Alain Harly : Je vais commencer par vous présenter le Docteur
Claude Dorgeuille. Nous sommes tout à fait honorés de le recevoir et de
l’entendre aujourd’hui à Poitiers. Il a été l’analysant, l’élève et le
compagnon de route de Jaques Lacan. Il y a eu là une expérience
considérable pour lui, ce qu’il nous transmet bien volontiers avec
beaucoup de talent. Il a eu des responsabilités importantes au sein de
l’Ecole Freudienne de Paris, et c’est là que j’avais eu la chance de le
rencontrer et de suivre son enseignement.
Il a publié de nombreux articles en particulier sur une articulation
possible entre la musique, le chant, la pratique musicale et la
psychanalyse. Ce n’est pas la question à l’ordre du jour, mais elle est
essentielle pour lui.
Il a aussi un ouvrage particulièrement éclairant sur ce qu’on a pu
appeler la crise du mouvement lacanien d’octobre 1980 à 1981. Ce
travail intitulé « La seconde mort de Jaques Lacan » est un
véritable travail d’historien qui montre que cette crise et les
manœuvres qu’elles ont permis ont eu des conséquences qui étaient
prévisibles. On n’insiste pas assez d’ailleurs aujourd’hui sur cette
histoire pourtant déterminante ; en tout cas c’est un livre qui m’a
aidé à prendre position dans l’histoire du mouvement analytique de
l’après Lacan. Je vous invite vivement à lire ce livre.
Depuis la fondation par Charles Melman de l’Association Freudienne
Internationale, Claude Dorgeuille assume des responsabilités tout à
fait essentielles tant dans le domaine de la transmission, avec un
enseignement qu’il assure régulièrement à Paris, que dans l’édition.
Vous savez qu’il y a tout un débat complexe, il a pu prendre à certains
moments des aspects juridiques, concernant l’enseignement oral de Lacan
notamment à propos de ses séminaires. Quel statut donner à la
transcription de cette parole ? C’est bien sûr un outil absolument
indispensable pour nous que cette transcription même si, bien sûr, elle
ne peut pas être parfaite. Elle sera toujours soumise à débat, sans
doute infini, comme toute opération qui consiste à transcrire de la
parole. Il y a quelque chose de l’ordre d’une faille dans ce passage de
la parole à l’écriture, cela tient à la structure même de l’écriture.
Mais, en tout cas, il y a eu tout un effort dans le cadre de
l’Association Freudienne Internationale pour fournir un outil
conséquent aux élèves et aux gens qui s’intéressent à la psychanalyse.
Claude Dorgeuille a coordonné cet énorme travail de transcription des
séminaires de Jaques Lacan. De plus, c’est lui qui a la responsabilité
des publications des revues de l’AFI, le discours psychanalytique, la
psychanalyse de l’enfant, etc.
Le Docteur Antoine Branchu a accepté le rôle de discutant. Pédiatre,
pédopsychiatre, psychanalyste, il est bien connu des poitevins
puisqu’il a assumé pendant sept ans la direction médicale du C.M.P.P.
de la Vienne. Il est membre d’Espace Analytique et maintenant il
travaille loin de nous, mais de temps en temps, il veut bien nous faire
la gentillesse de venir débattre d’un certain nombre de questions, et
c’est le cas aujourd’hui.
Je laisse la parole à Claude Dorgeuille sur ce vaste thème de
« psychanalyse et psychiatrie ».
Claude Dorgeuille : Evidemment c’est un thème considérable et qui
suppose de faire quelques choix. Il s’y ajoute une difficulté
supplémentaire, c’est l’incertitude quant à la composition de votre
auditoire.
J’ai pris le parti suivant : évoquer quelques questions, en fait
pour fournir un canevas à une discussion.
Vous savez sans doute que parmi les préoccupations de Freud, il y a eu
dès le départ le souci de définir un mécanisme particulier pour ce qui
était peu accessible à sa technique, à la psychanalyse, en l’occurrence
les psychoses. Il y a un moment où il précisera, il ne le fera nulle
part ailleurs, ce qui me semble être probablement la raison principale
de ce souci, c’est à la fin du texte concernant l’analyse du Président
Schreber où Freud dit ce qui suit et que là je vais citer
précisément : « Ne craignant pas davantage ma propre critique
que je ne redoute celle des autres, je n’ai aucune raison de taire une
coïncidence qui fera peut être tort à notre théorie de la libido dans
l’esprit de beaucoup de lecteurs. Les rayons de Dieu schreberiens qui
se composent de rayons de soleil, de fibres nerveuses et de
spermatozoïdes condensés ensemble, ne sont au fond que la
représentation concrétisée et projetée en dehors d’investissement
libidinaux et ils prêtent au délire de Schreber une frappante
concordance avec notre théorie. »
Ça veut dire quoi cette remarque ? Ça veut dire en
définitive : est-ce que ma théorie de la libido n’est pas tout
simplement de l’ordre du délire ? Autrement dit de partir de
l’expérience du névrosé, qui est la seule qui permet au psychanalyste
de théoriser sur ce qu’il en est de notre appareil psychique, des
mécanismes qui permettent de distinguer d’une façon assurée les grandes
structures que vous connaissez : celle de la névrose, celle de la
psychose et celle de la perversion. Cette préoccupation existe déjà
dans l’article de 1896 « Nouvelles remarques sur les
psychonévroses de défense », où Freud examine le cas de
l’hystérie, de la névrose obsessionnelle et de la paranoïa et propose
pour chacune d’elles des mécanismes particuliers. Il est utile de se
rappeler que c’est quelques mois à peine après son ultime tentative
pour asseoir la psychologie sur une base scientifique certaine
concrétisée par la fameuse « Esquisse d’une psychologie
scientifique » dont vous savez qu’une fois son écriture achevée,
il l’a écrite en 15 jours, Freud la mettra au fond d’un tiroir et ne la
publiera jamais, considérant vraisemblablement ce texte comme
irrecevable, même si en effet il est plein de considérations
extrêmement intéressantes, qu’il reprendra sans le dire ultérieurement
dans des contextes différents. Il y a tout de même quelque chose
d’audacieux de sa part à ce moment là à vouloir rendre compte d’un état
psychotique, en l’occurrence, qu’il appelait paranoïa, par des
explications purement psychologiques puisque vous savez que
l’atmosphère de l’époque n’était pas du tout orientée dans cette
direction. Les tentatives d’explication vont se succéder sans qu’elles
lui apparaissent jamais pleinement satisfaisantes. Je vais les rappeler
là encore simplement pour faciliter la discussion que nous devrons
avoir après. La première c’est évidemment celle qui est fournie par
Freud pour rendre compte du cas Schreber. Petite remarque en
passant : vous voyez que ça ne l’embarrassait pas outre mesure
d’appliquer les principes de sa méthode à quelqu’un qu’il n’avait
jamais rencontré et à partir d’un texte exclusivement. Le mécanisme
principal qu’il invoque pour rendre compte de la pathologie de
Schreber, c’est le refoulement. A l’évidence ce refoulement il en
emploie le terme tout simplement parce qu’à ce moment là il n’en a pas
d’autre. Mais si on lit attentivement les commentaires qu’il fait à ce
moment là, on s’aperçoit qu’en fin de compte, ce refoulement qu’il
invoque comme mécanisme de la psychose de Schreber n’en est pas un. Il
évoque trois temps : un temps de fixation, un temps de refoulement
proprement dit puis ensuite un temps de retour du refoulé, mais surtout
après il invoque quelque chose d’autre en disant que ce refoulement
pourrait être bien représenté par ce qu’il appelle un retrait de la
libido de tous les objets.
C’est évidemment ces questions à la fois aiguës, embarrassantes et
actualisées par les contacts avec Jung qui s’occupait essentiellement
de psychotiques ; leur correspondance de cette époque là est
pleine de ces problèmes. Elle aboutira à l’introduction d’un nouveau
terme dans la doctrine : le terme de narcissisme, à partir duquel
ces états psychotiques seront désignés comme psychonévroses
narcissiques. Chez Freud les derniers textes, ce sont essentiellement
les deux articles de 1924 « Névrose et psychose » d’une
part et la « Perte de la réalité dans la névrose et la
psychose ». Là, compte tenu de sa réorganisation doctrinale,
puisqu’on est à ce moment là au niveau de la deuxième topique, et vous
savez que d’une certaine manière, pourrait-on dire, la notion même
d’inconscient se trouve marginalisée au profit des trois nouvelles
instances de Ça, le Moi et le Surmoi puisque ces trois instances sont
totalement inconscientes, mis à part un tout petit élément qui est tout
à fait accessoire dans cette nouvelle construction. L’idée de départ de
Freud est en définitive, il reconnaît qu’elle est extrêmement
schématique et finalement il ne s’y accrochera pas vraiment, que la
névrose résulte d’un conflit entre le Moi et les éléments pulsionnels
du Ça, tandis que la psychose résulte d’un conflit entre le Moi et le
monde extérieur ou la réalité. Mais si l’on suit attentivement ces
textes, ils évoluent vers la considération que dans la psychose en
définitive ce qui se produit c’est la constitution d’une nouvelle
réalité. Autrement dit ce qui serait pertinent dans l’opposition entre
les deux structures ne serait plus exactement ce qu’il a proposé au
départ, mais quelque chose apparemment de plus précis. Dans le deuxième
texte, il fera un pas de plus pour se contester lui même, d’ailleurs
comme il fait souvent, en remarquant qu’en définitive le névrosé fait
exactement la même chose. Autrement dit la question se trouve déplacée,
reportée. De quelle réalité s’agit-il dans les deux cas ? Qu’en
est-il de cette néo-réalité ?
Je vais profiter de ce petit rappel pour évoquer un aspect, auquel on
n’est pas toujours assez attentif, qui concerne Schreber. Ce qui est
remarquable dans le texte de Schreber, vous savez bien sûr que ses
mémoires il les a rédigées pour obtenir sa libération, mais ce n’est
pas ce qu’il donne comme motif principal, c’est son souci de faire
partager aux autres et spécialement au monde des scientifiques
l’expérience singulière qu’il a traversée et bien entendu de la
communiquer, de la faire connaître. Et bien, je pense que cet aspect de
Schreber c’est aussi ce que nous constatons dans la pratique, en
particulier la pratique des présentations de malades, c’est-à-dire que
la plupart du temps nous avons à faire à des gens qui sont tout à fait
ravis de pouvoir faire part de leur propre embarras, tout au moins si
l’on manifeste dans la sollicitation qu’on leur fait, un minimum de
délicatesse, bien entendu. En ce qui me concerne j’en ai fait un très
grand nombre depuis pas mal d’années, je dois dire que je compte sur
les doigts de la main le nombre de fois où l’intéressé(e) a refusé de
participer à cela, ce qui est parfaitement respectable bien entendu.
Autrement dit, vous voyez que les réticences que l’on rencontre souvent
sur ce point sont problématiques. Quant à leurs raisons fondamentales,
je crois qu’elles ne concernent pas principalement les malades auxquels
nous avons à faire, mais beaucoup plus dans leur intimité ceux qui font
objection à ces présentations et qui en effet, probablement, ne sont en
ce qui les concernent personnellement pas disposés à mettre sur la
table leurs difficultés, éventuellement même à des proches. Ces
présentations de malades ont d’autre part des effets tout à fait
étonnants. D’une part elles sont bien reçues, la plupart du temps, si
on est respectueux de la personne à laquelle on a à faire, leurs
efforts sont plutôt favorables que défavorables, d’autre part elles ont
un effet étonnant. J’ai un exemple que je n’oublierai jamais. Il
s’agissait d’un jeune garçon d’une vingtaine d’année, je le voyais
depuis des mois régulièrement toutes les semaines. Je lui avais proposé
donc de s’offrir à cette présentation, il est entré dans la pièce, où
elle devait avoir lieu, avant tout le monde et quand je suis arrivé me
dit tout à trac : « J’sais vraiment pas pourquoi vous
m’avez fait venir là puisque tout le monde sait que je suis Jésus
Christ ». Or pendant des mois que je voyais ce patient, pas une
seule fois, cette identification à Jésus Christ, cet élément de délire
mystique disons, n’était apparu dans les échanges que j’avais avec lui,
ce qui est quand même assez sidérant.
En ce qui concerne Lacan vous savez que de son côté sa réflexion
théorique s’inaugure avec sa thèse, c’est-à-dire avec l’exposé d’un cas
de psychose qu’il a appelé paranoïa d’autopunition, le fameux cas
Aimée, et qu’après avoir recensé toutes les doctrines existantes, il
conclut en considérant que c’est la doctrine de Freud qui fournit
l’explication la plus satisfaisante des données cliniques que
présentait son cas, puisque l’élément central, à savoir l’agression de
l’actrice par Aimée, équivalait en fait à l’agression de son propre
idéal, nous sommes en 1932. Un peu plus tard dans « Les propos sur
la causalité psychique », Lacan dans la causation de la folie
invoquera une identification aliénante, formule qui m’est toujours
restée un petit peu obscure dans la mesure où il n’explique pas en quoi
ce qui singulariserait cette identification par rapport aux autres, à
ceci près que les exemples qu’il fournit avant d’introduire cette
considération déjà donnent une idée de ce qu’elles peuvent recouvrir,
vous les connaissez sans doute, il y a le héros des
« Brigands » de Schiller, il y a surtout cette analyse
extraordinaire du personnage d’Alceste du « Misanthrope » à
propos duquel il conclut d’abord qu’il est fou, et deuxièmement que sa
folie se trouve caractérisée par ce qu’il appelle l’agression
suicidaire du narcissisme. Mais il est évident que la nouveauté
principale qu’il introduira, c’est le terme de forclusion dans son
séminaire sur « Les structures freudiennes des psychoses » et
surtout dans l’article qu’il publie quelques mois après et qui est
censé résumer le séminaire, mais qui, comme presque toujours dans ces
cas là, amplifie notablement ce qu’il a pu dire dans le séminaire. Ce
terme de forclusion, là aussi je suppose que vous en connaissez tous
l’origine, il va le chercher dans Freud, comme il le dira à propos de
l’einziger Zug, il fera un sort à ce terme dans Freud, encore que la
Verwerfung se rencontre beaucoup plus fréquemment chez Freud que
l’einziger Zug qui n’y est qu’une seule fois, mais c’est spécialement
dans le cas de « L’homme aux loups » où Freud dit la formule
exacte, si je me rappelle bien « Seine Verwerfung ist etwas
anderes als eine Verdrängung », c’est-à-dire un rejet, mot à mot,
une forclusion comme le traduit Lacan, c’est autre chose qu’un
refoulement. Ca ne suffirait pas évidemment à assurer à ce terme un
statut satisfaisant, si en même temps le terme n’était pas intégré dans
la réélaboration que Lacan opère de la théorie freudienne, et là encore
vous savez que ce qui définit la forclusion, c’est en définitive la non
réalisation de la métaphore paternelle. On peut le dire de plusieurs
façons, il y a aussi la formule algébrisée qu’il en donne, je
laisse ça de côté.
Pour ce qui est de Lacan, il n’abandonnera pas cette question des
psychoses puisqu’un des derniers séminaires, le séminaire sur le
sinthome reviendra sur ce problème, sans ajouter et sans renier
d’ailleurs la forclusion puisqu’il fait la remarque en passant qu’elle
est là chez Joyce, mais en en rendant compte d’une façon tout à fait
différente à partir de son élaboration sur le nœud borroméen.
Dans la pratique maintenant concernant la question de la psychose
c’est-à-dire en somme les rapports de la psychanalyse et de la
psychiatrie, il y a au moins une constatation empirique qui est que
tous ceux qui se sont occupés de malades de ce type ont pu faire, et
qui ont pris la peine d’écouter ces patients ; en générale, ça a
plutôt des effets utiles ou appréciés, ça les aide à faire face aux
difficultés qui sont les leurs. Cela veut-il dire que le mode sur
lequel il convient de les écouter ou de les accueillir serait un mode
stéréotypé, définissable et valable pour tous ? Sûrement pas à mon
avis !
A ce propos, je vous suggère de vous reporter à l’article de Marcel
Czermak que nous avons publié dans le numéro 11 du « Discours
psychanalytique » de février 1994, qui s’appelle « Le transfert
psychotique ». Bien entendu, cet accueil des psychotiques et du
discours psychotique doit tenir compte des refus explicites ou
implicites de l’intéressé et à l’extrême il peut être judicieux de
savoir laisser tranquille ces malades, ce qui est souvent très
difficile à obtenir de la part des équipes qui éprouvent le besoin de
faire quelque chose. Cette écoute du malade peut aussi être utile d’un
autre point de vue, en particulier l’aider à inventer ce que Freud
appelle les solutions de compromis qui lui permettront de vivre en
société. Vous savez que Freud considérait le délire comme un processus
de guérison. La maladie à l’origine étant souvent peu parlante
cliniquement, et le délire, lui, se construisant au fil des années
permettant la guérison, ce qui est le cas de Schreber d’ailleurs
puisque non seulement il gagnera son procès mais il pourra retourner
dans sa famille, sans doute pas très longtemps. Quel que soit le
jugement que l’on porte sur cet effet, il y en a un et on ne peut pas
le considérer comme négligeable. A cet égard j’évoquerai une remarque
que j’ai toujours gardé en mémoire de mon maître Follin qui parlait
volontiers du rayon d’action du schizophrène. Ceux qui travaillent en
institution savent que toutes les éventualités sont possibles, depuis
le malade qui ne peut vivre qu’entre les quatre murs de l’hôpital
jusqu’à celui qui est marié qui a des enfants et qui assume une
activité professionnelle, avec tous les degrés intermédiaires entre les
deux. A cet égard vous avez un très bel exemple chez Strindberg. Le
dernier texte autobiographique, il doit y avoir une dizaine de volumes
là dessus, s’appelle : « Enfin seul ».
D’autre part un délire de persécution a fait l’objet d’un texte qui
s’appelle « Inferno ». Il tire les conclusions en effet,
à savoir qu’il renonce à se marier une quatrième fois, et il vit seul
dans une petite ville avec une organisation de son temps qui est
remarquablement précise. Il ne reçoit les gens que sur rendez-vous, il
ne sort presque pas dans la journée, il sort en général le soir et
passe son temps à observer ce qui se passe dans les appartements quand
les rideaux ne l’empêchent pas de voir à l’intérieur.
Maintenant pour apporter quelque chose de plus personnel, je voudrais
évoquer l’un de mes patients dont je me suis occupé pendant longtemps,
pendant des années et qui avait élaboré et rédigé une théorie de
l’appareil psychique dont je vais vous dire quelques mots seulement car
le manuscrit comporte 150 pages environ. J’ai toujours le projet de le
publier mais comme c’est un énorme travail, je ne l’ai pas encore fait.
Je vais vous donner quelques éléments car c’est quand même une
observation assez exceptionnelle. Voici de façon résumée le système
conçu par le malade, je vous précise d’ailleurs que j’en avais fait une
présentation en 1985 à Lille qui se trouve dans le numéro 2 du
« Trimestre psychanalytique » de 1988.
Le psychisme est ainsi constitué pour ce patient : il occupe un
certain espace limité par une sphère qui dépasse le corps du sujet et
l’intègre en totalité. L’étendue de cette sphère est variable selon les
moments, se réduisant selon les cas aux dimensions d’une pièce de
monnaie ou d’une station de métro, par exemple pouvant à l’opposé avoir
un rayon d’une centaine de mètres voir de kilomètres. Cette sphère a
une double paroi rigide. A l’intérieur s’y trouve un ballon en forme de
prisme arrondi qui évoque la forme générale des dirigeables dont
l’extension déborde également le corps propre, mais dont les parois
sont souples et extensibles. Le corps du sujet se trouve donc une
partie de cet ensemble, et le point de jonction est situé au niveau de
l’anus.
L’élément principal du fonctionnement de cet appareil est constitué de
courants d’énergie au nombre de trois, ainsi définis :
Le premier dit érotico-vital est d’origine sexuelle anale
principalement.
Le second est dit moral ou para érotico-vital d’origine psychokinésique.
Le troisième enfin, apparu en dernier, est le courant métaérotico-vital
dont l’origine est constituée par des douleurs exclusivement psychiques
pouvant siéger à la tête, au ventre ou au pied gauche.
Ces courants ont une trajectoire particulière dans la sphère et se
dirigent vers des formations appelées ‘absorbeurs’ ou ‘intégrateurs’ au
niveau desquels ils s’épuisent ou disparaissent provoquant ainsi un
certain nombre d’effets favorables. Ils sont au nombre de trois
principalement, deux latéraux dont le principal est postérieur gauche
et un ‘absorbeur’ dorsal-médian. Ils sont sans spécificité à l’égard
des courants qu’ils absorbent indifféremment.
La structure psychique comporte également des objets dont l’apparition
est soit spontanée soit provoquée par l’angoisse sociale. Ils sont
nécessaires au fonctionnement du système. Ils ont des formes et des
dimensions précises. Les principaux sont les ‘insérés’ et les
‘tranchants’. Ils peuvent se situer n’importe où dans la sphère
agissant par leur structure ou par leur masse et par le biais de
mouvements en général rotatifs. Les ‘insérés’ participent au brassage
électrostatique, les autres au brassage mécanique. Les brassages ont
pour but d’activer les courants et de mettre en mouvement le liquide
statique contenu dans la sphère, liquide dont la densité varie selon le
lieu de la sphère considérée. Elle est faible dans l’intervalle qui
sépare les deux parois extrêmes de la sphère, plus élevée au centre.
Enfin deux modalités particulières de fonctionnement interviennent
encore dans cette structure psychique :’la digitokinèse’ qui anime
le courant moral et l’érotico-vital’ comme les brassages et la
‘psychokinèse’ qui animent le courant moral et les objets.
Il y avait une autre petite chose que je voulais signaler à propos de
ce système ; le malade me dit qu’il le voit, qu’il le sent. Il
s’agit de quelque chose de réel dit-il. L’écrire devrait amener à un
meilleur fonctionnement tout en s’accompagnant de l’illusion d’une
compréhension de sa doctrine, remarques absolument prodigieuses,
« C’est un système totalitaire, dit-il, il fait de moi ce qu’il
veut, il fait de moi un esclave. Je perds mon identité, je ne sais plus
qui je suis. Parfois je me dis que je m’appelle M. H., mais ça me
surprend ». C’est un système pénible mais intelligent. C’est un
système de défense ultime, pour retrouver le mot de Freud, de défense
morale apparue à la suite des chocs émotifs multiples, surtout celui de
1973 provoqué par la guerre du Kippour car c’était la menace de la
répétition de l’extermination des Juifs pendant la guerre. Une autre
remarque à ma question. Si le système qu’il décrit vaut pour tout le
monde, il répond : « Des phénomènes semblables doivent
exister chez tous les êtres humains, mais ils y sont imperceptibles.
Chez moi l’appareil psychique s’est emballé, mais je ne suis pas
différent des autres. Par exemple, le courant numéro 1 d’origine
érotique chez tout individu, entre le surgissement du Désir et sa
réalisation, il s’écoule un certain temps. Il doit alors se produire de
tels courants. Il en est de même pour le courant de la douleur. Quant
au courant numéro 2, le courant moral, beaucoup de gens sont angoissés
et quand cette angoisse disparaît, c’est qu’un courant moral dont ils
ne se sont pas aperçus, est apparu. » Un dernier témoignage
légèrement postérieur : « Quelque chose a changé. La menace
d’anéantissement, si les courants faiblissaient, est moins présente et
je supporte mieux que prévu la chute de tonus. Hier, j’ai eu l’idée
d’arrêter les manœuvres. » Il faut savoir qu’il passait sa journée
à faire des manœuvres que la clinique psychiatrique traditionnelle
aurait décrit comme du maniérisme, puisque c’était des mouvements
essentiellement des mains et des bras, mais ce n’était pas n’importe
quels mouvements car ils étaient destinés à diriger les fameux courants
dans une direction favorable. A défaut de ces manœuvres, il était
menacé en permanence de voir un abîme s’ouvrir sous ses pieds,
c’est-à-dire de disparaître. « Et puis, tout à coup, j’ai senti
un vide en moi, j’ai compris qu’il fallait que je continue. J’ai
pensé que j’étais engagé dans un processus de guérison. »
Alors je lui demande « La guérison, ça serait
quoi ? » « Une vie normale, c’est-à-dire une vie où je
n’aurais pas l’obligation de ces manœuvres incessantes. »
Dernier petit élément sur cette observation, c’est la lettre qu’il m’a
écrit donc pour annoncer qu’il arrêtait nos entretiens :
« Docteur, en face de la chute de tonus actuel, les entretiens
avec un thérapeute ne m’aident pas, n’ont pas d’utilité, d’efficacité
thérapeutique. D’ailleurs je n’ai plus aucune envie de discuter ;
seuls les manœuvres thérapeutiques et un court passage à l’hôpital de
jour, m’aidant à tenir le coup. C’est pourquoi j’ai cessé mes
entretiens avec M. B. (c’était la psychologue qu’il voyait de son
côté), ma psychomotricité avec une autre personne depuis trois mois. Je
pensais faire exception avec vous mais il s’avère que je n’ai plus la
moindre envie de parler. C’est pourquoi je ne peux plus avec la
meilleure volonté à continuer nos entrevues du jeudi, et cela sera
ainsi sans doute jusqu’à ce que je reprenne le dessus, que je surmonte
cette chute. Aussi, et je m’en excuse, je ne peux plus venir vous voir
le jeudi tant que durera ce passage très difficile, qui durera
certainement plusieurs mois, à supposer que les choses se déroulent
comme lors de la chute de tonus de fin 1983. »
Je peux ajouter ce que j’avais noté à la fin de la dernière semaine, la
remarque de M. H. : « La liberté, je n’y ai jamais cru,
tout est strictement déterminé dans la vie humaine. » C’est
exactement ce que découvre, formalise et théorise la psychanalyse.
Alors vous voyez, si je puis dire, je suis revenu à mon point de départ
puisque si vous avez une petite familiarité avec ce qu’a dit Lacan en
particulier avec ses élaborations finales à l’aide du nœud borroméen.
Il aurait pu faire la même remarque que Freud au départ, jusqu’à quel
point mon élaboration n’est pas de l’ordre du délire, si ce n’était
qu’en effet ce que ne fait pas ce malade, il n’avait pas défini un
mécanisme particulier qui caractérise et qui installe dans le sujet
cette pathologie particulière que nous appelons la psychose. A défaut
de cela, en effet comment différencier les théorisations de Lacan de
celle de ce malade car je ne vous ai donné que très peu
d’éléments ? Le manuscrit comporte 150 pages environ avec un très
grand nombre de schémas et des élaborations qui sont poussées très
loin. Il y a dans ce que je vous ai donné au moins une chose qui crève
les yeux, c’est la tripartition entre ces trois courants énergétiques
que vous pouvez faire analogues aux trois catégories lacaniennes
essentielles du Symbolique, du Réel et de l’Imaginaire. Voilà, cela
vous paraîtra peut être un tout petit peu court mais cela aura au moins
l’avantage de nous laisser le champ libre pour bavarder d’abondance
puisque, évidemment psychanalyse et psychiatrie, on peut parler pendant
des mois là dessus.
Alain Harly : Bien, ça nous laisse effectivement tout loisir
d’engager le débat. Est-ce qu’Antoine Branchu veut bien commencer ?
Dr. A. Branchu : Il y a des choses extrêmement intéressantes. En
particulier, je retiens deux choses surtout. C’est la question du
diagnostic que vous avez soulevé au départ, en partant de Freud et qui
reste toujours malgré tout une question. Le diagnostic en psychiatrie
n’est pas nécessairement le même qu’en psychanalyse. Suffit-il de
présenter un délire pour être qualifié de psychotique ?
La deuxième chose, c’est cette notion de laisser le patient tranquille
qui évidemment m’interpelle beaucoup puisque je suis à l’Espace
Analytique et que c’est une question que Maud Mannoni soulevait souvent
en particulier à partir de l’antipsychiatrie et à partir du
questionnement de l’institution puisque la psychose soulève très
rapidement la question de l’institution, de l’accueil qui peut être
fait au patient psychotique.
Cl. Dorgeuille : Sur le chapitre du délire : est-ce qu’il est
suffisant pour qualifier un patient de psychotique ? Non, bien
sûr, puisque des éléments délirants vous en trouvez dans toutes les
structures y compris chez le névrosé. D’ailleurs dans les
observations « Les cinq psychanalyses » de Freud vous en
trouvez dans les observations de Dora, de l’homme aux loups, de l’homme
aux rats aussi et en clinique on le rencontre très souvent. C’est
évidemment une question à la fois psychiatrique et psychanalytique. Du
côté de la psychiatrie la position traditionnelle, que vous connaissez
comme moi, c’était de considérer que le critère de la psychose, c’était
l’existence d’hallucination. Alors après on entre dans des
considérations beaucoup plus compliquées, les hallucinations n’étant
pas considérées comme ayant toutes la même valeur ou la même
signification. Celle qui est considérée comme indiscutable, c’est
l’hallucination verbale essentiellement. Les hallucinations visuelles,
en général suscitaient le scepticisme. Elles s’intégraient d’ailleurs
dans les entités cliniques qui n’étaient bien souvent pas des psychoses
à proprement parler, structurellement parlant plutôt, en particulier la
fameuse bouffé délirante polymorphe de Magnan dont les hallucinations
visuelles sont un critère important.
Pour ce qui est de la psychanalyse, c’est vrai que les choses sont
souvent très difficiles. La position de Freud était extrêmement
prudente. Très souvent quand il considérait qu’il ne pouvait pas se
faire d’opinion dès les premières rencontres avec un patient qui le
sollicitait, il prenait le parti d’engager l’analyse, se réservant de
rectifier sa position selon ce qui se découvrirait dans les séances
suivantes. Mais plus banalement ce qui est fréquent, c’est de voir au
démarrage d’une cure analytique chez un bon névrosé des manifestations
délirantes, tout au moins si on s’en tient à l’aspect morphologique, et
en particulier de type érotomaniaque, de type pseudo érotomaniaque
disons, puisque ce ne sont pas des érotomanies vraies bien entendu.
Alors, c’est là que le concept lacanien, la notion lacanienne de
forclusion prend toute son importance puisque effectivement dans le
discours d’un psychotique, elle est, je dirais, susceptible d’être
repérée. Elle se traduit par quoi ? Elle se traduit
essentiellement par ceci, que l’intéressé ne trouve jamais le moyen de
boucler à certains moments de son discours, les parties de son discours
sur une signification. Dans la pratique, évidemment, cela peut ne pas
être repérable toute de suite. S’il s’agit de gens que l’on est amené à
voir de façon un peu prolongée, on finit par pouvoir trancher. Et
encore, parce qu’en disant cela je suis en train de penser à une femme
que je vois depuis très longtemps, ça doit faire une trentaine
d’années, de façon un peu irrégulière, dont j’ai été absolument
convaincu au départ qu’il s’agissait d’un délire d’interprétation.
C’est une catégorie clinique justement où il n’y a pas d’hallucination
en principe et où l’ambiguïté peut durer très longtemps, et qu’avec le
temps j’ai tendance à considérer en définitive comme une bonne névrosée
alcoolique. Je dois dire qu’au départ, elle interprétait tout, tous les
éléments de sa vie quotidienne, n’est-ce pas, les éléments de ses
relations avec les autres, ce qui se passait dans la rue. Je suis resté
en suspens pendant des années… Alors ça c’était la première question,
je ne sais pas si j’ai répondu en partie…peut être pas totalement…
La deuxième concerne effectivement ces patients dont j’ai dit qu’il
fallait savoir leur foutre la paix. Vous verrez si vous vous reportez à
l’article de Czermak, qui est tout à fait remarquable et intéressant.
Il apporte plusieurs exemples cliniques, et en particulier celui d’un
patient qui affirmait de façon répétitive : « Il faut
que je me dépasse ». Czermak était assez réservé. Il souhaitait
qu’on n’intervienne pas trop, surtout il avait déjà fait des tentatives
de suicide, ce n’était pas évident. D’ailleurs, il conteste cette
interprétation. Cette formule : « Il faut que je me
dépasse » s’est brusquement retournée en « dépasse-toi »
et il s’est jeté des tours de Notre Dame. Czermak dit bien qu’il
s’agisse de quelque chose de l’ordre du transfert. Vous savez que le
terme est d’un maniement plus difficile qu’on ne l’imagine d’ordinaire
puisqu’en général on se contente d’une façon très simplifiée et
abusivement schématique de s’en servir. Le transfert est censé désigner
cet état d’élaboration qui se trouve instauré, automatiquement dit
Freud d’ailleurs, du seul fait de la mise en place du dispositif
analytique. Mais en réalité, le terme a des sens divers. Le terme est
déjà dans la science des rêves, il désigne en effet le déplacement d’un
terme à un autre, et d’autre part vous savez que Lacan en donnera une
explication complémentaire sous la rubrique de l’expression ‘sujet
supposé-savoir’. Dans l’institution, c’est pour ça que j’ai dit que la
question de l’accueil ou de l’écoute du sujet psychotique me paraissait
à la fois souhaitable même nécessaire la plupart du temps, au-delà de
la simple prescription médicamenteuse à laquelle très souvent on se
limite malheureusement, mais qu’elle devait être, ce qui après tout
répond tout simplement aux prescriptions de Freud comme de Lacan, à
savoir que chaque cas est un nouveau cas et qu’à chaque rencontre
avec un patient c’est une aventure qui commence. C’est-à-dire qu’il est
exclu d’avoir une attitude stéréotypée et ce qui va vous guider dans
l’accueil d’un patient c’est la manière dont, si vous lui demandez de
parler avec lui, il répondra, vous dira qui, vous suivra, vous dira
non, ou bien il fera difficulté ou parlera spontanément.
C’est à partir de ces considérants singuliers que vous pouvez
éventuellement déterminer s’il convient en effet d’insister, de le
‘faire parler’. Ce n’est pas forcément souhaitable, ou s’il convient
d’être circonspect, de le laisser et de ne pas trop insister. Je pense
en particulier à un malade que nous avions eu dans le service, tout le
monde s’est jeté sur lui à son arrivée pour faire le bilan d’entrée et
l’infirmière s’apprêtait à lui faire une prise de sang. Alors le malade
lui saute au coup et s’apprêtait à l’étrangler. Heureusement, il y
avait des infirmiers à proximité mais ça a été tout à fait dramatique
et l’infirmière a failli y passer. C’est quelqu’un qui était peu
disponible pour parler. On s’est rendu compte après qu’il se sentait
menacé de toutes parts et plus spécialement par les investigations
médicales. Il a ensuite été pris en charge à l’hôpital de jour. C’est
quelqu’un qui n’avait pas de contact avec les autres malades et à qui
on se contentait, moi y compris, de dire bonjour, de demander si ça
allait bien, c’est tout et en lui fichant la paix. Ça c’est un aspect
difficile de travail en institution. En ce qui me concerne, puisque
j’ai eu la responsabilité d’un l’hôpital de jour du premier secteur à
Paris pendant près de 25 ans, j’ai dû mettre facilement trois à quatre
ans avant de faire accepter à l’équipe d’infirmiers que le travail le
plus utile qu’ils pouvaient faire c’était justement de ne rien faire,
car c’est normal, les infirmiers sont là pour faire un certain travail
et leur idée d’abord c’est de guérir le malade, or vous savez que le
terme pose problème d’un point de vue psychanalytique.
D’autre part il faut faire en sorte de le remettre dans le circuit. Il
faut quand même savoir, et justement le corpus de la psychiatrie tout
au moins une partie de ce corpus de la psychiatrie franco-allemande qui
de façon étonnante a mis l’accent sur le discours du malade malgré les
présupposés dogmatiques de cette psychiatrie, nous offre là quand même
des éléments d’appréciation indépendamment de toute investigation de
style proprement analytique. La difficulté sur ce point étant celle que
Lacan souligne dès le début du texte sur « La question
préliminaire à tout traitement possible de la psychose », à savoir
de ne pas se précipiter d’interpréter. C’était d’ailleurs une de ses
premières positions que m’avait répercutée Follin, cette idée de la
perte du sens. Ce n’était certainement pas une formulation très
heureuse de la part de Lacan, mais il est comme tout le monde, il n’a
pas tout découvert du jour au lendemain. Il a suivi une certaine
trajectoire et c’est vrai que c’est ce que l’on peut appréhender quand
on a le contact avec ces malades, c’est-à-dire qu’on se demande à
chaque instant si ce qu’on a cru comprendre dans ce qu’ils disaient
c’était bien ce qu’ils voulaient dire, ou si en fait il ne s’agissait
pas de toute autre chose.
J’avais un exemple tout à fait remarquable d’un garçon qui m’expliquait
qu’il avait le ‘névrome’ dans ‘l’anatome’ et quand je lui demandais ce
qu’était le ‘névrome’ et ‘l’anatome’ j’avais droit à un discours qui
n’en finissait pas, qui ne concluait jamais, illustration remarquable
de la présence dans le discours du patient de la forclusion en
l’occurrence.
Dr.Branchu : Mais ne croyez vous pas qu’actuellement il y a une
précipitation aussi bien dans le diagnostic que dans le traitement
médicamenteux, et qu’on ne se donne plus le temps d’y réfléchir ?
Cl. Dorgeuille : Je suis pleinement d’accord avec vous. J’ai passé
mon temps à l’hôpital à me bagarrer avec les internes. J’exigeais que,
sauf extrême urgence, quand le malade arrivait dans le service, aucune
prescription ne soit faite. Mais il y avait un embarras parce que quand
le malade arrivait à l’infirmerie spéciale, il avait déjà été médiqué.
L’avantage, ne serait-ce que pendant quelques jours si possible, ça
permettait de voir la symptomatologie apparaître. Or, si on se
précipite, d’abord on prescrit inadéquatement et on prescrit trop de
choses et deuxièmement on se prive de la possibilité d’apprécier la
structure ou le type clinique auquel on a à faire. Alors ça, c’est
général, il faut dire que le personnel infirmier a tendance à exercer
une pression dans ce sens parce que c’est la garantie d’être tranquille
pendant la nuit, tout au moins c’est ce qu’ils pensent, c’est ce qu’ils
imaginent, mais je crois que ça n’est pas heureux. En tout cas, en ce
qui me concerne, je demandais qu’on attende si c’était possible une
semaine. D’ailleurs dans le premier service où j’étais assistant,
j’avais les mains plus libres parce que j’étais presque tout seul. Mon
patron me laissait les mains entièrement libres. Dans les services
hospitaliers il y a les appels en garde, alors l’interne de garde est
appelé pour une insomnie, une agitation nocturne, une émergence
délirante. L’interne prescrit, le médicament reste sur le cahier et au
bout de quelques semaines on s’aperçoit que le malade qui n’avait qu’un
médicament au départ en cumule une dizaine. Ce que je faisais, je
rayais tout, j’arrêtais tout. Ca me permettait de voir ce qui était
inutile, puis quand c’était par hasard utile, ce que je voyais
réapparaître c’était la symptomatologie de départ. Alors à ce moment,
je re-prescrivais à l’économie.
Au niveau des institutions comme les hôpitaux de jour par exemple, il
est évident que l’économie dans les prescriptions va de paire avec le
travail supplémentaire pour les médecins et pour l’équipe. Ca veut dire
qu’il faut être d’une grande vigilance, qu’il faut s’occuper de près
des malades.
Evidemment quand on les médique massivement comme c’est très souvent le
cas, pendant ce temps là, les infirmiers peuvent jouer aux cartes. J’ai
connu des services comme ça, mais c’est intéressant pour personne, ni
pour le personnel ni pour le malade bien entendu. Mais si on s’occupe
du malade, c’est vrai que ça demande une vigilance, une attention, mais
c’est évidemment infiniment plus passionnant. J’ai fait d’ailleurs un
petit papier que doit faire deux pages et qui résume mon expérience en
hôpital de jour, dans ma position d’analyste, qui
s’appelle « Petit discours aux travailleurs dans
l’institution ». C’était publié dans le Bulletin de l’AFI.
Dr. C. Aubert : Bonjour. Catherine Aubert, psychiatre des
hôpitaux, pédopsychiatre. Je constate que vous avez abordé la question
psychanalyse et psychiatrie en partant de la psychose. D’un point de
vue historique je le comprends bien mais je crois qu’actuellement nous
sommes confrontés à d’autres demandes qui sont plus sociales.
Est-ce que l’intervention de certains psychanalystes connus comme Dolto
à la radio ou d’autres, sur des problèmes de société ont fait que des
termes psychanalytiques ont été utilisés dans toutes sortes de champs,
et que maintenant on demande aux psychiatres d’intervenir sur ce
plan-là. Et la question pourrait être la même concernant l’enseignement
qui est donné aux psychiatres en formation ?
Cl. Dorgeuille : Oui ! C’est une question large, c’est le
moins que je puisse dire, n’est-ce pas, je vais tenter, je vais tâcher
de répondre à votre question. Je dirais qu’il y a d’une part dans tout
ce que vous avez évoqué là quelque chose que je qualifierai de l’ordre
du laxisme intellectuel. Mais on peut dire autre chose aussi. Il est
évident, comme l’a dit Freud, que la psychanalyse est fondée à
concerner tout le monde. Ces points essentiels, comme il l’a dit dans
son texte « Ma vie et la psychanalyse » ou dans le texte sur
la «laienanalyse », je ne sais plus, ça concernait la naissance,
l’amour, la vie et la mort et que donc elle est fondée à s’intéresser à
tout, y compris aux problèmes de société, ce dont il a témoigné avec
son texte « Malaise dans la civilisation » qui est d’ailleurs
mal lu en général, et sur « L’avenir d’une illusion ».
Maintenant concernant plus précisément les demandes faites aux
psychiatres et aux psychanalystes, je dirais premièrement que sur ce
point nous sommes solidaires puisque nous sommes censés, sinon avoir
des réponses totalement équivalentes, ce qui n’est pas tout à fait le
cas puisque vous savez comme moi que la psychiatrie repose
essentiellement, c’est une science d’observation, sur une objectivation
et que cette objectivation fait problème dans son principe même, même
si comme je l’évoquais tout à l’heure, la psychiatrie française mais
aussi la psychiatrie allemande avec quelqu’un comme Kretschmer avaient
vis-à-vis des problèmes posés une attitude tout à fait remarquable, en
ce sens que leur attitude s’attachait fondamentalement au discours du
patient et pas à autre chose. Cela dit, la psychanalyse en effet est
supposée apporter, à partir de l’expérience avec le névrosé, quelque
chose qui au regard de ce que la psychiatrie pouvait dire, est quand
même révolutionnaire, puisqu’il s’agit effectivement de la mise au jour
de ce que nous mettons de la façon la plus naturelle qui soit, au fond
de notre poche avec notre mouchoir par dessus.
Plus précisément dans la pratique, il y a probablement un abus, un abus
pour lequel on peut invoquer beaucoup de considérations. J’en évoquerai
un seul : la perte d’influence du rôle de l’église, et pour ce qui
nous concerne en France, de l’église catholique, qui a fait perdre un
certain nombre d’appuis qui permettaient à beaucoup de citoyens de
traverser l’existence cahin-caha grâce en particulier, surtout dans le
catholicisme, à la pratique de la confession. On allait se décharger de
tout ce qui nous encombrait moyennant quoi on avait l’absolution au
prix de quelques Pater et de quelques Ave et on repartait pour la
semaine l’esprit un petit peu soulagé et allégé. Cela a en grande
partie disparu et me semble s’évanouir à grande vitesse, remplacé
d’ailleurs comme vous pouvez le remarquer d’une façon spectaculaire, et
ça en dit long sur nos illusions positivistes de scientifique, par des
foules de religions qui nous viennent de droite et de gauche avec une
prolifération de sectes qui drainent une grande partie de la
population. Cela nous montre qu’il y a là quelque chose qui est de
l’ordre d’un besoin lié à la structure propre de notre mental.
Dr. Burguet : La question que je voulais poser c’est le rapport à
la pulsion de mort et à la violence. Je viens de relire un texte de
Pierre Benoît qui était pédiatre et psychanalyste, au congrès de Milan
en 1978 qui s’intitulait « Soigner et tuer ». Alors c’est une
position de médecin et de psychiatre.
Mais ça m’a rappelé aussi que j’avais eu l’avantage d’en discuter avec
Eugène Minkowski. On avait été très frappé par le fait que c’était au
moment des premiers neuroleptiques qui nous permettaient de communiquer
avec des malades en état de mutisme, que les plus brillants de notre
génération, des gens comme Green, Rosolato etc. s’étaient mis à quitter
les hôpitaux et qu’ils étaient toujours les premiers pour aller
pratiquer l’analyse. Alors est-ce que c’était pour eux plus confortable
que d’être dans une institution ? C’était l’époque aussi où on
parlait avec cette métaphore métallique si je puis dire de ‘l’or pur de
la psychanalyse’ et du ‘vil plomb de l’institution’.
Une dernière chose à Niort où j’ai été pendant longtemps, le progrès
qui m’a paru le plus important créé par l’inspiration psychanalytique,
c’est en pédopsychiatrie. On était que deux psychiatres pour 700 à 800
malades mais en pleine ville ce qui est très important et ma collègue,
qui avait été analysée au début des années 60, a réussi à transformer,
par ce qu’elle avait acquis de l’expérience psychanalytique, son
service.
Cl. Dorgeuille : Je ne peux pas dire évidemment pourquoi Green a
quitté les hôpitaux ou Rosolato ou d’autres, je ne peux pas me
substituer à eux, mais je peux essayer de répondre à votre première
question concernant la pulsion de mort et la violence. Il y a là un
point qui est effectivement très important et la plupart du temps
l’objet de confusions considérables. Vous savez que la pulsion de mort
de Freud n’a pas été reçue par ses élèves. Quand Lacan a fait son
séminaire sur l’éthique et a voulu traiter avec un maximum d’ampleur
cette question, il en a été réduit à s’adresser à M. Bernfeld, et à je
ne sais plus qui, il y a trois auteurs, d’ailleurs, des textes qui ne
sont pas du tout négligeables, même si les auteurs n’étaient pas
connus. A propos de cette pulsion de mort, du fait qu’elle n’avait pas
été reçue, Freud reprend la question dans « Malaise dans la
civilisation » pour dire comment parler de quelque chose dont on
ne peut rien dire en fin de compte ? C’est-à-dire qu’au fond, pour
essayer d’en dire quelque chose quand même, son terme de pulsion de
mort ne fonctionne et ne prend sa valeur que dans son opposition à
l’autre pulsion, c’est-à-dire l’Eros, n’est-ce pas. C’est l’équivalent,
si vous voulez de deux symboles. Dans « Malaise dans la
civilisation », ayant pris acte de ceci que son terme et sa
nouvelle élaboration doctrinale n’avaient eu aucun écho parmi ses
élèves, il fait un effort pour tenter de l’expliciter, et il le fait de
cette façon. Il dit qu’au fond ce qui pourrait permettre de se
convaincre de la réalité, de l’importance de cette notion de pulsion de
mort, c’est une de ses formes de manifestation extérieure à savoir
l’agression. Ca c’est un point difficile et ça illustre en effet la
difficulté de la lecture de Freud et l’utilité de ce que Lacan a
proposé, à savoir sa fameuse tripartition entre Symbolique, Réel et
Imaginaire qui permet d’éclairer et de justifier des oppositions qui,
dans Freud, sont difficiles à saisir : celle entre moi idéal et
idéal du Moi par exemple, celle entre pulsion de mort et agressivité.
Vous savez que, dans Lacan, l’agressivité est spécifiée comme se
rattachant à la problématique spéculaire. C’est bien particulier. En
somme il y a plusieurs choses qui sont superposées dans ce domaine. Il
y a effectivement l’agressivité, et c’est quelque chose de très
particulier, qui se rattache à la question du narcissisme, d’où la
valeur de l’explication fournie par Lacan concernant le personnage
d’Alceste dans « le Misanthrope » d’agression suicidaire du
narcissisme, c’est vraiment une illustration extraordinaire ; la
pulsion de mort c’est autre chose.
La pulsion de mort il n’a pas cessé de la commenter, mais en fait là
aussi, en lui trouvant des explications qui sont de l’ordre de
l’analogie mathématique, comme par exemple dans le séminaire
« D’un discours qui ne serait pas du semblant » où elle est
identifiée au sommet d’une courbe.
Et puis il y a un troisième terme, qui est dans Freud très tôt et qui
est repris par Lacan, c’est la méchanceté dont vous savez que Freud dit
dans « Malaise dans la civilisation » qu’elle est d’une
dimension fondamentale de l’être humain. Cette dimension fondamentale
sera reprise par Lacan dans son commentaire de Sade et en particulier
avec cette formule, qui est dans Sade, de « L’être suprême en
méchanceté ».
Je pense que les phénomènes d’agressivité simples, ceux qui
s’inscrivent dans la problématique du miroir, sont largement dominants,
ce qui explique que chaque fois que socialement on met en œuvre des
actions bien ciblées et localisées, je pense par exemple à des
interventions dans les banlieues auprès des bandes dont on sait
qu’elles peuvent avoir des comportements dramatiques. Il y a eu
quelques expériences faites en France encadrées par des CRS tout
simplement. On les emmène à la campagne et ils ont là tout simplement
une autorité, c’est-à-dire quelque chose qui manque habituellement et
ça se passe très bien. L’ennuie c’est que les effets à long terme sont
rarement très durables puisque c’est de l’ordre d’une orthopédie tout
simplement, mais c’est intéressant du point de vue de la compréhension
des choses puisque ça révèle qu’une solution est possible.
Tandis que concernant les deux autres dimensions, là je ne crois pas
qu’il y ait de solution possible. Je vais peut être extrapoler mais
nous avons publié récemment un livre qui
s’appelle : « Peut-on guérir du génocide » de
Gilles Lussac. Gilles Lussac est un nom français, en réalité notre
collègue est arménien d’origine. Sa famille a souffert des génocides,
du dernier en particulier dû aux Turcs qui a tenu la vedette ces
derniers mois dans la presse. Il a fait un livre remarquable à beaucoup
d’égards, d’abord il y a un historique du peuple arménien, des
génocides successifs qu’il a subis et, d’autre part, des considérations
concernant le renouvellement de ce phénomène familier à l’espèce
humaine à savoir son industrialisation et son institutionnalisation ce
qui changent littéralement la nature du phénomène.
Dr. Burguet : Il y a pas mal de thèses qui sont reprises par
Lacan, c’était « La vocation médicale ou la mort dans
l’âme », c’est-à-dire que s’occuper de la mort des autres, c’était
d’une certaine manière de notre mort propre qu’il est question.
Cl. Dorgeuille : Oh ! C’est probable, mais alors là, ça pose
une autre question car il ne faut surtout pas confondre ce que Freud
appelle pulsion de mort avec la mort au sens familier, ça n’a rien à
voir avec la mort biologique. Si vous voulez, parmi les illustrations
que l’on pourrait trouver avec toujours le caractère d’approximation
qu’elles comportent, c’est l’idée, par exemple que vous trouvez dans
Lacan, de phases qui sont bien illustrées par la reprise formalisée
qu’il fait de l’automatisme de répétition de Freud. C’est-à-dire que
vous avez à chaque phase ou cycle un point qui est de l’ordre de la
pulsion de mort.
Il faut dire qu’il a compliqué encore un petit peu les choses avec cet
autre terme d’ailleurs emprunté à Sade : « La seconde
mort », qui est dans Sade cette mort qui intervient en second et
qui rend impossible les cercles de la régénération. C’est-à-dire, c’est
une visée de destruction absolue. C’était au moment où il a fait son
séminaire sur l’éthique c’est-à-dire au moment de la crise de Cuba,
c’était en pleine actualité n’est-ce pas, puisque nous savons tous qu’à
ce moment là, il ne s’en serait pas fallu de beaucoup pour qu’on fasse
sauter la planète !
Dr. Burguet : Ce qui est frappant aussi c’est le problème que pose
le suicide parmi les psychiatres, il suffit d’un échec…moi, j’ai eu pas
mal d’échecs. Je pense que c’est moins risqué quand même d’être dans un
cabinet d’analyste, dans la relation avec son analysant que de
fonctionner comme psychiatre.
Cl. Dorgeuille : Vous savez ce que Lacan a dit du suicide ?
« C’est le seul acte réussi. »
M. X : Deux petites questions par rapport à tout ce que vous avez
dit. La première concernant la rapidité du diagnostic et de la
prescription des médicaments notamment dans l’institution ; vous
évoquiez une résistance du personnel soignant à ne pas intervenir, à
suspendre et en tous cas la nécessité d’une vigilance des infirmiers
d’autant plus importante qu’il n y a pas cette ‘protection’. Ce que ça
évoque pour moi, ce n’est pas simplement la recherche d’une
tranquillité, mais le besoin de parole entendue et d’un rapprochement
avec l’écoute et la parole du psychiatre. L’équipe soignante doit
certainement être beaucoup plus dans la communication. Je pense que ça
a des conséquences dans tout le système de l’institution. Mais Il faut
aussi de la vigilance pour le corps soignant qui est là dans une
attente.
Cl. Dorgeuille : Je suis tout à fait de votre avis et je peux vous
dire qu’il m’est arrivé de prescrire des médicaments à un malade non
parce que je les considérais nécessaires pour lui, mais pour calmer
l’angoisse de l’équipe soignante. Ça, je pense que c’est de notre
responsabilité, au psychiatre, et au psychanalyste quand il y en a dans
l’institution. Ce qui m’a souvent frappé c’est le désarroi de beaucoup
de mes collègues qui apparemment n’ont pas réussi à savoir comment ils
pouvaient faire, quel était leur rôle. En ce qui me concerne, et ça va
tout à fait dans le sens de ce que vous dites et de ce que vous
demandez, je faisais à l’hôpital de jour une synthèse toutes les
semaines. Par contre je m’étais opposé de toutes mes forces aux
synthèses consacrées aux problèmes de l’équipe, non qu’il ne faille pas
en faire de temps en temps bien sûr, mais les synthèses concernant les
problèmes de l’équipe c’est « se badigeonner le nombril », et
pendant ce temps là, les malades ils font ce qu’ils peuvent. La
synthèse consistait essentiellement à faire le tour des malades. En
général je demandais aux infirmiers de dire ce qu’ils en savaient, ce
qu’ils en pensaient. J’ai pu vérifier, il faut dire que je me donnais
la peine de voir personnellement tous les malades du service, je les
connaissais tous, qu’en définitif je n’avais pas de surprise dans ce
qu’ils me révélaient. Mais, je proposais toujours un objectif, en tous
cas une visée, ce qui me paraissait être le meilleur style de relation
avec tel malade. Ça pouvait être : « Foutez-lui la paix
et soyez rassurés vis-à-vis de vous même, vous faites votre travail
quand vous faites ça ». Ça pouvait être tout autre chose, et ça
fonctionnait assez bien à partir du moment où ça a pu être mis en
place, puisque comme je l’ai dit au début, il m’a fallu trois ou quatre
ans pour que cette espèce de régime se stabilise et se mette à
fonctionner. Il faut dire que j’ai bénéficié en particulier d’un
surveillant général qui était quelqu’un de très bien, ça s’est un peu
détérioré vers la fin, puis ensuite une femme remarquable qui était
surveillante générale. Mais je suis pleinement de votre avis. Les
responsables ce ne sont pas les infirmiers ; le psychiatre et le
psychanalyste ont à tenir compte de leurs angoisses et de leurs
inquiétudes au même titre que de celles des malades.
Mr. X : Une autre question par rapport à ce psychotique qui peut
se présenter comme effectivement un grand délirant, mais aussi qui peut
être quelqu’un de tout à fait normal, apparemment normal, qui est
marié, qui a un travail. Comment sait-on que quelqu’un qui travaille,
qui est marié, etc, est psychotique, si ce n’est parce qu’il a tenté
une analyse. S’il est allé voir un analyste, c’est qu’il y a quelque
chose…
Cl. Dorgeuille : Pas forcément. Il y a plusieurs situations
possibles. D’abord, très souvent, il s’agit de gens qui ont fait un
épisode pathologique. Ils étaient déjà mariés, ils avaient une famille,
peu importe, on les connaît comme tels, on connaît la configuration de
leurs accès, on les suit souvent pendant plusieurs mois, quelques fois
plusieurs années, donc on peut vérifier qu’en effet, apparemment, ils
mènent une vie normale.
Concernant la deuxième éventualité, qui n’est pas rare d’ailleurs, j’ai
une histoire tout à fait remarquable à cet égard. Nous avons reçu dans
un des premiers services où j’étais, un homme qui devait avoir près de
la soixantaine, qui était secrétaire de mairie dans un petit village
des Pyrénées. Il était venu à Paris, en réalité à la suite de
procédures multiples entre le maire et puis lui. Au fil des années, il
amenait les dossiers chez lui pour travailler et puis petit à petit le
maire n’arrivait plus à récupérer les dossiers. Du coup, le maire l’a
foutu dehors. Lui a engagé une action contre le maire et puis y a eu
appel et puis c’est venu en cassation et il est venu à Paris, mais il a
fait un crochet par la D.S.T. pour aller informer les flics qu’il y
avait un complot contre de Gaule qui se tramait, c’est comme les
infirmiers en dermatologie : ils font le diagnostic en voyant
arriver le malade, il s’est retrouvé dans le service tout de suite.
C’était assez extraordinaire parce que j’ai pu parler un peu avec lui
pendant les deux, trois premiers jours, puis alors ça s’est refermé, il
ne voulait plus rien dire. Il y a une interne qui a pu prendre le
relais pendant dix à quinze jours et après ça a été la fermeture
complète. J’avais cru trouvé une astuce. Je lui avais
dit : « Vous savez moi, je suis d’accord avec vous. Je
vais demander votre sortie. » Alors là, du coup, plus moyen de le
voir, c’était fini, parce qu’évidemment sa sortie, il n’en voulait pas.
J’ai eu fort heureusement quelques informations. J’ai réussi à parler à
quelqu’un de la famille qui était de la Rochelle, il était venu une
fois. J’ai appris comme ça, en interrogeant soigneusement la famille,
que cet homme avait fait en fin d’adolescence un épisode manifestement
psychotique, mais très discret. Il y en a des quantités qui passent
inaperçus. Et puis il avait fichu le camp. Il s’était casé comme ça
dans un petit village comme secrétaire de mairie où il avait une vie,
comme je l’évoquais tout à l’heure avec « le rayon d’action du
schizophrène » de Follin, soigneusement organisée. Il allait de
chez lui à la mairie, traitait ses dossiers. Il vivait entièrement
seul. C’était parfait. Mais son délire qui s’était développé
insidieusement était probablement très vaste et comportait de
nombreuses dimensions, et tout à fait fortuitement, c’est à l’occasion
de sa venue à Paris pour ses procès, que ça s’est révélé puisqu’il n’a
pas pu s’empêcher de faire cette démarche auprès des Renseignements
Généraux. Ce qu’on avait découvert aussi, et ce que j’ai vu assez
rarement, c’était un rationalisme alimentaire, tout à fait
extraordinaire, un truc complètement délirant. Après ça s’est renfermé.
Il déambulait dans la cour du pavillon avec des dossiers qui, au
départ, étaient grands comme ça, puis qui s’épaississaient. Il ne les
lâchait pas d’un poil, et impossible d’avoir le moindre échange avec
lui. En réalité je l’avais mis à l’épreuve en lui disant « moi, je
suis de votre avis, après tout vous n’êtes pas malade, rentrez chez
vous ». Là, ça a été fini, plus moyen de le voir. Manifestement,
si j’avais demandé sa sortie, ça aurait été pour cet homme une
véritable catastrophe.
Mr.X : Qu’est-ce qui se serait passé si le général de Gaule avait
été assassiné la semaine suivante ?
Cl. Dorgeuille : Ah ! Vous savez que j’en ai eu un autre
comme ça. Alors lui il avait sauvé de Gaule par contre. C’est le début
d’un délire explicite, en 1962.
Dr. Burguet : Quand on fréquente de jeunes collègues comme je le
fais ici à Poitiers ou à Niort, je suis frappé qu’on ne parle plus
d’hystérie alors que Follin par exemple avait fait un excellent travail
sur les psychoses hystériques. Personnellement j’y crois à l’hystérie,
mais maintenant il vaut mieux ne pas parler d’hystérie dans certaines
circonstances. Je connais un expert dans une affaire d’abus sexuel qui
a eu toutes sortes d’histoires parce qu’il avait dit que la mère qui
avait porté plainte était une hystérique. Le mot hystérique a
maintenant une connotation péjorative alors qu’il recouvre une réalité,
une pathologie dont on connaît assez bien les signes.
Cl. Dorgeuille : Charles Melman a publié de « Nouvelles
études sur l’hystérie ». Son ouvrage est toujours disponible. Le
DSM III qui a rayé toute la clinique traditionnelle, et nous savons
dans quelle intention puisqu’il s’agit simplement de faciliter la
prescription médicamenteuse, cela n’a pas d’autre objectif ; c’est
intellectuellement parfaitement désolant. Des hystériques, j’en ai vu
pas mal et je continue à en voir. Ce sont des patients merveilleux, un
peu ‘emmerdants’ quelques fois, souvent très intelligents d’ailleurs.
Ma première analyse d’ailleurs, c’était une névrose hystérique chez un
homme.
Mme Y : On met souvent l’hystérie au féminin.
Cl. Dorgeuille : Oui effectivement, et puis névrose obsessionnelle
au masculin, mais ce n’est pas vrai. Par exemple l’article de Freud sur
« On bat un enfant », comme vous le savez, ce sont des
obsessionnelles femmes, cinq observations d’obsessionnelles femmes et
trois hommes. Ce qu’il faut dire simplement c’est qu’une des
caractéristiques de l’hystérie, c’est la plasticité. Alors ça c’est
fantastique.
D’ailleurs ça me rappelle un souvenir clinique extraordinaire. On avait
une jeune patiente qui habitait dans notre secteur et qui mettait en
émoi le commissariat local, la préfecture de police à longueur de mois
parce qu’elle coursait son père avec un grand couteau de cuisine dans
la salle à manger. La famille qui s’alarmait avec complaisance appelait
les flics et les flics en avaient raz le bol. On avait fini par la
prendre en charge. Et puis elle trouvait les séjours à Vaucluse pas
désagréables et à un moment donné j’avais dit : « Il n’y
a plus de raison de l’hospitaliser. » On intervenait à domicile,
on avait écrit à la préfecture et on avait pas mal calmé le jeu. Et
puis un jour, c’était pendant les vacances, vers la fin du mois d’août,
le collègue qui était sur place me dit : « Tenez, y’a
quelqu’un qui vient d’arriver là. Est-ce que vous ne voulez pas la
voir ? Je crois que c’est une hébéphrène. » Donc je la
vois : visage plutôt figé, mimique sans expression puis petit à
petit j’étais pris d’une espèce d’inquiétude. C’est bizarre, c’est
quelqu’un que je connais. Et tout d’un coup ça me revient, je me dis
mais c’est P… Je lui dis : « Mais vous vous foutez de ma
gueule ! » Alors elle répond : « Je veux
sortir. » « Ah, je lui dis, pas question. Vous nous avez eus.
Vous avez réussi à vous faire hospitaliser. » En une seconde, elle
était métamorphosée. Je retrouvais la femme que je connaissais avec une
mimique très expressive, avec la comédie habituelle. « Cette
fois-ci vous nous avez eus, pas question de sortir, vous restez au
moins un mois dans le service et vous avez intérêt à ne pas vous faire
réhospitaliser ensuite comme vous venez de le faire là. » Elle a
râlé un petit peu. Elle est sortie du service au bout d’un mois et
c’était fini. De temps en temps on la voyait à l’hôpital de Jour en
consultation, mais ça s’était calmé.
A. Branchu : Les questions posées m’évoquaient plusieurs choses.
La question sur l’agressivité m’a fait penser au numéro du Journal
Français de Psychiatrie qui vient de paraître et qui
s’intitule : « Faut-il punir les malades mentaux
criminels ? » On y apprend plein de choses étonnantes que
j’ignorais totalement notamment que les psychotiques se retrouvent
beaucoup plus volontiers en prison qu’à l’hôpital psychiatrique.
Finalement l’expertise psychiatrique, qui dans l’esprit de la loi était
faite pour leur permettre d’être soignés plutôt que condamnés, aboutit
maintenant à l’effet inverse, c’est-à-dire que le juge qui entend dire
par l’expert que ce monsieur est fou, il se dit « oh la la!
Il est dangereux, il faut le condamner à une peine plus lourde». La
perspective s’est complètement renversée.
Cl. Dorgeuille : C’est une question très difficile ça.
Effectivement dans l’ancienne loi de 1938, à partir du moment où
l’intéressé était considéré comme relevant de l’article 64,
c’est-à-dire en état de démence donc irresponsable de ses actes, toute
procédure judiciaire était éliminée. Il était hospitalisé et c’étaient
les psychiatres qui réglaient les choses en fonction de l’évolution du
patient. Il est vrai qu’il y avait un côté excessif là-dedans que nous
sommes tous amenés à constater. D’abord une petite remarque concernant
la psychiatrie française et une de ses notions qui est tout à fait
considérable, c’est celle de délire en secteur. Je dois dire que c’est
ce qu’on rencontre ordinairement, des gens peuvent délirer parfaitement
sur un point particulier et tant que vous ne touchez pas à ce point,
vous avez en face de vous des gens qui se comportent socialement le
plus normalement du monde. Donc ce que l’on pouvait constater en
pratique, et je pense que vous l’avez tous vérifié, c’est que même un
grand psychotique n’est pas forcément insensible aux aspects les plus
matériels de la vie sociale. Il n’est pas déconnecté de la vie réelle.
D’abord la majorité, comme vous pouvez le constater n’a pas de déficit
de l’orientation. Ils viennent à l’hôpital, ils rentrent chez eux. Ils
ont des rapports normaux avec leur boulanger, leur épicier. Souvent
c’est vrai, les possibilités de vie sociale autonome sont réduites mais
en tout cas, elles sont là. Autrement dit la question de la
responsabilité ce n’est pas toujours « tranchable » ; au
départ il y avait l’idée de ne pas déresponsabiliser systématiquement
toute personne atteinte d’un trouble mental, ce qui pouvait paraître
judicieux. Simplement ça a pris une dimension excessive.
A. Branchu : Je reviens d’un congrès à Paris sur l’infanticide et
justement il était dit que les mères qui avaient tué leur enfant
attendaient avec beaucoup d’impatience le jugement pour savoir si on
ferait marcher ou non ce fameux article 64. Il y avait aussi cette
indication que celles qui s’en tiraient le mieux après étaient celles
qui avaient dues faire une peine de prison.
Cl. Dorgeuille : Oui, mais c’est sûrement vrai pour un certain
nombre de cas.
Dr. Burguet : Il y a eu beaucoup de congrès sur l’expertise
psychiatrique. Il y a eu le congrès à Reims avec Daumezon, il était
scandalisé que les psychiatres experts outrepassent leur mission.
Qu’est-ce qu’on leur demande ? de dire si cet individu est fou ou
pas. Vouloir responsabiliser à tout prix les patients, ce n’est pas ce
qu’on leur demande. L’expert, il doit répondre aux questions qui sont
formulées par la loi. Il y a eu beaucoup de protestations à ce sujet
là.
A Niort on a travaillé sur un dossier de 2500 expertises qui
remontaient jusqu’à 1930, ce qui nous a permis de faire une dizaine de
mémoires qualifiant de troisième cycle de criminologie sur des
problèmes d’expertise. On a pu calculé qu’on était passé de 5 à 6 % des
cas dit en état de démence et venir sous l’article 64, à 1%
aujourd’hui. Qu’est-ce que ça veut dire ? Cela veut dire que de
grands malades mentaux schizophrènes délirants sont actuellement soit
dans les prisons, soit en liberté. J’interprète ça comme un retour à la
barbarie. On le voit très bien, actuellement, dans le modèle
anglo-saxon où il y a eu exécution de grands schizophrènes. Qu’est-ce
que ça veut dire ça ?
Cl. Dorgeuille : Je suis tout-à-fait d’accord avec vous. La
législation a été modifiée n’est-ce pas. Auparavant, effectivement, le
simple fait de dire, pour reprendre les termes de la loi, qu’il est en
état de démence au sens de l’article 64, ça réglait les problèmes.
Actuellement, c’est vrai aussi pour la gestion des biens puisque, dans
le temps, le placement d’office automatiquement retirait la gestion de
ses biens au patient et c’était géré par un service administratif
spécial ; cette loi, du fait de multiples facteurs, ça ne
fonctionne plus bien, même si au départ, pour rendre les choses un peu
moins massives ça pouvait paraître raisonnable.
Je suis pleinement d’accord avec vous, avec votre expression
« retour à la barbarie ». Ça va très loin d’ailleurs. Je vois
par exemple à Paris, nous nous sommes heurtés pendant vingt ans aux
rêves des politiques de faire de Paris premièrement la capitale
économique de l’Europe, deuxièmement de faire une ville riche, de gens
riches et parfaitement propres, ce qui fait que toutes nos demandes
concernant les rapprochements des services hospitaliers, des lieux où
habitaient les malades se sont heurtées à des refus.
Pratiquement le malade mental est moins bien toléré aujourd’hui malgré
les discours démagogiques que l’on nous sert à longueur de temps qu’il
ne l’était au Moyen Age. Au Moyen-Age, mis à part les cas où le malade
délirait sur le Diable, dans tous les autres cas le malade mental
vivait dans sa collectivité d’origine, mon Dieu, qui l’assumait comme
on assumait à la campagne les vieux et ceux qui ne tournaient pas très
rond de la tête. Actuellement dans nos cités on est dans une situation
d’intolérance fantastique. Le système s’est tellement rigidifié. Il y a
des mécanismes compensateurs qui fonctionnent plus au moins bien. J’ai
connu l’époque où à Paris il y avait les clochards sur les quais de la
Seine et sur un certain nombre de lieux. Des tas de gens vivaient
marginalement comme ça depuis des siècles. Il y a toujours eu des
marginaux, des gens qui ne pouvaient pas s’insérer dans la société
comme tout le monde et qui, cahin-caha, étaient acceptés et ne s’en
tiraient pas trop mal. J’ai même eu la surprise, dans un petit village
de l’Yonne où je vais régulièrement, d’apprendre qu’un gars au début du
siècle avait tiré son épingle du jeu de façon merveilleuse à une époque
où à la campagne la vie n’était pas très élevée, en ne fichant rien. Il
avait sa petite maison, bon, le voisin lui venait en aide. Il avait de
quoi manger et s’habiller et puis voilà. Notre société ne permet plus
rien de tel. Bien sûr il y a des aides diverses, il y a des tas de
choses qui ne répondent pas vraiment aux questions posées et à cet
ordre de fer qui s’est insidieusement imposé à nous et dont le malade
mental fait les frais d’une façon massive. Ca ne fait pas de doute.
Je me souviens d’un film qu’avait tourné Bassaglia à Venise. C’était
pendant la grande époque de l’antipsychiatrie où l’idée était de faire
sortir les malades de l’hôpital psychiatrique. Ca n’a pas été sans
souci et le retour de bâton en Italie a conduit vers une situation pire
qu’avant. Je me souviens de ce film où on voyait ces pauvres gens qu’on
essayait de faire danser alors que manifestement ils n’en avaient rien
à foutre, qu’ils n’en avaient pas envie, qui erraient dans la ville
comme des âmes en peine. On sait très bien qu’il y en a un certain
nombre qui ne peuvent pas vivre ailleurs qu’entre quatre murs et qui
sont là très bien, surtout quand on a en plus un parc.
D’ailleurs les colonies familiales, c’est vrai que ça n’a pas
fonctionné très longtemps, c’était à la disposition des services de
psychiatrie de la Seine, de la région parisienne, et de nombreux
malades ont pu retrouver un cadre familial et une vie pleinement
satisfaisante dans ce contexte là. Actuellement ce genre de choses est
devenu presque impossible ou alors à des prix ! Il y a les petites
communautés thérapeutiques, les appartements thérapeutiques. Autour de
la Vaucluse, ils ont réussi avec un mal fou à recruter quelques
familles pour placer des malades.
Dr. Burguet : On est passé d’un extrême à l’autre. J’ai étudié les
statistiques des procès de l’épuration après la guerre. La conclusion
d’irresponsabilité allait de 3% pour les hauts dirigeants impliqués
dans l’épuration, (un amiral par exemple ou quelque chose comme ça),
mais ça allait jusqu’à 30% pour ce qu’on appelait à l’époque les
« épaves sociales », pour ceux qui avaient commis des petits
délits pendant la guerre. Alors c’est excessif bien entendu. Maintenant
c’est à l’envers et là le rôle des experts, il est très important.
D’autre part les juridictions posent des questions sur la dangerosité
auxquelles les psychiatres ne peuvent pas toujours répondre.
Cl. Dorgeuille : Si vous voulez, disons qu’il y a beaucoup de cas
où l’on ne peut pas donner de réponse catégorique. Il y en a un petit
nombre où l’on peut en donner une.
Je me souviens le scandale fait par Lacan lors d’une de ses dernières
présentations de malade où il n’avait pas dit grand-chose, et quand le
malade était parti, il a dit : « Un malade comme ça,
vous le mettez au fond d’un hôpital psychiatrique et vous le laissez
jusqu’à la fin de ses jours. » Alors vous pensez, c’était après
mai 68, les réactions du public. Il était scandalisé. Mais c’était la
stricte vérité. Il y a un petit nombre de malades pour lesquels on sait
qu’il y a une dangerosité absolue et quasi permanente. Je vois par
exemple, dans le service le cas d’un malade pour lequel on s’est donné
un mal fou et après des années, après beaucoup d’hésitation, on a
décidé de le faire sortir avec toutes les précautions possibles et
imaginables. Et bien il est allé tuer le recteur de la Mosquée de Paris
tout simplement. C’est la limite extrême si vous voulez là. On savait
très bien que c’était sans doute risqué. On avait des éléments
d’environnement qui nous paraissaient relativement protecteurs et on
s’est quand même trompé.
Dr. Burguet : Oui, mais on a des cas inverses.
Cl. Dorgeuille : Oui, on a des cas inverses, on a en fait toute
une gamme d’un extrême à l’autre et c’est certain qu’on ne peut jamais
se prononcer d’une façon catégorique.
J’ai eu un homme, médecin, hospitalisé pour un délire d’empoisonnement
dans lequel était impliquée précisément sa femme. La famille de cet
homme était hostile à la femme qu’il avait épousée et qui était d’un
milieu plus modeste. Je savais qu’il avait acheté un fusil. A l’époque
je n’étais qu’en remplacement d’interne et je ne pouvais pas prendre de
décision. J’ai demandé à un expert de se prononcer et il l’a laissé
sortir. Je ne l’ai plus revu. Cela m’a paru tout à fait étrange.
Manifestement il y avait un rapport de fascination entre cet homme et
cette femme. Apparemment il n’y a pas eu de drame.
Mais c’est vrai que nous sommes souvent dans des situations d’extrême
embarras. C’est vrai aussi que le fait que quelqu’un ait tué une fois,
ca ne suffit pas en soi à trancher la question d’une hospitalisation à
vie par exemple. Il nous faut admettre bien entendu que notre science,
ce n’est pas les mathématiques. Qu’on nous demande notre avis, c’est
normal. Cela suppose de la part du psychiatre un sens de ses
responsabilités. Mais c’est la Justice qui tranche en dernier ressort.
Il est certain que la situation actuelle n’est pas satisfaisante du
tout et qu’elle est une régression par rapport à ce que nous avons pu
connaître.
Alain Harly : Par rapport à cette question il y a lieu de
s’interroger sur cette régression. Il y a certainement un tas
d’hypothèses à développer pour en rendre compte, mais si on revient au
fil proposé aujourd’hui, à savoir « psychanalyse et
psychiatrie », que dire de la responsabilité des uns et des autres.
Si on envisage la responsabilité de la psychiatrie dans cette
dégradation, on va peut-être mettre en cause l’enseignement qui est
donné, évoquer d’autres raisons de type économiques, faire valoir
le recours systématique à des conceptions pragmatiques. La psychiatrie
a certes pour objet la maladie mentale et si possible son traitement,
mais elle va aussi rencontrer la dimension de l’Etre. La mise en
question de savoir si la folie a quelque chose de consubstantiel à la
dimension de l’Etre faisait jusqu’ici parti de son champ. Mais du fait
de cette inflation du pragmatisme, d’un discours de l’effectivité, de
la gestion, il y a une évacuation de cette question.
Je ne sais pas si c’est plus facile d’être dans un cabinet de
psychanalyste que d’être dans un service de psychiatrie, je n’en suis
pas convaincu. Mais on pourrait se demander si de leur coté les
psychanalystes n’ont pas une certaine responsabilité dans cette
dégradation de la psychiatrie en ayant déserté ce champ de la
psychiatrie. Les patients hospitalisés relèvent rarement de la cure
type, mais le psychanalyste peut apporter des outils pour essayer de
penser la maladie mentale, voire d’orienter un traitement. C’est bien
la tentative de Lacan quand il rédige « Question préliminaire à
tout traitement possible de la psychose ».
J’en viens à cette question que je pose à Claude Dorgeuille : n’y
a-t-il pas une responsabilité des psychanalystes par rapport à l’état
actuel de la psychiatrie dans la mesure où elle aurait déserté ces
lieux ?
Cl. Dorgeuille : Ce n’est pas très facile de répondre à ça. La
psychanalyse n’a pas vraiment déserté ces lieux parce qu’il est resté
toujours depuis 30 ou 40 ans des analystes dans les services de
psychiatrie. D’autre part ; je crois que le problème des relations
est très compliqué parce qu’il y a eu des rapports de prestance, c’est
vrai, mais je crois surtout qu’il y a eu un développement de la
chimiothérapie et de la neurobiologie qui a favorisé cette démission.
Cette démission est apparue sur plusieurs plans. Par exemple, il y a
des médecins qui démissionnent. Ça a été l’objet de conflits et de
discussions à l’hôpital de Vaucluse car moi je n’ai jamais démissionné
de ma pratique médicale. Je considérais qu’on demandait un avis au
spécialiste, au pneumologue ou au diabétologue et que c’était le
médecin du malade qui tranchait en dernier ressort, informé par le
spécialiste, alors que très souvent c’était l’inverse. Autour de moi,
les collègues démissionnaient littéralement de leur fonction médicale,
ce qui m’apparaissait tout à fait fâcheux parce que dans un bon nombre
de cas, il est évident que ce qui pouvait paraître pleinement justifié
d’un point de vue strictement médical et organique, pouvait ne pas
l’être pour des raisons purement psychiatriques et psychologiques et
ça, je n’ai jamais lâché là dessus, j’ai toujours assumé mes
responsabilités de ce côté jusqu’à la dernière extrémité.
Je crois surtout que ce qui ressurgit régulièrement c’est le rêve,
parce que ça n’est qu’un rêve, d’une explication organiciste de la
folie. Je trouve admirable par exemple, qu’un homme qui mérite un
respect et une estime très grande, Monsieur Paul Guiraud, il avait
d’ailleurs rédigé un des meilleurs précis de psychiatrie qui soit
jusqu’à ses derniers jours, avait son petit laboratoire à Sainte Anne
et venait examiner des coupes de base de cerveau à la recherche d’une
lésion spécifique de la schizophrénie ; ce rêve d’une explication
disons organique a été relayé par les progrès de la neurobiologie. Ces
progrès de la neurobiologie sont assez extraordinaires. J’ai eu
beaucoup de camarades qui se sont lancés dans la recherche
neurophysiologique, étude extrêmement ingrate et qui actuellement fait
la pause, disons autant que je puisse savoir. Elle est extrêmement
ingrate du point de vue technique. Elle est très asservissante et
elle ne paye pas beaucoup pour une raison, que je crois essentielle,
celle d’une dichotomisation à l’infinie des problèmes. Cela fait que le
fossé entre les résultats obtenus dans le cadre de la recherche et la
clinique devient de plus en plus large et que les relations sont
devenues quasiment impossibles ou sans intérêt.
D’ailleurs, ce qui à mes yeux reste tout à fait remarquable, vous savez
Concernant les médicaments et la chimiothérapie, on continue à faire
des expériences chez l’animal et à transposer les phénomènes, bien que
tout le monde sache que ça n’est pas valable. On sait très bien que
cette relation est complètement falsifiée une fois qu’on se sert de ces
produits chez l’homme, mais tout le monde s’en fiche !
J’ai participé au début à l’expérimentation de l’halopéridol qui
s’appelait 16-25. On faisait ça avec beaucoup de sérieux et beaucoup de
soins. J’étais externe à l’époque, je prenais trente tensions tous les
matins, je remplissais des fiches en repérant précisément les effets
sur le malade. C’était un peu fastidieux mais au bout de quelques
années on s’est aperçu que ce qu’on appelle les phénomènes
psychologiques débordaient largement les constatations qu’on pouvait
faire objectivement. Pour autant aussi bien le médecin que le
laboratoire ont considéré que ça n’avait pas beaucoup d’importance.
Alors le mouvement s’est amplifié On faisait des expérimentations
cliniques à la va-vite et puis on mettait sur le marché. D’ailleurs un
représentant de laboratoire m’avait dit : à partir du moment où un
service prescrit le produit, on est remboursé de nos frais
d’investissements. Je crois que ce sont ces facteurs qui changé le
rapport à la maladie mentale.
Quant à l’enseignement, il n’y en a pas beaucoup. Les facultés de
médecine n’enseignent pas. Il reste des groupes comme celui de
« l’Evolution » qui garde une certaine vitalité, il y a
quelques services où les responsables de service tentent de maintenir
l’enseignement et puis il y des groupes psychanalytiques qui
poursuivent une transmission et une recherche à ce niveau.
Nous avons à l’Association déjà publié pas mal de choses, en
particulier nous avons remis à l’ordre du jour le célèbre Syndrome de
Cotard qui est une catégorie clinique assez remarquable à beaucoup de
points de vue mais qui était tombée complètement dans l’oubli. Cette
catégorie mérite d’être ressuscitée. Evidemment, c’est plus
embarrassant, cela demande plus d’effort, plus d’attention que de se
servir mécaniquement du DSM IV, V ou VI, etc. Je crois que connaître la
clinique psychiatrique est la première tâche pour un psychanalyste.
D’ailleurs Freud n’a jamais récusé le savoir psychiatrique, tout au
moins dans ses parties valables, Lacan non plus. Il faisait remarquer,
dans je ne sais plus quel séminaire, que la clinique psychiatrique
gardait sa valeur. On vous demande votre avis, vous êtes en expertise
ou en consultation, la famille vous demande votre avis, il faut être
capable de le donner. Or avec une clinique psychiatrique bien faite, on
peut répondre à beaucoup de questions quand même. J’ai eu dans le
service à un moment donné chez Leconte la petite fille d’Henri Wallon,
Madame Bonnemaison qui était une femme remarquable. Je lui ai
dit : « Ecoutez, vous allez vous cassez les pieds dans
le service à faire des tests, alors je vous propose la chose
suivante : « Vous faites des bilans à tous nos malades âgés,
puisqu’on avait beaucoup de déficitaires âgés, et puis nous
confronterons les résultats d’une bonne approche clinique et de vos
tests. » En définitive l’approche clinique donnait autant de
résultats précis et valables que les tests faits par Madame
Bonnemaison.
Mais je crois que je n’ai pas tout à fait répondu à votre question,
mais ce n’est pas très facile…Si vous voulez, la réponse tient
simplement au niveau de ce que j’ai proposé au départ de mon exposé,
c’est-à-dire ce qui a été le souci de Freud tout de suite quand il a
conclu, après son effort pour asseoir la psychologie sur la
neurophysiologie naissante, que ce n’était pas possible ; qu’une
explication neuro-psychologique était concevable, mais qu’elle n’est
pas accessible à notre technique ou sous des formes extrêmement
modifiées et très particulières, pour rendre compte de ces états
psychotiques. Lacan, avec la notion de forclusion, apporte là une
distinction qui, jusqu’à nouvel ordre et jusqu’à preuve du contraire,
reste en définitive la plus satisfaisante, et celle-là est cliniquement
valable comme je le disais tout à l’heure à propos de l’exemple que
j’ai donné du malade qui disait « J’ai le …… ? » et qui
avait des formulations fantastiques, elle est repérable cliniquement.
Dr Alain Cardon : Cette question, est-ce que la psychanalyse est
responsable des difficultés actuelles de la psychiatrie, on pourrait en
débattre effectivement. La question pourrait se poser aussi de cette
façon là. Tu as donné un titre « Psychiatrie et
psychanalyse ». Est-ce que c’est psychiatrie avec, psychiatrie
contre ? On pourrait s’amuser quand même pas mal avec cette
affaire-là. Je crois qu’il y a des responsabilités partagées. Je crois
que la psychiatrie est tout à fait responsable de l’état d’errance dans
lequel elle se trouve. Les psychiatres en sont peut être les premiers
responsables. Il faut déjà qu’ils balaient au niveau de ce qu’ils ont
fait avant de chercher des responsabilités ailleurs. Je crois qu’il
serait plus intéressant à l’heure actuelle, et c’est ce que disait
Dorgeuille, de souligner qu’aujourd’hui les plus ardents défenseurs de
la clinique, de la clinique classique, ce ne sont pas les psychiatres
ou seulement de façon très rare, mais ce sont les psychologues, les
psychanalystes. L’interrogation qui était celle de Freud, qui était
celle de Lacan et bien d’autres, ces gens qui se sont penchés de façon
aussi studieuse, de façon aussi précise, aussi attentive sur les
patients et qui en ont dégagé une clinique, cette clinique qu’est-ce
qu’on peut véritablement en faire ?
Si on se place du côté d’une clinique psychanalytique ou d’une clinique
psychiatrique, j’entends d’une véritable clinique psychiatrique, on va
trouver des points de convergence tout à fait nets. Plutôt que de
chercher uniquement des oppositions flagrantes, on va sûrement trouver
des points de convergence. Ces points de convergence, comment peut-on
arriver à les faire fructifier ? Un exemple clinique très rapide.
On posait tout à l’heure la question du délire : y a-t-il des
délires qui ne sont pas psychotiques ? Très certainement. Je suis
assez étonné que face à des patients qui ont des éléments
pseudo-hallucinatoires, il faudrait aller y voir d’un petit peu plus
près. On écrit, comme ça, sans trop savoir ce que c’est :
automatisme mental. L’automatisme mental, c’est quand même quelque
chose de très spécifique, de très particulier. Ceux qui m’ont enseigné
la psychiatrie me disaient : « Il y a l’automatisme mental,
il y a le mentisme obsédant, il y a des choses comme ça. » Quand
je trouve un automatisme mental chez une anorexique mentale qui me dit
qu’elle a une petite voix qui lui demande de ne pas manger, je suis
quand même assez surpris.
Ordinairement dans la pratique actuelle, à partir du moment où on a
posé l’automatisme mental, sans trop savoir d’ailleurs ce qu’il en est
véritablement, ipso facto cela veut dire psychose et ça veut dire
neuroleptique. C’est un court-circuit. Les psychiatres classiques
faisaient des différences qui étaient très précises, très rigoureuses
au niveau des termes qu’ils employaient. On n’employait pas l’un pour
l’autre. Je crois que d’une certaine façon, la psychanalyse, par
d’autres voies, essaie de retrouver cela et nous donne un éclairage sur
cette clinique ; mais elle reçoit aussi de cette clinique
psychiatrique classique un éclairage, vous évoquiez le travail qui est
fait sur le Syndrome de Cotard. Un certain nombre d’approches peuvent
être reprises comme celle là. Effectivement quand on reprend
l’évolution des idées de Cotard tel que le fait G. Cacho, on a une
démarche tout à fait heuristique qu’on ne peut pas mettre de côté
rapidement. Aujourd’hui on ne parle pratiquement plus de Cotard, les
jeunes internes en ont vaguement entendu parler mais ne savent pas trop
ce que c’est.
Une question que j’avais en vous entendant concerne ce terme très
particulier de forclusion. Il est clair que Freud y recourt
essentiellement au moment où il essaie de faire le partage entre
névrose et psychose, en s’étayant sur la paranoïa, ce que va faire
Lacan aussi d’ailleurs. Le terme de forclusion n’est-il applicable qu’à
la psychose, et là on va retrouver le débat avec Follin, et aussi celui
des psychoses, au pluriel ?
Peut-on transposer l’élaboration que fait Lacan dans son séminaire
« les structures freudiennes des psychoses » sur les
psychoses dissociatives ?
Cl. Dorgeuille : C’est très bien votre question. C’est quelque
chose à quoi j’ai souvent fait objection. Dans nos milieux, on
considère très facilement que la forclusion, c’est l’explication qui
vaut pour tout ce que la clinique décrit comme état psychotique. Ça, je
ne crois pas. Je crois que ni Freud, ni Lacan n’ont jamais prétendu
donner une explication générale. Lacan propose sa forclusion dans sa
reprise de l’analyse de Schreber.
Qu’ensuite il soit judicieux d’en faire usage dans un certain nombre
d’états cliniques, sans aucun doute. Cela veut-il dire pour autant que
ça couvre tous les états pathologiques que la psychiatrie a
décrits ? Je ne crois pas, sûrement pas.
A propos de ce que vous disiez justement, j’ai toujours été étonné de
l’étonnement de beaucoup de collègues devant l’hommage rendu par Lacan
à Clérembault. Mais c’est pourtant tout simple : le postulat
fondamental de Clérambault sur l’érotomanie, qu’est-ce que c’est
d’autre qu’une articulation signifiante qui développe tout simplement
ses conséquences logico-grammaticales sous une forme parfaitement
rigoureuse ? C’est d’une compatibilité parfaite avec les
élaborations de Freud et celle de Lacan ensuite. Vous avez là un point
de coïncidence qui est tout à fait extraordinaire et qui justifie
l’hommage rendu à ce type extraordinaire qu’était Clérambault. C’est
d’une richesse considérable, les écrits de Clérambault. Du point de vue
de la formation des psychiatres, il vaut mieux lire ça que 36 revues de
psychiatrie, c’est bien plus utile. Mais il y a aussi d’autres
auteurs comme le petit livre de Séglas sur les troubles du
langage, c’est tout à fait remarquable, ou « La pathologie de
l’imagination » de Dupré que personne ne lit : au niveau
doctrinal ça ne va pas très loin mais au niveau de la connaissance de
la clinique, il y a un échantillon de types cliniques tout à fait
remarquable.
A. Cardon : Mais alors pourquoi les jeunes psychiatres et leurs
formateurs ne font pas appel à ces ouvrages ? Il y a bien un
problème dans le fait que ce n’est pas cela qu’on lit.
Cl. Dorgeuille : Effectivement ce n’est pas ça qu’on lit. Je
disais tout à l’heure que dans le service, on faisait des réunions tous
les samedis matins en suggérant des lectures aux internes parce que
nous étions affolés devant la prolifération de textes, très souvent
d’une considérable médiocrité et en se demandant comment les internes
se débrouillaient dans la mesure où il n’y avait plus d’enseignants et
d’enseignements officiels de la psychiatrie, ils étaient obligés de se
débrouiller tous seuls. Donc on leur faisait des suggestions de lecture
et on discutait du bouquin qu’ils avaient lu le samedi matin.
Evidemment on orientait les suggestions. On leur proposait des textes
qui nous paraissent valables du point de vue de leur formation bien
entendu.
A.Harly : Je pense qu’on a un peu avancé et qu’on pourrait lors
d’une prochaine visite poursuivre ce débat. Ce que vous avez pu nous
apporter ne peut que nous encourager à envisager un certain nombre de
ponts entre la psychanalyse et la psychiatrie.
Cl. Dorgeuille : Les relations restent de toutes façons, je
dirais, impératives presque. D’abord parce que, qu’est-ce qui peut
soutenir un psychiatre dans l’intérêt porté au
« bonimentage » d’un malade mental ? C’est évidemment la
référence à une élaboration qui donne au langage une place essentielle
dans le fonctionnement psychique. D’autre part, et c’est pour ça que
j’ai cité mon observation en dernier, pour montrer à quel point les
analogies entre ce que racontait ce malade et ce que Lacan pouvait
élaborer autour du nœud Borroméen, si on essayait de les confronter,
faisaient problème. Quel est celui qui délire le plus ? Si je puis
dire…
A.Harly : Cela supposerait un long développement effectivement
pour apprécier à partir de quoi une théorie peut-elle être donnée comme
délirante ou pas. On pourrait se souvenir en tout cas de l’indication
de Freud où il dit avoir réussi là où le paranoïaque échoue. Le système
paranoïaque, il me semble, tend toujours vers une totalisation. La
psychanalyse avance par un travail de symbolisation de l’imaginaire du
réel, sans pour autant chercher à boucher, à suturer la béance de
l’Etre et en prenant en compte la part du non-sens ; c’est en
cela, entre autre, que son effort théorique se distingue de celui du
paranoïaque.
Je propose qu’on arrête là en remerciant vivement Claude Dorgeuille
pour tout ce qu’il nous a apporté aujourd’hui, ainsi qu’Antoine Branchu
pour sa participation et ses questions.
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