Josseline
Touchard
Nous
accueillons aujourd’hui Mr Gérard
Pommier qui est venu nous parler de son livre sur la nomination ou plus
exactement sur le nom propre, fonctions logiques et inconscientes.
Gérard
Pommier est psychanalyste à Paris, psychiatre, professeur émérite des
universités,
membre d’espace analytique et auteur de nombreux ouvrages.Les
discutants seront
Jean-Jacques Lepitre, psychanalyste membre de l’ALI, qui exerce à
Limoges et
Marie-Christine Forest, psychanalyste membre de l’ALI et qui exerce à
La
Rochelle.
Gérard
Pommier
J’ai
écrit ce livre parce que le nom
propre est le grand absent des élaborations de Freud. On repère bien
les
passages où il lui manque une théorie du Nom Propre. C’est qu’à son
époque, il
n’existait pas de recherche sur le nom propre comme il en existe
aujourd’hui.
Le bagage théorique en linguistique à l’époque de Freud était
relativement
faible. Les distinctions entre noms propres et noms communs, qui sont
maintenant assez raffinées, assez élaborées, n’existaient pas. Dans
l’œuvre de
Freud, il y a des points qui restent en blanc où l’on voit bien qu’il
manque
une théorie du nom propre.
Dans
la métapsychologie sur la théorie
des pulsions, par exemple, pour qu’il y ait refoulement des pulsions,
il faut
un sujet qui refoule. Si ce sujet n’a pas de nom auquel se raccrocher,
quand il
refoule une pulsion, il se refoule avec
elle, autrement dit il se jette dehors
avec elle, comme on dit qu’on jette le bébé avec l’eau du bain. Cela
peut
paraître bizarre de dire ça, mais ça n‘est pas bizarre du tout, c’est
ce qu’on
appelle l’hallucination. D’une façon ou d’une autre, quand le sujet se
voit
lui-même agir de l’extérieur, du dehors, comme s’il était extérieur à
lui-même
c’est qu’il n’a pas eu ce recours du nom auquel se raccrocher comme le
point
d’impact, le point d’accroche à partir duquel opére le refoulement.
Donc une théorie du nom propre manque à la théorie de Freud.
On
réalise bien l’apport fondamental de
Lacan, avec la question de la forclusion du nom du père qui de son aveu
même a
comme background, comme arrière fond, les découvertes de Levis Strauss
sur le signifiant zéro,
totem qui permet l’ensemble des échanges
symboliques. A partir de cet apport, on perçoit l’immensité des
territoires qui
sont à découvrir en élaborant davantage les théories proprement
psychanalytiques concernant le nom propre.
Et ce d’autant plus, comme je l’ai
dit,
que depuis Freud il y a eu une évolution théorique importante avec la
linguistique et certaines
formalisations destinées à éradiquer la valeur même du nom propre comme
par
exemple les théories de Russel qui cherche à réduire le nom propre à
l’ensemble
de ses qualificatifs (au lieu de dire Socrate, on dit l’homme qui
vivait en
Grèce en telle année, etc.). A la suite du structuralisme, c’est tout
un
mouvement qui tend à désacraliser ce qui est de l’ordre du nom propre
pour le
mettre au service d’une structure prédéterminée qui gomme sa
valeur de nom
propre.
Chez
Lacan lui-même il y a eu un certain
degré, non pas d’indécision, mais un double aspect qu’il faut
absolument
relever. Le structuralisme a quelque chose de mécanique qui oblitère
complètement la dimension du sujet. Si tout est déterminé, comme c’est
le cas
par exemple dans le structuralisme de Levi Strauss ou d’autres formes
de
structuralisme, le sujet n’a plus aucune espèce d’autonomie. Il y a non
pas
cette ambiguïté chez Lacan mais cette dualité qui fait que le propre du
sujet
barré, c’est d’être d’un côté entièrement déterminé - à travers des
formules
comme celle qui m’a été rappelée tout à l’heure « le signifiant
représente
le sujet auprès d’un autre signifiant » - car s’il n’y a que ça,
il n’y a
plus de sujet, le sujet est entièrement déterminé entre deux
signifiants - et
de l’autre côté, d’être un sujet divisé. Le
structuralisme propre à la psychanalyse, laisse
au sujet sa liberté
et son autonomie et c’est heureux, parce que si tout était déterminé,
la
psychanalyse au fond ne servirait à rien, tout serait écrit à l’avance
par des
signifiants préexistants. Cette question de la division du sujet est
donc tout
à fait essentielle pour comprendre le structuralisme psychanalytique.
Et
il y a une nécessité de réfléchir à
cette question du nom propre à partir duquel s’affirme l’autonomie
subjective,
une autonomie subjective obligatoire, une position de liberté
conditionnée à un
choix éthique, j’y reviendrai plus tard. C’est donc dans l’idée
d’approfondir
et ce qui manquait à la théorie de Freud et ce qui était tellement
nouveau dans
l’œuvre de Lacan, que j’ai amorcé mon
travail
en commençant par réfléchir à une histoire du nom propre, une histoire
qu’il
est important d’avoir en tête parce qu’il en va de cette question comme
de tout
ce qui concerne l’histoire humaine, il y a toujours la possibilité
de
faire un parallèle entre phylogénèse et ontogénèse. Les problèmes qui
se
retrouvent dans l’histoire de l’humanité se retrouvent semblablement
dans
l’histoire de chaque sujet et se
répètent. Un animisme premier, un totémisme, une forme de polythéisme
enfantin
avec des esprits partout : l’âme de la chaise, l’âme de la
chambre, la
peur du noir, le loup sous la chaise, correspondent à un certain état
religieux
de l’humanité. De même que le passage par des phobies enfantines se
retrouve
tout à fait dans le rapport de l’homme totémique
à son totem et se résout dans l’enfance
œdipienne par la prise
du nom propre qui permet de les symboliser dans un sens actif,
agressif,
guerrier, car tel est le symbolique qui n’est pas du tout une espèce de
construction en carton-pâte qu’il faudrait absolument respecter.
Toute
époque a ses modes de
symbolisation et la nôtre, comme les autres, en invente de nouvelles
formes
à force de combats et de larmes. Le
symbolique, il faut le créer sans cesse.
Le
symbolique opère en particulier par
la prise du nom dont on trouve différentes formes dans l’histoire en
fonction
du rapport de chaque époque au religieux. Le religieux qui est une
forme
secondaire, en carton pâte en quelque sorte, de fixer le symbolique, de
manière
plus ou moins rigide, en l’occurrence de manière extrêmement rigide
dans les sociétés
totémiques. Un homme qui épousait une femme d’un autre clan, d’un autre
totem,
était passible de mort immédiatement. Notre symbolique n’a heureusement
plus
rien à voir avec le symbolique des sociétés totémiques.
Comment
y fonctionne la nomination ? Et
bien, chaque homme y prend le nom de son totem. Or qu’est ce que le
totem en
question ? C’est une façon de symboliser, c’est à dire de
métaphoriser le
parricide. Qui est occasionné par quoi ? Par un rapport tout à
fait étroit
avec ce qu’on peut appeler en raccourci le désir du père et ce que ce
désir du
père comporte d’incestueux. Si le père est totémisé c’est parce qu’il
représente un danger incestueux. Pour le dire autrement :un danger
incestueux est causé par le désir du père.
Vous
remarquerez l’ambigüité du
génitif : le désir du père. Le désir du père ce n’est pas
simplement le
désir du père pour ses enfants, ce qui n’arrive que très
occasionnellement.
Ordinairement, c’est refoulé par la
plupart des pères. Mais prioritairement nous avons le désir universel
des enfants pour leur
père. Ce qui est tout à fait différent. Avec les faits divers on a
l’impression
que le désir incestueux va du père ou des parents aux enfants. Alors
que
prioritairement il va des enfants aux parents, au père en particulier
en tant
qu’il est introducteur du désir comme désir sexuel. Le désir de la mère
n’est
pas à proprement parler sexuel. Le désir entre une mère et son enfant
est
différent: il y a une phobie spontanée de l’inceste avec la mère qui
n’est pas
érotique au sens de la différence des sexes. Le désir incestueux ne
vient
qu’avec l’imposition de ce désir du père. Or c’est un désir qui est
mortel.
Le
désir de faire l’amour avec son
propre père comme c’était le fantasme par exemple de l’homme
aux loups ou de l’homme
aux rats, fantasme féminisé qui introduit au complexe
d’œdipe auto-normé, cela s’appelle selon une formule classique
l’œdipe
inversé, c’est ça le désir du père. Et il est mortel parce qu’il fait
mourir
avant le début de sa propre vie : désirer faire l’amour avec son
père,
c’est se situer soi-même d’avant sa
propre naissance. Donc le vertige, le traumatisme de l’inceste c’est
ça. C’est
le vertige d’être à la place de sa mère, par exemple, et de mourir d’avant
sa propre naissance.
Il
y a donc un danger extrême avec ce
désir du père qui commande le vœu parricide et la totémisation
du père. Et l’ambivalence à l’égard du père. Le
père dont je parle là, c’est le vrai père, le
père du désir, le père
du totem. Ceux qu’on dit primitifs portent le nom de leur totem et pas
du tout
de leur géniteur, le géniteur ça peut être un brave homme plus ou moins
reconnu, on peut l’appeler « papa » mais le vrai père, c’est
le père
du totem.
Est-ce
que ça varie dans les religions
qui suivent ? Pas tant que ça. Dans le christianisme, le vrai
père, c’est
le père qui est aux cieux qui est un père bien mort, deux fois plus
mort que le
père totémique. C’est un père bien mort et Marie a fait l’amour avec ce
père-là. Le christianisme n’est pas si loin que ça des sociétés
totémiques. Un
festin totémique se produit à la messe tous les dimanches, on dévore le
père
avec l’hostie, un petit peu de vin, le sang du Christ. Ainsi quand on
parle ce
qu’il y a de mystérieux dans le festin totémique inventé par Freud, le
mythe de
la horde primitive, on parle d’un élément de notre culture, d’une
réalité de la
vie de chaque enfant qui invente dans ses cauchemars un père tout à
fait
analogue.
Le
désir du père est à la racine du vœu
parricide à partir duquel le père est spiritualisé et n’est plus qu’un
nom du
père que ce soit le père de la tribu, le père du clan ou le père de
notre nom
patronymique. C’est le désir incestueux du père qui est à la fois
fondateur de
la structure, fondateur du vœu parricide et de l’interdit de l’inceste
parce
que l’interdit de l’inceste, loi universelle, n’est pas une loi
immanente. Elle
ne tombe pas du ciel ou bien, si, elle en tombe, à condition que le
père y soit
toujours, sous une forme éternisée.
Il
y a donc ce mouvement qui concerne
essentiellement le père et qui a fondé ce qui existe, ce qui a existé
et qui
est en voie de profonde transformation dans l’actuel de nos sociétés et
qui
s’appelle le patriarcat. La définition du patriarcat, c’est en
quelque
sorte : tous les hommes sont des fils. La paternité, les hommes
n’y
accèdent que dans la mesure où comme fils, ils veulent cesser d’être
sous le
coup du désir du père, en étant père à leur tour. Ce sont toujours des
fils,
plus ou moins gentils garçons, mais ce sont des fils. Ils deviennent
pères, au
nom du père qu’ils spiritualisent, c’est à dire au nom d’un symbole
religieux,
le nom en effet de leur totem, le nom de leur lignée, le nom du père
tel qu’il
s’est présenté sous la forme de ce que je viens de définir comme le
patriarcat.
S’il
nous faut souligner que notre époque est celle de la baisse d’influence
du patriarcat, cela ne veut pas dire que la
fonction paternelle disparait, ni que les papas soient plus indignes
que ceux
d’avant, mais actuellement, ils sont sommés de reconnaître qu’ils ne
sont que
des fils et qu’ils ne sont pas à même de faire la loi au nom du père,
car ce
n’est jamais le père qui fait la loi. C’est le père mort qui fait la
loi, c’est
tout à fait différent. La loi, c’est la loi intériorisée de la
culpabilité
d’avoir à penser le parricide. C’est une loi interne, éthique et
solitaire. C’est l’intériorisation de la
culpabilité par les fils qui fait loi, leur permettant de se prendre
pour des
pères, au nom du père mort, tel qu’il était symbolisé par les religions
en
d’autres temps, avant que le discours de la science ne montre que rien
ne tient
du pouvoir qui fut prêté à Dieu. La causalité n’est plus divine mais
scientifique. A partir de ce moment là, le patriarcat amorce sa
descente.
Encore une fois, cela ne veut pas dire que les papas soient plus
indignes, mais
là je viens de démontrer ce qu’il en est d’une lignée patriarcale et
sur quoi
elle s’appuie par rapport à la question de la nomination du nom propre,
nom du
totem, nom pris au totem.
Il
existe aussi des sociétés matriarcales, il en existe un grand nombre au
Mozambique, en Amazonie. C’est sur les sociétés matriarcales d’Amazonie
que
Lévi-Strauss a fait ses études et qu’il en a tiré l’idée du signifiant
zéro, si importante. Il en
existe aussi en Chine, dans la société des Na et des Mosso. Dans ces
sociétés,
à l’époque, le mot père semblait ne pas
exister dans la langue. Les géniteurs
étaient exclus de la maison, la maison étant tenue par les femmes, par
les
mères plutôt que par les femmes. Les femmes étaient en réalité des
filles qui
avaient leur liberté dans la maison. Elles faisaient venir leurs amants
dans la
maison mais le géniteur était complètement inconnu et on ne prononçait
pas non
plus quoique ce soit qui ressemblât au mot père. Donc en apparence,
c’est le
matriarcat parfait. Le fait que le mot père semblait ne pas exister
dans la
société des Mosso pouvait remettre en cause toute ma carrière !
Alors j’ai
pris l’avion pour aller voir, car c’était angoissant tout de
même ! En
réalité, le signifiant père existe, les pères sont tout à fait reconnus
mais
ils sont tabous. Prononcer le mot père, c’est comme de dire
merde : on ne
dit pas merde en public, sauf que dans ce cas, c’est encore plus
strict. Au Canada, si vous dites Nom de Dieu en
public, c’est puni d’une amende ! Enfin, plus
maintenant. Mais dans
l’ancien régime, les mots tabous, il ne fallait pas les prononcer. Dans
le cas
des Mosso, les anthropologues ont pris un tabou pour une inexistence.
Ce que
l’on peut dire de ces sociétés matriarcales, c’est qu’elles ont poussé
d’un
cran plus loin que les nôtres, la spiritualisation du père. Nous, nous
avons
commencé par totémiser le père et comme c’était insuffisant, nous avons
spiritualisé les totems et c’est la naissance du monothéisme,
repoussant plus
loin, au ciel, un Dieu sans nom et sans forme.
C’est
l’angoisse de l’interdit de l’inceste qui conduit à spiritualiser
toujours plus
la figure du père, c’est à dire, à le faire chuter davantage. Notre
société
n’est pas à un moment particulier de la chute du père. Le père, on a
l’habitude
de le voir se casser la figure, à toutes les générations. Les romains
s’en
plaignaient déjà. Horace disait : « Les fils sont pires que
les pères
qui étaient eux mêmes pires que les grands pères… » Notre société
n’est
pas différentes des autres à cet égard. La spiritualisation du père
doit être
constante à cause de l’angoisse de l’inceste, comme loi absolument
universelle
et loi dont on voit bien qu’elle est une loi du langage, puisqu’elle
est
tributaire de la question de la nomination du totem. Or la nomination
du totem
a totalement changé de régime avec la naissance du monothéisme qui
consiste à
abattre des idoles et des totems qui avaient encore un nom, qui avaient
forme
humaine, vivaient dans la cité et participaient de la vie collective.
Avec le
monothéisme, changement de régime, Dieu n’a plus de
nom. On a l’impression que Dieu est le nom
de Dieu, mais Dieu est le nom d’un sans nom. Dieu n’a que des
qualificatifs, Yahwé, El Hohim, El Shadaî. Mais le nom
de
Dieu lui même, on ne peut pas le prononcer. Dieu, c’est le retour du
refoulé du
parricide, pour vous donner une définition métapsychologique. Or avant
le
monothéisme, les noms étaient attribués en fonction de la filiation
patrilinéaire. C’est elle qui commandait au départ l’attribution du nom
en tant
que nom de l’ancêtre, pour payer la
dette des fils à l’égard des pères, qu’ils avaient envoyés au ciel.
Vous
comprenez le cheminement de la culpabilité qui fait que les hommes sont
beaucoup plus angoissés que les femmes à l’idée de donner leur nom à
leurs
enfants. Une femme, peut apporter à l’enfant le lien à son père, mais
son père,
après tout, plus elle prend de la distance avec lui, mieux ca vaut. Il
y a une
angoisse masculine beaucoup plus violente à l’égard de la donation du
nom pour
payer la dette à l’égard de l’ancêtre, le parricide n’est pas orienté
de la
même façon, coté masculin et côté féminin. Les femmes, ce n’est pas
qu’elles
n’aient pas de vœu parricide, bien au contraire et il peut être plus
affirmé
que pour les messieurs, mais il se résout dans leur jouissance exogame,
c’est à
dire dans ce qui s’accomplit en dehors de la famille, en rupture avec
leur
rapport au père, qui est délégué à cet égard à l’homme qu’elles
choisissent,
qu’elles désirent. Donc, je dirais qu’il existe une nécessité psychique
beaucoup plus grande sous le régime patriarcal pour les hommes de
donner leur
nom, le nom de leur totem.
Prenons
l’exemple historique de la société romaine. Vous y avez les tria
nomina, trois noms qui étaient
attribués à chaque
enfant. Le nom de l’ancêtre, de la
lignée de la famille ; le prénom qui était donné par le parent
immédiat ; et le surnom qui était acquis grâce aux faits d’armes,
aux
éléments biographiques de la personne en question ou témoignait d’une
caractéristique importante : César, né par césarienne, Philippe Le
Bel,
beau garçon, etc. Le tria nomina est
un système que l’on retrouve dans tous les systèmes totémiques, ou ce
qui leur
fait suite immédiatement c’est à dire au polythéisme dans notre
culture. Vous
voyez bien le bouleversement qu’amène le monothéisme, qui nait en
abolissant
les idoles et en abolissant le culte des morts. Il faut avoir ça en
tête, ça
c’est le premier commandement : « Tu n’aimeras que
moi », c’est
vraiment les idoles qu’on abat. Le retentissement sur le nom propre,
c’est que
les enfants sont sacrés au nom d’un Dieu qui n’en a pas. A l’église,
les
enfants ne prennent qu’un seul nom, puisque désormais le culte des
morts est
interdit. C’est la première chose qui s’impose puisque c’est la
conséquence de
la fin du polythéisme.
Vous
comprenez bien que c’est commandé par l’interdit de l’inceste. C’est
cela le
moteur psychique profond de l’histoire. De nom, il n’y en a plus qu’un
seul ; pendant plus de 10 siècles, depuis le début du monothéisme
jusqu’en
1200, 1300, les gens ne portaient qu’un prénom en France et en Europe.
Cela
posait des difficultés d’état civil et dans l’usage, un retour des
surnoms va
s’amorcer. Mais ce retour s’amorce aussi pour des raisons psychiques
profondes
puisqu’un culte des morts s’est maintenu en dessous du
monothéisme ; alors
pour respecter ce culte des morts, on continuait à donner aux enfants
le surnom
de leurs parents, pour les honorer, donc pour payer la dette. Et ces
surnoms
ont fini par fonctionner comme de nouveaux noms patronymiques, après le
XIIème, XIIIème siècle et après les Edits de
Villers-Cotterêts avec
François 1er qui a légalisé l’emploi des surnoms comme noms
propres,
rétablissant ainsi les tria nomina.
Mais François 1er lui-même s’est bien gardé de s’appliquer
cette
règle, il a continué à s’appeler François et il ne s’est pas inventé de
surnom
– il s’est numéroté. Rétroactivement, par exemple, au moment de couper
la tête
de Louis XVI, on lui a inventé un nom de famille, Louis Capet,
invention
fantaisiste car on aurait pu maintenir son prénom comme nom. En effet,
notre
prénom est notre véritable nom. On ne peut pas vivre sans notre prénom.
On peut
vivre en changeant de patronyme, mais changer de prénom, ce n’est pas
possible.
C’est le premier nom d’appel, qui assure une subjectivité. C’est le
lieu de
l’appel premier, nécessaire en métapsychologie pour comprendre que
l’acte de
refoulement des pulsions est un acte subjectif, accroché à un certain
espace-temps. Notre prénom est notre véritable nom, notre nom le plus
intime,
le plus proche de nos amours, de nos façons d’être dans la vie. Dans
les pays
de culture religieuse encore un peu marquée, on appelle facilement les
gens par
leur prénom. C’est une erreur de penser qu’il s’agit d’un acte de
familiarité.
Quand je voyageais dans des pays latino américains, je trouvais que les
latino-américains étaient bien familiers et bien pas du tout, ils
appellent
simplement les autres par leur prénom, ce qui pour l’église est le vrai
nom.
On
voit donc le changement important qui s’est accompli depuis la
naissance du
monothéisme. Tout ce mouvement, cette dynamique qui n’est pas achevée,
est
conditionnée par cet élément si problématique du désir du père, que
j’ai essayé
de définir en premier lieu, comme étant le moteur secret de cette
histoire qui
éclaire ce qu’est cette loi universelle et vérifiable qui s’appelle
l’interdit
de l’inceste.
Maintenant, je voudrais aborder les
différences
importantes pour l’usage de la langue, et notamment la différence qui
existe
entre le nom propre et le nom commun, plus exactement les noms communs.
D’abord, il est vrai que les premiers noms propres sont fabriqués avec
des
surnoms, même les prénoms ont été fabriqués avec des surnoms,
simplement nous
avons oublié leur étymologie. Les prénoms qui viennent de la Bible ou
de
l’hébreu, nous avons oublié leur étymologie mais Ewa
pour prendre le premier prénom féminin, ça veut dire
« mère de tous les vivants », ce qui est une incroyable
contradiction
parce que quand elle a été tirée non pas de la côte mais du côté d’Adam
selon
la traduction la plus exacte, elle ne pouvait être mère de personne
naturellement puisque elle est femme avant d’être mère, donc ce nom est
celui
d’un baptême rétroactif. En tout cas, le nom « Ewa »
a une signification, même chose pour Adam d’ailleurs,
qui signifie
« fabriqué à partir de la terre » ou quelque chose comme ça.
Mais
nous avons complètement oublié que nos noms et nos prénoms ont cette
origine
qui signifiait quelque chose, ils ne veulent plus rien dire parce
qu’ils sont
les symboles de la transmission, les symboles du parricide et de la
culpabilité
qui s’en suit, ce sont pas des signifiants, thèse que j’avance, ce sont
des
symboles. Les noms propres ne sont pas des signifiants, preuve en est
que vous
ne trouverez jamais de noms propres dans un dictionnaire, contrairement
aux
noms communs qui se définissent par d’autres noms communs ; si
l’on en
croit Saussure, c’est une acception bien plate de la langue, ils se
définissent
uniquement par un autre signifiant, on peut donc les trouver dans un
dictionnaire où ils sont définis l’un par l’autre. Ils marchent
toujours au
moins par paires mais en réalité à l’infini. Un dictionnaire est bouclé
sur
lui-même. Là, vous voyez bien la différence entre nom propre et nom
commun,
différence facilement vérifiable si vous avez un dictionnaire sous la
main.
Quel
rapport peut-il y avoir entre nom propre et nom commun ? C’est
important
de l’établir. Vous connaissez peut-être cette tentative logicienne de
Russell
et d’autres, comme Frege, d’arriver à quantifier, à tout mettre sous
forme
iconique en quelque sorte, dans un langage frégéen, qui éliminerait
complètement la fonction du nom propre qui est la fonction du sujet.
C’est dire
que le nom propre est le symbole, la métaphore, non pas du père mais de
la
subjectivité qui s’empare du nom du père, ce qui n’est pas exactement
la même
chose parce que si on dit les choses dans ce sens-là, on voit bien que
le sujet
qui prend son nom est coupable et a besoin de s’expliquer en utilisant
des noms
qu’il définit par d’autres noms. Voilà le rapport, l’articulation
obligée entre
prise du nom propre et nécessité de parler. L’enfant qui prend son nom
doit
parler pour s’en expliquer. Je le formule d’une façon un peu raide
parce qu’il
existe plusieurs modalités de cette musique de la parole, mais je le
fais pour
bien dégager que telle est la clé de voûte de la parole, son point de
capiton
pour reprendre un terme utilisé par Lacan. Ce qui capitonne la phrase,
c’est ce
point non visible puisque le nom du père parricide n’est pas prononcé.
C’est un
point non visible dans une phrase qui fait que toutes les phrases sont
scandées.
Dire
que le nom propre est un symbole, permet de comprendre que cet acte
parricide
est nécessaire à l’avènement du symbolique proprement dit. Le
symbolique c’est
une notion très synthétique employée par Lacan qui comporte à la fois
l’acte
parricide et l’emploi des mots dont je viens de parler, des
signifiants. Les
signifiants ne sont pas le symbolique à eux seuls, les signifiants ça
peut être
une musique qui tue celui qui les emploie, ça peut être délirant, ça
peut être
un délire tout à fait meurtrier. Pour comprendre la fonction du
symbolique, il
faut s’intéresser à ce point de capiton non visible. Ce n’est pas un
point
zéro, comme l’avait pensé d’abord Lévi-Strauss. C’est encore une
métaphore de
dire « zéro » même si c’est une métaphore puissante et c’est
bien la
raison pour laquelle l’emploi du zéro a été prohibé en ère monothéiste
jusqu’au
XIème siècle. Le zéro, symbole
du rien, du vide, que recouvre-t-il en réalité ? Il recouvre le
parricide.
Donc, c’est justement la chose à ne pas dire au même titre que le nom
de Dieu.
Impossible de prononcer le nom de Dieu et interdiction d’écrire le zéro
qui
était connu par les mathématiciens arabes qui eux-mêmes l’avaient piqué
aux
Hindous. C’est une suite d’erreurs qui a introduit le zéro dans la
culture
occidentale.
Dire
que le nom propre est une métaphore, c’est une approche douce en
quelque sorte,
diluée dans la linguistique, de l’acte qu’il ne faut pas dire
c’est-à-dire
l’acte parricide ou bien l’acte iconoclaste fondateur du monothéisme ou
bien le
geste cartésien qui ramène Dieu aux proportions d’un principe
raisonnable.Il y
a donc cette progression qui permet de bien voir l’articulation nom
propre/nom
commun, et cette nécessité de parler qui est tellement importante dans
notre
pratique parce qu’elle permet d’abord de bien définir ce que c’est que
le
symbolique, ensuite de ne pas en faire un mésusage, de ne pas croire
qu’il s’agit
des coutumes de notre époque plus que celles d’autres époques. Le
symbolique
n’a rien d’une dimension pacifique. Le symbolique est violent, violent
à
l’égard de ceux qui y habitent et encore plus violent à l’égard de ceux
qui
vivent dans un autre symbolique, avec toutes les conséquences que l’on
sait.
Après
ces précisions importantes au sujet de l’articulation entre noms
propre/noms
communs, je voudrais en venir à ce qui concerne la subjectivité de
toute
personne prise dans une culture, concernant le don et la prise du nom
propre. Evidemment, il y a ces trois
différences dont j’ai parlé tout à l’heure qui sont importantes à
comprendre : le patronyme est donné, c’est obligatoire, le prénom
est
choisi et le surnom est le résultat des actes, des exploits ou de ce
qu’on
s’est choisi soi-même dans la vie.
J’allais
dire que le prénom est donné par la mère. Ce n’est pas vrai
naturellement, les
2 parents choisissent, se disputent éventuellement pour le prénom, se
mettent
d’accord, etc. Mais je dis quand même que le prénom est donné par la
mère parce
qu’il va fonctionner comme pare-excitation de la jouissance maternelle,
c’est-à-dire au risque qu’encourt l’enfant d’être absorbé, d’être avalé
par la
demande maternelle. En cela, on peut dire que le prénom, notre
véritable nom,
ce que nous avons de plus intime est lié à la question de l’amour
maternel. Il
y a peu d’exemples d’enfants qui récusent leurs prénoms, tout du moins
lorsqu’ils sont enfants, évidemment plus tard dans la vie, il arrive
souvent
que des jeunes femmes, plus souvent que des jeunes hommes, se
choisissent un autre prénom parce que le
leur ne leur convient pas ou leur paraît un peu inadapté aux nécessités
soit de
la séduction, soit de l’excès de séduction. Donc, ça arrive qu’il y ait
des
changements de prénoms. Mais en tout cas il y a une nécessité absolue
d’avoir
ce prénom comme nom d’appel, parce que le nom d’appel protège. A partir
du nom
d’appel, il est possible, comme je l’ai dit tout à l’heure, de refouler
les
pulsions tout en étant soi-même, tout en gardant je dirais son
autonomie propre
par rapport au refoulement, et de ne pas se jeter dehors en même temps
que les
pulsions sont rejetées.
La
prise du patronyme dépend des aléas du complexe d’Œdipe, c’est beaucoup
plus
tardif la question du patronyme. Elle dépend du rapport au père. Selon
le
rapport de rivalité au père, le rapport plus ou moins incestueux au
désir du
père, et bien le nom patronymique sera pris ou récusé. Des enfants
récusent
leurs noms patronymiques même assez petits, ils n’en veulent pas, il ne
leur
plaît pas, il leur fait du mal, ils n’aiment pas le prononcer, ils
n’aiment pas
le décliner, ça s’entend même pour beaucoup d’adultes. Il arrive quand
une
personne me téléphone pour me demander un rendez-vous et que je lui
demande son
nom, alors la personne raccroche : est ce une impossibilité de
formuler le
nom propre ou un violent désir de changer de nom propre ?
Pourquoi
est-ce que le nom propre peut être récusé ? Parce qu’il a un sens
trop
incestueux, trop marital en quelque sorte, qui fait que cette
récusation s’impose.
Est-ce
que je suis en train de parler de cas pathologiques ? Pas du tout.
Ca a
été le cas pour la plupart des femmes, immémorialement. Depuis la
Révolution
Française par exemple, les femmes n’ont jamais été obligées par la loi
de
prendre le nom de leurs maris. Dans la loi, elles continuaient de
porter leurs
noms de famille et l’usage voulait qu’on ajoute le nom du mari, mais ce
sont
les femmes qui ont tenu dans l’usage et au bénéfice de leur jouissance
exogamique
à ne plus porter le nom de leurs pères parce que le désir du père leur
cassait
la tête, il était trop marital.
Alors,
à notre époque, ça s’impose déjà beaucoup moins dans la mesure
justement où la
puissance du patriarcat se desserre, dans cette mesure les femmes
peuvent
oublier le nom de leurs pères, ou se l’approprier. Depuis la Révolution
Française, depuis 2 siècles au moins, la coutume était que les femmes
voulaient
porter le nom de leurs maris, comme signe d’exogamie, au bénéfice de
leur
jouissance, en somme.
On
voit bien que le nom propre, il n’est pas suffisant qu’il soit donné,
qu’il
faut encore qu’il soit pris, il s’agit de deux actes tout à fait
différents.
Le
fait de s’être vu donner, de recevoir un nom, implique une dette. Dette
qui va
amener à avoir des enfants, à signer des œuvres, à communiquer quelque
chose de
ce nom, à transmettre quelque chose avec ce nom, comme véhicule de la
dette.
Donner, recevoir, rendre : ceux qui connaissent un peu
l’anthropologie
française, auront reconnu le paradigme de Marcel Mauss. L’article de
Mauss sur
le don est une véritable merveille d’intelligence et montre bien
quelque chose
qui se rapporte directement à ce que je viens de dire à propos du nom
propre et
de son appropriation.
On
voit bien, comment d’une manière immémoriale, d’une manière structurale
- c’est
là tout l’intérêt du structuralisme psychanalytique - comment la
subjectivité
intervient dans ce rapport de réciprocité : donner, recevoir,
rendre. Si
on n’introduit pas la subjectivité dans ce rapport, dans le fait qu’il
n’est
pas suffisant que le nom propre soit donné mais qu’il faut qu’il soit
pris, et
si on ne voit pas ça et bien la question de l’autonomie subjective
devient
extrêmement problématique.
Ce
donner, recevoir, rendre qu’on voit à l’œuvre pas seulement dans le
fait
d’avoir des enfants ou de signer des œuvres comme j’ai dit tout à
l’heure, mais
aussi de manière originelle, ce qui prouve l’autonomie subjective, ce
qui
étonnera peut-être ; beaucoup de psychanalystes et même certains
passages
de Lacan pourraient laisser penser à une détermination absolue du sujet
par
l’histoire, par les signifiants, par les parents, etc, et bien, ce
n’est pas le
cas du tout.
Je
voudrais donner une preuve majeure et universelle de l’autonomie
subjective
pour l’être le plus démuni qui soit : c’est l’invention
universelle par
tous les enfants du nom propre de leurs parents sous la forme de
« papa » et « maman ». Vocables universels, puisque
dans
toutes les langues du monde, les enfants inventent le même symbole qui
n’est
pas, comme je l’ai évoqué tout à l’heure, un signifiant, mais un
symbole forgé
avec de la pulsionnalité sonore, avec de la musique, avec la voyelle la
plus
ouverte le a et la consonne la plus fermée le m ou la plus explosive le
p.
Avec
« papa » et « maman », vous avez les 2 signifiants
de la
langue bébé, de la langue des nourrissons, de la langue de la nursery
qui sont
des mots de la langue universelle, inventés à titre de réciprocité pour
le don
qu’ils reçoivent de leurs propres prénoms.
A,
la voyelle la plus ouverte, c’est-à-dire celle de la jouissance, m, la
consonne
la plus fermée, c’est-à-dire celle qu’on peut prononcer la bouche
fermée, la
bouche pleine plutôt si vous voyez ce que je veux dire : avec un
biberon
dans la bouche, on peut encore dire m. Et p, la plus explosive,
c’est-à-dire
celle de l’expulsion comme étant la consonne qui concerne le terme
exécré de
papa. J’exagère parce que c’est plutôt marqué par l’ambivalence bien
sûr, on a
besoin de sa présence justement pour symboliser le loup qui limite
cette
jouissance du a. Sinon cette jouissance de l’ouverture totale ouvre au
risque
d’une perte dans la demande maternelle.
Les
mères retournent sur leur enfant leur propre pulsion infantile et donc
elles
s’apitoient sur leur enfant mais c’est leur enfant qui les
instrumentalise. Les
mères ne sont pas des monstres ni des crocodiles, la lecture souvent
trop
hâtive qui est faite de certains passages de Lacan laisserait penser
cette idée
baroque que le père viendrait mettre un bâton entre les mâchoires de
l’affreux
crocodile maternel. Le transitivisme est important à repérer parce que
les
mères sont des femmes avant d’être mères et des sujets également. Il
n’y a pas
de « La mère », ça n’existe pas « La mère », il
existe
toutes sortes de mères, il existe des mères comme Médée, il existe des
mères
qui ne supportent pas leur maternité, il existe des mères qui par
transitivisme
s’identifient à leur enfant, il ne faut donc pas faire trop de
généralités
là-dessus.
J’insiste
beaucoup sur cette universalité des vocables « papa » et
« maman » forgés à partir de la pulsionnalité de certaines
consonnes
et de certaines voyelles et qui constituent des noms propres inventés
en toute
solitude par chaque enfant pour appeler leurs parents.
Ce
sont des noms propres à part entière, si j’ose dire, qui sont les
précurseurs
de tout ce qui va se développer par la suite comme trilogie du nom
propre,
telle que je l’ai développée et qui précède la question de ce qui est
donné en
premier. La seule chose librement donnée c’est l’intimité du prénom,
notre vrai
nom, ça c’est le choix sur lequel se sont évertués les parents, auquel
ils
donnent volontairement ou pas, un sens plus ou moins destinal. Une mère
qui
appelle sa fille Bécassine, ce n’est pas la même chose que si elle
l’appelle Marilyn,
évidemment, y a des promesses de séduction, y a beaucoup de promesses
comme ça
qui sont faites à travers les prénoms, c’est incontestable. Les choix
qui
tracassent tous les parents ont incontestablement une valeur destinale,
mais il
ne faut pas perdre de vue que la première chose que fait un enfant en
naissant
c’est de dire non à tout ce qui lui est promis...Ce n'est pas parce
qu'un
garçon s'appellera Alexandre qu'il sera un grand guerrier, heureusement
pour
l'ordre public ! Ce n'est pas parce qu'une fille s'appelle Marie
qu'elle
restera vierge très longtemps. Les parents peuvent rêver autant qu'ils
veulent
de la valeur destinale des noms qu'ils donnent à leurs enfants ça ne
préjuge
évidemment de rien. Mais ça donne des idées effectivement.
Les
gens qui ont à faire aux enfants se posent la question de cette valeur
destinale, que ça peut représenter une identification à ce qui est
programmé à
l'avance, ce qui rend à coup sûr malade, ne serait-ce que parce que
c'est
aliénant : donc identification au symptôme dans la lignée
précisément de
cette obéissance passive à la prise du nom, ou bien au contraire,
activité de
la prise de nom propre. Ceci nous donne une excellente ligne de partage
de ce
qui est promis par la cure analytique : passer de l'identification
au
symptôme à l'identification au nom propre c'est-à-dire à l'activité.
Une
hystérique qui est dans une situation de séduction avec un personnage
paternel
incestueux, vomit. Donc il y a identification au symptôme comme dernier
point
de résistance de sa subjectivité, comme ligne de partage entre ce qui
est
pathologique et ce qui serait dans l'activité, en quelque sorte, du
côté de la
prise de nom. La passivité va avec l'évanouissement du rapport au nom,
d'une
perte du nom.
Donc
cette ligne de partage est tout à fait importante pour la conduite de
la cure
analytique elle-même, entre passivité et activité entre ce qui est
pathologique
et ce qui ne l'est pas. Parce que ce n'est pas l'hystérie ou n'importe
quelle
forme clinique qui est pathologique en elle-même, c'est son rapport à
l'actif
et au passif. Hystérie ne veut pas dire malade : la planète est
essentiellement peuplée de cette engeance. La schizophrénie n'implique
pas
forcément de pathologie, ainsi que la paranoïa. Il y a des personnes
illustres
qui sont tout à fait de ce côté là de la nosographie sans être
catalogués comme
malades. Stephen Zweig disait « seul ce qui ne produit rien est
pathologique ». Je ne me souviens plus de la référence exacte. Et
c'est
vraiment ce à quoi nous avons à faire dans la cure. Ne soyons pas des
hystériques, soyons des crises d'hystérie. Le moment où l’hystérie
devient
pathologique, c’est le moment où elle passe sur son versant de
passivité.
Donc,
vous voyez l'importance de la question du nom dans la cure analytique
pour
autant que l'acte veut dire je. Parler en son nom, c'est l'acte
des
actes en quelque sorte. La prise du nom ce n’est pas dire moi je
m'appelle
Tartampion, c’est dire je parle. Et au fond c'est à ça
qu'est
enjoint n'importe quel sujet qui vient rencontrer cette personne qui se
dit
psychanalyste. S’il ne sait pas quoi dire, et bien c'est dans le je
ne sais
pas quoi dire qu'il a dit je. Ça symbolise. Ça accroche. Ça
justifie. Après ça vient et les associations libres se bousculent à
partir de
ce point de dire lui-même. Si un patient dit je ne sais pas quoi
dire
c'est parfait ! C'est très bien. Moi, en tout cas je l'encourage
beaucoup.
C'est vraiment le point d'appel des associations libres. C'est à dire
non pas
des idées, on s'en moque un peu, mais ce qui tombent. Selon la
traduction du Einfallen (venir à l’esprit), ce qui
tombe. Ce ne sont pas des pensées qui nous intéressent, ce n’est pas
elles qui
font l'originalité de la cure analytique. L'originalité c'est la
subjectivation, le je qui est donné par les Einfallen.
On n’avait jamais vu ça avant Freud.
Pour
en revenir
au sens des prénoms, au choix des prénoms comme justement ce qu'il y a
de plus
intime, de plus précieux, il y a le sens destinal, il y a ce qui est
choisi en
fonction des modes, ce qui joue beaucoup. Et puis il y a une
particularité qui
est très intéressante par rapport à l'histoire de l'interdit de
l'inceste dont
je parlais tout à l'heure, c'est la façon dont les prénoms reviennent
de façon
cyclique. Remarquez-le : des prénoms sautent souvent une
génération. Un
couple donne à ses enfants des prénoms qui datent du temps du
grand-père, ce
qui évite le désir incestueux du père avec l'éloignement d'une
génération. Le
grand-père n'est pas dangereux généralement. Le plus souvent, il est un
peu
inoffensif. Et donc, je trouve que c'est une explication du caractère
cyclique
de l'attribution des prénoms. Des prénoms complètement démodés d'un
seul coup
redeviennent à la mode. Et de manière très bizarre, les gens ne se
concertent
pas. On voit brusquement une efflorescence d’une même série de prénoms.
En
ce qui
concerne maintenant le don et la prise du nom patronymique, c'est
évidemment
plus problématique, plus délicat et plus important du point de vue de
la
sexuation et, de ce qui résulte de l'avenir érotique pour les garçons
comme
pour les filles. Mais une fille a un rapport souvent beaucoup moins
chargé
qu'un garçon à son nom propre ou même un rapport éventuellement
tellement déchargé
qu'elle peut en changer facilement. Même s'il y a un désir du père un
peu fort,
d’elle à lui ou de lui à elle, ou les deux, cela peut se traduire par
un fort
désir d'en finir avec ce nom, un très fort désir de s'en débarrasser.
Pour un
garçon, les enjeux ne sont pas les mêmes. Mais quoi qu'il en soit dans
un cas
comme dans l'autre, il y a un moment de prise du nom propre.
Le
nom propre
est donné mais il faut qu'il soit pris. Alors il est intéressant de
voir le
cheminement psychique de la prise du nom propre. On voit bien l'intérêt
de
faire des comparaisons ontogénétiques et phylogénétiques, entre la
façon dont
les Totems étaient à la fois révérés et craints. Ils représentaient un
point
phobique. Le point phobique est d'abord une phobie de l'inceste avant
d'être
une loi de l'inceste. Cela n'est pas formulé en droit français. Il est
puni
sous couvert d'autres lois ! Donc il faut bien le dire, c'est
d'abord une
phobie de l'inceste aussi bien du côté maternel que paternel. Il est
intéressant de voir ce cheminement pour la création du Totem parce
qu’on a à
peu près le même cheminement pour la prise du nom qui se fait par le
biais, par
le truchement de la phobie : la plaque tournante de la phobie
fonctionne
de façon telle qu'un enfant est phobique. Mais de quoi ? La phobie
naît de
son angoisse de castration, d’une projection de la duplicité
paternelle. Le
papa est aimé dans la famille mais à l'extérieur la partie ambivalente
est
projetée sous la forme d'un animal phobique. Phobie parfois extrêmement
violente
chez certains enfants ; phobies aussi diverses qu'il peut y avoir
de
Totem. Donc division, projection de l'ambivalence et sa reproduction
ailleurs,
à l'extérieur. Et la prise de nom est en quelque sorte le premier pas
psychique
autonome de l’enfant parce qu'à un moment il va échanger son animal
phobique
contre le nom patronymique. C'est ça qui symboliquement caractériserait
le
point de passage de la prise du nom, le troc de la phobie contre le nom
patronymique et, cela d'autant plus facilement que la mère a été
phobique du
nom de son père. Elle en a changé contre le nom de son mari.
Pourquoi
faire
cette comparaison qui est datée ? Pour un certain nombre de femmes
aujourd'hui, en effet, ça ne se passe pas comme ça et ça se passe très
bien.
Cette comparaison se réfère au Petit Hans. La mère du petit Hans
n'avait pas
choisi le nom de son mari, même si elle avait choisi le mari. Elle
était
toujours restée dans un rapport, dans un lien de désir important avec
sa propre
famille d'où l'importance de la grand-mère. Et, d'où le fait que le
père était
lui même un enfant par rapport à sa propre mère. Donc la phobie reste
en
l'état. Elle ne se troque pas contre le nom du père, comme symbole du
parricide. En raccourcie c'est une affaire de troc. Ça se voit bien
chez les enfants.
Ils sont phobiques de telle ou telle chose puis brusquement parfois
presque
d'un jour à l'autre c'est fini. Il s'est passé une petite chose, un
petit
événement psychique ou un événement dans la réalité qui fait que ce
troc se
fait. Donc on voit bien cette fonction de « plaque
tournante » de la
phobie. C'est Lacan, quelque part, qui appelle la phobie « plaque
tournante ». On la retrouve dans toutes les structures. On en voit
bien
l'efficacité en effet au moment du choix du nom propre. Mais pour les
gens qui
ne supportent pas du tout leur nom propre, c'est le nom propre lui-même
qui
devient l'occasion d'une phobie.
La
prise du nom propre par un enfant, le fait qu’il prenne ce qui lui a
été donné,
se joue dans la dépendance de la constellation familiale rapprochée. Ca
a beau
être le nom de l’ancêtre, la prise
elle-même, le moment où ça se prend, au moment œdipien, pas avant,
dépend de la
constellation œdipienne, telle qu’elle se présente avec le grand Autre
: le père,
la mère, leurs parents, etc. C’est un jeu d’invariant assez fluide,
l’Autre ce
n’est pas une constellation rigide. Si un jour une mère ne s’entend
plus avec
son mari, cela infléchit la présentation du grand Autre en question et
c’est en
fonction de cette fluidité que le nom propre sera pris ou rejeté. Il y
a des
enfants ou même des jeunes gens, qui rejettent leur nom propre
tardivement,
d’autres qui demandent dès qu’ils sont majeurs à changer le nom de leur
père
pour le nom de leur mère. C’est fonction de ce qu’il se passe dans la
vie. Le nom
a beau venir de loin, le choix se fait dans une constellation
rapprochée. C’est
important pour toute la psychopathologie et pour ce qui peut s’en
déduire : comment les symptômes se fixent, régressent en fonction
de cette
position subjective par rapport à la relation père, mère,
grands-parents,
c'est-à-dire toute la constellation. Ca ne se décide pas en dehors de
ces
covariants, ce ne sont pas des invariants.. Parfois c’est très fixe,
très
ferme, parfois c’est mouvant.
En
ce qui concerne le don et la prise du nom propre, il y a une porte de
sortie,
un corrélat immédiat de ce dont je viens de parler, ce sont les
pseudonymes,
les hétéronymes. Ils sont la conséquence du fait qu’un nom ne soit pas
pris,
par un sujet qui ne veut pas du nom qui lui a été donné, ou bien, qui
veut bien
le garder mais qui en réalité s’en créé un autre.
On
ne voit pas cette fonction de création d’un nouveau nom propre par
exemple,
grâce à une œuvre. Quelqu’un peut sembler très motivé pour faire une
œuvre mais
en réalité, c’est pour se refaire un nom. L’œuvre il la fait comme ça
au jour
le jour, mais ce qui l’obsède c’est de se faire enfin son propre nom,
parce
qu’il ne veut pas du nom qui lui a été donné. Bien sûr il y a des
pseudonymes
d’artistes qui sont créés pour des raisons commerciales, une fille qui
travaille au Crazy Horse, si elle s’appelle Annie Dupont, on comprend
bien que
ça ne fonctionnera pas, mais pour la plupart des artistes, il en va
autrement : en littérature, en peinture, les artistes qui se
choisissent
un autre nom c’est pour des raisons qui tiennent au fait de vouloir
changer de
nom. Pessoa par exemple, s’est inventé je ne sais combien
d’hétéronymes, de
pseudonymes. On peut dire que la poussée à faire une œuvre c’est une
poussée à
renouveler le sens de son nom. C’est porter au maximum une fonction
habituelle du nom propre. Le nom propre
est une chose vivante. Nous avons reçu notre nom mais il faut le
reprendre tous
les jours. Tous les jours un homme est enjoint d’être à la hauteur de
son
nom ; il peut appeler ça l’honneur,
ou bien être un homme, ou autre, il s’agit pour lui d’être à la hauteur
de son
nom. C’est dire que le nom est une chose vivante à ré-habiter tous les
jours.
S’il a été dévalué dès le départ pour le sujet, on
peut penser que pour certains artistes, ça a été
le cas de Joyce par
exemple et tant d’autres, l’œuvre au fond n’est que la recréation du
nom.
Discussion
Jean-Jacque
Lepitre : je voudrais vous remercier pour cet exposé très complet.
Par
rapport à votre livre, à le lire, j’ai eu beaucoup de plaisir, parce
que
j’avais l’impression d’être en face de quelqu’un de tout à fait
lacanien mais
qui s’autorisait à reprendre l’intuition de Lacan par rapport au
symbolique et
d’en chercher des articulations de telle manière que ça permettait
d’amplifier
ce qu’il avait pu nous apporter. Vous nous faites faire une sorte de
navigation
dans les méandres de cette question du nom propre - qui est un
signifiant dans
la langue humaine, et pas dans le langage animal, les animaux
communiquent, ils
ne parlent pas - et dans la question de cette fonction du nom propre,
de la
façon dont le sujet va s’y constituer, s’y accrocher, qui me parait
très
intéressante. Ce que vous indiquez dans ce livre c’est la question qui
est
peut-être restée un peu sous-jacente chez Lacan et chez bien d’autres,
qui est
« Quelle est cette fonction du nom propre ? » et comment
elle
permet au sujet de se subjectiver, c'est-à-dire de ne pas se jeter
lui-même
dans ce qui serait une défense contre la pulsion maternelle.
Ensuite,
bien sur, il y a le côté facétieux je m’appelle Lepitre, vous vous
appelez
Pommier, question patronyme, on n’est pas mal lotis tous les deux, on
pourrait
en discuter mais j’aimerais plutôt que vous ré-explicitiez quand vous
dites,
que dans chaque phrase prononcée, il y a en quelque sorte le rappel du
parricide dans le fait que le pronom vienne remplacer le nom entre
autres et
que finalement lors du point de conclusion, nous faisons un peu
renaitre le
père, pour à nouveau relancer le processus.
Gérard
Pommier : Pour ce qu’il en est de la formation des phrases, nous
sommes
dans une contrainte à parler et à penser sous forme de paroles. C’est
une
contrainte constante qui se dissout très certainement pendant la nuit,
quand
c’est la pensée inconsciente qui prime, mais pendant la journée nous
avons sans
cesse cette parole intérieure, parole adressée à un autre de
nous-mêmes, ou à
un interlocuteur véritable. Cette interlocution constante a attiré la
curiosité, pas seulement des linguistes, on trouve ça déjà chez
Saint-Augustin, verbum cordis (la
parole du cœur), et bien pour lui c’est
ce dialogue permanent qui prouve l’existence des anges, parce qu’il y a
toujours cette entité à laquelle nous nous adressons. Qui est-ce ?
Nous
oublions que nous avons toujours avec nous cet ange gardien à qui nous
nous
adressons quand nous parlons. Quand un enfant est seul, l’essentiel de
ses
paroles est échangé avec un interlocuteur, un petit compagnon, un autre
enfant
avec lequel il ne cesse de parler, certains enfants nomment cet
interlocuteur,
d’autres n’en parlent pas. Et nous-mêmes, l’essentiel de nos paroles
sont
échangées avec un interlocuteur que nous ne voyons plus, tellement
c’est
habituel. Pourquoi j’insiste sur cet angélisme latent de l’adresse de
la parole ?
Autant le fait de dire « je » est tout à fait innocent,
autant de
prendre le nom de son père, c’est un
parricide qui nous rend coupables sans que nous en soyons conscients et
donc
sans que nous puissions en purger la faute. C’est ça qui fait que le
père renait
toujours de ses cendres au point terminal, parce que nous sommes
inconscients
du fait que nous parlons pour nous déculpabiliser. La parole est une
machine
explicative constante. Parce que nous en sommes inconscients et que de
cette inconscience, en fin de
phrase, renait le phœnix paternel de ces cendres. Freud quelque part
dit cela.
Pas
besoin de s’en faire pour ce qui concerne la chute du père, on l’aura
toujours
sur le paletot, il ne faut pas s’inquiéter. D’autant que les hommes
veulent
être père, c’est leur porte de sortie face à l’angoisse de castration,
leur
angoisse de féminisation, alors il ne faut pas trop s’en faire de la
chute du
père et se féliciter de celle du patriarcat.
Je
ne réponds pas tout à fait à votre question mais je l’explique comme
ça,
renaissance de la culpabilité, parce qu’elle ne se savait pas. Et notre
interlocuteur angélique comme son nom l’indique, est un interlocuteur
qui
relance notre culpabilité aussi, c’est une forme de sur-moi, nous nous
insultons au nom de ce surmoi : « Crétin, t’as oublié de
parler de
ça, tu ne t’es pas rasé ce matin, ni hier, etc. » , cette espèce
de parole
qui nous revient comme ça, témoigne de la constance de la culpabilité.
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Marie-Christine
Forrest : Ce qui m’a intéressée à la lecture de votre livre, à la
deuxième
lecture, parce que je l’ai lu une première fois pour une conférence qui
a été
reportée, et donc je l’ai repris en janvier, et finalement ce qui m’est
apparu
en premier c’est que cette histoire de nom propre, c’est au fond une
histoire
d’hommes et que les femmes étaient concernées comme ça, mais un peu à
côté.
Et
puis certains passages m’ont fait faire le lien entre l’histoire des
hommes et
la violence : le nombre de fois où il est question de combats, de
luttes,
de meurtres, ça saigne dans ce livre. Une fois qu’il n’y a plus de
père, il n’y
a plus que des fils et quand il n’y a plus de fils, c’est la lutte à
mort,
alors peut-être que ça a résonné bizarrement avec l’actualité, mais
voilà, je
me suis demandée en quoi ça concernait les femmes, cette histoire-là.
Gérard
Pommier : Encore une question difficile. D’abord, j’ai
l’impression que ce
que vous venez de dire n’est éloigné ni de ce qui s’est passé ni de ce
qui se
passe encore, donc je ne crois pas inventer avec ce descriptif, mais je
dirais
que plus qu’une affaire d’hommes, c’est une affaire du masculin, ce
n’est pas
pareil, c'est-à-dire comment arriver à
être masculin et les luttes que ça implique, comme porte de sortie par
le haut,
l’identification au père dont je parlais tout à l’heure, c'est-à-dire
au fond
la fondation, cette espèce de mascarade, du patriarcat comme bouclier
de la
virilité par principe menacée, par la castration, par la féminisation.
Donc les
femmes sont beaucoup moins énervées avec ça, ou plutôt le féminin l’est
moins,
les femmes peuvent être tout aussi concernées par cette violence, bien
que,
comme les hommes qui se sont affirmés en rejetant leur féminité et en
particuliers en rejetant les femmes, dans l’histoire, dans le déroulé
de
l’histoire, ce sont quand-mêmes les hommes qui se sont montrés les plus
violents. Mais on va voir ce qu’il en est par la suite, Barbarella tout
armée
ne va pas tarder à arriver, Penthesilée n’est peut-être pas très loin
non plus.
MCF :
Sortie tout armée de la tête de son père ? Cette question de la
répression
du féminin, ne revient-elle pas un peu à cette sempiternelle
opposition, le
féminin passif, le masculin actif ? Et puis, par rapport à ce qui
s’est
vérifié de vos analyses dans l’histoire présente, qu’est-ce qui peut
venir
faire arrêt à ça, à cette guerre ?
Gérard
Pommier : La chute du patriarcat
Marie-Christine
Forrest : Mais la chute du patriarcat c’est la loi des frères. Et
les
frères, ils sont fils d’Allah, ou d’un dieu spiritualisé. Si la loi
c’est la
loi de celui-là, elle est sujette à interprétation, qu’est-ce qui va
dire que
ce n’est pas ça, la loi ?
Gérard
Pommier : Je m'excuse d'être elliptique mais je dirais ceci :
Galilée
avec sa lunette qui regarde le ciel et qui voit qu'il n'y a pas de
Dieu. Donc
c'est la science. Ce n'est pas la peine de tourner en rond : c'est
le
progrès des Lumières qui a fait que le patriarcat a perdu sa clef de
voûte de
légitimation. A partir de là, c'est long, ça prend du temps, il y a des
guerres
épouvantables. Mais je ne vois pas d'autre biais.
Jean-Jacques
Lepitre : Je dirais juste un mot pour reprendre la question.
Est-ce qu'il
existe des femmes sans nom ?
Gérard
Pommier : Non
Marie-Christine
Forest : Non. Je m'appelle Forest, vous êtes Lepitre et Pommier.
Jean-Jacques
Lepitre : Bon. Est-ce que finalement du coup une partie de tes
interrogations ne tombe pas ? Parce que si j'ai bien compris la
question
du nom, il ne s'agit pas seulement du patronyme. Il s'agit du nom qui
permet à
un sujet de s'instaurer. Est-ce que ça se joue complètement en
opposition
masculin / féminin ? Je pose aussi la question à Monsieur Pommier.
Gérard
Pommier :
Oui, mais si la réponse est mieux.
Marie-Christine
Forest : Non. Mais la question du nom propre pose la question de la
transmission alors que la question du prénom ne la pose pas.
Gérard
pommier : Je ne suis pas sûr, car il fut un temps où seul un
prénom donné
par Dieu suffisait.
Jean-Jacques
Lepitre : Je pensais qu'il y avait effectivement de manière
sous-jacente
l'emploi du nom propre quel qu'il soit, permettant une
subjectivation. Et
du coup est-ce que ça se limite au simple masculin / féminin, au
patronyme
transmis / pas transmis ?
Auditrice
1 : Selon un reportage, en Chine, actuellement, il y a des jeunes
filles
qui n'ont pas de nom. Dans ces familles où malgré la
réglementation de l'enfant unique, il y a
eu plusieurs enfants. Et donc il y a des milliers de jeunes filles qui
n'ont pas de nom pour l’Etat Civil . Mais
on peut penser qu'au sein des familles, quand elles retournent en
famille,
elles ont un nom.
Gérard
Pommier :
Oui mais ce sont deux problèmes qui se surajoutent. Le problème de
l'Etat
Civil : ils ne veulent pas déclarer l'enfant qui est né pour
pouvoir avoir
un autre enfant. Donc ils ne sont pas déclarés à l'Etat civil mais ça
ne veut
pas dire qu'ils n'ont pas de nom. Ils continuent d'être appelés. En
plus en
Chine, ils sont toujours appelés par leur prénom. D'abord, chaque nom
est
entièrement singulier, en Chine. C'est-à-dire qu'on peut porter un nom
que
personne d'autre ne portera jamais.
C'est
aussi possible
en France maintenant en inventant des syllabes quelconques. Le prénom a
donc
une réelle importance. On voit bien que c'est le véritable nom parce
qu’il
existe des milliers d'exemplaires du nom de famille, des millions
d'exemplaires
pour chaque nom. Il existe des racines très petites pour les lignées
patronymiques. Et là, je ne sais pas si ce reportage a présenté les
choses de
manière dramatique pour déconsidérer la politique de la natalité
chinoise,
montrer que c'était affreux, mais les filles en question ont bien un
nom dans
leur famille et pour leurs petits amis, etc.
Auditrice
1 : Etait-ce un documentaire dramatisant, je ne sais pas. Il y
avait quand
même des interviews de jeunes filles que l'on sentait dans un désarroi
important. Peut-être que ce ne sont que quelques cas. Mais c'est pour
dire
qu'actuellement sur terre, il y a des femmes sans nom - d'une certaine
manière
– mais oui il y a du nom quelque part sinon elles ne seraient pas
vivantes.
Auditrice
2 : Pour une femme puisse se décharge du nom, il me semble aussi
qu'il
faut qu'il lui soit vraiment donné. Et puis j'en avais une autre :
que
pensez-vous de la question des initiales, prénom et nom
patronymique ?
J'ai l'impression que ça peut avoir une fonction de subjectivation
importante.
Gérard
Pommier :
Je vais vous répondre très brièvement. Il va de soi que les filles
prennent
leur nom aussi. Je n'ai pas voulu dire que seuls les garçons prenaient
leur
nom. D'abord parce que les filles sont d'abord des garçons - faut qu'en
même
pas l'oublier - et qu'elles le restent quand même, c'est certain. Donc
qu'il y
ait une prise de nom va de soi et qu'elles le gardent, ça ira de soi de
plus en
plus. Elles ne changent de nom que dans un système où le désir du père
est
prévalent. Or c'est ce qui est en train de changer à vitesse accélérée
dans
notre société, d'une génération, ou d'une demi génération à l'autre. Ça
change
à toute vitesse y compris dans les pays les plus patriarcaux. Il faut
réaliser
la vitesse avec laquelle ça va et la psychanalyse pourrait se retrouver
marginaliser si elle ne voyait pas cette
évolution. Devant les mouvements de société où nous sommes, je me
demande
comment ça se fait que certains psychanalystes ne s’en rendent pas
compte. Mais
je m'égare par rapport à votre question.
Auditrice
2:
Pour les initiales ?
Gérard
Pommier : Ah oui pour les initiales ! Je n'ai aucune idée
mais je
pense que ça peut tout à fait avoir valeur de symbole, symbole de
signature du
nom présumé.
Marie-Christine
Forest : Je voulais vous poser une question qui m'a été posée par une
association de familles adoptives. Il semblerait que devant les
difficultés
pour adopter, certaines personnes se tournent vers l'adoption simple,
ce qui
suppose que le lien de filiation n'est pas rompu et que l'enfant
conserve le nom
de ses géniteurs. Et l’Aide Sociale à l’Enfance style="color: red;">
> de la localité concernée
préconisait d'ajouter
au premier nom, le nom de la famille adoptive. Donc l'enfant serait
porteur du
nom de ses géniteurs et du nom de son père adoptif. Ils me demandaient
ce que
j'en pensais. Je vous demande donc ce que vous en pensez ?
Gérard
Pommier:
Je pense que toute la question de l'adoption devrait sans doute être
complètement repensée pour qu'un enfant n'ignore pas sa filiation,
d'une façon
ou d'une autre. Surtout que maintenant, il y a des familles
monoparentales, des
familles avec deux parents du même sexe. Il n'est pas possible qu'il y
ait des
familles dans lesquelles un enfant ait à appeler « papa » et
« maman » deux personnes de même sexe sans avoir idée de sa
véritable
filiation. Je ne sais pas comment il faudrait faire mais il n'est pas
possible
de mentir là-dessus à un enfant. De toute façon, les enfants le savent
d'une
façon ou d'une autre et ça se termine mal quand ils le savent.
Nicole
Harly-Bergeon : Est-ce que les enfants nés sous X ont un nom - un
prénom
peut-être - mais un nom ?
Marie-Christine
Forest: Bien sûr ! Ils ont trois prénoms et le troisième fait
fonction de
nom de famille avant l'adoption. Tout enfant qui naît a droit à un nom.
C'est
obligatoire. Et le troisième prénom vaut comme nom et, il est changé au
moment
du jugement d'adoption plénière.
Auditrice
3:
C'est désigné par qui ?
Marie-Christine
Forest : Par qui est là, par le calendrier... D’où les Bernard, les
Thomas,
enfin tous les noms de famille qui sont des prénoms.
Gérard
Pommier : Cela a commencé au XIIème siècle, au moment
de la
création de l'Etat civil avec reconnaissance des surnoms comme
patronymes, une
partie importante de la population n'avait pas de surnom donc ils ont
pris le
nom du saint du jour où ils sont nés. Ce qui fait que les cinq noms
patronymiques les plus courants en France sont des prénoms. Mais ça
date du XIIème ou XIIIème siècle.
Alain
Harly : Une question me vient à propos de surnom. Je pensais à
deux
choses.
D'une part, cela a été évoqué d'ailleurs tout
à l'heure, je pense à la manière dont les
enfants se donnent des surnoms, ce qui peut
arriver aussi pour les
adultes. Assez souvent dans les classes
primaires, l'usage de ce surnom, le maniement de ce surnom, n'est pas
toujours
sympathique. C'est même au contraire quelque chose qui tente de
désigner un
sujet d'une manière brutale. Et cela peut avoir des effets tout à fait
catastrophiques pour l’enfant ainsi surnommé. Ça ne l'est pas toujours.
Par ici
on dit « se faire traiter » : « il me traite »
se
plaint l'enfant. C'est-à-dire qu'on lui colle comme ça un surnom dont
il ne
veut pas, qui le dévalorise, qui le
caricature. Il y en a pour qui ça ouvre une vraie catastrophe et pour
d'autres
pas ; ça glisse comme si c'était pas grand chose, une simple
moquerie
passagère et, pour d'autres au contraire ça attrape quelque chose et
s’est vécu
comme une agression fondamentale.
Deuxième
association : la manière dont se pose la question du nom dans les
communautés sourdes. Bien sûr Il y a
le nom enregistré dans les registres de l'Etat civil, mais il y a un
autre nom
qui vaut pour cette communauté. Il y a la pratique d'une sorte de
baptême, en
quelque sorte, en langue des signes, qui fait qu’on va donner un nom
dans cette
langue. Et s'il change de région, on va le rebaptiser encore. C’est en
fonction
effectivement de la tribu pour reprendre un peu cette évocation des
totems
qu'effectivement ce sujet là va être nommé. Ça ne se fait pas là d'une
manière
agressive ou dévalorisante, c'est plutôt la recherche d'un trait
distinctif,
d'une manière de se tenir ou d'un goût ou d'un choix qu'il a pu faire.
Ça n'a
pas du tout la même allure que cette manière de « se faire
traiter ».
Mais
c'est
effectivement cette dimension du surnom, un point assez important et
qui vient
sans doute témoigner là où on est, là où on vit, d'une nomination qu’on
peut
dire imaginaire. Ce qui ne veut pas dire qu'elle n'ait pas des effets
réels et
symboliques.
Gérard
Pommier : Oui. Mais ce sont quand même des noms donnés à chaque
fois par
une communauté circonstantiellement à cette venue, à un certain âge de
la vie.
C'est une règle d'attribution des noms que l’on trouve dans certaines
sociétés
africaines ou chez les Inuits ; au Japon, on change de nom selon
les âges
de la vie. Chez les Inuits, ils ont, je ne sais pas combien de noms,
quatre ou
cinq. Et en Afrique, il existe des modes d'attribution des noms. Il y a
d'abord
un nom secret, c'est-à-dire un nom bas. Un nom qu'on dit tout bas. Mais
il ne
faut pas que l'enfant l'entende ni les esprits. Parce qu’en fonction de
ce nom
bas, les esprits peuvent venir ramasser l'enfant. Donc l'enfant
lui-même ne
connaîtra jamais quel fut son nom secret. Et il change de nom selon les
âges de
la vie.
Au
Japon, dans
le shintoïsme, le dernier nom est donné seulement sur la tombe. C'est
un nom
qui n'est même pas connu de celui qui est enterré. Ce sont sans doute
des
surnoms - on peut faire l'analogie - mais c'est beaucoup plus, pour le
coup,
symbolique que les noms circonstantiels.
La transcription de cette conférence a été
aimablement assurée par Michèle Saïdi, Patricia Lavergne, Marielle
Stinès-Belleville, Nathalie Genin, Janie Bozier et Alain Harly.