Je suis salarié
d’une association, la Sauvegarde Mayenne Sarthe. J’y interviens comme
psychologue, au sein de ce qu’on appelle le PADA, Pôle d’Accueil
Diversifié
pour Adolescents. Ce pôle est composé de différents services ayant pour
mission
d’accueillir et d’accompagner des adolescents âgés de quatorze à
dix-huit ans
qui, par décision administrative ou judiciaire, sont retirés de leur
famille.
Le service dans lequel j’interviens est dit « d’observation et
d’orientation ».
Il s’agit d’un foyer qui, concrètement, a emprunté les murs d’une
maison de
ville ayant la capacité d’accueillir sept jeunes et dont l’équipe
éducative
accompagne également deux adolescents « placés à domicile ».
Le
service a vocation à servir de plaque tournante. Les jeunes qui nous
sont
confiés le sont théoriquement pendant trois mois, renouvelables une
fois. Au
terme de cette période, ils sont orientés soit dans des services
appartenant au
PADA en fonction du projet que nous aurons élaboré avec eux, soit à
l’extérieur
si aucun service n’est susceptible de convenir. Les services du PADA
vers
lesquels les jeunes qui nous sont confiés peuvent ensuite être orientés
sont
les suivants :
- le Foyer
Olivier De Labarthe, qui est un foyer d’hébergement collectif constitué
de trois
unités de vie comprenant chacune six chambres individuelles et
auxquelles sont
rattachés quatre studios qui permettent de mettre les jeunes en
situation
d’autonomie. L’accueil dans ce foyer assure aux jeunes un
accompagnement éducatif
au quotidien.
- le Suivi
externalisé, qui effectue des accompagnements à partir de logements
autonomes,
en dehors des murs d’une structure. Concrètement, les jeunes sont en
appartement dans la ville de Laval. Il propose deux types de prise en
charge :
l’Accès à l’autonomie, et le soutien renforcé dans l’Accès à
l’autonomie. Le
dispositif Accès à l’autonomie est envisagé pour des jeunes qui ont
montré des
aptitudes pour s’occuper eux-mêmes des différents aspects de leur vie.
La
relation éducative, bien que toujours existante, est moins serrée dans
la
mesure où l’on suppose au jeune bénéficiant de cette modalité
d’accompagnement
l’aptitude à la solliciter de lui-même lorsque cela s’avère nécessaire.
En
revanche, le soutien renforcé dans l’Accès à l’autonomie correspond
davantage à
des jeunes dont les difficultés rendent inapproprié un accompagnement
au sein
d’un collectif mais qui nécessitent tout de même une présence éducative
renforcée.Je reviendrai
sur ces services et sur le fonctionnement du Pôle d’Accueil Diversifié
pour
Adolescents, mais je voudrais commencer en essayant de vous faire
appréhender
ce à quoi on a affaire dans notre pratique à travers quelques éléments
de
théorie, puisés dans Freud et dans Lacan, que j’ai essayé de
m’approprier pour
y voir plus clair.
Les trois
métiers impossibles de Freud
Freud a avancé
qu’il existait trois métiers impossibles : ceux qui consistent à
gouverner,
à soigner et à éduquer. Il suffit de suivre un peu le fil de
l’actualité pour
trouver des illustrations de ce premier impossible. A titre d’exemple,
le
projet de la loi travail, porté par Myriam El Khomri a récemment
provoqué de
vives contestations de la part de citoyens français. Pour l’impossible
à
éduquer, je pense à certains de ces jeunes qui, au moment où ils nous
sont
confiés, ne parviennent plus à se maintenir dans leur famille, dans
leur
scolarité ou toute autre formation professionnelle. Quant à
l’impossible à
soigner, qui fait référence à l’analyse, disons très rapidement qu’il
n’est pas
question pour le sujet de guérir de son symptôme mais d’apprendre à
faire avec.
Ces trois impossibles recouvrent des champs que Freud distingue mais
qui
s’interpénètrent tellement qu’ils témoignent selon moi de l’échec à
faire avec
la même chose. Mais de l’échec à faire avec quoi, me
demanderez-vous ?
C’est ce que dans mon titre j’ai appelé le vivant et que Freud a plutôt
appelé
la pulsion, corrélée à son énergie, la libido et au sujet desquelles il
a tiré
un certain nombre de développements (libido du moi, libido d’objet,
poussée,
source, objet, but, pulsion de vie, de mort, sublimation). Le terme
« vivant » est une tentative de m’extraire de ces
développements, non
pas qu’ils ne soient pas pertinents, mais ce n’est pas encore ce qui
m’intéresse dans la présentation que je vous propose aujourd’hui. Ce
vivant,
donc, auquel se réfèrent les trois métiers impossibles de Freud, se
spécifie
d’être impossible à civiliser.
J’utilise ce terme, civiliser, car il caractérise bien l’enjeu qui
nous
intéresse ici, c’est-à-dire de savoir ce qui du vivant dont il est
question
consent ou non à passer dans la communauté humaine. Ce serait
d’ailleurs une
définition possible de ce vivant, de cette pulsion qui dérange,ce qui
n’est pas civilisable.
(Je reprendrai cette esquisse de définition sous un autre angle plus
tard.)
Freud ne parle pas pour rien d’impossible. Dans le Séminaire « Les
quatre
concepts fondamentaux de la psychanalyse », Lacan définit le réel
précisément
comme "l’impossible". Le
réel, c’est aussi ce qui n’est pas symbolisable, ce qui reste en dehors
du
symbolique, c’est-à-dire ce qui ne passe pas sous la loi du signifiant.
Ajoutons que, du point de vue de la société, c’est ce qui se trouve
« hors-la-loi », ce qui la déborde.
L’organisation
humaine comme réponse au
réel
Si comme le
suggère Lacan dans sa note à Jenny Aubry de 1969, le symptôme de
l’enfant se
trouve, je cite, « en position de
représenter ce qu’il y a de symptomatique dans la structure familiale »
et que l’un et l’autre des membres composant ce couple parental sont,
ou ont
également été en position de représenter ce qu’il y a de symptomatique
dans
leur structure familiale, je m’autorise à penser que ce réel auquel ont
affaire
les parents et les enfants, incombe également à la société. Ce n’est
pas à
autre chose qu’à ce réel que répond toute organisation humaine et que
le
Législateur tente de réguler. Or, lorsqu’elle échoue à ordonner ce
vivant,
c’est-à-dire lorsque celui-ci se manifeste bruyamment, la société crée
des
institutions ayant pour mission de le prendre en charge. C’est dans
cette
perspective que des services tels que ceux qui composent le PADA
fondent leur
existence. Si l’on s’en tient à la distinction gouverner, soigner,
éduquer, on
peut préciser que les prisons répondent à l’impossible à gouverner, les
services de psychiatrie à l’impossible à soigner.
Le contexte du
PADA et du service
Observation Orientation
Le projet PADA,
Pôle d’Accueil Diversifié pour Adolescents date de 2010. Sans rentrer
dans les
détails de son histoire, il se compose aujourd’hui d’un foyer
d’hébergement
collectif constitué de trois unités, qui accueille des adolescents qui
nécessitent un accompagnement éducatif au quotidien ; d’un service
de
Suivi externalisé subdivisé en un dispositif d’Accès à l’autonomie qui
accompagne les jeunes à partir de logements individuels, et un
dispositif
d’Accès à l’autonomie renforcé pour des jeunes dont les profils ne
permettent
pas une prise en charge dans un collectif mais nécessitent un
accompagnement
renforcé ; enfin, le service dont je dépends, Observation
Orientation, qui
fait office de plaque tournante pour le jeune confié au PADA et qui
permet sur
un temps court, trois mois renouvelables une fois, de préparer avec lui
un
projet dont dépendra son orientation future dans un des services du
PADA ou en
dehors.
De tels
services ne peuvent fonctionner qu’à la condition d’avoir obtenu des
autorisations de fonctionnement délivrées par le Conseil Départemental.
Les
autorisations de fonctionnement courent généralement sur quinze ans,
après
lesquelles le Conseil Départemental publie de nouveaux appels à
projets. C’est
le cas du foyer d’hébergement collectif dont j’ai parlé rapidement il y
a
quelques instants. Le service Observation Orientation, puisqu’il revêt
un
caractère expérimental, a obtenu une autorisation de fonctionnement
courant sur
cinq ans et qui s’achève à la fin de cette année 2016. Deux appels à
projets
ont été publiés, auxquels l’association a répondu, puisqu’ils
correspondent,
avec des modifications dans la commande, plus ou moins à l’activité que
recouvrent les différents services du PADA. L’un concerne le foyer
d’hébergement collectif auquel serait rattaché le service d’Accès à
l’autonomie, l’autre concerne ce qui est aujourd’hui le service
Observation
Orientation qui deviendrait un collectif de sept places organisé en
deux
petites unités pour des enfants ayant entre six et seize ans
(actuellement
quatorze à dix-huit ans), et auquel
serait rattaché l’actuel service d’Accès à l’autonomie renforcé. Si
nous
obtenions ces projets, le foyer d’hébergement collectif et le service
d’Accès à
l’autonomie obtiendraient des autorisations de fonctionnement pour
quinze ans.
Quant au petit collectif et au service d’Accès à l’autonomie renforcé,
revêtant
à nouveau un caractère expérimental, ils obtiendraient des
autorisations de
fonctionnement pour cinq ans, au-delà desquels le Conseil Départemental
pourrait soit pérenniser le dispositif, soit décider de publier de
nouveaux
appels à projets. J’interroge ici la pertinence d’un tel
fonctionnement, qui
reproduit le discours (capitaliste) qui domine l’organisation de notre
société
contemporaine. Or, si le symptôme de l’enfant vient bien représenter ce
qu’il y
a de symptomatique dans le couple parental dont chacun des membres
représente
ce qu’il y a de symptomatique dans leurs structures familiales ;
et si
l’on est d’accord pour dire que ces structures familiales dépendent
elles-mêmes
de l’organisation de notre société, régie par le discours
capitaliste ; on
peut, me semble-t-il, interroger le bien-fondé de mettre en œuvre une
solution
qui paraît être faite du même bois que cette organisation dont l’échec
se
manifeste au travers de ces jeunes et de ces familles que nous
accompagnons. La
société d’aujourd’hui produit du symptôme, en lien notamment avec les
conditions de travail. Nous sommes dans l’ère du burn-out, du suicide
au
travail et de la dépression. Sans nécessairement aller jusqu’à ces
extrémités,
notons tout de même que l’on propose à des professionnels qui ont pour
mission
de travailler avec des sujets dont le mal-être signe une des limites de
notre
mode de fonctionnement, un mode de fonctionnement équivalent.
Par ailleurs, la
publication d’appels à projets conduit à la mise en concurrence entre
différents acteurs pour une activité rémunérée. Cela n’est pas bien
différent
de la logique qui est à l’œuvre dans les domaines de l’industrie et du
commerce. A ce titre, les concurrents qui répondent à ces appels à
projets sont
notés à partir d’un barème dont l’aspect financier vaut pour quatre
dixièmes,
ce qui signifie qu’il faut pouvoir formuler une offre d’accompagnement
convenable avec des contraintes financières importantes. On peut
aisément
comprendre, en ces temps difficiles, la nécessité de maîtriser les
finances.
Pour autant, il s’agit de veiller à ce que cette maîtrise n’ait pas
pour
conséquence de mettre à mal le travail auprès des jeunes.
En outre, le
prix de journée lorsqu’un jeune est placé étant plus élevé que pour
d’autres
types d’interventions comme les AEMO (Assistance Educative en Milieu
Ouvert),
il n’est pas rare que la décision de placement soit prise tardivement
alors que
notre intervention n’est possible que jusqu’aux dix-huit ans auprès des
jeunes
qui nous sont confiés, sauf s’ils bénéficient d’un Contrat Jeune Majeur
(entre
dix-huit et vingt-et-un ans) de la part de l’Aide Sociale à l’Enfance.
Puisque
l’aspect financier compte, nous pourrions nous poser la question de
savoir s’il
ne serait pas plus judicieux de consentir à des dépenses plus
importantes à ce
moment charnière de la construction de ces adultes en devenir et
optimiser
leurs chances de poursuivre des études, trouver un travail et une
certaine
stabilité dans leurs parcours de vie, plutôt que de réduire ces
possibilités en
réduisant les dépenses sur une courte période et risquer d’avoir
ensuite à leur
verser des aides sur une partie plus importante de leur existence.
Enfin, celui
qui souhaite répondre à ces appels à projets doit satisfaire à un
cahier des
charges bien précis. Il s’agit donc de répondre à une commande du
Conseil
Départemental. Cette commande correspond à ce que nous avons déjà
évoqué, à
savoir prendre en charge ce réel, ce vivant qui peine à s’arranger de
notre
discours contemporain. En d’autres termes, nos possibilités d’action
sont
définies par un cahier des charges qui spécifie la commande du Conseil
Départemental. A titre d’illustration, l’appel à projet qui concerne
mon
service invite à la « création d’un
dispositif diversifié pour les mineurs avec une prise en charge
complexe (6-18
ans) ». A l’intérieur, le Conseil Départemental mentionne très
précisément ce qui est attendu, le nombre de places, l’agencement de
l’établissement, le profil des jeunes qui seront confiés, les
conditions
d’admission et de prise en charge, les modalités d’intervention auprès
de ces
jeunes, les moyens matériels et humains, les dispositions financières,
tout
cela étant encadré par le Législateur. Même l’invention est
encadrée :
« Le candidat pourra proposer toutes
modalités de prise en charge éducative complémentaire et/ou innovante
qui
pourraient répondre aux besoins du Département. »
Notre action et
nos missions sont nettement délimitées par la loi et ce, dans l’intérêt
des
mineurs qui nous sont confiés. Cet encadrement des institutions par la
loi
correspond à la manière dont notre société essaie de faire avec le
réel, le
vivant dont je parle, impossible à civiliser. Cela ne signifie pas pour
autant
que notre intervention soit restreinte car qui dit encadrement ou
délimitation,
dit également espace d’expression et d’invention.
Les tentatives
de préservation de notre
action au sein du service
Dans ce cadre
légèrement étriqué, ce qui nous permet de ne pas perdre de vue le sens
de notre
action ainsi que l’intérêt des jeunes qui nous sont confiés – et cela
n’a rien
d’original – réside dans les différentes tentatives de prise de recul
et
d’introduction d’un élément tiers entre les professionnels et les
jeunes que
permettent les temps de réunions cliniques, les supervisions, les
analyses de
la pratique. Ces temps assurent que ce à quoi nous avons affaire dans
notre
pratique n’a rien à voir avec une logique de production ou de
productivité,
qu’il ne s’agit pas d’un matériau à transformer mais bien de ce que
j’appelle
le vivant et qu’il est question de prendre en compte en tant que tel.
Le service tend
également à développer des partenariats avec d’autres acteurs
susceptibles
d’accompagner les jeunes confiés dans des contextes complémentaires du
nôtre,
ce qui nous permet non seulement de partager notre peine mais surtout
de
profiter de savoir-faire, de compétences que nous n’avons pas dans
notre
service, lesquels permettent encore l’introduction d’une altérité
propice à l’ouverture
de nouvelles pistes, de nouvelles réflexions pour nos accompagnements
(CMPP,
services de psychiatre, pédopsychiatrie, Maison des Adolescents, Maison
De
l’Autonomie, infirmiers, etc.).
Il me semble
également que les conditions dans lesquelles sont mis les membres de
l’équipe éducative
pour travailler permettent de les protéger des écueils dont le discours
capitaliste nous menace éventuellement. En effet, chaque professionnel
qui
compose l’équipe bénéficie d’une autonomie importante dans la mise en
œuvre de
ses accompagnements auprès des jeunes, laquelle mise en œuvre est
encadrée et
soutenue par la hiérarchie. C’est précisément ce qui tend à se perdre
dans la
logique du discours capitaliste puisque celui-ci se spécifie de retirer
au
travailleur son savoir-faire, le sens de son action et la conviction de
l’utilité du fruit de son labeur. De plus, l’équipe d’Observation
Orientation
est relativement préservée de cet écueil dans la mesure où elle adhère
à
l’esprit du service qui se manifeste à travers l’éventail d’actions que
celui-ci
permet. En vue de pouvoir accompagner à chaque fois de manière
singulière, au
cas par cas, les jeunes qui nous sont confiés, nous avons à disposition
différentes modalités d’intervention que sont l’hébergement en petite
unité de
vie (le jeune est accompagné au quotidien au foyer par l’équipe
éducative), le
placement à domicile (le jeune continue d’être hébergé à son domicile,
l’équipe
éducative se déplace au domicile) et le séquentiel, qui permet au jeune
d’alterner entre un hébergement au domicile et un hébergement au foyer
et ce,
avec tout une gamme de nuances possibles. Les autres services du PADA
proposent
des types d’accompagnement complémentaires que j’ai déjà abordés :
de
l’hébergement collectif sur du moyen terme, de l’accompagnement à
partir de logements
autonomes avec un suivi éducatif plus ou moins renforcé selon les
situations. Ces
accompagnements se construisent en collaboration avec le jeune et sa
famille
mais ils peuvent également s’appuyer sur d’autres ressources telles la
fratrie,
des membres de la famille élargie ou des personnes qui comptent dans le
parcours du jeune. Cet éventail de possibilités permet non seulement de
s’adapter à la spécificité de chaque contexte familial mais également
aux
perspectives d’évolution de la situation. Un jeune placé en foyer par
exemple,
en fonction de l’évolution de son projet scolaire ou professionnel va
ensuite
pouvoir glisser vers un logement autonome. Après un temps de
vérification de la
part de notre service, le jeune sera ensuite plutôt accompagné par un
service
d’Accès à l’autonomie.
Les incivilités
de cet impossible vivant.
J’utilise le
terme « incivilités » au
sens de ce qui ne peut s’inscrire dans la vie en société. Ces
incivilités se
manifestent à travers les troubles, les symptômes, le mal-être des
jeunes qui
nous sont confiés. Comme je l’ai évoqué plus haut, ces troubles,
symptômes et
mal-êtres sont l’expression de ce qu’il y a de symptomatique dans les
structures familiales ainsi que le produit du discours contemporain
dans lequel
s’inscrit notre société. Embarrassée par ce vivant qui ne traverse pas
dans les
clous, elle produit des institutions qui ont pour mission de l’éduquer,
de le
soigner, de le gouverner, de le civiliser.
Ce vivant se
manifeste très diversement. Il est souvent bruyant, remarquable
lorsqu’un jeune
met en échec sa scolarité, fugue, se bat, commet des infractions. Il
peut
également interroger, alerter lorsque justement il semble ne pas se
manifester.
C’est le cas de jeunes qui ne quittent pas ou peu le domicile,
demeurent cloîtrés
dans leur chambre, les yeux rivés à leurs écrans (c’est un phénomène
très connu
au Japon, on appelle ces jeunes des hikikomoris). D’autres jeunes
peuvent
nécessiter un accompagnement psychiatrique et se trouver à la croisée
des
chemins entre la psychiatrie et la protection de l’enfance.
En ce qui
concerne le vivant, nous avons dit qu’il était impossible de le
civiliser. Pour
autant, nous constatons que pour une part, majoritaire j’ose croire, le
vivant semble avoir été civilisé. Il suffit de
regarder autour de nous, la plupart trouvent leur compte dans les clous
de
notre discours contemporain, possèdent un travail, une vie de famille,
des activités,
qui sont autant d’expédients, d’os à ronger que notre société offre au
sujet
contemporain. L’hypothèse que je formule ici n’est pas tant que ces
sujets ont
été civilisés, mais plutôt qu’ils y ont consenti par une forme de
choix.
Comment pouvons-nous alors envisager ce qu’il en est de ce vivant qui
se
manifeste, bruyamment ou non ? Mon idée est la suivante : il
ne
s’agit pas de vouloir civiliser le vivant, mais d’inventer des moyens
de
restaurer sa circulation dans notre société ; et de manière plus
générale
de favoriser les conditions de son expression.
Ce
positionnement résout à sa manière la question de l’impuissance et de
l’impossible.
Cet impossible, ce réel, auquel nous, professionnels, avons affaire
quotidiennement, a pour caractéristique principale, précisément, de ne
pas être
civilisable. Puisqu’il n’est pas civilisable, il devient hors de propos
de se
prendre dans les rets de l’imaginaire de sa fonction. En effet,
s’imaginer que
l’on puisse véritablement gouverner, soigner ou éduquer risque de
conduire aux
écueils que sont le sentiment d’impuissance et/ou la maltraitance.
Impuissance
lorsque, porté par sa volonté de ne pas faillir à sa tâche, le
professionnel
constate l’impossibilité de la mener à bien. Maltraitance si le
professionnel
considère que la fin justifie les moyens.
La formulation
que j’ai utilisée, « favoriser les
conditions d’expression du vivant » peut prêter à confusion.
Elle ne
signifie pas qu’il faille laisser le vivant sans cadre, sans
limitation. Bien
au contraire, puisque l’entrée dans le langage et, par là même, dans la
communauté humaine, se fait par une limitation très claire. Lepetit sujet doit « consentir » à /
faire le choix de renoncer à la jubilation de ses lallations s’il veut
accéder
au champ du langage et intégrer la communauté humaine. Autre
illustration, le
petit sujet mâle devra ensuite renoncer à l’objet maternel, mais ce
renoncement
est accepté s’il va avec la promesse qu’il aura accès à d’autres voies
de
satisfaction pulsionnelle.
Notre interventionconsiste par conséquent
en une tentative de
mettre en place des conditions d’expression telles que c’est le sujet
qui
trouvera les voies de l’épanouissement du vivant qui se manifeste en
lui. Le
Législateur l’exprime à sa manière lorsqu’il définit la protection de
l’enfance
comme visant à « garantir la prise
en compte des besoins fondamentaux de l’enfant, à soutenir son
développement
physique, affectif, intellectuel et social et à préserver sa santé, sa
sécurité, sa moralité et son éducation, dans le respect de ses droits. »
(loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfance)
Je terminerai
en disant ceci : Les interventions des professionnels sont possibles
pourvu qu’ils prennent acte de
la caractéristique principale de ce vivant, de ce réel auxquels ils ont
affaire, qui est justement d’être impossible.