le 8 novembre 2008, à Poitiers
Discutants : Catherine Fava-Dauvergne et Jean-Jaques Lepitre.
M-C Salomon-Clisson, Présidente : Présentation du conférencier et des
discutants.
Si vous êtes intéressés, à partir de cette conférence et à partir bien
sûr de vos questionnements en ce qui concerne la psychanalyse, la
musique et la voix, vous pouvez vous adressez à moi pour que je vous
donne une bibliographie préparée par O.Douville. Une toute petite
introduction avant de passer la parole à OD, un petit peu sous forme de
boutade, et peut-être pour continuer le travail de notre atelier de ce
matin, une réflexion de Jean Clavreul, psychanalyste qui connaissait
très bien Lacan et qui disait, après la mort de Lacan : " on profitait
de l'estrade que constituait l'Ecole Freudienne pour diffuser des idées
qui n'avaient rien de Lacanien. C'est ainsi que les psychanalystes se
mirent à parler, à parler, à parler. On n'entendait plus la musique et
tout fut à recommencer ". Voilà. Je donne la parole à Olivier Douville.
Olivier Douville : Bonjour et tout d'abord merci de m'avoir invité ici
à Poitiers. J'ai donc commis un argument que vous avez pu lire mais je
vais partir d'autre chose parce que tout ce qui s'est dit ce matin en
atelier a été d'une profonde résonnance sur moi. Et je vais partir d'un
événement dans un domaine que je connais un peu, dans lequel j'essaie
d'illustrer un peu quelque chose de ce qu'est l'anthropologie, à propos
d'un texte important de Claude Levi-Strauss, qui a pour titre :
l'efficacité symbolique. Ce texte est très connu, du moins dans le
monde des anthropologues mais peut-être un peu au-delà aussi. Et si le
titre n'est pas encore tout à fait dans vos mémoires, il se peut qu'un
des faits sur lequel il prend appui pour démontrer ce que c'est que
l'efficacité symbolique sur le corps vous soit déjà connu. De quoi
s'agit-il ? Dans une population indienne, une femme n'arrive pas à
accoucher. Soit l'enfant veut rester dans son ventre, soit elle veut le
garder dans son ventre mais, enfin, il ne sort pas. Alors, il est fait
appel au service d'une femme qui dans le texte de Lévi-Strauss est
appelé chamane et qui va procéder à deux choses. D'une part, elle va
tresser puis détresser deux fils, mais ce qui compte c'est le tressage
bien plus que l'un ou l'autre de ces fils, on pourrait presque dire
deux cordes, comme on dit deux cordes vocales, fil noir et fil blanc,
mais surtout, elle va raconter un récit, du moins c'est ce que soutient
Lévi-Strauss. Un récit qui est à la fois, finalement comme tous les
récits que nous allons récolter au lointain, à mi-chemin entre le mythe
et l'épopée. C'est à dire que c'est à la fois un récit de victoire
politique, quelqu'un peut arriver en maître dans un nouvel espace et je
pense que là on entend à quel point c'est analogue avec la naissance et
puis, un récit où les esprits se font la guerre. Ce récit dont le
moteur est en quelque sorte l'évocation d'une naissance miraculeuse
apaise quelque chose chez cette femme et l'enfant peut venir au monde.
La thèse Levi-straussienne comporte deux étages que nous ne retiendrons
pas avec un égal intérêt. Le premier de ces étages explique que
quelques soient les rationalisations que l'on peut donner pour
justifier une pratique, il y a un efficace qui dépend du dispositif. Le
deuxième étage va nous expliquer l'imposition du langage sur le corps
et, chose qui est maintenant banale, mais je pense qu'à l'époque ça
l'était moins -quand je dis que c'est banal je veux dire que ça a été
trop vite expédié. La thèse est là que si on précipite ce sujet femme
vers un monde de langage qui lui permette d'être hébergée dans des
images qu'elle ne connaissait pas encore et bien, à ce moment-là, un
certain resistre des identifications se recompose, une certaine chaîne
se remet en place et le corps est appareillé par ce nouveau langage.
Bien des années après, au moins un quart de siècle après, un
anthropologue du nom de Michel Perrin a voulu entendre ce que disait
les gens qui faisaient le même métier que cette femme chamane. C'est
important de dire qu'il a voulu entendre, car au fond, si je prends
beaucoup de collectes des livres d'ethnographies surtout dans le
domaine français, il est très rare qu'on entende la langue des gens
chez lesquels l'anthropologue s'est rendu. On a même beaucoup de
constructions qui font fi de cette langue et c'est par la suite en
raison d'un certain intérêt, une certaine inquiétude qu'avait
l'ethnographie pour tenter non pas simplement d'observer le lointain,
mais de donner un abri à ce qui dans le lointain risquait de
disparaître, que l'on s'est davantage intéressé à ramener dans les
filets de la collecte ethnographique la sonorité des langages parlés
sur ces terrains.
Or, quelle est la découverte de Perrin, c'est que cette femme chamane,
parlait une langue ancienne, enfouie, antique, que cette patiente
n'était pas en mesure de comprendre, ce qui ne veut pas dire qu'elle
n'était pas en mesure de l'entendre. Et donc, que la thèse un peu trop
psychologique que l'on trouve sous la plume de Lévi-Straus -un peu trop
rapide mais c'est parce que Lévi-Strauss s'intéresse à autre chose,
mais cette thèse, qu'une explication qui propulse le sujet vers l'idéal
a des effets profonds dans ce qui, dans son corps, peut s'ouvrir ou se
fermer, cette thèse là - on raconte finalement un mythe d'ouverture
héroïque et le corps de la parturiente va s'ouvrir et l'enfant va
sortir - et bien, ce n'est pas ça qui fonctionnait.
Evidemment, on peut se dire, Lévi-Strauss s'est trompé et puis en être
content, puisque nous sommes à une époque où nous en avons assez
d'avoir une dette vis-à-vis des grands esprits. Assez d'avoir une dette
vis-à-vis de Lacan, pas ici d'accord, mais quand même. On en a assez
d'avoir une dette vis-à-vis de Lévi-Strauss, on en a marre d'avoir une
dette vis-à-vis de Foucault, on préférerait avoir juste une obligation
vis-à-vis des statistiques. C'est pour ça que la connerie du Livre noir
(de la psychanalyse) mérite d'être connue, dans la mesure où il n'est
absolument pas catastrophique d'avoir des ennemis, qu'il est salutaire
qu'ils se dévoilent. Mais au fond, ce n'est pas un livre critique,
c'est une descente de police avec un côté happening : vous avez eu tort
de vouloir vous encombrer d'une fidélité de travail à Lévi-Strauss, à
Deleuze, à Lacan, etc…
Donc, on peut évidemment se dire Lévi-Strauss s'est trompé. Mais, ça je
crois que ce n'est pas une démarche rigoureuse. Je pense que la
démarche rigoureuse est plutôt de considérer qu'à partir du moment où
c'est la chaîne signifiante qui fonctionne et pas l'articulation
plausible pour le moi des signifiés, alors est-ce le texte de
Lévi-Strauss qui chute et par là-même comme dans un effet de dominos,
la totalité de son œuvre, ou pas ? Eh bien non. Il se trouve que
l'apport d'informations qu'a donné Michel Perrin et qui n'a eu un effet
qu'auprès de ceux des anthropologues qui sont psychanalystes, cet
apport ne bouleverse pas le modèle structural. Il le précise en cela
qu'il nous le fait bien plus entendre du côté de Jakobson que du côté
de Saussure, tant il met l'accent sur cet effet du signifiant sur le
corps. En d'autres termes, il n'y a absolument aucune raison de
considérer que le structuralisme de Lévi-Strauss s'en sort affaiblit,
bien au contraire.
Nous savons peut-être que Lévi-Strauss désignait trois régimes du
langage : le langage tel que nous le parlons qui pourrait être décrit,
d'une part, par le palier saussurien, signifiant/signifié, puis
certainement plus par le palier de Jacobson métaphore/métonymie, le
langage mytho-poétique où il y a une alliance entre les mots et les
choses, donc un langage qui a son efficace, et le langage musical. Et
toute l'œuvre de Lévi-Strauss -voyez comme c'est net dans le final de
L'homme nu- , nous indique que ce qui est important dans nos mythes,
dans nos mythologies, c'est beaucoup moins le récit que le système de
musicalité qui fait apparaître, converger, ou s'éloigner, disparaître
et réapparaître des antagonismes. Je vous rappelle que pour
Lévi-Strauss, un mythe ce n'est pas un récit, ce n'est pas un conte à
la Perrault ou à la Grimm, évidemment j'ai beaucoup de tendresse pour
les contes de Perrault et de Grimm et vous aussi je suppose, mais un
mythe c'est une batterie qui met au plus loin possible deux éléments
d'un couple antagoniste et qui va faire se surajouter, maintenant
l'écart, des contradictions secondaires. Je donne l'exemple suivant.
Nous maintenons un écart maximal entre le mort et le vif. Nous peuplons
cet écart maximal d'une opposition entre, par exemple, le guerrier et
le chef de terre. Celui qui donne la mort ou qui la reçoit et celui qui
s'occupe des morts mais qui est protégé y compris par les ennemis. Nous
mettons, pour peupler un peu cet espace laissé vacant par cette
contradiction secondaire, par exemple l'opposition entre le chasseur et
l'agriculteur, etc… Le mythe c'est une façon d'orchestrer des couples
d'opposés. Mais le mythe ne se raconte pas comme le racontent les
anthropologues, comme le racontent aussi les spécialistes des Sciences
de l'Homme. Lorsque nous écrivons un mythe, nous sommes en train de
renfermer dans la besace académique une voix qu'on a fait taire. Le
mythe c'est une certaine façon de prosodier ces contradictions, de leur
donner corps, de les mettre en scène et le rite n'est pas non plus une
pantomime, c'est une pantomime qui nécessite un habitacle sonore,
peut-être musical. En tout cas, il n'y a pas de possibilité d'évoquer
par le rite, un mythe, sans qu'un substrat sonore, ne vienne ici donner
à cette parole quelque chose d'une résonance au-delà de ce qu'elle
signifie.
Alors pourquoi partir de cela ? Parce que le texte de Lévi-Strauss pose
des questions redoutables pour les cliniciens. Certes, il ne s'agit pas
de considérer qu'il suffirait d'entendre dans n'importe quelles
conditions une succession de signifiants pour s'en trouver saisi. Il y
a là un dispositif, où, au moins chacun des deux protagonistes est
renvoyé à une autre scène. Qu'est-ce que la chamane ? Qu'est-ce que le
chamane ? De façon générale, et très particulièrement dans cette
société dont parle Lévi-Strauss bien, c'est un sujet qui n'a pas besoin
d'être initié pour faire valoir la parole des morts. Or, la plupart du
temps, cette parole des morts, loin d'apparaître d'emblée, y compris
dans ce que dit le chaman, comme une parole articulée, une espèce de
petite annonce : " ancêtre maltraité recherche village compatissant
pour faire sacrifice ", ce n'est pas ça. La parole des morts, c'est
exactement comme les balbutiements qui pouvaient sortir de la bouche de
la Pythie, là où elle se tenait proche de la faille où Python avait été
tué. La parole des morts, c'est un espèce de murmure qui rappelle la
violence, qui rappelle le meurtre mais qui ne s'articule pas dans un
langage univoque. Le bruit du chamane, la parole du chamane, c'est une
façon de tumulte faite d'équivoque qui doit être livrée à
l'interprétation. Et l'interprétation n'est pas le fait du chamane.
C'est quelque chose de tout à fait conséquent.
Je disais que chacun des deux protagonistes est renvoyé à ses autres.
Pour le chamane, la voix des morts qui ne se sont pas tus et pour la
parturiente, et bien cet autre à venir, pour le moment, tout cela n'est
pas localisable dans un mythe qui opposerait la vie à la mort.
C'est-à-dire, que par exemple, elle peut tout à fait considérer que son
ventre est la sépulture d'un ancêtre qui insiste à rester dans cette
sépulture comme j'ai pu entendre, lorsque j'ai fait mes premiers
travaux d'anthropologie clinique à Dakar, des femmes qui après leur
accouchement déliraient en disant que leur vrai enfant était resté dans
leur ventre et que c'était peut-être l'ancêtre qui était dans la tombe
de leur ventre. Vous imaginez la mélancolie de ces jeunes personnes.
Donc, la voix du chamane a des effets, non pas parce qu'elle exalterait
le corps de la patiente mais parce que, d'une certaine façon, elle en
fait taire les bruissements, parce que d'une certaine façon, elle ne
fait plus de ce corps, la seule caisse de résonance du monde, il y a
une autre source de la voix, qui est la voix de la chamane et cette
voix, pour ce que j'ai pu en entendre, des enregistrements qui ont pu
être faits par des gens qui ont suivi les traces de Perrin, qui lui, je
crois, n'a pas ramené d'enregistrement, c'est une voix qui est
extraordinaire, parce qu'elle est extraordinairement contrastée, parce
que les effets de fermeture de la bouche, d'ouverture de la bouche sont
surcodés, plus exactement peut-être, comme certains musiciens de Jazz
surcodent l'ouverture ou la fermeture lorsqu'ils jouent d'un instrument
avec une sourdine (Bubber Miley, Cootie Williams et quelques autres) et
c'est donc une voix qui est extraordinaire dans ses effets d'expansion
et de rétraction. Peut-on alors imaginer qu'il y aurait une
incorporation de cette forme d'alternance de rythme signifiant ? Oui,
mais à une condition, c'est que le corps de cette patiente, soit, en
quelque sorte, gagné par un silence. Il se joue, entre cette patiente
et cette chamane, non pas une lutte d'un tintamarre contre un
tintamarre, ou d'un vacarme contre un vacarme, mais plus exactement le
don d'un silence qui ne fait pas gouffre. Car ce qu'il faut que je dise
pour que ce soit plus clair, c'est que la chamane est silencieuse au
moment où elle tresse et détresse dans une première fois les fils, où
elle noue et dénoue les cordes ou les destins. Vous pouvez entendre
cela comme vous voulez sachant qu'au fond, pour beaucoup de physiciens,
la structure de l'univers, ce serait deux cordes qui vibrent,
exactement comme celles qu'on a ici dans notre gorge.
Donc, c'est sur ce fond de don de silence que le corps va s'absenter de
sa résonnance première. Il y a bien là un don de langage qui n'est pas
un don de sens qui l'excède et qui est un don d'une espèce de matière
corporelle qui l'engage, c'est à dire un miroir sonore. Mais là où nous
nous égarerions un peu, peut-être, ce serait à considérer le terme de
miroir dans la matérialité de sa réalité optique, à savoir ce qui
renvoie une image. Certes, Lacan, à la demande de Wallon, avec sa
puissance et son appétit de lecture absolument prodigieux, a considéré
un certain nombre de travaux qui s'étaient fait à l'époque sur le
miroir, en psychologie, car cela remonte, nous le savons à Jean-Jacques
Rousseau puis à Darwin mais également en éthologie. Mais il y a dans le
texte de Lacan, une phrase qui le conclue, qui semble être une incise,
et dont nous retrouverons le dépliement dans quelques séminaires
ultérieurs, que nous avons essayé de remettre en ordre sans y arriver
totalement. Quelle est cette incise ? Quelque chose qui dit qu'au-delà
des limites, le grand voyage commence. Au-delà des limites du corps, il
y a un grand voyage qui commence. Lorsque nous parlons, nous sommes
plusieurs à le faire, (ce matin l'atelier était empli de cette
tentative difficile d'explorer la matérialité sonore de l'inconscient),
lorsque nous parlons d'image sonore, ou de miroir sonore, on pourrait
entendre quelque chose qui serait comme une régression. Mais peut-être
s'agit-il au fond d'une progression. Il y aurait dans cet exemple de
Lévi-Strauss comme dans d'autres cas cliniques que je vais rapporter et
qui se rattacheraient, pour le dire assez rapidement, à des sorties de
mélancolies dites délirantes, une possibilité pour le sujet, de se
réarticuler sur une présence du don de la langue, peut-être est-ce que
nous pourrions préciser cette affaire là en parlant avec Lacan de "
lalangue "( ce qui s'écrit alors en un seul mot). Précisons, la langue
sur laquelle des mélancoliques prennent appui est celle a pu leur
donner un silence vivant, un silence qui permet de lire et de lier la
voix, qui est la condition d'une attente point trop anxieuse pour un
interlocuteur à venir. Ce don de silence qui est l'autre face de la
langue les soigne de cette situation térébrante dans laquelle ils ne
sont que trop, à savoir d'être prisonniers d'un cri muet et tant
dépourvu d'adresse qu'il enfle dans toutes les directions de l'espace.
Bien sûr le terme de délivrance pourrait venir ici assez aisément à nos
associations puisque j'ai pris mon départ dans l'histoire d'un
accouchement. Mais je vais opérer un autre détour qui est quelque chose
qui alerte quand même assez souvent la sensibilité des poètes et des
cliniciens, c'est-à-dire de ceux qui sont cliniciens, les poètes et de
ceux qui essayent d'être cliniciens, et qui parfois, ça leur échappe,
arrivent à être poètes à leur insu, les cliniciens.
Nous savons ce que ça peut être pour un homme l'élan amoureux qu'il
peut ressentir pour une femme dont il ne cherche pas nécessairement à
faire la conquête, dans la mesure où cette femme lui apporterait une
autre langue. Nous savons qu'une des figures les plus souveraines de
l'amour masculin, je ne parle pas du désir, c'est l'amour porté à la
femme qui, d'une certaine façon, le débarrasse de la répétition et du
pesant blabla de la langue maternelle. Et lorsque Lacan, non sans son
pessimisme féroce, donc encore joyeux, disait que ce fichu discours du
capitalisme - est-ce un discours ? ça reste à voir - s'indiquait de
cela qu'il refuse les choses de l'amour, on peut tout à fait entendre
qu'il s'indiquait de cela qu'il ne prend plus au sérieux cette position
de l'amour. Parce qu'après tout, l'hégémonie du marché c'est aussi
l'hégémonie du " novlangue ". Mais cette position de l'amoureux captif
de ce qui le libère, à savoir un don de langue, est quelque chose qui
était fortement reconnu par ce que nous appelons l'amour courtois et
dont, dans une formule lapidaire, donc provocatrice, Lacan soulignait
que c'était vraiment ça l'amour. De l'amour courtois, nous retenons, et
c'est normal, la plupart du temps, des illustrations magnifiques sur
les us et coutumes de la chevalerie, aller porter les couleurs de la
dame avant de renverser le crétin d'en face en le désarçonnant de son
canasson, ou, plus noble évidemment, sauver la veuve et venger
l'orphelin. C'est un assez vaste programme, sans compter qu'il y a
beaucoup d'orphelins qui ne demandent pas à être sauvés de cette
façon-là, et des veuves qui apprécieraient hautement qu'on leur foute
la paix, même si on sait monter comme ça à cheval et faire le
chevalier. Bon.
Ce qui compte peut-être le plus, du moins dans le petit propos que je
tiens à développer encore, c'est le grand lien entre l'art des
trouvères et l'amour courtois. Or, l'on sait bien que si le trouvère
est galant, il est aussi obscène. Et il n'est pas indifférent de
rencontrer la plume de pas mal de trouvères ou attribués à eux, aussi
bien des poèmes sublimes, que des blasons scatologiques. En d'autres
termes, l'art du trouvère, c'est un art qui, à la fois, trouve sa force
érotique dans le sublime mais la consume aussi dans une espèce de mise
en pièces du corps de l'autre. Mais cette mise en pièces n'est pas
purement et simplement de l'agressivité, ou de la satisfaction
pulsionnelle, ou le fait de couvrir d'une boue plumitive anale l'image
immaculée de la bien-aimée inaccessible. Nous ne sommes pas tout à fait
dans " Belle de Jour " quoique ce soit évidemment intéressant, surtout
quand c'est filmé par Bunuel. Il y a autre chose, il y a le fait que le
véritable corps dont il est question, c'est le corps de la langue et
qu'il y aurait, pour que la dame reste sublime, une analogie à faire
entre le corps de la Dame et le corps de la langue. Le troubadour de
l'amour courtois s'installe dans un lieu qui n'est pas celui de la
conquête et qui n'est pas encore celui de l'amertume sauf peut-être
sous la plume de Chartier, dernier des théoriciens de l'amour courtois
- et aussi de la rhétorique, un maître en littérature que nous gagnons
toujours à relire.
Mais avant Chartier, là où le sujet se campe, sans trop d'espoir, sans
trop d'amertume et poussé par la force de la joie, c'est dans " la
découvrance " d'une langue nouvelle, non seulement pour dire son
émotion mais pour dire également et célébrer son élection. Etre choisi
par la dame ne se résume pas pour le chevalier à être préféré à tous
les autres crétins avec lesquels il était en rivalité - et bing pour
une fois c'est la fête au village, c'est moi qui suis le préféré et
c'est pas l'autre couillon qui est plus grand, plus fort, plus etc et
bien non, c'est moi et je suis bien content. Ce sont là des émotions
humaines sur lesquelles il ne convient pas de rigoler trop longtemps,
mais juste un peu quand même parce que ça fait du bien. Or, voyez-vous
être élu par la Dame c'est être choisi dans sa solitude et dans sa
singularité par une nouvelle invite à parler et à chanter la langue.
L'enchantement du monde, son rêve au-delà de son reflet, c'est
l'enchantement de et par la langue. Voilà peut-être la formule de
l'amour que Pétrarque demandera à sa bien-aimée et que Dante aussi à sa
bien-aimée demandera, ou plutôt, de sa bien-aimée exigera, voilà ce
qu'Orphée ne su conserver d'Eurydice.
Il y a un lien de structure entre le don d'amour et le don de langue.
Ce lien, me semble-t-il, doit être exploré au-delà du fait que le sujet
recevrait une information supplémentaire portant sur des façons de
dire. La Dame ce n'est pas la méthode Assimil. Non, le sujet est plutôt
ramené à un rendez-vous qu'il n'a jamais intégralement connu, en cela
que le fait de s'y trouvé ramener n'est pas une régression mais aussi
une progression, si l'on peut le dire ainsi de façon aussi simple. Il
est amené au moment où il est conscient, avec le corps qu'il a, que le
monde peut se redonner comme un phénomène de langage. Voilà pourquoi,
par exemple, et à rebours, dans nombre de mélancolies, ce que dit le
patient (ou la patiente) est saturé par le thème de l'enfant mort. Ce
n'est pas simplement une figure du deuil. Ou une figure du chagrin,
même si, hélas, comme cela se trouve dans bien des familles, certains
des enfants sont morts et que leur vie trop brève semble torturer les
fruits que portent ceux qui lui survivent. Mais l'enfant mort, c'est
aussi la promesse d'un autre lien au langage qui se meurt. La figure de
l'enfant mort est une figure de la langue morte, c'est à dire une
figure de la mère morte, non pas simplement en tant que personne ou en
tant que corps, mais en tant que gardienne, garante de la musicalité du
monde.
Nous rencontrons souvent cette mélancolisation du langage. Pour
reprendre une expression qui, je crois, est de Pontalis, nous
rencontrons souvent cette mélancolisation du langage dans les cures. Et
souvent nous la rencontrons soit parce que nous étions contents d'avoir
des séances qui pourraient presque immédiatement se théoriser, soit
parce que nous étions contents de croire qu'on faisait de
l'interprétation comme les anciens, comme si on le savait, comme si on
savait vraiment avec quel tremblement de voix travaillait Freud, comme
si on savait vraiment avec quel enjouement de voix, peut-être
travaillait Winnicott, comme si on savait vraiment avec quel espèce de
grondement assertif de voix travaillait Mélanie Klein pour dire à Dick
qui jouait " au train " que là il y avait du papa et du maman et pas
simplement un petit train et un tunnel. On ne sait pas avec quel
tremblement de voix les psychanalystes travaillaient et on se dit même
que dans nos mondes, au fond, il y a deux générations de lacaniens.
Ceux qui ont entendu parler Lacan, ceux qui ont fait de leur corps une
espèce de caisse de résonnance de la voix du Maître et puis ceux qui le
lisent. Ca, c'est ce que disait Miller, lorsqu'il est arrivé en
Argentine, aux sud-américains, il disait aux sud-américains, vous avez
de la chance, vous n'avez pas dans les oreilles le bouchon de la voix
de Lacan : Ca, ça se discute.
Ce que je voulais dire, restons peut-être un peu plus dans le fil
clinique sur un certain nombre de nos cures, c'est que lorsque tout
s'explique, et ça a des effets, évidemment, eh bien si tout s'explique,
alors vous pouvez être sûr qu'il y a des rendez-vous avec l'inconscient
qui s'en vont à jamais. Vous interprétez exhaustivement un rêve vous
pouvez être sûr, par exemple, que le type ne rêve plus. Tout s'explique
et puis voilà. Les collègues que je reçois en contrôle, surtout les
jeunes bouillonnants d'impatience, désireux de me surprendre et de
surprendre leurs analysants, je leur dis " surtout n'expliquez pas tout
". Sinon il y a des séances d'analyse qui se transforment en causerie
sur l'inconscient. Remarquez avec des obsessionnels ça peut vous faire
une rente à vie mais on est pas là pour ça !L'inconscient ne serait
alors que cette vilaine chose qui nous fait faire n'importe quoi, mais
quand même, ouf ! on est plus fort que lui parce qu'on peut
l'expliquer. Il faut arrêter ce bavardage pédant, trouillard et
stérile. Place à la surprise, place à la musique d'un dire
insoupçonnée.
Et bien, ça a quand même un effet ce diktat du sens, celui d'une
certaine mélancolisation du langage. C'est à dire, que ce langage qui
recense tout, qui explique tout, ce langage d'arpenteur, ce langage
d'évaluateur, n'arrive pas à saisir ce qui n'a pas de valeur commune
dans une cure et à fortiori dans une existence humaine, dans la
musicalité d'une existence humaine . Nous travaillons sur ce qui n'a
pas de valeur commune, c'est pour ça que nous sommes enquiquinés avec
les évaluations. Non qu'il ne faille pas soumettre notre travail à la
critique mais la critique à laquelle nous soumettons notre travail, a
minima, c'est l'ancienne critique du débat, c'est la disputatio. Si le
terme de communauté des psychanalystes (ce qui ne veut pas dire une
communauté tranquille et bienveillante, la petite maison dans la
prairie, embrassons-nous folle ville, ça se saurait et puis on se
ferait suer), mais si la communauté des psychanalystes veut dire
quelque chose, c'est bien qu'elle a installé des procédures, où on peut
quand même, à défaut d'évaluer, recréer de la disputatio portant sur
nos théories et nos pratiques. Tant pis pour les addicts des
statistiques qu'ils aillent plutôt faire de la philosophie des sciences
et de l'épistémologie avant de sortir leurs calculettes, ça nous fera
des vacances !
Ce qui me semble important, est que l'on travaille en tant que
psychanalyste avec un régime de la parole qui n'a pas de valeur
commune. Or, si certains patients sont dans la mélancolisation du
langage c'est aussi parce que le langage qui interprète, qui explique,
c'est pas du baratin seulement, c'est pas du blablabla. D'abord ça peut
être très juste, trop vite. Mais c'est un langage qui ne permet pas
l'expérience du semblant et surtout c'est un langage qui est
assourdissant. Il n'y a peut-être pas de grandes distinctions à faire
psychanalyse-psychothérapie sur le modèle où on les fait dans des
polémiques narcissiques, mais il y a très certainement à faire une
distinction entre les modes d'accueil du sujet qui l'assourdit sous le
sens et les modes d'accueil du sujet qui le déleste de cette obligation
surmoïque de toujours se présenter comme un produit fini, c'est à dire
comme un produit compréhensible. Bien sûr que c'est de l'insu dont je
parle mais je parlerai aussi de cette remarque de Freud, peu avant
qu'il n'ait écrit l'Interprétation des Rêves, où il explique pourquoi
il s'est séparé de la psychothérapie cathartique et voilà ce qu'il
raconte. Il ne fait pas de polémique, en plus il a été assez secoué
parce que, en France, l'époque où il était en France, il y est retourné
en 89 pour le congrès d'hypnotisme, c'était l'hypnose grande salvation
pour tout le monde. A l'époque, je vous signale qu'un inspecteur de
l'Education Nationale, inquiet de voir qu'il y avait dans les écoles
des enfants trop agités, nous sommes en 1886, recommandait, pour
corriger les vices de ces individus " pervers ", qu'on les soumette à
des traitements d'hypnose. C'est à dire qu'il réclamait des
hypnotiseurs dans les écoles pour soigner les hyper-agités. Ce à quoi
certains disaient, il ne faut pas des hypnotiseurs, il faut des gens
qui savent parler aux enfants. C'est une histoire ancienne, peut-être.
Mais quand Freud revient en Autriche on ne veut pas parler de
l'hypnose. Ca n'intéresse personne . Freud renonce de toute façon très
vite à l'hypnose par suggestion, il va plutôt essayer une espèce
d'hypnose comme ça par relaxation, traitement électrique etc… Je ne
rentre pas dans l'histoire, ce qui est important c'est qu'il dit que la
différence entre le traitement cathartique et la psychanalyse
naissante, c'est que le traitement cathartique c'est ce que disait
Léonard de Vinci de la peinture. C'est-à-dire, il y a des peintres qui
vont dire qu'ils ne sont pas d'accord, mais je suis l'argument de
Freud, c'est-à-dire que la peinture, c'est l'art d'en rajouter
toujours, c'est ainsi que Léonard de Vinci parlait de la peinture,
qu'il ne tenait pas en haute estime, pas du tout. Ce qu'il tenait en
haute estime, c'est la sculpture, parce qu'il voyait dans la sculpture
un art qui permet de faire le vide. Il y a bien des peintres qui vont
dire que lorsqu'ils peignent ils ne sont pas en train d'ajouter quelque
chose mais de vider la toile etc… et je pense qu'ils ont raison. Mais
voilà par exemple une indication assez importante chez Freud.Cette
indication qu'est-ce qu'on peut en faire ? On peut essayer de
comprendre quel est le régime de l'énonciation qui permet effectivement
d'établir ce creux, d'établir ce silence, d'établir en quelque sorte la
condition d'un nouvel accrochage du mot et du corps.
C'est sans doute ce que nous enseignent ces patients mélancoliques.
Qu'est-ce qu'ils nous enseignent ? Ils nous enseignent quelque chose
qui est extrêmement précis et rapide. Ils nous enseignent quelque chose
à partir de leur auto-accusation. Ils peuvent par exemple dire, je suis
un grand criminel, je suis un grand coupable. Mais il ne suffit pas de
ça. Il faut aller plus loin et je réarticule tout de suite avec la voix
et la musique, que si on laisse les auto-accusations se poursuivrent,
ils ne se présentent plus comme des délinquants mais comme des choses
répugnantes et informes. Ce n'est pas tout à fait pareil. C'est à dire
que ce n'est pas la litanie de " je suis un criminel, je suis un
voleur, je suis un escroc - ils ne s'accusent pas d'escroquerie du
reste - je suis un mauvais garçon ", ça devient : " je suis une merde,
je suis une loque ". Une patiente qui disait chaque matin, à l'Hôpital
" psy ", répondant à mon salut : " bonjour, comment vous pouvez me
saluer, je suis une criminelle, je suis une salope, je suis pire
qu'Hitler, je suis une gouine, je suis une merde, je suis une flaque,
je suis une tâche, etc… ". Donc, l'auto-accusation du mélancolique
aboutit à la profération qu'il est de l'informe. Ca, c'est quand même
assez important.
Deuxièmement, cette profération qu'il est de l'informe va exclure la
scène du deux. La scène du deux, dans la parole mélancolique consiste à
dire : il y a de l'autre, mon entourage, la famille la plupart du
temps, mais cela peut être aussi les camarades de bureau ou, pour
quelques exilés solitaires, les copains du café. Et ça, peut être, et
bien ils souffrent à cause de moi, ils n'ont plus d'avenir à cause de
moi, ça c'est fréquent, ils sont ruinés à cause de moi. Mais cette
scène du deux s'estompe dès que l'auto-accusation se fait profération
d'être informe. Ce qui est tout à fait étonnant, point sur lequel je
voudrais attirer votre attention, c'est que leur rapport au langage se
modifie. Non seulement il devient extrêmement monotone mais de plus, il
devient extrêmement monocorde. Ces accusations qui étaient autrefois
emplies encore d'une indignation qui nous fît croire qu'il suffisait de
dire que l'accusation était sans honte pour relever un fait clinique,
ces accusations deviennent extrêmement lancinantes. Leur caractère de
rumination ne nous autorise pas pour autant à considérer qu'il s'agit
de plainte. Il s'agit plutôt d'un aplat de la parole, d'un aplat du
discours, allié à la conviction que leur parole ne mettra plus en
mouvement la moindre chose autour d'eux. Tant que l'auto-accusation les
faisait entrer un peu dans le social, je suis un voleur, je suis un
criminel, voilà du social, en conséquence de quoi, vous allez me juger
et puis certains qui ne sont pas encore au courant de l'abolition de la
peine de mort, vont dire vous allez me couper la tête. Mais du moins ça
leur permet d'éprouver qu'ils ont un cou. La dégradation de ces paroles
va jusqu'à cette impression que le monde est figé dans un éternel
glacis, qui plus est, sans profondeur de champ. En d'autres termes, ils
ne font plus cette expérience qui est celle qui nous a fondé
précairement, à savoir, que notre cri provoque la motricité de l'autre.
C'est ce qu'il serait loisible, faute de mieux, d'appeler un cri muet.
Non pas un silence, mais la matité ou la mutité d'un cri rentré qui ne
peut plus faire bouger le monde, à différencier, évidemment, d'un
silence qui est le creuset qui nous permet d'entendre les bruissements
de l'univers.
Le silence rentré du mélancolique crée un monde glacé dans lequel il
n'y a pas de possibilité de trouver une anfractuosité où loger le
matériel sonore qui passe par la bouche et beaucoup de ces patients
peuvent se lever du fauteuil dans lesquel on a pensé qu'il serait bien
et qui nous permet d'être un peu à distance et venir nous scruter ou
nous regarder les oreilles. Excellent contrôleur, il nous tire les
oreilles à bon escient. Mais c'est très certainement parce qu'il y a
dans la psychose mélancolique un intérêt pour les failles ou pour les
trous du corps de l'autre tout à fait comme dans l'autisme. On pourrait
dire pour reprendre une expression dont notre amie Catherine usait à
bon esceint ce matin, que dans certains cas de mélancolie délirante, le
sujet ne mord pas la parole et que le langage ne mord pas dans le
monde. Et imaginez, au fond, que les bruits, que les sons, que les mots
sont un peu comme ces aliments qui tournent dans la bouche qui sont
mi-ingurgités, mi-dégurgités, c'est assez dégueulasse mais c'est pour
vous rappeler aussi que le théoricien, avec Cotard, peut-être celui qui
a mis complètement en ordre les thèses géniales de Cotard, à savoir
Séglas, a fait sa première thèse de médecine sur le mérycisme. Et oui,
le plus grand théoricien de la mélancolie délirante était aussi un
spécialiste du mérycisme, c'est à dire cette action d'avaler et de
déglutir.
Le rapport, à ce moment-là, avec la voix, avec le sonore, et avec la
lettre, quel est-il ?
Si j'insiste sur quelque chose en préambule de cette dernière partie,
aucun de nos analysants, de nos patients, ne sera intégralement, vous
le savez bien, inscriptible dans un tableau clinique quel qu'il soit.
Ca n'est pas fait pour nous décourager de trouver des articulations
même si, actuellement, tout est fait pour nous décourager de trouver
des articulations et que nous ne voyions plus rien. Nous croyons que
l'angoisse et la dépression mène le monde, sans rien dire de la bêtise
qui sidère les nosologies. Mais, dès qu'un travail est engagé avec un
patient mélancolique on peut miser sur le fait qu'il y a dans le monde,
quelque part, une partie du sonore qui n'a pas encore été aboli, ou
plus exactement, qu'il y a une possibilité pour que le sujet prenne
appui sur un événement sonore. Cette possibilité de prendre appui sur
un événement sonore peut passer par le fait que le sujet va modeler des
visages et créer, comme le fit un homme de cinquante ans. Mutique
depuis une quinzaine d'années, dans ce visage, il avait fait comme une
goutte d'huile, il avait fait les deux yeux, en enfonçant les doigts
dans la terre humide et puis il avait tracé avec son pouce, une ligne
qui reliait le bas du visage à la moitié de ce visage, ce qu'on
pourrait appeler un tracé de bouche à oreille. La partie du visage sur
laquelle s'était arrêté son doigt qui avait commencé ce tracé à la
bouche correspondait exactement à la partie de mon visage qui était la
plus proche de sa bouche lorsqu'il parlait, c'est à dire mon oreille
puisque lorsqu'il arrivait dans le bureau où je le recevais il avait
l'habitude et je ne le contrariais jamais, de prendre la chaise et de
la placer à la distance qui convenait de moi, même si c'était parfois à
touche-touche.
Or, pour ce geste-là, comme souvent je crois, nous avons besoin d'un
matériel culturel pour faire filtre. Quel était ce matériel culturel ?
J'avais vu, il y avait des années de cela, une exposition à l'ancien
Musée d'Art Moderne, toujours présent bien sûr à Iéna - il y a toujours
des choses assez étonnantes et belles - une exposition sur la nouvelle
peinture australienne et j'étais même assez ami avec une des jeunes
femmes qui avait dirigé cette exposition. Les organisateurs avaient eu
l'idée de faire venir des chefs aborigènes qui avaient accepté, dans
une salle du musée rendue opaque et volontairement opaque - c'était
leurs exigences - avaient installé tout un petit dallage de cailloux de
couleur rouge, noire, blanche parfois bleue et jaune, des ponctuations
comme ça sur lesquelles les chefs coutumiers s'asseyent lorsqu'il
s'agit de débattre, sachant que les chefs coutumiers ne disent rien et
qu'on débat autour d'eux. Une telle installation est traditionnellement
faite en deux jours et quatre ou cinq nuits après, quatre ou cinq
lunes, comme on le dit, défaite en moins de temps. On eu beau, du côté
des organisateurs, leur dire que c'était pas pareil que près du grand
désert rouge australien, on a eu beau leur demander d'épaissir le
temps, rien n'y fît. La construction fut défaite en un jour. Mais ce
que j'ai appris à cette occasion c'est que les chefs coutumiers, avant
de parler in fine pour généralement dire des choses absolument
incompréhensibles ; avant donc de parler ils s'emparaient d'un masque
rituel et faisaient courir leurs doigts sur cette espèce de fente qui
va de la bouche à l'oreille disant qu'avant de parler, ils caressaient
la grande Voix de l'ancêtre. J'avais en tête, recevant ce patient, ces
chefs coutumiers qui caressaient la grande Voix de l'ancêtre. Et
effectivement, ce sujet se mit à parler. Il se mit à parler en
vociférant jusqu'à les tordre, les syllabes de mon nom, pendant environ
une heure. La situation, pour passionnante qu'elle puisse être, n'en
était pas moins inconfortable. D'entendre mon nom développé, trituré
comme une pâte molle, de voir au fond qu'avec ce motif il allait
peut-être moins du côté de la valse de Strauss que de certaines des
aventures les plus hétéroclites et les plus hasardement généreuses du
Free-Jazz, (ce qui quand même vaut mieux que Norah Jones), et bien, on
se sent, lâchons le mot, dépersonnalisé. Tout se passe comme si le nom
propre, qui a cette fonction de nous rabibocher un peu avec un idéal
conventionnel, celui de la paternité, et bien, ne nous protégeait plus
et qu'après tout, on se dit, le nom ce n'est plus un emblême, ce n'est
plus du côté tant que ça de la matière emblématique du symbolique, ce
qui ne veut pas dire nécessairement quelque chose qui signifie
grand-chose, mais de la matière emblématique, c'est-à-dire
intraduisible, mais que ça devenait un espèce d'objet et que peut-être
c'était, à défaut d'un semblant, un objet qui parlait au patient. Je
dirai que ce traitement sonore de mon nom servit après, peut-être,
d'ombilic du rêve. Les rares rêves que me racontait ce patient étaient
des rêves de désorientation. Il ne m'était pas trop difficile
d'entendre que quand on est désorienté on dit " où " ou " d'où ". Je
m'appelle Douville. Bon.
Le traitement du sonore par un certain nombre de patients mélancoliques
est un traitement où ce qu'ils vont chercher chez nous, ce n'est pas
notre bavardage. Je crois qu'ils s'en fichent complètement d'être
compris. Ce n'est même pas la question de les contenir qui importe,
quelle est leur quête ? sinon de se servir du rapport qu'il y a entre
le nom et la force et la tonalité de l'objet pulsionnel qui invoque,
s'en servir pour créer des espèces de choses qui sortent de leur bouche
et qui vont creuser ou trouer les dimensions d'aplat dans lesquelles
ils confinent leur compacité morbide. Ils vont trouer cet espèce
d'aplatissement du monde par un cri qui n'est pas un cri de nourrisson,
peut-être pas, mais qui est un cri qui suppose que je réponde de ma
place, alors que, lui, le patient vocifère mon nom, peut-être
vocifère-t-il en mon nom.
La voix devient à ce moment-là, un opérateur de passage entre ce qui
peut n'être rien, et c'est le silence muet qui néantise le monde
c'est-à-dire qui le dépeuple de son vide pour l'obscurcir de son
opacité. La voix à ce moment-là, opère un passage entre ce qui peut
n'être rien et, peut-être, ce qui peut se nier. Ce n'est pas pareil ce
qui peut n'être rien et ce qui peut se nier. Il faut une affirmation
primordiale, et c'est vous qui nous l'avez rappelé ce matin n'est-ce
pas et oh combien justement, avant de pouvoir opérer une négation,
cette affirmation primordiale passe par l'expérience sonore du monde si
elle est retournée au sujet non seulement comme un cri qu'on interprète
par un double transitivisme, mais si elle est interprêtée au sujet
comme quelque chose qui localise et signifie non seulement les trous de
son corps mais le rythme qui s'y attache. Le rythme de la bouche c'est
de mordre pas simplement le sein ou la bouffe, mais de mordre le
langage, de mordre les sons afin de permettre au sujet d'en être mordu
en retour.
Ce qui peut être rien est ce qui est destiné, non pas à disparaître,
mais à survivre sous le régime térébrant d'une immortalité.
L'immortalité c'est long. Que les mélancoliques comme les amoureux de
l'amour courtois, comme cette patiente dont parle si justement, dans
son erreur, Claude Lévi-Strauss, nous renseignent sur le fait que notre
identité reste précaire, nous renseignent sur le fait que nous sommes
toujours avec les objets, dans un régime qui nous divise et qui nous
unifie puis nous redivise, il nous renseignent sur le fait que cette
voix, objet perdu, n'est pas strictement en train de disparaître, il
nous renseignent enfin sur le lien entre vocalisation et
littéralisation du monde. C'est un enseignement qui serait en risque de
se perdre si nous pensions simplement que c'est avec du bon sens qu'on
réunifie le sujet à l'usage d'une bonne raison, ce qui fera toujours
des masses, c'est-à-dire des sujets " à la masse ", mais au fond pas
grand-chose comme chance pour le devenir poétique et musical du monde
auquel nous contribuons, par accident, espérons-le, sans trop y croire.
Applaudissements
MC SC : Je vous remercie d'avoir pris appui sur ce qui s'est dit ce
matin pour nous parler- je ferai un parallèle avec ce qu'il en serait
de la musique - en improvisant et on n'improvise pas à partir de
n'importe quoi. Donc je vous remercie et je vais tout de suite passer
la parole à Catherine Fava-Dauvergne.
CF-D : Merci pour ce flamboyant propos. Je vais essayer, dans le rock
and roll de ce que tout ce que tu as avancé, par exemple sur la
mélancolie. Tu fais des avancées qui sont tout à fait novatrices et
intéressantes mais il y a beaucoup de points d'entrée sur lesquels
j'aurais aimé t'interroger, te relancer. Peut-être, puisque tu m'as
proposé sur la morsure, la morsure de la langue, c'est vrai que ce cri
du nourrisson qui n'a pas été attrapé ou recueilli par une oreille,
peut, après, ne pas pouvoir mordre la langue. Dans ton propos sur la
chamane, ça m'a évoqué ça, dans ce que tu disais de sa profération, où
il y avait comme un surajoût d'ouverture et de fermeture de sa bouche
qui propulsait ce qu'elle vociférait autant en expansion qu'en
rétraction et qui a à voir avec la parole des morts et qu'elle, en
fait, n'articule pas puisque l'articulation c'est quand même provoquer
le rythme par les consonnes, ce qu'on a commencé à évoquer ce matin, la
consonne qui articule dans le legato de la voix, de la voyelle, de la
vocalise, qui articule la langue. Et ce que la chamane semble faire,
c'est justement ne pas articuler, c'est-à-dire proférer, peut-être sans
morsure, peut-être avec le refoulement de la mort, le refoulement du
meurtre. Peut-être que la voix des morts, la parole des morts ne peut
être proférée que si soi-même on ne fait pas le meurtre. Ca m'évoque le
meurtre de la chose qui permet la parole.
Je voulais par rapport à ça, dans la mélancolie, ce rapport à la mort,
justement t'interroger sur cette question du meurtre, peut-être
impossible, ou en-deçà, du meurtre. Ce que tu nous racontais de cet
homme, traçant dans la terre un visage et la trace de la bouche à
l'oreille, et pouvant ensuite de ton nom propre, en faire comme une
salissure triturée, peut-être pas dans l'informe, justement, mais dans
ce qui permet de trouer et de ce qui permet d'attaquer et justement de
mordre dans la langue le nom propre qui peut ouvrir à une autre langue.
Puis ce que tu nous as apporté aussi du côté du féminin, le féminin qui
est ce qui porte " une langue autre ". Dans ce qui est de la
mélancolie, le lien que tu fais ou que j'ai envie que tu nous proposes,
entre mélancolie et musique, autour de la question du silence, dans
l'article justement que tu as écrit dans " la voix dans la clinique ",
tu parles de Thelonious Monk, d'une manière tout à fait admirable parce
que effectivement, comme tu dis très bien, autant les auditeurs que les
sidemen étaient sidérés par ces silences et emmenés ailleurs, est-ce
que pour toi la musique peut être une voix qui permet une accroche qui
ne se fait pas du côté du sonore dans la mélancolie ? On a beaucoup dit
que les créateurs avaient, il y a eu une exposition aussi sur la
mélancolie et les peintres, on a beaucoup dit que la mélancolie était
ce qui amenait la création que beaucoup de créateurs, peintres,
musiciens, poètes, avaient à voir avec la mélancolie, peut-être ;
j'aimerais que tu nous en dises un peu plus sur ça, en lien avec ce cri
muet, le cri muet qui s'enfle dans toutes les directions de l'espace
dans la mélancolie et qui serait peut-être sans adresse.
Quand on se rappelle ce que Lacan disait dans " la relation d'objet ",
que l'objet maternel est proprement appelé quand il est absent et quand
il est présent rejeté dans le même registre que l'appel, à savoir par
une vocalise. Cette vocalise qui devient vocalise si effectivement il y
a appel. Il n'y a appel que si le cri est entendu, tombe dans l'oreille
d'un entendant, d'une entendante qui le retourne en demande. Ce
pourquoi, ensuite, le cri peut devenir appel et la vocalise se fait
vraiment dans l'aller et retour, dans un mouvement et non pas dans
quelque chose qui se fige. Comme tu le dis très bien, ce n'est pas un
objet, c'est un trajet. C'est bien ça que tu dis ?
Tu commençais ton propos sur le lien entre scopique et invoquant. On
peut le voir dans l'équivoque, dans ce qu'on dit, et qu'on n'entend pas
à première oreille, dans l'équivoque que l'autre peut entendre. Entre
scopique et invoquant, le scopique prend le pas et ça nous amène
peut-être à la question du transfert et à la question du regard dans le
transfert, et de cette parole dont on voit que souvent elle peut
émerger, et elle émerge d'une manière totalement différente lorsque le
regard n'est pas là porté, comme si le regard pouvait être un
représentant surmoïque qui impose la loi du silence. Il y a assez de
questions ?
M-CS-C : Il va être intéressant justement de pouvoir faire circuler les
questions, autour de cette table et dans la salle.
OD : Je te remercie parce que c'est quand même très agréable de se
rendre compte qu'on ne parle pas dans le vide. Merci beaucoup. Je ne
suis pas sûr que la chamane n'articule pas. Il faudrait savoir ce qu'on
appelle articulation, parce que ce n'est pas de la lallation ce qu'elle
dit. Il y a vraiment des contrastes. C'est compliqué, parce que ça ne
renvoie pas à un langage qui articulerait des significations, mais
c'est articulé. Peut-être qu'il y a un type qui va nous apporter des
théories intéressantes là-dessus, c'est Ornette Coleman. C'est un
musicien de jazz qui a une théorie " harmolodique " qui déplace la
question du rythme en essayant de la multiplier dans tout ce qui fait
contraste. Donc je pense que la chamane est, au fond, une disciple
d'Ornette Coleman. Elle est avant, ou Ornette Coleman est un disciple
de cette chamane. Peut-être qu'au fond il faudrait lire Lévi-Strauss,
avec comme fond musical double quartet, free-jazz, Don Cherry, Freddy
Hubbard, Ornette Coleman, Eric Dolphy, Charlie Haden, Scott LaFaro,
etc… Je pense que c'est une articulation " harmolodique. "
Thelonious Monk, les sidemen, j'étais assez pote avec le grand batteur
Kenny Clarke, qui me disait, que quand il devait enregistrer avec Monk,
il avait la pétoche. Il avait un peu peur d'être poussés, non pas
d'être poussés à bout, mais d'être poussés au bout d'eux-même. Monk,
c'est quelqu'un qui a eu des fidélités de travail absolument
extraordinaires. Son batteur, le seul batteur qui l'ait vraiment pigé,
c'était Art Blackey. Parce que l'immense Art Blakey avait, peut-être
parce qu'il était placé pour apprendre les trucs de percussion au
Nigéria, a un art que les autres batteurs n'avaient pas, ils avaient
d'autres qualités, celles de pouvoir s'interrompre, laisser filer et
relancer. Ca c'était un grand truc, et des jeunes trompettistes, qui
ont joué avec lui, Terence Blanchard et d'autres, mais même Clifford
Brown quand il jouait avec Blakey étaient, attendaient, une espèce
d'interruption et de relance. Il y avait beaucoup plus de continuum
chez Clarke . Donc, il y avait une peur de jouer avec Monk qui les
aurait poussés au bout. On sait que Miles Davis, dans l'enregistrement
de " Man I love ", a failli partir, parce que Monk a fait son chorus
puis il s'est arrêté dix secondes. Finalement, ça apparaît comme la
respiration nécessaire à ce morceau. Le seul qui disait le ciel va me
tomber sur la tête s'il y a Thelonious Monk, c'était Dizzy Gillespie.
Enfin, lui, c'était la plus grande boîte à rythme de toute l'histoire
du jazz.
Oui alors, la mélancolie. Tu as indiqué d'une façon extrêmement précise
et subtile le passage entre l'appel et la demande et c'est bien
important. Très concrètement. Parce que souvent on dit, je ne peux pas
m'occuper d'un patient s'il n'a pas de demande. Au fond, ceux dont nous
avons la responsabilité, parce que sinon on ferait un autre truc, quoi,
ce sont souvent des sujets qui n'ont pas d'appel mais ça ne veut pas
dire qu'ils n'ont pas d'exigence, c'est autre chose. C'est à dire
qu'ils n'ont pas d'exigence de notre présence. Souvent ils viennent
nous chercher, mais c'est nous aussi qui leur demandons parce que c'est
exténuant qu'ils fassent attention à nous. C'est vrai qu'on veut
s'occuper des mélancoliques, mais les mélancoliques ils s'occupent de
nous. Donc, effectivement, ce n'est pas au niveau de la demande qu'il y
a ce cri muet, c'est parce que quelque chose de l'appel n'a pas pu se
loger. Je crois que c'est tout à fait important. Moi, ce qui m'a permis
de comprendre des trucs comme ça et de ne pas redouter de proposer des
médiations comme la terre, c'est le travail avec les autistes.
Il y a une espèce de position du sujet qui nous passe au peigne fin,
parce qu'ils nous passent au peigne fin, les autistes, ils ne
supportent pas qu'on leur demande quelque chose. Et puis, ce serait
long à expliquer mais ce passage d'une pétrification dans le cri muet à
l'appel ça se fait par une façon de crier des éléments sonores
signifiants qui les entourent. On voit certains autistes qui vont crier
des vocalisations du patronymes. C'est pour ça que recadrer ça comme
simplement comme le cri du nourrisson, ça me semble un petit difficile.
Le grand saut, c'est le passage du cri continu au cri discontinu. Le
continu de l'auto-bercement au discontinu par exemple d'une posture.
Assez souvent on voit des enfants autistes qui sont dans des continus
de balancements, sortir de cela en se figeant dans une posture très
spécifique, vis-à-vis de quelqu'un de très spécifique, et la posture
qu'ils ont, c'est une posture d'accord qui est spiralée c'est à dire
qu'il n'y a pas encore de miroir vocal, comme si toutes les parties du
corps étaient des oreilles qui pouvaient être assaillies par des mots
qui viennent de partout mais cette posture, ils ne la présente qu'à de
très rares personnes. Je ne vais pas faire un exposé.
Et alors sinon, tu parlais aussi du regard surmoïque. Oui, mais alors
comment ne pas paraphraser, à ce moment-là, " les trois temps de la Loi
" d'Alain Didier-Weill. Le regard surmoïque c'est un regard qui
interdit au sujet de pouvoir être surpris, le " Tu ne peux pas être
surpris ", c'est vraiment le trognon féroce du surmoi. C'est à dire que
l'injonction au jouir n'est pas porteuse d'une promesse de surprise.
C'est l'épuisement de la jouissance.
M-C S-C : Je vais passer la parole à Jean-Jacques Lepitre.
J-J L : Je ne sais pas très bien quelle question je pourrais vous
poser, parce que ça me paraît extrêmement riche et complet. Peut-être
ce qui m'a semblé être le fil conducteur de votre propos, cette
matérialité sonore du signifiant, avant qu'il ait une quelconque
signification. Ca me semble effectivement courir tout le long de votre
exposé. Et c'est vrai que quand vous preniez l'exemple de ce
mélancolique qui reprenait la sonorité de votre nom, non pas comme un
mot, comme un nom, mais comme une matière, qui faisait première
ouverture pour lui en quelque sorte, premier écho d'un sonore, ça me
semble quelque chose d'à la fois important et intrigant, puisque ça
venait rejoindre aussi bien ce que vous disiez d'ailleurs à propos de
cette chamane, puisque j'entendais que c'était la matérialité sonore et
non pas une quelconque signification qui faisait écho dans le corps de
la parturiante, qui mobilisait quelque chose dans ce corps. C'est
autour de cette matérialité sonore peut-être que serait mon
interrogation et mon désir d'en entendre un peu plus.
OD : Oui, dans l'exemple de la chamane, la matérialité sonore est
portée par un corps, par quelqu'un qui veut quelque chose, et moi
aussi, avec ce patient je veux quelque chose. C'est à dire qu'il y a
là, peut-être, l'extraction d'une matérialité sonore du signifiant,
mais qui serait porté ou arraché à un autre qui aurait résisté à sa
destruction. Je pense que c'était un peu ça le montage avec ce patient
et ce que j'ai appris, bien plus tard, je l'ai suivi au moins une
dizaine d'années, et puis là il est sorti, je le vois un petit peu de
temps en temps, il s'est aussi doucement paraphrénisé, ce qui lui fait
le plus grand bien. Il était rentré dans le silence parce qu'il était
persuadé que quand il parlait, pas simplement ce qu'il disait, parce
que ça pouvait être très très banal, mais le fait que ça sorte de lui
pouvait détruire l'autre. Maintenant, je ne voudrais pas me contenter
du clivage bon/mauvais, c'est à dire la mauvaise matérialité et la
bonne matérialité sonore, mais il me semble que cette matérialité
sonore du signifiant est quelque chose que le sujet va manipuler pour
assurer une consistance de l'autre dont il déduit sa consistance. J'ai
profité de cette invitation pour vous faire profiter de ce que je
travaille plutôt que des choses dont je suis sûr et certain.
J-J L : Ca répond en tout cas en partie à mon questionnement, puisque
je me demandais, quelle dimension, en quelque sorte intermédiaire
représentait cette matérialité sonore par rapport à ce que vous disiez
du cri, du cri comme appel, et ensuite comme réponse de l'autre. Ou
plutôt, pour reprendre la formulation de tout à l'heure, entre ce qui
est cri d'abord et ensuite appel, c'est à dire ce que vous dites-là
pourrait éclairer cette sorte de dimension intermédiaire.
O D : Oui, on est entre le cri et l'appel, absolument. C'est là, quand
ça va s'ignorer de la lettre, une possibilité d'aller vers le manque.
Moi, ma crainte, avec certains patients, c'est d'accélérer les choses,
en amenant trop vite l'idéalisation du signifiant rincé de la voix, qui
pétrifie. On a quand même là une matière organique de la lettre sur
lequel le sujet prend appui.
Alain Harly : Votre patient, nous introduit à ces triturations de la
lettre, c'est bien cette matérialité qu'il attrape.
OD : tout à fait.
AH : Ma question est en quoi c'est une lettre pour lui ? On pourrait
peut-être avoir l'idée, effectivement, qu'il y a une tentative de faire
surgir une consistance par l' autre. C'est par ce travail de
trituration que peut-être quelque chose pourrait se précipiter.
Cela me rappelait, je ne sais pas si vous seriez preneur de cette
analogie, à propos de l'autisme, ce travail de Deligny quand dans les
Cévennes, il avait accueilli des enfants autistes dans un lieu assez
isolé. Sa position à lui c'était de dire : ça ce sont des gars qui vous
parlent pas, ce n'est pas la peine de s'emmerder avec ça, on ne leur
parle pas non plus, et on va voir comment on peut faire pour vivre là.
Bon, c'est une position. Il y avait aussi une activité à laquelle il
tenait beaucoup, c'est l'idée de repérer les déplacements de ces jeunes
dans la montagne et d'en faire des relevés. Le plus étonnant c'est
qu'effectivement ces déplacements n'étaient pas n'importe quoi et que
ça traçait ce qu'il appelait des " lignes d'aires ". Mais ces lignes
d'aires quand on les regarde sur des cartes qui ont été dressées après,
une fois qu'on s'est fait le scripteur de cette circulation, ça trace
quelque chose qui convoque une opération de lecture, et donc quelque
chose qui pourrait s'approcher d'une lettre, de lettres.
OD : absolument
AH : Le cas clinique que vous évoquiez apporte bien des pistes
originales et je vous remercie beaucoup d'avoir convoqué la mélancolie
dans cette affaire là, je crois que je n'ai jamais entendu quelqu'un le
faire comme cela, je trouve que c'est très intéressant, je trouve que
ça apporte quelque chose de tout à fait nouveau dans ce débat et dans
notre approche de la mélancolie avec cette dimension d'un malaise dans
le sonore. Oui, le mélancolique et l'autiste nous convoquent à ce point
là. Ca va nous travailler " au corps " et peut-être un petit peu
au-delà, justement, au niveau de ce qui peut faire corps. Cela
interroge fondamentalement comment ça tient un corps ? D'une manière
plus radicale, il me semble chez l'autiste que chez le mélancolique. Le
mélancolique il est quand même " là ", mais l'autiste ?...Chez Deligny,
dans les Cevennes, c'est l'espace même de la colline que ces enfants
autistes interrogeaient, parcouraient, travaillaient, trituraient en
quelque sorte.
OD : Je ne suis pas encore très lecteur de ce qu'a écrit Deligny et je
vais m'y mettre. Mais ces lignes d'aires, j'ai vu des films, et je sais
qu'il y a un gros livre qui est sorti aussi, ces lignes d'aires est-ce
qu'elles se recoupent ?
AH : Oui, éventuellement.
OD : c'est ce point là, c'est à ce point-là où on est attendu...
(Retournement de la cassette)
J-JL …. Ce n'est pas simplement des trajets, il y a aussi l'actes des "
cartographes " qui ont fait ces cartes, c'est eux qui inscrivent et qui
donnent cette lettre des trajets. Il y a les trajets des autistes et il
y a le fait qu'il ya des personnes qui les ont recueillis. C'est à dire
que ça remet un peu dans la relation que vous aviez avec le
mélancolique.
OD : Est-ce que ce point de coupure est un point particulièrement
investi par le sujet ? Est-ce qu'il est important pour lui de se poser
là où il retrouve que la trace ne s'est pas tout à fait effacée ?
J-JL : Je ne me souviens plus s'il y a des notions, on va dire de
rythme, c'est à dire s'il reste à un endroit plus particulièrement ou
pas. Je ne me souviens plus.
C F-D : Pour ce qui est du sonore et du rythme, dans une cure d'enfant
autiste, c'est par le rythme, qu'il y a pu y avoir un début de quelque
chose (C F-D frappe plusieurs coups sur la table avec son crayon),
c'est à dire la première coupure qui existe dans le sonore auquel il
répondait et qu'il a pu entendre que ce que je faisais était une
réponse. Cela ne se situe ni du côté du regard, ni du côté de la parole
même pas du côté de la sonorisation. Je me souviens dans cette cure, ça
a été, dans un premier temps, uniquement un rythme tapé qui résonnait.
J-J L : Peut-être pour préciser, juste un mot. Alain, c'est peut-être
une suite aux journées que l'on a eu l'an dernier. Pour cette histoire
de lettre dont tu parlais, et à propos de la matérialité sonore, je
crois qu'on précisait qu'il s'agissait de la matérialité sonore du
signifiant, mais avant que ce son soit phonème, avant qu'il soit passé
au signifiant.
X : Moi j'aimerais bien poser une question sur le rapport que les
adolescents entretiennent avec le sonore et en particulier avec la
musique qu'ils écoutent qui est une musique très rythmée, la musique
électronique, le rap, des choses comme ça. Il n'y a pas eu beaucoup
d'écrits psychanalytiques sur ce sujet, à part François Marty qui a
fait un article sur la musique et les adolescents. Et c'est vrai que la
relation que l'adolescent entretient avec le sonore semble illustrer
une problématique régressive, ou progressive ? J'aimerais bien avoir
votre avis sur le sujet.
OD : D'accord. D'abord, sur cette question des adolescents et de la
musique, il y a eu un excellent article de Jean-Michel Vivès dans un
numéro de la revue " Cliniques méditerranéennes ". Il y a deux ans, je
me suis livré à un petit entretien sur cette question dans un numéro de
la lettre du GRAPE qui a pour titre " l'adolescence créatrice ". Moi,
il m'a semblé que ce qu'écoutaient les adolescents, mais jusqu'à assez
tard, ce n'est pas toujours la même musique parce que la techno ce
n'est pas pareil que le rap, que le continu océanique de la techno ce
n'est pas du tout pareil que le spectacle du rap ; que d'autre part,
quand on écoute du rap, on peut écouter les paroles, vous le savez bien
évidemment, et que la plupart des paroles du rap me semblent renvoyer à
une position d'orphelin. La plupart des paroles, c'est le type qui est
errant, qui est tout seul, ou les parents ne tiennent pas le coup, ils
ne sont pas là et c'est une position parfois morose ; dans la colère
adolescente, qui n'est pas toujours exempte de lucidité politique,
souvent au service de ce que fait l'adolescent, c'est le passage du
roman familial au mythe individuel. Ca, c'est un trait très adolescent.
Et puis on ne peut pas non plus nier la part importante qu'on pris de
tous jeunes adultes dans la création d'une des musiques les plus
novatrices du 20ème siècle : le jazz. Amstrong a commencé à jouer, il
n'avait pas 20 ans, il a enregistré en 1923 parce qu'il y avait très
peu de studios d'enregistrement, sinon, il aurait enregistré plus tôt.
Fitzgerald a commencé à 16 ans, Duke a monté son orchestre a 22 ans.
Voilà. Et puis peut-être que l'on ne connaît pas assez cette musique,
en tous les cas, moi je ne la connais pas assez pour en rendre compte.
Mais je crois savoir que c'est une musique qui aime bien accentuer les
jeux de continu-discontinu. Et si on prend un groupe, qui a peut-être
fait son temps, mais qui était bon comme IAM et sa chanson comme "
Petit frère " qui était du reste assez forte, qui est une belle chanson
au niveau du texte, on voit très bien ce passage du continu, l'intro
c'est quelque chose de continu, on dirait des grands glissandos de
violons, et puis après il y a la batterie métronomique, mais la voix a
une réelle amplitude.
Et nous, qu'est-ce qu'on écoutait quand on étaient ado ? des conneries,
" Biche oh ma biche lorsque tu soulignes au crayon noir des jolis yeux
", " mais oui mais oui l'école est finie ", à côté des chansons de rap,
c'est un peu plus de neurones ! Donc voilà. Et bien oui, on entendait
siffler le train avec Richard Anthony ou on partait pour Santiago sur
un fameux trois-mats avec Hugues Auffray, c'était pas bien génial tout
ça, pas bien en phase avec le social. On écoutait aussi les Stones,
c'est vrai, quand on ne l'était pas trop.
M-C S-C : On écoutait aussi Léo Ferré. Et aussi Brassens, et aussi Brel
et aussi Piaf.
OD : Piaf, quand on était ado ?
M-C S-C : D'autres questions ?
X : Une question pour Catherine. Je ne vais pas pouvoir parler plus
fort malgré le micro. Quand vous parliez de votre cure avec l'enfant
autiste, et que vous aviez travaillé avec des coups sur la table est-ce
que vous pouvez inscrire cela du côté de la première paire minimale
symbolique : il y a/il y a pas, y'a du son/ y'en a pas, donc un début
de symbolisation ?
C F-D : Je pense que la question du début de symbolisation c'est plus
complexe, je n'ai pas envie de répondre oui comme ça, par contre que ça
inscrive du il y a/il y a pas, c'est ce que j'ai appelé le discontinu.
Oui, tout à fait, c'est antérieur à tout. Mais ce qui a été très
important, c'est qu'il y ait pu y avoir une réponse. Un appel, une
réponse, un aller-retour entre cet enfant et moi, ce que je produisais
aussi et d'arriver à un répons, c'est-à-dire qu'à deux coups
répondaient deux coups, à trois, trois. Dans un premier temps, c'est
moi qui répétait le rythme qu'il faisait. Ensuite, il a pu, lui,
répéter ce que moi j'instaurais.
OD : Au fond est-ce qu'il y avait un rythme avant que tu répètes ?
C F-D : Oui, il y avait un rythme avant que je répète. Il a commencé
par taper sur la table.
OD : Oui mais si tu n'avais pas répété, est-ce qu'il aurait pu se
servir de ça ?
C F-D : C'est-à-dire qu'il le faisait sans que je sois là. Le fait que
je sois là, j'ai pu, pour moi répondre, répéter. Je ne sais pas. J'ai
oublié comment ça c'est instauré le rythme, je pense que c'est dans le
transfert, ça c'est fait comme ça. Je ne réponds pas à ta question.
OD : Ce qui me semble aussi, c'est qu'un certain nombre de ces
expériences, comme ça souffle quelque chose qui n'est pas le
refoulement oedipien, on a du mal à les séquentialiser. On a
l'impression que le modèle du temps logique ne fonctionne pas pour
comprendre quelque chose de cet aspect. C'est pour cela après que l'on
essaie d'en parler.
J-JL : Je pensais que la première difficulté déjà avec ce type de cas
clinique, c'est d'abord de savoir si lui, il tape sur la table ou s'il
tape en dehors ? Est-ce que c'est vraiment à ce moment-là, quand il
tape en dehors, est-ce que c'est quelque chose qui est adressé ou qui
n'est pas adressé ? Parce que, ce que vous faites comme hypothèse, en
lui répondant, c'est que ça peut avoir un sens pour vous et donc que ça
puisse faire retour pour lui. Or, dans un certain nombre de cas, en
dehors de l'interprétation que vous commencez à faire dans votre
réponse, est-ce que ça pourra avoir un sens ?
C FD : Je ne pense pas que ce soit du côté du sens, mais j'aimerais
imaginer que, en mon absence, il ait pu halluciner la chose et la
répéter dans l'hallucination. C'est-à-dire introduire mon absence comme
une présence possible dans ce qu'il aurait tapé une autre fois sur la
table.
J-JL : Oui, mais est-ce que c'est pas déjà le début d'une signification
? Puisqu'il y a une bipartition. Vous pensez que peut-être il pourrait
halluciner ?
CFD : Je me plais à l'imaginer.
OD : Ca pose la question, en tout cas cliniquement, si l'activité
hallucinatoire de ce côté là qui est rudimentaire, c'est
l'hallucination du vecteur de satisfaction ou si c'est l'hallucination
négative ? Ca, c'est une rude question. Est-ce que ces activités comme
faire du rythme sont la continuation, l'effectuation d'un contenu qui
était déjà présent dans l'hallucination ou est-ce que c'est une façon
de lutter contre une hallucination négative ? Ca n'emporte pas les
mêmes conséquences dans la façon que nous avons nous de nous situer.
C'est à dire, que si c'est une hallucination négative notre absence
n'est pas le fond sur lequel se déposerait une hallucination. Notre
présence vient border cette hallucination négative. Donc c'est
différent.
Les gens qui ont des hallucinations négatives on les cerne après-coup,
c'est rare… Mais c'est une pile de travail. Il faut travailler sur la
position. Est-ce qu'un sujet n'agit pas du sonore quand le monde risque
de disparaître à ses yeux ? " Ca me crie glacé dans les ténèbres que
Dieu n'entend pas ". Oui, évidemment dit comme ça ! C'est quand même
pas rigolo du tout.
M-C S-C : voilà, ce sont des questions en chantier, et si vous avez
envie de continuer avec nous à travailler ces questions qui nous
intéressent vraiment… Est-ce qu'il y aurait encore, encore une autre
question ? Une dernière question pour cette journée ?
AH : je vais peut-être évoquer le cas un jeune garçon autiste que j'ai
eu à connaitre, il était jeune quand on a commencé à se voir, on a un
peu vieilli ensemble, de ce point de vue j'avais beaucoup d'avance sur
lui ! Ce que vous évoquiez me rappelais ce garçon, qui n'était pas très
doué pour le dessin, ça ne l'intéressait pas du tout, ni la parole
d'ailleurs, il était assez avare de ce coté là. Quand même, on a réussi
à se fréquenter une décennie.
Alors deux choses qui me viendraient là, en tout cas, que votre
évocation me rappelle. C'est d'une part, qu'il y a eu des moments où il
a pu utiliser le rythme, où j'ai pu y répondre, mais sans que ça ne
s'est pas prolongé bien longtemps ni que ça ait donné lieu à une
quelconque construction. Sur une dizaine d'années, il y a eu seulement
quelques séances où cette activité là a eu lieu. Je ne suis pas
musicien, peut-être est-ce que je n'ai pas suffisamment répondu, ou
suffisamment anticipé quelque chose là-dessus, mais en tout cas, ça n'a
rien empêché pour lui car j'ai eu la surprise d'apprendre qu'il était
devenu à l'adolescence batteur dans un groupe de rock et qu'il se
produisait de temps à l'autre dans la région ou ailleurs !
La deuxième remarque, mais je ne sais pas du tout comment articuler ça,
peut-être allez-vous m'aider à le faire, c'est comment ce garçon là, un
jour, alors qu'il faisait très chaud, et bien il a eu un saignement de
nez, un flux abondant, et là, alors que c'est un garçon plutôt calme,
devant ce flux, il est pris d'une angoisse tout à fait considérable. Il
se défait devant moi, et il a ces mots, au paroxysme de l'angoisse : "
c'est moi, c'est moi, c'est moi ", en voyant son sang s'écouler.
Alors, l'association qui me vient, c'est que tout de même, s'il y a
dans le corps, quelque chose de l'ordre d'un rythme qui soit autonome,
c'est bien la pulsation cardiaque, le rythme du flux sanguin. Avec
cette hémorragie, cela me semble tout à fait d'un autre ordre de chose,
puisqu'elle était dite par ce garçon comme " une hémorragie du moi ",
comme effondrement d'une consistance, d'un peu de consistance où, peut
être, le rythme de la pulsation cardiaque n'était pas pour rien,
puisque qu'il venait battre une certaine mesure, qu'il venait scander
par la pulsation et faire " un ", " un ", " un " ; voilà ce que je peux
en dire.
C F-D : C'est intéressant, parce que justement du côté du rythme, ça
apaise, du côté, et ce qui n'a plus de rythme et qui s'écoule dans le
risque du continu, c'est une angoisse, c'est du côté de la mort, alors
que le rythme vient apaiser.
O D : C'est comme si le rythme pouvait être liquéfié par le flux.
AH : Ca pourrait nous permettre de rebondir sur la question de
Monsieur, sur la musique adolescente.
C F-D : Vous voulez dire le retour au rythme corporel ?
AH : Oui.
O D : Le recours au rythme pour ne pas être complètement envahi par le
maelstrom de ce nouveau rythme. Ne pas se brancher sur le rythme du
corps, c'est s'en débrancher pour le retrouver autrement.
J-J L : Il me semble que dans un certain nombre de phénomènes
autistiques on peut constater un grand malaise vis-à-vis du discontinu.
Or dans l'exemple que tu donnes, il n'y a pas de discontinuité, c'est
lui qui s'en va, c'est une partie de son corps, donc il n'y a pas de
discontinuité. Pour nous, nous avons du sang, lui, il n'a pas de sang
là. Il est dans le continu, il y a quelque chose qui s'écoule de lui,
donc c'est lui. Je ne sais pas comment on pourrait formuler cela.
O D : Comme si pour le corps, la surface et le trou étaient exactement
la même chose. Voilà. C'est une catastrophe topologique.
C F-D : Ce qu'on retrouve chez les enfants encoprétiques.
M-CS-C : En guise de conclusion j'avais apporté un poème de François
Cheng, il en a été question ce matin, c'est pour faire retour au
silence dans la musique. Je vais vous lire ce poème que j'ai choisi
pour clore cette journée.
Entre deux rochers
Surplombant le vide
Le pin ivre d'écoute
Dira nos secrets
Oiseaux du matin
Ni brumes du soir
Jamais ne rompront
le fil de nos voix
Voix échangées là
Au hasard d'un jour
Un jour par-dessus
les années -
Lumière
François Cheng, Double chant, " L'arbre en nous a parlé "
***