On ne doit pas lire les Trois essais sur la théorie de la
sexualité
comme si c'était un ouvrage écrit d'un seul jet, voilà le conseil que
Lacan donne en 1956 à son séminaire sur La relation d'objet. Il
poursuit en précisant que ce n'est qu'à partir de L'introduction du
narcissisme, ajouté en 1915, que nous pouvons comprendre le
développement prégénital de la libido, ce que Lacan traduit, comme nous
le savons, par la fascination primordiale du sujet par l'image à partir
de laquelle s'établit la relation d'objet. Par contre, on peut ne pas
suivre Lacan lorsqu'il fait le constat que la promotion de la phase
phallique - en référence à l'article de 1923 : Organisation génitale
infantile - serait restée en dehors de la dernière édition, alors qu'on
y trouve des ajouts jusqu'en 1924, date à laquelle Freud introduit le
primat du phallus dans son organisation des composantes pulsionnelles
sexuelles .
Je voudrai noter qu'on n'y trouve pas de complément faisant état de
l'évolution freudienne ultérieure à 1924 sur la sexualité féminine et
notamment sur la révision de la théorie de la névrose que Freud
articulera autour de la découverte essentielle par l'enfant de la
castration de la mère .
Notons de suite que Lacan tout au long de son enseignement insistera à
partir de l'idée freudienne de la découverte de l'objet comme
redécouverte sur ce que cette redécouverte introduit comme division
entre l'objet trouvé et l'objet recherché. La notion lacanienne de
manque d'objet peut nous apparaître ainsi plus familière, ceci d'autant
plus que l'objet est déjà pris, pour Lacan, dans " un matériel
signifiant " qui structure le prégénital et qui l'organisera à l'Œdipe.
Effectivement, comment comprendre autrement la notion d'incorporation
sans cette " transmission signifiante " de l'objet ? Bref, " la
sexualité parle ", dit Lacan dans L'instance de la lettre en 1957 et il
suffit d'ajouter comme il le fait en 1975 à Yale à propos des Trois
essais : "… notre langue maternelle " .
Dans la Quatrième Préface à ses Trois essais, Freud en 1920 insiste sur
l'opposition grandissante que rencontre, même parmi les analystes : "
le rôle du facteur sexuel dans la vie psychique normale et pathologique
" . Remarquons que dans notre monde contemporain, un philosophe comme
J.-F. Lyotard s'insurgeait contre l'idée d'une causalité sexuelle. Nous
savons combien M. Foucault à mis sa force à dénoncer le discours sur le
sexe qui établit historiquement le lien entre la sexualité, la
subjectivité et l'obligation de vérité, une triade qu'il verse au
compte de la psychanalyse comme héritière de cette scientia sexualis
qui cherche la vérité au fond du sexe ; et qui serait supposée vouloir
dire le vrai sexe et l'identité par l'usage de la norme accompagnée
d'une pratique de l'aveu .
Je voudrai souligner un deuxième point de cette Préface, celui de sa
fin, où Freud rapproche sa conception élargie de la sexualité à l'Eros
(en italique dans le texte) du divin Platon. Freud utilise cette
référence au Banquet d'entrée de jeu à propos de la pulsion sexuelle
pour illustrer le mouvement de séparation de l'être avec lui-même et de
son union dans l'amour. Il en fera à nouveau état dans le chapitre six
de Au-delà du principe de plaisir à propos du " besoin de rétablir un
état antérieur " . M. Safouan à fait la critique du mythe de Platon
dans son ouvrage sur La sexualité féminine, il parle du trébuchement de
cette théorie qui consiste à mettre une division réelle avec l'objet à
la cause de la retrouvaille de l'objet, alors que " …la division
primordiale est celle du sujet en quête de son identité perdue " .
Quant au réel, il est à saisir dans le caractère foncièrement perdu de
l'objet du désir .
Freud fournit un excellent récapitulatif de son avancée en fin
d'ouvrage . Nous sommes partis, dit-il, des aberrations de la pulsion
sexuelle par rapport à l'objet et à son but ; par objet sexuel, il faut
entendre la personne dont émane l'attraction sexuelle ; et par but,
l'acte auquel pousse la pulsion. Les déviations, ce qui supposent
l'idée d'une norme, sont étudiées à partir des travaux de Krafft-Ebing
et H. Ellis. Freud porte la question sur le caractère inné ou acquis de
ces déviations. C'est l'étude des névrosés, proches des biens portants,
qui a permis à Freud, comme il le dit, de découvrir un penchant à
toutes les perversions chez l'être humain ; d'où sa fameuse conclusion
: " la névrose est le négatif de la perversion ".
Parler de prédisposition aux perversions revient alors à évoquer cette
prédisposition comme originelle et universelle à toute la sexualité
humaine. La pulsion sexuelle est maintenant liée à la découverte d'une
sexualité infantile perverse et elle trouvera à se développer sous
l'effet de modifications organiques et d'inhibitions psychiques comme
la pudeur, le dégoût, la compassion et les constructions sociales de la
morale et de l'autorité ; on aura reconnu l'effet du refoulement dans
ce développement sexuel qualifié de normal par Freud. Ainsi, il n'est
pas étonnant de trouver un lien entre les penchants pervers en négatifs
chez le névrosé et les perversions dites positives ; il n'y a que la
différence de la fixation et de la régression à l'infantile, ce qui,
comme l'ajoute Freud en 1915, rend les perversions accessibles à la
thérapie psychanalytique .
Ce résultat est fort éloigné de l'invention au 19ème siècle du "
pervers comme un genre d'homme, dont ces perversions spécifiques sont
les espèces ". Il restera à M. Foucault de dénoncer la réduction de
l'homosexuel à une espèce en suivant l'équation: l'homosexuel est un
pervers, et un pervers est un malade. On pourra lire à ce sujet
l'excellent travail de Y. Hacking au Collège de France sur les
classifications. Bref, l'étude de l'homosexualité a permis à la
psychanalyse de dénaturaliser le sexe. Freud conclut son premier
chapitre sur l'inversion par la rupture d'un lien supposé naturel entre
la pulsion et l'objet ; de plus, ce n'est pas l'objet qui détermine
l'excitation pulsionnelle. La pulsion est indépendante de son objet ;
c'est la " soudure " entre eux qui est anormale.
La psychanalyse peut tenir ainsi sa place dans le débat entre les
thèses essentialistes, cherchant le gène gay, et celle des
constructionnistes. Ceci d'autant plus que Freud ajoute en 1915, je le
cite : " La recherche psychanalytique s'oppose avec la plus grande
détermination à la tentative de séparer les homosexuels des autres
êtres humains en tant que groupe particularisé… tous les hommes sont
capables d'un choix d'objet homosexuel et qu'ils ont effectivement fait
ce choix dans l'inconscient " .
Qu'en est-il de la pulsion sexuelle chez les névrosés ? L'étiologie des
névroses repose sur les forces pulsionnelles sexuelles. Voilà ce
qu'affirme Freud en soutenant son hypothèse par ses 25 ans
d'expérience. Les symptômes sont le substitut de désirs refoulés.
Notons que Freud parle à propos du symptôme de transcription de
processus psychiques investis d'affect. Remarquons que le symptôme est
d'emblé un message inconscient à déchiffrer et un substitut de
jouissance ; d'autant que ces désirs refoulés aspirent à une " décharge
". Le symptôme puise sa force à la source de la pulsion sexuelle ; et,
le déclenchement de la maladie intervient lorsque le conflit psychique
pulsionnel pris entre le refus et l'exigence de satisfaction se trouve
confronté aux exigences réelles de la sexualité à partir de la puberté.
La solution névrotique est alors la fuite dans la maladie; la pudeur,
le dégoût et la morale y prennent toujours leur part. Quel est le sens
de cette source sexuelle des névroses ? Nous trouverons la réponse dans
l'idée freudienne de développement de la sexualité et tout
particulièrement du développement de la sexualité infantile ; ce qui
est une thèse antinaturaliste.
Cette question de l'étiologie sexuelle des névroses vaudra pour Freud
l'effort d'un nouveau texte en 1905 : Mes vues sur le rôle de la
sexualité dans l'étiologie des névroses , ce texte s'intercale dans les
Œuvres complètes entre Les trois essais et Dora. Dans ce texte Freud
apporte une " correction " (c'est son terme) à sa théorie sexuelle des
névroses par la découverte du fantasme. Désormais, " l'infantilisme de
la sexualité " remplace les " traumatismes sexuels infantiles ". On
comprend aisément que si le fantasme s'édifie à la puberté à partir des
souvenirs d'enfance et se convertie sans médiation en symptôme, nous
tenons là, non seulement la causalité mais également la " texture " de
la névrose. La nouveauté tient dans ce progrès qui va de la causation à
la nature (Wesen) des névroses . On pourrait traduire ce déplacement
freudien par la distinction faite par Leibniz entre la définition
réelle, c'est-à-dire causale, et la définition nominale.
Le recul de la causalité traumatique sexuelle infantile et accidentelle
laisse la place à ce que Freud appelle la " constitution sexuelle ",
c'est-à-dire la pulsion sexuelle, comme il l'avait déjà précisé dans
ses Trois essais. L'effet pathogène revient à ce que cette pulsion peut
représenter comme insupportable pour un sujet. Le refoulement trouve
ainsi sa place dans l'étiologie névrotique en tant que réaction
singulière à l'activité sexuelle infantile. Le caractère nécessairement
insupportable de la sexualité infantile rapproche le névrotique du
normal et l'histoire sexuelle de l'enfance devient l'histoire du sujet
névrosé. Le nécessaire est à entendre dans l'opposition à l'accidentel.
Comme nous venons de le constater, Freud accorde une grande importance
à la puberté dans sa théorie des névroses. C'est à la puberté lorsque
s'extériorise le refoulement sexuel infantile face aux exigences du
réel de l'adolescence, c'est là que se produit l'entrée dans la
névrose. Freud s'appuie sur ses analyses de patients hystériques pour
indiquer que cette entrée dans la névrose est le résultat d'un conflit
entre la libido et le refoulement sexuel dont le symptôme est le
compromis. Nous découvrons ainsi chez Freud une approche
psychanalytique de l'adolescence ; une adolescence qui reste articulée
à l'infantile par le fantasme . Ce qui n'a pas échappé à Lacan, qui
dans sa Préface à L'éveil du Printemps de Wedekind nous met sur la voie
d'une rencontre du réel, qui s'oppose à l'idée du tout, je le cite : "
… de ce qu'est pour les garçons de faire l'amour avec les filles ".
Il revient plus que jamais à la psychanalyse de continuer à
s'intéresser à la sexualité de l'enfant et de l'adolescent à une
période où elle est délaissée par la science et tout particulièrement
par la psychologie du développement, celle qui vient dans la suite de
Piaget et qui est dominante aujourd'hui ; la sexualité de l'enfant
n'est plus un objet de recherche pour la psychologie du développement
cognitif de l'enfant .
Freud ne pouvait pas ne pas s'intéresser à la question de la norme
après sa découverte d'une sexualité infantile " perverse polymorphe "
qui bouscule les frontières entre la perversion, la névrose et la
normalité. Il établit une nouvelle relation entre santé, perversion et
névrose où la norme apparaît comme la résultante (la conséquence) du
refoulement " de certaines pulsions partielles et composantes de la
disposition infantile de chacun, et de la subordination de toutes les
autres au primat des zones génitales au service de la fonction de
reproduction " .
On à maintenant l'idée d'une norme qui est la conséquence du
refoulement (originaire) du phallus, c'est-à-dire d'une perte de
jouissance, constitutive de l'inconscient; une norme dont le désir sera
l'effet, comme M. Safouan le développe dans son livre La Parole ou la
Mort . Dès lors, les perversions correspondent pour Freud à une
perturbation de ce nouage par le caractère excessif de l'une ou l'autre
de ces pulsions partielles, et les névroses souffrent d'un refoulement
trop extensif de la libido. La névrose peut ainsi être considéré par
Freud comme le " négatif " de la perversion, ce qui est produit par le
refoulement des pulsions perverses qui sont toujours productrices de
symptômes.
Freud peut terminer sa présentation étiologique en mettant en italique
sa conclusion : les symptômes représentent l'activité sexuelle
(fantasmatique) des malades. En ce qui nous concerne, il reste à
souligner dans le texte de Freud que parmi les dommages occasionnés à
la fonction sexuelle, il faut compter en premier la culture et
l'éducation. Ce malaise s'exprime pour Lacan dans le cri d'un ce n'est
pas ça, celui toujours éprouvé dans l'expérience libidinale marquée par
la discordance entre l'objet trouvé et l'objet recherché ; là où se
démarque la jouissance obtenue, de celle qui est attendue .
Dans une dernière évocation par Lacan des Trois essais dans son
séminaire Encore, il attribue à Freud un dire qui articule la loi à la
répétition, ce que nous pouvons entendre sans plus le développer à
partir de cette discordance des jouissances qui introduit le sujet à
l'expérience du ratage, d'où se produit l'objet qui cause son désir.
Lacan ajoute, fort justement, que cette répétition est la preuve de
l'existence de Freud et que dans un certain nombre d'année, il en
faudra une . Beckett est ici à l'honneur.
Nous pouvons conclure notre propos sur l'étiologie sexuelle des
névroses, en rappelant que la sexualité est humaine de part sa prise
dans le discours et c'est ce qui lui ôte toute conaturalité avec un
objet naturel, et ceci jusque dans le coït. Le sujet ne rencontre un
tel objet que dans la psychose par l'impossibilité de reconnaissance
dans la représentation d'un objet de désir .
Il reste à savoir si l'adolescence est un paradigme pour la
psychanalyse ?
Nous connaissons le paradigme de la cognition qui est " l'homme-machine
" et celui des neurosciences qui propose l'équivalence " cerveau=pensée
". Ce dernier impulse des recherches sur le cerveau des adolescents qui
tentent à démontrer que l'adolescence n'est plus à prendre comme une
crise ontologique. L'immaturité du cortex préfrontal serait responsable
du débordement pulsionnel et par conséquent de l'agir adolescent. La
fonction éducative est ainsi appelée à bien vouloir veiller au respect
de la norme. Bref, la science appelle le nouveau maître libéral pour
servir de guide à des comportements produits par des cerveaux
immatures. Force est de reconnaître avec le professeur de psychiatrie
Jean-Marie Danion, responsable d'une unité INSERM de Psychopathologie
cognitive, que le modèle biomédical n'est pas à même de rendre compte à
lui seul de certaines souffrances psychiques liées à la précarité, à la
mutation sociale de la famille, à la recrudescence des violences, aux
nouvelles techniques biomédicales.
Il nous faut ainsi examiner ce que la psychanalyse apporte comme
contribution avec ses objets et sa position dans les sciences humaines.
La psychanalyse a des concepts et des mécanismes psychiques comme le
refoulement, la forclusion, mais quels sont ses paradigmes de
recherche? Cette question nous oblige au préalable à adopter une
définition du paradigme. Pour cela, je vais me référer à Y. Hacking qui
résume les deux principaux sens du paradigme chez Kuhn . Le premier
sens est celui du paradigme comme modèle réussi. C'est le cas des
travaux qui ont su développer des normes standard pour traiter certains
problèmes dans un moment de crise scientifique. Le second sens présente
le paradigme comme une " matrice disciplinaire ", qui détermine le
futur du champ. Il s'agit d'utiliser le paradigme au premier sens pour
définir ce qui pourrait constituer un succès futur sur le modèle du
succès originaire. Bref, c'est ce que I. Lakatos définit comme
programme de recherche autour d'un noyau dur ; ce programme doit être
cohérent et permettre d'inclure un programme de recherche futur, il
doit pouvoir conduire à la découverte de phénomènes nouveaux.
Remarquons que I. Lakatos pensait que la psychanalyse pouvait
satisfaire le premier point. Alors qu'au contraire, nous pouvons
constater que la psychanalyse suivrait plutôt la déclaration de Thomas
De Quincey lorsqu'il dit préférer découvrir un nouveau problème que de
découvrir la solution d'un ancien problème.
Le plus intéressant reste à savoir comment une science progresse. J.-P.
Vernant nous met sur la voie lorsqu'il nous éclaire sur l'apparition de
la pensée rationnelle dans la Cité grecque. Ce qui n'a été rendu
possible que par le renoncement à la fiction d'une raison absolue et
grâce à la conjonction des règles du jeu politique et intellectuel qui
ont adopté le débat public, argumenté et contradictoire. Pas question
de faire taire un débat.
Mais le progrès dépend de la découverte d'un nouveau domaine du réel,
qui est en mesure de mettre une science en crise par la dysharmonie
qu'il introduit entre ce réel et la pensée. Ce n'est que lorsque la
raison mord sur le réel, qu'elle s'oblige à remanier son système, ce
qui est le gage de sa vitalité et la garantie contre la pensée
religieuse. Le devenir objet de recherche de ce réel dépend du langage
de la discipline scientifique et de ses capacités de transformations
pour permettre de nouvelles opérations logiques qui vont enrichir son
objet et étendre son domaine.
Avant de poursuivre, je voudrai faire observer que ce sont des hommes
qui choisissent les nouveaux objets scientifiques et les nouvelles
questions à traiter. Le progrès de la science est tributaire de la
décision de ses chercheurs et de ses politiques.
Revenons à la psychanalyse, sans aucun doute, c'est l'inconscient qui
est le noyau dur de la psychanalyse; Lacan précisera que l'inconscient
est un concept forgé sur la trace de ce qui opère pour constituer un
sujet.
Je vais m'intéresser à un paradigme qui ne couvre qu'une partie de la
psychanalyse, à savoir l'adolescence.
Plus que jamais l'adolescence est le baromètre du social en tant que le
sujet à l'adolescence est en phase avec le social qui modèle sa
subjectivité . Les questions qu'il pose, souvent en acte, anticipent
sur la découverte des conséquences de notre organisation sociale :
l'autorité, le père, la violence, les pratiques de jouissances, la
différence des sexes, la féminité, etc.
Mais, si l'adolescent(e) est tout particulièrement le héros d'une
course à la jouissance immédiate, il n'en demeure pas moins traversé
par la question du désir; l'issue de ce clivage entre jouissances et
désir dépend en grande partie des réponses apportées par l'autre ou
l'Autre. Voilà ce que la psychanalyse par ses recherches cliniques
articulées à une pratique avec des adolescents peut aujourd'hui
apporter à l'intranquilité adolescente dans notre monde contemporain.
Il me reste à définir l'adolescence freudienne.
Freud est très explicite sur les remaniements psychiques spécifiques à
l'adolescence dans une note en bas de page de L'homme aux rats :
" Afin d'éviter une erreur dans l'appréciation de la réalité, on doit
rappeler que les " souvenirs d'enfance " des hommes ne sont fixés qu'à
un âge plus avancé (le plus souvent à l'époque de la puberté), et
qu'ils subissent alors un processus de remaniement compliqué, tout à
fait analogue à celui de la formation des légendes d'un peuple sur ses
origines. On peut reconnaître clairement que l'adolescent (der
heranwachsende Mensch) cherche à effacer, par des fantasmes concernant
sa première jeunesse, le souvenir de son activité autoérotique. Il y
arrive en élevant au niveau de l'amour objectal les traces laissées par
l'autoérotisme, tout comme le fait le véritable historien qui tâche
d'envisager le passé à la lumière du présent. De là quantité
d'attentats sexuels et de séductions imaginés dans ces fantasmes tandis
que la réalité se borna à une activité autoérotique stimulée par des
caresses et des punitions. De plus, on s'aperçoit que ceux qui se
forgent des fantasmes sur leur enfance sexualisent leurs souvenirs,
c'est-à-dire qu'ils relient des évènements banaux à leur activité
sexuelle et étendent sur eux leur intérêt sexuel, tout en suivant
probablement par là des traces de contextes véritablement existants.
Tous ceux qui se souviennent de l'Analyse d'une phobie chez un petit
garçon de 5 ans, comprendront que je n'ai pas l'intention de diminuer,
par les remarques précédentes, l'importance de la sexualité infantile
et de la réduire à l'intérêt sexuel existant lors de la puberté. Je
désire seulement donner des directives techniques pour la solution des
fantasmes destinés à fausser l'image de l'activité sexuelle infantile
proprement dite " .
Nous avons ici l'apport de Freud le plus explicite dans son œuvre sur
le travail psychique spécifique du sujet à l'adolescence. Il suffit de
relever comme Freud le souligne lui-même en caractère italique dans son
texte, à savoir que le sujet à l'adolescence, en bon historien, cherche
à effacer les souvenirs de sa sexualité infantile, perverse polymorphe;
et autoérotique, ce qui veut dire qu'elle est sans choix d'objet à
l'inverse de ce qu'il considérera comme une sexualité d'adulte.
Freud remarquera ultérieurement que le travail de l'adolescent consiste
justement dans ce passage d'une sexualité infantile vers une sexualité
adulte; un mouvement qui va de l'autoérotisme vers le choix d'objet
sexuel. Notons que le fantasme devient le lieu de cet effacement de la
pulsion, ce qui nous amène à le considérer comme une résistance à la
pulsion et par conséquent comme un produit du refoulement .
Nous venons juste avant de découvrir que les relations entre fantasme
et pulsion. Nous savons maintenant que leur lien n'est pas naturel et
qu'il est de l'ordre d'une " soudure ", le terme est de Freud. Ce terme
de " soudure " évoque bien la fixité d'une jouissance, ce qui est
synonyme de pathologie.
Ce travail du sujet à l'adolescence comparé par Freud à celui de
l'historien, n'est autre que celui de l'écriture du fantasme dont le
sujet va s'autoriser pour son passage à " l'être-pour-le-sexe " . Le
sujet passe ainsi grâce au travail psychique de l'adolescence à un
autre mode de jouissance, celui de l'acte sexuel.
Il faudra quelques " remuements ", comme le dit Lacan, pour que de " ce
gouffre " du refoulement de la jouissance en " réémerge à quoi nous
jetons en pâture (…) notre rapport avec quelque conjoint sexuel " .
Bref, le choix d'un(e) partenaire devient le symptôme (la jouissance)
du sujet à l'adolescence.
-----------------------------------------------------------------------
J. Lacan, (1956) La relation d'objet, Seuil, 1994, p. 52.
S. Freud (1905), Trois essais sur la théorie sexuelle, Gallimard, 1987,
p. 183.
C. Hoffmann, Introduction à Freud. Le refoulement de la vérité,
Hachette, 2001
J. Lacan, Scilicet 6/7, Seuil, p. 14.
Op. cit., p. 30.
J.-F. Lyotard (1954), La phénoménologie, Puf, 2004, p. 69.
Cf., Arnold I. Davidson et F. Gros, Michel Foucault, Philosophie,
Gallimard, 2004.
S. Freud (1920), Essais de psychanalyse, Payot, 1981, p. 106.
M. Safouan, La sexualité féminine, Seuil, 1976, p. 142-143.
M. Safouan, " Du réel dans la psychanalyse ", in Dix conférences,
Fayard, 2001.
On pourra se référer également à l'ouvrage de J. André, La sexualité
féminine, Puf, 2003.
Op. cit., p. 181.
Op. cit., p. 51.
In S. Freud, Résultats, idées, problèmes, T.1, Puf, 1984.
Op. cit., p. 121.
Cf., C. Hoffmann, " La note de Freud sur l'adolescence comme
refoulement de l'infantile " In De l'infantile au juvénile, Erès, 2006.
J. Lacan, Autres écrits, Seuil 2001, p. 562.
O. Houdé, La psychologie de l'enfant, Puf, 2004
Op. cit., p. 119-120.
M. Safouan, La Parole ou la mort, Seuil, 1993.
J. Lacan, Encore, Seuil 1975, p. 101.
Ibid., p. 101.
M. Safouan " La sexualité dans la névrose et la psychose ", in Dix
conférences de psychanalyse, Fayard, 2001.
M. Foucault, Les mots et les choses, Gallimard, 1966, je cite p. 385 :
" La psychanalyse (…) en se donnant pour tâche de faire parler à
travers la conscience le discours de l'inconscient, la psychanalyse
avance dans la direction de cette région fondamentale où se jouent les
rapports de la représentation et de la finitude ".
Y. Hacking, Leçon I, le 21 janvier 2006, Collège de France.
T. S. Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, Flammarion, 1983
A. F. Chalmers, Qu'est-ce que la science ? Le Livre de Poche, 1987
J.-P. Vernant, " Raison d'hier et d'aujourd'hui " in Religions,
histoires, raisons, 10/18, 2006.
J. Lacan, Ecrits, Seuil, 1966, p. 830
S. Lesourd, La construction adolescente, Arcanes, 2005. A. Vanier, "
Some remarks on adolescence with particular reference to Winnicott and
Lacan ", Psychoanalytic Quaterly, LXX, 2001.
S. Freud (1909), "L'homme aux rats", Cinq psychanalyses, Puf, 1970, p.
233-234.
C. Hoffmann, Introduction à Freud. Le refoulement de la vérité.
Hachette, 2004.
J. Lacan (1967), "Allocution sur les psychoses de l'enfant", Autres
écrits, Seuil, 2001, p. 365. Ibid., p. 364.