans
l'embrouille qu'émerge la singularité. C'est un
comble : on aperçoit ici, comment couper la parole de l'autre est le
contraire de la coupure telle qu'envisagée par l'asepsie. Ceci peut
nous faire
réfléchir à la fonction du silence bien
placé sur la partition, qui, en surlignant l'écart, peut faire coupure.
L'asepsie, c'est se taire tout aussi bien, pour soutenir une des
nombreuses divisions dont le sujet est affecté. Ceci vaut pour le
commentaire, ou « la réponse à tout » qui
écrase le « pourquoi » sous le « parce que ». L'asepsie comme
modalité de coupure. Le composite de la matière institutionnelle est
fait de présupposés familiaux qui se voient transférés
chez "le sujet du soin", parfois proprement « incarnés » dans ce
sujet. Ce sujet du soin, est pris en charge par une équipe composée de
sujets eux- mêmes doublement aliénés par leur position subjective prise
dans les rets d'une institution elle-même divisée entre un impensé
gestionnaire et ce qui reste
de visées morales ou éthiques. Il faudrait bien
dessiner un jour ces emboîtements ces nœuds où la continuité prend le
pas indifférencié sur la nécessaire séparation , de miroirs et
projections, d'invaginations, de
retournements.... Embrouilla maxi qui ne peut
que susciter de
l'embarras. Afin de
faire ressortir le singulier, il ne suffit pas de trancher dans le vif
du sujet, mais de se saisir, ou mieux dit, de se laisser saisir, au bon
moment, au bon endroit, dans le multiple afin d'en faire apparaître le
nouage. La logique reposant sur le principe de
non-contradiction, prend le risque de renvoyer soit à l'isolement du
symptôme du côté de l'aliénation psychique, soit de réchauffer la lutte
des classes du côté de l'aliénation sociale. A
l'instar du point, de la virgule et du blanc, l'asepsie cherche à être
une modalité de coupure qui permet la lecture. François Tosquelles
faisait remarquer qu'un directeur devrait
indiquer la direction, et Jean Oury ajoutait le danger que
représentait un directeur qui se prend pour un directeur. C'est
l'équilibre délicat, à toujours
interroger, entre statuts, fonctions et
rôles, tout ces termes étant au pluriel : Une
psychologue raconte son embarras : elle participe à une
réunion de direction, en « LQR » on dit un CODIR , avec le directeur,
le
médecin, une infirmière et une secrétaire. Depuis son statut de cadre
incorrectement dimensionné, il est attendu d'elle qu'elle porte la
parole directrice auprès des équipes, ce que les équipes s'infiltrant
dans cette brèche, lui demandent avec insistance. Comment un manque de
discrimination concernant les fonctions et les statuts , ou plus
précisément ici, comment le collapsus de plusieurs aspects du statut,
fabrique un montage sceptique, où la fonction psy est
dissoute. Les institutions fourmillent de perturbations chiasmatiques,
réunions
de clinique envahies par les questions d'emploi du temps ou de réglages
techniques, de distribution des clefs de véhicules. // Les
questions importante débordent donc dans les couloirs, et leurs
commentaires débordent devant
les résidents. Le bruit couvre tout ce qui pourrait faire énonciation,
et l'imaginaire vient prendre toute la place. Voici une addition
fréquente dans les institutions : bruit + imaginaire, vous
obtenez la jouissance, le trouble, la terreur,
l'embarras. Une perspective ouverte assez
souvent dans les séances de supervision, est d'amener à se demander
dans quelle instance devrait être traitées les questions. Souvent ces
instances, ces lieux institutionnalisés, n'existent pas ou plus, par
économie souvent
, par délitement parfois. L'acte d'asepsie est micro-logique. Cette
formulation porte moins à créance que : «le bon dieu réside dans
les détails » : Puisqu'un défaut à un bout du tissus
institutionnel peut entraîner un effet n'importe où dans son espace, on
peut supposer qu' intervenir sur le plus petit élément du
quotidien, ou d'un dispositif, discursif ou factuel, soit en mesure de
produire un effet sur
l'ensemble de la structure. Ici une vignette :
dans une Maison d'Accueil Spécialisée, une Aide Soignante, « parle
violemment» à une psychomotricienne, plus justement je dirais de
manière « déplacée ». Ceci est mis au crédit d'une personnalité directe
et entière, peut-être un peu malhabile, on dit : « elle est comme ça
». Les associations produites par le groupe,
tournent autour de ce qui se délite dans cette institution où pourtant
la qualité
d'agencement institutionnel et de prise en charge pourraient servir de
modèle dans bien d'autres lieux. La fatigue et
la perte d'élan enveloppent la remise en question des activités
planifiées par les éducateurs à partir du recueil des désirs et des
possibilités de chacun . La coordination de ces
activités est vécue comme un lieu de décision
autoritaire. Un sentiment d'inachèvement épuise d'autres, devant la
nécessité de redire et de ré-expliquer voire de justifier à nouveau ce
qui concerne les conduites à tenir . Les décisions de soin sont souvent
remises en cause ou discutées après coup ou encore,
on ne fait pas tout à fait comme il a été décidé dans les réunions
institutionnelles. Une infirmière ne mange plus sur les unités comme
elle le faisait, ne se sentant plus à sa place ou
attendant une invitation qui se
raréfie. La psychologue est
amenée à rappeler dans quelle optique elle circule où s'installe dans
les unités, de la même manière elle se sent déplacée, comme intruse,
s'entendant reprocher de ne pas toujours faire la vaisselle lorsqu'elle
participe au repas sur ces mêmes unités de soin. Au bout du
compte, ces unités deviennent des lieux clos où le regard de l'autre
est potentiellement dangereux. Ici , est à l’œuvre,
il me semble, un déficit de la fonction qui viendrait ordonner chacun à
sa place. Le ton de cette AMP est rendu
possible parce que le « mot de passe » de la « fonction » est oublié,
introduisant un trouble dans le tissus
institutionnel. Y a-t-il résonance entre le
détail et le tout, ou homologie, voire hollogrammatisme ? Barbarisme
qui viendrait imager que le petit aurait les même propriétés que le
grand qui le
contient? Dit plus simplement, qu'un élément de discours, duplique la
totalité dans
laquelle il est pris. L'asepsie, est une préoccupation autour de la
grammaire
institutionnelle, Une hypothèse de travail est
que dans ce texte au minimum interactif, opérer un mouvement, un
déplacement, un retournement ou une coupure, à n'importe quel point de
son corps, change l'ensemble dans lequel est pris ce
point. Pour conclure : Prenez une cravate et faite passer
dessus ce qui devait passer dessous et vous obtenez n'importe quoi,
excepté un nœud de cravate. Vous obtenez une écharpe peut-être, ou avec
beaucoup de chance un nœud papillon qui se demande s'il est un homme
qui rêve qu'il est papillon. Un papillon dont le battement d'aile
pourrait bien provoquer un tourbillon à l'autre bout du
couloir. Le pragmatisme économique, utilitarisme manœuvrant la
rationalisation des moyens et un mode d'approche opératoire des
organisations, sont le credo qui polarise les institutions administrées
par la techno-science. « Credo » vient dire qu'on y croit, parce que je
vois ces dirigeants
dépités devant le fait que leurs raisons n'aient pas l'adhésion de
tout-un-chacun. C'est au pilori de ce credo que sont sacrifiés les
agents dont la clinique est reléguée à hauteur d'un supplément
d'acte. Quelle enquête, quelle évaluation,
permettra de mesurer les retombées de ce mode de penser « opératoire »,
de cette opération d'évacuation du psychisme, sur la matière sociale,
sur la subjectivité, sur le composite social/psychique
? L'asepsie serait déjà une bonne chose si l'on ne
retenait que sa
fonction de favoriser les conditions de possibilité pour une clinique.
Faire le ménage pour plus de clarté de l'acte, pour une meilleure
lecture du tissus institutionnel. Qui parle, d'où parle-t-il, à qui
s'adresse-t-il?
Cependant ceci est juste une rime avec son origine
obstétrique. Il faut envisager l'asepsie, comme une
clinique de la coupure pour les questions institutionnelles. Comme une
clinique qui active des lanternes afin d'entrapercevoir les sujets dans
leurs
singularités. Clinique qui soutient un certain écart dans les
nombreuses
divisions qui affectent ce sujet, et le constituent. Ces sujets prêtant
corps à l'institution. Dans ce champs de forces, l'asepsie recouvre un
certain nombre de gestes différents. Pour autant ces gestes
correspondent toujours à arrimer là où ça flotte. L'état de « celui qui
flotte entre deux discours » c'est ainsi que Jacques Lacan caractérise
la
débilité. Ma clinique de la coupure, de l'asepsie, peut tout aussi bien
s'appeler clinique de la débilité. La gestuelle de
l'asepsie est minimaliste et sa visée est le singulier. Louper pour
évaluer la bonne distance, serrer là où s'oublie la liaison,
dé-compléter ce qui massifie, soutenir la polysémie discursive là
où la langue est de plomb, dessiller l'illusion de la totalité,
faire entendre les harmoniques de l'univoque. Avec
l'asepsie, faisons le pari que c'est la mise en réseau de ces points de
singularité qui vient redéfinir un nouveau sujet (de
l'institution). Comment restituer le clair/obscur où
l'humus de l'humain peut se tenir debout dans sa langue balbutiante ?