J'ai intitulé l'article que j'ai fait pour le JFP : " Arithmétique du
commencement ". En fait, ce titre, j'y ai pensé suite à une situation
clinique que je vous exposerai tout à l'heure, mais aussi parce qu'il
me semble, c'est mon expérience, elle vaut ce qu'elle vaut, que la
plupart des enfants qui viennent me consulter pour des difficultés
d'apprentissage, sont des enfants qui ont des problèmes, je dirais avec
le " zéro ". Alors on passe souvent un temps à parler du zéro. Le zéro
en tant que s'y jouent plusieurs choses évidemment, en tant que s'y
jouent les questions d'origine comme vous imaginez bien, questions de
naissance, origine du sujet aussi, ce n'est pas la même chose. Aussi en
tant que " zéro " ça renvoie à l'amour, pas seulement à l'amour et à la
scène primitive, mais à ce qu'il y a avant la vie par exemple. Et donc
la question du zéro est extrêmement présente dans toutes ces
difficultés, que ce soit du côté du calcul ou du côté du français; du
côté de la langue écrite ou du calcul, ce n'est pas pareil bien sûr,
mais la question du zéro fait problème justement.
J'ai aussi été très séduit par le titre " que nous apprennent les
enfants qui n'apprennent pas ? ", ça m'a plu d'écrire dans un contexte
pareil, et je vais vous dire pourquoi : parce que je trouve que c'est
un comble ! Des enfants qui n'apprennent pas, vous en connaissez vous
des enfants qui n'apprennent pas ? Ils apprennent tous quelque chose !
Naître c'est vraiment être contraint d'apprendre, il n'est pas possible
de faire autrement, on apprend. Donc des enfants qui n'apprennent pas,
pourtant j'en reçois beaucoup, j'en reçois peut-être un petit peu moins
que ceux qui travaillent en CMPP ou en SSM (soit " Service de Santé
Mentale " en Belgique ). Des enfants qui n'apprennent pas, je trouve ça
vraiment un comble, un oxymoron, c'est d'un clair-obscur cette affaire.
Et donc ça m'a plu parce que les racines de ces difficultés dites
d'apprentissage se retrouvent peut-être dans ces énoncés.
C'est dans ce clair-obscur que m'arrive un certain nombre de demandes
qui sont le plus souvent attachées à un défaut d'idéal : il n'apprend
pas assez bien. Un défaut de quoi ? un défaut par rapport au moi idéal
évidemment. Alors, il présente une série de symptômes, il se présente
volontiers sous une pente déficitaire, symptômes dépendants de son moi
idéal, moi idéal de l'enfant et aussi certainement des parents quand ce
n'est pas aussi des maîtres qui s'en occupent ou de ceux qui sont
appelés à prendre le relais ; défaut par rapport à ce moi idéal
volontiers placé en idéal du moi, un moi idéal volontiers tyrannique.
Je partage assez bien l'idée " de rage d'éduquer ". Symptôme
déficitaire donc chez des enfants en période de latence, je pense qu'on
pourrait faire une autre journée pour des enfants qui ne sont pas en
période de latence, ça vaudrait vraiment la peine de se poser les
questions de : que nous apprennent les ados qui n'apprennent pas, ce
serait tout aussi intéressant. Je n'en parlerai pas aujourd'hui. Des
enfants en période de latence qui sont censés, effectivement censés,
mettre pour un temps le sexuel et ces questions un peu épineuses sur le
côté, ils sont censés les mettre un peu sous réserve. Mais évidemment,
ça ne se passe pas tout à fait comme ça, c'est d'observation courante.
Donc, un psychanalyste peut essayer d'entendre le sens subjectif donc
forcément singulier de la résistance à l'apprentissage. Cependant je
pense qu'il est tout à fait abusif de penser que les troubles de
l'apprentissage constituent un champ homogène qui relèverait de
l'unique domaine de la psychopathologie ; je crois que ce n'est pas
juste. Il faut certes entendre les symptômes de difficultés
d'apprentissage comme des symptômes d'un sujet, mais aussi ceux d'un
système scolaire, peut-être d'une méthode d'apprentissage, peut-être
aussi des Autres réels qu'on appellent les parents, peut-être encore de
tout autre chose ; un symptôme donc, mais de qui ? de quoi ? Cancre et
malade, ce n'est absolument pas synonyme évidemment. Chaque fois il
faut s'interroger : à quel savoir un sujet s'oppose ? ou à quelle
connaissance ? et se demander s'il ne s'agit pas là de quelque chose
qui mérite le plus grand respect au sens d'une ultime protection contre
un engloutissement par ce surmoi archaïque, surmoi idéal en place
d'idéal du moi.
En tant que psychanalyste, je trouve qu'il est juste d'essayer d'en
dire quelque chose. Ces questions m'ont traversé personnellement. C'est
la rencontre d'un " prof ", comme on dit quand on est ado, qui m'a
permis de me dégager quelque peu de l'impératif maternel, quelque peu
archaïque, d'apprentissage. Je me trouvais être performant dans une
série de domaines mais j'avais la curieuse impression que ces domaines
ne m'appartenaient pas, que ce n'était pas les miens ; et une
rencontre, ce n'était pas celle d'un psychanalyste, c'était un
professeur de physique, m'a fait entendre qu'on pouvait se réapproprier
quelque chose de cela. Je ne vous en dirai pas beaucoup plus là-dessus
sinon que ça a un sens subjectif pour moi. Il est donc important de
souligner que ce type de rencontre permet donc parfois de réaménager
les identifications et faciliter une réappropriation d'un champ
sémiotique, d'une " matière " comme le dit le langage scolaire.
Un tout petit mot sur ces questions dans la psychose, pour continuer à
opposer " cancre " et " malade ". On connaît des gens
extraordinairement brillants parce qu'ils ont réinvesti une partie d'un
champ sémiotique comme suppléance peut-être à quelque chose qui était
extrêmement défaillant pour eux. Il y a beaucoup d'exemples très
célèbres dans la littérature analytique et dans la littérature tout
court qui permettent d'entendre que ce réinvestissement
extraordinairement brillant et créatif, peut être entendu comme
l'équivalent d'un symptôme, l'équivalent d'un sinthome dirait Lacan,
l'équivalent de quelque chose qui fait tenir debout.
Toujours est-il qu'il me semble opportun d'envisager non pas les
questions de déficit par rapport à une connaissance mais le rapport que
quelqu'un entretient à l'égard du savoir. N'importe quel système
sémiotique qui est proposé à l'apprentissage va contraindre chaque
sujet à soutenir sa subjectivité dans ce champ là. Et il n'est pas du
tout dit, les exemples sont multiples, que soutenir sa subjectivité
dans tel champ sémiotique ou dans tel autre ou dans telle langue ou
dans telle autre, je pense à la musique par exemple ou à la peinture,
la poésie et aux mathématiques, soutenir sa subjectivité dans tous ces
champs, ce n'est pas exactement la même chose. En d'autres termes, il
faut intégrer des champs sémiotiques nouveaux et pour cela il faut
intégrer de nouvelles manières de penser, il faut consentir à déplacer
certains points cardinaux qui soutenaient jusqu'ici la subjectivité ou
du moins consentir à les mettre en résonance avec les nouveaux axiomes
qui régissent les nouveaux champs. Je soutiens, comme vous le verrez
tout à l'heure que la castration ce n'est pas exactement la même dans
des champs sémiotiques différents. Alors comment fait-on ? Et bien on
essaie de les mettre un peu en perspective. Toujours est-il que les
problèmes commencent à être sérieux à partir du moment où les
contraintes d'un champ viennent nier, dénier, je crois que le mot est
analytiquement juste, viennent dénier les contraintes d'un autre champ.
Non seulement la castration n'est pas la même dans ces champs là, mais
le signifié n'est pas exactement le même. Le réel qui chute chaque fois
dans tous ces champs n'est pas le même non plus ; et donc chaque fois
on est amené à se demander mais comment met-on en perspective tous ces
champs ? Qu'est-ce qui nous permet de le faire ?
Vous savez que classiquement le rapport au savoir est décliné sous 3
modes : identitaire, épistémique et social.
Le rapport identitaire au savoir, je vais très vite là-dessus : c'est
sûr que chaque savoir interroge le sujet sur ce qui le fonde, sur son
origine. Il engage chacun à une relecture de ce qui faisait trace de
son être. L'Suvre d'Elias Canetti le montre à suffisance. C'est à ce
titre que chaque savoir interroge les fondements identitaires.
Le rapport épistémique au savoir : quand on parle du savoir ou de la
connaissance, on en parle souvent comme d'un espèce d'objet à
phagocyter, un objet du côté de la pulsion orale : il faut l'avaler.
Mais elle est loin d'être la seule pulsion intéressée et il me semble
pertinent d'analyser en quoi la grammaire des pulsions intéressée
répond à la grammaire du savoir proposé tant il est vrai que le
refoulement d'une motion pulsionnelle peut entraîner avec elle tout un
champ de connaissance. On va aussi en parler comme d'une technique
d'apprentissage, comme d'une certaine compétence à comprendre.
Le rapport social au savoir : au sens où savoir détermine un groupe
social. On a assez glosé par exemple sur le fait que le savoir
analytique produisait une espèce de groupe social, le groupe des
psychanalystes qui ont leur langue. Mais il en va toujours ainsi : un
savoir détermine dans la rencontre l'impression d'être entendu, d'être
compris par ceux qui le partagent et forment donc une communauté. Le
savoir a une fonction sociale . On cause entre gens qui s'y
connaissent.
Toujours est-il que quand ces différents rapports identitaire,
épistémique et social se mettent à être l'un ou/et l'autre un peu
bancal, on peut se demander si le nouage des 3 ne se met pas à être
défait lui aussi.
Je vais vous présenter 3 situations cliniques qui vont opposer chaque
fois des problèmes d'apprentissage de la lecture, du calcul et de la
langue, avec des thématiques différentes.
La première est l'histoire d'une petite fille, Ophélie. Cette petite
fille vient pour des difficultés de calcul ; elle consulte chez une
collègue qui a fait l'article de JFP avec moi. La maman se plaint de
ceci : Ophélie a besoin qu'on soit près d'elle pour travailler, ce
n'est jamais assez, il faut toujours être " derrière elle ".
La situation est la suivante : madame est divorcée depuis que la petite
fille a 2 ans. Quand elle a 3 ans, elle vit en ménage avec une femme
qui s'appelle Jeanne et puis quand elle a 6 ans, elle prend un concubin
qui s'appelle Bertrand.
Le papa est tout à fait au courant des difficultés scolaires et ne s'en
occupe pas, dit la maman. Jeanne aura une position particulière et
Bertrand, lui est un acharné des apprentissages scolaires, il essaie à
tout prix de faire apprendre Ophélie mais elle ne voit pas cela d'un
bon Sil. Jusque là quoi de plus banal, si ce n'est qu'elle fait une
équation : elle écrit à ma collègue " M+B=cSur ", et lui demande de
deviner : " qu'est-ce que j'écris ? " Et ma collègue de lui répondre,
c'est un peu espiègle : " c'est écrit comme un problème ", et l'enfant
de dire : " pour moi c'est un problème, c'est un problème quand maman a
un amoureux (M = maman et B = Bertrand), elle n'est plus la même avec
moi ". Elle enchaîne qu'à l'école " ce qui ne va pas c'est tout mais
c'est surtout les calculs, je les déteste, je ne les aime pas, je ne
veux pas travailler ". Elle enchaîne sur un autre dessin, " là, ça va
devenir une fleur, regarde bien ", elle fait un J (comme Jeanne
évidemment) et alors ça va devenir une fleur et elle dit : " maman a eu
3 amoureux : mon vrai papa, Jeanne et maintenant Bertrand ".
Ce qui est donc étonnant dans cette affaire là, c'est que voilà une
petite fille qui exprime son embarras subjectif avec des opérations et
des symboles, +, =, donc avec les moyens dont elle dit elle-même " je
les déteste, je ne les supporte pas ". Donc, elle se sert de quelque
chose qu'elle ne veut pas pour dire son embarras subjectif.
Autre petite chose aussi, c'est la maman qui dit : " vous savez madame,
moi, je ne rencontre que des hommes à problèmes, c'est écrit comme un
problème " ; et la petite fille termine un bout de travail en disant :
" l'amour transforme les gens " et note qu'elle commence à parler plus
(+) d'elle et moins (-) d'eux ( 2) . " Maintenant je vais parler un peu
plus de moi : est-ce que : quand on ne sait pas, c'est qu'on oublie ?
La question pour un psychanalyste serait : est-ce que le refoulement et
le fait qu'on ne sait pas c'est pareil ? Est-ce que le refoulement et
l'oubli c'est pareil ? Ce sont tous ces champs là qui sont
entrecroisés. Qu'est-ce qu'elle veut oublier ? Qu'est-ce qu'elle a
refoulé ? Ce qui se passe entre Bertrand et maman ? Sans entrer dans
des interprétations Sdipiennes qui n'avancent à rien, elles sont
inopérantes, il faut tout de même remarquer qu'Ophélie, elle, est aux
prises avec une " Arithmétique du commencement " plutôt compliquée. Il
faudrait en toute rigueur lui dire que 1+1, ça fait 3. Evidemment avec
une arithmétique comme ça, on a " beaucoup de fautes " à l'école comme
on dit à cet âge là.
Deuxième situation clinique que je poserai où les termes vont être un
peu moins Sdipiens. C'est donc une petite fille de 9 ans, Albaz, qui
vient me consulter parce qu'elle est alexique. Elle ne lit absolument
pas. C'est une petite fille albanaise, issue d'une famille qui vivait
très bien intégrée en Belgique. C'était à l'époque où comme vous savez
les Albanais dans l'ex-Yougoslavie ont eu quelques problèmes. Cette
famille est écrasée c'est le cas de le dire par ce qui se passe là-bas.
Cette petite fille vient avec sa maman et me dit qu'elle est persécutée
par des cauchemars. Et voyez-vous ces cauchemars se présentent avec des
lettres, le beau dessin que vous voyez en couleur ce sont des lettres,
c'est le cauchemar de cette charmante enfant. Vous pensez bien que je
lui ai demandé de le dessiner son cauchemar, c'est pas tous les jours
qu'une petite fille alexique, vous dit qu'elle fait des cauchemars qui
sont des lettres. Alors elle les dessine et on a du mal, la maman et
moi à ne pas remarquer que ces lettres sont éminemment des morceaux de
corps. Par contre la petite fille, elle, n'a pas de mal à ne pas le
remarquer. Ça n'a pas l'air d'être inscrit, ça n'a pas l'air de faire
surprise, ça n'a pas l'air d'être inscrit comme un refoulement qui tout
d'un coup apparaît. Ces morceaux de corps vont la renvoyer à plusieurs
choses.
La 1ère chose à laquelle ils renvoient (le papa était aussi présent),
c'est à un accident du père qui conduit les bus à Bruxelles, un
accident qu'il a eu et dans lequel il a été blessé. Il raconte cette
histoire là et la maman enchaîne sur le fait qu'elle est extrêmement
préoccupée de savoir si la famille restée en Albanie était encore
vivante ou pas. Elle n'en a pas de nouvelles, elle peut parfois les
appeler au téléphone, parfois non ; et donc elle ne sait pas, elle est
un peu aux abois.
Au cours de cet entretien là, elle me dira que cette petite fille a une
grande sSur qui vient d'avoir un bébé récemment et qu'elle s'est
consolée de ses difficultés d'exister grâce à la naissance d'Albaz, en
faisant un hiatus vous voyez bien ; elle s'est donc consolée en fait
grâce à la naissance du bébé, de cette petite fille, pas de sa fille.
Cette absence de coupure entre la mère et l'enfant vous la voyez
répétée au bas du 2ème dessin avec des " du & du &du & " .
Il est difficile de ne pas y lire quelque chose d'un transfert parce
que " du & du &du & ", c'est quand même articulable à mon
patronyme.
A partir du 3ème dessin, la maman me dit qu'il y a bien longtemps une
sSur était décédée en Albanie, une sSur plus âgée qu'elle et qui
porte le même nom qu'Albaz. Cette sSur était brillante, alors qu'elle
même est illettrée. C'est sur cette sSur là que la famille pouvait
reposer tout son espoir de réussite et d'ascension sociale.
Pourquoi je vous parle de cette fille là ? Parce qu'il me semble que
quelque chose de maternel n'a pas chuté entre elle et Albaz. On peut
dire assez facilement que " M + B = un cSur ", on peut le lire
facilement sur le mode du refoulement et du retour du refoulé. Mais
ici, je pense que ce n'est pas sur ce mode là, c'est un mode beaucoup
plus holophrasé, un mode où ces lettres ne sont pas au sens propre du
mot du retour du refoulé mais quelque chose de plus archaïque, quelque
chose d'une absence de mots. L'hypothèse que je pose, c'est que cette
maman, quand elle est arrivée en Belgique, elle était alors dans un no
man's land. Elle y est restée beaucoup plus longtemps que le père. Et
je crois qu'Albaz est née dans ce temps de no man's land maternel peu
de temps après l'arrivée en Belgique. Elle nous dit qu'elle est
consolée maintenant de l'angoisse qu'elle a eu de perdre ses parents et
sa famille. Mais quand elle est arrivée en Belgique des années avant,
plus ou moins 9 ans avant, elle s'en est consolée avec la naissance de
cette fille là, Albaz. Elle le dit, il faut la croire, mais on voit
bien qu'il y a un collapsus entre cette époque là et maintenant,
quelque chose qui n'est pas dans le sens du retour du refoulé mais qui
est quelque chose de l'ordre de l'holophrase, donc de 2 choses qui
viennent se concaténer ensemble en ne laissant au sujet que peu
d'espace pour advenir.
Troisième situation clinique, il s'agit d'un petit garçon auquel je dis
alors qu'il monte les marches pour aller dans mon bureau, " ah ! toi tu
parles Portugais ". Je ne comprends pas pourquoi je lui dis ça, enfin
& il parlait avec ses parents et je ne comprenais pas ; je ne
comprends pas le Portugais mais si je puis dire ça en avait la
sonorité. En fait sa maman me répond avec la même sonorité, " non pas
du tout, il parle Français ". La maman parle très mal le Français, le
papa lui, parle à la fois Portugais et Français. Les parents m'ont dit
: " mais ce qu'il vous dit là, ce n'est pas du Portugais ", ce n'est
pas du Français non plus d'ailleurs, c'est quelque chose dont la
sonorité reprend la sonorité de la voix maternelle. C'est tout à fait
frappant, que quelque chose de la voix maternelle soit repris par cet
enfant, je dirai au dépens des paroles, au dépens des mots. J'y
reviendrai.
Au fond, la façon dont j'entends les troubles de l'apprentissage, c'est
ainsi : chez un enfant qui a ces difficultés, il y a d'une part le
savoir inconscient et d'autre part le savoir qui est proposé à cet
enfant. Je me dis : est-ce que le champ symbolique dans lequel un sujet
s'est structuré, dans lequel le refoulement originaire a été opéré,
est-ce qu'il est en contradiction ou non avec le champ logique qui lui
est proposé dans l'apprentissage ? Est-ce que ce champ logique vient
renier, dénier le 1er champ ou bien s'y articuler. Vous entendez
combien la clinique de l'immigration est là tout à fait en filigrane.
Est-ce que ce champ logique est un champ dans lequel le sujet tel qu'il
s'est constitué va trouver place ? Une autre question, c'est ce qui à
mon sens fait défaut dans la plupart de ces situations là, c'est un
opérateur qui fait médiation entre un champ logique et l'autre. C'est
que chaque passage d'un système régi par ses contraintes propres à un
autre système va nécessiter une réactualisation de ce qui a fait
médiation entre les premières inscriptions inconscientes et le champ
proprement linguistique. Il me semble que c'est ça qui se rejoue.
Ces premières inscriptions inconscientes, ce sont des éléments
évidemment langagiers mais aussi éminemment sensoriels, car c'est tout
de même le corps de l'enfant qui est parlé par la mère. Il y a une
dimension de l'image inconsciente du corps dirait Dolto, il y a une
dimension sensorielle à ce symbolique là. On pourrait dire que dans ce
premier moment, l'objet n'est pas tout à fait détaché, il l'est et il
ne l'est pas. Le sens prévaut à la signification par exemple. La
mélodie de la langue vaut autant que ce qui est dit, le rythme etc. Les
passages de ce moment là, à l'autre champ proprement linguistique
nécessitent donc que quelque chose du rythme de la mélodie, de la voix,
chute. Je dois beaucoup à Jean Bergès d'avoir travaillé ça avec lui. On
entend bien que quelque chose doit chuter. Notre système linguistique
nécessite que quelque chose chute de la mère. Les passages dans le
symbolique, dans la linguistique nécessitent que la mère fasse
médiation entre ces deux registres là.
Est-ce qu'on peut dire que les troubles de l'apprentissage sont des
troubles de la traduction ? Ou est-ce que ce sont des troubles de la
transcription ? Ou bien est-ce que ce sont des troubles de la
translittération ?
La traduction c'est le passage d'un système de signes à un autre en
accordant beaucoup d'importance au sens, à la signification.
La transcription, c'est aussi le passage d'un système à un autre et ça
nécessite aussi une perte, mais ce n'est pas exactement pareil ; la
transcription c'est plus du côté d'une sonorité de l'objet que l'accent
est mis et c'est à ce niveau qu'il y aura une chute.
La translittération c'est vraiment la mise en relation d'un signe avec
un autre signe, c'est faire correspondre à chaque signe d'un système
d'écriture un signe dans un autre système.
Alors ma proposition, c'est qu'un trouble de l'apprentissage, c'est un
trouble de ce qui fait médiation. L'appropriation par l'enfant d'un
premier savoir sur la langue, est une étape importante de sa relation
au monde parce qu'elle met en perspective un éprouvé organisé
symboliquement mais c'est un éprouvé qui va devoir s'amenuiser, comme
un effacement si vous voulez, pour pouvoir passer dans un système
proprement linguistique.
Dans le séminaire sur l'identification, Lacan parle de ce figuratif
effacé d'une manière extraordinaire. Il dit qu'au fond, il faut 3 temps
pour faire un signifiant. Le premier temps c'est la trace de pas de
Vendredi sur l'île de Robinson, le deuxième temps c'est que cette trace
devienne " pas " ; quand je ne lis pas je ne sais pas si " pas " nomme
la trace ou " l'absence de pas ". Ce temps nous plonge dans un certain
indécidable, c'est dans cet indécidable que ces enfants restent. Le
troisième temps, consiste en ceci que vous pouvez cette " trace de pas
", l'effacez et vous l'entourez d'un rond par exemple, peu importe et
avec ce sigle là, avec cette écriture là vous pouvez venir écrire la
phonématisation " pas ". Il faut ces 3 temps pour faire un signifiant.
Un signifiant n'est vraiment signifiant dit Lacan, quand il y a ce
rapport à l'écrit et ce rapport au figuratif effacé.
Ce que je suis en train de vous dire avec ces situations cliniques,
c'est que quelque chose de ces premières traces ne chute pas. Que le
signifiant ne soit donc pas effectivement constitué laisse donc ces
enfants dans la difficulté de se mouvoir comme sujet dans le nouveau
champ sémiotique qui leur est proposé. Si vous voulez, dans les
apprentissages de l'écrit, tout va dépendre de l'articulation entre
transmission et apprentissage. La lettre peut bien être le retour du
refoulé c'est le cas le plus fréquent. C'est le cas d'Ophélie où la
lettre est portée par un imaginaire corporel, et cerne le lieu où la
castration versus imaginaire trouve une scène pour se jouer. Mais la
lettre peut être aussi c'est extrêmement fréquent, retour du refoulé
autour du nom propre. Ce qui ne chute pas alors c'est davantage le
regard que la voix. Par contre la lettre peut rester hors toute
articulation où pourrait s'y lire quoique ce soit, c'est plus le cas de
ce petit garçon dont je parlais, c'est à dire qu'il me semble que cette
voix est non perdue parce qu'elle ne l'a pas nommé. Je vais vous en
parler un peu plus.
Vous savez ce petit bonhomme est le deuxième enfant d'une famille
portugaise et le couple s'entend très mal, il y a eu beaucoup de
violence après la naissance du premier enfant et ce deuxième enfant est
l'enfant de la mère, c'est la mère qui le voulait. Le père me dit "
c'est pour elle ", et pendant 2 ans le père ne s'en occupe absolument
pas ; c'est l'enfant de la mère totalement, jusqu'au jour où le père se
bagarre avec le fils aîné dans je ne sais plus quelles circonstances ;
le fils aîné lui échappe des mains, il file et il a un accident de
voiture. Le père réalise à ce moment là que : on pourrait le perdre
aussi ce deuxième enfant. Du coup, ce petit garçon devient non plus
l'enfant de la mère mais l'enfant du père et ce sur un mode extrêmement
maternel, c'est à dire que son papa devient une mère parfaite. Il
l'investit totalement et il n'y a plus de place pour la maman auprès de
cet enfant. Cela n'améliore pas la situation du couple et de la
fratrie. La mère, alors que ce petit garçon a 2 ans, fait une tentative
de suicide. Ce petit garçon est à la maison et c'est lui qui la trouve
sur son lit. Ça c'est l'histoire. Il me semble que c'est assez clair de
voir combien l'investissement de l'un ou l'autre au sens de la
disjonction, c'est au prix d'une mort qu'elle se fait. Inutile de vous
dire que les rapports entre le frère aîné et le petit sont assez
conflictuels. Evidemment quand on doit sa place à la possibilité que
l'autre puisse mourir c'est assez compliqué. Toujours est-il que cet
enfant est actuellement dans une haine infinie de sa maman et qu'il
prétend ne pas entendre quoi que ce soit de la langue grecque, et
pourtant il ne parvient pas à abandonner la musicalité de cette langue.
Il y tient, c'est plus fort que lui, cette voix maternelle au fond il
faudrait que l'enfant puisse en faire le deuil. Mais pour cet enfant là
il n'y a pas de deuil possible de la voix de la mère parce que pour
elle non plus il n'y a pas de deuil possible par rapport à cet enfant.
Ce type de dysfonctionnement de la langue est à mon sens quelque chose
qui ne renvoie pas au retour du refoulé mais qui renvoie en fait à un
ratage de la mise en place d'un refoulement originaire. La mère, par
les effets de cette voix, reste " Toute " : ça ne manque pas. Les
conséquences cliniques de ce que je vous dis là m'apparaissent
extrêmement importantes, bien au delà des interprétations qu'on peut
faire des enjeux Sdipiens qui sont je vous le répète totalement
inefficaces. Il me semble que ces plaintes sont extrêmement difficiles
à faire entendre par ces sujets comme de véritables énonciations. La
grande fille dont je vous ai montrés les deux dessins, a eu beaucoup de
mal à entendre, et à voir ce qu'elle a elle-même dessiné. Cela a
constitué une opération très difficile : littéralement elle ne voit pas
ce dont il s'agit là, pourtant regardez bien les têtes, c'est difficile
de pas les voir, c'est difficile de ne pas voir la petite maison et
puis la tête dans la cave, c'est difficile de ne pas voir aussi qu'il y
a une affaire de cSur, mais elle ne le voit pas. Il n'y a pas ce " eh
! qu'est-ce que j'ai fait ", ou bien " qu'est-ce que j'ai dit ? ".
C'est comme si ce champ des lettres est un champ dans lequel son
énonciation à elle n'a pas place. Le plus compliqué c'est de trouver
avec l'enfant une passe qui lui permette d'inventer avec lui un champ
dans lequel ces enjeux là vont pouvoir se faire entendre, où il va
pouvoir les reconnaître, où il va pouvoir y entendre quelque chose.
Trouver, inventer avec lui quelque chose qui ferait médiation, inventer
avec lui un " pidgin ". Un " pidgin " c'est une langue de contact,
structurée, grammaticalement correcte ; entre deux régions ou deux
langues différentes se côtoient ; et bien il se développe cette langue
on va dire intermédiaires. Ce n'est pas la langue de ce petit garçon
portugais.
Il s'agirait donc d'inventer une langue qui puisse faire retour sur
l'originaire, retour sur les enjeux du refoulement originaire
Dans ce très bon numéro du JFP, il y a un texte de Catherine Mathelin
où elle parle d'une maman actrice ayant adopté un enfant et qui dit : "
mais qu'est-ce je peux lui dire, je ne sais pas moi, je suis actrice,
si le texte n'est pas écrit je ne sais pas parler ". Alors, la mère lui
répète la formule de la DASS pour lui expliquer qu'il a été adopté.
Dire un texte écrit, cela elle sait faire, c'est une actrice
impeccable.
C'est paradigmatique ça, mais ça dit bien qu'au fond ce qui manque
c'est que puisse se rejouer chaque fois ce transitivisme maternel. On
voit bien que cette maman n'est pas transitiviste, pas plus les deux
autres dont j'ai parlé aujourd'hui. Ce transitivisme n'est pas opérant,
et ne permet pas le passage entre un système et un autre. Il faudrait
que la mère puisse parier sur son propre manque " je ne sais pas ce
qu'il veut ", pour lui dire quelque chose et pour tirer cet enfant du
côté du discours, non pas du côté du bon objet. Dans ces situations qui
sont si difficiles, c'est aussi passionnant de travailler avec ces
enfants qui présentent ces difficultés où il faut retrouver quelque
chose qui puisse faire médiation.