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L’artiste aux prises avec le visible
Michel Robin En introduction à Céret 2018 Samedi 16 septembre 2017
Il y a eu, en mai 2016, les premières rencontres de Céret avec pour titre « L’artiste entre Réel et représentation ». Il s’agissait d’aborder la création artistique dans un lieu (Céret) qui a été fréquenté par de nombreux peintres surtout entre 1900 et 1950. Il s’agissait de tenter de confronter l’abord de personnes impliquées dans la création, de personnes impliquées dans l’organisation de lieux d’exposition avec l’abord de psychanalystes qui se sont penchés de façons diverses sur cette question.
Nous avons le projet d’une « 2ème rencontre de Céret », en 2018 où nous poursuivrons cette approche.
Dans un premier temps, aujourd’hui, il nous faut revenir rapidement sur le terme de représentation qui occupait en 2016 le titre du Journal Français de Psychiatrie (JFP), titre qui était « Malaise dans la représentation ». C’est un terme source de difficultés dans la mesure où il est utilisé par Freud puis par Lacan dans le domaine de la théorie psychanalytique et utilisé également, d’un autre côté, dans le domaine des arts plastiques.
Si l’on part tout simplement du terme de représentation défini par le Dictionnaire de la Psychanalyse de Chemama et Vandermersch, nous notons qu’il s’agit de « la forme élémentaire de ce qui s’inscrit dans les différents systèmes de l’appareil psychique » et que « c’est là que va porter le refoulement ».
Freud distingue « représentation de mots (wortvorstellung) et représentation de chose (Sachvorstellung).
Par ailleurs, la représentation en elle-même se voit refuser la prise en charge par le conscient et Freud parle alors de Vorstellung-Repräsentanz terme que Lacan propose de traduire par « représentant de la représentation ».
Il y a deux remarques à faire sur ce terme :
l’une sur la traduction du terme Vorstellung (s’agit-il d’une traduction adéquate ???)
l’autre concerne ce que dit Lacan dans son séminaire à propos du tableau de Velasquez « Les Ménines » : « Une fois de plus nous y trouvons le recoupement de ma formule qui fait de l’objet pictural un Vorstellung-Repräsentanz (c’est-à-dire représentant de la représentation) ».
Ceci nous amène à envisager la question de la représentation dans l’art.
Très schématiquement la peinture académique a été considérée comme une peinture-représentation… mais qu’est-ce que cela veut dire ?
Déjà en 1932, le philosophe Martin Heidegger dans un texte intitulé « De l’origine de l’œuvre d’art » disait : « Mais l’œuvre d’art ne représente rien… elle est elle-même, tout simplement… Elle n’est qu’un écho de ce que les choses sont en vérité ».
Au XXème siècle alors, si l’on dénonce l’illusion de la peinture-représentation, certains artistes vont vers une présentation de l’objet même et certaines expositions contemporaines vont vers cette présentation (objets divers et corps transformés etc…). Cette distinction représentation et présentation fait partie du langage des écoles d’art. (N’ayant pas travaillé dans ce milieu je ne peux pas en dire plus…). Pourtant, on peut remarquer une chose : c’est que la présentation de l’objet même, installé comme dans une mise en scène, est une sorte de représentation, cette fois au sens théâtral du terme.
Les glissements sémantiques font que le langage lui-même bute sur le terme de représentation. Freud écrivait dans l’abrégé de psychanalyse : « la réalité est à jamais inconnaissable ». C’est là qu’une question intervient et va introduire ce qui suit : pourquoi faudrait-il que l’art pictural représente la réalité ?
Et je veux préciser que c’est une question qui concerne l’activité artistique en général et qui ne se pose pas seulement pour l’art moderne et contemporain. Pourquoi faudrait-il que l’art en général soit une représentation de ce qu’il est convenu d’appeler réalité ?
C’est en cherchant à sortir autrement de ces questions, avec l’impression de tourner un peu plus en rond, que je suis tombé sur une phrase très simple mais particulièrement éclairante de Paul Klee dans son livre « Théorie de l’Art Moderne » (phrase d’ailleurs qui me semble s’appliquer aux arts plastiques en général) :
« l’art ne reproduit pas le visible ; il rend visible »
Il s’agit là d’une façon d’aborder la question de la création artistique qui peut s’appliquer sans restriction depuis la préhistoire jusqu’à l’art moderne.
Voyons d’abord le texte de Paul Klee lui même, au début du chapitre qu’il appelle : « crédo du créateur ».
« L’art ne reproduit pas le visible ; il rend visible. Et le domaine graphique, de par sa nature même, pousse à bon droit aisément à l’abstraction ».
(là, je n’entends pas quelque chose qui serait une défense de l’art moderne ou abstrait mais l’idée qu’il y a dans toute construction graphique quelque chose qui va vers l’abstrait).
Et plus loin : « Plus pur est le travail graphique, c’est-à-dire plus l’importance est donnée aux assises formelles d’une représentation graphique, et plus s’amoindrit l’appareil propre à la représentation réaliste des apparences »
Ce « rendre visible » permet de contourner la question de la représentation et aussi de réunir dans un même terme à la fois l’intention de l’artiste et la perception de celui qui voit l’œuvre.
Fig 1,2,3, quelques exemples de ce « rendre-visible » à partir des Ménines (en espagnol : las meninas : les demoiselles d’honneur »

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Cette façon de dire les choses, l’art rend visible, suppose de la part de l’artiste un engagement, une décision, un souhait. Cela suppose une implication dans cette question du visible dont beaucoup d’artistes disent qu’elle se fait presque malgré eux. Beaucoup en parlent aussi comme d’une nécessité « vitale ».
Mali, la peintre d’Amélie les Bains, rencontrée en 2016, disait en parlant de son travail : « là, au moins, j’existe ».
Gérard Garouste, interviewé dans le JFP, disait : « la peinture commence là où les mots s’arrêtent » et parlait du dessin comme moyen de survie ».
Soutine voulait dès l’enfance absolument dessiner.
Cette implication dans le « rendre-visible » se fait souvent au détriment des apprentissages scolaires (au détriment ou à la place ?), (un peu comme si c’était venu prendre toute la place).
Par exemple, dans une vie de Pablo Picasso écrite par un de ses amis, on peut lire :
« Prendre le crayon ou le pinceau sera chez lui un geste naturel, congénital (son père, professeur de dessin) dépourvu d’effort. Picasso a appris à dessiner en même temps qu’à parler. Nous savons qu’il était un cancre à l’école et qu’il s’étonnait le premier d’avoir appris à lire, à écrire et plus improbable encore , à compter. Par contre, nous connaissons un premier tableau de lui, à l’âge de sept ou huit ans, qui représente le port de Malaga ».
Donc la place prise par ce « rendre visible ».
Exemples : Picasso, fig. 4, 5 et 6
picasso

L’art « rend visible » et dans cette opération intervient une certaine construction de l’œuvre. Cela concerne quelque chose qui, dans notre façon de voir la réalité, a tendance à nous échapper ; quelque chose que l’artiste lui-même ne « théorise » pas particulièrement mais à quoi il est sensible ; quelque chose qui s’exprime dans son travail ailleurs que dans le sujet représenté mais qui est présent dans la construction même du tableau.
Alain Clément : exposition au Musée d’Art Moderne de Céret, au printemps 2017.
Clement


Passage à une construction pure.
Ici, une remarque de Gérard Garouste notée dans le JFP : « Si vous regardez un tableau, avant même que vous ne raisonniez sur ce tableau, la rétine… reçoit des informations précieuses »… mais « la lecture ça part un peu dans tous les sens ». « Les surfaces et les volumes sont indépendants des noms que nous leur imposons une fois identifiés ».
Et c’est là que j’ai envie d’émettre une hypothèse qui est que l’artiste est sensible à quelque chose qui se traduit dans la construction du tableau et que j’ai tendance à rapprocher de ce que nous travaillons en topologie.
Bernard Vandermersch dans le Dictionnaire de la Psychanalyse nous dit :
« la topologie est convoquée dans la théorie pour rendre compte, par une monstration en acte, de quelque chose qui précisément ne peut se dire : le sujet lui-même ».
C’est là un rapprochement qui appelle quelques remarques :
Il ne s’agit pas de faire une correspondance exacte avec les figures qui sont travaillées en topologie.
Pourtant, il y a peut-être quelque chose à retenir de la question des faux et des imitations : ainsi les experts vont conclure à un faux sur des données qui sont sans doute différentes du sujet représenté…
Kandinsky parle avec humour de ces « imitations » :
« Une telle imitation ressemble à celle des singes. Extérieurement les gestes du singe sont identiques à ceux de l’homme. Le singe est assis, tient un livre à la main, le feuillette, prend un air inspiré, mais sans que cette mimique ait aucune signification extérieure »
Il y a quelque chose là que je rapprocherais donc pour la peinture d’une « topologie ».
Enfin une remarque aussi pour ceux qui à l’EPCO travaillent sur la poésie : on pourrait paraphraser Paul Klee en disant :
« L’écriture poétique ne reproduit pas le lisible, elle rend lisible », d’où le conseil de Lacan : soyez un peu poètes. Et aussi, soyons artistes.