Alain HARLY :
Notre attention va se centrer avec cette conférence sur la question de
l'autisme. Comme vous le savez, ce syndrome autistique est un des plus
graves que l'on est amené à rencontrer dans la clinique infantile.
C'est une altération majeure du rapport à l'autre, c'est là ce qui
frappe, et l'on peut dire aussi altération dans le rapport à " soi-même
", mais alors déjà là les guillemets s'imposent puisque cela implique
dans ce " soi-même " déjà un certain type de découpage, de
représentation, de réglage de ce que peut être ce " soi-même ". Il y a
quelque chose qui peut aussi nous saisir, c'est le rapport au corps,
c'est la façon dont un certain nombre de fonctions se trouvent assez
souvent déspécifiées. L'approche de la pulsionalité pourrait nous
conduire sur un certain terrain conceptuel propre à appréhender cette
question de l'autisme.
C'est une pathologie malgré tout assez rare. Malgré la diversité des
approches, ce sur quoi on s'accorde le plus souvent, c'est l'intérêt de
la précocité du diagnostic et alors de la mise en place d'une
thérapeutique, cela semble tout à fait déterminant pour l'évolution. Il
y a un vif intérêt autour de cette clinique, et à différents niveaux.
D'abord pour ceux qui sont amenés à recevoir ces enfants et à
accueillir les familles ; mais aussi intérêt sur le plan théorique ;
vous n'êtes pas sans savoir qu'il y a là des orientations tout à fait
différentes voire contradictoires. Cela peut amener à des relations de
conflit dans certaines institutions, mais çela peut aussi donner lieu,
quand on a plus le souci du réel que le goût du conflit, à de
véritables confrontations, de véritables disputatio, chacun proposant
sa propre théorisation, son propre éclairage et l'ouvrant au débat. De
toute façon, je dirai qu'en tant que scientifique, notre position est
de se soumettre au réel et que c'est là ce qui doit nous réunir. Bien
sûr la manière de découper ce réel, d'essayer de l'attraper peut
diverger. Mais malgré tout, c'est quand même cette position de
soumission au réel où nous nous tenons. Vous savez aussi que cela ne va
pas toujours sans passion. Mais serions nous vivants s'il n'y en avait
point ? Comment est-ce que ce réel va s'articuler au symbolique, c'est
pour nous le débat essentiel, débat qui nous concerne en tant que
praticien et en tant que scientifique.
Pour nous engager dans cette affaire nous avons donc invité
Marie-Christine Laznik qui travaille depuis longtemps sur cette
question. Elle a publié de nombreux articles dans différentes revues,
en autres, dans le Discours Psychanalytique et aussi dans la
Célibataire ; on trouve dans le n°4 un article tout à fait intéressant
: " la théorie lacanienne de la pulsion permettrait de faire avancer la
recherche sur l'autisme ". Et puis il y a son livre publié chez Denoël
en 1995 : " Vers la parole ", qui devient un ouvrage de référence pour
tous les gens qui approchent cette clinique et les questions qu'elle
pose.
Pour discuter avec elle, nous avons invité Béatrice Chaudruc, elle est
pédo-psychiatre et travaille au CMPP de la Vienne, et dans d'autres
structures aussi, mais c'est surtout pour l'intérêt qu'elle a pour
cette clinique que nous l'avons invitée. Je la remercie pour sa
participation à notre travail d'autant que ses références ne sont pas
les miennes, mais pour autant, l'espace d'un dialogue a toujours été
possible et fécond.
Malheureusement le Docteur Joël Uzé qui avait accepté lui aussi de
tenir cette fonction de discutant, ne peut pas être là étant souffrant.
Il nous prie de bien vouloir l'excuser. C'est Jean-Jacques Lepitre qui
a bien voulu venir de Limoges pour participer à cet échange. Il est
psychologue, psychanalyste, vice-président de l'EPCO. Il travaille
aussi bien avec des adultes qu'avec des enfants et nous apportera ses
remarques.
Je vais laisser la parole à Marie-Christine Laznick. Il y aura un petit
film d'une vingtaine de minutes mais auparavant tout un propos
préparatoire.
MC Laznik :
Je vais enchaîner à partir de la façon dont Alain posait les choses qui
me paraissent très intéressantes. Je crois que l'autisme ça ne concerne
pas que ceux qui s'en occupent parce que sinon on ne serait pas très
nombreux en effet, même si aux derniers congrès internationaux j'avais
l'impression que c'était une vraie bourse et que parfois avec les
notions de troubles envahissants du développement se trouvait un nombre
beaucoup plus grand d'enfants mis sous cette étiquette mais même les
nombres les plus grands restent restreints, même du 6 pour 1000 qui
seraient actuellement les audaces les plus grandes sur ceux qui
seraient des vrais autismes primaires, je ne parlerai pas du type
d'autisme secondaire, ça reste une pathologie rare, néanmoins, je crois
que si elle nous intéresse tellement et qu'elle suscite ces débats si
vifs dont vous parlez, c'est peut-être moins parce qu'on se rencontre
entre tenants de la biologie, de la cognition, de la psychanalyse et de
la génétique mais plus parce que ça touche ce qui est l'être humain
lui-même. Par ratage, on se retrouve confronté disons nez à nez avec ce
qui pourrait rater pour constituer chez nous le sujet humain, le sujet
de la parole. Et donc du coup ça concerne, à un niveau très central. Il
me semble que c'est pour cela qu'à un moment donné, mais ce
n'est plus tellement de mode ceux qui s'occupent de psychanalyse se
sont tirés à boulets rouges pour des raisons d'école, par contre, je
trouve que beaucoup plus comme vous le proposiez, ça reste pour moi une
clinique qui nous confronte aux limites de nos propres modèles et je
crois que l'intérêt n'est pas que j'aille convaincre mon collègue
cognitiviste ou généticien des limites de son modèle, c'est que cette
clinique me confronte moi avec les limites de mon modèle et confronte
mon modèle avec les limites du sien. Et c'est là où elle est très
intéressante. Vous disiez que la clinique est reine et que c'est le
réel et cela me faisait penser à cette phrase que Lacan aimait
tellement de Galilée ou Galilée, " mais regardez, regardez, vous avez
une théorie toute bien montée, avec la terre au centre, toutes les
étoiles autour et puis certains calculs mathématiques qui font tenir
ça, mais regardez, il y a des planètes qui n'étaient pas comptées, ça
fout en l'air tout le système ". Et bien je pense que la clinique de
l'autisme fiche en l'air tous les systèmes et fiche en l'air aussi un
certain nombre de systèmes ronronnants des modèles psychanalytiques. Et
l'intérêt n'est pas de jeter le bébé avec l'eau du bain mais c'est de
réinterroger les modèles analytiques à partir des endroits où ils
ratent pour répondre à la question de l'autisme. Et ça c'est pas
confortable du tout. Pour personne. Et ce n'est pas parce que nous
avions un ancêtre moral grâce à Lacan qui était Galilée, que nous ne
nous retrouvons pas en général, quand nous avons un petit système bien
arrangé, comme les orthodoxes du Vatican avaient été furieux parce que
Galilée remettait en cause leur système de pensée. On est des
empêcheurs de tourner en rond quand on arrive avec une clinique qui
remet des modèles en question. Et cette clinique remet des modèles en
question, en particulier quelque chose d'acquis, qui je pense, qui
j'espère dans nos provinces n'est plus non plus de mode, c'était de
croire que, mais je l'ai quand même déjà entendu, Maud Mannoni avait
écrit des choses comme cela, ensuite elle a ré-écrit dix fois qu'elle
avait changé d'idée mais le fait qu'elle l'avait dit la première fois
et la deuxième suffisait, que l'autisme avait quelque chose à voir avec
le désir inconscient mortifère de la mère, c'est une connerie sans nom.
Vraiment je vous assure et que l'on se couvre de honte quand on essaie
de dire des choses comme cela devant des collègues qui travaillent
sérieusement là-dessus. Parce que l'on confond les causes et les
effets. Qu'une mère ait l'air d'une folle quand elle a un môme de trois
ans avec lequel elle vient, voire de deux ans et demi, autiste, c'est
sûr, mais nous serions tous comme cela. Ce qu'on confond, c'est l'état
de destruction de la fonction maternelle par la pathologie de l'enfant,
avec une fonction maternelle qu'on supposerait première et qui aurait
construit cette pathologie. C'est vrai que quand on a ronronné sur des
petits modèles jolis, là on a arrangé : pour la psychose on a la
forclusion du nom du père et pour la névrose on a je ne sais pas quoi
qui tourne mal dans la structure mentale de la mère, écoutez, on n'a
pas envie de lâcher ces modèles non plus. Nous les psychanalystes, on y
tient à nos petits modèles. C'est une gymnastique qui nous oblige à
reconsidérer non pas la psychanalyse, mais que dans telles et telles
situations eh bien le modèle est à revoir, à retravailler et du coup,
il redevient créatif. Parce que sinon, il redevient byzantin mon
modèle, si je le répète partout. C'est vrai que je trouve que cette
clinique, nous oblige à être dans une situation extrêmement
inconfortable, c'est à dire que nos modèles, ils ne peuvent pas être
religieux. Et ça, c'est très intéressant. C'est moins de devenir
cognitiviste pour autant ou psychanalyste pour autant, parce que les
modèles cognitifs ils ont tout autant leurs limites, c'est que ça
ré-interroge les modèles eux-mêmes. C'est ça qui me paraît passionnant.
Vous parliez de la manière de découper le réel qui peut diverger mais
je crois que c'est aussi que nous soyons prêts à nous dire mais en quoi
mon instrument il faut que je le relise autrement, que je le
retravaille, que je le reprenne. Alors le problème principal, si dans
la psychose il est sûrement de l'articulation du réel au symbolique,
par contre, je dirais que dans l'autisme ce qui fait défaut c'est
l'imaginaire. On est dans un système, autant l'imaginaire encombre tous
les névrosés que nous sommes, autant alors là, il fait vraiment défaut.
Et que cela fait des pathologies très graves. On se retrouve avec un
arrimage direct, parfois, du symbolique sur le réel sans aucun espace
imaginaire, et cela nous donne peut-être la possibilité de distinguer
certaines psychoses infantiles mutiques, sans langage, de certaines
structures autistiques, sans langage encore. C'était pour vous dire à
quel point ça me met au travail et un travail que je trouve passionnant
parce que de tempsen temps je pense des choses et je suis obligée de
les repenser cinq ans après autrement et ce n'est pas confortable mais
ça empêche de vieillir intellectuellement, c'est comme les crèmes
anti-rides pour l'esprit.
Par contre je crois aussi que la clinique de l'autisme est une clinique
très intéressante même pour ceux qui n'ont aucune clinique de
psychanalyse d'enfant ou aucune psychanalyse de cas aussi graves et
j'ai un certain nombre de collègues analystes de ma génération qui ont
les mêmes pratiques analytiques que moi qui viennent me voir pour des
supervisions parce qu'ils prennent dans leur cabinet un enfant autiste
et on apprend énormément, parce que justement c'est la clinique de la
limite, c'est la clinique de bord et ça permet d'entendre autrement,
ensuite, et des cliniques d'enfants qui sont tout à fait dans un autre
registre et des cliniques d'adultes aussi. De ce point de vue là, je
pense qu'un patient autiste peut être un grand professeur. En plus, le
défaut de l'imaginaire a comme conséquence que l'autiste n'est
influençable en rien, on ne peut pas l'aliéner, c'est à dire que l'on
est dans un jeu : ou c'est bon ou c'est froid. Et donc quand on leur
propose une hypothèse interprétative qui n'est pas la bonne et bien on
ne risque pas de l'embarquer comme on embarquerait gentiment la
dimension un peu hystérique de quelques névrosés qui partent volontiers
avec nous, et pourquoi pas, dans une construction qu'on pourrait faire,
là, il n'y a aucun danger. Donc je trouve que ce n'est pas que ceux qui
s'occupent d'autisme qui peuvent apprendre et se laisser enseigner par
la clinique de l'autisme.
Par ailleurs, moi j'ai appris, j'apprends beaucoup de choses, j'ai tout
le temps d'impression, je vous dirai l'expression qui me vient tout le
temps, c'est aussi peu confortable que l'Alaska au moment de la
découverte des mines d'or mais je suis tout le temps dans un chantier
en Alaska. On découvre des mines d'or tout le temps, c'est pas très
confortable, c'est " hard ", il fait froid, mais c'est dans un état
d'émerveillement permanent qu'on se trouve parce que j'ai la chance,
maintenant, au bout de trente ans de pratique de l'autisme de voir
enfin un certain nombre de bébés à risque autistique, que je reçois. Et
j'avais toujours cru que je ferais alors de la prévention, ce qui est
complètement faux. J'ai appris que ce n'est pas de la prévention,
j'apprends tous les jours. C'est une pathologie dont les premiers
signes de la maladie sont là, ce sont des enfants malades que je
reçois. Mon plus jeune avait 3 mois et demi, 5 mois, 7 mois et 12 mois
et demi. J'apprends beaucoup de choses sur le réel aussi. J'apprends la
question de la temporalité. Pourquoi à 3 mois et demi ou à 5 mois c'est
plus facile qu'à 7 ou à 9 et pourquoi à 12 et demi, je me heurte déjà
au mur d'un réel. Et j'ai très très envie au point où j'en suis,
d'aller travailler avec de bons neurologues parce que je suis persuadée
que cette temporalité à laquelle je suis confrontée, qui n'est pas du
tout linéaire, c'est à dire que brutalement entre 9 et 12 mois, ça se
ferme et ce n'était pas du tout la même chose entre 3 et 5,cela
correspond vraisemblablement à des choses qui doivent se passer sur le
plan neurologique. Ca laisse rêveur. On a beaucoup réfléchi pendant une
dizaine d'années avec Bergès et Balbo dans des séminaires sur
l'autisme, on était arrivés à l'idée que c'était quand même au départ,
une a-structure, c'est à dire une non mise en place de structure. Sauf,
que ça va se lier par un noeud quatre et ça va se lier de façon d'une
façon extrêmement ferme et figée, dans ce que Bergès aimait bien
appeler et Diatkine aussi, qui était quelqu'un de tout à fait autre
école, il disait : il y a une psychosomatique de l'autisme. C'est
incontournable qu'un enfant non traité de 3 ans, a des éléments
organiques et vous savez que nous avons là des consensus internationaux
actuellement, jusqu'à 3 ans, nous parlons de risque d'autisme. Nous ne
pouvons parler d'autisme, de façon avérée, qu'à 3 ans. Or, à 3 ans,
c'est incontestable que il y a des lésions. La grande discussion est de
savoir, mais ce n'est pas là-dedans que je suis embringuée, si ce que
nous voyons d'organique ensuite apparaître, était cause ou effet. Là
aussi, c'est un peu comme pour les mères. Mais de toute façon, il y
longtemps qu'on sait que cela lèse l'organe. Et la non mise en place
des processus de représentation, des processus d'organisation du lien à
l'autre ne peuvent que mener au ratage de la théorie de l'esprit, ça me
paraît évident, C'est à dire que l'on n'a pas besoin d'être
cognitiviste pour être d'accord, qu'ensuite en terme de ce que nos
collègues appellent la théorie de l'esprit, c'est à dire une non
capacité à se représenter ce que l'autre pense, Evidemment, si je ne
suis pas entré en lien avec cet autre, dès le départ, je ne vais pas
deviner du jour au lendemain comment il fonctionne. Ca ce sont des
rêveries désirantes, c'est qu'est-ce qui était au départ ? Pour moi, de
toute façon, c'est quelque chose avec lequel le bébé est né et je le
pense chaque fois de plus, cela ne veut pas dire pour autant que cela
soit biologique, que ce soit inné. Neuf mois, il se passe beaucoup de
choses, qu'est-ce qui a pu se passer, je n'en sais rien, j'ai
l'humilité de vous dire que je ne sais pas. Et d'ailleurs, j'ai
retravaillé dernièrement un concept qui était très cher à Lacan
pendant, qu'il a largué dans le séminaire 20, donc pendant une
vingtaine d'années, il aimait beaucoup quelque chose qui était
important à l'époque de la scolastique à Paris, du moyen-âge, c'était
la notion de la docte ignorance, c'est à dire d'être capable de se
mettre en position de dire, je ne sais pas. Et c'est fou, ce que ça
déstabilise, que ça permet d'apprendre d'un côté, mais cela n'est pas
confortable. On aime bien savoir, même quand on ne sait pas. L'autisme
nous met tout le temps dans cette position de docte ignorance, nous
sommes obligés de dire : je ne sais pas quelle est l'étiologie de
l'autisme. Et je vais vous dire, cela ne m'empêche pas du tout de
travailler et d'apprendre. Vraisemblablement elle doit être
multi-factorielle selon les cas. Nous savons que ce n'est pas une
maladie génétique, ce n'est pas moi qui le dit, c'est " Arnold Munich
", ce sont des gens tout à fait sérieux, mais y aurait-il demain une
cartographie génétique de gènes de facilitation, de sensibilité, ça ne
changerait rien à mon travail d'analyste, au contraire. Il faudrait
qu'une fois que l'on aurait trouvé la cartographie des gènes de
sensibilité on mette un psychanalyste pour travailler avec la famille
du bébé qui a des gènes de sensibilité parce qu'on pourrait, en
intervenant, comme disent mes petits copains' cognitivistes, sur le
milieu ambiant, faire que ces gènes de sensibilité ne se transforment
pas en pathologie. Donc, de toute façon, mon travail, ça ne le change
pas du tout. Qu'on les trouve ces gènes de sensibilité ou pas, ce n'est
pas cela qui changera. Le milieu ambiant, maintenant nous sommes tous
d'accord, il joue un rôle très important. Baron-Cohen en Angleterre,
qui est l'un des patrons de la recherche cognitive sur les petits
s'échine actuellement à trouver des tests qui puissent les
diagnostiquer le plus tôt possible parce que tout le monde est
d'accord, intervenir sur le milieu ambiant, plus tôt, et bien, cela a
des effets.
Donc, il y a ceux qui, comme moi, rêvent que Lebovici n'avait peut-être
pas tort. Lui disait, jusqu'à sa mort, si on intervient avant 12 mois -
il y tenait à son 12 mois, et bien, on peut renverser le tableau, c'est
à dire que ce tableau qui est là, et je peux vous dire que quand il est
là, il est là,c'est rester 40 minutes devant un bébé que l'on voit au
moins une fois par semaine, qui refuse tout regard, qui ne rentre pas
en relation même quand on a beaucoup de charme et qu'on sait être
charmant et séducteur comme était Lacan avec ses névrosés, et bien
c'est qu'on est vraiment devant un mur. Alors voir que ça se dénoue à 5
mois et que cela ne se dénoue plus à 12 ou moins ! Bien sûr que l'on
peut soigner à 5 ans, à 6 ans, mais avec plus de difficultés. Bien sûr
qu'on a des traitements, dans mon livre, on a des traitements que je
considérais, à l'époque, très précoce, 2 ans-3 ans. Aujourd'hui, je
considère cela très tardif. On fait des sorties de la pathologie
autistique massive mais il reste des séquelles, nous le savons. Cela
n'empêche pas d'aller à l'Université. Cette idée que l'autisme est
nécessairement rélié au déficit, c'est une idée ausi qui court plus
dans les milieux psychanalytiques que dans les milieux cognitivistes.
Nous avons invité " Motron " qui est un des grands patrons du
cognitivisme aux Etats-Unis, au Canada, qui travaille avec " Coupafrit
" et qui est un français et qui a été à l'Ecole Freudienne, c'est quand
même rigolo et qui a abandonné la psychanalyse parce que les modèles
psychanalytiques ne répondaient pas et il est lui devenu complètement
cognitiviste. Ceci dit au bout de 48 heures, il commence à balancer,
alors on ne l'amène pas trop. Et bien, il s'occupe de quoi ? Il
s'occupe des autistes très intelligents. Et bien il y en a à
l'Université. Une des siennes, c'est une autiste qui a 30 et quelques
années, qui est une excellente architecte. Dès qu'elle passe un
concours, c'est elle qui l'a et alors il la voit parce qu'il faut qu'il
étudie sa cognition. Elle lui dit qu'elle en a marre qu'il la voit pour
la cognition, elle voudrait qu'il l'aide parce qu'elle souffre, c'est
lui qui me l'a raconté, et elle se taillade en particulier les bras
avec des lames de rasoir et elle en a vraiment marre de son système
hebdomadaire et elle voudrait qu'il se transforme de nouveau en
analyste. Et elle le pousse comme ça et lui il est là pour étudier les
particularités de la cognition. Alors, il y a un malentendu, selon lui.
Comme quoi, il ne faut pas confondre l'autisme et le déficit. Nous
savons, c'est ce que prétendent les cognitivistes aussi, qu'un enfant
qui parlera avant 4 ans et demi, 5 ans, il n'y a pas de raisons qu'il
soit déficitaire. Et donc, il n'a pas besoin, et même aux Etat-Unis, on
ne le mettra pas dans une école cognitiviste. On ne les met que quand
il y a un déficit. Ca ce sont des choses très importantes pour que l'on
puisse travailler ensemble sans s'embrouiller les pinceaux, ce qui fait
qu'ensuite on peut s'inviter, parler, il n'y a pas de problèmes.
Maintenant, je vais parler en tant que psychanalyste. D'abord, la
première grande surprise que j'ai eue, c'est que, quand on se met à
travailler la psychanalyse avec les bébés, on découvre que les bébés
adorent la psychanalyse. Ce qui a été ma grande surprise. Ils n'ont pas
encore compris qu'il faut avoir l'air de s'en méfier. Et alors, le
grand problème, c'est que quand leur motricité s'améliore vers 8-9
mois, il s'accroche à la porte parce qu'ils ne veulent pas partir, ils
hurlent. Donc, je suis obligée de négocier avec la mère qu'elle ait le
gâteau préféré, le petit truc préféré, le petit truc enrobé de chocolat
pour m'échanger contre le gâteau parce que sinon c'est un peu dur quand
même. Et les mères sont assez contentes d'avoir dans leur proche un
machin qui s'échange contre le psychanalyste ça les remonte un peu. Et
je suis obligée d'expliquer que les bébés adorent les psychanalystes.
Et c'est vrai, de découvrir qu'il y a un espace où on peut jouer le
symbolique, où l'on peut mettre en jeu des choses qui après tout sont
extrêmement pesantes dans le réel de leur petit corps. Parce que les
bébés, vous savez, quand ça souffre, on ne sait jamais s' ils ont mal
au ventre ou s' ils souffrent psychiquement, c'est la même chose pour
eux. Et donc, très vite ils adhèrent et c'est très gratifiant pour des
analystes. Et puis ça bouge très vite, beaucoup plus que les collègues
analystes en analyse. Plus que les mamans aussi. Il y a une petite
Marine qui est un bébé de trois mois et demi, qui est venue parce
qu'elle était déjà, ce qui est rare, un bébé qui avait déjà fixé son
regard au plafond. Elle avait un épistotonos très important, comme ça
en arrière, et son père arrivait encore à capter son regard mais sa
mère pas du tout. Elle allait à la PMI, à Paris. Peut-être que vous
faites ça ici aussi, avant que les mères ne reprennent leur travail, il
y a des groupes qui reçoivent les mères et les bébés dans les PMI pour
faire des groupes d'échange, et la puéricultrice du groupe avait des
difficultés à capter le regard de Marine, elle a donc demandé à une psy
de venir voir Marine et la psy a trouvé qu'elle y arrivait mais que
cela devenait très difficile et elle a donc envoyé la maman qui a
appelé le lendemain d'ailleurs, sans aucune difficulté. La PMI avait
commencé par les envoyer chez un ostéopate parce qu'en effet, il y
avait un hypertonie du haut du buste, très impressionnante. Donc on
l'envoie chez l'ostéopate n'est-ce pas. Et bien Marine, c'est vrai que
vers 9 mois, sa mère me la pose un jour par terre. Je dis ça va ? Elle
dit : Marine, elle ça va, elle ! Bon, la mère jusque là ne s'était pas
trop plainte et puis elle éclate en sanglots quand je lui demande si
elle ça va et du coup, elle m'a demandé de faire un travail pour elle
et elle m'a dit, je vous préviens, je ne ferai pas des progrès aussi
rapides que Marine. C'est vrai, c'est lié à quelque chose du réel de
notre appareil psychique. Nous n'avons pas la même malléabilité.
Maintenant, je vais parler de choses sérieuses. Je suis venue aux bébés
après 30 ans de travail sur les autistes. Je ne fais pas que cela, je
m'occupe aussi d'adultes et je m'occupe de gens comme moi et vous, et
je m'occupe aussi d'enfants tout venant mais je m'étais passionnée par
la clinique de l'autisme puisque c'était une clinique qui résistait et
j'ai donc travaillé dans un hôpital de jour et de nuit dans le début
des années 70. On avait des crédits fabuleux à l'époque, c'était vaches
grasses et on avait instauré un système, on croyait encore quand même
que la fonction parentale y était pour quelque chose et que donc en
séparant l'enfant des parents( on voyait les Béthelénistes rénovés), on
pourrait faire bien mieux, même si on les voyait tous les week-ends,
tous les samedis et qu'on travaillait avec eux aussi. Mais cela n'avait
pas donné grand-chose malgré la passion déployée dans ce service et
malgré le fait qu'il y avait 4 internes. Pour être interne dans notre
service il fallait être les 4 premiers placés de la région parisienne
et cela pendant les 7 années où j'y étais. Il y avait une espèce
d'engouement et de passion. On a essayé de substituer à cet Autre qui
s'était montré défaillant et bien ce n'était pas là du tout la
solution. Et c'est ensuite, j'ai donc pris un an ou deux pour me
remettre de cet échec, que j'ai suivi, le troisième de ces enfants qui
est Mourad, pour ceux qui connaissent, je l'ai toujours en charge, il
est en seconde et il voudrait être professeur de Maths, peut-être pour
des jeunes qui ont des difficultés dit-il, avant il voulait être
médecin, cela a un peu changé. Mais les deux autres, je ne les suis
plus. Ce sont des enfants qui ont gardé des séquelles même si pour deux
d'entre eux, ils ont pu faire des études, l'autre a toujours eu des
difficultés avec l'écriture, elle écrit à l'ordinateur, pas autrement
mais elle je l'ai prise plus tard, et ce qui m'avait frappé, c'était,
déjà à l'époque, que la date de démarrage des traitements était un des
grands facteurs du pronostic. Et nous avons été un certain nombre, il
n'y a pas que moi, quelqu'un comme Geneviève Haag aussi a fait le même
trajet. C'est à dire qu'en partant du traitement des autistes, on s'est
retrouvé s'occupant de bébés, c'est à dire en essayant et de saisir ce
qu'il en est de ce qui pourrait nous permettre de les recevoir plus
tôt. Parce que c'est bien gentil de dire il faudrait les voir avant un
an, encore faut-il qu'ils nous soient envoyés. C'est ce que je vous
disais être ma grande joie, mon Alaska actuelle avec ses mines d'or et
en même temps, j'ai découvert que un certain nombre de pathologies
autres étaient très intéressantes d'être reçues pendant les premiers
mois de vie. Je pourrai vous en citer deux. Les dépressions
essentielles du bébé, j'y pense tout d'un coup...C'est une petite fille
qui avait mis à feu et à sang l'école, la famille et d'autres
environnements. Elle est rentrée dans mon bureau en m'expliquant -
j'étais dans ce bureau depuis 20 ans et je n'avais jamais remarqué -
qu'on pouvait bousiller la moquette avec des gros feutres, arracher les
rideaux, qu'il y avait un mur où il y avait du tissu dessus, ça serait
parfait pour y mettre du feutre et de la pâte à modeler, en quelques
minutes elle m'a expliqué comment elle pouvait détruire mon bureau et
cette enfant, que j'ai prise trois fois par semaine pendant une
année,Elle a fait tellement de progrès, malheureusement qu' on l'a
prise en CP pour sa cinquième année, ce qui était tout à fait contre ma
volonté, je crois qu'il y a eu là quelque chose d'un peu raté au niveau
des parents pour moi, mais elle a fait une évolution qui aurait demandé
à mon avis qu'on puisse stabiliser les choses en plus de temps. C'était
un diable absolu. Elle avait une grand-mère qui est une espèce de Mère
Térésa française et alors évidemment quand la mère la déposait chez
cette grand-mère qui est une sainte de la ville de province dans
laquelle ils vivent, elle était capable d'aller jusqu'au bout de la
sainte, c'est à dire qu'elle mettait tellement en état chaotique la
maison que la sainte arrivait à sa propre limite, ce qui est bien. Et
j'ai pu avoir la vidéo des premiers mois de vie, on travaille beaucoup
avec ce que l'on appelle les films familiaux, des bébés devenus
autistes. Et donc je demande aussi aux enfants d'autre type, c'est bien
de comparer, j'avais demandé aux parents qui m'ont montré la vidéo de
cette enfant toute petite, depuis la maternité, c'était très instructif
parce que c'est un bébé où la mère m'avait tout de suite dit elle a
pleuré pendant un an, sans arrêt. C'était une dépression du bébé. Et
bien, j'ai vu une mère pétrifiée. Elle avait raconté cette
pétrification comme étant liée à la naissance de cette petite fille
Alice. Cette naissance s'était très très mal passée. C'est une mère qui
est pianiste et selon elle, la péridurale n'a pas pris et non seulement
elle a souffert le martyre parce que sa péridurale ne prenait pas mais
elle était l'objet d'une haine hostile de la part de la sage-femme qui
lui disait qu'elle n'avait pas mal puisque la péridurale marchait. Et
donc elle était désavouée dans sa douleur absolument. Sa douleur
n'existait pas. Cette femme est d'une fratrie où le dernier est
peut-être un autiste mais peut-être un encéphalopate. Je l'ai vu dans
les films familiaux, la mère en a parlé, bien sûr, la grand-mère, la
sainte, vit avec ce malade qui a pour tous sons des espèces de euh...
ce qui n'est pas très sympathique, il a 35 ans. Et bien sûr que tous
les autres enfants de la famille, dont la maman d'Alice, ont été d'une
certaine façon sacrifiés à ce petit dernier. Cette mère est pétrifiée,
ce n'est même pas une mater dolorosa, c'est l'île de Pâques. Elle ne
bouge pas et le mari est pétrifié, il filme et ne peut rien dire non
plus. Il ne peut rien dire non plus pendant très longtemps. Bien sûr il
y a de la musique classique partout et puis ce bébé est complètement
différent des bébés que j'ai pu voir et qui sont devenus autistes. Ce
bébé, il scrute, il ne pleure pas tout le temps, il est là et ses
mirettes font bzzz, bzzz, à la recherche de quelqu'un sur qui
s'accrocher. Ceci étant dit, elle a réussi à s'accrocher tant bien que
mal à son père - elle est très séductrice, elle a un espèce de petit
regard vivant comme ça - qui a accepté de répondre mais toute la
journée elle était confrontée tout de même à une mère très déprimée, je
dirai même mélancoliquement déprimée et pas aidée du tout. Cela n'a pas
donné du tout un autisme, cela a donné un bébé que Winnicott appellera,
Winnicott a décrit ce genre d'enfants qui font ce qu'on appelle des
troubles du comportement très graves, il dit c'est l'électrochoc du
pauvre. C'est à dire qu'elle a découvert qu'à un an, probablement, dès
que sa motricité lui a permis, quand elle fichait des trucs en l'air,
cela devait faire sursauter sa mère qui sortait de son état dépressif
pour se mettre en colère. C'est formidable une mère en colère. C'est
vivant, donc elle avait trouvé le truc. Après quoi ça s'est figé,
attaché, ficelé et on s'est retrouvé avec une gosse que l'école
maternelle voulait envoyer en hôpital de jour parce que ce n'était pas
tenable. Voyez, c'est un type de cas que j'aurais aimé voir dans les
premiers mois, et ce n'est pas un autisme. On aurait évité une histoire
épouvantable, une diabolisation de cette petite fille qui pour la
famille elle-même avait pris cette place. Et il y a d'autres structures
qu'on aimerait voir. Ce sont les mêmes que l'on voit de toute façon
après et je pense que pour Alice on aurait pu en quelques consultations
mettre sur pied probablement un travail qui aurait permis à la maman
d'être soignée, d'être aidée et probablement à cette histoire de ne pas
se figer dans cette électrochoc du pauvre qui a failli coûter à Alice
sa scolarité. Je ne sais pas ce qu'elle est devenue. Comme elle a été
prise en CP brillamment, ils ont pensé qu'elle n'avait plus besoin
d'analyse. Elle m'a laissé son petit lapin. Contre l'avis d'Alice et de
moi, les parents ont arrêté de venir au bout d'un an puisqu'elle allait
tellement bien. Il faut dire qu'ils avaient trouvé en Alice, le diable
de service et que je n'étais pas très d'accord. Ce n'était pas très
facile. C'est rare que j'ai des difficultés avec des parents. En
général je m'entends très bien. Alors, cela c'est un type de cas que
j'aimerais beaucoup voir plus tôt et puis, il y a un certain nombre
d'anorexies du bébé qui sont tout à fait intéressantes. J'ai reçu, une
petite Pauline, il n'y a pas longtemps, envoyée par la PMI parce
qu'elle avait à 8 mois un poids de 5 mois et qu'elle avait perdu du
poids, elle avait été hospitalisée 15 jours. Elle reperd du poids et au
lieu de la ré-hospitaliser on nous l'envoie à la consultation
psychanalytique bébé-parents, et je découvre très vite que cette maman
qui me dit ne pas avoir de lien avec son mari parce qu'elle est trop
attachée à sa mère avec qui elle s'entend trop bien, parce qu'elle fera
un lapsus. On va vivre une épopée, je ne peux pas vous raconter tous
mes traitements de bébés. Mais je découvre que cette maman est la fille
d'une très grande anorexique, anorexie qui s'est décompensée à la
naissance de cette petite fille mais qui à mon avis existait avant,
donc nous sommes à trois générations, et j'ai une petite Pauline
anorexique qui vient me voir parce qu'elle ne mange pas à 5 mois. Ce
qui va s'arranger dans les semaines qui suivent pour ce qui est de
Pauline. Ce qui s'arrange moins c'est la place que la maman de Pauline
a occupée auprès de sa mère qui sont des choses qui se dévoilent
beaucoup dans les premiers mois, sa mère étant une très grande
anorexique, son mari l'a quittée au bout de quelques mois après la
naissance de Pauline et ce n'est pas que le mari qui va la quitter,
c'est tout le monde. Oh le lapsus que j'ai fait, après la naissance de
la maman de Pauline. J'ai sauté une génération, ce n'est pas pour rien.
En fait, cette femme va être hospitalisée quand ce bébé aura 6 mois,
bébé-maman de Pauline et en fait elle restera 6 ans chez ses
grands-parents qui pèsent eux plus de 100 kg, voyez comment les
anorexies du bébé cela nous enseigne des choses, évidemment rien de
tout cela n'avait été dit en pédiatrie, ni à l'hospitalisation, ce
n'était pas dicible, et cette petite fille est redonnée à sa maman à
l'âge de 6 ans et elle va vivre au jour le jour avec une mère
anorexique grave qui vraisemblablement se faisait saigner aussi pour se
retrouver dans ces états, cela annonce le syndrome, je ne sais plus
comment cela s'appelle, pour se retrouver dans un état de fragilité
totale où elle flottait. Cette petite fille va s'occuper d'elle jusqu'à
l'âge de 28 ans. On arrive avec un bébé anorexique, à la génération
d'après. Donc, je trouve très intéressant de pouvoir travailler avec
bébé, je ne suis pas très sûre que j'aurais su ces histoires dans
quelques années si on m'amenait cette petite fille plus grande, ce
serait moins souple.
Une fois que je vous ai dit que je trouve très intéressante la clinique
des bébés, je voudrais vous raconter un peu ce que je vais vous montrer
aujourd'hui, ce sont les bases théoriques qui m'ont permis de
développer des hypothèses sur des signes précoces non d'un risque de
cette maladie, mais probablement d'un début de cette maladie qui ne se
confirme pas toujours parce qu'il faut probablement un ensemble de
circonstances pour qu'une maladie aussi gravese confirme et parfois il
y a des rencontres et la maladie ne se développe pas complètement.
Je vais vous raconter en une demi heure ce que nous racontons aux
médecins de PMI pendant trois fois 8 heures. Cela va être un peu
résumé. Nous avons effectivement, nous développons en France
actuellement une recherche, ça s'appelle Formation-Action-Recherche,
avec les PMI, au niveau des Directions de département, nous
n'intervenons pas localement, nous n'intervenons que quand tout un
département est d'accord pour une intervention et avec les
intersecteurs de pédopsychiatrie des départements concernés et pendant
trois journées de 8 heures, nous formons, par groupe de 20, des
médecins de PMI au diagnostic précoce de ces risques ou de ces débuts
de pathologie et les hypothèses sont celles que je vais vous exposer.
On a 8 heures pour faire cette partie des hypothèses de signes.
Personnellement, la démarche qui m'a menée à ces hypothèses que vous
avez eues sur la feuille de présentation comme étant le ratage du
troisième temps du circuit pulsionnel, vous imaginez bien qu'aux
médecins de PMI on traduit tout ça, c'est tout à fait traductible
cliniquement et bien,car elles sont venues de la clinique elle-même.
Pour ce qui en est de cette question des trois temps du circuit
pulsionnel c'est venu même d'une petite fille Peul, de 5 ans, tout à
fait autiste, sans langage. C'est une collègue à moi Nora Scheinberg
qui est à la Société Psychanalytique de Paris et travaille avec
nous,qui la suivait en analyse et que j'avais la chance d'écouter, ce
qu'on appelle la supervision. Cette petite fille Peul, prenait dans la
salle d'attente systématiquement des revues parents et elle insistait,
parce vous savez, nous les analystes, nous sommes un peu durs de la
feuille et de l'oeil, donc il faut que les enfants soient têtus. Elle
insistait à présenter toujours la même publicité qu'elle gribouillait
dans tous les sens possibles et qui nous a fait beaucoup réfléchir.
C'était une petite fille qui n'avait pas eu de regard, qui en fait
n'était pas regardable comme étant Peul, puisqu'étant très bizarre bébé
elle n'avait pas été marquée des scarifications d'appartenance à son
ethnie, donc on ne pouvait pas la voir comme Peul, et qui avait donc
commencé à regarder pendant son traitement, à l'âge de 5 ans. Et cette
petite fille était fascinée par une image - non seulement elle
dessinait ce qu'il fallait qu'on voit dans l'image, mais les pointillés
pour qu'on voit ce qu'il fallait regarder - Et puis au bout de quelques
mois, nous avons quand même fini par comprendre, en s'y mettant à deux.
C'était les couches Pampers, et donc il y avait une maman qui changeait
un bébé de quelques mois qui était allongé sur le dos, et ce bébé
mettait son pied dans la bouche de la maman, la maman faisait umh, umh.
On n'entend pas le son dans la revue mais c'était très clair. Et le
bébé était absolument enchanté, de l'enchantement, la joye médiévale,
qu'il suscitait dans le visage de sa mère et je pense dans la voix de
sa mère, c'est pour cela que j'ai sonorisé l'image qui ne l'est pas.
Alors, au cas, où l'on n'avait pas compris, il y avait les yeux du
bébé, les yeux de la maman, la bouche de la maman, le pied du bébé, le
tout avec des traits reliants parce qu'il faut quand même leur faire
leur pédagogie à ces psy. Et j'ai pris très longtemps pour remarquer
parce que je me suis remise à travailler la théorie de la pulsion, que
le se faire sucer, ce que faisait ce bébé, était déjà dans le séminaire
X1 signalé par Lacan comme le troisième temps du circuit pulsionnel
oral. Sauf, que je ne l'avais pas remarqué et je peux vous dire qu'il
n'y avait pas beaucoup de copains qui l'avaient remarqué non plus.
Parce que quand j'ai sorti ça la première fois, je peux vous dire qu'il
y a eu une de ces levées de boucliers parce que ce n'était pas cela que
l'on était habitué à penser donc il ne faut pas le penser. Encore
heureux que la petite Peul poussait de l'autre côté. Donc, que nous
enseignait-elle ? Que ce qui est manquant chez un enfant autiste c'est
l'expérience d'avoir été l'objet de la jouissance de l'autre. Pourquoi
je parle de jouissance de l'autre. Ca c'est Lacan qui en parle comme
cela dans le séminaire XI. Il dit au troisième temps du circuit
pulsionnel, le " ich " vient crocheter la jouissance qui répond dans le
champ de l'autre. Je suis très malheureuse parce que comme tous les
lacaniens, j'aime gribouiller et il n'y a pas de tableau. Je leur fais
le graphe du désir à mes pédiatres de PMI, vous savez. Alors je ne peux
même pas le faire ici, je suis très malheureuse. Parce que cela peut se
montrer très bien sur le graphe du désir. Je leur fais aussi autre
chose, je leur dis, vous savez il y avait un Monsieur qui s'appelait
Freud et bien, en 1915, il avait écrit un texte sur la pulsion. Ce qui
était intéressant c'est qu'il disait bien qu'il fallait changer ce
premier travail sur la pulsion et plus, on a un Monsieur qui s'appelait
Lacan et il a beaucoup changé cela, en particulier il fallait pour
qu'il puisse vous l'enseigner de façon utile, séparer la pulsion du
besoin. Ce qu'il a fait dans le séminaire XI. Pourquoi c'est important
? Parce que pour dire que quelque chose rate au niveau de la
pulsionalité d'un bébé, il faut encore que je puisse dire cela en
séparant complètement l'instinct de vie, la capacité que ce bébé a de
manger, de grandir, d'avoir une courbe de poids sublime et quelque
chose qui n'a rien à voir avec le besoin et qui va s'appeler pulsion.
L'Ecole anglo-saxonne même psychanalytique a une énorme difficulté avec
cela parce qu'ils n'ont pas fait cette séparation qui pourtant est
faite même chez Laplanche. Elle est acquise dans l'Ecole française, il
n'y a pas que chez les lacaniens. Cela veut dire qu'un bébé peut être
magnifique et la grande majorité des bébés qui vont devenir autistes
dans les beaux milieux, sont magnifiques, il ne faut pas rêver. A la
date d'aujourd'hui, j'ai du voir 34 films de tous petits bébés, filmés
par leur famille, qui plus tard ont été diagnostiqués pour autisme et
qu'on a filmés, sans savoir du tout qu'ils deviendraient un jour
autistes, et bien pour la grande majorité, ce sont de très beaux bébés.
Vous en verrez un, Marco, aujourd'hui. Si donc se confondait la pulsion
et le besoin, je ne m'en sortais pas. Mais si je laisse la pulsion du
côté de quelque chose qui tourne et dont la satisfaction consiste à
tourner entre plusieurs positions et non pas à trouver l'objet de la
satisfaction du besoin, je vais pouvoir me dire mais ce bébé se
développe magnifiquement, ce bébé a une superbe courbe de poids et
néanmoins, il va falloir que moi, le médecin de PMI, je téléphone à mon
collègue du CMPP qui a une consultation bébé pour lui dire et bien
écoutez il y a un bébé là qui m'inquiète beaucoup, mais il est
magnifique. Parce que au début, nous n'avons vu que les bébés qui
avaient la chance d'avoir fait un truc organique en plus. Ceux-là, on
les envoyait au CAMS. Alors on avait quelque chance de les voir. Ou
alors ils allaient à l'hôpital et les pédiatres hospitaliers, pour
certains, étaient formés. Mais si le bébé avait la malchance d'être
magnifique, il était foutu. C'est quand même un peu embêtant. Donc
premier intérêt de la théorie lacanienne de la pulsion.
Le deuxième intérêt c'est que Lacan fait remarquer quelque chose qui
pourtant était écrit chez Freud, je ne parlerai pas ici de tous les
éléments de la pulsion, vous aurez le temps de le faire tranquillement
régionalement. Ce qui est intéressant c'est de remarquer que un des
éléments, que Lacan va développer dans son séminaire des quatre
concepts, c'est que la pulsion c'est au fond un circuit qui se parcourt
entre divers temps, il se parcourt plein de fois, cela pourrait faire
comme ça, comme un ressort, si on devait le dessiner, et cela passe par
trois positions, que Freud avait décrites. Une position active, une
position dite réflexive et une position dite passive par Freud. Cette
position active pour les pulsions qui concernent le bébé.'ce n'est pas
la pulsion anale, cela sera plus tard qu'on pourrait refuser de faire
le caca dans le pot. Les pulsions génitales aussi, c'est bien plus
tard. Même les pulsions sadiques-masochiques, le besoin en crèche
d'aller pousser le copain ou de se faire mordre apparaissent plus tard,
avec une motricité plus développée. Qu'est-ce qu'il me reste ? Il me
reste trois types de pulsions passionnantes dont deux sont déjà
freudiennes : regarder-être regardé, c'était une de celle qu'il avait
développée dans son texte " Pulsions et destin des pulsions ", et
l'autre qui est la pulsion orale. Alors ça, cela concerne tous les
pédiatres. En maternologie, comme ils disent, tout le monde est
intéressé par ces questions. Et la troisième, c'est la pulsion
invoquante, trouvée par Lacan, c'est mon " dada " actuel. C'est la
question de la voix, mais je vous en parlerai peut-être après le film.
Donc ce qui serait intéressant, cela serait de trouver ces trois temps
dans les pulsions qui concernent mon bébé puisqu'après cela est trop
tard pour intervenir sans séquelle. On peut intervenir, mais il y a des
séquelles.
Donc, le regardé-être regardé, comment cela se jouerait en trois temps
? C'est très facile à penser. Le premier temps c'est regarder. Un petit
bébé qui va bien, à 40 minutes, il regarde. Avant 40 minutes, on ne
laisse pas filmer, c'est pour cela que l'on ne sait pas. Quand je dis
filmer ou que je me réfère à de la recherche, mes points d'appui ce
sont les psycho-linguistes. Ce ne sont pas des cognitivistes, cela les
met en colère quand on les traite de cognitivistes parce que pour eux,
la " motion ", l'intérêt pour l'autre est premier par rapport à la
cognition. Alors, selon que l'on met la cognition avant, ou le motif,
l'intérêt pour l'autre avant l'on est ou non cognitiviste. Mais ce sont
des chercheurs. Et un de mes grands interlocuteurs est Colwin
Trebarten. C'est un Monsieur très important, il n'est pas du tout
psychanalyste. C'est lui qui a permis de faire dire à Frances Tustin,
je m'étais trompée, j'avais cru qu'il y avait un autisme chez tout le
monde, chez tout bébé, un autisme normal. Il faut dire que quand on lit
les textes sur l'auto-érotisme de Freud ou les textes de Ferenczy, on
comprend comment on tombe là-dedans, tant qu'on croit à un
auto-érotisme inné, qui n'est pas pris dans l'autre, on ne peut que se
retrouver sur un autisme et je ferme ma parenthèse parce que je n'ai
pas le temps de la développer. C'est donc Trebarten qui m'a fait
comprendre. Il a secoué le cocotier de la Tavishtok Clinic et je vous
préviens que nos kleiniens vont devenir Lacaniens. Ils se sont mis tous
à penser que l'écoute précède le regard, vous vous rendez compte ! Pour
ceux que ça intéresse, il y a un Colloque avec Trebarten et la
Directrice de la Tavishtok Clinic qui est Anne Alvarez et moi-même à
Paris, le 22 et le 23 mai, cela va chauffer. Mais elle est complètement
prise là-dedans, c'est une femme qui sait se remettre en cause. Elle
est tout à fait Galiléenne. Elle peut remettre toutes ses théories en
cause. C'est une des grandes spécialistes de l'autisme dans le milieu
anglo-saxon, donc, au Centre Alfred Binet, où je travaille, nous
faisons un colloque. Je ne pensais pas du tout vous faire une page
publicitaire mais cela me vient associativement.
Donc le regard, c'est regarder. Deuxièmement c'est se regarder. Les
bébés qui sont en train de regarder leurs petites mains, leurs petits
pieds, tout le monde les a déjà vus. Et la troisième c'est se faire
regarder. Alors là, deuxième apport lacanien, le temps passif, il est
quand même un drôle de temps passif, parce que en effet le " ich ", je
ne dis pas le moi, pour ne pas que l'on se confonde, un bébé de 6 mois,
je ne vais pas dire qu'il a un moi. Ce bébé, son troisième temps est
quand même éminemment actif. Par exemple, se faire regarder, bien sûr,
on a l'exhibitionniste. Pour se faire regarder, il nous ouvre sa
braguette, c'est quand même actif comme forme de se faire regarder mais
nous avons nos petits exhibitionnistes normaux qui ne sont pas du tout
des pervers et qui jouent de leur exhibitionnisme. Essayez de dire à
une petite fille de 18 mois qui tient bien sur ses deux jambes déjà,
que sa robe est jolie et vous avez 95% de chances de voir la culotte. "
Ça te plait de me regarder, je t'en montre plus ". Je me fais regarder.
Et puis vous avez, si c'est un garçon, vous aurez, si vous vous occupez
trop de vos invités dans le salon vous avez quelqu'un qui déboule le
zizi à l'air " maman j'ai fini ". Façon de faire rire toute
l'assemblée. C'est se faire regarder. Et puis, le tobogan : si on monte
sur le haut d'un tobogan, c'est bien pour crier : " regarde, maman ! ".
Et ensuite, évidemment la sublimation rentre en jeu, et ce ne sont plus
des parties de corps ou le corps tout entier, c'est le dessin, "
regarde maman ce que je t'ai dessiné ! ". Les cognitivistes vont s'en
mêler aussi et c'est intéressant parce que cette histoire du regard et
la capacité de vouloir se faire regarder ou donner quelque chose au
regard de l'autre est un des items que Baron-Cohen qui est un des chefs
de l'Ecole cognitiviste anglaise a validé pour le " tchat " qui est
donc le test validé sur 16 000 bébés en Angleterre, pour, à 18 mois
savoir, quels sont les bébés qui vont devenir autistes. Et les bébés
qui ratent ces deux questions, deviendront nécessai-rement autistes si
on ne fait rien à 3 ans. Il n'y a pas de faux positif. C'est à dire que
si on rate, on devient autiste. Les deux questions que j'adore qui ont
été faites par les cognitivistes, elles ont un aspect cognitif. Je vous
le dis en " cognitivais ", parce qu'ils parlent de cette manière, il
n'y a pas que nous qui parlons lacanais. Cela s'appelle le pointage
proto-déclaratif, avec ça on va loin. Ca veut dire : est-ce qu'un bébé
de 18 mois est capable d'aller montrer un joli ballon rouge, un
nounours, ou un joli tableau à sa maman en pointant avec son petit
doigt. Mais c'est déclaratif et non impératif, parce que si c'était
l'objet du besoin, ils ne savent pas que l'on a divisé le besoin de la
pulsion, mais ils le font, si c'était une banane ou un petit suisse ou
le biberon, cela ne vaut pas parce qu'à ce moment-là, c'est
proto-impératif. C'est passionnant, parce que ce n'est pas l'objet de
la satisfaction du besoin, c'est un objet de la pulsion. Alors, ils
sont très embêtés parce que toutes les fois qu'un bébé ne montre pas
l'objet à 18 mois, c'est fichu, il va nous faire un autisme à 3 ans.
Néanmoins, il y en a quelques uns qui le montrent et ils deviennent
autistes quand même. Alors cela leur fait s'arracher tous les cheveux
de la tête. Et pourtant, ils ont fait un film pour enseigner les
médecins à passer ce test, dans lequel il y a la réponse. Dans ce film,
on voit un bébé qui réussit la question. Qu'est-ce qu'on voit ? On voit
un petit bébé de 18 mois, qui est dans les bras de sa maman et puis il
montre le nounours ou l'objet joli. Qu'est-ce que fait une maman d'un
enfant de 18 mois qui lui montre un joli objet ? " Oh, mais c'est beau
mon chéri ! ". Elle est dans la joye, elle est dans la jouissance. Et
le bébé, qu'est-ce qu'il fait, il regarde le visage de sa mère pour
voir. Voyez les cours que j'ai pris avec ma petite Peul, c'est elle qui
peut corriger les cognitivistes. C'est que ce qui est intéressant c'est
de voir si quand je lui montre ça, ça la botte ma mère, ça la fait
bicher, c'est à dire si elle est dans la jouissance. C'est à dire que
l'objet que j'ai offert à son regard a été un objet de jouissance pour
elle du regard. Ensuite, je ferai les dessins. " Ce que c'est beau mon
chéri, il faut le mettre au mur ", on continue la même chose. C'est ça
que je n'arrive pas à leur faire comprendre, qu' il suffirait qu'ils
prennent au sérieux le film qu'ils ont fait, c'est à dire qu'ils
rajoutent : est-ce que quand le bébé a montré, il regarde sa maman pour
voir si elle sourit et si ça l'intéresse. Parce qu'évidemment à
l'enfant très intelligent de 18 mois, " montre l'objet à ta mère ! ",
il le fait immédiatement, il a compris la consigne mais il s'en fiche
de sa jouissance. Et c'est là où nous, les analystes, on pourrait
donner un petit coup de main au test, que par ailleurs, nous analystes,
utilisons pour tous nos bébés.
Donc vous voyez comment la cognition pour moi, s'appuie sur la pulsion.
Et c'est ce qui est intéressant. Le problème c'est que l'on ne peut pas
rajeunir ce test beaucoup parce qu'à 9 mois, on peut le faire mais
c'est très rare. Montrer un objet pour voir si ça console maman ou si
maman elle aime bien. La petite Marine, qui était en risque d'autisme,
qui avait certainement une précocité propre à ces enfants, quand le
jour où sa mère a pleuré, quand elle a dit Marine elle, elle va très
bien, et qu'elle a éclaté en sanglots, la petite Marine qui travaillait
depuis 3 mois et demi avec moi, a été à quatre pattes vers sa mère, lui
a tendu ses petits bras, la mère l'a prise, elle a tendrement enlacé sa
maman, mais cela n'a pas suffit. Il y a dans ce bureau où je les
recevais, un mobile magnifique en couleur, au plafond et chaque fois
que Marine pleurait, au moment de partir par exemple, sa maman lui
montrait le mobile, ne pleure pas Marine, regarde comme il est beau !
Et c'est comme ça que l'on console un bébé, en leur montrant un bel
objet, et que fait Marine devant sa maman qui pleure pour la première
fois devant elle. Elle lui pointe l'objet : " regarde maman le bel
objet, ne pleure pas ". Alors la mère dit : c'est extraordinaire ce que
ma fille fait mais je ne peux pas lui demander à 9 mois de s'occuper de
sa mère, et c'est pour cela qu'elle me demande que je la vois. Mais, à
part des exceptions, a 9 mois, il n'y a pas le pointage
proto-déclaratif. Donc il y a les limites réelles de pouvoir rajeunir
ce test. Alors moi, j'ai ce problème compliqué, qui est en effet, ce
n'est pas si évident que cela de repérer si un bébé se fait regarder ou
si simplement il regarde. Si ce troisième temps est inclus. Vous avez
des bébés qui vont très bien. Prenez un bébé avec qui vous êtes en
dialogue, en proto-conversation, comme disent les proto-linguistes.
Vous savez ils font " are " on dit : mais oui mon bébé tu me dis ça
etc... Vous en verrez dans le film. Lacan ne savait pas un truc
terrible que l'on a appris, c'est que c'est encore plus fou qu'il
croyait, l'histoire du langage. C'est que ce n'est pas que quand on
devient grand on dit je pour ce que la mère disait en tu ou en il c'est
que la mère disait déjà je en parlant à la place de bébé. Je fais une
parenthèse, je suis sortie de l'autisme, je parle de tous les bébés, je
parle des recherches des psycho-linguistes qui s'en fichent de nous
mais dont on peut profiter pour apprendre, et bien un bébé et une mère
qui vont bien, entre 6 et 12 semaines, ont des conversations à ne plus
en finir. Le bébé fait " gue, re, tre, " et la mère dit, dans ce que
l'on appelle les tours de paroles, " oh, maman je t'aime " ou " ah,
maman j'ai faim ". Alors la maman répond puisqu'elle lui a parlé : "
mais dit bébé tu as mangé il y a une heure et demie, tu es un gros
vorace, non j'ai faim, oh, ta vraie maman elle est toujours en retard,
je m'excuse mon bébé, j'arrive avec ton biberon ". Il y a toute cette
discussion. Et les phrases que l'on reprendra à 2 ans, c'étaient les
mêmes que l'on avait entendues. Le degré d'aliénation est incroyable,
il n'y a même pas besoin d'inverser, c'est encore plus fou notre prise
dans le langage de l'autre. Ca c'était une petite parenthèse.
Un bébé normal avec qui vous êtes en proto-conversation, si vous parlez
à un adulte et si donc vous vous déviez de lui, qu'est-ce qu'il va
faire le bébé qui va bien, mais il faut qu'il aille très bien, il va se
mettre à faire " euh, euh, " que tout le monde traduit par regarde moi.
Ils ont l'art de capter le regard pour qu'on les regarde. Ce sont les
fameuses scènes autour des berceaux, ce qui va donner après la fameuse
histoire d'Augustin, avec son " invidia ", être le centre de tous ces
regards. C'est quelque chose de tellement important. Quand on est un
peu plus grand et que la mère arrive avec le couffin et que tout le
monde dit oh !le beau bébé... il en rajoute. Donc il y a ce troisième
temps qui est le se faire regarder, qui est un temps passif mais pas si
passif que cela. Bien sûr, que son activité, c'est pour cela que j'ai
commencé par le tobogan, par les robes relevées, que plus l'activité du
bébé se déploie, plus on verra que le se faire regarder est un temps
passif, pour dire Freudien, mais éminemment actif. Chez le tout petit
bébé c'est plus subtil. Il y a des petits appels de voix. Ce qui m'a
intéressée c'était de découvrir dans l'autre pulsion passionnante qui
est la pulsion orale, comment était son troisième temps. Et c'est là où
le cours de la petite Peule nous a servi. Si le premier temps oral est
aller vers le biberon ou le sein pour se l'approprier, ce que tout le
monde en maternité regarde, les bébés sont signalés à la PMI qui fait
tout de suite une visite à domicile si leur premier temps de la pulsion
orale marche mal. Deuxième temps, que tout le monde avait appelé
auto-érotisme un peu trop vite est le temps de ce qu'en fait le bébé
prenne une partie de son propre corps comme objet, c'est ce que Freud
nous disait déjà. Là, c'est évidemment la tétine ou le doigt, qui
servent comme objets auto-érotiques, tout à fait importants, néanmoins,
cela n'est auto-érotique, et c'est pour cela que je ne crois pas à un
auto-érotisme inné, que si vient s'inscrire le troisième temps avec
tout le travail sur le pôle hallucinatoire de satisfaction. Et ce
troisième temps c'est lequel ? C'est le temps du " se faire ", se faire
quoi ? Si c'est sucer, se sucer, se faire sucer. Evidemment, nous
sommes-là devant quelque chose qui ne peut se jouer que dans le faire
semblant, très cher aux cognitivistes, la mère ne suce pas pour de vrai
son bébé, elle joue. Elle fait semblant. Elle ne tête pas, elle ne le
mange pas, elle fait semblant. Mais qu'est-ce qu'elle dit dans le jeu
du faire semblant, le bébé lui met le pied dans la bouche : " oh mais
qu'est-ce qu'il est bon ce petit pied ! " et vous entendrez une maman
le dire tout à fait spontanément dans le film, " on en mangerait du
bébé comme ça ". A deux conditions pour que l'on ne soit pas dans la
folie. La première c'est que c'est pour du semblant et nous allons
tomber sur le deuxième item du tchat, et la deuxième chose c'est que la
mère sache qu'au moment où elle jouit, parce qu'il n'y a rien de plus
jouissif qu'un petit bébé qui sent bon après son bain et qui nous offre
petit pied ou petite main, il faut que la mère soit lacanienne à ce
moment-là, elle a lu le séminaire XI et elle a lu que la jouissance de
l'autre est interdite au sujet. Oui, elles l'ont lu, parce qu'elles
font un tout petit bisou sur le pied du bébé et elles disent oh la la,
je vais t'exciter trop. Parce qu'évidemment le bébé il réagit à la
jouissance de la mère, il en rajoute, il s'excite, et les mères non
psychotisantes, ça n'a rien à voir avec la question de l'autisme tout
ça, et bien elles s'arrêtent, au nom du père, au nom du pédiatre, au
nom du médecin de PMI. On va s'arrêter parce que sinon tu vas t'exciter
comme une puce et après tu dormiras mal et je vais me faire engueuler.
C'est à dire que la mère sait que ce n'est pas son jouet. Donc elle
sait, on occupe la place du Grand Autre mais la jouissance du grand
Autre est interdite au sujet et que l'on est que le sujet. Voilà, ça se
traduit en langue simple, il ne faut pas que j'excite trop mon bébé.
Et bien en 35 ou 37 films de bébés devenus autistes que j'ai vus, cette
scène n'a jamais lieu. Et ce n'est pas du fait de la mère. C'est ça qui
est intéressant. Parce que souvent cette scène commence, pour ceux qui
l'ont vécue, c'est qu'en général, c'est surtout après le bain, ce sont
des moments très érotiques sur le lit des parents, et bien c'est que la
maman elle commence par faire un petit bisou, délicat sur le pied. Moi,
ce qui m'intéresse, ce n'est pas qu'elle fasse un petit bisou sur le
pied ou sur le ventre, les mères des bébés qui vont devenir autistes le
font aussi. C'est que Monsieur ou Madame, se fasse, elle, lui, l'objet
de l'autre. Ce n'est pas du tout la même chose. C'est à dire que cela
soit le bébé qui aille offrir son petit pied, que l'initiative qu'il
ré-initialise, son mouvement. Alors vous me direz que quand ils sont
tous petits, les pieds et les mains cela ne va pas vers la bouche de la
maman, c'est évident , il y a un problème de maturation. Et bien un
bébé qui va bien, vous n'avez même pas fini de le poser, à poil, sur la
table à langer, ça frétille. Qu'est-ce que je fais, je fais la danse du
ventre. Et en général même les pères, je ne sais pas si les grand-pères
craquent, mais les pères craquent. Cette chose qui frétille devant, on
a envie de lui faire un bisou sur le ventre. On s'arrête quand même au
bout d'un certain temps en se disant, quand même, ça sent trop bon. Ca
a trop bon goût, c'est suspect. Donc, il faut que l'on s'arrête de
jouir mais le bébé, lui, il ne sait pas, il s'offre. Ca c'est le
troisième temps du circuit pulsionnel. Et bien ces bébés qui sont
devenus autistes, ce qu'ils avaient de différent de tous les autres
c'est que jamais, même quand leur maman leur faisait des bisous sur le
ventre ils ne ré-initialisaient eux le mouvement d'aller se donner à
manger à leur maman. C'est à dire, qu'à aucun moment, ils ne
s'intéressaient à crocheter quoi, sinon la pulsion orale de leur mère.
Parce que quand une maman dit " umh, mais qu'est-ce qu'il est bon ,
c'est une petite noix de coco ", ce sont toujours des petites
métaphores sucrées, " c'est un petit bonbon au miel ". Et bien c'est
une jouissance orale. Même si l'on s'arrête, on entend cela. Le propre
du sujet c'est d'occuper la place de l'autre, de repérer la jouissance
et puis de s'en retirer. Comment va-t-on interdire une jouissance que
l'on n'a pas éprouvée. Faut-il encore qu'elle s'inscrive pour que je
dise " ouh la la " mais si je ne l'ai jamais éprouvée, c'est
dramatique. Quand je dis qu'il faut de la jouissance pour constituer
l'appareil psychique d'un bébé, c'est à partir de R.S.I. où, Lacan dit
le sujet se constitue dans la jouissance de l'Autre. Mais avant
jouissance c'était un gros mot, c'est comme capitaliste quand j'étais
jeune, dans le milieu lacanien.
Ce que je vais vous montrer donc, c'est un film qui a été fait à la
demande charles Melman pour être montré au bout de deux jours et demi
de formation à des médecins de premier rang pour leur permettre de
repérer les signes précoces, c'est à dire les signes par absence. Quand
même un dernier petit mot. Ce qui m'a enchanté quand j'ai rencontré
celui qui en France a traduit le Tchat qui est Claude Burstin, qui est
devenu un grand ami, parce qu'il y a le DIS centre hospitalier
universitaire qui font une recherche du PHRC c'est à dire une recherche
entièrement payée par les ministères, qui est une recherche pas du tout
comme la nôtre parce qu'elle commence quand la nôtre s'arrête. Elle
commence à 9 mois et elle va jusqu'à 18 mois, et elle s'arrête au Tchat
comme nous et c'est quand j'ai vu le film du Tchat, dans le test des
cognitivistes sur 16 000 bébés validés, la deuxième chose qui fait
qu'un bébé de 18 mois va devenir autiste, ce n'est pas qu'il ne sache
pas dire au revoir, qu'il ne puisse pas regarder, parce qu'à 18 mois,
il y en a qui regardent, il y en a qui ne regardent pas, qu'ils sachent
donner le ballon, qu'ils sachent sauter et descendre les marches, j'en
oublie, qu'ils sachent faire des tours de cubes, cela ça distingue les
déficitaires des non déficitaires, mais pas les autistes non
déficitaires des autres, c'est qu'ils ne sachent pas le troisième temps
du circuit pulsionnel. Evidemment, les cognitivistes ils disent que
non. Ils disent, c'est la capacité de faire semblant. Mais faire
semblant de quoi ? Je vous le donne en mille. Il faut une dînette, il
faut offrir à maman du café ou du thé. Alors l'objet du besoin du bébé,
café ou thé à 18 mois, si vous en connaissez qui sachent cela. Non.
C'est l'objet de la jouissance de l'autre et café ou thé sans café ou
thé, c'est à dire vraiment le jeu. Et qu'est-ce que fait le bébé qui va
bien ? Il vous tend la petite tasse et qu'est-ce qu'on fait nous quand
on va bien ? On fait umh, mais c'est délicieux, c'est tout chaud, merci
mon chéri. On n'offre plus le pied à 18 mois, on offre la petite tasse
ou la cuillère, on donne à manger ou on donne à boire et ils sont
géniaux les cognitivistes, parce qu'ils ont trouvé la même chose que
nous. Ils sont embêtés parce que là aussi, ils ont des ratages sur
quelques rares enfants très intelligents qui réussissent et deviennent
néanmoins autistes mais je parie qu'il suffirait de les filmer pour
voir qu'ils donnent à manger parce qu'ils ont compris manger, donne et
maman, mais qu'ils ne sont pas là à l'affût de voir si cela la fait
jouir. Et une maman qui va bien, elle jouit mais jouit dans le jeu,
dans la capacité de faire semblant. Donc maintenant, vous allez voir le
film.
Il y a deux bébés, un bébé français, l'enfant est d'une collègue dont
les parents ont bien voulu que cela serve à la recherche sur l'autisme
et le bébé italien est un bébé de l'équipe de Pise avec qui je
travaille beaucoup, qui est un centre de diagnostic d'autisme pour les
deux tiers de l'Italie, où l'on a des collègues cognitivistes, le
professeur Moratori, des collègues Kleiniens, ce sont eux qui ont ce
trésor de guerre de 30 et quelques films. C'est très difficile d'en
avoir autant étant donné la rareté de la maladie. Marco est l'enfant
qui était le plus difficilement diagnosticable de tous les bébés qu'ils
ont eus. J'ai pensé que pour nos médecins, si on prenait le plus
difficile, les autres seraient faciles. Vous verrez en particulier une
scène qui a rendu fou les congrès américains, parce que c'est une scène
où ce bébé va parler, répondre comme un bébé normal ce qui va faire que
l'on va être obligé de parler de pulsion invoquante et de prosodie dans
la dernière partie et ce bébé néanmoins va devenir autiste, c'est à
dire qu'il faut savoir qu'il y a un truc qui leurre et qui peut leurrer
beaucoup de spécialistes, c'est à dire que à la pulsion invoquante même
un bébé qui deviendra autiste répondra si l'objet qui est donné à des
qualités particulières qui renvoient à nous psychanalystes à la
question de la tercéité. Donc, le bébé répond à la voix, mais ce n'est
pas lui qui se fait regarder. Il répond à cet appel.
Regardez bien cela va être terrible ce qui va se passer là. Elle lui
demande de regarder maman, ça arrive qu'un bébé ne regarde pas.
Celui-là ne regarde vraiment pas. Ce sont des choses qui arrivent. Elle
abdique tout de suite. Il a 2 mois 20 jours. Je pense qu'elle est
complètement échaudée. Il y a probablement 2 mois et 20 jours qu'elle
lui dit regarde maman.
C'est le même bébé que vous allez voir, ce même bébé qui est tellement
isolé, le même jour. Ca c'est la scène qui a mobilisé toute l'Europe.
"Je te veux tant de bien mon papa". Vous imaginez que quand je vois les
films, je ne sais pas ce que sont les bébés et celui là j'avais pensé
qu'il allait être très bien. Je n'avais pas vu le début, je n'avais vu
que cette scène, vous imaginez bien que je m'étais dit que c'était un
bébé qui allait très bien. C'est quand même une des premières fois où
il répond comme cela et sa maman est très contente, elle lui dit tu es
très beau ce soir.
Ca, c'est notre bébé français. Cela sera une des dernières fois où elle
réussira à voir son regard. Ecoutez bien là, parce qu'après je vous
dirai des choses sur la voix de cette maman dans cette scène par
rapport à la scène suivante. Alors on va comparer la voix des deux
mamans après, je vous expliquerai quelque chose là-dessus. C'étaient
des scènes analogues, qui ont été retenues pour la comparaison. A
gauche, là où le bébé regarde c'est toujours le mur.
Ca c'est la mère, ce n'est pas le bébé qui "se fait", c'est toujours la
mère. Voilà ce que c'est que le "se faire" de Lacan, se faire l'objet
de la jouissance orale de l'autre. Cette scène là n'est pas faite pour
le diagnostic, c'était pour montrer un désaccordage dont je suis
incapable de dire quelque chose, sinon que ce bébé à part la scène
longue où le bébé a très peu regardé sa mère depuis 4 mois et demi. Je
ne sais pas si c'est cause ou effet. Ceci dit les désaccordages au
niveau des repas, il y en pour des milliers de bébé, cela ne fait pas
des autistes pour autant. C'est à dire que vous allez voir que la mère
ne prend pas du tout en ligne de compte les signes que lui envoie son
bébé à propos de cette première expérience. Mais si cela devait causer
de l'autisme, on serait un nombre incroyable d'autistes sur terre.
Elle ne dit pas j'en ai marre comme font les mamans en général, elle
dit oui oui, on mange très bien, c'est tout doucement, qu'est-ce
qu'elle est bonne, c'est à dire en
contradiction en effet avec ce que le bébé est en train d'exprimer.
Cela c'est très fréquent, quand même. Mais elle continue. Là, voyez ce
beau sourire, voyez à quoi il le fait. Elle sait maintenant que pour
avoir le regard de son fils et le sourire de son fils, il faut un objet
brillant, coloré. Et si vous entendez le bruit de fond, du grand-père
qui filme, c'est typique d'enfants qui vont devenir autistes, c'est à
dire, tout le monde essaie de capter l'attention du bébé. Donc on
entend toujours des mains qui tapent, des appels. Comme vous le voyez,
il reste de marbre.
Ça c'est un très joli exemple de ce que Bergès appelle se laisser
dépasser par le fonctionnement de l'enfant. C'est la première fois, là,
à 9 mois, où le grand-père en a marre et commence à filmer ailleurs.
Alors on a droit aux antennes de télévision, à des objets comme ça.
Pour la mère aussi, tout le monde en a un peu marre de la difficulté
relationnelle. Il rigole le grand-père mais néanmoins on va aller voir
un cactus spécial du sud de l'Italie. Parce qu'il avait tenu jusque-là,
il n'avait filmé que le bébé et la maman. Là cette scène est terrible.
On voit que la capacité d'attention sur l'objet, ce qui a été développé
depuis, est très bonne chez les enfants qui deviendront autistes, il
n'y a aucun problème mais ce sont les êtres humains qui ne sont pas
leur objet d'attention. Déjà là. Alors on sait comment on veut le
regard, il suffit d'un objet très lumineux. Est-ce qu'il va le regarder
? Voilà. Et tout le monde est heureux parce qu'il a regardé le sac à
fleurs. Parce qu'évidemment : regarde ton grand-père, il y a longtemps
que cela ne prend pas. Vous allez voir qu'elle initialise, il reprend,
mais il ne se fait pas bizouiller. Il reprend en mimétisme, ce qui
n'est pas du tout la même chose. C'est la scène la plus "hard", qu'on a
dans le film. Lui, fait comme, il ne se donne pas. Je ne sais pas si
vous voyez la différence. C'est un des bébés les plus difficiles. Il a
une très bonne relation avec les cheveux de sa mère, comme vous le
voyez. Il aime beaucoup qu'on le fasse sauter. Elle a des lunettes
noires, certes, mais comme depuis trois mois et demi il n'y a pas une
minute dans le film où il l'a regardée. En effet, si vous regardez bien
le regard n'y est pas. Et si on avait des doutes, le grand-père nous
dit "ça ne marche pas", et il va aller regarder les vagues. Ca c'est à
10 mois, là où le regard va s'accrocher ensuite définitivement.
Je vais être obligée de vous expliquer combien la fameuse scène de la
voix nous a ouvert un monde de recherche. Pourquoi ce bébé répond à la
voix à ce moment-là. Peut-être que les discutants veulent réagir ?
Béatrice Chaudruc :
Dans un premier temps, je souhaiterais remercier Marie-Christine Laznik
pour la richesse de cette réflexion sur le défaut d'établissement du
lien pulsionnel à l'autre et je dois dire que moi qui ne suis pas
psychanalyste encore moins lacanienne, je suis assez surprise de voir
finalement avec quelle facilité je pourrais adhérer à la théorie
qu'elle vient de nous exposer. Ca me pose questions. Je crois qu'il y a
à cela plusieurs raisons, la première c'est que ce que vous nous
proposez se situe dans le registre du " comment " et surtout pas du "
pourquoi ".
MCL : vous avez raison. Surtout pas du pourquoi.
BC : l'étiopathogénie dont vous nous avez dit que les facteurs étaient
certainement multi-factoriels.
MCL : qu'au pire je n'en savais rien.
BC : vous avez seulement suspecter des facteurs de vulnérabilité
génétiques. Et puis d'autre part, vous vous êtes attardée aussi sur
tout ce qu'écrivent et disent les cognitivistes. Donc si j'ai bien
compris, dans cette étude, vous repérez à la fois un signe détecteur de
la direction du regard et un signe détecteur de l'offrande que l'enfant
donne à sa mère, de la jouissance qu'il va procurer en elle.
MCL : ce qui m'intéressait c'est de repérer combien tôt, il
s'intéressait à ce qui se passait en elle. En terme de théorie de
l'esprit, combien déjà est là ce qui le motive, qui le pousse.
BC : c'est à dire presque en terme d'intentionnalité à condition de
mettre derrière du désir et non pas de la cognition.
MCL : c'est à dire d'une intentionnalité à condition de dire qu'il y a
là quelque chose de très précoce et que je ne sais pas si c'est du
désir parce que c'est très compliqué en Lacanais pour qu'il y ait du
désir il faut déjà qu'il soit passé par l'expérience du petit frère,
l'horreur quoi. Mais qu'il est branché sur quelque chose qui est :
qu'est-ce que ça lui fait ? Je ne sais pas s'il peut se le formuler
comme ça, mais c'est évident que quand ça lui fait des choses, vous
avez vu qu'il ne peut pas s'empêcher &
BC : Ces deux signes, on le sait, sont précurseurs de tout le reste, du
déficit d'attention conjointe par Baron-Cohen, et finalement
l'intersubjectivité dans la théorie de l'esprit. Je ne reprendrai pas
cela car c'est bien expliqué. Mon oreille a été accrochée par ce que
vous disiez en introduction à propos de la confrontation que l'autiste
procure à notre propre limite et à tous les systèmes quels qu'ils
soient, analytiques, cognitifs. En nous ré-interrogeant par rapport à
nos modèles, je me demandais si cela était une possibilité pour nous de
nous interroger sur ce qui était le dénominateur commun, peut-être, de
ces modèles. Si ce questionnement pouvait mener à ce qui était le
dénominateur commun de ces modèles, le plus petit dénominateur commun.
Vous allez me dire ce que vous en pensez, je me demandais si l'on
pouvait resituer ce que vous nous avez proposé comme théorie, dans un
modèle qui serait plus développemental puisqu'on pourrait presque
l'exprimer en terme de non référence émotionnelle à autrui. Je vais
peut-être m'expliquer. Chez un bébé qui est pris dans une dynamique
développementale, qu'on a besoin d'assister, et bien sa subjectivation
va naître des traces du milieu sur une base de départ, un équipement de
base. Les premières pensées vont naître elles, de la somme de ces
traces par rapport à ce qu'il en attendait, par rapport à l'attendu. La
complexification de la pensée elle, va se produire par transformations
successives des traces et comparaisons. Donc pour pouvoir comparer ce
qu'il a trouvé par rapport à ce qu'il attendait cela nécessite une
certaine adéquation qui va se faire non pas en terme de jugement mais
de valeur, bon/pas bon, c'est à dire en termes émotionnels plus que
cognitifs.
MCL : est-ce que vous remarquez qu'elle cause comme l'Esquisse ? C'est
rigolo. Freud raconte une chose tout à fait semblable, en 1895, il dit,
on va comparer la perception nouvelle à celle qui est marquée dans le
pôle hallucinatoire de satisfaction, il y aura une différence et tout
le juger va se mettre en place, la question du bon et du mauvais, et le
jugement d'existence et le jugement d'attribution.
BC : je vais poursuivre. Je dirai que quand le bébé vit une
non-adéquation, l'ajustement émotionnel est spontanément apporté par
les parents, par la mère et finalement ce qui aurait pu perdre sa
pensée va lui être renvoyé à ce moment-là. Et la caractéristique de
l'enfant autiste, c'est justement de ne pas pouvoir s'appuyer sur cet
ajustement émotionnel à autrui et donc finalement l'aliénation
émotionnelle qui devrait pré-exister, qui serait là comme une
plate-forme permettant ensuite à la représentation de se faire,
n'existe pas. Et, je crois que vous écrivez que l'autisme est en deçà
de l'aliénation, est-ce que vous pensez qu'il y a là un terrain commun
d'entente ou pas ?
MCL : Je vais d'abord essayer de vous traduire tout cela. Je vais vous
donner un exemple clinique qui va aller dans le sens de ce qu'elle dit
et qui va nous mettre dans un débat compliqué. Je reçois une petite
Caroline, à 5 mois. Le grand-père m'appelle, je suis en séance et il me
dit "je voudrais que vous voyez un petit bébé de 5 mois qui est ma
petite fille et qui est en train de devenir autiste". Cela m'est dit au
téléphone. les voir et cette première consultation est filmée, ce qui
fait que je pourrai entendre après tout ce que je n'ai pas entendu
avant. Cette mère raconte une histoire épouvantable, une naissance très
difficile. Vous savez ça commence à circuler. J'apprends donc que cette
enfant qui ne regardait pas facilement sa mère, depuis 4 semaines, n'a
pas regardé un seul instant sa mère. Et, je vais, où elle est sûre
qu'il y a eu une souffrance fStale, ce qui n'est peut-être pas faux,
et que les difficultés de ce bébé que la grand-mère qui est là aussi
m'explique, que c'est sûrement un enfant handicapé, pour des troubles
qui ont eu lieu, selon eux, au moment de la naissance, un accident
d'anoxie cérébrale qui aurait eu lieu parce que la naissance s'est mal
passée. Mais on me raconte quand même que la mère a repris son travail,
elle le dit au milieu de tout ça, c'est à dire où l'on tient à me faire
penser que ce bébé a un problème organique et je dois dire
qu'effectivement c'est un bébé qui a un strabisme très important, et
qui est tellement bizarre, que moi j'ai fantasmé, j'ai le droit d'avoir
mes fantasmes au début comme ça, ce qui était tout à fait faux, un
syndrome de Down en léger, le 12, vous savez ces troubles du chromosome
12 qui sont moins visibles. J'ai eu un fantasme comme cela. Un
mongolien. C'est très léger et ça passe. Elle était tellement absente
d'elle-même et bizarre. C'est pour aller dans le sens de votre remarque
sur l'ajustement qui n'a pas eu lieu. Sa mère dit , mais je ne
l'entends pas sur le moment, Ah, c'est vrai que j'avais quand même
coupé mes cheveux ou j'avais changé mes lunettes mais elle avait
surtout et c'est ce que j'entends, quand elle avait repris son travail
ils prennent une nurse pour deux enfants mais comme ils ont décidé en
même temps de repeindre la chambre du bébé, et bien, pendant la
première semaine, elle perd sa mère, elle va chez l'autre enfant
qu'elle ne connaît pas avec la nouvelle nurse. Et puis, je montre ce
film récemment à un collègue psychanalyste de Rio, Nasar, qui n'a
jamais vu un autiste de sa vie et qui me dit "tu ne crois pas que
peut-être elle avait changé sa coiffure ou ses lunettes. Et bien oui,
elle avait changé sa coiffure et ses lunettes et moi, je n'avais pas
voulu entendre parce que le plateau de l'organique m'était amené dans
un premier temps mais elle n'avait pas du tout aménagé. Elle avait
d'autant moins aménagé que le lien avec ce bébé était faussé depuis le
départ parce que chaque fois que cela ne marchait pas, l'hypothèse
organique était mise en avant pour tout le monde. Et c'est un bébé qui
mangeait encore dans son lit, parce que quand on la prenait dans ses
bras, elle se vrillait. Un bébé beaucoup plus pathologique apparemment
que le petit Marco et beaucoup plus difficile à gérer et comme la seule
position dans laquelle elle était bien, elle avait des reflux, on donne
aussi du prépulsine à Marco, c'est très fréquent. Elle était en
position harnachée, elle avait le droit à un certain nombre de choses
très inconfortables qui faisait d'ailleurs que cette nounou s'occupait
de l'autre qui était un grand demandeur et elle restait d'autant plus
de côté mais quand sa mère revenait pour la prendre le soir, sa mère
n'arrivait absolument pas, et le week-end elle pouvait y passer sa
journée, à essayer de capter son attention. Elle était fermée, comme
vous avez vu Marco dans ce film quand la mère est obligée de prendre
des objets. Et il y avait des hochets. Les bébés qui deviendront
autistes y répondent très bien. Ca a été tout à fait étudié, pour
montrer que l'attention à l'objet elle est tout aussi présente, sinon
plus que chez l'enfant normal dans les premiers mois de la vie. Donc,
il y avait cette difficulté mais ce bébé, c'était très étonnant parce
que la maman fait des bisous au pied du bébé, un peu comme on ferait
sur une relique, un enfant mort, dont on n'attend pas la réponse. Et
bien sûr que le bébé est vrillé dans l'autre sens, donc le baiser sur
le pied n'a aucun effet de ce genre. Et, je suis très perturbée, il y a
une heure qu'on m'explique que cet enfant est handicapé et j'ai accès à
ce moment-là à quelque chose, c'est que le bébé a une chaussette
blanche en coton, et je fantasme que dans le pays d'où je viens au
Brésil quand on passe du café pour la première fois dans les
chaussettes, ça a le goût de chaussette, la première fois, et que ce
bébé ne doit pas avoir bon goût à cause de la chaussette. Et je me vois
faire un truc que je n'ai jamais fait de ma vie, je dis ça à voix haute
: "ça doit avoir un goût de chaussette ce pied" au lieu d'être umh,
parce que je sens pas du tout la jouissance de la maman non plus et
puis la mère finit par accepter d'enlever la chaussette et recommence
le bisou, mais pas du tout convaincue, elle, du goût de miel du bébé,
mais moi je le suis parce que je suis dans ma chaussette et dans mon
café brésilien. C'est à cela que ça sert, que l'on ait un peu des
fantasmes qui nous tiennent dans ces cas là. Et c'est moi qui dis :
"umh, mais qu'est-ce qu'il doit être bon ce petit pied" et ce bébé
immédiatement me regarde et pousse son petit ventre en avant et me fait
du ventre. Et je suis obligée de dire "mais Caroline, je suis désolée,
les psychanalystes sont interdits de faire des bisous sur le ventre des
bébés, ce n'est pas permis aux psychanalystes", ce qui fait éclater de
rire la mère et la grand-mère mais qui n'avaient jamais vu ce bébé
faire du ventre. Alors on raconte l'histoire à nouveau, on la
re-raconte, on se dit mais c'est incroyable, elle n'a jamais fait ça,
on entendait une demi heure avant le discours sur le handicap, et puis
comme on re-raconte, et je raconte comment j'ai trouvé ça drôle,
qu'est-ce que fait Caroline : "euh, euh" et pouf que je te montre mon
ventre encore. Evidemment, à 8 heures du matin le lendemain, le père
m'appelait et à partir de là nous avons fait un énorme travail. Que va
me dire ma voisine ? Ce bébé ne serait pas devenu autiste. Car
l'équipement, vous n'avez pas utilisé ce mot mais vous avez quand même
proposé que cet autiste il ne peut pas profiter de l'adéquation du
parent parce qu'on est dans une certaine défectologie, il aurait un
défaut de fabrication. Pourquoi pas ? Gardons l'hypothèse. Il faut dire
que j'ai une prosodie particulière. Qu'est-ce qui m'arrive quand
j'arrive - la deuxième fois je suis complètement ahurie de la voir me
faire du ventre, elle m'a eue, là j'étais à la place de la tierce
personne, là c'était sidération et lumière, je m'attendais à tout, sauf
à ce que ce bébé dont je m'étais demandée s'il était un syndrome je ne
sais pas quoi, se mette à la première séance, au bout d'une heure, à me
faire la danse du ventre. Donc je suis en même temps sidérée et
lumière, vous voyez, nous sommes à la place de la tierce personne, dans
la tercéité. Il est évident que ma voix a eu, à ce moment-là, des
caractéristiques prosodiques particulières. Et ma voisine me dira mais
ce bébé est équipé pour les entendre. Est-ce que ça pourrait aller
comme réponse ?
BC : oui.
MCL : Alors je repars maintenant sur mes films des bébés devenus
autistes. Et qu'est-ce que je vois ? Je vois que chez un bébé qui n'a
jamais regardé sa mère, c'est à dire pire qu'un Marco. Ce bébé, un jour
un oncle passe. Il a 7 mois pourtant. Donc l'oncle n'est pas au
courant, il est de passage, et c'est un rigolo. Le bébé était avec sa
totote, pendant les 10 minutes qui ont précédé cet instant, la mère l'a
appelé, rappelé, parce qu'elle filme pour envoyer la cassette à ses
parents qui habitent à l'étranger. Rien, Monsieur, est aux abonnés
absents comme ils savent très bien le faire. L'oncle arrive et il dit
"oh, qu'elle est belle cette totote, tu me la passes, mais tu me la
donnes, elle est à moi, elle est à toi, tu me la donnes". Il la prend.
Et le bébé est complètement ahuri, et répond alors comme le bébé le
plus normal du monde. Puisque maintenant nous avons passé des lignes
prosodiques propres au "mother is" et qui sont pour moi, propres à la
tercéité, nous passons donc la voix de l'oncle dans nos ordinateurs. A
ce moment-là, il y a des signes de ce que j'essaierai de vous expliquer
après, qui sont de sidération. Il est étonné par ce bébé, il est
émerveillé et il y a une jouissance. Et bien le bébé qui est devenu
autiste, il répond. Le problème c'est que personne n'a fabriqué la
situation qui transformerait cela en quelque chose de thérapeutique qui
se prolongerait.
Dans une dépression essentielle du bébé, comme c'était le cas d'Alice,
au début, j'ai un bébé qui cherche à s'accrocher quelque part. Le
regard d'Alice devant cette mère pétrifiée, est un regard qui cherche.
Donc, j'ai une mère pétrifiée et un bébé qui cherche. Donc, il y a
Alice qui n'était pas autiste, il y a les deux bébés que vous avez vus,
le bébé qui va très bien et puis il y a Marco qui est devenu un autiste
dans sa splendeur, malheureusement toujours autiste, et Pierre, dont je
vous ai dit que l'oncle quand il le rencontre jamais il ne répond quand
sa mère l'appelle et qui s'en va de l'autre côté. Il faut dire qu'elle
a une voix suraigüe et que c'est une femme qui a fait probablement une
dépression de prépartum. Ce qui n'est pas du tout toujours le cas. Ce
bébé, certes ne s'accroche pas à sa mère et il a raison, parce qu'elle
est dans un drôle d'état même si elle ne le sait pas. Elle essaie de
donner le change etc & Cette maman a beaucoup rassuré mes collègues
psychanalystes parce qu'elle tombait pile dans ce qu'ils ont toujours
voulu penser. Après je leur ai montré la maman de Gérardo juste pour
leur faire voir que ce n'est pas toujours comme cela. Donc, il répond à
son oncle qui passe par là mais il est en épistotonos un peu, parce
qu'on s'aperçoit que les parents font un truc particulier, ils veulent
essayer de capter le regard de l'enfant. Ils prennent le couffin, ils
le mettent à l'envers pour essayer de capter par derrière son regard ce
qui m'indique l'hypertonie du buste, il y a Pierre Delion qui fait des
recherches là-dessus, sur ces questions d'hypertonie. C'est un bébé qui
en aucun cas n'essaie de capter quelqu'un d'autre. Il n'est pas lui à
la recherche. Tandis qu'Alice était désespérément à la recherche de
quelque chose. Et Alice s'en est sortie avec beaucoup moins de ravages
que d'autres enfants, parce qu'elle a eu accès à cette idée que
Winnicott avait enseigné, qu'il y a l'électrochoc du pauvre, c'est de
faire vraiment des trucs horribles pour susciter le réveil du parent.
Alice est assez géniale. Toutes les dépressions du nourrisson
n'aboutissent pas à cela. J'en ai vu certaines où je ne savais pas ce
qu'il y avait derrière, un déficit, une psychose déficitaire ? J'avais
un magma, des enfants magmatiques qui en fait avaient été vus par des
pédiatres qui m'ont téléphoné en disant je vais vous lire la fiche. La
mère arrive à un mois, elle me dit le bébé pleure sans arrêt, et comme
ça et le pédiatre qui essaie de calmer, et qui était passé à côté d'une
dépression essentielle, qui avait laissé des séquelles parce que tout
le monde n'a pas le génie d'Alice de trouver, au prix peut-être d'être
exclue de la société, mais de trouver le moyen de faire des
électrochocs à sa mère. Mais au départ, je n'ai pas le film de ce petit
garçon mais quand on voit Alice au départ, cela ne ressemble pas du
tout. Arrivés à 5-6 mois, on pourrait se tromper. Au départ on a un
bébé qui cherche et qui trouvera ou non où s'accrocher. Est-ce que ça
répondrait un petit peu ? Et néanmoins, la mère d'Alice est beaucoup
plus pathologique. L'intensité de la pathologie maternelle des
dépressions essentielles du bébé est souvent infiniment plus grande que
celle des bébés autistes qui ont des mères qui se mettent à aller
chaque fois plus mal, certes. Mais qui au début allaient probablement
pas plus mal que la moyenne d'entre nous quand on va mal. Nous n'avons
pas fait d'enfant autiste mais cela pourrait nous arriver. Je pense que
ça, c'est une posture très importante que j'ai moi, en tant qu'analyste
de bébés à destin grave, dangereux, qui reçoit les parents, que je
pense que cela aurait pu m'arriver à moi. Et le fait que je pense cela
me donne évidemment une position subjective par rapport aux parents que
je reçois très différente.
AH : Est-ce qu'on peut proposer au débat un certain nombre de questions.
J-JL : Comment t'interroger là-dessus ? Il y a plusieurs choses qui me
sont venues à l'esprit en t'écoutant, ce sont des choses un peu
disparates, parce que je n'ai pas une grosse clinique de ce type
d'enfants. Par contre j'ai des cliniques très différentes. Et ça cela
pourrait être une question. Est-ce que déjà, dans ces âges très
précoces dont tu parles on peut différencier différents types
d'autisme. C'est à dire : j'ai souvenir d'une fillette de 10 ans, qui
ne parlait pas, qui ne ressentait pas la douleur, qui ne réagissait pas
à la présence. La seule réaction qu'elle avait à la présence de
quelqu'un c'était une angoisse extrême. Un autre cas, c'est quelqu'un
qui a 18 ans actuellement, qui vient me voir comme ça gentiment, qui
est en terminale, c'est un autiste aussi. Est-ce qu'on peut déjà à
partir de ce que tu essaies de repérer, et j'y reviendrai, sur ce
troisième temps de la pulsion, affiner quelque chose ?
MCL : je vais essayer de traduire dans une langue qui pourrait être
proche des cognitivistes votre question, pour voir si je l'ai bien
comprise. Des deux cas que vous nous citez, dans un cas, c'est un
autisme avec déficit grave, elle n'est même pas rentrée dans le
langage, et cela fait des drôles de dégâts dans l'appareil psychique,
parce que c'est quand même avec le langage que l'on fonctionne nous les
êtres humains. Et l'autre, c'est un autisme sans déficit. Est-ce qu'on
peut dire les choses comme ça ? Pas du déficit affectif, du déficit
d'intelligence , intellectuel. Et vous me demandez : est-ce que dans
les bébés qu'on voit est-ce que l'on pourrait dire lequel fera un
déficit et lequel n'en fera pas ? Est-ce que j'ai bien compris la
question ? Je n'ai pas de théorie là-dessus mais par contre j'ai une
clinique. Mais je ne sais pas si cette clinique elle est due à la date
de mon entrée en scène ou pas. Je pense que Caroline laissée à
elle-même, aurait fait un grave déficit. Je pense qu'elle n'en fera
pas. Mais je pense qu'elle partait vers un autisme avec déficit. Je
pense par contre qu'un petit bébé comme Louis, mais je ne vous en ai
pas parlé. Peut-être que Marine n'en aurait pas fait mais je ne sais
pas dire pourquoi. Je ne suis pas sûre non plus. Par contre, je vois un
petit jumeau, que j'ai vu à 12 mois et demi pour la première fois et
avec lequel je me bats, moi et sa maman parce qu'il ressort sur une
séance qui peut durer une heure, je vais avoir 2 - 3 minutes d'un bébé
qui est là avec moi et d'ailleurs l'histoire de l'oncle j'en ai
profité. C'est à dire qu'un jour qu'il laissait tomber la totote je me
suis revue dans le film et je lui ai dit qu'elle était délicieuse sa
totote et je devais être tout à fait convaincante pour moi-même parce
que j'ai du faire la prosodie qu'il faut, et il m'a regardé et que
quelque chose qui venait de lui puisse être délicieux pour quelqu'un,
ça ne lui était jamais arrivé et j'avais la même chose que pour Pierre
avec son oncle. Sauf que là, je suis à 12 mois et demi, la mayonnaise
ne prend pas. &.
Je crois que ce bébé n'avait pas les moyens de faire face. Il avait
commencé à gazouiller, à dire ma maman, bébé, ce qui n'est pas trop mal
pour 13 mois, et silence antenne depuis le Ramadan. Je l'ai vu le
dernier jour du Ramadan, là c'était un peu tard parce que là je me suis
faite engueuler par des spécialistes de l'Islam qui avaient dit que
j'aurais du expliquer. Que dans un cas comme cela le Ramadan est levé.
Je ne m'étais pas autorisée. Et voilà, cela va dans le sens de cette
fragilité. Mais tous les enfants dont les mamans font Ramadan ne
s'effondrent pas. Celui-là n'était pas apte à faire face à cette
situation. Donc, je me dis, que si lui je n'arrive pas à le sortir
d'affaire, ce qu'on va savoir dans les mois qui suivent, il fera un
gros déficit. Et je ne suis pas capable de dire pourquoi plus.
JJL : Je vais peut-être continuer avec la totote. C'est à dire que dans
ce que j'ai pu lire sur l'autisme, toutes ces histoires de regard ont
été repérées depuis longtemps. Ce qui me paraissait intéressant, c'est
ce troisième temps de la pulsion, c'est à dire ce temps où
effectivement l'enfant se fait l'objet de la jouissance de la mère si
j'ai bien compris.
MCL: oui, il s'offre comme objet de la pulsion et Lacan dit qu'en
s'offrant comme objet de la pulsion, il crochète la jouissance dans le
champ de l'autre, c'est Lacan dans le séminaire XI. Mais il se fait
l'objet de la pulsion de l'autre.
JJL : c'est une question plus théorique : est-ce qu'on peut rapprocher
cela du circuit un peu transitiviste que décrit Bergès ?
MCL : oui cela doit pouvoir. Mais eux ne le parlent pas en terme de
pulsion. C'est plutôt qui pourrait dire si la question du transitivisme
pourrait être rapprochée à la question freudo-lacanienne de la pulsion.
JJL : Je pensais à cela à cause du circuit que cela représente entre
les différentes places aussi bien au niveau de la pulsion qu'au niveau
de leur concept de transitivisme. Puisque eux parlent d'un échec de ce
circuit là et vous vous dites que c'est effectivement ce troisième
temps où l'enfant pourrait se percevoir comme objet pulsionnel pour
l'autre et crocheter la jouissance, c'est à dire, qu'il y a un échange
de position, que c'est là que ça pourrait servir de signe de quelque
chose quand cela ne se fait pas.
MCL : Vous savez dans le séminaire de l'Identification Lacan dessine
quelque chose qui sont les deux tores et c'est cette construction des
deux tores où il y a un jeu où je suis l'objet de ta pulsion, et que du
coup cela va permettre que quand tu es l'objet de ma pulsion, il y a un
truc torique qui se met en place et apparemment, cela ne se met pas en
place
JJL : Et si j'ai bien entendu c'est cela qui un petit peu vous sert de
point de repère.
MCL : Cela me sert complètement de point de repère et aussi de levier,
c'est ce qui est étrange. Et pas qu'à moi, aussi aux médecins qui ont
fait la formation avec nous. C'est à dire que indépendamment de la
cause, pour moi c'est la béance. Je suis vraiment dans ce que qu'il
disait dans la fameuse lettre 52, la différence entre les signes
perceptifs et l'inconscient c'est qu'il y a quelque chose de
l'inconscient qui est de l'ordre de la cause. Je dis, il pleut parce
qu'il a fait humide, il y a vraiment un trou entre les deux, la cause,
je ne sais pas. Je reste très modeste sur mes causes, mais le fait est
que si j'arrive à rétablir ce circuit et le parent aussi, il se passe
des choses. C'est à dire que le bébé reprend ce que vous appelleriez un
développement. Ou bien on peut dire il y a des suppléances qui se
mettent en place, mais cela reste fragile. Ma voisine me demandait tout
à l'heure jusqu'à quel âge : je lui ai dit que mon "follow-up" pour
l'instant c'est 2 ans. A 2 ans, il parle couramment. La mère était
convaincue que cet enfant allait devenir autiste. Pendant 7 mois, une
femme cultivée qui lit, qui va sur internet où elle a trouvé plein de
trucs. Elle m'a parlé de sauvages. Elle m'a expliqué aussi toutes les
écoles américaines. Elle veut aller habiter aux Etats-Unis pour le
mettre dans une école spécialisée pour autistes parce qu'il y avait 7
mois que pas une fois, ce bébé, par erreur, ne l'avait regardée elle ou
la nurse. Il parle couramment, il est drôle, il est mignon. L'école
l'adore, il appelle sa maman, il discute avec moi, il m'a même regardé
un peu comme cela puisqu'il y avait un petit moment que l'on ne s'était
pas vu, et la maman demande que le film de son fils avant et après soit
montré aux gens. Je voudrai que les parents voient que l'on peut
intervenir.
JJL : Donc je continue. Dans le film effectivement, quand on voit
Marco, au moment où il y a eu une inter-action, il y a une scène qui
est très impressionnante, ça veut dire que si à ce moment-là, si
quelqu'un pouvait intervenir, on pourrait mobiliser quelque chose ?
MCL : il y a une fenêtre à ce moment-là. Je pense qu'à ce moment-là, ce
bébé était mobilisable et la mère dit en italien : "qu'est-ce que tu es
merveilleux ce soir". Dans une autre film, dont je vous ai dit un mot,
avec ce film là j'ai déprimé tous les analystes, je suis obligée de le
montrer quand il y a du champagne. La mère de Gérardo, la première fois
où ce bébé croise le regard avec son père c'est elle qui filme à ce
moment-là, il a 3 mois. Et elle dit " c'est un moment tellement
important, il y a 3 mois que l'on attend ce moment, tu sais, mon bébé".
Elle est tout le temps dans la finesse. Elle est beaucoup plus fine
encore que la maman de Marco. Elle essaie de lutter contre la
dépression, c'est très impressionnant. Alors là on voit que ces
bonshommes, ils y sont pour quelque chose dans cette affaire.
JJL: Il y a un dernier point avant de rendre le micro à la salle. C'est
une remarque générale que vous avez faite et que l'on entend bien dans
ces films et que l'on oublie. Je me demandais pourquoi on oubliait
cela. C'est que les trois quarts du temps, effectivement, quand on
parle à un bébé, on tient tous les rôles, c'est à dire que l'on dit Je
à la place du bébé. Ce qui a ceci de particulier, que vous signaliez
quand vous disiez que Lacan n'avait pas réalisé que c'était encore plus
compliqué que cela.
MCL: avec les bébés, on ne fait pas cela avec les enfants plus grands.
JJL : Ce qui est intéressant c'est que c'est l'adulte qui parle et qui
dit je à la place de l'enfant et l'enfant va s'identifier au Je que lui
fournit l'adulte.
MCL : il va reprendre la phrase telle qu'elle. C'est complètement fou
quand cela va bien.
JJL : ce qui est amusant, chez les autistes, c'est que l'on note
justement, que eux, ne peuvent pas reprendre ce Je qui leur est dit.
MCL : ils ne rentrent pas dans l'aliénation. Ils sont étanches à
l'aliénation. En quoi l'aliénation c'est quand même une bonne chose.
JJL : Je me demandais pourquoi adulte on l'oubliait cela que quand on
parle à un bébé spontanément on dit Je.
MCL : je crois que cela fait partie du refoulement originaire de la
mère parce que même si on demande à des mères, quand elles ne sont pas
en train de le faire : "comment vous parlez à votre bébé ?", elles ne
se rendent pas compte qu'elles disent Je.
JJL : c'est cela que je voulais souligner.
MCL : c'est tellement fou de parler à la place de l'autre et puis
d'être convaincu que l'autre vous a parlé. On le dit dans le séminaire
sur la psychose : il dit que la source de la voix n'est pas importante
dans l'hallucination puisqu'on sait que dans les hallucinations il y a
parfois des mouvements, il nous rappelle cela dans le séminaire des
psychoses. Il y a des mouvements et quand on filme on voit la phrase
hallucinée du dehors vers le dedans qui est prononcée préalablement par
le psychotique, il y a les mouvements de bouche. Il dit : cela n'a
aucune importance quelle est la source. La phrase est énoncée et elle
vient à ce moment-là du dehors. Là, c'est vrai, le fou, c'est la mère.
On dit la phrase mais c'est comme si c'était le bébé qui l'avait dite
et puis on répond. Mais il faut pour cela que le bébé joue sa partie.
Et il l'a joue. Vous avez vu. Et il ne la joue pas de la même façon.
Dans la scène du langage, nous avons passé la voix de la mère sur
ordinateur pour repérer les prosodies, je vous dirai après pourquoi une
psychanalyste se met à utiliser des ordinateurs pour repérer des
prosodies et évidemment, la maman française que vous avez vue et dont
le bébé répond, à la scène de langage, elle a des pics prosodiques qui
montent en haut et l'autre en a à peine une ou deux fois au moment où
le bébé la regarde et puis, ça casse. C'est très impressionnant sur les
graphes la différence est caricaturale.
La raison pour laquelle en tant que psychanalyste je me suis intéressée
à cela est que depuis très longtemps, en travaillant avec des autistes
plus grands, dont Louise, dont je parle longuement dans mon livre, je
m'étais passionnée pour la question de la tercéité, c'est à dire la
"dritte person", ce que Freud a élaboré dans son livre : le mot
d'esprit et ses rapports avec l'inconscient et que Lacan reprend pour
construire son graphe du désir, parce que j'y tiens à mon graphe du
désir.