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Face à l'embarras, une asepsie nécessaire

Christian Lemaire


Ici, comme partout, dans une séance de supervision, il faut commencer.
Rompre le silence, ou le bruit, ouvrir.
On dit : "prendre la parole", c'est un des moyens par lequel s'effectue cette rupture, sans savoir ni d'où on prend la parole, ni à qui on la prend, Sans se demander non plus si on n'est pas pris par la parole, dans la parole.
J'ai pensé un temps intituler ceci : "il y a des mondes et il y a des langages, sauf qu'il y a des vérités".
Cette formule est me semble-t-il une formule logique. Peut- être même décrit-elle une logique. Elle sert d'axe, un des axes, au travail philosophique d' Alain Badiou. Vous remarquez peut être l'idée de césure : commencer, rompre, rupture, et ce petit index : " sauf que" qui introduit plus qu'une exception. Non seulement terme troisième, mais changement de registre non encore perçu, qui le sauve en quelque sorte. A « sauf que » , je superpose un point que développe Alain Badiou : le concept d’événement. Pour en saisir la pointe il faut différencier par un saut, « l'événement » de la "révolution". révolution c'est tourner autour, rouler sous la voûte et se retrouver au même point, répéter en quelque sorte ; événement c'est venir, marcher, traverser, advenir pourrait dire Freud. Pour qu'une révolution soit le nom d'un changement, il faut donc qu'elle fasse événement.
Qu'est-ce que je fais là Cette question, qu'est-ce que je fais là ? François Tosquelles, la posait, comme un point d'origine au soin, un point d'interrogation préliminaire à tout traitement possible de ce à quoi nous avons affaire. Dans le cas particulier de la supervision ce serait : « qu'est-ce que je fais là, à demander à d'autres ce qu'ils font là? » Pourquoi et comment la supervision? Freud écrivait à Lou-Andréa Salomé le 30 juillet 1915 " Ce qui m’intéresse c'est la séparation et l'organisation de ce qui autrement se perdrait dans une bouillie originaire". " Qu'est-ce qui m’intéresse." ? Entre quoi et quoi est-ce que je me mets ? Ou, mieux dit, approchant l'étymologie : qu'est-ce qu' être entre... Je voudrais en passer par un peu d'enfance : enfant, j'ai sans doute eu à me faire œil ou me faire oreille pour être entre, pour faire peau. Était-ce pour séparer, pour lier? Comme tout enfant sans doute! Depuis un fort, une forteresse. Comment passer de f.o.r.s, c'est à dire de «hors de », comment le corréler au f.o.r. intérieur, à la loi intérieur, tribunal du dedans de soi. J'associe avec cette opération fondamentale autant qu’énigmatique, d'articulation entre un « jugement d'existence » et un « jugement d'attribution ». La magie de la langue, ici l'homophonie propre au mot « fort » ,est riche de fiction ou de mythe où par torsion, invagination se constitue non pas le sujet encore, mais sa condition. Pour que le sujet grammatical affleure, je postule que « sauf que » doive assumer une valence dé-négative. Cette hypothèse devrait être validé ou infirmé par une étude, à l'aune de la fonction de la dénégation, concept freudien, dans la constitution du sujet. Passons par un conte enfantin, pour esquisser un sol pré-
mythologique. Je voudrais rêver un événement qui préside, non pas à : "pourquoi la supervision?", mais qui concerne ses conditions de possibilité. Cet événement m'est arrivé, et je pense que vous êtes issus du même rêve , donc nous est arrivé il y a tout juste 3 milliards 800 millions d'années, dans une bouillie immense, dans la soupe primordiale. Dans l'eau, de simples molécules s'agglutinent et une membrane, voilà le mot précurseur de l’événement, une membrane, se constitue et ça devient, tout de suite une cellule. Yves coppens, un des trois hommes devant le couffin de notre cousine Lucy, a cette formule pour l'homme, il dit "dès que l'homme est homme, il est homme". Ici nous pourrions dire cet événement comme ceci "dès que la cellule est, elle est cellule." C'est à dire qu'il y a un dedans et un dehors, elle se nourrit et se reproduit. Il y avait donc des agglomérats, des profondeurs, des matières et des densités, des turbulences et des tourbillons, cependant avec cet événement, moment qui a dû s'étirer sur quelques millions d'années, plus rien n'est comme avant. Il s'en déduit la possibilité de la tourbe, selon une vieille racine : « turba », où l'on doit pressentir la foule. Cet événement-membrane, c'est la possibilité de la surface, de la frontière et du voisinage, qui posent encore tellement de grandes questions cruelles à l'humanité. Plus modestement et avec moins de conséquences dramatique mais avec sérieux, certains y reconnaîtront une possibilité de la topologie. Il y a des mondes. Dans le champs sémantique de turba, par turbo interposé, on passe du tourbillon aux tourbières rêvées où on trouve la turbulence de la foule.
Une institution a toujours à faire avec turba.
Je pense ici à cette institution dont la spécificité est que la pluridisciplinarité s'effectue, à domicile, par chacun des acteurs. Chacun entretient sa membrane sans perméabilité au sein des réunions institutionnelles où les projets des enfants sont élaborés. Il y a donc bien le commun du projet, mais chaque / un, au sortir de ce projet s'adosse à sa propre frontière théorique et pratique. J'ai souvent cette formule : comment s'adosser à l'institution? Faire que cette membrane soit douée d'une perméabilité mesurée. On le sait bien, la superposition de travailleurs défensivement indépendants ne fait pas institution.
Il y a, donc, des mondes et je poursuis ma fiction : Un saut de puce, et ces mondes s'assèchent... En ce temps là , il est 3 millions 500 000 à 1 million 500 000 ans avant aujourd'hui, l'assèchement ou toute autre raison indépendante ou ajoutée font que l'homme se dresse, cela prend du temps, mais se dressant, sa langue est déliée. Est-ce par la mâchoire reculant, par la main libérée par le pied par l'ouïe et par l'écho rehaussés, par le regard et le miroir enchevêtrés que le proche et le lointain s'articulent, nous n'en serons jamais tout à fait certains, mais dès lors un « parlêtre » est né. Il y a donc des mondes et des langages, irrémédiablement
La prochaine fois que lors d'une séance de supervision le silence envahit, je propose qu'on se dresse pour vérifier si ça libère la parole.
Je pourrais profiter de cet assèchement de la tourbe pour introduire par esprit d'à-propos l'asepsie qui est annoncée dans le titre, mais il me semble devoir préciser cette question : pourquoi la supervision?
Longue digression : Dans une mise en scène à deux éléments, des mondes et des langages, nous devrions pouvoir résoudre toutes les contradictions, et c'est ce que tente ou force, l’ingénierie actuelle, par opération simplifiée, à deux entrées, que sont l'offre et la demande, une question/une réponse, un mal/un remède, un pourquoi/un parce que. Ce champs opératoire est quadrillé par des normes, déjà des institutions obtiennent et beaucoup visent les normes ISO qui sont des préliminaires à la jouissance du grand marché. Les mouvements à l'intérieur de ce champ sont régit par des opérations qui le saturent. Pierre Legendre identifie quatre de ces opérations, comme étant au principe efficient du militaire : commander, organiser, contrôler et coordonner. Je mets coordonner en dernier parce qu'il est dans le champs du médico-social le dernier à être réintroduit, bien sûr on coordonnait avant, cependant on l'a vu réapparaître déconnecté d'un quelconque statut, comme un pur artefact de fonction. Ainsi dans une institution est transformé du temps éducatif afin qu'un égal coordonne ses pairs, pour le temps et pour son emploi. Tête sans le chapeau nécessaire qui l'instituerait, évidemment ceci a des effets. La coordination en ce sens n'est-elle pas l'évitement d'un litige potentiel qui est diffracté sur le corps d'un semblable ? Ce miroir sans tain est une capture imaginaire, et que cela se paye d'un impossible , se déduit de la mise en scène même. Ailleurs ce sont des chefs, qui en portent le nom ceux-là, avec une soustraction toutefois, leur capacité d'agir est prise dans ce que le texte appelle une "sub-délégation" qu'ils ont signé et qui les oblige pour certains actes à demander l'aval de leur supérieur, les rendant impuissant par zones ou par secteurs. Au fond le mot dit bien la chose, il semble que ce "sub", sonne avec subordination. Accolé à "délégation" il vient créer une espèce particulière d'aporie,
une aspiration, un embarras en tout cas. Cette soustraction est une ligne de faille où on s'en doute, est aspirée l'autorité toute entière, c'est leur parole qui est invalidée. Ils y pallie en différant les décisions, le temps d'aller « sub » leur délégation. Afin de complexifier ce nouage, qui devient un nuage permanent de suspicion d’incompétence, les personnels, comptables dans cette soustraction d'autorité, s'adressent parfois directement au N+1 , N+2, voire au sommet de l'association. Cette agencement a pu se rejouer entre les délégués du personnel et le conseil d'administration de l'association, squeezant ainsi la direction. La cerise sur le gâteau est que la hiérarchie peut accéder à cette shuntage avec effet de retombée sur les chefs de service, sur la direction... Au quatre principes relevés par Pierre Legendre, il faut en ajouter un autre, " LTI" est son nom ; ceci fait référence à : Lingua Tertii Imperii, Langue du Troisième Reich dont Viktor Klemperer, au jour le jour de la seconde guerre mondiale, informe le catalogue afin de résister à ces mots qui imposent la réalité nazi dans le corps de la langue, c'est à dire dans le corps, et qui meurtrissent la chair du monde à exclure. Toute proportion gardée bien évidement, la langue du médico- social s'est vu modifiée dans le sens de l'opératoire. De codir en copil la rationalisation ordonne les compétences. Dans la nouvelle nomenclature du médico-social, il n'est plus correct, par respect de la personne, de parler de "handicapé", alors on remplace cette appellation jugée dégradante, par « personne en situation de handicap. » Ironie, comme c'est un peu long pour un logiciel cela fait retour sous forme abrégée et les dossiers devenaient les dossiers "PESH" (rectifié suite à observations des personnels choqués). Pour notre contexte qui n'est pas celui du nazisme, Eric Hazan a forgé le terme de LQR pour Langue de la cinquième République, il décrit ce qui s'évite de la division en déplaçant le litige. LQR est un rapport édifiant sur la propagande quotidienne de la nouvelle
gouvernance. Fin de digression Alors pourquoi la supervision? Revenons à l'homme debout. Alors que l'homme se déplie, cela provoque le pli du « parlêtre ». Appelons événement, ou vérité, ce point de disjonction qui déplace l'homme dans la révolution par un saut d'évolution. Sans doute que se dressant, c'est à l'horizon qu'il s'aliène, horizon de lui-même à quoi il s'adresse en même temps qu'il lui répond se sentant appelé et qu'il lui obéit, se sentant intimé. Pli invaginé sur lui même incluant ce qui l'inclue, ce pli lui donne une allure chiffonnée, un sentiment parfois d'être chiffré à son insu. Ce bouclage « ordonne » cet homme dressé au bord de monde qui parle. Vous aurez compris, j'essaie d'avancer en gardant déguisée la logique de l'inconscient ;habiller l'invisible pour en rendre l'énigme. Alors il y a des mondes et il y a des langages : sauf qu'il y a l'inconscient, sauf qu'il y a de la répétition, sauf qu'il y a de la pulsion, sauf qu'il y a des transferts.... Combien de fois cette expression : "c'est inconscient". Dans celle ci, l'accent est-il à porter sur le "c apostrophe" // peut-être sur l'apostrophe, tant cela parfois nous apostrophe comme une vérité ?. A chaque rencontre entre deux petits sujets, cet apostrophe teinte, c'est à dire colore, et d'abord, tinte comme une invocation résonnante, dans le for intérieur de chacun, où chaque rencontre est toujours déjà scénarisée, qu'on le transfert "à la bonne" ce petit autre, ou qu'on « l'ai à l’œil ». Pour le versant pulsionnel, nous pourrions réfléchir à ces fluides qui irriguent, circulent, innervent, diffusent dans les institutions, par flux constant ou par poussées : Tel le circuit des informations,
retenues ou fuitant, selon la logique du bruit, de la rumeur ou du mot d'ordre // telles ces manières de surveiller et de punir, //ou encore tels ces contrôles divers qui s'écoulent avec viscosité retardant le flux de l'inventivité // sans compter ces variations individuelles/collectives sur le sexuel. Ces flux qui font le quotidien même des institutions, nous pourrions les appeler l'« étoffe » institutionnelle, puisque c'est ainsi qu'un temps, Jacques Lacan définissait la libido, comme « étoffe de la pulsion ». Voilà en vérité pourquoi la supervision : parce que même écrasé à deux dimensions, il y a un sourd travail du fait psychique, qui infiltre les peaux de chagrins laissées par l'ingénierie techno- scientifique, et qui prolifère en plaintes , symptômes et autres embarras/fantômes de pli. Au pli, Jacques Lacan préfère la métaphore de la vessie dont il nous dit qu'à y ajouter une ampoule ça pourrait bien nous servir de lanterne. Les enjeux techno-scientifique du management des institutions du médico-social ont pour moyens et conséquences la tentative de neutralisation de ce qui suinte de cette vessie chez ceux qui sont intimés d'appliquer, ce que leur ordonne ce management, à leur corps défendant. En LQR, on préfère dire « mettre en œuvre ». Ce qui est étouffé de ce pli a tendance à transpirer, de souffrance et de formation embarrassante. Le management techno- scientifique considère comme un reste cette transpiration qui grippe le système. Ce reste est parfois appelé "résistance au changement". C'est souvent à cet endroit qu'une supervision est convoquée, demande de paix sociale, ou, comme me l'exprimait un directeur lors d'une demande d'intervention : « pour accompagner le changement. » et il m'associait d'un: « vous savez de quoi je parle ! » l'air entendu.
Lorsque débute une supervision, je vois souvent une foule.
Une foule de plaintes, de désirs contrariés, d'embarras croisés, de besoins d'assurance, ça parle de tout, de rien, on se tait parfois de ce trop qu'il y aurait à dire ou dans la trouille d'un autre-voisin, ombre d'une figure tutélaire. On parle d'éthique et de rancœur. Pour y entendre quelque chose il me faut reculer d'un pas , pour faire une mise au point, trouver un degré zéro, un point praticable dans cet espace saturé par des singularités massifiée par l'embarras commun. La débilité native dont parle parfois Jacques Lacan, ma débilité, me pousserait facilement à combler tout ces trous qui émergent à la surface du tissus, comblant la faille de l'autre, m'y prenant moi-même pour un fil ajoutant un nœud aux nœuds. Voilà sans doute la première asepsie et je pense ici à la sagesse du tailleur de pierre, décrite par Damien CRU. Il dit qu'il faut "louper" la façade. Mot du vocabulaire professionnel, « louper » est équivoque, c'est en même temps rater et regarder de près, être à la fois dans le proche et le lointain. C'est à dire se tenir devant et en appréhender l'intégralité, c'est un geste d'oubli et d'imprégnation, de mesure subjective, le tailleur de pierre le fait comme un jeu, traduisez « jonction », mine de rien, c'est un véritable réglage, en prenant un café peut-être. Ensuite, seulement,on peut retourner à la matière. Vous trouverez tout ça chez Jean Oury. J'ai une pensée ici pour tout ces temps de chevauchement des équipes, que l'on supprime sous prétexte d'économie. Il me faut aussi dégager, autant que possible, "l'horizon de l' attente". Bien sur il y a la commande institutionnelle avec l'entendu : « vous savez de quoi je parle ! » , position dans laquelle déjà cela risque de coucher mes oreilles, // il y a aussi les légitimes questions rarement formulées comme telles par les équipes, dans lesquels on est toujours attendu, et qui semblent dire : « de quel côté êtes vous ? ».
Mais il y a ceci : si m'accompagne un livre, travaillant un concept, une idée, mes oreilles quadrillent l'espace afin de retrouver partout dans ce qui est dit une résonance de forme ou de fond. Comme si mon écoute ramifiait ma préoccupation, autour de ce que dit l'autre. Se méfier donc de prendre avec ce qui me prend. Se méfier mais pas trop quand même, plutôt mi-dupe mi-raisin. Ce serait donc le premier temps de l'asepsie, se demander ce que je fais là? Où se tenir ? Procéder donc, à mon propre réglage pour ne pas trop être empêtrer. Non seulement, faire un pas de côté, mais encore sortir de ma trace propre. Autrement dit, me laver les mains pour ne pas introduire trop de germes extérieurs.
Il y a un lien caché, imaginaire, entre l'embarras et l'asepsie. Embaraza c'est en espagnol être enceinte.
Le mot "asepsie" n'est pas inventé lorsque Ignace Semmelweis obstétricien Hongrois vers 1840, s'effraie du nombre de décès de femmes dans ses services. Il compare deux de ses services dont l'un est singulièrement plus morbide que l'autre. Il fait le lien avec le fait que dans ce service les étudiants qui le secondent ont un cours de dissection juste avant. Il n'a pas les éléments pour expliquer, mais intuitivement sans doute, il instaure un "protocole de lavage des mains", ce qui s’avérera extrêmement efficace ; premier nom de l'asepsie. Pour les germes il faudra attendre Pasteur la décennie suivante. Lorsqu'un siècle plus tard, François Tosquelles, psychiatre catalan, arrive en France il fuit l’Espagne et son régime. Il a déjà deux jambes, l'une est politique, l'autre sa fréquentation de la psychanalyse et pour marcher il se sert de ses deux jambes. L'idée de double aliénation, psychique et sociale est au principe de son
abord des malades, qu'avec d'autres il accueille à Saint Alban. Cette allusion aux jambes de Tosquelles pourrait être le début d'une autre promenade entre aliénation et séparation. Cependant, quand à l'aliénation, pointons d'emblée une différence cruciale entre deux et double.C'est peut-être dans cet écueil que s 'est confondue une certaine anti-psychiatrie.
Prendre en compte l'ambiance dans toute ses dimensions, dans le proche et le lointain. Avant, pour introduire un minimum d'histoire, avant que le terme de psychothérapie institutionnelle soit proposé par Georges Daumezon, c'est le terme "d'Asepsie de l'ambiance "qui identifiait cette manière d'accueillir et de tenir compte. L'asepsie est une modalité de lecture, recul nécessaire pour voir clair dans la pénombre, distinction de ce qui s'invite dans la perception, identification des brouillages dans l'énonciation. Arrêtons nous ici, sur ce qui précipite dans les réunions. Vous reconnaîtrez cette vignette qui est déconcertante de simplicité : un locuteur commence un récit, son voisin termine sa phrase. C'est souvent plus fort que lui, pour aider ou parce que ça brûle la langue, comblant toute hésitation, ou tout silence. Mais, comment laisser chacun se débrouiller avec ses signifiants, bafouiller le quotidien sans que cette même débilité déjà convoquée ne vienne combler les aspérités de la langue, son génie. Dire le passage où un acteur "prend" la parole sur la parole d'un autre, en rompant son fil sous prétexte d'une suspension, d'un silence, ou d'une irrépressible envie de compléter le discours de l'autre, dire ce passage donc me parait être une césure qui sauve, une coupure singulière. Que chacun se débrouille avec ses signifiants, parce que souvent, c'est dans l'embrouille qu'émerge la singularité. C'est un comble : on aperçoit ici, comment couper la parole de l'autre est le contraire de la coupure telle qu'envisagée par l'asepsie. Ceci peut nous faire réfléchir à la fonction du silence bien
placé sur la partition, qui, en surlignant l'écart, peut faire coupure. L'asepsie, c'est se taire tout aussi bien, pour soutenir une des nombreuses divisions dont le sujet est affecté. Ceci vaut pour le commentaire, ou « la réponse à tout » qui écrase le « pourquoi » sous le « parce que ». L'asepsie comme modalité de coupure. Le composite de la matière institutionnelle est fait de présupposés familiaux qui se voient transférés chez "le sujet du soin", parfois proprement « incarnés » dans ce sujet. Ce sujet du soin, est pris en charge par une équipe composée de sujets eux- mêmes doublement aliénés par leur position subjective prise dans les rets d'une institution elle-même divisée entre un impensé gestionnaire et ce qui reste de visées morales ou éthiques. Il faudrait bien dessiner un jour ces emboîtements ces nœuds où la continuité prend le pas indifférencié sur la nécessaire séparation , de miroirs et projections, d'invaginations, de retournements.... Embrouilla maxi qui ne peut que susciter de l'embarras. Afin de faire ressortir le singulier, il ne suffit pas de trancher dans le vif du sujet, mais de se saisir, ou mieux dit, de se laisser saisir, au bon moment, au bon endroit, dans le multiple afin d'en faire apparaître le nouage. La logique reposant sur le principe de non-contradiction, prend le risque de renvoyer soit à l'isolement du symptôme du côté de l'aliénation psychique, soit de réchauffer la lutte des classes du côté de l'aliénation sociale. A l'instar du point, de la virgule et du blanc, l'asepsie cherche à être une modalité de coupure qui permet la lecture. François Tosquelles faisait remarquer qu'un directeur devrait indiquer la direction, et Jean Oury ajoutait le danger que représentait un directeur qui se prend pour un directeur. C'est l'équilibre délicat, à toujours interroger, entre statuts, fonctions et
rôles, tout ces termes étant au pluriel : Une psychologue raconte son embarras : elle participe à une réunion de direction, en « LQR » on dit un CODIR , avec le directeur, le médecin, une infirmière et une secrétaire. Depuis son statut de cadre incorrectement dimensionné, il est attendu d'elle qu'elle porte la parole directrice auprès des équipes, ce que les équipes s'infiltrant dans cette brèche, lui demandent avec insistance. Comment un manque de discrimination concernant les fonctions et les statuts , ou plus précisément ici, comment le collapsus de plusieurs aspects du statut, fabrique un montage sceptique, où la fonction psy est dissoute. Les institutions fourmillent de perturbations chiasmatiques, réunions de clinique envahies par les questions d'emploi du temps ou de réglages techniques, de distribution des clefs de véhicules. // Les questions importante débordent donc dans les couloirs, et leurs commentaires débordent devant les résidents. Le bruit couvre tout ce qui pourrait faire énonciation, et l'imaginaire vient prendre toute la place. Voici une addition fréquente dans les institutions : bruit + imaginaire, vous obtenez la jouissance, le trouble, la terreur, l'embarras. Une perspective ouverte assez souvent dans les séances de supervision, est d'amener à se demander dans quelle instance devrait être traitées les questions. Souvent ces instances, ces lieux institutionnalisés, n'existent pas ou plus, par économie souvent , par délitement parfois. L'acte d'asepsie est micro-logique. Cette formulation porte moins à créance que : «le bon dieu réside dans les détails » : Puisqu'un défaut à un bout du tissus institutionnel peut entraîner un effet n'importe où dans son espace, on peut supposer qu' intervenir sur le plus petit élément du quotidien, ou d'un dispositif, discursif ou factuel, soit en mesure de produire un effet sur
l'ensemble de la structure. Ici une vignette : dans une Maison d'Accueil Spécialisée, une Aide Soignante, « parle violemment» à une psychomotricienne, plus justement je dirais de manière « déplacée ». Ceci est mis au crédit d'une personnalité directe et entière, peut-être un peu malhabile, on dit : « elle est comme ça ». Les associations produites par le groupe, tournent autour de ce qui se délite dans cette institution où pourtant la qualité d'agencement institutionnel et de prise en charge pourraient servir de modèle dans bien d'autres lieux. La fatigue et la perte d'élan enveloppent la remise en question des activités planifiées par les éducateurs à partir du recueil des désirs et des possibilités de chacun . La coordination de ces activités est vécue comme un lieu de décision autoritaire. Un sentiment d'inachèvement épuise d'autres, devant la nécessité de redire et de ré-expliquer voire de justifier à nouveau ce qui concerne les conduites à tenir . Les décisions de soin sont souvent remises en cause ou discutées après coup ou encore, on ne fait pas tout à fait comme il a été décidé dans les réunions institutionnelles. Une infirmière ne mange plus sur les unités comme elle le faisait, ne se sentant plus à sa place ou attendant une invitation qui se raréfie. La psychologue est amenée à rappeler dans quelle optique elle circule où s'installe dans les unités, de la même manière elle se sent déplacée, comme intruse, s'entendant reprocher de ne pas toujours faire la vaisselle lorsqu'elle participe au repas sur ces mêmes unités de soin. Au bout du compte, ces unités deviennent des lieux clos où le regard de l'autre est potentiellement dangereux. Ici , est à l’œuvre, il me semble, un déficit de la fonction qui viendrait ordonner chacun à sa place. Le ton de cette AMP est rendu
possible parce que le « mot de passe » de la « fonction » est oublié, introduisant un trouble dans le tissus institutionnel. Y a-t-il résonance entre le détail et le tout, ou homologie, voire hollogrammatisme ? Barbarisme qui viendrait imager que le petit aurait les même propriétés que le grand qui le contient? Dit plus simplement, qu'un élément de discours, duplique la totalité dans laquelle il est pris. L'asepsie, est une préoccupation autour de la grammaire institutionnelle, Une hypothèse de travail est que dans ce texte au minimum interactif, opérer un mouvement, un déplacement, un retournement ou une coupure, à n'importe quel point de son corps, change l'ensemble dans lequel est pris ce point. Pour conclure : Prenez une cravate et faite passer dessus ce qui devait passer dessous et vous obtenez n'importe quoi, excepté un nœud de cravate. Vous obtenez une écharpe peut-être, ou avec beaucoup de chance un nœud papillon qui se demande s'il est un homme qui rêve qu'il est papillon. Un papillon dont le battement d'aile pourrait bien provoquer un tourbillon à l'autre bout du couloir. Le pragmatisme économique, utilitarisme manœuvrant la rationalisation des moyens et un mode d'approche opératoire des organisations, sont le credo qui polarise les institutions administrées par la techno-science. « Credo » vient dire qu'on y croit, parce que je vois ces dirigeants dépités devant le fait que leurs raisons n'aient pas l'adhésion de tout-un-chacun. C'est au pilori de ce credo que sont sacrifiés les agents dont la clinique est reléguée à hauteur d'un supplément d'acte. Quelle enquête, quelle évaluation, permettra de mesurer les retombées de ce mode de penser « opératoire », de cette opération d'évacuation du psychisme, sur la matière sociale, sur la subjectivité, sur le composite social/psychique ? L'asepsie serait déjà une bonne chose si l'on ne retenait que sa
fonction de favoriser les conditions de possibilité pour une clinique. Faire le ménage pour plus de clarté de l'acte, pour une meilleure lecture du tissus institutionnel. Qui parle, d'où parle-t-il, à qui s'adresse-t-il? Cependant ceci est juste une rime avec son origine obstétrique. Il faut envisager l'asepsie, comme une clinique de la coupure pour les questions institutionnelles. Comme une clinique qui active des lanternes afin d'entrapercevoir les sujets dans leurs singularités. Clinique qui soutient un certain écart dans les nombreuses divisions qui affectent ce sujet, et le constituent. Ces sujets prêtant corps à l'institution. Dans ce champs de forces, l'asepsie recouvre un certain nombre de gestes différents. Pour autant ces gestes correspondent toujours à arrimer là où ça flotte. L'état de « celui qui flotte entre deux discours » c'est ainsi que Jacques Lacan caractérise la débilité. Ma clinique de la coupure, de l'asepsie, peut tout aussi bien s'appeler clinique de la débilité. La gestuelle de l'asepsie est minimaliste et sa visée est le singulier. Louper pour évaluer la bonne distance, serrer là où s'oublie la liaison, dé-compléter ce qui massifie, soutenir la polysémie discursive là où la langue est de plomb, dessiller l'illusion de la totalité, faire entendre les harmoniques de l'univoque. Avec l'asepsie, faisons le pari que c'est la mise en réseau de ces points de singularité qui vient redéfinir un nouveau sujet (de l'institution). Comment restituer le clair/obscur où l'humus de l'humain peut se tenir debout dans sa langue balbutiante ?