Jean Bergès 23 mars 2002 à Poitiers
Jean-Jacques Lepitre : Je vais présenter cette conférence de façon très
brève. Tout d'abord, je vous présente Jean Bergès. Il est psychanalyste
à l'Association Freudienne Internationale, ancien Chef de Clinique de
la Faculté de Paris, ancien Médecin praticien à l'Hôpital St Anne. Il a
écrit avec Gabriel Balbo " L'enfant et la psychanalyse ", édité chez
Masson; c'était leur premier ouvrage, ensuite vint " Le jeu des places
de la mère et de l'enfant " qui est un essai sur le transitivisme,
édité chez Erès en 1998, et dernièrement un livre sur " La psychose,
l'autisme et les défaillances cognitives chez l'enfant ", ce qui est le
fond de la question de cette après-midi. Jean est quelqu'un qui est
tout à fait remarquable dans l'A.F.I. parce qu'il pose toujours des
questions très pertinentes qui traduisent son approche clinique avec
les enfants. Alors pourquoi les psychoses infantiles ? Que ce soit dans
les séminaires à Poitiers ou à Limoges, c'est une question qui nous
intéresse doublement, en tant que praticien pour enfants, à travers les
cas que nous pouvons rencontrer, et aussi à travers la réflexion
théorique qu'on peut faire à partir des psychoses en général,
c'est-à-dire tous les points communs qui articulent les psychoses
adultes et les psychoses infantiles autour de la question du
symbolique. Tout ça ce sont des questions que Jean Bergès aborde dans
son livre et qu'il va certainement développer aujourd'hui. On pourrait
dire aussi la distinction entre autisme et psychose infantile qui n'est
pas simple. Il me semble que dans le livre il y a par moments des
oscillations.
C'est Alain Harly qui sera discutant, le Docteur Joël Uzé qui devait
être le discutant d'aujourd'hui ne le pourra pas pour des raisons de
santé. Et puis il faudra excuser Jean Bergès qui a un petit peu de mal
au niveau de la voix pour des raisons de santé également. Il faudra
tendre l'oreille mais ça vaut le coup de tendre l'oreille dans ce cas
là.
Jean Bergès : - Je remercie d'abord l'Ecole Psychana-lytique du Centre
Ouest d'avoir bien voulu m'inviter à discuter de ces questions dont le
titre de notre dernier livre avec Gabriel donne en quelque sorte le
noyau, à savoir : psychose, autisme et défaillance cognitive chez
l'enfant. Evidemment ce n'est pas qu'un aspect théorique qui est
intéressant dans cette affaire puisque pour vous comme pour nous la
question se pose sans cesse de balancer entre les trois. A savoir :
est-ce que les débiles se psychotisent ? Est-ce que les psychotiques se
débilisent ? est-ce qu'on va pouvoir évaluer la psychose à l'aune de la
cognition ? Est-ce que les évaluations de la cognition vont être
perturbées par ce qu'il en serait de la psychose ? N'est-ce plus la
peine de parler de psychose puisqu'on va parler d'autisme ou bien
est-ce que c'est ridicule de parler d'autisme parce qu'il suffit de
parler de psychose ? Ca c'est ce que j'appellerai l'actualité de ce
type de questions et devant cette actualité, qu'est-ce que nous
trouvons pour répondre.
Je dirai en toute simplicité, que ce que Gabriel et moi-même avons
trouvé à répondre à ces questions, en relisant toute la bibliographie
psychanalytique sur ce sujet, et bien ça ne nous a pas du tout
satisfaits. Voilà. En ce sens, qu'à partir du moment où il s'agit de
psychologie quelque chose de l'enfant et surtout quand il s'agit de
psychose ou d'autisme ou de défaillance cognitive, c'est le royaume de
l'imaginaire, comme si ce qui était premier chez l'enfant c'était
l'imaginaire, l'image, soit parce qu'elle enraye, soit parce qu'elle
vient à manquer, parce qu'elle envahit du côté de l'enfant et du côté
de la mère. En revanche elle ne vient pas à manquer cette image chez
les psychanalystes ou chez les pédopsychiatres qui sont comme vous le
savez des chevaliers de l'harmonie. Il faut que tout marche ensemble :
l'évolution, n'est-ce pas, la psychologie génétique, la psychanalyse
génétique. L'évolution ça suppose que tout le monde marche du même pas
vers le paradis de la symphonie universelle. Or, il suffit d'avoir
affaire à un enfant pendant un quart d'heure pour se rendre compte
qu'il ne s'agit là que de processus purement imaginaires, imaginaires
chez le praticien lui-même. Par exemple, la notion de dysharmonie
évolutive dont on a voulu faire justement un travail transversal entre
les psychoses, les troubles cognitifs et pour une part les autismes, et
bien cette dysharmonie évolutive, elle suppose que l'évolution est
harmonique. Alors nous nous sommes demandés avec Gabriel si, en passant
par certains concepts lacaniens et en particulier le grand Autre, nous
ne pourrions pas examiner la question sous un autre angle, pas
obligatoirement définitivement meilleur, mais sous un autre angle,
autrement dit qu'on commence à parler d'autre chose. De quoi ? Que chez
l'enfant ce n'est pas l'imaginaire qui est premier, c'est le
symbolique.
Je vous donne un exemple : je reçois une étudiante en médecine qui
préparait l'internat et qui m'amenait son bébé de deux mois et demi
parce qu'il ne dormait pas. Alors, emporté par mon élan je lui dis : "
oui mais la nourriture ? " Alors elle me fait cette réponse : " ah ! eh
bien écoutez, ça c'est bien simple. A l'heure de la tétée, je l'allonge
sur mes genoux, je me mets sur le canapé, je mets ma question
d'internat à ma droite, et je lui donne le biberon. Je commence à lire
ma question et bien Monsieur ne commence à téter que lorsque j'arrête
de lire ". Voilà. Alors voyez, le symbolique c'est Monsieur. Ca c'est
la troisième personne. C'est la "dritte person". C'est la "tiersivité".
Ca c'est le tiers terme. C'est ce qui vient montrer dans le cas qui
nous occupe, n'est-ce pas, que dans le cas de cet enfant et de sa mère
ce qui est symbolique ça passe par le Monsieur. Autrement dit c'est
aussi ce qui montre, ce qui souligne, ce qui vient situer dans un lieu
ce que Lacan appelle le grand Autre. C'est précisément cette instance
qui fait qu'il y a un tiers. Voyez ce n'est absolument pas la dyade. La
dyade c'est une horreur dans la mesure où il n'y a pas de tiers. Cette
dyade elle vous poursuit lorsque l'enfant ayant deux ans et demi,
n'est-ce pas, est en train de chercher sa maman pour essayer de la
mener à bout, de la mettre en colère et de lui envoyer éventuellement
des coups. " Il me cherche ". Alors qu'est-ce qu'il faut faire quand
l'enfant de deux ans et demi me cherche ? Il faut lui dire : je le
dirai à ton père. C'est tout, c'est pas la peine d'aller plus loin. Ca
c'est le tiers, ça c'est la marque à la fois du grand Autre, à savoir
que c'est à un grand Autre que l'on va en référer, qui s'appelle le
père, qui peut être prisonnier au Guatémala, qui a pu partir en voulant
acheter une boite d'allumettes, qui n'a pu jamais être identifié. Cela
n'a aucune importance, c'est le mot qui compte.
Et j'en profite pour attaquer là un autre petit point concernant le
grand Autre. Le grand Autre nous apprend Lacan, c'est un lieu, le lieu
du Monsieur par exemple, de la fantaisie du gamin ou de son exigence.
Le lieu du père qui n'est pas là ou qui est là, cela n'a strictement
aucune importance. Quand le grand Autre est représenté par la mère,
cela veut dire que la mère est au lieu du grand Autre. C'est à dire
dans cet endroit. Ce qui est manifeste dans les psychoses et encore
plus dans les autismes c'est que la mère au lieu d'occuper le lieu du
grand Autre est elle-même le grand Autre, autrement dit qu'elle tient
cette place toute entière, et bien évidemment il n'y a aucune place
pour une tierce personne. Elle détient tous les signifiants, tous les
mots de la langue, toutes les expressions de la syntaxe. C'est ici
qu'intervient la logique infantile, parce que les enfants ce n'est pas
du sentiment c'est de la logique. Elle tient tous les mots, sans
exception, sauf le mot père. Voilà, elle a tous les mots mais pas
celui-là.
Dans la psychose infantile et dans l'autisme, il ne s'agit pas de
mamans spécialement fautives, spécialement inattentives, qui utilisent
l'incurie avec leurs enfants, qui ne sont pas entourantes, ou qui ne
sont pas bonnes avec eux, ce n'est pas cela la question. La question
c'est qu'elles tiennent tout le grand Autre. C'est à dire qu'elles sont
aussi le père. Elles pensent qu'elles répondent aussi au mot père.
C'est un des aspects que nous développons dans notre livre avec
Gabriel, sur la place de la grand-mère maternelle. Lorsque la
grand-mère maternelle tient la place du père, c'est la condition
amplement suffisante pour entraîner des difficultés sans nom. Nous vous
donnons de nombreux exemples sur ce point mais je permets d'insister
auprès de vous sur le fait qu'il s'agit là de quelque chose
d'essentiel. Parce que cette grand-mère maternelle c'est-à-dire la mère
de la mère, c'est à elle que la maman a fait son petit. Comme si la
grand-mère l'avait demandé, comme si la mère lui demandait.
Et nous vous donnons sur ce point quelques anecdotes, notamment de ce
qui se passe à la Martinique où c'est précisément ce que dit la mère
quand elle apprend que sa fille a ses règles. Quand la fille a ses
règles, la mère lui dit : " tu ne vas pas me donner un enfant ! Je n'en
veux pas ". Voyez, cette négation anticipatrice permet aux enfants
martiniquais, d'être moins psychotiques que les autres. Bien que comme
vous le savez, les pères sont de passage. Le premier enfant est donné à
la mère pour qu'elle l'élève. En somme de nombreuses circonstances sont
réunies pour qu'il y ait des difficultés avec la métaphore paternelle.
Eh bien justement, l'habitude, les us et coutumes, la tradition, font
que la mère ( de la mère) porte d'abord une négation sur cette
histoire. Elle dit : " mais tu ne feras pas un enfant pour moi ".
Autrement dit, " ne t'attends pas à ce que je j'entérine le fait que tu
fais un enfant pour moi, ce n'est pas moi le père. Je ne suis pas là à
l'état de père ". Ca ne l'empêche pas de prendre les enfants, de s'en
occuper, etc... et aux gars de continuer à circuler dans la maison, ça
c'est autre chose. Si on a le temps et si ça vous intéresse, je vous
parlerai de méthodes de cet ordre en Chine dans le sud-ouest de la
Chine, où il se passe des choses à peu près identiques mais encore plus
rigolotes.
Donc je reviens à mes moutons en montrant que la mère, à partir du
moment où elle occupe la place du grand Autre sans laisser quoi que ce
soit de vivant, eh bien elle est une à elle seule. Elle est la seule,
le dernier recours et l'unique. Alors c'est devant cette situation que
nous avons pensé qu'il y avait un point assez nodal à mettre en place
que nous avons appelé : " on veut ma perte ". Et qui pour nous se
trouve être le point de départ de ce que nous appelons la mise en place
des fonctions défensives de la psychose. Parce que la psychose ne nous
apparaît pas comme une maladie, comme un fait de structure lié à
l'organique ou lié à un dispositif conflictuel, la psychose pour nous,
ça n'existe pas. Ce sont des modalités défensives psychotiques
auxquelles nous avons affaire. Devant cette dramatique mise en place
chez l'enfant de " on veut ma perte ". Et " on veut ma perte " d'autant
plus qu'il n'y a aucun retour du côté du grand Autre. C'est-à-dire que
celle qui est supposée vouloir ma perte, elle tient toute la place. Ca
ne veut pas dire que pour nous la psychose soit liée à une qualité
spéciale de la mère. Pour nous, les mécanismes de défense psychotiques,
ils sont, si je peux dire, de la responsabilité de l'inconscient de
l'enfant, ils ne sont pas de la responsabilité du conscient ou de
l'inconscient de la mère. Je vais vous lire un tout petit bout de cette
histoire de " on veut ma perte ", c'est le seul morceau que je lirai de
notre livre parce que je ne vais pas faire une lecture complète et puis
je vous dirai ensuite comment les choses nous semblent s'engager.
Qu'il s'agisse de Mélanie Klein ou qu'il s'agisse de Lacan, la position
dépressive de l'enfant apparaît comme essentiellement organisatrice,
soit après la phase schizo-paranoïde pour Mélanie Klein, soit après la
phase du Miroir pour Lacan. Je vais mettre l'accent sur ce qu'il en est
de cette position dépressive dans son rapport à la phase du miroir, au
stade du miroir, parce qu'il me semble que c'est peut-être là la
meilleure manière d'aborder ce " on veut ma perte ". Comme vous savez,
entre six mois et un an et quelque, se produit la phase du miroir,
c'est à dire que jusque-là, l'enfant reconnaissait les autres dans le
miroir, le grand-père, le voisin, la maman, etc... mais il ne se
reconnaissait pas lui-même. Et un beau jour, il est content comme tout,
il vient de se reconnaître. Alors ce stade du miroir, c'est Wallon qui
l'a décrit et si je peux ainsi m'exprimer, c'est Lacan qui lui a donné
du sens. Dans quelle mesure ? Dans la mesure où, précisément, quand la
jubilation de l'enfant a trouvé dans une vision anticipatrice sa
maturation dans une imago qui le comporte tout entier malgré son
immaturité évidente, en proie à cette découverte et à cette joie, il se
retourne vers celui ou celle qui le tient sur ses genoux devant le
miroir et il la prend à témoin de ce qu'il est en train de voir. C'est
là, le moment dépressif. Parce que dans cette joie, au moment où il se
retourne, cette image, il la perd. Il s'est lancé dans un mouvement de
reconnaissance par un tiers symbolique et dans cet élan symbolique il
perd l'image.
Si la mère ne vient pas, par un acquiescement symbolique c'est à dire
en le nommant ou en lui disant "ah le petit coquin, mais c'est bien toi
petit coquin", si elle est là absorbée, parce qu'elle serait déprimée
ou parce qu'elle pense à sa lessive, ou parce que, finalement, elle est
là sans y être : si elle ne vient pas inscrire, dans la voix, ce
passage et cette perte, l'enfant revient au vide qu'il a créé lui-même
dans son mouvement. Il n'a pas créé un vide par la force de son esprit,
il a créé un vide par sa posture, par la mise en jeu de la motricité de
l'axe de son corps, de sa tête, de ses épaules, de son tronc. C'est là
que s'articule pour la première fois, à mon avis ce qu'il en est de
l'image, de l'imago, de la perte de cette image et de la mise en jeu du
corps dans sa psychomotricité. Je crois que c'est un point qui est
essentiel.
Cette inscription de la perte, cette inscription du passage de l'image
à un symbolique aléatoire et dépendant essentiellement de la mère ou de
la grand-mère ou de la nounou, peu importe. Et bien, ce passage là
vient s'inscrire ou pas dans l'axe du corps de l'enfant. Voyez c'est ce
que Wallon dans un article, célèbre à juste titre, a appelé la posture.
C'est-à-dire, ce en quoi, comme disait Ajuriaguerra, le corps est un
réceptacle justement de ce qui se joue entre l'image et le symbole.
Cette image devient symbolique à partir du moment où la mère la nomme.
Sinon, elle reste à l'état d'image. Creuser le réel, de ce que
j'appellerais la posture, creuser le réel, seul le symbolique en est
capable. Si j'accole l'image au réel de la torsion corporelle je reste
dans ce que j'appellerai une perte sèche, c'est-à-dire une perte
inarticulable.
Lorsque la mère, plutôt que d'être au lieu du grand Autre, est
elle-même le grand Autre, bien entendu il n'y a aucune sorte de raison
pour qu'elle émette quelque jugement que ce soit ou quelque
appréciation que ce soit, puisqu'elle sait. Elle sait de quoi il
retourne, elle est la seule. Il n'est pas question qu'il y ait un
vaurien dans le circuit ou un Pierre ou un Paul, tout ça est évident.
Il ne pouvait se retourner que pour la regarder. C'est dans cette
disjonction entre l'image, le réel et le symbolique que se situe ce
fantasme " on veut ma perte ". Parce qu'en effet, ce qui est perdu
c'est l'articulation de l'image au symbolique. Quant au sujet qui est
représenté précisément par un signifiant auprès de l'autre, il ne peut
émerger si la mère n'envoie pas de signifiant. C'est en ce sens qu'" on
veut sa perte ". On veut la perte du sujet et c'est devant cette
position de la mère et cette situation précaire qui est faite à
l'enfant que vont se mettre en place les fonctions défensives
psychotiques. Telle est notre manière de voir. Autrement dit, comme
vous le voyez, ce n'est pas une maladie qui est déclenchée par
l'incapacité de la mère à soutenir le bébé ou à s'occuper de lui ou à
le regarder, non. C'est pas ça du tout. La psychose c'est la mise en
place de fonctions défensives aboutissant à l'adjectif psychotique
c'est-à-dire au recul devant tout signifiant.
En ce qui concerne l'autiste, où en sommes nous ? L'autiste au lieu
d'être attiré dans le grand Autre de la mère (puisque ce grand Autre
est complet et sphérique), aspiré, pris, perdu.... L'autiste n'a pas à
mettre en place de fonctions défensives d'ordre psychotique, " on ne
veut pas sa perte " puisqu'il n'y a pas de " on ". Il ne peut pas y
avoir de fantasme puisque la mère n'a pas de grand Autre, puisque la
mère, par exemple, parle par proverbes. Je prends cet exemple parce
qu'il est assez commun. Elle ne peut parler que par proverbes, par
règles générales qu'elle tient de sa mère ou d'un autre : le sujet
c'est de son côté qu'il n'est pas, c'est du côté de la mère qu'il n'y a
pas de sujet. Elle est représentée en tant que sujet éventuel peut-être
par un signifiant, celui que vous voudrez, son prénom par exemple mais
auprès de quel autre signifiant, auprès d'un proverbe, auprès d'une
règle générale, auprès de traces toutes faites... Je vous donne un
exemple.
C'était un enfant autiste, ficelé sur sa chaise haute, auquel la maman
donnait à manger en lisant son journal et celui qui visite la famille
lui dit : " mais Madame, tout de même, il pourrait utiliser ses mains
pour manger, laissez-le se débrouiller, il n'a qu'à prendre la
nourriture avec ses doigts et puis voilà ". Et il revient 15 jours
après. L'enfant avait un énorme pansement sur le bras droit. " Mais
qu'est-ce qui s'est passé ? " " Ah, j'ai fait ce que vous avez dit ,
hein ". Et bien oui, il était allé chercher le plat dans le four.
Voilà. Autrement dit la réflexion de celui qui était allé visiter cette
maman était une réflexion qui portait, en somme, non pas sur le
signifiant mais sur le signifié. C'était une loi édictée. Il n'a qu'à
manger tout seul. Aller hop ! Donc il va chercher le plat dans le four.
Au cours d'une visite comme ça, on voit cet enfant qu'on suivait depuis
longtemps, la maison était sur le bord de l'autoroute et, à un moment
donné, la maman nous ayant gentiment reçus, un visiteur voit l'enfant
qui ouvre la barrière qui donne sur l'autoroute et traverse celle-ci.
Quand il revient : " mais vous le laissez partir comme ça sur
l'autoroute ? " " Ah eh bien, il est toujours revenu ".
Voyez ! En d'autres termes, c'est là que je voulais arriver à mon
numéro deux, le transitivisme, c'est ce qui faisait que le visiteur
était terrifié en voyant l'enfant traverser l'autoroute tout seul, mais
il était le seul à être intéressé par le transitivisme. La maman, elle,
trouvait absolument normal que l'enfant étant parti, devait revenir.
C'était optimiste mais ce n'était pas criminel. Voyez, ce n'est pas une
critique que l'on peut porter c'est simplement la constatation de
l'incapacité de la maman à transitiver. C'est à la suite de notre livre
sur le transitivisme qu'il nous est apparu comme allant de soi qu'on
allait attaquer psychose et autisme. Le transitivisme, rapidement,
parce que je me doute que vous avez du épancher votre désir de savoir
sur ce point, qu'est-ce que c'est ?
La maman d'un bébé de 15 jours rentre dans la pièce où il se trouve,
voit la fenêtre ouverte : " ah, la grand-mère a encore oublié de fermer
la fenêtre, mon pauvre petit coco mais tu as froid, mais c'est
lamentable ". Elle lui met une couverture etc... Et là-dessus, elle
s'en va. Une autre maman, dans les mêmes circonstances, rentre, voit le
désastre, ferme la fenêtre, prend une couverture et la met sur le gamin
pour qu'il n'ait pas froid. La maman est suffisamment bonne pour
Winnicott, elles le sont toutes les deux ; seulement il n'y a que la
première qui soit transitiviste. Qu'est-ce que ça veut dire ? Ca veut
dire qu'elle prête à cet enfant la possibilité de faire une demande, à
savoir, " on est prié de me couvrir, il fait froid ". Parce que quand
elle lui dit " mais tu as froid ", elle suppose qu'il en connaît
quelque chose du froid, autrement dit, elle lui fait le crédit d'en
connaître un bout sur le froid. C'est ce que nous appelons, avec
Gabriel, le coup de force transitiviste de la mère. C'est-à-dire
qu'elle lui assène, qu'il le veuille ou non, une connaissance sur le
froid. Elle lui fait ce crédit par la même occasion.
Je vous donne un autre exemple : l'enfant court du fond de la pièce
vers sa maman chérie qui vient d'arriver. Il se prend les pieds dans le
tapis, il s'étale, se relève, il repart sans avoir rien dit et la maman
de s'exclamer : " ah, ah, ah, mais tu t'es fait mal ". A ce moment-là,
il s'arrête et il pleure. C'est cela le transitivisme. C'est-à-dire que
la mère en lui disant " tu t'es fait mal ", qu'est-ce qu'elle fait ?
Elle lui demande de s'identifier " tu t'es fait mal ". Pas de
s'identifier à " tu t'es fait mal ", de s'identifier " tu t'es fait mal
", parce que lui, il n'a rien senti. Elle non plus. Personne n'a eu mal
dans cette affaire. Et cependant tout le monde pleure. Voyez c'est ça
le transitivisme. Ca consiste à mettre un signifiant sur un affect en
attente de signifiant. Ce n'est pas la douleur qui transitive, il n'y
en a pas, c'est le masochisme. La mère dit à son gamin " tu vas me
faire le plaisir d'être moins masochiste ". Voilà. Quand les mères sont
totalement incapables de transitiver, elles sont aussi totalement
incapables de réveiller ce que Freud et Lacan appellent "le nouveau
sujet".
Le nouveau sujet c'est celui qui passe, pour Freud, de la forme active
à la forme passive. Je regarde, ça me fait plaisir. Là je connais le
sujet. Je suis regardé, ça me fait plaisir. Quand j'utilise cette
formule, je suis obligé d'inventer un nouveau sujet. Le nouveau sujet,
c'est celui qui me regarde. Dans le transitivisme j'invente un nouveau
sujet, c'est-à-dire celui qui a eu mal, alors qu'il n'a rien senti.
Voyez, c'est en ce sens que le transitivisme crée un sujet. Il crée un
nouveau sujet. Comment ? Mais pour reprendre les termes lacaniens,
parce que les sujets se trouvent divisés. L'enfant parce qu'il pleure
alors qu'il n'a rien senti, et la maman qui crie alors qu'elle n'a rien
ressenti non plus. C'est en ce sens qu'ils sont divisés. Telle est la
division du sujet. Le transitivisme crée de la division du sujet. Ca
crée du sujet. C'est-à-dire que cette fameuse identification
transitiviste comme vous le voyez n'a rien à voir avec la projection,
rien. Ce n'est absolument pas l'identification projective. C'est une
identification transitiviste dans la mesure où par un coup de force la
mère dit à l'enfant de s'identifier un affect qu'il n'a pas éprouvé.
C'est en ce sens là que le corps intervient dans le transitivisme.
C'est à travers l'éprouvé. C'est pour cela que chez le psychotique ou
chez l'autiste, le corps fait tellement problème, fait tellement
question. Il ne fait pas seulement question par le schéma corporel, il
ne fait pas seulement question par l'image ou par la connaissance, par
le côté cognitiviste : ça c'est le coude, ça c'est le poignet ! etc...
Je vous donne l'exemple d'un jeune homme de 9 ans, psychotique, que je
suivais à la Salpétrière et avec lequel j'étais parti dans une
thérapeutique de relaxation et j'avais mobilisé sa jambe droite pour la
première fois et pendant que je mobilise sa jambe droite, il ouvre les
yeux, il s'assoit, il regarde, et me dit : " mais ça plie !" en me
montrant le genou. " ça plie ! ". Il n'avait jamais admis que ça
pliait. Ca s'appelait le genou mais plier, ça ne voulait rien dire. Et
la semaine d'après, quand on est passé à la jambe gauche, il s'est
aussi assis, a regardé et m'a dit : " mais c'est exactement comme
l'autre ".
En ce qui concerne le corps, la question n'est pas de savoir si je peux
nommer ou je peux me le représenter parce que, comme dit Lacan, le
corps c'est ce à quoi je tiens le plus et à quoi j'ai le moins d'accès.
En ce moment, qu'est-ce que je sens de mon corps ? rien. Sauf que j'ai
les fesses sur un truc qui n'est pas trop dur. C'est tout ce que je
sens. Et plus je vous parle et plus je vous regarde, moins je sens
quelque chose. Alors, est-ce que je vais en conclure que je suis
schizophrène parce que je ne sentirais rien de mon corps ? Voyez c'est
là qu'il faut reprendre un peu les choses à la base. A la base de
l'unité, à la base de la solidité du moi, à la base de tout ce qui
vient renforcer le moi, le compléter, le comprimer, taratata, tous les
mots qu'on met là-dessus. Comment ça tient un corps, mais moi je n'en
sais rien ! Ca tient avec des ficelles, ça tient pas. Il faut que j'en
parle pour que ça tienne. Pour que ça tienne le coup.
Dans le transitivisme, je passe par ce qui est éprouvé de mon corps.
Voilà. Je tombe. Je vous donne encore un exemple parce qu'il est
peut-être plus précis pour ce dont nous parlons à l'instant. Exemple
fourni par Breuer et Wallon à sa suite : vers 3 ans, deux enfants sont
ensemble et jouent. Le petit Edouard regarde son copain Pierre qui
vient de la porte, qui court et qui se cogne le genou contre les pieds
de la table. Il continue. Mais Edouard qui le regarde fait : "
pffff.... ! ", voilà. Qu'est-ce que ça veut dire ? C'est ça le
transitivisme, le transitivisme que j'appellerai des classiques. Non
seulement il fait " pfff.... " alors qu'il n'a rien senti et que
l'autre n'a rien dit non plus mais il se touche le genou, il touche le
point d'impact, le lieu du schéma corporel. Alors comment est-ce que ça
a transité cette douleur ? Comment ça marche ? Figurez-vous que chez le
psychotique c'est cela.
La première fois que le transitivisme a été décrit chez le psychotique,
en Autriche, eh bien c'était un monsieur qui amenait un malade mental
pour aller faire un examen à la pharmacie à côté, c'était le matin et
en Autriche on est propre, alors le matin on met les descentes de lit
sur la fenêtre, et il y avait une dame avec une tapette qui tapait sur
la descente de lit tant qu'elle pouvait pour chasser les miasmes de la
nuit et chaque fois qu'elle tapait sur sa tapette, le patient faisait :
" ah ! ah ! ". C'était ça le transitivisme. Chaque fois que le tapis
recevait un coup, c'était lui qui le recevait dans les fesses. C'est
comme ça qu'a été décrit le premier transitivisme. Alors, voyez, où est
le sujet là-dedans, où est le nouveau sujet du transitivisme ? Vous
voyez bien qu'il est courcircuité. Vous voyez bien que justement c'est
une absence de sujet qui fait que lorsqu'on tape sur le tapis, on me
tape sur les fesses. C'est précisément la différence entre ce que
j'appelerai le transitivisme psychotique classique et le transitivisme
que je dirai normal. Seulement, comment interpréter ça ? Et bien nous,
nous avons le culot de l'interpréter de la façon suivante : les
patients sont à la recherche de la mère transitiviste. Ils attendent
qu'un nouveau sujet leur soit proposé. Ils sont dans cette attente. Ils
essaient de le susciter.
Troisième point sur lequel je voulais essayer d'avancer avec vous, qui
est le point le plus difficile, je m'empresse de le dire, c'est celui
du grand Autre. Est-ce que je vais prêter un grand Autre à l'enfant ?
Est-ce que je vais lui faire le crédit, au même titre que dans le
transitivisme, d'un grand Autre ? Alors je prends l'exemple le plus
bébête que je puisse trouver : c'est celui de l'institutrice, du cours
préparatoire, au mois de décembre. Qu'est-ce qu'on lui demande ? On lui
demande de faire la liste de ceux qui vont redoubler pour bien
équilibrer les classes l'année d'après. Alors, est-ce qu'elle va faire
crédit à l'élève ou non ? Parce que si elle ne fait pas crédit à
l'élève et qu'elle dise, il va redoubler, mais c'est à elle qu'elle ne
fait pas crédit, parce qu'elle est là pour ça. Elle n'est pas là pour
faire passer les élèves de cours préparatoire en CE 1 à la fin du mois
de décembre. Elle est là, pour qu'ils essaient de passer au mois de
juin. Voilà qu'en décembre, à l'école, on ne fait plus crédit, le
crédit est mort. C'est-à-dire que le grand Autre de l'Education
Nationale est à prendre comme tel. C'est-à-dire totalitaire. Pas
totalitaire au sens du dictateur, totalitaire au sens du tout. C'est
avec les exclus de la classe que je vais faire des classes. Voilà,
voyez, dans le grand Autre, il y a le mot classe. Et bien pour pouvoir
remplir les classes, il faut que je sorte de la classe ceux qui ne
peuvent pas rester en classe. Il faut que j'en fasse d'autres. Parce
qu'il ne faut pas croire que la classe ce soit le rassemblement de ceux
qui ont le même signe, pas du tout. Pour constituer une classe,
qu'est-ce que je fais ? J'expulse tous ceux qui n'ont pas les signes de
la classe. C'est tout à fait différent. Alors le grand Autre, là, en
l'occurrence, c'est le grand Autre disons administratif, qui joue sur
l'exclusion.
Et bien figurez-vous que dans la psychose c'est pareil. Qu'est-ce qui
se passe ? La mère qui est la seule, qui est unique, qui, au lieu
d'être au lieu de l'Autre où justement elle pourrait donner ses
signifiants, la mère étant donné qu'elle est esseulée, utile et totale,
elle ne peut qu'attirer dans le grand Autre son enfant après y avoir
attiré le père. Le signifiant père, fait partie de l'ensemble du trésor
des signifiants de la maman totalitaire. Le père est absorbé dans le
grand Autre de la mère, l'enfant de même. C'est à ce moment-là qu' " on
veut sa perte ". C'est à ce moment-là qu'il va mettre en jeu les
mécanismes divers que nous décrivons. Les mécanismes que nous mettons
en place, qui sont des fonctions purement psychotiques, pas des
mécanismes défensifs au sens de mécanismes défensifs de la névrose
obsessionnelle ou de l'hystérie, non, des fonctions défensives au titre
que ce sont les fonctions qui supposent, qui soutiennent les
fonctionnements.
Voyez, la fonction elle a, ce que j'appellerai des normes de
fonctionnement. La fonction cardiaque, par exemple, ça consiste à ce
que le coeur batte à telle vitesse, les ventricules de telle façon, les
oreillettes de l'autre etc.... Ca c'est la fonction. Mais le
fonctionnement alors ça c'est tout à fait autre chose, ça consiste à
avoir le coeur qui bat quand je vois la dame de mes pensées. Ca c'est
autre chose, ça n'a rien à voir avec la fonction. La fonction est
phallique : c'est-à-dire que la fonction elle est comme ça, elle ne
peut pas être autrement. Elle est normée, comme on dit maintenant, je
ne sais pas ce que ça veut dire, mais ça fait rien. Elle est en tout
cas dans l'ordre de ce qui est soutenu par la structure biologique. Le
fonctionnement lui, c'est du symbolique. Parce que le fonctionnement
peut parfaitement déborder la fonction. Je vous donne l'exemple, que
j'appellerai typique, notamment dans ses aberrations pour la psychose
et surtout pour l'autisme. Quand l'enfant vient de naître, sa mère
tient toutes les fonctions : l'alimentation, la chaleur, le fait de le
soutenir, de le nettoyer, de l'habiller, de lui causer ; mais petit à
petit, le gamin lui va déborder la mère par son fonctionnement, la mère
a vu qu'il avait des petits frissons sur la peau du ventre, elle lui a
dit " ah, tu vas avoir la colique ", et bien justement, il est constipé
pendant deux jours. Bon alors, ça c'est le fonctionnement qui la
déborde. Je me souviens comme ça d'un petit bébé de deux mois et demi,
minable, qui avait la tête complètement contre le cou de sa maman,
laquelle l'a promené dans l'assemblée, et lui, par derrière jetait des
regards extrêmement intéressés sur l'assemblée, se moquant éperdument
de ce que lui faisait sa mère. Ce qui l'intéressait c'est ce qu'il y
avait autour : évidemment, le débordement de la mère l'oblige à
abandonner une partie de ses fonctions. C'est le fonctionnement de
l'enfant qui oblige la mère à abandonner les fonctions. Cette fonction
évidemment, se trouve petit à petit phallicisée dans le même sens que
la mère phallicise son enfant en le regardant avec la plus grande des
considérations, en l'appelant Monsieur, comme tout à l'heure, en le
levant comme ça au-dessus de son lit quand elle vient d'accoucher,
etc...
La prise en compte de ce dépassement progressif, lorsque la mère a tous
les signifiants, lorsque la mère a tous les mots, lorsque rien ne peut
l'étonner, rien ne peut faire question pour elle, évidemment il lui est
extrêmement difficile à cet enfant de passer dans le fonctionnement,
extrêmement difficile de la dépasser par son fonctionnement. Entre
nous, quand vous êtes en cure avec l'un de ces enfants psychotiques, ou
surtout autistes, parce que chez les mamans d'autistes, c'est encore
plus difficile pour elles puisqu'elles n'ont pas de grand Autre pour
elles, elles n'ont de grand Autre, si je peux dire qu'à travers leur
propre mère, la fameuse grand-mère qui est le père de l'enfant, elles
n'ont de grand-Autre que leur propre mère, promue à la place du père.
De sorte que le résultat de l'autisme c'est de faire sauter une
génération. Nous n'en voulons pas aux mamans d'autistes, elles ne
servent à rien. Ce n'est pas d'elles qu'il s'agit, c'est de la
génération précédente. Je ferme la parenthèse.
Comment aborder un enfant autiste ou psychotique grave ? En s'étonnant
; je m'étonne, je suis capable de m'étonner " alors là, alors là tu as
fait ce coup-là et bien je n'aurais pas cru que tu serais capable de le
faire. Ah, là tu m'en bouches un coin. Ce n'est pas possible que tu
aies dessiné ça ! " . A ce moment-là, il va faire des efforts pour vous
étonner, parce qu'il est capable d'étonner ceux qui sont capables de
s'étonner. Mais ceux qui ne sont pas capables d'être étonnés, mais
comment voulez-vous qu'il les étonne ? Ce n'est pas possible. C'est
pour ça, un des meilleurs abords, c'est un des points avec lesquels
nous sommes d'accord, Gabriel et moi, avec Marie-Christine Laznik ;
nous ne sommes pas d'accord sur tout, mais sur ce point nous sommes
d'accord. En effet, le parti pris de l'étonnement, le parti pris de la
surprise, c'est essentiel justement pour arriver, si vous permettez
cette expression, à fournir des signifiants au psychotique et à
l'autiste.
Je prends un exemple, un exemple d'autiste qui m'avait été envoyé par
son orthophoniste à 4 ans, parce qu'il ne disait pas un mot. J'ai vu
arriver un petit enfant, assez agréable, autiste, sans aucune
stéréotypie. J'ai rien compris dans un premier temps, puis j'ai un peu
brassé. Le papa avait une écurie de chevaux de course. Il n'était pas
tellement sympathique. La maman très effacée mais menant tout à la
baguette. C'est le cas de le dire, à la cravache et lui là-dedans,
jumeau, avec un petit jumeau qui, au même âge, parlait comme Musset et
comme Baudelaire réunis. Un type formidable ! Alors, je cause, j'envoie
quelques signifiants, je fais ce que je peux, rien. Il faut le savoir,
à l'encontre de Gabriel Balbo, dans mon bureau, je n'ai ni papier, ni
crayon, ni robinet, ni poupée, ni tiroir, ni ficelle, ni rien du tout.
Moi, je dis au gamin, on est là pour causer, on n'est pas là pour faire
les idiots. Alors lui, justement, il n'était pas d'accord et il amenait
lui-même du papier et un crayon, il écrivait sans aucune faute des
patronymes américains, sud-américains, anglais, français. Qu'est-ce que
c'était ? c'était ses chanteurs préférés. Moi, je n'en connaissais
aucun. Il me flanque les prénoms et les noms et il dessine à côté,
d'une façon absolument stéréotypée, une tête avec des cheveux en forme
de u renversé et un vague corps par dessous, qu'il s'agisse d'un
monsieur ou d'une dame, tout ça c'était pareil. Alors, là j'ai pas eu
beaucoup de mérite à lui dire que j'étais étonné. J'ai dit " alors là,
écoute, mon vieux, là tu m'estomacques ! Mais qu'est-ce que c'est que
ces gars là ? " Toujours pas un mot. Il a fallu attendre 7 ans pour
qu'il parle. Il écrivait très bien, sans une faute d'orthographe. Je
suis allé vérifier quand même. C'était sans une faute d'orthographe,
c'était impec ! La lettre, comme vous le savez, les autistes adorent
ça. Qu'est-ce qu'ils adorent dans la lettre, eh bien le réel. Ils
adorent le réel de la lettre, pas le symbolique puisque lui en ce qui
le concernait, il était complètement incapable de prononcer les prénoms
et les noms qu'il écrivait, totalement incapable. Il n'en était pas
question une minute. C'était le réel de la lettre qui l'intéressait :
l'autiste, arrive à tenir ce challenge impossible pour tout analyste
lacanien, de mettre les lettres en tant qu'elles sont des signifiants
dans la machine de " Markoff ", de tourner la manivelle et d'en faire
de vraies lettres. Lui, il arrive à ça parfaitement bien. Alors,
comment rendre compte de cette répulsion inouïe de l'autiste devant le
signifiant, répulsion phobique que vous connaissez, répulsion totale,
angoissée, dépersonnalisante alors qu'il se dépatouille tellement bien
avec la lettre ? Autrement dit totalement absence d'accès au grand
Autre en tant qu'il est le trésor des signifiants, par contre accès à
la lettre en tant qu'elle est du réel. C'est au réel que l'autiste a
affaire et c'est pour cela qu'il est tellement dans le désarroi,
l'impossible et l'angoisse. Il n'a aucun accès au signifiant. Dans les
classes où l'on met les autistes pour leur apprendre dans la méthode
Teach à parler, à se comporter, etc... mais c'est à ça qu'on a affaire.
C'est-à-dire qu'il n'y a aucun signifiant, tout est du signifié au pied
de la lettre.
C'est une question que je m'étais posée à un moment donné, qui ne se
pose plus beaucoup maintenant, avec les enfants sourds profonds qui
avaient été démutisés par la lecture. Ils m'avaient beaucoup fait
penser aux autistes, non pas dans leurs comportements, mais dans la
mesure où dans ce qu'on leur avait appris, eh bien justement, il n'y
avait aucune polysémie. La rose, c'était la rose, elle avait des
épines, la couleur rose avait des épines aussi. C'était absolument
univoque. Or, justement le signifiant, sa caractéristique, c'est
précisément d'être différent de lui-même et différent des autres. C'est
ce à quoi l'autiste est totalement incapable d'accéder. Il peut
parfaitement faire des discours, il peut dire, "je vous présente mes
respects Madame la Comtesse", mais seulement les respects, la Comtesse
et la représentation c'est du signifié. Je ne dis pas qu'ils ne
comprennent rien, je ne dis pas du tout qu'ils ne comprennent pas.
Seulement, il n'y a pas de sujet. Parce que pour qu'il y ait un sujet,
il faut qu'il y ait un écart. C'est l'écart l'ennemi foncier, juré, de
l'autiste. C'est pas un écart seulement dans le signifiant, c'est un
écart spatial. Toutes différences, toutes modifications, toutes, là
j'enfonce des portes ouvertes, tout le monde sait cela, mais, qu'en
penser ? Qu'en penser sinon qu'il s'agit d'un grand Autre impossible à
barrer. Ce grand Autre impossible à barrer, ce grand Autre sans aucun
sujet, il est réduit à la lettre. Et le petit exemple que je vous ai
donné tout à l'heure du type qui connaissait par coeur tous les prénoms
et tous les noms de ceux qu'il aimait à la télé, eh bien il a fini par
lire, il a fini par parler ce jeune homme, quand même. Parce que
maintenant, il a 22 ans et je le vois toujours. Il a fini par parler.
Quand il parle, il pressent qu'il va être confronté à un signifiant et
il déclare en souriant : " changeons de conversation ".
Vous voyez comment pour nous, s'il s'agit de la psychose, l'enfant est
attiré à travers le grand Autre, avec le père ; ou bien s'il s'agit
d'un autiste dont la mère est privée de grand Autre et qui se trouve
donc dans un circuit avec le grand Autre de la mère, qui est sa propre
mère, totalement incapable en quelque sorte de ne pas se faire rayer de
la lignée. Ceci n'a rien à voir avec les qualités de la mère et du
père. Je trouve que de tirer à boulets rouges sur la mère et sur le
père dans la psychose et l'autisme, c'est inopérant; c'est l'enfant qui
ne peut pas ne pas mettre en place des défenses psychotiques ou bien
qui ne peut pas ne pas être cantonné au réel dans son horreur. Il y a
des mamans qui, ce grand Autre de leur discours et du signifiant, ne
peuvent l'utiliser qu'à condition de l'imaginariser, c'est-à-dire de
toujours tenter d'esquiver ce que le signifiant a de fondateur, à
savoir qu'il est différent de lui même et qu'il n'est en rien
réductible à une image. Ces mamans ne peuvent pas envoyer le signifiant
dans ce que je dirai sa rigueur et dans toutes les conséquences de ce
dont il s'agit et qui l'imaginarise.
C'est comme quand on apprend à lire dans certaines méthodes, à
certaines lettres on met trois ponts, deux ponts, pour d'autres, le
ventre en avant, le ventre en arrière, la tête en haut, la tête en bas
et on pense qu'on apprend à lire comme ça. On apprend à reconnaître,
c'est le maximum ; il en est de même du primat des images dans les
livres de lecture : " le chat lape la soucoupe de lait ". Et en effet,
il y a un matou qui est en train de flanquer sa langue au fond d'une
coupelle avec un niveau blanc : les enfants apprennent-ils à
reconnaître ou à lire ? Voyez ! Quand je lis : est-ce que je reconnais
ou est-ce que je lis ? Alors je ne vais pas me lancer là-dedans mais
c'est pour montrer ce que c'est que l'imaginarisation du signifiant. Le
matou, est-ce que je vais le représenter avec deux oreilles, trois
moustaches et un rond, comme ça ? ou bien est-ce que je vais écrire :
matou ? Il faudrait s'entendre. Alors il y a des mamans, quand elles
parlent aux enfants, qui à aucun moment ne sont lisibles mais qui font
des dessins. Voilà !
Mais vous-même vous êtes dans ce travers, souvent, quand vous dites à
votre précieux interlocuteur :" vous voyez ce que je veux dire !"
Allez-y toujours pour voir ce que je veux dire, est-ce que ça a affaire
avec le voir ? Quand vous dites voyez ce que je veux dire et bien vous
êtes une maman de débile! C'est raccourci. Etre débile, c'est
essentiellement lié à cette incapacité d'attaquer le signifiant en tant
que tel. Autrement dit, d'être dans l'obligation d'injecter de l'image
dans le symbolique. Ca ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'image
symbolique; sans imaginaire, je ne vois pas très bien comment on
pourrait accéder au symbolique; à moins d'être schizophrène, alors là
ça serait le symbolique pur. C'est encore autre chose. Il faut d'abord
en effet passer par l'imaginaire mais si chaque fois que la maman veut
appeler un chat un chat elle est obligée de faire un dessin et bien
alors là, ça va mal se passer parce qu'évidemment, non seulement elle
ne fait pas crédit à son enfant d'être capable d'aborder le signifiant,
mais par-dessus le marché, elle a elle-même la terreur du signifiant
dans ses effets, dans sa loi, dans son tranchant. Alors, elle enrobe
tout ça de quelques images. Est-ce qu'il faut vous l'envelopper ?
Eh bien c'est exactement ce qui se passe quand on fait passer des tests
à des enfants qui ont des défaillances cognitives. Ils vous demandent :
" est-ce qu'il faut vous l'envelopper ? " C'est-à-dire, ce sont des
phrases, leurs réponses, qui ne sont jamais ponctuées, qui n'ont jamais
de ponctuation, qui ne s'arrêtent jamais dans l'ordre du signifiant,
mais qui se ramifient sans cesse en collatérales diverses, à tel point
que comme l'ont remarqué Binet et Simon, ils répondent quelquefois à la
question précédente. Première question, pas de réponse, deuxième
question, réponse à la question précédente, " est-ce qu'il faut vous
l'envelopper ? " Ca, c'est l'embranchement successif, c'est
l'imaginarisation impénitente du signifiant.
Je prends un deuxième exemple sur ce point, en ce qui concerne les
évaluations, parce que en ce moment, l'Education Nationale se rue sur
les spécialistes de l'évaluation. Or, il y a simplement une question à
débattre qui est la suivante : quand je fais passer un test et que je
pose une question, l'enfant que j'ai en face de moi, quelle est la
réflexion que se fait l'enfant en question ? " il me pose une question
dont il connaît la réponse ! " Vous trouvez ça honnête? Vous trouvez
que c'est juste pour prendre la terminologie de l'enfant à partir de
l'âge de six ans ? Vous trouvez que c'est juste de poser des questions
dont vous connaissez la réponse ? Alors vous et moi, quand nous étions
à ces âges là, eh bien on voulait faire plaisir à celui qui nous posait
la question, on voulait se faire mousser, on voulait montrer qu'on
avait un papa qui avait une voiture rouge et une maman qui nous aimait
à fond et alors on essayait en effet de faire la plus belle réponse.
Mais il y en a d'autres qui disent qu'on se moque d'eux. " On se moque
de moi ! on me pose seulement des questions dont on connaît la réponse
". Alors où allons-nous, d'autant plus que finalement qu'est-ce qu'on
m'apprend à l'école ? On m'apprend que pour écrire Monsieur il faut
commencer par " O " " N ", alors " O " " N ", ça veut dire "EU", c'est
un peu fort ! Alors vous et moi nous avons accepté ça comme du bon
pain. Elle a dit Monsieur alors c'est très bien. Elle sait. Oui, mais
quand je suis contestataire, pourquoi voulez-vous que je pense que " O
" " N " ça va faire "EU"? Et en admettant même que j'ai supposé que
cela fasse "EU", faut quand même que ça soit curieux à la lecture parce
que pour comprendre m o n s i e u r, pour comprendre ce que je lis et
bien il faut que je fasse tomber beaucoup de lettres. Seulement au
moment de passer à l'orthographe il va falloir que je les y mette
toutes. Il faudrait que je les enlève pour lire et que je les y mette
pour écrire, mais c'est une pétaudière cette école ! Voilà. Alors c'est
pour ça que quand on me pose une question dans une évaluation, mais à
quoi joue-t-on ? Est-ce que je dois jouer sur les lettres qui tombent ?
est-ce que je dois jouer sur toutes les lettres ? C'est pour ça que les
évaluations c'est toujours assez compliqué.
Il y a un autre système qui consiste à ne pas juger les enfants sur
leurs capacités à répondre, parce que si je les juge sur leurs
capacités à répondre et bien cela n'a absolument rien à voir avec le
langage spontané, strictement rien. C'est pour cela que moi je suis
pour le test de Rorschach. Non pas qu'il me permettrait à coup sûr de
faire la différence entre une névrose et une psychose, parce que de
temps en temps ça serait utile, mais surtout les enfants disent ce
qu'ils veulent. Je ne les attaque pas en leur disant : "tu me dis que
ça c'est une grenouille ? C'est une grenouille ça ? Il dit que c'est
une grenouille, eh bien qu'il se débrouille. Il est parti dans sa
grenouille eh bien qu'il arrive au bout. " Ca me permet de savoir un
peu comment il parle. Voyez c'est pour ça qu'en ce qui concerne les
évaluations demandées par l'Education Nationale, je vous demande d'être
extrêmement prudents car ce n'est pas parce que vous allez avoir les
tests américains les plus sophistiqués que cela va changer quoi que ce
soit. Il suffit de les voir par ailleurs pour comprendre qu'ils savent
tout. Il faut que vous mettiez en place cette question : mais comment
suis-je assez présomptueux pour poser une question dont je connais la
réponse ? Comment se fait-il que je joue les choses comme ça ? Ca
suppose d'ailleurs, d'abord, que le type qui fait le test a un QI à
200, parce qu'il serait au-dessus de la norme et d'autre part, c'est
une affaire de préséance, c'est une affaire de beauté du coup. Vous
êtes du côté de la courbe de Gauss, " vous êtes à droite ou à gauche
vous mon vieux ". Alors là je ne connais pas la réponse. Mais pour moi
c'est essentiel. Dans les défaillances cognitives c'est essentiel. Qui
aura le toupet de me dire comment le petit bonhomme dont je vous
parlais tout à l'heure, et qui maintenant a 22 ans, était-il capable
d'écrire sans faute d'orthographe le nom de ses chanteurs américains
alors qu'il n'était pas capable d'articuler une syllabe, ni le oui, ni
le non. C'est à mettre tous les orthophonistes à la rivière. Je me mets
dans le lot de ceux qui ne savent pas. Mais si je lis Lacan, je
remarque qu'il s'est efforcé de montrer que la lettre ça n'a absolument
rien à faire dans certaines circonstances avec le signifiant, la lettre
c'était autre chose. Tant que l'on n'en est pas arrivé à la
compréhension critique de cette position il est très difficile de se
lancer dans l'exégèse de ce qu'il en est de la psychose, de ce qu'il en
est de l'autisme et de ce qu'il en est des défaillances cognitives.
Vous voyez bien que d'une certaine façon la conduite à tenir que nous
proposons à savoir que l'analyste tienne compte d'une part du
transitivisme et d'autre part de la place du grand Autre, est
radicalement différente de ce que j'appellerai la psychanalyse ou la
psychologie génétiques. Ca n'a rien à voir.
Quel est le processus en jeu dans la psychanalyse ou la psychologie
génétique ? Et bien, c'est qu'il y a des stades. Il y a des phases qui
supposent un état des structures qui permette de passer d'une phase à
l'autre. La thérapeutique ou la remédiation, consiste précisément à
donner, à l'enfant, la possibilité de passer par la phase qu'il aurait
sautée, dont il aurait été privé par l'absence de soins, par la
maladie, par des otites, par une perte de la vue, par des conflits
familiaux, par un déménagement, par ce que vous voudrez. L'éventail est
très large, alors du coup, je vais être vache : ça m'était arrivé chez
le Professeur Michaux à la Salpétrière à la chaire de neuro-psychiatrie
infantile, je venais d'arriver comme interne, j'étais un peu ému, je me
trompe de bureau, j'ouvre la porte et je vois une jeune personne du
sexe en train de donner le sein à un enfant. Stupéfait, je referme la
porte et je me renseigne : c'était une séance de psychothérapie. Alors,
la psychothérapie ça consiste à donner le sein à l'enfant qui ne l'a
pas eu et pourquoi pas ? On peut se porter volontaire. Autrement dit,
il y avait un stade qui était celui de l'allaitement qui avait été
sauté, si j'ose ainsi m'exprimer. Et bien allons-y ! On va le remplir.
Mais seulement vous avez 99% des psychanalystes et pédo-psychiatres que
je connais qui pensent faire bien en faisant ça. Ils partent du
principe que puisque c'est génétique, on va repérer les endroits par
lesquels on n'est pas passé et on va passer, on va essayer. Vous n'avez
pas assez été " holdingués ", on va vous " holdinguer ". Vous n'avez
pas été assez regardés, on va vous regarder, etc & Vous n'avez qu'à
admirer ce qui se passe dans les idéaux sur la psychiatrie du
nourrisson par exemple, c'est formidable. Il n'y a pas de bande son, il
n'y a aucune bande son, mais ça marche. Là on regarde, là on voit qu'on
peut regarder, qu'on peut toucher, qu'on peut titiller, seulement
évidemment on ne peut pas causer, personne ne cause. Alors pourquoi ne
pas faire une bande vidéo chez les canards. D'ailleurs, c'est une
tendance!
On peut envisager le fait que de passer par certains stades est
souhaitable, pourquoi pas ? En ce qui concerne la compréhension de ces
problèmes, je trouve que c'est Piaget qui est le plus fort. Je vous
recommande le petit bouquin chez "Que Sais-je?" intitulé "
Epistémologie génétique " de Piaget, c'est génial. Je ne suis pas du
tout dans cette perspective, mais c'est formidable. C'est un des livres
de psychologie les plus formidables que j'ai jamais lu de ma vie. Mais
alors lui, il explique bien ce qu'il veut démontrer. Il dit bien de
quoi il retourne. Il montre que, en effet, chaque stade est caractérisé
par des formes abandonnées et promises à la disparition du stade
précédent et des pré-formes du stade suivant. C'est ça la dialectique.
C'est quand même plus malin que les phases tout court. Alors évidemment
la question du sensori-moteur, du figuratif, de l'opérativité etc...
est menée de main de maître et on comprend évidemment que ça soit
extrêmement attirant ; seulement ça n'a rien à voir avec la psychose,
ni l'autisme. Et les défaillance cognitives, comment les voit-il, avec
celle qui a écrit le bouquin avec lui ? C'est la rigidité du passage.
Il n'y a pas moyen de passer : on ne peut pas aller à l'étage
supérieur, il n'y a pas moyen de passer dans la porte. C'est d'un
intérêt soutenu, à mon avis les lacaniens devraient lire ce bouquin de
Piaget, parce que Lacan tire à feu continu contre Piaget, chaque fois
qu'il le peut, mais enfin quand même Piaget c'est pas rien. C'est un
type extraordinairement intéressant, mais évidemment à condition qu'il
s'agisse de génétique. Vous comprenez bien que la maman quand elle
parle de ce galapiat de 2 mois, qu'elle appelle Monsieur, elle a mis
toute la génétique par terre. C'est fini. On le comprend. C'est pas
comme ça que ça marche. Je ne vais même pas discuter de pathologie
particulière comme les enfants dyspraxiques qui sont un démenti formel
des théories de Piaget pour le passage du figuratif à l'opératif. Je ne
vais pas discuter de ça parce que ça m'entraînerait trop loin
et ça n'a rien à voir avec le sujet d'aujourd'hui bien qu'entre les
enfants dyspraxiques et les enfants psychotiques il y aurait beaucoup à
dire.
Je prends comme exemple un enfant que je voyais il y a longtemps, du
temps où je pensais qu'on apprenait à parler : je croyais qu'on
apprenait à parler, qu'on disait d'abord les voyelles, ensuite
certaines consonnes, et puis après on en faisait un petit tas, puis des
petites phrases et ensuite il y avait un sujet qui arrivait etc &
Je croyais ça ! Et là-dessus, je vois un gamin dont le père était un
copain, qui avait même pas 18 mois, qui disait "te", "tou", etc &
&.", enfin n'importe quoi. Je discute avec lui, je ne me rappelle
plus de quoi, et lui me dit " cependant ! &" (rires dans la salle).
Ca vous est arrivé! Quand on vous envoie un "cependant" dans les
oreilles, vous avez du mal avec la génétique, parce que les
propositions concessives, c'est en quatrième latin-grec. C'est pour ça
que c'est difficile d'avancer dans ces affaires.
Tous ces exemples là, c'est pour attirer votre attention sur le grand
Autre, parce que quand je dis "cependant" et que je ne sais absolument
pas ce que je dis, bien entendu, ça correspond à une hypothèse de ma
part. C'est-à-dire que le "cependant" que j'ai entendu ne peut que
supposer un Autre, un lieu d'où peut émaner la concession. Alors, ce
côté-là de la question, il nous semble et après quoi j'essaierai de
répondre à des questions, il nous semble que l'intérêt est précisément
de la mise en place des rapports des enfants psychotiques, des enfants
autistes et des défaillants cognitifs au grand Autre, qui nous paraît
au moins aussi intéressante que la mise en place des dispositifs qui
pour nous sont surtout imaginaires.
J-J Lepitre : Merci Jean, de toutes ces choses qui ont soulevé beaucoup
d'intérêt et qui vont soulever beaucoup de questions. Je pense qu'Alain
va commencer.
A. Harly : C'est un petit peu difficile pour moi d'entrer dans la
discussion parce que je suis plutôt ravi, dans le ravissement d'avoir
entendu développer ces propos qui me semblent si prés de cette
rencontre singulière avec un enfant, rencontre à chaque fois inouïe qui
bouscule nos savoirs. Je vais devoir faire un certain effort pour
avancer quelques questions. Je prendrai cependant deux pistes. La
première touche à la notion de défense et la deuxième à la notion de
grand Autre.
Tu le disais tout à l'heure, la notion de défense tel que tu l'utilises
est originale par rapport à ce que nous concevons habituellement dans
le cadre du freudisme. En référence à Freud, on distingue classiquement
les névroses narcissiques, c'est devenu le champ de la psychose, et
puis les névroses de défense. La manière dont vous utilisez la notion
de défense se présente comme une extension de la notion de la défense à
la psychose. On entend bien qu'il ne s'agit pas d'une défense du moi,
pour autant il faut bien concevoir, pour qu'il y ait défense, j'oserais
dire, un lieu d'où elle prend appui, d'où elle s'organise. Quel serait
alors ce lieu d'où s'organise la défense ?
Jean Bergès : Je comprends ça très bien, parce que dans notre dernier
livre Gabriel Balbo et moi-même, nous avons, à l'occasion, abordé cette
question de fonction de défense opposée, si je peux dire, tactiquement
opposée à la notion de mécanisme de défense. Il ne s'agit pas d'un
mécanisme de défense. Ce n'est pas le moi Freudien qui va se défendre
puisque justement il n'y en a pas. J'ai deux manières d'aborder ce que
tu dis et je pense que l'une de ces manières est peut-être évocatrice.
En ce sens, que je vais aller à la fin de notre livre dans un index et
je vais regarder. Si je vais chercher fonction défensive, je vais
regarder comment c'est foutu. je lis avec mes lunettes, " fonction
défensive " : organisation des &, modalité des &, effet des
&, mises en place des &, fonctions défensives et exclusion du
langage, et scopique.. et transitivistes & et réel & et tiers
symbolique &et corps &et jouissance &et incorporation
&et stéréotypie &et masochisme &et prise de risque &et
miroir &et regard &et deuil de la chose & et objet a
&et psychose &et refoulement &et signifiant &et
fonction paternelle &et loi des fonctions défensives &et moi
&et pulsion &et chose &etc. Autrement dit, nous avons
essayé de nous justifier. C'est-à-dire que ça n'allait pas de soi de
s'orienter dans les psychoses de l'enfant, l'autisme et les
défaillances cognitives et surtout dans les psychoses en l'occurrence
par les systèmes défensifs, de s'orienter ainsi sans faire très
attention. En somme, je crois que le moyen le plus simple de répondre à
cette question c'est que les fonctions défensives sont abordées dans
leur fonctionnement comme liées à la réponse à ce fantasme, (en
contre-point de celui de Freud "on bat un enfant") , à ce fantasme "on
veut ma perte". Ce "on veut ma perte", ça ne veut pas dire ma mère, ça
veut dire le lieu du grand Autre, Ce lieu est à ce point rempli qu'il
est impossible de laisser quoi que ce soit tomber. C'est de mon
existence même, c'est de ma respiration, c'est de mes fonctions qu'il
va être question dans cette perte.
De même que je considère qu'il est tout à fait licite d'envisager qu'il
y a des fonctions qui peuvent être l'objet d'une forclusion par la
mère, je prends un exemple : Lorsque la mère considère que l'enfant
n'est pas autre chose qu'un prolongement de son corps, les objets
partiels de l'enfant, les selles par exemple, sont celles de la mère,
les urines sont celles de la mère. Cette forclusion de la fonction que
j'appellerai d'excrétion de l'enfant comment va-t-elle se traduire ?
Elle va se traduire par le fait que précisément la mère confisque à
tout moment le fonctionnement de la fonction intestinale de l'enfant ;
sous quelle forme ? En faisant siennes les selles de l'enfant,
c'est-à-dire qu'il y a une confusion entre les objets partiels de
l'enfant et les objets partiels de la mère, pas seulement sous cette
forme mais sous la forme que ce fonctionnement vient à démolir, c'est à
dire à forclore la fonction intestinale de l'enfant, dans la mesure où
celle-ci pourrait être phallicisée. Evidemment, cette attaque à
laquelle cet enfant se trouve confronté ça va se traduire par le fait
que non seulement la mère va faire des prophéties sur la qualité des
selles en question mais une fois les selles émises, elle les supprime.
Au lieu de les admirer, au lieu de les attendre, au lieu de les exiger,
au lieu de les surveiller, elle les supprime. Comment, dès lors
dépeindre le trajet de cet objet ? Comment dès lors ne pas envisager
que la pulsion se trouverait décapitée de l'objet autour duquel elle
tourne puisque cet objet n'est pas autre chose que maternel. C'est en
ce sens qu'il y a forclusion. Il y a forclusion pas seulement sur le
signifiant en tant que tel mais sur ce en quoi la pulsion se trouve
articulée au représentant représentatif de la pulsion, c'est à dire au
signifiant. C'est cette manSuvre qui entraîne quelque chose de l'ordre
du "on veut ma perte" ; en tout cas on veut la perte, là, en
l'occurrence, de ses objets partiels. Evidemment, la fonction défensive
mise en place contre ce rapt, on comprend bien que ce ne soit pas un
mécanisme, on comprend que c'est une fonction défensive parce que c'est
la fonction que la mère s'est appropriée. C'est en quelque sorte la
seule façon, en quoi l'enfant peut se défendre comme sujet, entre
parenthèses, non acéphale de la pulsion, qu'il se défend de ce rapt.
Cette fonction défensive, en somme, à l'analyste de tenter d'en faire
un fonctionnement.
Est-ce qu'il faut que je dise " c'est une psychose ", après quoi, je
peux être tranquille ou bien est-ce qu'il faut que je me dise " ce sont
des mécanismes ", c'est-à-dire des réponses logiques à une défense du
moi auquel cas, je suis rejeté dans le problème précédent. Ou bien
est-ce qu'il s'agit de fonctions défensives, c'est-à-dire qu'elles
peuvent aboutir à un fonctionnement ? C'est-à-dire que de la fonction
psychotique défensive, le travail de l'analyste, ça consiste justement
à en faire un fonctionnement c'est-à-dire à le symboliser, c'est-à-dire
à faire intervenir dans cette fonction quelque chose du sujet.
C'est ça le hic car l'enfant met en place une fonction défensive pour
défendre, je dirais, sa place de sujet .Cette fonction défensive ne
fait que rendre la tâche plus difficile parce que justement il a une
"pétoche" essentielle du signifiant. Si le signifiant lui est fourni
par le thérapeute eh bien à ce moment-là, il va peut-être avoir affaire
à un fonctionnement. A ce moment-là, on ne va plus peut-être parler de
psychotique. L'affect à partir du moment où il est nommé, engage un
transitivisme. Si on ne voit pas les choses de façon transitiviste, on
ne peut pas faire ce pont de la nomination de l'affect, affect qui
serait en attente.
Est-ce que par exemple la fonction défensive qu'on appellera
psychotique, est-ce que ce n'est pas en attente de quelque chose, en
attente justement d'un nom, au même titre que l'affect dans le
transitivisme est en attente d'un signifiant pour pouvoir pleurer dans
le cas du gamin qui se cogne le genou sur le bord de la table ? C'est
ça la question.
J-J. Lepitre : Ca correspond pour moi à une interrogation que j'avais.
Cette défense psychotique, il me semble que par moment tu sembles dire
d'une part que c'est une fonction défensive qui s'oppose à ce qui
serait "on veut ma perte", c'est-à-dire à l'impossibilité d'un écart
symbolique qui permette l'émergence d'un sujet, et d'autre part c'est
une " pétoche" du signifiant, c'est à dire d'une "pétoche" de ce
signifiant même qui le ferait sujet &C'est à dire que cette défense
elle serait des deux côtés ? C'est peut-être ça qui nous est difficile
à entendre.
J. Bergès : à partir du moment où il tente d'acquérir ce statut, il
perd sa mère. C'est dans cette idée que j'ai commencé par l'histoire du
miroir : quand il se retourne vers elle, du même coup il la perd. Il
perd sa mère qui justement ne peut l'envisager que sous la forme de
celui qui est en attente d'être sujet mais dont elle tient toutes les
clés quant à elle. Mais je n'ai pas raccordé, c'est vrai, avec
l'abandon qui en découle : une fois que l'enfant est pris dans son
image, et qu'il se retourne pour prendre à témoin celui qui le porte,
il abandonne, il est bien obligé d'abandonner l'image. Du coup, si la
mère ne vient pas transitiver, si elle ne vient pas symboliser, c'est
grave. Encore faut-il qu'elle soit transitiviste pour pouvoir
symboliser.
C'est ça que je n'ai pas fait comme jonction, c'est que la perte, de
toute façon, elle y est. A partir du moment où je sors du miroir, je
perds mon image et celle de ma mère. A ce moment là, si elle ne prend
pas le relais par du symbolique, c'est l'impasse. Dès lors se mettent
en place des défenses. Je peux choisir la psychotique, je peux choisir
la névrotique, je peux choisir aussi je ne sais pas quoi, je peux
choisir la psychosomatique ; c'est pour cela qu'on dit d'une manière
que j'appellerai classique que les psychotiques ne sont pas passés par
le stade du miroir. Vous voyez pourquoi on dit ça ? On dit pas ça du
tout parce qu'ils ne sont pas passés par le stade miroir, on dit ça
parce que le stade du miroir ne leur a servi à rien.
Je ne suis pas tellement d'accord pour dire que c'est une castration,
je dis que c'est une perte. La psychose c'est la bataille du réel et du
symbolique. Or, il se trouve habituellement qu'elle est placée sous
l'égide de l'imaginaire. Aussitôt nous voici dans l'errance avec les
psychotiques mais ce n'est pas étonnant, on est toujours dans
l'imaginaire, or c'est entre le réel et le symbolique que ça se joue.
On peut donner à fond dans l'imaginaire, ça ne changera rien.
A.Harly : J'aurais une deuxième question à propos du grand Autre. On
pourrait décliner certainement diverses qualifications à propos du
grand Autre, mais l'idée qui serait la plus courante dans le mouvement
lacanien, serait qu'il n'y en ait qu'un. On a cette idée qu'il y aurait
un grand Autre. Or, dans votre livre, vous développez l'idée qu'il y a
deux grand Autres, celui de la mère et de l'enfant. Est-ce que cette
distinction relève d'une nécessité heuristique, ce lieu de l'Autre
pouvant se présenter de différentes manières, se faire valoir sous
différentes actualisations alors que dans son essence il serait unique,
ou bien relève t'elle de l'idée que le lieu de l'Autre est double,
voire multiple ?
J. Bergès : oui, c'est difficile de répondre à ta question. Simplement,
je poserai les choses de la façon suivante : quand je dis la mère est
au lieu du grand Autre, c'est-à-dire que finalement c'est elle qui
parle, c'est elle qui a les mots et c'est elle qui va apprendre à
l'enfant à parler . Quand je dis donc : la mère est au lieu du grand
Autre, est-ce qu'elle est le grand Autre ? Autrement dit, est-ce
qu'elle est l'unique ? Ce qui est sûr c'est que la société est capable
de fabriquer des fonctions psychotiques.