Alain HARLY m'a proposé de faire l'introduction des journées PICTAVES
sur le thème de la croyance. Je dois dire que cela n'a pas été pour
moi, facile. En effet, les différents axes qui seront abordés dans ces
deux journées, témoignent des façons très diverses dont ce thème peut
être traité.
Tout d'abord, je voudrais vous faire part d'une relecture du texte
"Avenir d'une illusion" (1927) où Freud engage un dialogue avec un
partenaire imaginaire Cette façon d'aborder les choses lui permet de
défaire, de déconstruire ce qui peut en être des différentes croyances
(populaire, religieuses, scientifiques) et je dois dire que dans ces
réflexions, même si le domaine de la science a fût beaucoup de progrès
depuis 1927, nous pouvons certainement nous y retrouver aujourd'hui.
Freud élabore son propos avec en contrepoint, non pas la croyance mais
l'espérance qu'une démarche scientifique psychologique puisse nous
permettre d'approcher les choses d'une façon un peu différente par
rapport aux croyances illusoires et d'accomplir ainsi un pas, pas un
progrès, mas un pas de plus dans le champ du savoir. Il ne s'agit pas
pour Freud d'élaborer une nouvelle vision du monde, mais de tenir
compte des découvertes apportées par une démarche psychanalytique et
scientifique qu'il nous demande de respecter tout autant que d'autres
démarches scientifiques dans d'autres domaines. Ceci afin que le réel
de nos investigations soit pris en considération et mis en application
dans nos pratiques, sachant qu'en agissant de la sorte, nous ne
courrons pas le risque d'être nuisible, mais qu'il faudra également
pour apprécier des résultats, savoir intégrer les avancées nouvelles
qui se feront au fur et à mesure du développement de la psychanalyse.
Voilà ce qui va nous amener à reprendre le thème de la croyance au
cours de ces journées à partir de considérations actuelles.
Il est écrit dans l'argument préparatoire que la croyance n'est pas un
concept analytique, mais une notion qui n'est pas sans rapport avec le
sujet en tant qu'il est supposition, avec le transfert en tant qu'il
implique un sujet supposé savoir, avec la jouissance en tant qu'elle
n'est pas que du sens et avec l'Autre, enfin, en tant que lieu troué
par le manque.
Je commencerai pour ma part par cette remarque que la croyance est le
premier temps qui va permettre l'installation du transfert. Elle est
même indispensable pour que celui-ci puisse se mettre en place. Cela
n'implique pas forcément que la personne qui vient faire une demande
croit déjà par avance aux vertus de la psychanalyse ou à la compétence,
aux capacités reconnues de l'analyste. La croyance va s'installer si la
personne à qui s'adresse la plainte se trouve être en position de grand
Autre, c'est-à-dire dans une position radicalement Autre.
Je prendrais pour exemple ces demandes qui semblent plus fréquentes
aujourd'hui et que vous avez certainement pu rencontrer ; je pense à
ces jeunes cadres dynamiques qui viennent avec une démarche
scientifique, nous demandant quelle est notre formation, quelle méthode
nous allons employer, s'il y en a plusieurs, laquelle nous allons lui
proposer, quel résultat peut être attendu, en combien de temps, pour
quel prix, etc., etc... Eh bien il s'avère qu'une affaire qui semblait
si mal engagée, si à côté de la plaque, pourra permettre un travail
analytique parfois plus sûrement orienté qu'avec un patient qui
d'emblée déroule une histoire psychologiquement compréhensible et qui
attendrait donc de l'analyste une meilleure compréhension. En effet,
dans ce deuxième cas, patient et analyste sont en position de
semblables, c'est à dire en position de partager une même jouissance
alors que dans le premier cas pris en exemple, l'Analyste est en
position que j'appellerai radicalement Autre. De par ce fait, j'ai
envie de dire de par cette étrangeté, le patient va être amené à poser
un sujet dans l'Autre et à se faire à l'image du sujet qu'il va prêter
à l'Autre. C'est en croyant à un sujet dans l'Autre, sujet qui sera
d'autant plus à son image que c'est lui-même qui l'a installé, qu'alors
il va se mettre à l'aimer et qu'il va le mettre en position de
transfert. Cette mise en place du grand Autre, du CHE VUOI, c'est aussi
celle du symbolique, celle du langage avec lequel on va interroger
l'énigme car il ne faudrait pas que l'analyste croît à son tour qu'il
est aimé pour lui-même (comme cela se passe dans la suggestion ou dans
l'hypnose) et qu'il croit ainsi pouvoir transférer son idéal sur son
patient. A cette condition pourra se dérouler pour l'analysant
l'histoire symbolique de ses idéaux et de ses mythes, c'est-à-dire de
ses croyances à partir de ses repères symboliques, mais aussi de ce qui
fera reste, de l'indicible de son désir, de ce qui fait répétition et
jouissance. (jouissance à laquelle il croit et à juste titre puisque
c'est le reste, la perte qui l'a fit advenir comme parlêtre.)
C'est dans cette structure signifiante comme lecture du réel que nous
pourrons repérer différentes formes cliniques et les croyances qui leur
sont propres.
Nous pourrons certainement ce week-end, voir se dégager les traits qui
en sont caractéristiques et mieux comprendre à partir des instances
réelles, symboliques, imaginaires ainsi mises en place les enjeux
différents entre confiance laïque et croyance religieuse.
L'étude des parandias où les délires religieux peuvent être déployés
raisonnablement (voir le livre de Schreber), c'est-à-dire selon les
lois du signifiant, nous aideront certainement de façon pertinente sur
la question du sujet et la croyance nécessaire à sa mise en place.
Nous aurons certainement à reprendre le nouage borroméen dans le
séminaire de Jacques Lacan, les non dupes errent, où est mis en place
la fonction de la religion comme nouage de RSI c'est-à-dire ce qu'il en
est de réaliser le symbolique de l'imaginaire, le nouage IRS comme
imaginer le réel du symbolique où nous retrouvons la fonction des
mathématiques et enfin SIR comme façon de symboliser l'imagination du
réel dans le discours psychanalytique.
Nous avons essentiellement évoqué jusqu'à présent, l'organisation de la
chaîne signifiante, mettant en jeu la jouissance phallique qui consiste
à préserver la toute puissance du phallus, c'est-à-dire aussi bien le
père mort de totem et tabou, que le Dieu des religions monothéistes et
cela afin de nous mettre à l'abri des aléas ou des caprices de l'Autre.
C'est cette croyance qui assure notre fantasme mais qui introduit aussi
le doute devant l'impossibilité logique d'obéir pleinement à la loi qui
en découle.
Nous pourrons avoir une autre voie d'abord en introduisant la démarche
scientifique. La démarche scientifique est la voie moderne qui par sa
volonté proclamée de maîtriser le réel, tente de supprimer la
culpabilité, mais elle implique alors un mitre réel pour mettre de
l'ordre dans la cité, maître réel que nous retrouvons aujourd'hui dans
les démocraties aux commandes des médias pour une économie marchande
mondialisante, maître auquel bien évidemment on croît, en qui nous
mettons notre espoir. Mais cela n'est pas sans conséquence, en effet la
jouissance Autre ainsi mise en place au chevauchement de l'imaginaire
et du réel n'assure aucune garantie pour limiter les rivalités
imaginaires et les forces de destruction qui en découlent. Ce type de
mise en relation duelle peut expliquer le développement des sectes que
nous voyons fleurir et les catastrophes liées à une croyance illimitée
aux venus de leur gourou. Plusieurs exposés nous aideront sûrement à
mieux comprendre les mécanismes en cause. Je pense par exemple à
l'économie imaginaire, mettant en place la notion d'individu en tant
que relevant du même dés lors que la place du tiers disparût. Cette
introduction à la croyance par la notion de mêmeté, peut nous aider à
comprendre les mouvements ségrégationnistes actuels, autrement que par
des conflits de croyances idéologiques.