Jean-Jacques Lepitre
Après plusieurs mois de réflexion du groupe " Art//Psychanalyse "
autour des thèmes des idoles et des icônes, il est apparu indispensable
de tenter de préciser et de spécifier les différents aspects des images
artistiques que nous avions rencontrés. Cette année mais aussi les
années précédentes. Et ceci d'autant plus que l'art contemporain,
s'interrogeant sur les constituants d'une oeuvre d'art: auteur,
concept, support, matière, lieu, vient interroger et brouiller ces
divers aspects. Une première tentative d'exposition sous la forme d'une
"mind map", carte de bulles nommées avec flèches d'interconnexions,
s'est révélée illisible du trop grand nombre de flèches
significatives. Une seconde sous forme de tableau croisé s'est de
même révélée inopérante, les interrelations y étant plus que
bidimensionnelles. Il restait la solution classique de l'énumération,
quitte au fur et à mesure de celle-ci de préciser les diverses
définitions de chaque élément ainsi que ses relations. Ce qui est
d'ailleurs l'avantage de ce type de présentation: elle laisse libre
cours aux associations et aux précisions...
Ajoutons ici et d'emblée notre étonnement: dans tous les ouvrages
pourtant nombreux consultés qu'ils soient d’illustrations ou théoriques
concernant l’art, la peinture, l'esthétique, jamais nous n'y
avons rencontré, ou si rarement, l'allusion d'un rapprochement possible
avec ce dont pourtant tout un chacun est porteur, à savoir nos images
mentales, celles des rêves, des fantasmes ou des souvenirs, hormis
quelques ouvrages psychanalytiques. Il y aura lieu de s'en interroger.
On commencera par la liste qu'il nous est apparu au travers de
nos reflexions. Et nous en ferons ensuite la reprise détaillée, selon
ce qu'il nous aura été donné de découvrir au fur et à mesure de notre
groupe de travail depuis quelques temps. D'abord la liste:
La nécessité de distinguer des types est apparue rétroactivement de la
prise en compte des images du cinéma ou de la télévision. A savoir
comment les envisager par rapport aux images picturales de l'art
classique ou moderne? Or il s'est avéré que la prise en compte du
support et de la possibilité de reproduction pouvaient être des
critères intéressants...
1.1 Fresques
On rangera dans ce type toutes les représentations artistiques:
statues, monuments, fresques, mosaïques, dont la fresque est le modèle.
La fresque, de la grotte de Lascaux au plafond de la Chapelle Sixtine,
se caractérise d'être inamovible de et par son support. Murs,
piliers ou plafonds de monuments, temples, palais, églises ou
grottes, ceux-ci ne sont pas déplaçables et rendent très difficiles
toute reproduction. D'autant que les techniques de réalisation de ces
images ne permettent pas de les séparer de leur support. Si la
reproduction est malgré tout réalisable, ce ne peut être qu'au prix de
moyens et de temps très importants, cf les reproductions des grottes de
Lascaux et Chauvet.
Il est à noter que les fresques sont de par nature contextualisées. Le
support dont elles sont inséparables, temples, églises, monuments leur
donnent un surplus de sens venant s'ajouter à leur contenu. Scène
religieuse dans un église ou un couvent, elle y résonne de la foi
supposée du lieu, l'exaltant en telle ou telle particularité, elle y
témoigne aussi d'une époque, liée à l'érection de la fresque mais aussi
du lieu même où elle se déploie, et aussi y présuppose une durée: les
temples et les églises furent bâtis sans idée de fin, pour l'éternité.
Les fresques qui y furent peintes en prirent la temporalité. D'où
l'idée de leur conservation..
1.2 Tableaux
Le tableau est une invention de la Renaissance, dans les Flandres, de
Van Eyck et de son entourage. Il résulte sans doute de la conjonction
de plusieurs éléments, dont deux paraissent essentiels, la découverte
de l'emploi de la peinture à l'huile par les peintres flamands, et la
mise au point de la perspective géométrique par Alberti et
Brunischelli. L'emploi de la peinture à l'huile élargissait la
possibilité de l'emploi de supports variés: panneau de bois ou de
toile, tout en garantissant une durée de l'oeuvre, cet emploi ouvrait
la possibilité d'une oeuvre indépendante du lieu où elle était
réalisée, telle la fresque... Cette indépendance eut pour conséquence
qu'elle permit l'invention de l'atelier, celui du peintre, où se
réalisaient les tableaux, et de l'artiste, comme producteur original
organisé en un lieu spécifique, et non plus comme dépendant et associé
à l'architecte, présent ou passé, dans le lieu même bâti par
celui-ci. D'artisan le peintre devint artiste.
La perspective classique joua aussi, on peut le supposer, un grand
rôle. Non que la perspective fut inconnue avant la Renaissance. On se
souvient de la légende de Zeuxis, peintre de l'antiquité grecque, dont
Platon nous rapporte qu'il avait peint des raisins avec une telle
exactitude sur un mur que les oiseaux venaient s'y cogner le bec dans
le désir de les picorer. Ce qui laisse supposer une très grande
perfection du modelé et par conséquence un savoir de la perspective.
Celle-ci d'ailleurs est présente aussi bien dans les fresques des
villas de Pompéï que dans les peintures du Moyen Age, ou la peinture
chinoise par exemple. Mais ce qu'introduit la perspective classique
c'est le reflet de l'organisation de la perception à partir du regard
d'un sujet, et de lui seul. Auparavant les effets de perspective
étaient déformés par d'autres considérations que le seul point de vue
du sujet, la grandeur relative des personnages n'étaient pas déterminée
par leur seul éloignement, mais aussi par leur grandeur morale ou
civile, un roi était forcément plus grand qu'un manant et plus petit
que le Christ, et les éléments des paysages obéissaient aux mêmes
règles. D'où l'importance du contexte, nature des bâtiments où étaient
peintes les fresques, circonstances de leur réalisation. A ne refléter
que le strict point de vue d'un sujet, la peinture avec la perspective
classique s'affranchit de ces divers éléments, et elle assigne un
regard, une place individuelle à chacun contemplant l'oeuvre peinte,
strict corrélat du point de fuite qu'elle construit dans la
représentation qu'elle réalise. Lacan parlait du tableau comme domptant
le regard. C'est à entendre comme le dompteur du cirque dompte le lion,
la bête sauvage.. Le tableau assignant une place précise, une
direction, un point de vue au regard, en maîtrise les errances,
les avidités pulsionnelles. Surtout s'adressant ainsi au regard
d'un sujet, il privilégie le dialogue individuel entre ce sujet et
lui-même, indépendamment de tout contexte... D'où le mouvement naturel
qui a pu en découler, désir de possession individuelle de l'oeuvre,
motivée par le charme de cette autre réalité que l'oeuvre représente.
La collection, qui en est l'accumulation, deviendra musée, lorsque le
désir de montrer à un grand nombre ces oeuvres accumulées se fera
jour. Cela est rendue possible par leur mobilité, leur support
amovible... Les premiers portraits suivent de près l'invention de la
perspective classique, rencontre de cette mobilité avec la centration à
partir du regard subjectif de la perspective classique.
Objets précurseurs: icônes, amulettes, poteries peintes,
statuettes, fétiches...
1.3 Vidéos
Ici sont rangés sous ce terme, les diverses techniques de production
mécanique de l'image. Depuis la photographie jusqu'à la télévision
numérique actuelle. Elles se caractérisent toutes par une capacité de
reproduction de la réalité sans interprétation. Même si cette
reproduction est plus ou moins bonne, elle n'est pas en soi, comme peut
l'être un tableau, ou même notre perception, une interprétation. La
démonstration en a été fait à contrario par "l'hyperréalisme". Alors
que ce qui s'en rapproche le plus, les "vettudas", ne sont pas sans
quelques détails interprétés. Elles sont également, et de plus en plus,
facilement reproductibles. Si les tableaux sont copiables, on sait la
difficulté qu'il y a à reproduire les couleurs exactes et la touche des
artistes, leur façon qu'ils ont eu de manier le pinceau, peu de
faussaires ont pu réaliser de véritables copies, et la plupart du temps
celles-ci sont détectées par les spécialistes du peintre concerné. Au
contraire rien n'est plus facile que de dupliquer une image numérique,
et cela à des milliers d'exemplaires si besoin.
Ce sera le cinéma qui sera pris ici comme exemple. A la fois comme
élément moyen historiquement, après la photographie, avant la
télévision, mais aussi comme élément le plus complet et exemplaire de
ces techniques de les contenir toutes de façon développée. Des
remarques viendront préciser quelques spécificités propres à la
photographie ou la télévision.
On peut classiquement décrire les images cinématographiques selon trois
niveaux de complexité et d'assemblage: le plan, la séquence et le film.
1.3.1 Le plan:
C'est une suite d'images prises par la caméra d'une seule position et
d'un seul point de vue. Cette suite correspond au regard induit du
spectateur par le réalisateur. Là d'où et de la façon dont le
spectateur est amené à regarder. De la même façon que la perspective
classique induisait une position, une orientation, une focalisation du
regard du spectateur du tableau et de ce qui voulait y être mis en
valeur dans ce qu'il représentait. Ainsi en fonction du cadrage, on
parlera de gros plan, comme si le spectateur était tout proche, de plan
moyen, ou de plan général, le spectateur englobant l'ensemble de la
scène, un paysage par exemple. Ceci pour une vision centrée
horizontale. Mais on peut avoir affaire à ces mêmes cadrages pour une
vision orientée latéralement, on parlera alors de champ et de contre
champ lorsque dans la même suite d'images la caméra offre la vision
latérale opposée, gauche et droite par exemple. De même l'orientation
de la caméra n'étant plus horizontale mais verticale on parlera de
plongée et de contre plongée. Ceci permettant de suggérer la
supériorité ou l'infériorité par exemple. Mais comme on a affaire à des
images en mouvement, ce point de vue va pouvoir varier sans changer
radicalement, car alors on aurait affaire à un autre plan, en bougeant
la caméra sans que soient changés les éléments fondamentaux de la
scène, acteurs, décors, musiques, réglages de la caméra. Il s'agit des
divers travellings, déplacements de la caméra avec des réglages fixes.
Travelling avant, la caméra se rapproche d'un objet dans l'axe du
regard. Travelling arrière, elle s'éloigne au contraire. Travelling
latéral: la caméra bouge et permet de regarder l'ensemble du décor
supposé ne pas tenir dans le cadre pour de multiples raisons, surprise
d'un objet ainsi découvert, panorama grandiose ne pouvant pas du coup
être appréhendé d'un seul regard, etc... Ce travelling peut être
linéaire ou circulaire... L'effet de zoom, avant ou arrière, est à
différencier du travelling, car celui-ci rend sensible un
rapprochement, tandis que l'effet de zoom est plus un effet de
grossissement. Il faut aussi noter l'importance de la profondeur de
champ. Etroite elle permet d'isoler un élément net par différence avec
l'arrière plan et, ou l'avant plan flous, large elle permet d'associer
un élément d'un plan avec celui d'un autre plan dans une même netteté,
dans le premier cas on pourra ainsi souligner la solitude d'un
personnage, dans le second la prochaine rencontre de deux personnages
ou leur proximité alors qu'ils ne sont pas encore ensemble.
On peut noter combien la photographie, le plan cinématographique, mais
aussi télévisuel y compris dans ses limitations pour ce dernier,
doivent à la peinture et à la construction de la perspective classique
dans sa détermination du point de vue subjectif. Ils en sont les vrais
héritiers. Alors que la peinture moderne et contemporaine semblent s'en
détouner, bien que sans doute de façon relative pour une part, les
vidéos y puisent une grande part de leur éfficacité. La détermination
du point de vue subjectif, l'assignation du spectateur à une place
précise par rapport au plan filmé ou photographié permettent, en plus
de son contenu, d'y donner sens et effets. Si l'étude de nombreux films
peut en faire démonstration, l'exemple de la télévision n'en est pas
moins instructive. La variété des plans y est moindre qu'au cinéma, et
cela même en ce qui concerne les séries qui pourtant s'en inspirent. Le
plan moyen, tête et buste, y est privilégié, c'est aussi le cas de la
plupart des émissions, en particulier les journaux télévisés. c'est le
plan idéal de la proximité. Dans les séries, les émissions de
divertissement, c'est une façon de faire participer le spectateur, il
est proche de l'action. Pour les informations, il est proche du
journaliste qui, de plus est filmé de face, le regard à hauteur du
point du vue subjectif, façon classique de produire une manière de
parler les yeux dans les yeux, signe universel de franchise. Le
journaliste ne ment pas, il n'a rien à cacher. Assis à une table, il
est dans le prolongement du mobilier du téléspectateur, un proche. Le
plan général, rare, est une façon de faire participer à l'ambiance,
celle d'une salle de spectacle, d'un public, lors d'une émission de
divertissement, façon de confirmer le succès de tel ou tel moment de
l'émission, ainsi aux moments des rires ou des applaudissements. On
peut, peut-être, y rajouter l'emploi de la plongée légère, position de
supériorité, suggérant celle du voyeur et du juge dans certaines
émissions de téléréalité. On peut rajouter le plan en pieds, suggérant
la mobilité soient des héros des séries, ou des présentateurs,
principalement de divertissement. Tous ces plans sont organisés tels
qu'ils situent le point de vue subjectif à hauteur de regard le plus
souvent, aussi bien du journaliste que du présentateur ou du héros,
insistant ainsi sur la dimension interrelationnelle et participative.
1.3.2 La séquence:
La séquence est l'association de plusieurs plans. Les séquences à plan
unique sont rarissimes. On nomme raccord le passage d'un plan à un
autre. Le plus souvent il se fait à partir d'un élément présent dans
les deux plans successifs. Ce peut être le personnage, et le décor dans
lequel il se déplace change; un objet qui est présent dans le premier
et le second plan; la musique qui reste constante. Le raccord regard se
fera quant à lui à partir du regard d'un des personnages auquel
s'identifiera la caméra et donc le spectateur qui regardera, passant au
plan suivant, dans la direction où regarde le personnage vu
précédemment. On appelle séquence clip ces séquences où la musique
constante organise et fait l'unité des différents plans de la
séquence. Et séquence cirque, celles où comme l'orchestre du
cirque la musique amplifie, accompagne, fait écho à l'action.
1.3.3 Le film
C'est l'assemblage des séquences. Il obéit à une logique narrative
classique. Soit une situation de départ. Elle est soit ordinaire et un
événement va venir la déséquilibrer, " c'est la paix et le jeune couple
roucoule, et puis survient la guerre, le meutre, une maîtresse, un
amant..", ou bien elle est d'emblée déséquilibrée, cas des films
policiers: "il y a un cadavre..." Et la suite du film va être la
recherche à nouveau de l'équilibre qui surviendra à la fin. On peut
noter la similitude avec la musique qu'elle soit symphonique ou
concertiste, puisqu'aussi bien les symphonies que les concertos
obéissent à ce principe de déséquilibre et de rétablissement de
l'harmonie en final. Dans la recherche de cette harmonie finale, de son
rétablissement, le film obéira dans la suite de ses séquences à un
logique causale habituelle: le crime précède la recherche de
l'assassin, ce qui effraie est désagréable, etc... Certains
réalisateurs peuvent en profiter pour perturber cette causalité
habituelle, qui est aussi celle du spectateur, afin d'en produire des
effets divers: surprise, absurde, doute, etc..
On peut noter ici combien la télévision suit le schéma narratif
précédent. Non seulement dans les diverses séries proposées, ce qui est
compréhensible, et la série policière en est le prototype: le crime de
départ déséquilibre le monde subjectif auquel est censé s'identifier le
spectateur et toute la suite consiste en l'action réparatrice du héros
jusqu'au final: l'équilibre et l'harmonie rétablis, arrestation du
criminel, le monde retrouvant sa sérénité. Mais aussi nombre d'épisodes
d'émission de téléréalité qui s'avèrent ainsi scénarisées. Mais encore
les journaux télévisés eux-mêmes. Les événements les plus perturbants
sont énoncés en premier: guerres, catastrophes, nouvelles
spectaculaires. Viennent ensuite des événements moins dramatiques, plus
neutres. Et pour finir, se dirigeant vers l'harmonie et l'apaisement,
des informations concernant la culture, le spectacle, quelque bonheur
quotidien.
2 Religiosité
Les batailles iconoclastes, celle célèbre de Byzance ou celle plus
oubliée ou plus refoulée du XVIe siècle de la réforme protestante ainsi
que les positions farouchement iconoclastes des religions juive ou
musulmane nous offrent la possibilité d'une appréhension très
instructive des modalités de la représentation picturale ou, plus
largement, imagée. Peintures, fresques, mosaïques, dessins, sculptures,
toutes les représentations sont ici en cause.
2.1 Idoles
Le point de départ semble être le deuxième commandement des tables de
la loi que Dieu donne à Moïse. « Tu ne te feras point d'image taillée,
ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les
cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas
que la terre. » Dieu, qui se définit lui-même comme un dieu jaloux,
interdit à sa créature l'adoration de tout autre que lui-même (1). Ce
qui semble aller de soi pour un dieu unique. Il n'y a de Dieu que Dieu.
Comme dirait Lacan, il n'y a pas d'Autre de l'Autre. Toute autre
adoration serait idolâtre.
Mais est-ce seulement cela ? Il y a une ambiguïté qui se répercutera au
long des siècles. À lire les trois premiers commandements, c'est bien
la représentation idolâtre que semble viser la parole divine. Mais à
mettre en relief, à isoler ce second commandement, n'est-ce pas de
toute représentation qu'il s'agit ? C'est ce qu'en concluent certains
exégètes. Et de cela ils concluent qu'il serait sacrilège de vouloir
imiter le geste créateur divin en reproduisant une quelconque des
créatures nées de sa volonté. À l'idolâtrie ici s'ajouterait l'orgueil
de rivaliser avec Dieu, ainsi certaines des interprétations religieuses
interdisent toute image. Peinture, photo, même de famille ou d'enfants,
films, etc...
Or Dieu est le principe créateur de toute chose, toute créature est née
de sa volonté...
L'idole pourrait avoir une acception plus précise. Elle est une
représentation. Humaine, animale ou autre, puisque Dieu est créateur de
toute chose, quelle que soit la représentation c'est celle d'une
créature de Dieu. Représentations sculpturales, picturales ou autres...
Et même s'il ne s'agit pas de faux dieux, comme les dieux gréco-romains
selon l'église chrétienne, même s'il s'agit de celle d'une créature de
Dieu, humaine, animale, pour témoigner de sa gloire de créateur. Est
idole toute représentation qui est adorée comme si elle détenait une
parcelle de divinité, une parcelle à laquelle est attribuée une essence
divine. Que ce soit le « veau d'or » adoré comme s'il contenait un
principe divin, ou le crucifix prié comme symbole intercesseur avec le
Christ, donc Dieu selon la Trinité chrétienne, tous deux sont idoles
supposés de pouvoir contenir totalement ou en partie l'essence divine.
Cela a été la démonstration quasi pédagogique de certains iconoclastes
protestants. Devant les yeux effarés des papistes, on tranchait la tête
des crucifix, des madones, en déclarant : « si cela a quelque chose de
divin croyez-vous que Dieu laissera faire cela ? » Et devant ces têtes
roulant sur le sol : « y a-t-il là autre chose que du bois ou de la
pierre ? »
L'idole capte à son profit une part du divin, de l'essence divine. Elle
rend visible l'invisible, Dieu, ce qu'elle ne devrait pas. Elle attire
à elle une part ou la totalité de l'adoration qui est due à Dieu. Même
comme symbole intercesseur, elle détourne à son profit, voire même à
l'insu de l'adorant, ce qui doit s'adresser uniquement à Dieu. Elle
vient y faire écran. Écran, ou capture, de l'adoration de Dieu et de
l'essence invisible du divin, on a pu considérer comme idole tout ce
qui est susceptible de détourner l'adorant du divin, de l'essence
divine. L’or, les trésors, les honneurs, mais aussi l'amant ou
l’amante. Tu adoreras ton seul Dieu...
L'idole des jeunes. C'est un exemple de l'attribution de l'invisible,
du divin, au profit d'une créature, voire d'une image, poster, vers
quoi se portera l'adoration de ce qui constitue cela même qui est
l'essence de Dieu, l’essence divine.
C'est donc de cette part qu'il s'agit dans toute idolâtrie. Part de
l'homme due à Dieu, que celui-ci réclame comme lui étant réservée
exclusivement, et ne devant être aucunement détournée au profit de
quiconque ou de quoi que ce soit.
L'idole serait cet objet au sens le plus large, non seulement objet
physique mais aussi bien objet du désir, objet du fantasme, de la
pensée, venant à recueillir cette adoration de l'essence du divin, cet
élément susceptible de produire l'adoration due à Dieu seul.
Un autre abord intéressant est l'interdiction qui a pu se formuler
comme l'interdiction de représenter l'invisible, puisque Dieu est par
excellence invisible. Ce qu'il y a là d'intéressant c'est que c'est
précisément l'inverse de la religion gréco-romaine où les dieux, leurs
statues, leurs cultes, qui sont considérées dès l'origine par la
religion judéo-chrétienne comme idolâtres, ces dieux avaient pour
charge de représenter les invisibles et leurs mystères. Sentiments,
concepts, forces, chacun des dieux grecs représentait un élément
dépassant l'entendement humain, lequel y était pourtant soumis.(1.1)
L'amour, la raison, le pouvoir, la mort, la puissance de l'océan, du
vent, la guerre, etc... De tous ces éléments, les Grecs en avaient fait
des dieux. Ils concentraient en eux la part invisible, in symbolisable
de chacun de ces éléments. Lacan à la suite d'Heidegger parlait à leur
propos de Réel. Yahvé, (Yhwh), le Dieu unique, affirme qu'il est le
tout de cet invisible, qu'en conséquence lui seul doit être adoré, et
qu’en même temps il interdit de tenter de le représenter lui le Dieu
unique, qui est cet invisible. Peut-on dire ce réel, ce tout du réel,
ce pur être qui énonce « je suis celui qui suis »?
1.Exode :
20.3 Tu n'auras pas d'autres dieux devant ma face.
20.4 Tu ne te feras point d'image taillée, ni de représentation
quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas
sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre.
20.5 Tu ne te prosterneras point devant elles, et tu ne les serviras
point; car moi, l'Éternel, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux, qui punis
l'iniquité des pères sur les enfants jusqu'à la troisième et la
quatrième génération de ceux qui me haïssent
1.1 Il est remarquable, cf plus loin, que Kant définisse la beauté
comme ce qui dépasse l'entendement.
2.2 Icônes
Les diverses crises et interdictions iconoclastes s'originent de ce qui
précède. Que ce soient les interdictions originelles des religions
juives ou musulmanes. Que ce soient les épisodes iconoclastes de
Byzance ou de la Réforme. Que ce soit la position encore actuelle du
culte protestant. Or il semble bien qu'à l'origine du culte chrétien
des images avaient droit de présence...
On vient de voir les raisons d'où s'origine l'iconoclasme. La crainte
et le soupçon d'idôlatrie au sens strict, mais aussi l'interdiction
pouvant être plus globale de tenter de représenter, de donner image de
ce qui, selon les religions, doit rester invisible, et qui est le
transcendant par excellence, à savoir Dieu.
Ce deuxième aspect, qui pourtant n'est pas explicite dans les
commandements divins qui ne semblent viser que la création d'images
idolâtres, ( "Tu ne te prosterneras point devant elles") , est pourtant
mis en pratique aussi bien par les religions juive et musulmane que
lors des grandes crises iconoclastes de Byzance et de la Réforme.
Faut-il soupçonner que pour les tenants de l'interdiction de toute
image, de toute reproduction, la puissance de l'image serait telle
qu'elle provoquerait forcément idolâtrie? Que forcément elle
contiendrait cette part du divin, du transcendant (2) qui provoquerait
l'idolâtrie? N'est-on pas proche de la mimesis platonicienne, rejettée
comme trompeuse? Trompeuse au détriment des "Idées", c'est à dire du
transcendant ? Mais, en plus, d'être trompeuses, les religions et les
iconoclastes accusent ceux qui les possèdent ou les contemplent de
croire qu'elles recèlent les caractéristiques même du divin, sa
puissance, son omniscience, voire son amour....
Voilà qui peut apparaitre étrange. Il n'empêche que cela sera pris très
au sérieux par ceux-là même qui, lors de la crise iconoclaste
byzantine, se feront les défenseurs des images saintes. Saint Jean
Damascène qui montrera que la reproduction de l'image du Christ est
licite selon la liturgie, puisque Dieu en s'incarnant en Jésus, part de
la trinité qui s'est faite chair, a bien choisi de se montrer en cette
part là aux yeux des hommes. Si Dieu s'est représenté aux yeux des
hommes, ne serait-il pas licite de le représenter dans sa
représentation ? A condition toutefois, et c'est ici en quelque sorte
qu'est tenu compte des critiques iconoclastes, que cette image,
représentation de représentation, ne puisse en aucun cas donner lieu à
adoration ou vénération pour elle-même. Ce qui serait idôlatre. Elle ne
doit être qu'un moyen, un appel vers l'au-delà d'elle-même, vers la
transcendance du père, de Dieu, de la Trinité. Pour y parvenir la
création des icônes sera extrèmement codifiée. De ce fait la
réalisation d'une icône ne sera en aucun cas considérée comme une
démarche artistique, mais comme un acte liturgique.
L'iconographe, le créateur d'une icône, se doit d'être dans un certain
état d'esprit religieux, de foi, de pureté, de dévotion, cf la vie de
Saint André Roublev... Le but de la réalisation de l'icône, qui est
l'incitation à la foi, à la croyance en l'au-delà divin, est l'élément
primordial de l'acte créateur. L'existence de l'auteur, de
l'iconographe, est sans importance, au regard du but religieux de
l'icône. D'où l'anonymat qui doit être la règle de ces réalisations,
les icônes sont anonymes. Mais son contenu lui-même est codifié. Il ne
peut s'agir que de ce par quoi Dieu s'est manifesté, et jamais de ce en
quoi il est resté invisible: le Père, sa toute puissance, son savoir,
etc... Il ne s'agit pas de rendre visible l'invisible, mais d'en
suggérer le mystère, la puissance. Et pour cela de servir des
représentations de ce par quoi Dieu s'est représenté, le Christ, et
manifesté, Marie, le Saint Esprit dans une moindre mesure, car plus
complexe d'être au bord de l'invisible. Peu d'autres représentations.
2. Transcendance (selon
l’Eglise de France)
du latin trans « par-delà », et ascendere, « monter »
Caractère de ce qui est transcendant c’est-à-dire qui est au-delà du
perceptible et des possibilités de l’entendement.
Attribut de Dieu « le Transcendant » par excellence, parce que dans le
monde créé par Lui, il demeure l’invisible.
2.3 L'illustration.
C'est le chemin qu'on pourrait supposer être celui de l'Eglise Romaine.
Il y a là beaucoup d'ambiguité. Il semble qu'au début du christianisme
il n' y ait pas eu d'image... Mais dès le deuxième sciècle on trouve
des traces de symboles et aussi d'images... Saint Augustin au 4ème
sciècle était contre. Mais Jean Damacène était pour. Outre les
justifications qu'ont pu affirmer les iconodoules byzantins comme celle
du Christ représentation incarnée de Dieu, la première justification
avancée par l'Eglise apparait à la fois évidente et pourtant un peu
étrange, ressemblant par là à un mécanisme de défense psychanalytique,
le déplacement. Les images, les images religieuses, ont une vocation
pédagogique. Elles permettraient aux chrétiens ne sachant pas lire
d'être malgré tout instruits des grands épisodes de la Bible et des
Evangiles. Ce qui paraît à la fois clair et incontestable. Pourtant les
religions juive et musulmane, dans les mêmes circonstances
d'illettrisme, interdisent les images, et délèguent à leurs lettrés
religieux le soin de transmettre l'enseignement des livres sacrés.
L'Eglise Romaine possédaient nombre de lettrés capables de lire la
Bible et les Evangiles aux fidèles ne sachant pas lire. Alors pourquoi
cet ajout des images? Rien a priori ne vient répondre à cette question..
Faut-il supposer que les pères de l'Eglise, ceux des conciles de Nicée
et puis de Trente, ceux de la Contre Réforme, ont eu l'intuition que la
simple écoute des textes n'y suffisait pas? Que quelque chose y
manquait? Mais quoi?
Peut-on faire l'hypothèse que ce qui est au cœur de toute religion, la
question de la transcendance, serait aussi ce qui vient faire ligne de
partage concernant l'utilisation des images religieuses? Les icones
byzantines y constitueraient une sorte de voie moyenne. Les religions
juives et musulmanes semblent avoir autoriser les images à leur début.
On a retrouvé des traces de fresques dans une synaguode datant du 2ème
siècle, comme des images du prophète Mahomet du tout début de l'Islam.
Mais, dans un second temps, elles auraient interdit toutes images comme
si celles-ci pouvaient dévoyer cette question de la transcendance, et
que celle-ci serait mieux représentée, mieux signifiée par l'absence,
le vide. Ce qui ne serait pas sans écho avec certaines approches
lacaniennes. Alors que l'Eglise Romaine, elle, aurait pris l'option
inverse, qu'on lui voit encore amplifier avec la Contre Réforme, celle
d'évoquer la transcendance par l'image. L'image que l'interdit même de
toute représentation juif ou musulman indique comme potentiellement
porteuse, en elle-même, de transcendance. Puisque toute image y est
considérée comme rivale de la transcendance divine. Cela n'est pas sans
évoquer ce que nous disions par ailleurs du cadre. Celui-ci dont est
construit toute oeuvre d'art fait découpe dans ce monde ci, délimite un
espace dans ce monde où vient à être produit un autre monde, une autre
réalité... Que ce cadre soit celui classique des tableaux, ou une
pièce, un lieu comme un musée, une scène, une salle dédiée, etc...(3).
Cet autre monde sur lequel ouvre l'oeuvre d'art n'est peut-être pas
sans rapport avec la transcendance...
L'Eglise prenant ce parti semble indiquer qu'à la simple écoute des
textes, il manque quelque chose que permettrait l'image. Quoi donc?
L'image justement. Qu'est-ce à dire? Que les lettrés, les savants, à la
lecture du texte ont des images mentales, des représentations... Mais
que le peuple illettré, au vocabulaire pauvre, n'a pas la possibilité
d'avoir des représentations mentales suffisantes ou exactes, de n'être
pas capable d'associer aux mots qu'il entend, voire aux métaphores
bibliques, les images mentales qui conviennent. On va donc les lui
fournir. S'appuyant sur la dimension de transcendance suggérée par
chaque image, on indique grâce à celle-ci quelles émotions, quels
sentiments accompagnent tel épisode biblique... Ce n'est que
progressivement, à partir de la Renaissance, qu'on sera tenté de
représenter le transcendant lui-même, Dieu le Père, et non plus
seulement ce par quoi il s'était représenté, le Christ, la Vierge, ou
l'Esprit... Mais à représenter la transcendance dans la transcendance,
cela n'en produit-il pas une sorte de rabattement? Le Dieu de la
Chapelle Sixtine, de Michel-Ange, n'est-il pas trop humain? Mais
c'était peut-être l'effet recherché... Il n'y a pas d'Autre de
l'Autre.
3. Voir le texte de départ de
l'Atelier consacré à "l'Autoportrait" sur le site de l'Epco.
4 Concepts
4.1 Vérité.
Platon et Aristote.
Mais déjà le rappel de la position de Platon concernant l'art. C'est
dans la "République" qu'on trouve le mythe de la Caverne, et par
extension la critique de l'art comme "mimesis", imitation d'imitation.
L'art de ce fait est éminemment trompeur. En ce que la vérité, à savoir
les Idées, les essences ne sont que représentées dans les formes
individuelles, les étants singuliers. L'art reproduisant la nature, ces
formes en les imitant, cf Zeuxis, n'est par rapport aux Idées qu'une
imitation trompeuse au second degré. Ceci de ce que l'étant singulier
est déjà lui-même une imitation de l'idée. Le lit fabriqué par
l'artisan est déjà une copie de l'idée de lit, alors la peinture
copiant ce lit singulier... Mais il en va de même avec les éléments de
la nature. Ce cheval particulier n'est que la manifestation de
l'idée du cheval, alors sa reproduction picturale est une copie au
second degré. On peut ici noter la proximité de cette élaboration avec
la dénonciation de l'idolâtrie.
Aristote expose ses considérations sur l'art dans "La Poétique". Même
s'il se centre essentiellement sur la tragédie, certaines de ses
remarques concernent tous les arts, et certaines concernant la tragédie
peuvent être étendues également à tous les arts. Si pour Aristote comme
pour Platon les arts relèvent de la mimésis, les conclusions qu'il en
tire sont radicalement différentes, et même opposées. Il critique
Platon en ce que pour celui-ci l'essence, l'idée est indépendante du
sensible. Pour lui, au contraire, l'essence, la forme, ne peut exister
qu'incarnée dans une matière. Il y a une nécessaire conjonction entre
toute réalité existante particulière, la matière, et l'essence, la
forme, qui l'informe, lui produit ses conditions de réalisation. On
entend que pour Aristote la forme et l'essence sont semblables. Il en
découle que l'universel, et donc aussi la vérité, (mais c'est peut-être
plus compliqué puisqu'il y a la question du souverain bien),
n'appartient plus au monde des idées mais dans l'intuition de la forme
ou de l'essence accompagnée d'un énoncé, d'une définition de cette
forme ou essence, exemple: "l'homme est un animal politique".
La mimesis artistique sera alors la représentation de la réalité telle
que puisse se percevoir son essence. (Nb: c'est assez proche de la
"Choséité" d'Heidegger qui était d'ailleurs aristotélicien). Aristote
note que l'homme aime habituellement imiter. Il note aussi, allant dans
le sens de l'intuition de la forme, qu'un artiste peut nous faire
éprouver comme belle la reproduction d'un objet qu'au naturel nous
trouvons laid ou sans intérêt: les cadavres, les natures mortes par
exemple.
Le plaisir esthétique est produit par l'émotion que provoque l'oeuvre
qui touche et excite nos passions qui y trouvent un
exutoire: c'est la catharsis. Cette émotion a tout à fait à voir avec
l'intuition de la forme que permet l'oeuvre, cf la Choséité. On n'a
peut-être pas assez interrogé la dimension cathartique de la peinture,
et des arts en général, hormis la tragédie et l'hypnose... Or, à
travers ce concept, c'est aussi une façon de retrouver l'élaboration
freudienne. Le propre du principe de plaisir étant justement la
recherche de la baisse de tension... L'art serait, en général, comme la
tragédie, ce qui permettrait à tout spectateur de décharger une part de
sa tension désirante?
A l'exact opposé d'Aristote une déclaration de ce brave pisse-froid de
Pascal: " Quelle vanité que la peinture qui attire l'admiration par la
ressemblance des choses dont on admire pas les originaux".
4.2 Beauté
Kant
A propos du jugement esthétique, dans la "Faculté de juger", il énonce
quatre propositions:
- 1. Le beau est l'objet d'une satisfaction dégagée de tout intérêt.
(désintéressée).
- 2. Est beau ce qui plait universellement sans concept.
- 3. La beauté est la forme de la finalité d'un objet en tant qu'elle
est perçue dans cet objet sans représentation d'une fin.
- 4. Est beau ce qui reconnu sans concept comme l'objet d'une
satisfaction nécessaire.
Les propositions 3 et 4 viennent compléter et préciser certains aspects
des deux premières. Concernant la proposition 1, suivant Kant on dira
qu'est beau un objet qui n'a pas en soi de finalité, à la différence
d'un objet de "design" qui lui, même s'il prétend à la beauté n'est pas
proprement beau, ayant une finalité. Il est à noter que spontanément,
et notre culture en général fait de même, nous distingons les deux
domaines: art et design. Même si les maisons de ventes aux enchères ou
galeries viennent brouiller les choses. Nous faisons la distinction
entre un beau fauteuil, un beau mixer, et un beau tableau. De même
l'émotion que nous ressentons à la vue d'une oeuvre belle n'a pas de
finalité volontaire. Même si nous allons voir une exposition pour nous
cultiver, pour avoir une bonne note, ou l'estimation de la cote d'un
peintre, au moment où nous éprouverons cette émotion de la beauté
devant telle ou telle oeuvre, nous serons sans doute incapable de dire
à quoi peut bien nous servir de ressentir cette émotion, quelle utilité
pratique cela peut avoir pour nous. Ce qui différencie la beauté, du
plaisir ou de l'agréable qui procurent des émotions positives mais en
tant qu'ils sont le résultat d'une satisfaction d'un désir, ou d'une
utilité, d'un besoin. La proposition 3 vient redire tout cela à partir
de la finalité de l'objet beau, dont la beauté est la finalité, le
peintre veut faire un objet beau, quelque soit sa conception de la
beauté, y compris l'anti-beauté, sans autre utilité.. Mais peut-être
ici Kant part du point de vue du seul spectateur. Ce serait peut-être
moins simple du point de vue du peintre, où il semble que de tous temps
il y a eu d'autres finalités, plaire aux pouvoirs, aujourd'hui aux
galeristes, cf la critique de R Debray. Concernant la proposition 2,
peut-être la plus célèbre, ce que Kant énonce là est un constat assez
simple: face à quelque chose que je trouve beau, beauté naturelle ou
artistique, l'émotion que j'éprouve, dans la spontanéité de ce que je
ressens, n'est pas, par moi, pensée comme uniquement personnelle. Ce
que je trouve en cet instant beau, spontanément je penserai que tout le
monde à ma place le trouverait beau: c'est beau. Le "c'est" ici a
valeur universelle. que ce soit à l'instant du coucher du soleil, ou
face à un tableau qui m'émeut, ce que j'en ressens me met devant
l'absolu de la beauté qui, comme tel, ne peut pas être singulier,
particulier. Si cela me touche, c'est bien parce que quelque chose ici
atteint cette valeur universelle. Et s'il ajoute "sans concept", c'est
parce cela ne repose sur aucun raisonnement, aucune justification
rationnelle. En tout cas, nul besoin qu'il y en ait. Les concepts, la
rationnalité ne survenant qu'après. D'où, peut-être, l'affirmation
populaire: "Les gouts et les couleurs, ça ne se discute pas !".
D'autant que chacun en ce domaine est persuadé d'avoir raison, puisque
l'éprouvé de son goût, à savoir son émotion face à beauté est vécue
comme universelle, c'est à dire devant valoir pour tous et donc vraie.
La proposition 4 vient donner précision: l'objet beau est reconnu comme
tel sans concept, c'est à dire que cela n'est pas le résultat d'une
réflexion, d'un logique, d'un calcul. Ce qui interroge sur l'opinion
que pour apprécier telles ou telles oeuvres il faudrait avoir une
culture, des connaissances, une approche éclairée, ce qui est très
fréquent pour l'art contemporain. Il est vrai que quelques fois ça
aide, mais la réflexion kantienne permet peut-être d'en ajuster la
réflexion. Avec cet éclairage culturel est-ce encore la beauté et elle
seule qui est appréciée, ou s'agit-il d'autre chose? ( on verra
peut-être l'opposition radicale avec la pensée de Goodman.. ).
L'objet est reconnu comme objet d'une satisfaction nécessaire. Devant
un objet que nous reconnaissons comme beau nous sommes satisfaits, il
nous est inimaginable qu'il puisse en être autrement. Si nous le
trouvons beau, il nous ne nous paraît pas possible, il nous paraît
nécessaire, c'est une nécessité logique, qu'il en aille forcément
ainsi. D'où notre surprise, si devant ce que nous trouvons beau, il
nous est déclaré par quelqu'un d'autre que c'est moche, laid,
inintéressant.
4.3 Sublime
4.4 Réalité
C'est ce que visent essentiellement la photographie et la télévision.
S'alliant à l'instantanéité de la prise de vue qui en garantirait
l'exactitude, elles se veulent des témoins de la réalité.
4.5 Pouvoir
Partons d'une remarque, à propos de l'iconoclasme byzantin. Il a été
émis l'hypothèse que celui-ci, s'il a été un interdit de représenter la
transcendance, ce n'était peut-être pas pour des raisons exclusivement
religieuses mais aussi politiques, de pouvoir politique. En effet,
depuis Auguste, les empereurs romains avaient pour moyen d'affirmer et
de rappeler leur pouvoir de se faire représenter, dupliquer leur image,
sur les pièces de monnaie, les temples, les statues.... Et si les dieux
gréco-romains étaient représentés comme des êtres humains, figures
humaines parmi d'autres, il en n'allait peut-être pas de même pour une
divinité réellement transcendante puisque son pouvoir alors, par
définition, était au delà de celui de l'empereur. Il ne fallait donc
pas que son image vienne concurrencer celle de l'empereur. D'où son
interdiction de représentation. Une telle hypothèse a-t-elle quelque
consistance? Et pour tout iconoclasme? Elle suggère que qui possède les
images possède le pouvoir, ou au moins qu'entre les deux un lien
existe. Et que le pouvoir temporel se porterait plutôt bien de
l'absence d'images spirituelles ou religieuses. Concernant le cas de
l'église romaine, le pouvoir temporel de la papauté a toujours été
beaucoup plus restreint que son pouvoir spirituel, les états du pape
que la communauté des croyants. L'image religieuse peut apparaître
alors comme la possibilité d'une monstration d'un pouvoir transcendant
dont la papauté aurait la clef au delà du simple territoire des états
pontificaux.
Aujourd'hui, peut-être sommes nous envahis par l'image, la
représentation, et pas seulement artistique. L'ancienne accusation
d'idolâtrie est débordée de toute part. Même les plus farouches
opposants aux images ne peuvent s'empêcher de publier des vidéos sur le
net.
Y a-t-il une simple coïncidence de ce que l'école, celle de la
république, mais cela est valable pour toutes, ignore dans son
enseignement quasiment tout ce qui concerne l'image, hormis ce qu'on
appelle les arts plastiques? A quand un enseignement montrant aux
enfants comment se fabriquent un journal télévisé, un film? Avec les
problèmes de choix des images, des plans, de leur durée, de leur
cadrage, de leur sélection, de choix des séquences, des éclairages, de
champs, de scripts, de maquillages, etc... Comment se fabriquent un jeu
vidéo, une photo, un feuilleton...
Ou bien faut-il supposer que cette absence d'enseignement ne soit pas
un hasard? Qu'on retrouve dans ce trait étonnant de notre époque la
question ancienne du rapport du pouvoir et de l'image? Et qu'en
conséquence, il y aurait lieu de préserver la naïveté du public face à
ces images.
Rappelons ici que ce que façonne l'image ne tient pas seulement à son
contenu, mais autant à la façon de le voir, au point de vue et au
regard qu'elle crée et organise. C'est la leçon de la perspective
classique et de ses héritiers que sont aussi bien la photographie, le
cinéma et la télévision. Le pouvoir lié à l'image en est donc double:
celui lié à son contenu, mais aussi au regard qu'elle conditionne et
apprend. Idéologie liée au regard... Comment nous apprend on à regarder.
( Quel apport pourrait être celui de la psychanalyse? Celle-ci, malgré
le départ de Freud à propos des images oniriques, semble s'en être
tenue majoritairement au verbe, d'en être une pratique. Du verbe à
l'écrit, comme support le plus simple et le plus direct de celui-ci,
l'écriture en devint l'exemple même du symbolique, et de la
manifestation du langage. Ne serait-il pas temps de s'interroger sur la
pertinence d'une pareille réduction? Les images sont partout, tout le
temps. Ne sont-elles pas elles aussi du langage? Les séries et les
films redoublent et même remplacent les romans et nouvelles. Les
séquences des journaux télévisés, reportages, sites internet remplacent
les articles de presse. Les photos des magazines sont des messages.
Leur valeur symbolique n'est-elle pas à prendre en considération autant
que celle d'une écriture? N'est-ce pas une écriture? "L'inconscient est
structuré comme un langage" disait Lacan. Oui, mais en plus nous savons
que dans nos rêves nous pouvons être acteur ou spectateur de
nous-mêmes, sous notre regard intérieur. (En quoi ce regard, sur moi,
idéal, grand Autre, ce regard intérieur est-il façonné, conditionné par
le regard que nous apprend à avoir les images? Ce serait là un
formidable pouvoir! )