Je vous remercie de votre invitation. De ce qu'elle soit le
prétexte à
reprendre cette question de l'hystérie abordée lors d'un séminaire il y
a quelques années.
Mais, première remarque, plutôt que d'un singulier n'est-ce pas plutôt
d'un pluriel dont il s'agirait? Les questions que nous pose
l'hystérie... Et ces questions apparaissent si multiples, si
foisonnantes, que la plupart des auteurs, pourtant très nombreux, se
résolvent le plus souvent à ne les aborder que partiellement, ou par un
biais particulier: nosographique, symptomatique ou théorique, quitte à
devoir généraliser leur approche dans la poursuite de leur propos. Et
nous obligent, devant l'étendue de ces questions comme de leurs abords
à une modestie certaine, d'où ce terme d'introduction. Mais où se note
aussi, devant pareille disparité, la possibilité de vous apporter, au
moins je l'espère, quelques points par où pourraient, pour vous-même,
venir à s'introduire ces questions.
Pour ce faire, je vous proposerai un parcours, une sorte de ballade,
historique, depuis la lointaine naissance de l'hystérie
jusqu'aujourd'hui où elle semble décédée. Mais est-ce de mort naturelle
ou est-ce un homicide? La dispersion de son cadavre, son démembrement,
dans diverses nosographies, non seulement psychiatriques, voire
médicales, mais aussi de thérapeutiques variées, laisseraient penser à
la seconde hypothèse. Mais quels seraient les mobiles d'un tel
assassinat? Quelles interrogations et quelles conséquences s'en
trouvent soulevées?... Peut-être pourrons-nous l'aborder en conclusion.
Au long de notre parcours, nous nous ménagerons quelques haltes afin de
percevoir les horizons cliniques et théoriques que vient à articuler
l'hystérie, entre autres dans sa distinction différentielle avec
d'autres affections mentales.
Première partie: De la naissance de l'hystérie jusqu'à Charcot.
I L'antiquité égyptienne
On situe habituellement cette naissance vers 1900 avant JC, dans
l'Egypte antique, où dans un papyrus dit de " Kahoum ", nom de la ville
où il fut découvert, sont décrits par de lointains ancêtres, médecins
et " psys ", des symptômes divers, sans support organique direct :
refus de quitter le lit, douleurs diverses, boule dans la gorge,
rapportés à un dysfonctionnement de l'utérus. Le papyrus de " Ebers ",
15-16 ème siècle avant JC, précise la symptomatologie, la causalité et
la thérapeutique. Des étouffements, des palpitations, des sueurs, des
angoisses. Leur cause en serait les mouvements de l'utérus au travers
du corps de la patiente, tel un animal errant, provoquant des chocs et
des compressions des divers organes qu'il heurterait dans son errance
et dont ainsi il perturberait le bon fonctionnement. La thérapeutique y
est décrite, consistant, outre des éléments religieux où interviennent
des symboles masculins, en ce que l'animal utérin étant considéré comme
ayant l'odorat sensible, on fasse des fumigations d'odeur âcre,
désagréable, au niveau des orifices supérieurs de la patiente, nez,
bouche, afin de le faire fuir et redescendre ainsi du haut du corps, et
d'autres au niveau des orifices inférieurs, principalement le vagin,
d'odeurs agréables et suaves afin de l'attirer vers le bas du corps, à
sa place naturelle.
Si nous dépassons l'habituelle attitude condescendante que paraît nous
autoriser notre supériorité savante du vingt et unième siècle, et que
nous retrouvons chez nombre d'auteurs et de commentateurs, nous sommes
alors confrontés à deux questions :
La première, et qui me semble majeure, est la suivante: - Par quelle
intuition proprement extraordinaire, ces médecins de l'antiquité
égyptienne ont-ils eu l'idée que ces troubles si divers, si hétérogènes
avaient la sexualité pour origine? Comment ont-ils pu faire la relation
entre ces souffrances et le sexuel? ( L'explication causale des
migrations utérines n'a peut-être pas l'ignorance anatomique comme
seule justification, nous le verrons).
La seconde question s'origine du traitement préconisé: des fumigations
odorantes. Si cela nous étonne aujourd'hui, soyons le plus encore de ce
que ce traitement ait perduré jusqu'à l'aube du 20ème siècle. On le
trouve encore préconisé dans des traités de médecine des années 1890 où
il est recommandé de faire respirer de fortes odeurs balsamiques en cas
de désordres hystériques. Et les fumigations vaginales sont encore en
cours jusqu'au 16ème, 17ème siècle.
Pourtant, on ne trouve nulle part d'indication éclairant et justifiant
ce lien établi entre ce que serait l'hystérie et le sens de
l'olfaction. Cela n'a pas empêché que cette liaison soit passée dans la
culture commune, comme une évidence, qui se traduit dans de nombreux
romans ou pièces de théâtre : - lorsque Madame se trouve mal, se pâme,
on se doit de lui faire respirer les " sels "…
Cette liaison, même si elle a duré quarante siècles, semble garder tout
son mystère.
Notons de plus, à ce propos, que le Dr Fliess, l'ami dont Freud fit le
support de son transfert lors de son auto-analyse, élabora une théorie
un peu étrange stipulant une analogie entre les organes olfactifs et
les organes génitaux. On lui doit en outre l'idée d'une bisexualité
fondamentale de l'être humain que Freud reprendra.
II L'antiquité Gréco-romaine
Hippocrate
Hippocrate, 460 370 avant Jésus-Christ, considéré comme le père de la
médecine, il en a défini le cadre professionnel. Il est aussi l'auteur
du fameux serment portant son nom. On lui attribue, ainsi qu'à ses
élèves, une soixantaine de traités médicaux. Il s'y montre que la
médecine selon Hippocrate est déjà rationnelle tant dans l'étiologie
des maladies que dans leur diagnostic et leur thérapeutique. Le souci
de l'observation clinique y est primordial. Le pronostic comme le
diagnostic ne pouvant résulter que d'un ensemble de signes positifs et
pertinents. L'auscultation est déjà alors pratiquée. Mais l'absence de
dissection des cadavres empêche une connaissance véritable de
l'anatomie interne. Ainsi, la circulation sanguine reste ignorée, de
même que les fonctions de certains organes. Pour pallier à cette
méconnaissance, il est imaginé certains processus pouvant s'avérer
analogiques à ceux restant ignorés, ainsi la circulation des humeurs.
Malgré ces ignorances, la finesse et la rigueur de l'observation
clinique permettent à Hippocrate et ses élèves de décrire de nombreuses
maladies : oreillons, paludisme, pneumonie, etc...
Elément plus proche de nos occupations, Hippocrate apparaît comme le
fondateur de la neurologie. Il établit que le cerveau est le siège de
la pensée, de l'intelligence, de la motricité et de la sensibilité. Il
perçoit la liaison entre les troubles moteurs, (paralysies,
convulsions, etc.), et les troubles sensitifs, (douleurs, sensations
anormales, etc...). De même, il établit la relation croisée entre les
hémisphères cérébraux et les hémi-corps, telle qu'une paralysie de la
partie gauche du corps correspond à une atteinte de l'hémisphère droit
cérébral. Il étudie aussi avec justesse les dommages vertébraux avec
leurs conséquences motrices différenciées.
Hippocrate, par ailleurs, dans le domaine psychiatrique, décrit de
façon pertinente la mélancolie, et la succession d'états dépressifs et
maniaques chez un même sujet.
Ces rappels ayant pour but de souligner à quel remarquable clinicien
nous avons affaire ici.
Alors, quand il étudie la maladie des femmes, qu'il nomme le premier "
hystérie ", d'hustéra, l'utérus en grec, Hippocrate y montre la même
finesse clinique. Cela lui permet d'ajouter aux symptômes déjà décrits
par ses prédécesseurs égyptiens : l'astasie-abasie (paralysie des
membres locomoteurs), des paralysies partielles (comme la crampe de
l'écrivain), des névralgies diverses (par exemple faciales), la grande
crise hystérique, certains symptômes d'apparence méningée, etc., etc...
Ce qui apparaît particulièrement remarquable ici c'est qu'Hippocrate
soit capable de poser le diagnostic différentiel de ces divers
symptômes hystériques d'abord avec ceux qui, bien que d'apparence
semblable comme les diverses paralysies et névralgies, ressortissent
d'une atteinte neurologique simple. Mais aussi qu'il soit aussi capable
de poser le diagnostic différentiel de certains de ces symptômes
hystériques avec l'épilepsie dont certains symptômes apparaissent comme
semblables ou proches, comme la grande crise, certaines absences,
certaines confusions, etc... Ce qui paraît remarquable.
Ce diagnostic différentiel entre l'épilepsie et l'hystérie a été un
élément essentiel de la clinique psychiatrique jusqu'à ce que
l'épilepsie soit dernièrement retirée étonnamment du champ des maladies
mentales. Ça a été aussi à l'origine du travail de Charcot concernant
l'hystérie, par exemple...
Afin de vous déployer les éléments de ce diagnostic différentiel et
ainsi faire une première halte clinique un peu conséquente, je me
permets de vous citer des passages du " Manuel de Psychiatrie " d'Henri
Ey concernant ces deux affections. Ce qui va permettre d'en décrire et
préciser certains symptômes particuliers
Pour précisions : Henri Ey, 1900 - 1977, est un contemporain et ami de
Jacques Lacan. C'est un psychiatre dont les descriptions cliniques et
la nosographie ont été une référence pour une grande majorité de
praticiens français de son époque, qu'ils aient été ou non d'accord
avec sa théorie "organo-dynamique", mélange d'organicité et de
phénoménologie. Il a été le rédacteur en chef de la revue " L'encéphale
", le fondateur de l'Organisation Mondiale de Psychiatrie. Il a été à
l'origine de la politique de sectorisation des hôpitaux psychiatriques
en France. Il a été l'organisateur des colloques de Bonneval où se
réunissaient chaque année des auteurs aussi illustres que
Merleau-Ponty, Lebovici, Green, Ricoeur, Lacan, Hippolyte, etc., etc...
Que nous dit ce manuel à propos de l'épilepsie ?
" I La Crise de Grand Mal -
Coma brutal, sans prodrome, la crise commence par la chute, face en
avant, avec possibilité de blessures et d'un cri bref. Pendant 10 à 20
secondes le corps est soudé dans un spasme tonique, souvent asymétrique
au début. rapidement généralisé : ce spasme entraîne la morsure de la
langue ou des lèvres et l'apnée, donc la cyanose progressive. Les
membres supérieurs sont collés au corps. coude, poignets et doigts
fléchis : les membres inférieurs sont en extension, les pieds en varus,
les orteils fléchis. La face est livide, puis se cyanose
progressivement, les pupilles dilatées, les réflexes oculaires sont
abolis. Cette contracture intense, tétaniforme, se relâche par une
série de décontractions rythmiques qui correspondent à son effacement
progressif : ce sont les convulsions. Pendant environ une minute, des
secousses musculaires rythmiques, symétriques, générales vont croître
en intensité tandis qu'elles diminuent en fréquence. Entre les
secousses, la résolution musculaire s'installe. Elle persiste après la
dernière secousse, laissant le sujet complètement flasque, avec une
reprise respiratoire bruyante (le stertor) et un relâchement
sphinctérien. Le coma dure quelques minutes. La reprise de conscience
est progressive : au coma fait suite le sommeil. Le sujet ne garde
aucun souvenir de sa crise.
Cette attaque, si typique, laisse place à peu de variantes. Elle peut
survenir pendant le sommeil (épilepsie morphéique de Delmas-Marsalet).
Elle peut se répéter en série d'accès (crises sérielles) allant jusqu'à
l'état de mal,
II Les états de Petit Mal.
Absences
Amnésies
Fugues épileptiques
Convulsions "
Voyons maintenant la symptomatologie hystérique telle que la décrit le
" Manuel de Psychiatrie " d'Henri Ey :
" A. - Paroxysmes, crises, manifestations aiguës
Tous ces accidents hystériques sont centrés par la crise hystérique
devenue rare sous sa forme complète " à la Charcot ", mais qu'il faut
décrire, car les autres manifestations paroxystiques en sont des
fragments ou des dérivés que l'on peut observer quotidiennement.
I) Les grandes attaques d'hysterie. -- Dans l'histoire de cette
névrose, elles marquent une époque. La grande crise " à la Charcot "
comportait cinq périodes
1) Des prodromes (aura hystérique) : douleurs ovariennes, palpitations,
boule hystérique ressentie au cou, troubles visuels. Ces prodromes
aboutissaient à la perte de connaissance avec chute non brutale.
2) Période épileptoïde : phase tonique, avec arrêt respiratoire et
immobilisation tétanique de tout le corps ; convulsions cloniques
commençant par de petites secousses et grimaces pour aboutir à de
grandes secousses généralisées: puis résolution dans un calme complet,
mais bref, avec stertor.
3) Période de contorsions ( clownisme ) commençaient alors des
mouvements variés accompagnés de cris, ressemblant à une lutte contre
un être imaginaire " (Richer, 1885)..
4) Période de transes ou des attitudes passionnelles, dans laquelle la
malade mimait des scènes violentes ou érotiques. On est alors en plein
rêve, dans une imagerie vécue, généralement où le même thème est repris
à chaque crise : idée fixe des anciens auteurs.
5) Période terminale ou verbale au cours de laquelle la malade, plus ou
moins rapidement, au milieu de visions hallucinatoires. de contractures
résiduelles, revenait à la conscience en prononçant des paroles
inspirées par le thème délirant précédemment vécu en pantomime.
Le tout durait d'un quart l'heure à plusieurs heures,état de mal
hystérique par reprises de tout le déroulement.
II Les Formes mineures:
Crises syncopales
Crises de hoquet, baillements, fous rires , pleurs, incoercibles.
Spasmes musculaires, mouvements d'allure choréique.
Hystéro-épilepsie et crises tétaniformes, cf spamophilie, etc..
Ajurriaguera a été un chercheur dans ces domaines limites entre les
deux affections. Crises épileptiques déclenchées par des facteurs
affectifs. Ou troubles d'allure épileptique sans lésion cérébrale.
Etats crépusculaires et états seconds. Évitements de la réalité
ambiante, paroles à côté, réalité rêvée. Etat d'hypnose, ou hypnoïde.
Etats seconds avec production d'images visuelles. Personnalités
multiples. Somnambulisme.
Les Amnésies paroxystiques, lacunaires, focalisées, en trous précis. Cf
les récits anamnèsiques des patients par eux-mêmes...
III Les syndromes fonctionnels durables
Les paralysies fonctionnelles de type astasie-abasie (paralysie de la
marche et de la station debout, mais assis les jambes sont
mobilisables).
Les paralysies localisées. Une partie de membre non cohérente avec la
neurologie,
Les contractures et les spasmes... Des membres, du cou, torticolis, du
tronc, etc.
Les anesthésies suivant des aires non neurologiques.
Les troubles sensoriels: cécité, surdité, etc.. Rétrécissement
concentrique du champ visuel, etc..
IV Les manifestations viscérales:
Les divers spasmes déjà mentionnés. Les algies. Mais aussi des troubles
vaso-moteurs et des téguments, décrits entre autre par Babinski, peau
épaissie, cyanosée, etc.. Le problèmes des hémorragies spontanées, des
stygmates est plus délicat à déterminer, mais pas à exclure. "
Après ces citations, revenons à Hippocrate. Il est donc capable de
diagnostiquer comme hystériques un certain nombre des symptômes que
nous venons de décrire avec Henri Ey et sans erreur quant à leur
origine. Il est capable de différencier la crise de grand mal
épileptique qu'il attribue en effet à un dérèglement cérébral de la
grande crise hystérique, qu'on dit à la Charcot de ce que celui-ci
l'ait si bien décrite, voire suscitée selon ses détracteurs. Or
Hippocrate en témoigne, elle a toujours existé. Et si de nos jours,
elle semble s'être raréfiée dans nos contrées occidentales... La
dernière à la quelle j'ai pu assisté remonte aux années 1970-80 alors
que je travaillais en hôpital psychiatrique.. Elle semble bien perdurer
à travers le monde sous des appellations diverses, phénomènes de
transes, rituels religieux, ... Et sous ses formes atténuées de spasmes
ou de convulsions, elle pose encore la question du diagnostic
différentiel avec l'épilepsie, et peut-être plus particulièrement chez
l'enfant, où nombre de spasmes, y compris ceux dits du sanglot, ou
hyper pyrétiques, peuvent laisser planer un doute quant à leur
traduction electro-encéphalographique très atypique. On sait qu'une
souffrance épileptique se traduit par un tracé particulier à
l'enregistrement des ondes cérébrales, dit en pointe-onde, à
l'électro-encéphalographie. Ce même diagnostic différentiel se pose
dans le cas de certains états mixtes, comme cela était noté par
Ajurriaguerra, où il est difficile de déterminer quelle part
prépondérante revient à l'une ou à l'autre affection. Mais aujourd'hui
le moindre soupçon de l'origine épileptique d'une convulsion provoque
la médication idoine, occultant le temps d'interrogation différentielle
quant à son éventuelle origine. Il est à noter d'autre part qu'un
certain nombre de médecins sont prêts à déclarer que le trouble
disparaîtra avec la puberté, ce qui peut se concevoir avec le
développement cérébral dans certains cas, mais ce qui est pour le moins
surprenant pour une souffrance cérébrale essentielle, c'est à dire
organique et constitutive, dans d'autres..
La grande crise hystérique semble donc ne plus guère exister chez nous,
de même que les paralysies fonctionnelles se font plus rares. Est-ce
seulement dû au perfectionnement de l'appareillage médical, lecture de
plus en plus fine des pointes-ondes à l'électro-encéphalogramme,
détection des lésions et souffrances cérébrales et neurologiques au
scanner ou à l'IRM? Et du discrédit qui en résulte pour tous ceux et
celles qui présenteraient des souffrances d'allure neurologique sans
substrat organique décelable ? Ou bien intervient-il aussi un
changement du discours médical, qui non seulement a produit le
démembrement de l'hystérie déjà mentionné, mais a conduit à
l'élimination de l'épilepsie du domaine des maladies psychiatriques
pour la ranger parmi les maladies générales dans la Classification
Internationales des Maladies, la CIM 10? Rangée, parmi d'autres
maladies, dans le cadre de la neurologie, son diagnostic différentiel
avec l'hystérie n'est plus possible. Elles ne font plus partie du même
champ...
Alors qu'il se montre capable de faire les diagnostics différentiels
que nous venons d'évoquer, Hippocrate, de façon étonnante, concernant
l'hystérie, maintient l'hypothèse causale des mouvements de l'utérus à
l'intérieur du corps des femmes. L'utérus est à la recherche de l'objet
de son désir, sperme et enfant, et son dessèchement provoque sa
remontée, par manque de poids. Il en résulte des obstructions
respiratoires ou oesophagiennes, des compressions nerveuses, provoquant
ainsi les divers symptômes hystériques.
Or, si le maintien d'une pareille hypothèse, malgré la finesse de ses
diagnostics, peut s'expliquer au moins pour partie par la
méconnaissance anatomique évoquée précédemment, il ne me parait pas
impossible que s'y ajoute une autre raison, imputable quant à elle à
l'observation même des caractéristiques de la sexualité humaine..
Platon
Cette autre raison, il me semble qu'on peut la trouver dans un texte de
Platon, son contemporain. Il s'agit d'un extrait du Timée, très souvent
cité à propos de cette hypothèse d'un utérus voyageur, mais souvent
pour mieux en dénoncer l'erreur grossière et quasi puérile. Or il me
semble dire toute autre chose à condition de le lire en son entier.
C'est ce que fait Ch Melman, dans ses " Nouvelles études sur l'hystérie
", mais, me semble-t-il, sans en retirer tout le sel.
Extrait du Timée de Platon:
" Ce fut à cette époque et pour cette raison que les dieux
construisirent le désir de la conjonction charnelle, en façonnant un
être animé en nous et un autre dans les femmes, et voici comment ils
firent l'un et l'autre. Dans le canal de la boisson, à l'endroit où il
reçoit les liquides, qui, après avoir traversé les poumons, pénètrent
sous les rognons dans la vessie, pour être expulsés dehors sous la
pression de l'air, les dieux ont percé une ouverture qui donne dans la
moelle épaisse qui descend de la tête par le cou le long de l'échine,
moelle que dans nos discours antérieurs nous avons appelée sperme.
Cette moelle, parce qu'elle est animée et a trouvé une issue, a
implanté dans la partie où se trouve cette issue un désir vivace
d'émission et a ainsi donné naissance à l'amour de la génération. Voilà
pourquoi chez les mâles les organes génitaux sont naturellement mutins
(nb: traduit aussi par indociles) et autoritaires, comme des animaux
sourds à la voix de la raison, et, emportés par de furieux appétits,
veulent commander partout.
Chez les femmes aussi et pour les mêmes raisons, ce qu'on appelle la
matrice ou l'utérus est un animal qui vit en elles avec le désir de
faire des enfants. Lorsqu'il reste longtemps stérile après la période
de la puberté, il a peine à le supporter, il s'indigne, il erre par
tout le corps, bloque les conduits de l'haleine, empêche la
respiration, cause une gêne extrême et occasionne des maladies de toute
sorte, jusqu'à ce que, le désir et l'amour unissant les deux sexes, ils
puissent cueillir un fruit, comme à un arbre, et semer dans la matrice,
comme dans un sillon, des animaux invisibles par leur petitesse et
encore informes, puis, différenciant leurs parties, les nourrir à
l'intérieur, les faire grandir, puis, les mettant au jour, achever la
génération des animaux. Telle est l'origine des femmes et de tout le
sexe féminin."
Ce qui me semble remarquable, ici, ce n'est pas tant la croyance en la
mobilité de l'utérus, mais c'est que femmes comme hommes, nos organes
génitaux sont considérés par Platon, il s'est inspiré d'Hippocrate,
comme d'une autre nature, disjoints de notre nature humaine. Ce sont
des sortes d'animaux, en effet, doués de mobilité, mais surtout
d'appétits indépendants. Chez la femme, ils apparaissent comme chez
l'homme. autoritaires, c'est à dire capables de commander le sujet
qu'ils habitent, imprévisibles, ingouvernables. Et même, précise
Platon, sourds et rebelles à la fonction la plus haute de l'homme,
celle décrite par toute la philosophie jusqu'à nos jours comme devant
nous gouverner, à savoir la raison. C'est donc une stricte égalité que
pose Platon entre les organes génitaux masculin et féminin. Ils sont
d'une même nature animale, indépendante, rétive à toute raison,
impévisible... Ne serait-ce pas aussi pour conserver ces
caractéristiques de la sexualité humaine qu'Hippocrate, en plus d'une
possible ignorance anatomique, ait maintenu l'hypothèse d'un utérus
migrateur? Est-on, par ailleurs, dans ces descriptions platoniciennes,
très loin de la description freudienne de la libido, de la pulsion
sexuelle? Comme l'animalité platonicienne, la libido est unique,
semblable chez l'homme et chez la femme; comme elle, elle est rétive à
la raison, indépendante et impérative!
Asclèpios, ou Esculape de son nom romain, dieu des médecins.
Il est cité ici non pour de nouveaux apports concernant l'hystérie mais
pour les particularités des rites qui lui étaient dédiés et qui peuvent
nous intéresser ici.
Asclépios est le fils d'Apollon et d'une mortelle. Enlevé à sa mère, il
est élevé par le centaure Chiron, lui-même médecin et guérisseur.
Demi-dieu, il est soignant tellement bien ses patients, et ressuscitant
tellement de morts que Zeus en prend ombrage. Selon deux légendes,
l'une où Zeus estime qu'Asclépios à force de guérisons et de
résurrections risque de troubler la bonne marche du monde et de
l'histoire, et l'autre racontant qu'Hadès, dieu des enfers, vient se
plaindre au maître des dieux de ne plus accueillir personne, Zeus
décide de faire d'Esculape un dieu et de le cantonner ainsi dans
l'Olympe afin qu'il ne puisse plus communiquer avec les mortels. Du
coup ceux-ci ne peuvent plus rencontrer leur dieu et ne peuvent plus
lui parler qu'en rêve. Pour ce faire, ils se rendent dans des temples,
comme celui d'Epidaure, qui lui sont consacrés. Ils s'y allongent sur
des couches isolées, et ils y racontent leurs songes à leur dieu. Les
registres des prêtres de ces temples gardent trace de nombreuses
guérisons. Il était coutume de leur faire un don après chaque séance.
Galien 131-201
C'est le plus grand médecin de l'antiquité avec Hippocrate. Il fut le
médecin de l'empereur Marc-Aurèle. Il écrit de nombreux ouvrages.
Procédant à la dissection d'animaux, il complète la connaissance du
système nerveux qu'avait établie Hippocrate. Par ailleurs déiste,
croyant à un dieu unique, son œuvre fut intégrée par l'Eglise dont elle
sera la référence médicale jusqu'à la Renaissance.
Concernant l'hystérie, il en reprend la description des symptômes
établie par Hippocrate. Mais, il est le premier à affirmer l'immobilité
de l'utérus. Il établit également l'existence d'une hystérie masculine
similaire à l'hystérie féminine. Il reprend, peut-être ainsi, l'opinion
platonicienne d'une égalité des hommes et des femmes face à la
sexualité ... L'hystérie masculine comme l'hystérie féminine résulte
selon lui de l'action nocive à distance de l'organe sexuel. Celui-ci
est supposé dysfonctionner du fait de la rétention trop importante des
liqueurs séminales. Les célibataires, les veufs, les abstinents, sont
particulièrement concernés... Est-on très loin de l'hypothèse des
névroses d'angoisse actuelle décrites par Freud chez certains
abstinents ? On retiendra aussi que bien avant Charcot dont on semble
pourtant en faire l'inventeur, Galien avait établi l'existence de
l'hystérie masculine.
III Du Moyen-âge à l'Age classique.
Après Galien, l'hystérie semble avoir disparu, peut-être d'une première
mort déjà.
C'est le temps de la montée et du règne du discours religieux chrétien.
Sans doute l'Eglise a-t-elle adopté le savoir médical de Galien où
l'hystérie est bien présente, mais pourtant on n'en trouve nulle trace
dans les discours religieux, philosophiques, médicaux ou profanes,
pendant plus de dix siècles. Qu'est-elle devenue ? S'est-elle
transformée sous l'influence des discours religieux ? A-t-elle été
effacée par celui-ci ? A-t-elle été prise dans les discours paganistes
qui ont coexistés de façon durable, avant l'an 1000, avec le discours
chrétien ? Il y faudrait sans doute une connaissance approfondie de ces
périodes… Ce qui aurait l'intérêt également de nous éclairer sur le
rapport de l'hystérie avec toutes les religions qu'elles soient
monothéistes : christianisme, judaïsme et islam, ou autres comme le
bouddhisme ou l'hindouisme…
Les seuls repères un peu consistants que nous avons des relations du
discours religieux et de l'hystérie, du XIIIème au XVIIème siècle, sont
les procès en sorcellerie ainsi qu'en possession, et certains écrits
mystiques. Des dizaines de milliers d'hommes et de femmes furent brûlés
au Moyen-âge pour leur commerce avec le Diable, accusés de sorcellerie,
et dont certains signes consignés lors de ces procès ne sont pas sans
évoquer l'hystérie.
Mais plutôt qu'aux sorcières et aux sorciers, c'est aux possédées que
je voudrais m'attacher un instant. Les grands épisodes de possession
eurent lieu à la fin du XVI éme siècle et au début du XVII éme, moment
historique de l'apparition de la religion protestante et de la "
contre-réforme " mise en place par l'église catholique pour y faire
face. Nous avons organisé, il y a quelques années, des journées
d'études consacrées à l'un des plus fameux de ces épisodes dans la
ville même de Loudun où il se produisit. J'avais eu alors la chance de
pouvoir consacrer mon attention à Jeanne des Anges, mère supérieure et
principale possédée du couvent des Ursulines où eurent lieu ces
événements. Je m'y attarde pour plusieurs raisons :
- La première est celle de la transformation de la lecture des signes
de l'hystérie en signes de démonologie. C'est ce qu'en atteste par
exemple le " Manuel d'exorcisme ", Anvers, 1626, du révérend Maximilien
d'Eynatten . Si y sont décrits des signes positifs de possession,
comme, par exemple, celui classique de savoir parler une langue
étrangère sans l'avoir apprise ; y sont également décrits des signes
négatifs confirmant la présence du démon dans le corps du possédé. De
quoi s'agit-il ? L'exorciste se doit de s'entourer de médecins afin de
déterminer si les signes étranges, tels que les contorsions, les
convulsions, les cris, les manifestations diverses, que peut présenter
le possédé, sont ou ne sont pas les effets d'une maladie ou d'une
atteinte organique connues de la médecine. Si en effet tel n'est pas le
cas, la présence du diable dans le corps du possédé est avérée. Ce qui
est fort dommageable pour celui-ci puisqu'on sait depuis Hippocrate que
justement l'hystérie se définit principalement par la négativité : la
grande crise n'est pas une crise épileptique grand mal, ses convulsions
ne sont pas non plus épileptiques, ses contractures ou ses paralysies
ne sont pas neurologiques, ses amnésies ou ses fugues ne sont pas dues
à des troubles épileptiques ou d'atteinte organique ou toxique, ses
visions ne sont pas des hallucinations psychotiques, etc… Il y a donc
de fortes chances que pris dans une telle lecture de nombreux et
nombreuses hystériques aient été considérés comme possédés par le
Diable, ou sorciers..
- La seconde raison qui me fait m'attacher ici à Jeanne des Anges est
issue de son autobiographie.
Elle entre au couvent vers 17 ans à la suite d'un dépit amoureux : sa
mère lui a interdit de se marier avec celui qu'elle aimait…
Je vous livre quelques courts extraits de son autobiographie :
" … je n'avais aucune application à la présence de Dieu. Il n'y avait
point de temps que je trouvasse si long que celui que la Règle nous
oblige de passer à l'oraison … Je m'appliquais à la lecture de toutes
sortes de livres, mais ce n'était pas par un désir de mon avancement
spirituel, mais seulement pour me faire paraître fille d'esprit et de
bon entretien… A cet effet, je m'étudiais autant qu'il m'était possible
à faire agréer mon humeur à tous ceux avec qui je conversais : et,
comme j'ai une certaine facilité naturelle à faire ce que je veux, je
m'en servais, employant mon esprit pour gagner l'affection des
créatures et particulièrement de celles qui avaient quelque autorité
sur moi…
J'avais une telle estime de moi-même, que je croyais que la plupart des
autres étaient bien au-dessous de moi : c'est pourquoi je les méprisais
souvent en mon coeur. ..
Parmi tous ces désordres, Notre Seigneur ne m'abandonnait point, et sa
miséricorde était si grande en mon endroit qu'il ne donnait point de
repos à mon coeur, car toutes les fois que je me présentais devant lui
pour faire l'examen de ma conscience, je me trouvais en des
bouleversements si grands que je ne les saurais exprimer. ….. Il me
prenait souvent des appréhensions de ma damnation, mais je les
étouffais par quelque récréation que je cherchais, et ainsi le temps se
passait toujours sans que je misse ordre aux affaires de mon âme, ni
que je voulusse me résoudre à changer mes habitudes vicieuses : au
contraire, je cherchais autant que ma condition me le voulait permettre
à me donner du plaisir, quoique je n'en trouvasse en rien, car j'étais
toujours en des remords de conscience et quoique je fisse tout ce que
je pouvais pour les étouffer, jamais la divine bonté n'a permis que j'y
ai réussi ; au contraire, ces remords s'augmentaient de jour en jour. "
L'alternance dont témoigne cet extrait ne cesse de se répéter dans son
autobiographie. Il y a une Jeanne qui ne pense qu'à plaire, à séduire,
à briller, qui s'intéresse beaucoup plus à ce qui se dit au parloir
qu'aux prières et aux offices. Il y a une autre Jeanne qui craint Dieu,
qui est coupable de ses désordres, qui désire l'amour divin.
Quelques années plus tard, elle est encore jeune, 27 ans, sa séduction
ayant en quelque sorte trop bien opéré, elle est nommée Mère supérieure
du couvent des Ursulines où elle réside. Ce qui est à la fois très
flatteur pour sa vanité, lui empêchant de refuser pareil honneur. Mais
aussi extrêmement contraignant de la mettre en position de devoir
donner l'exemple de la piété à celles qu'elle va diriger, elle qui
aspire à la futilité, à la séduction, aux cancans, mais qui, en même
temps, par crainte et amour de Dieu, n'imagine pas pouvoir se dérober à
sa charge… Il s'en suivra un épisode dépressif jusqu'à ce que se
déclare la possession.
Si je vous cite Jeanne des Anges et vous donne ces quelques indications
biographiques, c'est qu'il me semble qu'y apparaît, et pour la première
fois dans ma narration, et peut-être aussi historiquement (?), un signe
positif de l'hystérie, une caractéristique qui lui serait propre, alors
que jusqu'à présent nous n'en avons eu que des signes négatifs. C'est
ce qui s'exprime par ces alternances d'états, de désirs, d'émotions, à
savoir la division subjective. Cette division subjective dont témoigne
Jeanne des Anges est un des signes majeurs de l'hystérie. C'est cette
division qu'on retrouve au principe de " l'autre scène " qu'évoque
Freud. Lacan parle lui de " refente ", de " spaltung ", voire
simplement de " sujet divisé " dont il fera l'agent du " discours de
l'hystérique ". C'est cette division subjective qu'on retrouve en
psychiatrie classique, aussi, au principe de ce qu'on a nommé le "
théâtralisme " ou " histrionisme " hystérique, à savoir le fait qu'un
sujet se mette lui-même en scène tel un acteur jouant ses sentiments,
ses idées ; ce qui laisse à soupçonner une certaine facticité, reproche
fréquent adressé aux hystériques en psychiatrie. La division ici
opérant entre ce que serait ce sujet et ce qu'il montre.
Les exemples cliniques ne manquent pas. Mme X semble avoir une vie
idéale fantasmée aussi importante que sa vie réelle. Dans celle-ci,
elle est très amoureuse d'un homme avec qui elle songerait à se marier.
Mais cela se heurte à des fantasmes idéaux incompatibles avec un
mariage. Elle est incapable de prendre une décision. Mme Y est fascinée
par ses amies enceintes. Son désir d'enfant semble certain. Pourtant
elle reste terrorisée par la maternité. Mme Z évoque intérieurement son
époux avec beaucoup de tendresse et d'amour. Pourtant au cours d'une
séance elle réalise avec stupeur qu'elle ne s'adresse réellement à lui
que sur le mode de la provocation…
- La troisième raison de vous évoquer Jeanne des Anges est le
diagnostic différentiel entre l'hystérie et les psychoses, plus
particulièrement la schizophrénie. En effet Jeanne, lors de sa
possession, décrit des visions, des hallucinations, des thématiques
récurrentes : elle voit des lions qui vont la dévorer, elle entend la
voix de Saint Joseph lui parlant, il lui apparaît régulièrement, elle
entend la voix du Seigneur s'adressant à elle, des démons l'habitent
lui commandant des paroles, des actes, contre sa volonté, etc, et cela
pendant des années. Tous ces éléments pourraient faire partie d'un
délire schizophrénique.
Peut-être connaissez-vous les " Mémoires " du président Schreber ?
Freud en fit l'une de ses " Cinq psychanalyses ". Il qualifie ce cas de
paranoïa, pour en souligner l'aspect persécuté et conforme à la théorie
qu'il élaborait alors de cette affection. Selon une nosographie
française plus classique, on peut le considérer comme schizophrène. Or
on peut retrouver dans ces " Mémoires " un certain nombre d'éléments
semblables à ceux que décrit Jeanne des Anges. Comme elle, Schreber
décrit des hallucinations, des visions, des moments de confusion, voire
de sentiments de fin du monde… Comme elle qui est possédée et
persécutée par ses démons, il se décrit possédé et persécuté par les "
rayons divins ". Même le départ de leur affection, le moment précédant
leur décompensation est semblable. Elle, je le rappelle, a été nommée
Mère supérieure malgré son jeune âge, ce qui la met en position
d'éminence par rapport à des sœurs plus pieuses et plus méritantes et
aussi plus âgées qu'elle. Schreber a été, malgré son jeune âge, lui
aussi, nommé Président d'une cour d'appel, c'est un juriste, où lui
aussi se retrouve également en position d'éminence, d'autorité face à
des collègues à la fois plus âgés et ayant plus d'expérience juridique
que lui.
Pourtant Jeanne est bien hystérique et Schreber est bien psychotique.
Qu'est-ce qui alors les différencie ?
On pourrait avancer que Jeanne est consciente de sa division quant à sa
capacité à assumer sa charge alors que Schreber le serait moins ? Mais
cela ne semble pas pertinent car il existe des psychotiques tout à fait
conscients des conditions psychologiques présidant à leur
décompensation. Il me semble par contre plus caractéristique que, lors
de la survenue de leurs troubles, l'un, Schreber présente des
phénomènes élémentaires, c'est le " qu'il serait beau d'être une femme
subissant l'accouplement " se présentant à lui comme une certitude par
où se " manifeste dans le Réel ce qui a été forclos " selon la formule
de Lacan. Alors que l'autre, Jeanne, dans ce moment de survenue de ces
troubles, présente des visions oniroïdes, cauchemardesques, survenues
la nuit, et présentant l'allure d'images hypnagogiques.
Ce qui s'ensuit pour l'un et pour l'autre de confusions, d'impression
de fin du monde, de mélange de visions, d'agitations, de stupeurs, de
délires divers, me paraît d'une différence beaucoup moins pertinente,
même s'ils peuvent présenter quelques particularités spécifiques chez
l'un ou chez l'autre. De même que l'aspect plus systématisé du délire
de Schreiber comparé au foisonnement confus des visions et des
interprétations de Jeanne ne paraît pas être une caractéristique
différentielle suffisante. Il existe en effet des états
confuso-oniriques psychotiques.
Par contre une différence aussi pertinente que la présence ou l'absence
de phénomènes élémentaires me paraît être l'incapacité métaphorique
dont témoigne Schreber, prenant toute expression métaphorique au pied
de la lettre y compris celles issues de ses propres rêves. Il y a là un
signe éminent de psychose. Jeanne, au contraire, pour décrire ses
démons et tous les tourments, toutes les visions, tous les malheurs
qu'elle subit, emploie volontiers des métaphores avec, à la fois,
élégance et justesse.
Le troisième élément qui me paraît un critère différentiel pertinent
est la présence de néologismes dans les écrits de Schreber et leur
absence complète dans l'autobiographie de Jeanne. Le néologisme signe
la psychose disait, me semble-t-il, Lacan. Pourquoi ? Car on a besoin
de nouveaux mots lorsqu'on a affaire à une nouvelle réalité. D'où la
création de néologismes, ou la néologisation des mots courants, par les
scientifiques, les philosophes, et les psychotiques. Les premiers,
c'est pour nommer les entités nouvelles qu'ils ont découvertes, les
seconds, c'est pour nommer les nouveaux systèmes et concepts qu'ils ont
forgés, les troisièmes, c'est pour nommer la nouvelle réalité produite
par leur délire. Quelquefois, un seul néologisme est suffisant pour
révéler une psychose. D'autres fois les néologismes peuvent être
envahissants au point de créer une pseudo langue. Un exemple de
néologisation des mots ordinaires : M A, lors d'un voyage à l'étranger
a décompensé sur un mode majeur, avec hallucinations visuelles et
auditives, délire autour des thèmes de la voyance, la chiromancie,
etc.. Rapatrié en France, je le rencontre quelques mois après son
retour. Il n'a plus d'hallucination, ni de délire apparent. D'un bon
niveau socioculturel, son vocabulaire est riche et la construction de
ses phrases correcte. Pourtant, au bout de quelques séances, je
constate que je ne comprends pas ce qu'il me dit. Il me faudra
plusieurs mois pour réaliser que cette langue française d'apparence
impeccable qu'il m'adresse, est en fait constituée de nombre de mots
courants mais néologisés, dans une acception connue de lui seul, sans
doute en relation avec son délire resté sous-jacent. Quelques années
plus tard, il se fera un devoir d'apprendre le dictionnaire pour
retrouver la véritable signification des mots.
IV Du XVIIème au XIXème siècle.
Malgré la réintroduction de la médecine grecque à partir de la
Renaissance, recouverte comme nous l'avons dit par le discours
religieux, la question de l'hystérie ne semble renaître qu'à partir de
la fin du XVIIème siècle. C'est Sydenham, en Angleterre, qui localise
le premier l'origine de l'hystérie au niveau du cerveau et non plus des
organes génitaux. Mais une telle localisation restera contestée
jusqu'au début du XIXème siècle. Pinel, le grand aliéniste français
ayant libéré les malades mentaux de leurs chaînes, pensait encore à
cette époque que l'hystérie était due à une action à distance des
organes génitaux, comme l'indiquait Galien. D'ailleurs la thérapeutique
n'avait pas non plus évolué. Pour Pinel, le mariage était le meilleur
des remèdes suivant en cela Galien. On hésite aussi à l'époque sur la
valeur à accorder aux divers symptômes hystériques d'autant qu'ils se
définissent, on l'a vu, d'une négativité. Sydenham parle de caméléon,
Briguet d'imagination.. On n'est pas très loin du théâtralisme ou de
l'histrionisme dont les définitions se feront quelques temps plus tard.
Puis avec la seconde moitié du XIXème siècle une attention plus précise
se renouvelle à propos de l'hystérie. Faut-il y voir les effets des
progrès de la science et de la médecine ? C'est l'époque de Claude
Bernard, définissant la méthode expérimentale, de Pasteur. Est-ce une
conséquence d'un changement de l'image féminine ? C'est le moment des
poèmes romantiques, d'un changement de l'idéal amoureux, de Flaubert,
de Michelet… Il serait ainsi instructif de suivre en parallèle
l'évolution historique du statut féminin et de l'hystérie. On en a eu
un aperçu précédemment lors de l'évocation des sorcières et des
possédées. Le passage des premières, considérées comme actives dans
leur commerce avec le Diable, aux secondes considérées comme passives,
correspond à l'émergence de la religion réformée et à la contre-réforme
de l'église catholique..
Azam
Au début de cette seconde moitié du XIXème siècle, le Dr Azam, médecin
bordelais, réalise la première observation exhaustive d'un cas de
personnalité multiple. C'est une observation au long cours qui
s'étalera sur plusieurs années. Je vais vous citer le début de cette
observation, les phénomènes qui y sont décrits ne feront que se répéter
au cours du temps, ne variant que dans leur amplitude ou dans leur
durée, mais non dans leur nature. Plus précisément, il s'agit d'une
personnalité double. La patiente se nomme Félida.
Je cite le Dr Azam :
" Je vais raconter l'histoire d'une jeune femme dont l'existence est
tourmentée par une altération de la mémoire qui n'offre pas d'analogue
dans la science; cette altération est telle qu'il est permis de se
demander si cette jeune femme n'a pas deux vies…
Félida X... née en 184I, à Bordeaux, de parents bien portants; son
père, capitaine dans la marine marchande, a péri quand elle était en
bas âge, et sa mère, laissée dans une position précaire, a dû
travailler pour élever ses enfants….
Vers l'âge de quatorze ans et demi se sont montrés les phénomènes qui
font le sujet de ce récit.
Sans cause connue, quelquefois sous l'empire d'une émotion, Félida X...
éprouvait une vive douleur aux deux tempes et tombait dans un
accablement profond, semblable au sommeil. Cet état durait environ dix
minutes, après ce temps et spontanément elle ouvrait les yeux,
paraissant s'éveiller, et commençait le deuxième état que je nommerai
condition seconde que je décrirai plus tard; il durait une heure ou
deux, puis l'accablement et le sommeil reparaissaient et Félida
rentrait dans l'état ordinaire…...
Voici ce que je constate en octobre 1858…
Très intelligente et assez instruite pour son état social, elle est
d'un caractère triste, même morose, sa conversation est sérieuse et
elle parle peu, sa volonté est très arrêtée et elle est très ardente au
travail. Ses sentiments affectifs paraissent peu développés. Elle pense
sans cesse à son état maladif qui lui inspire des préoccupations
sérieuses et souffre de douleurs vives dans plusieurs points du corps,
particulièrement à la tête… On est particulièrement frappé de son air
sombre et du peu de désir qu'elle a de parler; elle répond aux
questions, mais c'est tout...
… Presque chaque jour, sans cause connue ou sous l'empire d'une
émotion, elle est prise de ce qu'elle appelle sa crise; en fait, elle
entre dans son deuxième état; ayant été témoin des centaines de fois de
ce phénomène, je puis le décrire avec exactitude…
Felida est assise, un ouvrage quelconque de couture sur les genoux;
tout d'un coup, sans que rien puisse le faire prévoir et après une
douleur aux tempes plus violente qu'à l'habitude, sa tête tombe sur sa
poitrine, ses mains demeurent inactives et descendent inertes le long
du corps, elle dort ou paraît dormir, mais d'un sommeil spécial, car ni
le bruit ni aucune excitation, pincement ou piqûres ne sauraient
l'éveiller; de plus, cette sorte de sommeil est absolument subit. Il
dure deux à trois minutes... Après ce temps, Félida s'éveille, mais
elle n'est plus dans l'état intellectuel où elle était quand elle s'est
endormie. Tout paraît différent. Elle lève la tête et, ouvrant les
yeux, salue en souriant les nouveaux venus, sa physionomie s'éclaire et
respire la gaieté, sa parole est brève, et elle continue, en
fredonnant, l'ouvrage d'aiguille que dans l'état précédent elle avait
commencé; elle se lève, sa démarche est agile…; elle vaque aux soins
ordinaires du ménage, sort, circule dans la ville,… Son caractère est
complètement changé: de triste elle est devenue gaie, et sa vivacité
touche à la turbulence, son imagination est plus exaltée; pour le
moindre motif elle s'émotionne en tristesse ou en joie: d'indifférente
à tout qu'elle était, elle est devenue sensible à l'excès.
Dans cet état, elle se souvient parfaitement de tout ce qui s'est
passé: et pendant les autres états semblables qui ont précédé et aussi
pendant sa vie normale. J'ajouterai qu'elle a toujours soutenu que
l'état, quel qu'il soit, dans lequel elle est au moment où on lui
parle, est l'état normal qu'elle nomme sa raison, par opposition à
l'autre état qu'elle appelle sa crise.
Dans cette vie comme dans l'autre, ses facultés intellectuelles et
morales, bien que différentes, sont incontestablement entières : aucune
idée délirante, aucune fausse appréciation, aucune
hallucination,…..Pendant sa vie normale elle n'a aucun souvenir de ce
qui s'est passé pendant ses accès.
Après un temps qui, en l858, durait trois ou quatre heures presque
chaque jour, tout à coup la gaieté de Félida disparaît, sa tête se
fléchit sur sa poitrine, et elle retombe dans l'état de torpeur que
nous avons décrit.. - Trois à quatre minutes s'écoulent et elle ouvre
les yeux pour rentrer dans son existence ordinaire. - On s'en aperçoit
à peine, car elle continue son travail avec ardeur….
Je crois devoir préciser les limites de cette amnésie. - L'oubli ne
porte que sur ce qui s'est passé pendant la condition seconde, aucune
idée générale acquise antérieurement n'est atteinte; elle sait
parfaitement lire, écrire, compter, tailler, coudre, etc.., et mille
autres choses qu'elle savait avant d'être malade ou qu'elle a apprises
dans ses périodes précédentes d'état normal. "
Je voudrais rapporter un autre cas de personnalité multiple, même si
elle apparaît moins typique, parce que nous la connaissons tous de ce
que nous l'éprouvions nous-même. Tout un chacun a, un jour, eu un accès
de colère très important vis-à-vis d'un proche, suffisamment important
pour dire des mots très violents ou blessants, venus involontairement
et presque dont on ne sait où, alors emportés que nous étions par cette
colère. Si, quelques temps plus tard, ce proche nous rappelle nos
paroles, nous pouvons en être surpris ou étonnés, pris d'un doute : "
Avons-nous vraiment dit cela ? De telles énormités ? ". Sous l'emprise
de la colère, nous n'avons pas enregistré nos propres paroles, et aussi
les éléments connexes, dans notre mémoire, ou seulement de façon
imparfaite. Et l'excuse avancée la plus fréquente : " Je ne pensais pas
ce que j'ai dit.. " ne fait que témoigner de ce que ces paroles
semblent être survenues d'ailleurs que de là où le sujet se reconnaît
pensant et parlant, sa conscience ou sa volonté, son moi, etc...Cela a
pensé et parlé à sa place, et plus vite que sa possibilité de réagir.
C'est un exemple de personnalité multiple de la vie de tous les jours.
Dans le cas de Félida comme dans celui de notre propre colère, on
reconnaît la division subjective déjà repérée depuis Jeanne des Anges.
On y reconnaît également certaines caractéristiques des personnalités
multiples telles que les a décrites Janet.
Mais surtout, cela nous permet de revenir sur la disparition et le
démembrement de l'hystérie que nous évoquions au début de notre propos.
Pour ce faire, je m'arrêterai un instant sur un manuel de psychiatrie
absolument considérable puisqu'il sert actuellement de référence non
seulement aux Etats-Unis, en France, mais aussi dans la plupart des
pays de la planète. Je veux parler du " Diagnostic and Statistic Manual
of Mental Disorders ", plus connu sous l'acronyme de D.S.M, sous ses
versions III, IV, ou IV révisée. Ce manuel, qui se présente non sans
une certaine richesse et acuité clinique, me paraît cependant être,
sous un certain angle, contemporain des observations d'Azam, Charcot,
et de leurs collègues… D'où son évocation à ce moment de notre
parcours. En effet, dans le D.S.M, de par l'approche se voulant
a-théorique et objective de ses auteurs, l'hystérie a disparu au profit
de la collection évaluative de ses divers symptômes considérés comme
autonomes et non coordonnés entre eux, que ce soit par une quelconque
structure, origine, ou problématique, etc… Les multiples algies,
troubles mnésiques, somatisations, phénomènes de conversion,
personnalités multiples, troubles sexuels, dissociation de l'identité,
troubles de la personnalité ( histrionisme, théâtralisme, …) sont
considérés comme des entités diagnostiques indépendantes… Le D.S.M
revient ainsi à une approche purement symptomatique, telle qu'elle
pouvait l'être du temps d'Azam, et de ses contemporains, jusqu'à
Charcot. Il produit ainsi un progrès assez extraordinaire de consister
en un saut de 150 ans en arrière ! Et le D.S.M en apparaît, peut-être,
comme une des premières machines à remonter le temps réellement
construite ! Les raisons en sont, probablement, la difficulté d'une
certaine communauté scientifique à intégrer les apports de la
psychanalyse. Nous verrons, en évoquant Freud, pourquoi. Et comment
cela peut expliquer ce retour à une époque antérieure à celui-ci….
Cependant, nous allons citer les critères diagnostiques des
personnalités multiples, ainsi nommées dans le D.S.M III, appelées
également troubles dissociatifs de l'identité dans les D.S.M IV et IV
T.R, à la fois pour leur justesse clinique et pour mieux les distinguer
des troubles dissociatifs psychotiques.
Ces troubles se caractérisent par :
" La présence de deux ou plusieurs identités, chacune ayant ses propres
modalités constantes de perceptions, de pensée, de relations.
Au moins deux de ces identités prennent tour à tour le contrôle du
comportement du sujet.
Il existe une incapacité d'évoquer des souvenirs personnels importants
et qui est plus massive qu'une simple mauvaise mémoire.
Sur le plan du diagnostic différentiel, ces troubles ne sont pas dus à
une substance toxique ou une affection médicale générale telle que
l'épilepsie, (celle-ci faisant partie désormais de la médecine générale
), ou autre. "
Ce qui ressort de cette description, comme nous l'avions déjà noté à
propos du cas de Félida ou de notre propre colère, c'est qu'il s'agit
d'états successifs, séparés par une amnésie au moins partielle, et
jamais simultanés. C'est ce qui les différencie des états dissociatifs
psychotiques où les sentiments de morcellement, les invasions par des
hallucinations parasites et contradictoires, ou par la présence de
persécuteurs, d'opposants internes au sujet, sont ressentis
simultanément, dans le présent immédiat.
Charcot, dernière étape avant Freud.
Il était à la fin du XIXe siècle le plus grand neurologue de son temps.
Curieusement, pour des raisons de réfection de locaux à la Salpêtrière,
il hérite du pavillon des convulsionnaires. Ceux-ci comprenaient aussi
bien les épileptiques, les choréiques que les hystériques. Pour des
raisons de thérapeutique et de diagnostic, Charcot entreprend d'en
faire le tri. Il lui faut d'abord pour cela distinguer ceux de ces
convulsionnaires qui ressortent d'atteintes neurologiques, cérébrales,
de ceux qui seraient sans atteinte organique. Neurologue scientifique,
au cours de ses célèbres leçons, il va montrer que les symptômes
hystériques ne correspondent à aucune neuropathologie. Pour cela, afin
d'en mieux démontrer la nature psychologique, il va utiliser l'hypnose
pour reproduire les différents symptômes hystériques, par une sorte de
démonstration a contrario. Il montre que si une telle reproduction est
possible par ce moyen, purement psychologique, ne comportant en
lui-même aucun élément d'action organique, il s'en suit que les
symptômes ainsi provoqués et reproduits par ce moyen ne peuvent en
aucun cas comporter eux-mêmes de cause organique. Mais, ce faisant,
dans son utilisation de l'hypnose, il constate que certains symptômes
disparaissent soit du simple fait de l'émergence de souvenirs oubliés,
soit grâce à l'abréaction émotionnelle ainsi provoquée. Au travers de
cette pratique, il constate aussi l'origine traumatique de certains
phénomènes hystériques, y compris ceux de conversion, ainsi que
l'existence de l'hystérie masculine, qu'il réaffirme après Galien.
Seconde Partie : Freud
Il a été stagiaire chez Charcot pendant six mois. Il l'admirait
beaucoup, au point d'avoir traduit une partie des leçons de Charcot en
allemand. Mais ce ne sont que des détails historiques.
Ce sur quoi, par contre, je voudrais insister c'est sur le saut
épistémologique extraordinaire qui a été celui de Freud. D'avoir
parcouru ce long historique va nous permettre d'en mieux cerner et
spécifier les caractéristiques. Car ce saut ne consiste pas en la
monstration de l'étiologie sexuelle de l'hystérie. On en avait le
soupçon, comme nous l'avons vu, depuis la haute Antiquité égyptienne.
Ce saut ne consiste pas non plus dans l'établissement d'une pulsion
sexuelle unique, semblable chez les hommes et chez les femmes,
irrationnelle, indépendante, que Freud lui-même va nommer la libido. On
en a vu les prémices chez Platon. Ce saut ne consiste pas plus dans la
division subjective telle que nous avons pu la repérer chez Jeanne des
Anges, chez Félida,... Ce saut épistémologique, le pas révolutionnaire
de Freud à mon sens, consiste en la détermination d'un nouveau champ
scientifique au sens strict, littéral de ce terme. Et ce nouveau champ
scientifique que Freud délimite, c'est celui de l'esprit humain.
Essayons de préciser cela. Qu'est-ce qu'un champ scientifique ? C'est
un domaine de la réalité constitué d'un ensemble d'objets cohérents,
autrement dit de même nature, et des phénomènes qui s'y rapportent. Ces
objets et ces phénomènes ne trouveront pas de causalité en dehors de ce
champ.
La physique est le champ scientifique délimité des objets non vivants.
Si, de Galilée à Newton, on a pu élaborer les lois de la gravitation
universelle, et celle de la pesanteur qui en est issue, c'est parce
qu'on s'est interdit d'en chercher les causes ailleurs qu'à l'intérieur
du champ ainsi défini. Tant qu'étaient évoquées des causes hors de ce
champ : si le caillou tombait c'est qu'il avait le désir de rejoindre
le sol, ou que cela correspondait aux desseins du Créateur, ou que le
lourd devait être en bas et le léger en l'air, etc.., on faisait ainsi
appel à des causes issues d'autres champs, celui du vivant, de la
métaphysique, de la perception, etc.., on ne pouvait qu'échouer à
déterminer les véritables causes des forces gravitationnelles. C'est au
contraire en se limitant à rester strictement à l'intérieur de ce champ
ainsi défini qu'on a pu déterminer que ces forces étaient la résultante
des masses et des distances des objets concernés.
C'est en ce sens que j'avance que Freud a fait un saut épistémologique
extraordinaire en délimitant un nouveau champ scientifique : celui de
l'esprit humain. Les objets constituant ce champ étaient pour la
plupart bien connus avant lui : la conscience, les pensées, les
fantasmes, les rêves, les émotions, les sentiments, les désirs, etc,
etc. Mais ce qu'il y a de radicalement novateur dans cette démarche,
c'est que conformément à l'établissement d'un champ scientifique, ce
n'est qu'à l'intérieur même de ce champ que devront être cherchées les
causalités se rapportant à ces objets et aux phénomènes qui s'y
rattachent. Ainsi, c'est dans le cadre strict de ce champ ainsi
délimité que Freud avance. Il n'aura nul recours à un autre champ qu'il
soit biologique, philosophique, historique, religieux, sociologique… Et
s'il lui arrive de faire des incursions dans d'autres champs, qu'on se
rappelle ici son œuvre, comme l'art, cf " Le Moïse de Michel-Ange " ou
son étude concernant " Léonard de Vinci ", ou comme la sociologie, cf "
Psychologie collective et analyse du moi " ou le " Malaise dans la
Culture ", c'est toujours à partir de son champ propre, y étant
parfaitement centré, c'est ce champ qui vient à éclairer certaines
particularités de ces autres champs, jamais l'inverse, sans aucune
confusion possible.
Ceci va nous permettre de percevoir comment très simplement et très
logiquement Freud va pouvoir, en son départ, articuler les différents
éléments qu'il élabore à partir de son écoute de l'hystérie. Et ceci
explique sans doute également comment, à partir des années 1895, cette
élaboration freudienne a pu être aussi rapide…
Mais auparavant, une dernière conséquence de l'établissement par Freud
de l'esprit humain comme champ scientifique. Dans un champ
scientifique, les objets qui le constituent sont de valeur équivalente
au regard de ce champ. En physique, pour reprendre cet exemple, un
caillou, un rocher, un atome, une montagne, n'ont pas plus de valeur
l'un que l'autre, au regard de leurs propriétés physiques, par exemple
par rapport aux lois de la gravitation, nulle hiérarchisation entre
eux. En conséquence, concevoir les contenus de l'esprit humain comme
les objets d'un champ scientifique présuppose de les concevoir comme
étant de valeur strictement équivalente, strictement identique, afin de
pouvoir en mesurer les actions et les interactions. Or cela va à
l'encontre de toute notre pensée et de toute notre culture !
Spontanément, nous avons tendance à nous concevoir comme confondus avec
une entité, au minimum s'en croire possesseur, qu'on appellera selon
les opinions ou croyances : le sujet, l'âme, la conscience, soi-même,
la raison, le moi, " je", etc.. Ce qu'appelait joliment Jean Bergès : "
un petit bonhomme dans le bonhomme ". Une entité qui présiderait à nos
pensées, nos actions, nos fantasmes, nos désirs, nos angoisses, qui
serait aux commandes. C'est sur quoi repose aussi toute la tradition
philosophique dans sa hiérarchie des fonctions de l'esprit humain en
mettant à leur sommet : la raison ou la conscience. Or poser ainsi
l'esprit humain comme champ scientifique conteste l'idée d'une
hiérarchie entre les objets qui le constituent mais affirme au
contraire leur équivalence. Cela a, me semble-t-il, au moins deux
conséquences :
- La première est qu'il y a, peut-être bien, ici, une des sources les
plus importantes de la résistance à la psychanalyse. Le retour actuel à
des approches pré-freudiennes de la symptomatologie névrotique, comme
nous l'avons évoqué avec le D.S.M, mais existant aussi dans le cadre de
diverses psychologies, y trouve peut-être bien son origine. Notre
contexte actuel, qui est peut-être moins scientifique que rationaliste,
a sans doute du mal à accepter pareille remise en question de la
hiérarchie des fonctions de l'esprit. Lacan, déjà, dans les années 50,
critiquait l'Ego-psychology, comme déviation nord-américaine de la
psychanalyse de ce qu'elle veuille redonner à l'instance du Moi
freudien une prééminence, une fonction de " gouvernance " sur les
autres objets constituant ce champ. Sans doute est-ce là une pente
naturelle de notre état que de nous concevoir comme, à partir d'une
quelconque entité, " maître chez nous " ?
- La seconde conséquence, qui nous intéresse ici directement, est que
l'hystérique, homme ou femme, est celui qui conteste l'existence du "
petit bonhomme dans le bonhomme ", de celui qui serait aux commandes de
nos pensées, de nos fantasmes, etc… Du pilote… Il y a actuellement une
expression populaire pour évoquer la crise de nerfs très illustrative :
" Je suis parti en vrille !.. ". Il n'y a plus de pilote !
Mais ce pilote est la doublure de ce à partir de quoi il s'est
constitué, à savoir ce que Lacan appelle l'Autre, de la mère au père,
pour l'enfant, où s'origine ce qui est organisateur dans le discours,
tout discours, ce qui vient à fonder la hiérarchie des valeurs, ce qui
fait maîtrise, soit ce que Lacan appelle le signifiant maître, S1,
qu'on peut aussi nommer ici la fonction phallique. Parenthèse clinique
: Mme B, avant de partir en vacances, dit sa terreur de prendre
l'avion. Puis elle avoue que ce serait complètement différent si
elle-même pilotait. D'ailleurs, ajoute-t-elle, en voiture, elle déteste
être passager (sic !), elle conduit très bien et vite !
Après cette digression, examinons comment Freud, d'avoir établi ce
champ scientifique, va lire de façon très simple en même temps que très
articulée les différents éléments que lui apporte son écoute des
hystériques.
- Si des souvenirs inconnus de ses patients peuvent ressurgir sous
hypnose, ou qu'en cas de personnalités multiples, l'une des
personnalités ne se souvienne pas de l'autre, cela suppose qu'à
l'intérieur même de champ, au côté de la conscience existe un
inconscient. Mais le fait même que ces souvenirs puissent ressurgir à
la conscience, ou au contraire que certains puissent en disparaître,
par exemple après l'hypnose, ou dans certaines circonstances, ou que la
personnalité seconde ne se souvienne pas de la première, laisse penser
que cet inconscient est dynamique. Ce qui le différencie radicalement
de certaines formes d'inconscient pensées avant Freud, comme par
exemple celui du fonctionnement de nos organes, qui non seulement
appartient à un autre champ, mais est surtout statique. C'était
tellement ça, pour Freud, cet inconscient dynamique, que dans sa
pratique, qu'il relate au début de ses " Etudes sur l'hystérie ", il
faisait une première séance, où sous hypnose sa patiente lui confiait
des souvenirs refoulés, qu'il faisait suivre d'une seconde séance où
lui-même narrait à cette patiente les souvenirs qu'elle lui avait
confiés la veille. C'est-à-dire tentant de gagner de la conscience sur
l'inconscient.
- Mais poser ainsi l'existence d'un inconscient dynamique suppose
l'existence de forces en présence dans ce champ afin de pouvoir
expliquer le passage d'un état à un autre, de la conscience à
l'inconscient et réciproquement de l'inconscient à la conscience. Ces
forces, il les découvre avec l'exploration des souvenirs inconscients,
révélés d'abord par l'hypnose puis par la psychanalyse, comme étant
ceux de traumatismes affectifs, psychologiques, comme l'avait perçu
Charcot. Ces forces semblent être produites par les traumatismes et
c'est elles qui maintiendraient les souvenirs inconscients. Freud en
les étudiant s'aperçoit que ces forces produisent une sorte de division
où la représentation émotionnelle, celle de l'affect, est conservée
mais repoussée à la frontière du champ. Cette frontière, c'est le
corps, ce qui va produire aussi bien les phénomènes de conversion, que
le théâtralisme, ou l'exagération de l'expression affective.. Tandis
que ces mêmes forces repoussent le représentant de la représentation,
la dimension signifiante si on préfère, dans l'inconscient. Il nommera
ce jeu de forces, premier mécanisme de défense par lui décrit et
découvert à propos de l'hystérie, caractéristique de celle-ci, le
refoulement.
- Il est à noter que si le refoulement, ce jeu de forces, explique
l'aspect dynamique de l'inconscient, il n'en est pas moins dynamique
lui-même. Il peut tout aussi bien s'amplifier, emportant d'autres
éléments en les associant au traumatisme, qu'aussi bien diminuer comme
sous hypnose, au cours d'une analyse, ou dans certaines circonstances
de la vie.
- Freud, continuant à recueillir les confidences de ces patients,
s'aperçoit bien vite que ces traumatismes sont, conformément à la
tradition, d'origine sexuelle. Mais ils ne correspondent, contrairement
à ce que disait la tradition, ni à un manque ni à un dérèglement de la
fonction sexuelle, ce qui les aurait d'ailleurs situés hors du champ
précédemment déterminé. Ils correspondent à un conflit, et plus
précisément un conflit psychique autour de la sexualité. Ce conflit
psychique s'origine de ce que ces patients auraient subi, en étant
enfant, ce qu'il appelle pudiquement des scènes de séduction, de la
part d'adultes plus ou moins proches : parents, gouvernantes, membres
de la famille, etc... Ces scènes de séduction produisent une opposition
chez l'enfant entre l'excitation, la curiosité sexuelle, et l'amour, le
respect, la tendresse vis-à-vis de l'adulte auteur de ces
attouchements. Elles peuvent prendre leurs valeurs traumatiques
immédiatement ou après coup, c'est-à-dire après que la puberté ou qu'un
autre événement leur donne leur dimension pleinement sexuelle.
- Cette dimension de conflit révèle qu'il existe un élément dans ce
champ capable de mesurer les valeurs morales ou affectives en jeu et
capable de produire le refoulement dans certaines circonstances selon
ces critères. Freud le nommera dans la première partie de son œuvre :
la censure, puis dans la seconde partie, après l'élaboration de la "
seconde topique " : le sur-moi.
- Il s'aperçoit bien vite que ces scènes de séduction sont trop
nombreuses pour être toutes véritables. Mais comme il est Freud, même
si elles sont imaginaires, il ne les rejette pas comme étant sans
valeur. En effet, en tant que rapportées par ses patients, elles n'en
sont pas moins des éléments du champ. Et en tant que telles, en
scientifique rigoureux, il ne va pas les éliminer, les considérer,
parce qu'elles sont imaginaires, comme étant sans valeur. Du coup, il
remarque que dans ce champ, elles sont traitées comme des réalités.
Elles y ont les mêmes effets, (que des scènes de séduction véritables),
elles y sont pareillement refoulées. C'est ce qu'il nomme le fantasme
inconscient
- Le pas suivant est de se demander d'où sont issus de tels fantasmes,
de telles scènes de séduction imaginaires. Ce que révèlent ses patients
à Freud, c'est que le développement sexuel de l'être humain n'est
vraiment pas simple. Ce développement se produit en deux temps, du fait
de la prématurité humaine. Le premier se produit pendant la petite
enfance, le second avec son achèvement à la puberté. Le premier, que
Freud nomme Oedipe par analogie, correspond à la découverte de la
différence des sexes par le jeune enfant, et aux conséquences qui en
découlent de devoir se situer quant à son identité sexuée et au futur
de son objet sexuel. Mais le jeune enfant, pour répondre à sa
curiosité, n'a que ce qu'il ressent vis-à-vis des adultes les plus
proches, ses parents donc généralement. Ce qui l'amène à éprouver un
désir incestueux. Il est à noter que ce désir incestueux est
obligatoire pour aborder l'Œdipe que chacun d'entre nous doit
traverser. Mais paradoxalement, s'il est obligatoire, il se heurte à un
non moins obligatoire tabou de l'inceste. C'est dans ce circuit un peu
étrange, entre deux obligations contradictoires, que se fait
l'identification au parent du même sexe en même temps que l'émergence
d'un désir pour le parent de sexe opposé. Circuit que Freud suppose
suffisamment difficile pour en faire le socle de toute névrose..
Nous avons là tous les éléments pour lire un cas d'hystérie comme celui
qu'expose Freud dans ses " Cinq psychanalyses ", celui de la jeune
Dora. Elle consulte pour une nausée persistante depuis des années, une
aphonie, une toux parasite inexplicables. Elle est prise dans le trio
constitué de son père, de sa maîtresse, Mme K, et du mari de celle-ci,
Mr K. Conformément aux éléments articulés précédemment, Freud détermine
que les symptômes de Dora résultent du refoulement de son désir pour Mr
K, derrière lequel se profile son père, comme objet de son désir
oedipien. Ses symptômes disparaissent. Mais Dora interrompt néanmoins
prématurément sa cure. Freud en déduira qu'il n'avait pas assez porté
attention au désir homosexuel de Dora envers Mme K, et que c'était la
raison de cet arrêt. Nous verrons la reprise qu'en fait Lacan.
Avant de quitter Freud, je voudrais évoquer son article de 1908 : " les
fantasmes hystériques et la bisexualité ". Il y montre comment les
fantasmes diurnes, les rêveries, qui, dans l'hystérie peuvent prendre
une place si importante, viennent prendre appui sur les fantasmes
inconscients déjà mentionnés, et comment ils peuvent s'articuler sur la
bisexualité qui est un élément important dans l'hystérie, pour les
hommes comme pour les femmes. Et ceci pour deux points :
- Le premier concerne la bisexualité. Concernant les hystériques
femmes, et l'Oedipe féminin, à partir de son oubli de Mme K, Freud, au
fur et à mesure de son œuvre, amplifiera l'importance de la relation de
la fille à sa mère, jusqu'à énoncer dans son article sur " la féminité
", 1929, que la relation oedipienne de la fille à son père n'est qu'une
transformation de sa relation à sa mère, et non une relation originale.
- Le second, concerne une dernière approche différentielle entre
névrose et psychose à propos de la dimension fantasmatique, entre la
mythomanie et le délire. La première peut prendre une dimension
extraordinaire chez l'enfant, chez l'adolescent, voire chez l'adulte
(cf. le scandale d'Outreau). A l'entourage parental ou éducatif qui
peut y entendre l'existence d'un délire, on pourra répondre par la
négative de ce que le mythomane, me semble-t-il, au travers ses récits
extraordinaires, demande une reconnaissance de lui-même. Le délirant,
lui, dans son adresse, nous prend à témoin de la véracité de son dire,
de sa certitude.
Mais la différence de structure n'est pas toujours facile à établir. Un
jeune garçon me racontait en séances qu'il faisait chez lui, avec des "
Lego ", des constructions de plus en plus extraordinaires qui
finissaient dans son récit par dépasser la taille des immeubles
environnants. Rien dans ce récit ne pouvait évoquer la psychose. Or,
lorsqu'au bout de nombreuses séances, je me permis d'avancer juste un "
ce serait bien. " en conclusion d'un de ses récits, j'eus la surprise,
de l'effet de ce simple conditionnel, de le voir se décomposer
psychologiquement : en perdant ses mots et la construction syntaxique
de ses phrases… Il lui faudra plusieurs séances pour s'en rétablir. Ses
parents déménageant sur Paris quelques temps après, j'adressais ce
jeune patient à Jean Bergès avec qui nous correspondîmes à son sujet.
Nous fumes d'accord sur l'incertitude à laquelle nous parvenions quant
à sa structure : névrose ou psychose ?
Troisième Partie : Lacan
Il reprend longuement le cas Dora dans son séminaire " La relation
d'objet " et en particulier là où Freud l'avait laissé, à savoir à
propos de son investissement de Mme K. Il va développer que moins d'un
désir homosexuel, ce dont il s'agit pour Dora, c'est de chercher la
réponse à la question : " Qu'est-ce qu'une femme ? ". Ceci à partir
d'un mode d'identification décrit par Freud lui-même et qu'il nomme
l'identification hystérique. Il s'agit d'une identification non pas à
l'autre, mais à partir de l'objet du désir de l'autre. Freud, dans son
article " L'identification " qui fait partie de son ouvrage "
Psychologie collective et analyse du moi ", décrit une contagion
hystérique chez des collégiennes dont l'une a reçu une lettre de
rupture de son amoureux et dont les camarades reproduisent les spasmes
et les crises de nerfs par identification, ayant elles-mêmes une
histoire d'amour ou espérant en avoir une. Pour Dora, c'est donc d'une
identification à Mme K qu'il s'agit, à partir des objets de désir de
celle-ci, que sont le père de Dora et Mr K. Lacan va en tirer sa
formule : "le désir de l'homme, c'est le désir de l'autre " qu'il
développera largement dans son enseignement.
Cliniquement, on peut en retrouver la trace, assez fréquemment, sous
les traits de la grande amie. L'interrogation homosexuelle
correspondante peut se faire jour pour ces patientes quand elles
constatent le temps, l'intimité, le plaisir éprouvé dans la présence de
cette amie, en comparaison de ce qui se passe avec leur époux ou leur
petit ami. C'est aussi ce qui préside à une certaine forme de jalousie
qui peut être systématique et atteindre des niveaux morbides, à propos
de toute femme aperçue, croisée, soupçonnée de pouvoir être objet de
désir du partenaire. Mais ce n'est pas un délire de jalousie. Il n'y a
pas une rivale unique, dont on peut entendre que l'intérêt supposé
porté par le partenaire est celui, en fait, déplacé, de la personne
elle-même. On y entend plutôt la question sous-jacente de
l'identification : " Qu'est-ce qu'une femme ? ". Qu'est-ce qu'une
femme, à la fois pour le partenaire, mais aussi pour ces femmes, si
elles avaient ce partenaire pour objet de désir.
Lacan poursuit sa théorisation de l'hystérie par la reprise du rêve dit
de " La belle bouchère " cité par Freud dans sa " Science des rêves ".
Il s'agit d'une patiente de Freud rêvant qu'elle ne peut pas donner un
dîner que pourtant elle désire donner. Lacan avance que ce désir d'un
désir insatisfait est typiquement hystérique. On peut y entendre
l'angoisse et la fuite face à ce que le désir actuel peut éveiller du
désir incestueux. Ici, on notera combien il peut paraître étonnant et
pourtant efficace que des rêves incestueux, durant la cure, puissent
faire progrès de constituer une réalité psychique qui n'avait pas pu se
fonder lors de l'Œdipe pour diverses raisons et dont le manque avait
contribué à la structuration hystérique.
Parmi ces raisons, Lacan poursuivant son élaboration du désir
hystérique comme désir de l'autre, articule que l'hystérique viendrait
soutenir le père, le désir du père, et pour cela à être le phallus dont
celui-ci serait défaillant. On se rappelle ici du père impuissant de
Dora. Cliniquement, on pourra noter l'importance des pères défaillants,
y compris défaillants par rapport au père idéal.
Lacan poursuit par la théorisation de ses quatre discours. " Le
discours du maître, le discours universitaire, le discours de
l'hystérique et le discours psychanalytique ". Ce sont quatre modes de
liens sociaux.
Nous donnons les formules lacaniennes des deux discours qui, ici, nous
intéressent, ainsi que la signification des places des 4 éléments mis
en jeu.
- Suivons le discours de l'hystérique :
Soit un sujet divisé, noté S barré, nous en suivons le fils depuis
longtemps, divisé par sa souffrance son mal-être, ses symptômes... Ce
sujet divisé s'adresse, met en place, un maître, un pilote, noté S1,
qui puisse répondre de sa division. Cela peut être le médecin, le
savant, le prêtre, l'exorciste, le guérisseur, la grande amie, le ou la
partenaire, etc... Afin que ce maître, ce pilote, puisse lui répondre,
puisse lui retourner un ensemble d'éléments, de savoirs, d'actions, cet
ensemble est ici noté S2, qui vienne résoudre, réparer cette division.
Cela laisse dans l'ombre, refoulé, ce qui,dans l'algorithme lacanien,
est mis en place de vérité, l'objet du désir, refoulé, noté a, de ce
sujet divisé.
Mais en même temps, ce sujet divisé, dans la mesure où c'est lui qui
fait sa demande, c'est lui qui a la parole et qui demande des réponses,
il prend la place de l'agent, de celui qui est à l'origine de l'action,
c'est-à-dire la place de maîtrise. D'où la formule de Lacan : "
L'hystérique est une esclave qui cherche un maître sur qui régner ".
Suivons maintenant le discours du maître :
A ce que j'ai avancé le concernant lors de cette conférence, je donne
ici une amplification de ce qu'une part de la discussion qui suivit cet
exposé se centra autour de la relation de l'hystérique et du médecin,
en tant que celui-ci y a incontestablement un discours de maître.
Maître auquel s'adresse l'hystérique comme nous le disions. Malgré
toutes les erreurs concernant les symptômes hystériques qui peuvent
être imputées aux médecins, un représentant du corps médical nous
montrait que tout médecin ne peut qu'être dans ce discours de maîtrise,
constitutivement. Qu'en serait-il d'un chirurgien, objectait-il, qui
n'aurait pas maîtrise de l'emplacement des organes ? Nous lui donnons
tout à fait raison.
Reprenons les algorithmes des discours lacaniens. Nous venons d'évoquer
le discours de l'hystérique où un sujet divisé demande à un maître de
répondre de sa division. Ce maître, quel qu'il soit, non seulement le
médecin mais aussi bien tous les autres possibles, ne peut répondre
qu'à adopter ce que Lacan note être le discours du maître. Le maître,
S1, est dans ce cas en position d'agent, c'est lui qui répond. Pour ce
faire, il utilise, S2, le savoir. C'est-à-dire ? Le "discours du maître
" de Lacan est issu de la dialectique du maître et de l'esclave de
l'Hegel, laquelle, elle-même, s'inspire des relations des maîtres et
des esclaves antiques. Dans ces relations, le maître demande à
l'esclave de travailler pour lui afin de satisfaire ses besoins et ses
désirs. Cela suppose que l'esclave ait un minimum de savoir lui
permettant de travailler à cette satisfaction. S2 est donc le savoir,
l'esclave, en tant qu'ils peuvent travailler à la production de l'objet
du désir, a, du maître, S1. Pour le médecin moderne, l'esclave, celui
qui lui apporte ses connaissances et ses outils, c'est
incontestablement la science. Celle-ci lui permet de réaliser l'objet
de son désir qu'on peut définir, de la façon la plus neutre et la plus
générale, comme étant la guérison de ses patients.
On note, ici, que ce qui est situé dans le discours du maître en place
de vérité et refoulé, c'est le sujet divisé, la division subjective.
Dans le cadre médical, c'est aussi bien la division subjective du
patient que celle du médecin. Dans l'établissement d'un diagnostic, il
est recommandé de s'en tenir aux faits cliniques, plus qu'aux dires et
impressions du patient, de même que le médecin doit lui-même s'en tenir
à ces mêmes faits, sans écouter ses mouvements affectifs, ses
considérations morales, ou son humeur...
Remarquons que la division subjective concerne ici, même si elle est
refoulée dans son cas, aussi bien le maître que l'hystérique. Freud et
Lacan ont pu montrer, après qu'elle ait été d'abord repérée dans
l'hystérie, que cette division subjective concernait absolument tout le
monde. Tout le monde a un inconscient. Il s'agit de degrés et non de
structure. Mais avec cette particularité qu'indique la formulation
lacanienne du discours hystérique qui est, que, dans l'hystérie, cette
division subjective est en place d'agent, autrement dit que c'est elle
qui s'exprime. C'est ce qui explique qu'elle y ait été repérée en
premier.
Alors que peut-on déduire de l'articulation du discours de l'hystérie à
celui du maître ? À la demande de l'hystérique que ce maître réponde de
sa division, celui-ci, le médecin, répond par la production de l'objet
de son propre désir, comme nous venons de le voir. Quels effets en
résultent ? On sait qu'en psychanalyse, l'objet a quelques
caractéristiques particulières, d'être le substitut d'un objet premier
mais perdu, il en obéit à des particularités de transformation,
substitution, etc... Mais ce qui nous importe ici, c'est qu'au temps de
son émergence, au moins, il apparaisse unifié, voire unique. Alors,
même, si le maître, le médecin, ne répond pas à la demande de
résorption véritable de la division subjective, par la production de
l'objet de son désir se présentant comme unifié, il offre un support à
une résorption au moins partielle et temporaire de cette même division.
C'est à mon sens cela qui explique les rémissions temporaires des
souffrances et, ou, des symptômes hystériques se produisant à la suite
de consultations médicales, de traitements chimiothérapiques ou
d'interventions chirurgicales. C'est la même explication qui prévaut en
ce qui concerne les mêmes rémissions temporaires dues aux diverses
manipulations de guérisseurs, rites de sorciers, grigris vendus par des
mages, prédictions de voyantes, etc...
Mais ces rémissions ne peuvent être que temporaires. On pourrait dire
structurellement. Lacan nous indique, depuis sa reprise du cas Dora,
que le désir de l'hystérique, c'est le désir de l'autre. Or que
voyons-nous dans cette articulation des discours de l'hystérique et du
maître ? Que dans le temps même de la production de cet objet du désir
du maître, afin que justement cet objet puisse avoir son efficace dans
une résorption partielle de la division subjective, il est nécessaire
que le désir de l'hystérique vienne à coïncider, à s'articuler, avec
celui du maître, du médecin. Autrement dit, dans le temps même des
conditions de l'éventuelle rémission temporaire, se réaffirme, se
redouble selon la formule de Lacan, que " le désir de l'hystérique,
c'est le désir de l'autre ", soit le redoublement d'une des
caractéristiques de sa division subjective. D'où la fragilité de ces
rémissions...
À une personne remarquant que les médecins étaient, peut-être, de moins
en moins des maîtres au vu du nombre des décharges diverses qu'ils
peuvent demander de signer à leurs patients, ou au vu du choix de
traitement que certains demandent à leurs patients de déterminer comme
s'ils ne voulaient plus eux-mêmes prendre la décision thérapeutique ;
on peut répondre que, moins que d'une perte de maîtrise, il s'agirait
peut-être là de la parade du maître contre ce qu'a de boiteux
l'articulation précédente. À savoir de toujours laisser possible la
ré-émergence de la division subjective avec ses dimensions de demandes
et de souffrances, et de revendications consécutives...
Concernant plus particulièrement le " Discours de l'hystérie " on lira
avec intérêt l'ouvrage de Charles Melman : " Nouvelles études sur
l'hystérie " où il analyse de nombreux symptômes de cette affection
sous l'angle de ce discours..
Enfin, abordons la question du non-rapport sexuel tel que Lacan a pu le
formuler. Il l'indique, à plusieurs reprises, comme lié au problème de
l'hystérie et cela jusqu'à la fin de son enseignement. Ainsi dans un de
ses derniers séminaires " L'insu que sait de l'une-bévue s'aile à
mourre ", dans leçon du 18 avril 1977, il dit : " Freud a eu le mérite
de s'apercevoir que la névrose était hystérique dans son fond,
c'est-à-dire liée au fait qu'il n'y a pas de rapport sexuel ".
Alors le non rapport sexuel, qu'est-ce que c'est? Pourquoi Lacan
élabore-t-il un tel concept ? Quel est son rapport avec l'hystérie ?
Je l'illustre habituellement de la façon suivante : l'espèce humaine
est une très étrange espèce animale. Chez les autres espèces animales,
il y a des signes, que ce soient des odeurs, des cris, des parades, des
périodes, etc., etc... Ces signes règlent très précisément, les
rapports du mâle et de la femelle dans ce qu'il en est de leur
rencontre, de leur rapport sexuel, dans des fins de reproduction. Ceci
est valable même chez les animaux présentant des couples de longue
durée. Par exemple, dans le joli film " La marche de l'empereur " qui
décrit la vie d'un couple de manchots, couple de longue durée, on peut
percevoir, que tout de leur rapport sexuel à leur comportement
d'élevage est réglé par la fonction de reproduction. Or chez l'être
humain, dans l'espèce animale humaine, il n'y a rien de tout cela,
aucun signe, aucun ajustement pré-établi. Il n'y a rien d'automatique,
aucune engrammation instinctuelle véritable. Au contraire tout semble
incertain, ambigu, d'être pris dans cette dimension qui lui est
spécifique, à savoir la dimension symbolique.
Alors qu'est-ce qui vient pallier à cela ? Cette absence de rapport
sexuel ? Qui a sans doute à voir avec l'énorme prématurité du petit
humain. L'imagerie médicale estime les ultimes connexions neuronales
comme se faisant entre 20 et 25 ans. Mais surtout dû à la prise dans le
langage du petit d'homme, c'est la leçon de Lacan.
Alors qu'est-ce qui vient pallier ce non-rapport sexuel ? Il s'agit
d'un étrange montage qui consiste en l'étayage du sexuel sur l'amour.
Cela se produit chez le jeune enfant. Il n'est pas encore développé
sexuellement. Il découvre la différence des sexes. Cela, c'est du fait
du langage. On peut penser que sans celui-ci, peut-être, percevrait-il
des différences entre les femmes et les hommes, mais celles-ci
n'auraient alors probablement aucune signification pour lui, de n'être
pas encore lui-même, dans son organisme, développé sexuellement. Mais
le fait d'être pris dans le langage, dans les diverses catégories
symboliques, va lui faire allier ces différences aux catégories du
masculin et du féminin. Et très logiquement l'existence de ces
catégories, associée au constat de son anatomie, l'oblige à devoir se
situer, lui-même, du côté masculin ou féminin. Non moins logiquement
que l'existence de ces catégories le pousse à s'interroger sur les
relations qu'il y a entre elles, et entre les personnes qui, du coup,
pour lui, les incarnent. Cela l'amène à y articuler, à ces catégories,
les prémices de son désir sexuel. Mais si cela peut se produire,
identification et désir, c'est à partir de ceux qui sont là, qui
servent de support à ces découvertes catégorielles, à leur
articulation. Ces personnes déjà citées qui sont celles-là mêmes avec
qui il a connu ses premiers émois de tendresse, à savoir ses premiers
objets d'amour. Lesquels sont la plupart du temps ses parents ou leurs
représentants. On a reconnu là, formulé autrement, le complexe d'Œdipe
avec tous ses aléas.
Cet étayage du sexuel sur l'amour, ce montage nécessaire, c'est ce dont
témoigne même la plus brève rencontre, la relation sexuelle la plus
éphémère ou la plus monnayée. Il y a toujours au moins un mot, un
regard, un geste, un minimum de civilité, que Freud dit issue de la
tendresse, un minimum qui fasse " parlotte ", selon l'expression de
Lacan, c'est-à-dire qui s'articule du symbolique. Sans cela, ça
s'appelle un viol !
Ici, nous aurions donc fini notre boucle, notre trajet. Ce serait de
cette sexualité humaine, bizarre, boiteuse, de ce montage fragile et
complexe en quoi elle consiste, dont témoignerait l'hystérie depuis
l'Antiquité.
Pour conclure
J'évoquerai les questions actuelles par lesquelles elle continue d'en
témoigner.
- Un premier point me semble le suivant : si du temps de Freud, de ce
montage précédemment évoqué, c'était la partie sexuelle qui semblait
refoulée, morale victorienne de l'époque, aujourd'hui, libération des
moeurs oblige, cela semble pouvoir être la partie amour qui soit
refoulée. De jeunes patientes en témoignent : si leur conduite sexuelle
apparaît assez libre, leurs amours apparaissent par contre assez
difficiles, voire tournants assez court. Cela vaut bien entendu aussi
pour les patients masculins. C'est peut-être cela aussi qu'évoque le
titre assez étrange d'un séminaire de Lacan déjà cité : " L'insu que
sait de l'une-bévue s'aile à mourre". L'une-bévue étant un jeu de mots
à partir du terme allemand " Unbewußte " désignant l'inconscient.
- Un deuxième point, c'est l'apparition de nouveaux syndromes. Ainsi
les fibromyalgies, le syndrome de fatigue chronique, la multiplication
importante des cas d'anorexie ou de boulimie, dans leur proximité de
structure avec l'hystérie... De l'autre côté de l'Atlantique, on a pu
assister à des épidémies de personnalités multiples ou dissociées...
- Un troisième point correspond au démembrement du discours médical
général, en parallèle à celui de l'hystérie, au profit d'un discours
médical spécialisé, voire hyper-spécialisé. De ce fait, on peut
retrouver les symptômes hystériques dispersés aux quatre coins de la
médecine : en neurologie, en rhumatologie, en gynécologie, en
gastro-entérologie, en ostéopathie, en cardiologie, etc... Le recours
indiqué précédemment à l'esclave de la science semble aujourd'hui
massif, rendant difficile une approche globale et synthétique de la
souffrance des individus. Quel médecin généraliste, lui qui est, par
définition, le mieux placé pour une telle approche globale, devant une
hésitation diagnostique, n'aura pas recours, aujourd'hui, dans sa
crainte légitime d'une erreur possible, à des examens spécialisés, et à
une délégation, de ce fait, à des confrères spécialistes ? Il existe,
pourtant, que ce soit dans le serment d'Hippocrate ou dans celui que
les médecins prêtent actuellement, des considérations morales qui
montrent bien que sont en jeu, dans l'art médical, d'autres dimensions
que le seul savoir scientifique. Et c'est probablement en raison de ce
démembrement du discours médical général que nous avons, contrairement
à ce qui se passait du temps de Freud, aussi peu de demandes, dans nos
cabinets d'analystes, concernant des symptômes de somatisation. Non
qu'ils n'existent pas. Mais c'est au cours d'associations libres,
quelquefois avec une grande surprise pour nous, que des patients venus
en analyse pour un malaise existentiel global, nous révèlent
l'existence de souffrances somatiques importantes ayant résisté à de
multiples consultations et traitements spécialisés. Souffrances des
intestins, du colon, gynécologiques, migraines invalidantes, etc.. Et
c'est avec la même surprise éventuelle, alors qu'aucune séance ne se
soit véritablement centrée sur ces somatisations, que nous apprenons,
toujours au cours d'associations, qu'elles ont disparu. Comme le disait
Lacan, la guérison est de surcroît. Mais non, bien sûr, sans que ce qui
était vraiment sous-jacent à ces somatisations n'ait été évoqué.
- Un quatrième point concerne la vérification par l'imagerie médicale
de la spécificité des phénomènes de conversion. C'est ce que rapporte
S. Mouchabac, dans son article : " Conversion hystérique et imagerie
fonctionnelle " , in " Neuropsychiatrie, Tendances et débats ", 2007.
Des expériences ont été menées aux Etats-Unis, mais peut-être aussi
dans d'autres pays, afin de pouvoir déterminer par imagerie médicale
quels circuits neuronaux, quelles aires corticales étaient en jeu dans
les phénomènes de conversion. Pour cela étaient constitués quatre
groupes : l'un constitué d'individus normaux, un second constitué
d'individus atteints d'une paralysie d'origine neurologique, un
troisième constitué d'individus présentant une paralyse de somatisation
hystérique, et un quatrième constitué de simulateurs, car le D.S.M
distingue, il lui faut reconnaître ce mérite, les paralysies de
conversion et les paralysies de simulation, c'est-à-dire celles feintes
par des individus voulant faire croire qu'ils sont malades. Or si les
résultats à l'imagerie médicale concernant le premier et second groupe
sont conformes aux attentes : intégrité des zones cérébrales concernées
pour le premier et atteinte de ces mêmes zones pour le second, les
résultats pour les troisième et quatrième groupes sont plus instructifs
: ce ne sont pas les mêmes circuits inhibiteurs qui sont concernés.
Qu'est-ce à dire ? Lorsque nous faisons un mouvement, nous avons des
neurones cérébraux qui envoient une excitation au muscle correspondant
à ce mouvement, et d'autres neurones qui envoient une inhibition au
muscle antagoniste. Quand nous plions le bras, des neurones excitateurs
mobilisent le biceps et d'autres inhibiteurs bloquent le triceps,
muscle antagoniste. Ce que montrent donc ces études, c'est que ce ne
sont pas les mêmes circuits et zones de neurones inhibiteurs qui sont
en jeu dans la simulation et dans les phénomènes de conversion et que
par là s'établissent pour ces phénomènes de conversion à la fois une
spécificité et une authenticité.
- Un dernier point socioculturel, au sens où plusieurs fois a été
évoqué le statut féminin comme arrière plan historique important aux
conditions de manifestation de l'hystérie. Aujourd'hui le statut
féminin et l'image elle-même des femmes ont changé, c'est assez banal
de l'affirmer. Mais quelles en sont les conséquences ? Pour l'hystérie
? Et est-ce à mettre en parallèle avec la prépondérance actuelle du
média télévisuel ? Pourquoi ? Pourquoi pas ? Parce que ce média met en
scène de façon prépondérante la division subjective hystérique. Quelle
que soit l'émission : journaux télévisés, débats, téléréalités, etc...
(hormis les films qui renvoient à d'autres problématiques), tout le
monde est en représentation, tout le monde est dans cette division que
sont le théâtralisme, l'histrionisme, etc… Car toutes ces émissions
mettent en scène l'identification hystérique, l'identification à partir
du désir de l'Autre. Et ce ne sont pas les seules publicités qui sont
ainsi construites, mais elles ont peut-être le mérite de le montrer
clairement à mettre le spectateur en tiers : à acheter la même auto, la
même crème faciale, vous serez aussi beaux que le jeune homme qui
conduit dans le clip, ou la dame qui s'enduit le visage… Toutes ces
émissions mettent en jeu ce désir de l'Autre, en tant que celui-ci est
représenté que ce soit principalement par l'œil de la caméra, mais
aussi par l'audimat, le présentateur, ou le public rangé à
l'arrière-plan. Toutes ces émissions mettent en scène cette division,
cette identification au désir de l'Autre. Alors qu'en est-il vraiment
de l'homme politique derrière le masque souriant et déterminé avec
lequel il prononce son discours ? Qu'en est-il du candidat derrière son
rire en réponse aux blagues du présentateur ? Qu'en est-il de celui-ci
derrière son air affable et compréhensif ? Ou derrière son appel à la
complicité du public, etc., etc…
Y aurait-il ici trace de notre moderne hystérie ?
Je vous remercie de votre attention
J.J.L 2009-2010