Anne de Fouquet Guillot
Poitiers, 6 Avril h 2024 La question de la responsabilité pénale se trouve souvent corrélée à celle de la dangerosité et du risque de récidive. Celle de la responsabilité du sujet, plus spécifiquement psychanalytique touche à celle de la vérité de chacun. Je travaillerai à partir de cas cliniques nous permettant d'apprécier la complexité de ces questions. Je m'appuierai sur le livre de Yazid Kherfi "Repris de justesse", ancien braqueur devenu, après la prison où il a passé des diplômes, animateur, puis médiateur auprès de jeunes en difficulté, sur le livre de Freud "Le malaise dans la culture", celui d' Albertine Sarrazin "L'astragale"., sur le texte de Pierre Rivière "Moi Pierre Rivière ayant égorgé ma mère, ma sour et mon frère..." sur les films "Je verrai toujours vos visages" sur la justice restaurative, et "Sur l'Adamant", ainsi que sur le Journal Français de Psychiatrie N° 13 (Zagury, Melman, Dubec, Lanteri-Laura...),
L'article 64 du code pénal de 1810 énonce :"Il n'y a ni crime ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l'action, ou lorsqu'il a été contraint par une force à laquelle il n'a pas pu résister." L'article122-1du code pénal de 2014 dispose "N'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes." La personne qui était atteinte au moment des faits d'un trouble psychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable. Toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu'elle détermine la peine et en fixe le régime. " Juridiquement parlant, la responsabilité s'apprécie donc en fonction de la capacité de discernement et de contrôle au moment de l'acte délictueux. Il s'agit ici d'une responsabilité à un moment déterminé, celui de la commission de l'acte. Si un sujet délirant commet un meurtre qui lui est ordonné par les voix de ses hallucinations auditives, on considère qu'il a perdu sa capacité de discernement et de décision, ce qui définit l'aliénation ; l'action est dictée par une véritable machinerie délirante, qui exerce sur lui une contrainte à laquelle il ne peut résister. Pourrions-nous dire que le fait de ne pas avoir conscience de transgresser la loi suffit à déresponsabiliser quelqu'un ? Non, car si le psychotique délirant qui passe à l'acte n'a pas conscience de cette transgression, et ne peut pas répondre de son acte, un certain nombre de délinquants par ex auteurs de violences conjugales ou familiales, harceleurs, voleurs, etc, n'ont pas nécessairement, conscience de transgresser une limite. Nous sommes portés devant une transgression à lui imputer une intentionnalité, serait-elle inconsciente, mais il faut parfois la confrontation avec la loi et les conséquences réelles de cette transgression pour amener l'auteur de la transgression à prendre en considération qu'il y a eu transgression. Ex : P.30 Yazid Kherfi: "Je ne me souviens pas quand j'ai commencé à voler, sans doute parce que je n'avais pas l'impression de faire quelque chose de mal. Tout le monde volait un peu autour de moi, tout le monde entrait au supermarché, piquait un truc et repartait. Tout le monde prenait le train sans billet. Dans ce contexte tu voles une 1ère fois par hasard, parce que ça se fait, et que toi-même ne comprendrais pas que ça ne se fasse pas. Dans ce contexte, voler c'est normal c'est bien même...Je dirais que j'ai commencé à être délinquant à l'âge de 15 ans, l'âge de mes premiers cambriolages. Je ne me souviens pas du premier, comme si, comme pour le premier vol, je l'avais fait naturellement, sans y penser, comme un acte prévisible, donc nécessaire." P 32 :" ... On volait sans être véritablement inquiétés, quasiment au vu et au su de tous qui savaient ce que l'on faisait, et encouragés par certains."
En psychanalyse, la responsabilité subjective, celle du sujet parlant, n'est pas un état, mais une décision, celle d'accepter ou non de répondre de ses actes, décision donc toujours à renouveler. Elle concerne ses choix, y compris inconscients, ses actes, et leurs conséquences. La responsabilité est considérée dans sa dimension diachronique, dans le déroulé de l'existence qui se constitue d'une succession de choix par rapport au donné des situations. La question est celle de savoir si le sujet parlant va assumer sa responsabilité ou s'en défausser, pour rendre responsable papa maman la famille la société, les copains, le pas de chance, la biologie, le destin etc... Étant entendu que choix signifie ici non une délibération préconsciente ou consciente, mais la réalisation, la mise en acte d'une possibilité parmi d'autres. Il ne s'agit pas nécessairement d'un choix réfléchi, "ça" choisit en moi, ce "ça" étant la conséquence, l'actualisation de mes choix antérieurs. Si nous prenons l'exemple de l'antisémitisme, lors d'un meurtre antisémite, le jour où le meurtre arrive, il peut être quasi automatique, mais pour autant, il n'était pas obligatoire, ç'aurait pu être différent si la personne n'avait pas fait du Juif une figure de haine. En psychanalyse, cette responsabilité, au-delà de nos actes, concerne également notre inconscient, nos associations d'idées, nos fantasmes, et vous entendez comment elle n'est pas là corrélée à la culpabilité mais à une certaine vérité. Nul n'est coupable de ses fantasmes, de ses idées, qui s'imposent à chacun d'entre nous, même s'ils peuvent entraîner un sentiment de culpabilité. Assumer sa responsabilité, c'est "répondre de"... Par exemple, si je fais un lapsus, je peux l'assumer (j'ai fait ce lapsus, qu'est-ce que ça dit de moi ?) comme je peux également en refuser la responsabilité, le tenir pour une simple divagation insensée (j'ai fait un lapsus, c'est un pur hasard dénué de sens, je n'y suis pour rien). Faire une cure analytique, c'est accepter de prendre la responsabilité de son inconscient, des associations d'idées : oui, cet inconnu qui se révèle dans les associations d'idées au fur et à mesure des séances, c'est bien moi. Chacun reste responsable de ce qu'enfant puis plus tard il a refoulé, refusé, dénié, qui l'a constitué comme tel. Ainsi que l'énonce la formule "prendre ses responsabilités", la responsabilité est souvent multiple, chaque responsabilité étant absolue. Exemple : en tant que parents, nous sommes responsables de ce que nous donnons à nos enfants comme conditions d'enfance, comme discours, comme exemples, à partir de quoi ils détermineront leur avenir. Eux sont responsables de ce qu'ils mettent en ouvre à partir ce que nous leur donnons. Aucun ne peut se défausser sur l'autre de sa responsabilité. Or de nombreux délinquants se défaussent de leur responsabilité, ce qui leur permet de l'éluder pour la rejeter du côté de l'autre: par exemple dans le film "Je verrai toujours vos visages ": Nasim pour qui ça ne pose pas de problème d'avoir, lors d'un home jacking, mis un pistolet chargé sur la tempe d'un enfant pour que sa mère donne le code des cartes bancaires, en impute la responsabilité à la mère: "On est un peu obligés de donner des claques, de mettre de la pression, on veut les codes, la mère elle mettait tout le monde en danger, ( alors qu'elle se fait braquer chez elle!), elle refusait de donner les codes, alors j'ai mis un flingue sur la tête du gamin", ou encore Issa lors d'un braquage, parlant d'une victime qui a perdu un oeil à la suite de leurs violences "Si y s'était pas défendu, on l'aurait pas frappé comme ça, c'était pas des victimes comme vous". Et encore : "j'ai jamais rien décidé dans ma vie, pour monter un dossier à Pôle Emploi c'est compliqué, ça prend du temps. On m'a proposé un truc, (un braquage) j'ai dit vas-y, ça prend trois minutes, tu te fais des masses d'argent." Réponse de Nawel (caissière qui après avoir été braquée dans le supermarché où elle travaillait a fait une sévère dépression avec des crises d'angoisse et ne peut plus travailler): " Bientôt ce sera la faute de Pôle Emploi si tu as fait un braquage. Moi aussi, j'ai manqué de tout, j'ai vécu en foyer, mais j'ai fait d'autres choix". Dans une bagarre qui a mal tourné:" c'est lui qui a commencé, il m'a regardé, alors je l'ai cogné". Une patiente violée par son mari (d'après ce qu'elle m'en dit il semble s'agir d'une structure perverse) apprend qu'il explique à leurs enfants que s'il va en prison, c'est à cause de leur mère (en effet elle a porté plainte contre lui), donc pas à cause de ce qu'il a fait, à propos de quoi il n'a d'ailleurs jamais manifesté la moindre culpabilité. Dans les violences conjugales, on entend fréquemment : "elle m'a poussé à bout ". A ce propos, 2 observations : un homme me dit "J'ai quitté ma compagne que j'aimais parce qu'elle avait une manière de ne pas me répondre lorsque je lui parlais ou quand je lui posais une question qui faisait que son silence me rendait fou, provoquait en moi des envies de violence incroyables. Comme je ne voulais pas lui faire de mal, je suis parti." Assumant dans un discours subjectivé ce fait que la conduite de sa compagne éveillait en lui une envie d'être violent, il la quitte.1er choix. Autre choix : une patiente dont le fiancé est mort la veille de leur mariage me dit : " J'ai pensé à me tuer mais je n'ai pas eu le courage. Alors je me suis mariée rapidement en espérant que mon mari me tuerait." En effet, c'est ce qui a failli arriver, il l'a frappée, maltraitée de bien des manières, puis défenestrée (elle s'en est sortie par miracle). A partir d'une même structure de situation : des envies de violence éveillées par l'attitude de la compagne/ de la femme, deux hommes vont faire des choix opposés.
D'autre part, les délinquants estiment souvent que l'on a manqué envers eux : c'est l'autre, la société, la famille,... qui est en dette à leur égard. Ceux qui sortent de la délinquance sont ceux qui sortant de cette interprétation unilatérale de leur histoire sans pour autant nier les difficultés rencontrées, endossent la responsabilité de leurs actes. Yazid Kherfi: p.91" ... De coupables on est devenus victimes, victimes du racisme, de la société, de notre histoire. Or le statut de victime n'est pas très enviable, ça n'est jamais qu'une autre façon de se sentir dépossédé. Il s'est opéré là un basculement que je n'ai pas encore compris et qui je pense n'était pas bon. Car à aucun moment nous ne nous sommes sentis victimes ou du moins nous ne pouvions concevoir de n'être réduits qu'à cela. " J'entendais à la radio Frank Henry (ancien braqueur condamné à 22 ans de prison devenu écrivain, scénariste, acteur etc...), assumer sa responsabilité et dire " Je suis entièrement responsable de ce que j'ai fait; oui, il y a une grande misère affective chez tous les délinquants, ( il avait été placé par ses parents qui ne voulaient pas s'occuper de lui chez ses grands-parents chez qui ça s'est mal passé puis dans un pensionnat dont il s'est fait renvoyer) mais tous ceux qui ont connu une grande misère affective ne deviennent pas pour autant délinquants." J'y reviendrai, car il me semble qu'il y a dans ce choix d'assumer ses responsabilités un élément décisif quant à la question de la récidive.
L'article 121-3 du code pénal de 2014 énonce : "Il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre". "Toutefois, il y a également délit lorsque la loi le prévoit en cas de mise en danger délibérée de la personne d'autrui, ... en cas de faute d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement..." Il est intéressant ici de noter que dans nombre de situations, si la volonté, donc l'intentionnalité, ne compte pas pour rien, son absence ne suffit pas à déterminer l'irresponsabilité. Le fait que quelqu'un agisse involontairement ne l'exonère pas de sa responsabilité. Exemple : je suis en voiture et je pense à la conférence que je prépare, je suis arrêtée à un passage piéton j'ai l'esprit ailleurs, je démarre sans avoir vu la personne qui s'engage, je la renverse. J'aurais beau argumenter que je ne l'ai pas fait volontairement, personne ne considérera que je n'y suis pour rien, je serai considérée responsable, ce qui ne sera pas le cas si j'ai perdu le contrôle de mon véhicule à la suite d'une perte de connaissance, auquel cas il n' y avait à ce moment-là personne pour répondre de l'accident. Par contre, la contrainte qui me retire tout contrôle de mes actes, qu'elle soit psychique (le délire) ou externe (je commets un délit parce que j'ai un pistolet braqué sur la tempe) annule ma responsabilité. Ce qui pose la question, abordée lors des procès de Nuremberg ou du TPI, de ce qui fait contrainte : les inculpés ont plaidé l'irresponsabilité par obéissance aux ordres ( et non sous la menace), par obéissance à la norme de l'époque, question reprise par Hannah Arendt au sujet de la banalité du mal.
Le discernement renvoie à la notion de choix, discerner c'est établir des différences, distinguer, séparer, le discernement implique une pensée active qui choisit, juge, prend position. Cette possibilité d'une certaine extériorité, qui disparaît lorsque le sujet est pris dans un délire, détermine la position radicalement différente d'un psychotique délirant par rapport aux autres structures psychiques. Chez le délirant, il n'y a pas d'extériorité qui lui donne le choix, la possibilité, de faire ou pas : il est sous le coup d'un commandement totalitaire annulant toute liberté, c'est en ce sens qu'il n'y est pas en tant que sujet. Ce n'est pas parce qu'un délinquant estime qu'il n'a pas eu le choix dans sa vie que nous devons acquiescer à cette interprétation, car sinon nous l'enfermons dans l'impossibilité de s'approprier sa vie. Le diagnostic psychiatrique ne sert ni à accuser, ni à excuser, il est là pour rendre compte de la structure du sujet et de son état mental au moment de l'acte et du rapport ou non de cet état mental avec l'acte. Nous connaissons l'importance chez un sujet de son passé, des données familiales, sociales, historiques. A partir de ces données, qui ne dépendant pas de lui, il existe un certain nombre de possibilités, entre lesquelles il se déterminera. Là se trouve sa responsabilité de sujet de la parole. En effet, depuis l'enfance, le sujet accepte ou rejette, intègre ou refoule, interprète : il y a dans tout adulte permanence et récurrence de l'enfant qu'il fut, et la psychanalyse ramène à ce qui dans ce temps lui fit accepter ou rejeter, intégrer ou refouler. Son présent est la conséquence de cette succession de choix passés. Exemple : une patiente avait organisé sa vie autour de la certitude que sa mère ne l'aimait pas. En effet, à sa naissance, déçue d'avoir une seconde fille, celle-ci n'avait pas voulu la voir le premier jour. Blessée par cette histoire qui lui avait été rapportée, la patiente s'était donc rapprochée de son père nouant avec lui une relation d'étroite complicité, tout en en voulant à sa mère de ne pas l'aimer et de "lui préférer sa sour". Après la mort de son père, elle est venue consulter, dans une grande solitude. Or, à l'écouter, rien n'allait dans le sens d'une mère qui ne l'aurait pas aimée, mais son discours (qu'elle n'entendait pas vraiment, comme nous tous) témoignait d'un constant rejet par la patiente des manifestations d'amour de sa mère qui finalement, souffrant de se faire malmener, n'osait plus aller vers sa fille, ce que la patiente continuait à interpréter comme un manque d'amour sans se questionner sur sa propre agressivité. Sa responsabilité était dans cette interprétation, dont vous entendez qu'il s'agit d'un registre différent de celui de la culpabilité. A un moment, je lui ai dit : "Excusez-moi, je me trompe peut-être mais je n'entends pas dans ce que vous me dites quoi que ce soit qui aille dans le sens d'un manque d'amour de votre mère à votre égard". Elle a accepté de se saisir de cette parole pour interroger sa certitude, et a fait tout un travail de relecture de son histoire, analysant sa responsabilité dans ce dont elle se plaignait, moyennant quoi comme elle l'a dit " la psychanalyse m'a permis de retrouver ma mère." Pour cette structure névrotique, la vérité n'était ni entière, ni immuable, ni figée.
Ce qui donc nous permet de parler de responsabilité du sujet est cette constatation qu'il n'est ni l'objet ni l'instrument d'une fatalité ou d'un destin tracés de toute éternité. C'est l'idée aussi qu'il sait qu'il est soumis à une loi, donc qu'il y a du permis et de l'interdit. Nul n'est censé ignorer la loi, mais la condition en est d'abord que nul n'est censé ignorer qu'il y a de la loi. Lacan: Le sujet n'est pas un tout, un circuit clos sur lui-même, mais il est traversé par le langage qui lui vient des autres, de l'Autre ( ensemble des êtres parlants, des discours qui l'ont précédé et lui succéderont), il n'y a pas de subjectivité en dehors du lien social. Le sujet ne se constitue pas sans cette relation langagière à son semblable, essentielle pour sa détermination. Freud : la vie en société met en place principes, interdits, devoirs, qui viennent tempérer la recherche des satisfactions pulsionnelles sans lesquels elle serait impossible, ce qui génère insatisfactions, frustrations etc... Comme les mots ne peuvent pas tout dire, le langage implique un reste, une perte. Avec le langage, naît le manque, puisque le mot ne nous permet pas de posséder la chose mais la fait exister dans son absence, comme du possible, du désirable. Il nous sort du besoin physiologique, met en place la pulsion et le désir, et donc la frustration, ainsi que ce que Lacan nomme la castration symbolique : tout n'est pas permis, tout n'est pas possible, il y a de l'interdit, du manque. Nous dirons que la loi est symbolique car elle est portée par, le langage. C'est une invention culturelle, qui impose pour que la vie en société soit possible des restrictions de jouissance càd des refoulements, des interdits. Dans "Malaise dans la culture", Freud écrit en 1929 : "... l'homme compte parmi ses aptitudes pulsionnelles une très forte tendance à l'agression. En conséquence de quoi le prochain n'est pas seulement pour lui un aide et un objet sexuel possibles, mais aussi une tentation, celle de satisfaire sur lui son agression, d'exploiter sans dédommagement sa force de travail, de l'utiliser sexuellement sans son consentement, de s'approprier ce qu'il possède, de l'humilier, de lui causer des douleurs, de le martyriser et de le tuer... Il faut que la culture mette tout en oeuvre pour assigner des limites aux pulsions d'agression des hommes, pour tenir en soumission leurs manifestations par des formations réactionnelles psychiques. " Nous savons combien la loi varie en fonction des lieux et des époques, donc des cultures, donc des discours. Mais ce qui ne change pas, ce sont les caractéristiques psychiques de l'être humain, et le fait que la loi impose des renoncements de jouissance pour que le lien social soit possible. La loi se situe à l'entrecroisement du social, du familial et de l'individuel : in fine, chacun aura à l'accepter ou la rejeter. Les circonstances où la loi ne vaut plus, par ex la guerre (civile) se caractérisent par un retour de la barbarie sans limite. La délinquance se définit par rapport à des normes instituées par des discours, cependant elle recouvre des styles de rapports à la loi différents.
L'être humain parlant, que Lacan nomme le parlêtre, est un animal dénaturé par le langage, l'instinct n'est plus chez lui la boussole qui l'oriente vers la satisfaction de ses besoins (cas évident: l'anorexie d'un nourrisson séparé de sa mère). Il est sujet au désir et aux pulsions. Ces dernières se mettent en place à partir de la satisfaction des besoins intriquée au plaisir et à l'amour (donc dans un échange, càd une érotisation) dans le premier temps des soins maternels. La pulsion se situe à la jonction de l'organique/ du biologique et du psychique, elle se définit par sa source =zone du corps, son intensité, son but et l'objet qui lui permet de se satisfaire momentanément. Dans un organisme qui n'est pas pris dans les échanges langagiers et affectifs, la mise en place des circuits pulsionnels ne peut se faire, ce qui mène à la mort. cf : l'expérience de Frédéric II au XIIIe siècle, qui avait fait élever avec des soins irréprochables des enfants à qui on n'adressait ni parole ni manifestations d'affections, donc tenus en dehors d'échanges symboliques, psychiques et affectifs. Tous moururent. (((("Il fit des expériences pour connaitre la langue et le parler qu'emploieraient, en grandissant, des enfants qui n'auraient parlé avec personne. Pour ce faire il ordonna à des nourrices de donner du lait à des enfants en les nourrissants au sein, de les baigner, de les nettoyer, mais en aucun cas de les cajoler, ni de leur parler. Il voulait savoir s'ils parleraient en hébreu, langue primitive, ou en grec, ou en latin, ou en arabe, ou dans la langue des parents qui les avaient procréés. Mais il oeuvrait en vain parce que les enfants ou bébés mourraient tous : ils ne pouvaient vivre en effet privés des battements de mains, des gestes, de la gaieté, des cajoleries de leurs nourrices". )))) Il peut être intéressant lorsque l'on a affaire à quelqu'un qui décline toute responsabilité en disant : "j'y peux rien, vous comprenez j'ai eu une pulsion" càd qui a une représentation de lui-même comme le jouet passif de ses pulsions, de lui répondre : "Heureusement que vous avez des pulsions parce que si vous n'en aviez pas, vous seriez mort. La question n'est pas d'avoir des pulsions, tous les êtres humains en ont, la question c'est ce que vous en faites". Ça peut permettre de commencer à penser. La pulsion orale permet de boire et manger, la pulsion invoquante, par le même orifice buccal permet de parler, de chanter. Il existe entre ces deux pulsions utilisant le même orifice un lien, repérable dans les accès boulimiques chez certains patients qui, ne pouvant pas dire leur colère ou leur angoisse, la ravalent et se gavent de nourriture dans une auto agressivité et un bouchage de l'orifice : ce qui ne peut pas sortir est renversé, remplacé par ce qui rentre. La pulsion scopique permet de regarder, sinon le regard ne se fixe pas vraiment sur des objets investis. La pulsion anale, permettant au départ la maîtrise de la motricité sphinctérienne permet par extension la maîtrise de la motricité, et rentre en jeu dans la pulsion sadique (domination, maîtrise de l'objet) et masochiste (renversement sur soi, en se faisant l'objet maîtrisé par l'autre). La pulsion sexuelle concerne plus spécifiquement le génital, tout en récapitulant les autres pulsions partielles dans la recherche du plaisir sexuel. Une des responsabilités de l'être humain est ce qu'il fait de ses pulsions. En effet, la pulsion génitale n'implique pas nécessairement le viol, la pulsion d'emprise / anale n'implique pas forcément des actes sadiques. Elles peuvent être refoulées, déviées, sublimées. L'exhibitionnisme montre de façon exemplaire le jeu des pulsions : l'exhibitionniste voit (1er temps de la pulsion scopique) la stupeur sur le visage de la personne dont il est vu (2e temps de la pulsion, il est l'objet du regard de l'autre) car il s'en fait voir en s'exhibant ( 3e temps de la pulsion, il en est le sujet, il s'offre au regard de l'autre): c'est ce montage pervers qui lui procure la jouissance recherchée.
Une des caractéristiques de l'alcool et de certains stupéfiants est qu'ils entraînent une diminution du refoulement et une désinhibition des pulsions, ce pour quoi ils peuvent être consommés. On retrouve d'ailleurs assez souvent chez les auteurs de violences familiales et de viols une alcoolisation avant les faits, qui n'est pas considéré comme une circonstance atténuante, malgré la modification de l'état psychique : dans la mesure où l'intoxication est volontaire, on considère que la responsabilité du sujet reste entière en ce qui concerne cette désinhibition. C'est d'ailleurs eu égard au caractère volontaire de l'intoxication par le cannabis que D. Zagury avait retenu une altération du discernement et non une abolition dans le cas de Mr Traore, néanmoins les autres experts ont estimé 1) qu'il ne pouvait pas prévoir que l'intoxication allait entraîner une bouffée délirante, effet relativement peu fréquent 2) que seul rentrait en ligne de compte l'état d'aliénation au moment de la commission des faits et non ce qui avait provoqué cet état. L'utilisation volontaire d' un toxique pour diminuer le refoulement et désinhiber les pulsions agressives ( éventuellement dans le but de tuer ) existe depuis des siècles ( cf les assassins du Bataclan dont les rescapés ont décrit le changement de comportement après un certain temps de massacre, comme s'ils retrouvaient un état "normal", cf les massacres commis pendant la 2de guerre mondiale par les nazis qui consommaient alcool et stupéfiants Pervitine= metamphétamine+ cocaïne, certains groupes armés en Afrique actuellement carburent aux amphétamines etc... ). En physique, une contrainte, c'est une force exercée sur un objet. On peut considérer une pulsion comme une contrainte interne s'exerçant sur la personne qui l'éprouve. C'est l'éducation mettent en place surmoi, et idéal du moi qui va permettre de la refouler, la dévier, de la sublimer. Cette notion de contrainte interne est particulièrement audible dans la kleptomanie. Ex d'une kleptomane : "Depuis l'enfance, j'adore piquer des petits objets et des babioles. En colonie, c'était des fourchettes, ... Aujourd'hui c'est les tasses de mes collègues, des livres chez mes amies, des petites cuillères dans des restaurants étoilés, des mosaïques à Pompéi. Par moments, je suis irrésistiblement attirée par un petit quelque chose et alors je dois impérativement le prendre. Je ressens un tel plaisir et une adrénaline énorme quand je mets l'objet sous ma veste ou dans mon sac à mains. Car personne ne s'attendrait à ce que la gentille fille, première de la classe et au CV lisse, fasse ça. J'adore ressentir ce picotement au bout des doigts, et je suis si fière qu'on ne le remarque pas. Je n'arrive pas à me défaire de ma kleptomanie. Pourtant, j'ai une situation stable, je gagne bien ma vie..." On y entend la séquence tension croissante, excitation et plaisir pendant le vol, satisfaction et soulagement puis relance de la pulsion, l'objet ne pouvant la satisfaire que momentanément; elle y est bien là en tant que sujet, il s'agit de tromper les autres, de leur dérober " ce petit quelque chose "qui lui manque, qui n'a de valeur que de lui manquer alors que les autres le possèdent, et qui ne conserve cette valeur qu' à la condition de se l'approprier par le vol, ça vise le "grand Autre", les autres, ceux qui pensent la connaître et qu'elle trompe avec son air de gentille fille. Cette transgression se retrouve dans les livres d'Albertine Sarasin, enfant adoptée, violée par un oncle paternel à 10 ans, brillante élève, ayant présenté tôt une conduite d'indiscipline et des fugues; le psychiatre consulté l'ayant jugée normale recommande un éloignement familial, elle est alors enfermée à la demande de son père médecin militaire dans une maison de correction dont elle s' évade à 15 ans le jour de son bac pour vivre à Paris en se prostituant et en commettant des vols, le dernier avant sa première incarcération étant un hold-up commis avec le pistolet de service de son père: elle nargue les jurés, assume totalement sa responsabilité, ne manifeste aucune culpabilité, ni n'en manifestera d'ailleurs plus tard." Je n'ai aucun remords. Quand j'en aurai, je vous préviendrai" dit-elle aux jurés. Ses parents adoptifs demandent et obtiennent la révocation de l'adoption plénière. Elle rencontre lors de son évasion celui qui deviendra son mari, également repris de justice ; dans son livre l'Astragale, il semble que c'est la première fois où elle peut aimer véritablement quelqu'un, où elle ne l'utilise pas. Il me semble que sa conduite délinquante est toute entière une contestation, une rébellion contre ses parents adoptifs, une recherche sans fin de ce qu'elle n'a pas eu: la reconnaissance, une légitimité dans une famille dont le nom lui serait donné sans condition. Elle écrit : "C'est en me mariant que j'ai su enfin que j'avais un nom". Elle écrit également "Je n'ai rien contre les voleurs, pas même les voleurs de gosses. J'admets très bien que l'adoption puisse faire le bonheur des petits et des grands, j'admets qu'on bifurque dans l'élevage lorsque le chemin de la maternité vous est barré, au risque que l'enfant volé ou acheté ou choisi gracieusement dans les parcs de l'AP ne s'avise rapidement de l'évidence de la triche pour peu qu'il ait (comme c'était et comme c'est toujours mon cas) le caractère tocard et l'esprit tordu. J'admets même que les parents remettent le gosse où ils l'ont pris lorsque le rôle de nounou a cessé de les arranger : vive l'adoption, vive la révocation, vive l'enfance donc..." Ce texte permet d'entendre la profondeur de la blessure de ce 2e abandon, sur un mode rebelle et "rageux" qui évite l'effondrement dépressif dont le risque se lit dans la phrase suivante ..." le jour où je me suis avisée du monde réel et sans rêve qui m'entourait, mon enfance est devenue un paquet de lambeaux tristes." A partir du moment où elle est devenue célèbre grâce à ses livres écrits en prison ( ... "la lettre qui m'adopte, qui m'enfante, qui me libère"...) et où elle a pu vivre avec son mari, elle cesse la succession de passages à l'acte délinquants donc ses AR en prison. Pour qu'un don d'objet soit satisfaisant, il est nécessaire qu'il ne soit pas réduit au réel de l'objet, mais qu'il soit symbolique d'autre chose : de l'amour, de la reconnaissance, de l'attention, une place dans la famille, etc... ex: une mère donne à téter à son enfant, elle ne lui donne pas uniquement du lait, c'est son amour qu'elle lui donne avec le lait, c'est son amour que l'enfant avale et dont il se nourrit. S'il n'y a pas ces dons d'objets symboliques, ou cette dimension symbolique des dons d'objets, quelles qu'en soient les raisons, impossibilité du ou des parents, refus de l'enfant de reconnaître leur valeur symbolique parce que la personne qui donne est par lui dévalorisée, les objets réels recherchés ne seront jamais satisfaisants, et la répétition de la recherche d'objets réels sera symbolique de cette demande impossible à satisfaire.
Contrairement à l'agressivité qui existe dans tout le règne animal, la haine est également spécifique de l'humain, nécessitant le langage pour se mettre en place. La haine appartient au registre des passions, elle vise à la destruction de l'objet de haine, comme nous le montrent les cas de harcèlement (ex des harceleurs qui avaient envoyé à leur victime une corde pour l'inciter à se pendre) ainsi que les pogroms, les deux étant assez semblables dans ce processus de déchaînement des pulsions sadiques et d'annihilation de l'autre réduit à un objet privé de toute humanité, un déchet à détruire.
La délinquance n'est pas en tant que telle une structure, en effet les actes délinquants renvoient à des structures psychiques différentes. Cependant, on peut repérer dans un certain nombre de cas un rapport particulier à la loi, une position subjective que nous pouvons qualifier de délinquante, qui consiste en une récusation de la loi pouvant s'énoncer ainsi : "je sais bien que la loi existe, mais je ne me sens pas tenu de m'y soumettre, elle ne me concerne pas", récusation de toute autorité symbolique "je ne veux pas que quiconque vienne s'interposer entre moi et l'objet que je veux". On rencontre cette récusation aussi bien chez des dealers, des braqueurs, des délinquants financiers, des tyrans domestiques, des violeurs en particulier dans les incestes ( "chez moi je fais ce que je veux, la loi c'est pour l'extérieur"),. Il peut y avoir alors allégeance à un autre système de valeurs, qui vaudra comme "loi particulière" du groupe (ex: mafia) tenant à l'exercice d'un pouvoir réel par ceux qui en sont en haut de la hiérarchie, tout en rationalisant le refus de la loi commune par une critique de la société respectueuse de la dite loi, ce qui élude la responsabilité de son choix. Ex Kherfi P. 59: "Plus un mec monte dans la hiérarchie de la délinquance, càd plus il est voyou et malhonnête dans le monde de dehors, plus il est sympa et correct, plus il a de principes et de règles... Ils savaient analyser le monde du dehors, son fonctionnement, ils disaient des choses qui me semblaient juste sur la société, sur la politique et sur ceux qui ont du pouvoir, et montrer pourquoi on pouvait considérer que ce monde n'était pas si honnête. C'était des héros pour moi." A comparer avec les propos de Franck Henry: "... Je veux démystifier le banditisme. Les voyous s'embrassent à midi et se flinguent le soir. La première cause de mortalité des voyous ce n'est pas les flics qui les tuent. Ce sont les voyous qui se tuent entre eux."
Cas cliniques :psychoses. Un cas de psychoses : Kobili Traoré, 27 ans, bouffée délirante sous cannabis, décompensation d'une psychose délirante hallucinatoire, chez une personnalité "pathologique antisociale" : impulsivité, intolérance à la frustration, violence, 22 mentions au casier judiciaire, condamnations pour trafic et usage de stupéfiants, outrage et rébellion. L'exemple du meurtre de Madame Sarah Halimi par Mr Kobili Traoré est exemplaire de la manière dont peuvent s'entrecroiser dans un même temps aliénation délirante et responsabilité subjective. Je rappelle les faits : Mr Traoré, consommateur de cannabis à haute dose depuis longtemps, a développé un délire de persécution à thème d'envoûtement satanique dans lequel il se croyait menacé de possession par le démon, et présentait des hallucinations auditives et visuelles. Lors de l'épisode délirant, il a rudoyé et insulté l' auxiliaire de vie haïtienne qui s' occupait de sa sour, persuadé qu'elle lui appliquait des rituels vaudous, est allé à la mosquée consulter un exorciste au sujet de son beau-père qui croyait-il voulait le marabouter, avant de rentrer chez des voisins maliens musulmans qui se sont enfermés dans une chambre devant son état puis ont appelé la police, puis se sentant poursuivi et en danger de mort il est entré chez Madame Halimi chez qui la vue du chandelier à sept branches a déclenché le passage à l'acte meurtrier, s'acharnant sur elle et la frappant au visage en la traitant de Sheitan (Satan) en récitant des sourates du Coran, puis la précipitant encore vivante du balcon de son appartement. Sa responsabilité subjective concerne la dimension antisémite de l' acte, antisémitisme qui ne constitue pas une pathologie, mais correspond à une représentation de l'autre en tant qu'autre à exclure, à détruire, là Juif = adorateurs du diable. L'aliénation est la conséquence du processus délirant ( délire de possession, d'envoûtement avec hallucinations) entraînant l'abolition du discernement. Le délire seul n'a pas entraîné de meurtre, en effet lors de l'épisode délirant Mr Traoré a insulté et rudoyé l'auxiliaire de vie de sa mère, mais ne l'a pas tuée, elle n'était pas juive. Il n'a pas tué non plus son beau-père. Les voisins maliens n'ont pas ont été tués. C'est la vue du chandelier à 7 branches, spécifique de la religion hébraïque, qui a entraîné le passage à l'acte meurtrier: "la prise de conscience de l'appartenance confessionnelle de la victime a précipité le passage à l'acte." ( 2e collège d'experts) "Le fait que Kobili Traore réalise qu'elle était juive à l'entrée dans l'appartement s'est télescopé avec la thématique délirante, l'associant immédiatement au diable, et amplifiant le déchaînement frénétique haineux et vengeur. ( D. Zagury)" Il a donc fallu, pour que se déclenche le passage à l'acte meurtrier, la combinaison de l'antisémitisme dont il est responsable subjectivement selon lequel les Juifs sont volontiers considérés comme adorateurs du démon, et de la bouffée délirante hallucinatoire qui a entraîné l' état d'aliénation. Depuis son hospitalisation, il a connu d'autres épisodes délirants, il semble stabilisé grâce à un traitement antipsychotique.
Dans un cas différent, celui des psychoses paranoïaques, le paranoïaque est dans la certitude de la vérité, toute et entière sans place pour le doute, il n'y a aucun choix possible puisque la vérité s'impose à lui, le voisin lui veut du mal et tout fait signe dans ce sens, par exemple le chat du voisin est venu chez lui c'était une provocation du voisin ( interprétations délirantes), ou encore il entend les voisins discuter entre eux mais il ne comprend pas tout c'est donc qu'ils le font exprès car ils discutent d'un projet de lui nuire, ils se moquent de lui, ils l'insultent entre eux, pas de doute (illusions délirantes). Il n'y a aucune aucun questionnement, pas de place pour l'incertitude, donc pas de place pour une responsabilité qui ne peut s'élaborer qu'à partir d'un certain degré d'incertitude. Les paranoïaques ne passent pas toujours à l'acte de manière violente, ils peuvent aussi chez les quérulents processifs s'engager dans des procès sans fin destinés à réparer les dommages qu'ils sont certains d'avoir subi de la part de l'autre trompeur qui les a lésés. Un cas de délire de préjudice, affaire Caouissin-Troadec: délire de revendication à thème de de préjudice: un homme a tué le frère, la belle-sour et les neveu et nièce de sa femme parce qu'il croyait être spolié par cette famille, persuadé qu'il était que son beau-frère avait volé un sac de lingots d'or appartenant à son beau-père ( cette histoire de sac de lingots d'or semble relever d'une "légende familiale " ) après la mort de celui-ci, sac qui devait donc revenir en héritage à sa femme également. C'est un cas différent de l'affaire Traoré-Halimi, il n'existe pas d'hallucination visuelle, pas de voix d'origines divines ou démoniaques lui ordonnant de faire telle ou telle chose ; mais la conviction délirante d'un dommage causé par un autre, conviction partagée par sa femme, donc un délire à deux, un repli sur soi social prononcé, une obsession le conduisant à surveiller le train de vie de la famille de son beau-frère, un désir de vengeance. Les experts ont donc retenu l'altération du discernement, car il n'y avait pas la contrainte comme dans le cas Traore de devoir tuer pour se sauver (d'un complot, d'un envoûtement démoniaque...). D'autre part, même si on s'estime spolié par quelqu'un, il y a d'autres options possibles que le meurtre (procès, par ex). Ce qui est intéressant, là où s'entend sa position subjective, la manière dont il se situe par rapport aux autres dans la vie, c'est qu'après le procès au cours duquel il a fait part de son regret quant aux meurtres, il a malgré-tout fait appel des dommages à verser aux familles des victimes (450 000 ?) les estimant trop élevés, autrement dit rien n'a fondamentalement changé, il est toujours, malgré le traitement antipsychotique, dans cette certitude que les autres en ont trop par rapport à lui, qu'il est désavantagé, lésé. (Je crois d'ailleurs savoir qu'il a demandé à récupérer des objets mis sous scellés destinés à la destruction, dont la pelle qui lui a servi à disséminer les corps démembrés.)
Il existe des cas où le délire cesse après le passage à l'acte, bien que le sujet reste psychotique: Le cas Aimée: jeune femme employée de bureau présentant une paranoïa avec un délire de persécution par des femmes artistes, écrivains, comédiennes, riches, célèbres, images idéales de ce qu'elle avait rêvé d'être, qu'elle admire et jalouse à la fois, délire à thème de préjudice ( ces femmes menaçaient la vie de son fils, lui en voulaient parce qu' elle les avait critiquées), et thèmes de grandeur, érotomanie envers le Prince de Galles, intuition d'avoir à remplir une mission grandiose, mécanismes d' interprétations délirantes,. Ce délire cessa 20 jours après qu'elle ait été emprisonnée pour avoir blessé une actrice connue, qui incarnait son moi idéal et son idéal du moi. Lacan considère qu'il s'agit d'une paranoïa d'autopunition, la satisfaction d'avoir reçu le châtiment de sa haine déterminant alors l'évaporation du délire. Ce qui explique cette phrase de Lacan, ensuite utilisée abusivement hors de son contexte et de toute nuance: "Nous dirons seulement que dans certains cas que nous décrivons et dans l'état actuel des lois, la répression pénitentiaire appliquée avec le bénéfice de l'atténuation maximum nous semble avoir une valeur thérapeutique égale tout en assurant de façon meilleure et les droits de l'individu et les responsabilités de la sociétés". Elle critique son délire, regrette son acte: "Je me mis à sangloter et à dire que cette actrice ne me voulait rien, que j'aurais pas dû lui faire peur." Toute la vanité de ses illusions mégalomanes lui apparait en même temps que celle de ses craintes, écrit Lacan, qu'elle rencontre une fois transférée à Sainte-Anne. Elle est toujours psychotique, mais ne délire plus, elle sortira de Sainte-Anne, travaillera, continuera à écrire avec talent, connaîtra par la suite quelques épisodes de délire mystique a minima rapportés par son fils (devenu psychanalyste) qui ne l'empêcheront pas de mener une vie normale, "Elle était devenue l'élue de Dieu que ses capacités à surmonter tant d'épreuves avaient touché". Le cas Pierre Rivière (1835): le texte de Pierre Rivière nous mène au cour de son délire. "Moi Pierre Rivière ayant égorgé ma mère, ma sour et mon frère..." enfance dans une famille marquée par une forte mésentente parentale, des séparations n'empêchant pas les relations sexuelles comme l'attestent les naissances après la séparation, les enfants vivant chez l'un puis chez l'autre. Le Dr Vaslet retrouve dès l'enfance des bizarreries, des troubles du comportement ( il parle et rit seul à un interlocuteur invisible, pousse des cris plaintifs, se roule par terre, ce qui signe des hallucinations) des obsessions religieuses, des obsessions sexuelles à thème d'inceste ( il ne peut pas s'approcher des femmes de sa famille car il craint de projeter sur elles un fluide), des difficultés de contact avec les autres, des pratiques sadiques sur des animaux qu'il tue en les torturant. On retrouve dans son journal des néologismes, pathognomoniques de la psychose, ainsi que l'exposé de son délire de persécution selon lequel son père est la victime de sa mère, véritable incarnation du mal. Dans son délire, à thème de persécution et de mégalomanie, en tuant sa mère enceinte de six mois, sa soeur et son jeune frère il sera le sauveur de son père et de sa grand-mère paternelle, et la gloire sera pour lui, il se sacrifiera et mourra puisqu'il sera condamné à mort. Après le triple assassinat longuement prémédité, il connaît quelques heures d'un état euphorique et mégalomaniaque, où il se réjouit de son geste glorieux qu'il part annoncer au village voisin, mais le délire tombe avant qu'il n'arrive au village, apparaissent la conscience de l'horreur du crime et la culpabilité subséquente. En prison, il dit souvent "je suis déjà mort", ce que j'entendrais volontiers dans le registre d'une mélancolie, et donc inévitablement, il se suicide (à 25 ans). Dans ces deux cas, le délire cesse après le passage à l'acte, et le sujet assume pleinement sa culpabilité et sa responsabilité, malgré la structure psychotique.
Qu'en est-il de la responsabilité d'un psychotique dans une conduite délinquante en dehors des épisodes délirants ? On considère actuellement (il n'en a pas toujours été ainsi) qu' un délit ou un crime commis par un psychotique ex: tuer ou frapper sa femme qui veut le quitter, ou violer, ou voler, ne relève pas nécessairement d'une altération ou d'une abolition du discernement, si le délit ou le crime n'est pas causé par le délire ou en rapport direct avec lui. En effet certains délinquants, également psychotiques se servent de leur pathologie pour éluder leur responsabilité : "J'avais pas pris mon traitement, c'est pas ma faute" dit cet homme poursuivi pour avoir poignardé un jeune homme chez qui il s'était introduit pour voler du matériel informatique, et qui l'avait pris sur le fait. Mais voler du matériel informatique n'est pas nécessairement, en soi, déterminé par une pathologie psychiatrique. Cela étant, il existe des schizophrénies particulières, que l'on appelait les héboïdophrénies, (= schizophrénies indifférenciées) caractérisées par des troubles du comportement ressemblant à des psychopathies, à type de délinquance, agressivité, consommation de drogue, conduites délinquantes à répétition entrecoupées d'épisodes délirants lors des décompensations. Chez les patients psychotiques, j'ai été intéressée par la constatation suivante: dans des pathologies identiques ( par exemple schizophrénies, psychoses maniaco-dépressives= bipolarité), les patients font des choix différents voire opposés concernant la prise de leur traitement et les conséquences de ce choix: certains refusent de prendre le traitement régulateur de l'humeur ( lithium) ou les antipsychotiques ( neuroleptiques) prenant ainsi le risque conscient, d'un épisode délirant, alors que d'autres font le choix inverse. Je pense que nous pouvons dire que ce choix relève de la responsabilité du patient, dans l'acceptation ou le refus d'assumer la réalité de la nécessité du traitement. Une fois que la machinerie délirante s'est mise en place, il n'y a plus de liberté de choix possible. On entend chez certains patients le souci d'épargner à leurs proches les tracas d'un épisode délirant, alors que chez d'autres prévaut une position du style "je m'en fiche, j'ai pas envie de m'embêter à prendre ce traitement". Dans le film "Sur l'Adamant" un schizophrène explique que sans traitement il délire, se prend pour Dieu, se retrouve au ciel avec les anges et les petits oiseaux, fait n'importe quoi, et est alors "imbuvable avec ses proches" et donc, dit-il "il faut prendre son traitement, je ne suis pas un délinquant". Néanmoins, il faut rappeler que la prise régulière sur le long terme d'un traitement psychiatrique implique un suivi médical et psychologique soutenu, par une équipe soignante avec qui se tissent des liens de transfert, ce qui au vu de l'état lamentable de la psychiatrie institutionnelle aujourd'hui, pose un véritable problème.
État-limite : Mr B jugé pour des viols sur sa belle-fille de 14 ou 15 ans s'est dénoncé lui-même (quand il a compris qu'elle avait parlé à sa femme), et n'a pas essayé d'éluder sa culpabilité. Lors du procès, caché derrière ses cheveux, écrasé de honte, il dit n'avoir pas agi par attirance sexuelle, et répond peu aux questions, excepté pour insister sur le trauma qu'a représenté pour lui le fait d'être arraché en même temps que son jumeau, à l'affection de ses grands -parents, surtout sa grand-mère chez qui ils avaient vécu heureux depuis leur naissance, lorsque leur mère a décidé de les reprendre chez elle et son compagnon. Donc une double perte : perte de l'objet d'amour et perte de lui comme objet de l'amour de l'autre, car le retour s'est mal passé, avec de mauvais traitements (pour eux 2) de la part de sa mère qui ne s'intéresse qu'à l'enfant de son union avec le beau-père. Mr B est devenu un homme apprécié de ses collègues qui le décrivent comme sympathique, charmant, toujours prêt à rendre service, travaillant beaucoup, disponible, compétent. Sa vie conjugale et familiale est marquée par la crainte de perdre l'autre, ce qui le rend possessif, jaloux, et ne va pas sans entraîner des difficultés récurrentes. Structure en faux self de Winnicott: pour qu'il puisse exister, il se trouve dans la nécessité de tout faire pour être reconnu par l'autre, assuré de sa légitimé, de sa valeur par le regard de l'autre, ceci étant associé à une angoisse et un risque d'effondrement narcissique si cette assurance placée dans le regard des autres réels vient à manquer. Or une supérieure hiérarchique nouvellement arrivée va le prendre en grippe, le harceler, essayer de le prendre en défaut. Il se renferme sur lui, s'inquiète pour son travail, se voit menacé dans ce qui fait pour lui le fondement de son être au monde. Comme elle est sa voisine, il n'ose plus sortir dans son jardin de peur qu'elle ne soit dans le sien, à le regarder (Mr B est antillais et nous connaissons l'importance du regard volontiers vécu comme intrusif et persécutoire aux Antilles sans que cela signe une structure psychotique). A ce moment-là, il commence, lorsque la famille rassemblée sous la couette regarde la télé, à se livrer à des attouchements sur sa belle-fille adolescente pubère (mineure, mais ce n'est pas une pulsion pédophile qui impliquerait une excitation sexuelle déclenchée par le fait que le corps soit impubère) avec des pénétrations digitales donc des viols. Ce dispositif particulier est marqué par le risque de se faire prendre sur le fait. De ces viols, il ne dit pas grand-chose, sinon qu'il les regrette, qu'il a honte, et qu'ils ne sont pas provoqués par une attirance sexuelle pour sa belle-fille. Pourtant, dit l'expert, lors de l'expertise, il parle volontiers, mais au moment de rendre compte de ses actes, il dit qu'il ne sait pas vraiment pourquoi il a fait ça. Lors du procès, exaspéré par ses réponses imprécises, renvoyant souvent à cette perte dans son passé, son avocat lui enjoint de reconnaître qu'il était attiré sexuellement par sa belle-fille, car il nie cette attirance, au risque d'être considéré comme mû par un besoin d'emprise pervers, ce qui aggrave son cas. Or il me semble que Mr B dit vrai dans une certaine mesure ( cf Gide après avoir été juré: "la vérité d'un récit est une vérité probable, donc fragile, pas une entité solide et objective, différente de la véracité des faits.") Certes, il y a eu pulsion et excitation sexuelle, mais la pulsion sexuelle venait comme une réponse à l'angoisse devant le risque d'effondrement psychique, angoisse qui constitue le pivot de l'affaire. Seulement cette angoisse n'est pas verbalisable en tant que telle en l'état actuel des choses. Il se reconnaît coupable de ses actes mais ne peut pas les relier à son vécu subjectif, puisqu'il ne "sait pas pourquoi il a fait ça". Il ne peut pas définir leur fonction, les interpréter, (il ne s'agit pas de rationnaliser, mais d'établir un lien entre l'acte et ce qui lui arrivait psychiquement à ce moment-là, mais le clivage l'en empêche). Son frère jumeau est venu témoigner lors du procès de ce qu'ayant été lui-même confronté à des difficultés conjugales et familiales assez semblables (crainte de perdre l'autre, possessivité, relations familiales conflictuelles, etc..) , il a entrepris une psychothérapie qui lui a permis de ne pas rester dans ces difficultés. "Je lui ai conseillé d'en faire une aussi, dit-il, je savais qu'il avait des problèmes avec sa femme et au travail, mais il n'a pas voulu". On entend la différence avec un psychotique délirant comme Mr Traoré qui reste radicalement étranger à son acte, vécu comme résultant d'une contrainte extérieure, même quand l'imputabilité ne peut être mise en cause. Ici, il y était quand même, mais il ne peut pas en rendre compte d'un point de vue subjectif, il n'a pas accès à sa propre vérité de sujet.
Délinquance et structure névrotique: Le livre "Repris de justesse", de Yazid Kherfi: montre à quel point l'auteur a trouvé dans la délinquance des modèles identificatoires masculins autres que celui qu'il récusait dans la personne de son père qui en France ne constituait pas pour lui un modèle viril valable: "Je l'avais connu se levant tôt et rentrant harassé je l'avais vu se dépêtrer de multiples difficultés pour nourrir ses enfants, ... je l'ai vu dans la haine aussi à l'égard de la France et de la vie qu'elle lui faisait, et il pouvait m'inspirer de la honte lorsqu'il pouvait se laisser aller à boire et que, l'alcool le rendant colérique, il criait sur ma mère et finissait par aller se coucher. De lui les anciens du village (en Algérie) évoquaient la fierté, la droiture, la rigueur, l'honnêteté. C'est un autre homme que je découvrais." Elle lui a permis de sortir d'une famille dans laquelle il était dévalorisé par le discours de sa mère, sa préférence pour le frère aîné, ainsi que la réussite scolaire de ses frères et soeurs. P 44. " "J'étais un nul, je le sentais, on me le disait, j'étais un mal aimé. Je n'établis pas de lien de cause à effet entre ce sentiment et mon parcours de voyou, mais j'éprouvais une injustice à mon égard et ça ne m'a pas aidé." "Quoi que je fasse, j'étais coupable, coupable de mal travailler à l'école...". C'est dans la bande qu'il a trouvé une famille de substitution, dans la délinquance (braquages) qu'il a connu la satisfaction du travail bien fait, l'autorité de celui qui est considéré, respecté, les plaisirs de la vie, la satisfaction d'utiliser ses capacités intellectuelles et physiques, la jouissance d'être "l'homme intelligent, futé, qui réussit, plus fort que la police". Mais il a pu, en reprenant des études en prison, puis grâce à un travail à sa sortie, modifier sa position par rapport à la question: "qu'est-ce qu'être un homme?" en trouvant d'autres réponses que la délinquance.. " P 79. "En étant délinquant, j'avais été moi-même, ça je ne peux pas le nier. Mais là, tout en restant moi-même, je découvrais que je pouvais faire autre chose et être quelqu'un d'autre. " ..."A l'ennui d'une vie grise dépourvue d' intérêt centrée sur un travail pénible autant que mal payé (cf celui de son père et de ceux de ses amis:" on se sentait différents de ces petits pères tranquilles P 38" ), il oppose le plaisir d'une vie où ça pulse, riche en sensations, décisions, émotions, possibilités, représentation binaire du monde qui se modifiera lorsqu'en prison il reprendra des études, autrement dit se confrontera à une possibilité qu'il avait jusque-là considérée comme réservée à ses frères et sours. Il précise néanmoins : "J'ai souvent eu envie de redevenir voleur lorsque je ne l'ai plus été. Voleur, je le redeviendrais si je devais quitter ma famille ou si je me retrouvais méprisé ou dévalorisé." « J 'ai rencontré peu de gens passionnants en dehors du monde de la délinquance, sauf peut-être ceux qui voyagent, les journalistes et les reporters, et ceux qui voyagent dans leur tête, les penseurs. Les chefs d'entreprise aussi, parfois ils prennent des risques, gagnent de l'argent, le réinvestissent. Dans ces métiers du jour au lendemain tu peux tout perdre, voilà l'intense. » P130: ..." mon parcours, je n'en suis pas victime, mais je n'en ai pas eu l'entière maîtrise non plus. Beaucoup ont leur part de responsabilité : ma mère, qui n'a pas compris que je ne trouvais pas ma place au sein de la fratrie. Mes frères et sours qui ont observé passivement que j'avais une place différente des leurs. Mon père, que j'ai découvert trop tard et avec qui j'ai si peu parlé parce que je ne me le suis pas autorisé. J'avais, je pense, un réel besoin d'amour que beaucoup n'ont su combler". Il dit des délinquants côtoyés en prison qui se plaignent de ne pas avoir eu de chance, d'être victimes : "Je leur dis surtout que s'ils sont ou s'ils veulent être délinquants, c'est parce qu'ils l'ont voulu et choisi. Qu'ils ne l'oublient jamais et s'attendent à en payer le prix." Il est à noter que nombre de conduites délinquantes sont une réponse à une situation dans laquelle la référence paternelle ne vaut pas pour un sujet, soit pour des raisons familiales (obstacle mis par la mère à cette reconnaissance du père, refus du père d'inscrire son fils dans sa lignée, adoptions), sociales (père trop démuni, déshérité), culturelles (culture paternelle trop différente de celle du milieu dans lequel vit le sujet). Il s'agit ici de repérer une structure de situation, non pas d'accuser ce qui serait la mauvaise volonté de tel ou tel. Une autre réponse aux mêmes situations se trouve dans le militantisme, celui des frères et sours de Y Kherfi, dans lequel il les a rejoints après sa sortie de prison.
Dans le fims "Je verrai toujours vos visages": nous entendons au départ l'indifférence à l'égard des victimes, l'absence de culpabilité ( sauf chez le toxicomane). Nasim : "les victimes, qu'est-ce qu'elles ont à se plaindre ? Qu'elles prennent leur argent et qu'elles aillent en profiter". Les victimes ne sont pas considérées comme des semblables, mais comme des objets, des obstacles éventuellement. Cette absence de considération coïncide avec l'absence de culpabilité à leur égard. On peut penser que tant que l'autre est aussi peu considéré, il y a là un facteur de récidive. Le film montre le trajet des délinquants, depuis cette indifférence :" Quand on fait des braquages les victimes elles n'existent pas, on les voit pas"..." jusqu'à découvrir chez les victimes des points communs avec des personnes de leur famille, ce qui par identification les réhumanise aux yeux des délinquants. Après un certain nombre de rencontres, en entendant le récit d'une victime de vol à l'arraché frappée et blessée par son agresseur au point de passer plusieurs mois à l'hôpital, le même Nasim dit : " c'est grave ce qu'y t'a fait, moi si y fait ça à ma mère, ce fils de pute, j' lui casse les os".
Alors, qu'est-ce qui fait que certains délinquants cessent de récidiver, inventent autre chose ? Dans cette question de la récidive il convient de tenir compte des contingences, du hasard de la rencontre, bonne ou mauvaise, et de ce qu'en fera le sujet. Dans les structures névrotiques, organisées autour du complexe d'Oedipe avec prédominance du refoulement (Freud : conflit entre le moi et le ça, Lacan : castration symbolique) par ex Franck Henry, Yazid Kherfi, Albertine Sarrazin il y a tout d'abord récidive. Puis leur parcours de délinquants se sont infléchis à un moment donné lors d'une "bonne rencontre": rencontre amoureuse pour Albertine Sarrazin, Yazid Kherzi: "voleur je le redeviendrais si je devais quitter ma famille", paternité pr Franck Henry, proposition de faire des études ( donc intérêt d'un autre permettant un transfert), de se former pour une profession, ou d'écrire ( la psychiatre d'A. Sarrazin en prison), mettant en place la perspective d'une réussite ailleurs que dans la délinquance ç à d offrant au sujet une reconnaissance symbolique, une légitimité dont font partie le statut social, la profession, permettant d'accepter le manque, l'insatisfaction, ouvrant sur la possibilité et le désir d'utiliser leurs talents autrement. Ils ont eu besoin de l'arrêt de la prison, qui les privant des passages à l'acte répétés, leur a offert la possibilité de penser, de réfléchir, de dire, de différer, de sublimer (études, écriture), besoin d'être confrontés aux conséquences de leurs actes (jugement, prison, rencontre avec les victimes) afin que la loi symbolique longtemps esquivée s'incarne réellement. Kherfi: "En prison, j'ai passé plusieurs diplômes ... dont celui d'employé de bureau, celui-là même que mon père n'avait pas voulu que je prépare au moment où je devais chercher à m'orienter, parce qu'il trouvait que c'était un métier de femme. Employé de bureau, pourtant à cette époque ça me faisait rêver, pour moi c'était l'antithèse de ce que mon père faisait, c'était un métier propre dans lequel tu avais du pouvoir. C'est dire si les nombreux employés que nous avions vus dans les services publics ou les administrations nous avaient impressionnés"). Pour que la rencontre produise des effets, il y faut la décision du sujet.
Chez les psychopathes ( cf la série Narcos) l' impulsivité entraînant des passages à l'acte répétés d'une grande violence, l'intolérance à la frustration, le vécu abandonnique oscillant entre l'appel à l'autre et l' agressivité, la pauvreté de la verbalisation, la fréquence de l'utilisation des toxiques ( alcool, stupéfiants) pour pallier l'angoisse, concourent à présenter un risque majeur de récidive. Je me souviens d'une patiente, mère d'un délinquant qui est un psychopathe avec des traits pervers, une grande impulsivité, de la violence, une conduite délinquante, une consommation de stupéfiants, chez qui la prise de neuroleptiques anti-impulsifs diminuait l'agressivité. Il refusait de prendre son traitement car celui-ci venait brider quelque chose de sa jouissance à maîtriser les autres, à leur faire peur, à exercer son pouvoir par la violence. Or il ne voulait pas renoncer à cette jouissance. On repérait comment elle avait, en permanence surprotégé son fils depuis sa petite enfance, incapable de lui refuser quoi que ce soit, donc lui épargnant manque, privation, frustration, faisant de la demande de son fils une loi, leur loi à tous deux, celle de son caprice, récusant la loi symbolique, menée qu'elle était par la culpabilité de lui avoir donné un père inconsistant, qui les avait quittés, et la nécessité de réparer ce qu'elle présentait comme un dol irrémédiable. Cette position, au- delà de la culpabilité, de toute-puissance maternelle et de proximité maternelle incestuelle avait été parfaitement entendue et reprise textuellement par son fils, pour qui tout refus s'apparentait effectivement à un dol insupportable déclenchant les crises de violence, à l'égard de sa mère en premier lieu.
Pervers : perversion ne rime pas nécessairement avec délinquance, ex : pratiques sexuelles sadomasochistes, fétichisme etc.). Certains pervers confrontés à leurs pulsions pédophiles demandent de l'aide pour éviter de passer à l'acte et il n'est pas impossible à certains pervers d'entamer un travail analytique. Par contre, en ce qui concerne ceux qui sont entrés dans la délinquance, le risque de récidive est majeur, la perversion constituant une réponse efficace contre l'angoisse de castration et assez économique du point de vue du sujet, le clivage évitant de se confronter au manque symbolique. (((Exemple Th Delay, (condamné dans l'affaire d'Outreau pour pédophilie,) malgré un travail de psychothérapie effectué en prison, où il affirmait avoir pris conscience du mal qu'il avait fait aux enfants, a récidivé dans le foyer où il vivait depuis sa sortie de prison en agressant sexuellement et en harcelant une personne vulnérable.))) Les sadiques pervers (Fourniret, Dutroux, Lelandais, les tueurs en série etc.) se caractérisent par un risque majeur de récidive, leur vie étant organisée autour de cette extraordinaire jouissance que leur procure la maîtrise absolue sur l'objet de jouissance qu'est leur victime, la sexualité étant là une arme par destination comme le dit D.Zagury.
Psychotiques : Il existe des différences non négligeables entre les délires paranoïaques de préjudice, délires passionnels, schizophrènes, bouffées délirantes, en ce qui concerne la dangerosité, les possibilités d'insertion sociale, la récidive possible. Mais 1) un certain nb de psychotiques ne délirent jamais, ou alors a minima sans que cela affecte leur vie sociale 2) pour ceux qui présentent un ou des épisodes délirants, en dehors de ceux-ci, un certain nombre de psychotiques peuvent mener une vie normale lorsqu'ils ne sont pas confrontés à la situation qui met en jeu ce qui a été forclos, donc non symbolisé, hors langage (maternité, paternité, position d'autorité etc.). S'ils y sont confrontés, ce qui a été rejeté revient dans le registre réel (délire et hallucinations) d'où la nécessité du traitement. et du suivi psychiatrique. Idem pour les psychoses maniaco-dépressives= bipolarités, le traitement s'avérant indispensable pour éviter les rechutes soit mélancoliques, dont nous connaissons les risques de suicide, en particulier de suicides altruistes donc avec meurtre, soit maniaques caractérisées par les risques de passages à l'acte violents (désinhibition sexuelle entre autres, agressivité, voire délires ...).
J'espère avoir pu au cours de ce trajet, contribuer à enrichir la réflexion sur ces questions de responsabilité. Finalement, nous ne savons pas ce qui détermine les choix d'un sujet, nous connaissons le comment, mais pas le pourquoi. Pourquoi un sujet va-t-il dans l'enfance forclore (rejeter) tel signifiant, pourquoi un délinquant va-t-il se saisir ou non d'une bonne rencontre, pourquoi répondre à telle situation familiale et sociale par la délinquance plutôt que par le militantisme ou la décision de réussir ? Le livre de Kherfi, le film "Je verrai toujours vos visages", le livre L'astragale nous permettent de percevoir la complexité de ces questions ainsi que la nécessité pour un humain de se confronter aux contraintes nées de la loi donc du langage.