Du Discours
d'un
Roi.
Un
homme parle à un
autre. Le premier est venu avec sa demande : un trouble fonctionnel, un
bégaiement. Le second accepte de le rencontrer, mais comme un homme,
comme
sujet de sa parole et non comme un portemanteau, un porte trouble
fonctionnel.
Le premier hésite, car la rencontre ainsi définie, il le pressent,
engage bien
au-delà du paraître du trouble. Il franchit malgré tout le pas et
renouvelle sa
demande. Ce faisant, il situe le second comme sujet supposé savoir,
terme
lacanien à entendre très simplement : sujet, autre sujet, supposé
savoir
répondre à sa demande. Mais en tant qu'il s'engage comme sujet et non
comme
simple porteur d'un trouble fonctionnel, il s'en instaure une relation
transférentielle. C'est une des grandes séductions du film, bien
au-delà du
cercle des spectateurs « psy ».
Le
transfert, déjà
chez Freud et largement repris par Lacan, consiste en ce qu'un sujet «
transfère »
son idéal du moi sur un autre sujet, le thérapeute qui en devient le
représentant. J'écris ici thérapeute car rien en ce départ, et la suite
le
confirmera, n'indique que celui-ci soit conscient de ce qu'il
représente, alors
qu'on peut espérer qu'un psychanalyste le soit.
Le
cinéaste quant à
lui va beaucoup jouer de la différence fondamentale entre « idéal du
moi » et «
idéal social », d'une façon certes séduisante mais qui en devient un
peu
répétitive. Mais le jeu de cette différence, n'est-ce pas un des
ressorts du
film ? Les deux hommes en effet sont, quant à l'idéal social, dans des
positions radicalement opposées, voire contraires. Le premier est
l'incarnation
même de cet idéal. Personnage princier, puis royal, que peut-on rêver
de mieux
? Le second, au contraire, est un immigré, pas totalement intégré
socialement,
de milieu quasi populaire. Or, par le phénomène du transfert, les
positions
s'inversent. Le thérapeute de condition sociale bien inférieure devient
le
représentant de cet « idéal du moi » auquel est soumis son royal
patient. Pour
le spectateur n'y a-t-il pas là plaisir et fascination ?
Les
quelques
évocations de la vie du patient, de sa jeunesse, ne sont l'occasion
d'aucune
révélation sensationnelle et significative à proprement parler. Nulle
psychanalyse spectacle ici. Ces évocations ont pourtant toute leur
utilité dans
la trame du film. D'être comme autant de rappels, lors de leur
apparition, de
la dimension de vécu subjectif où se déroule la relation du patient et
du
thérapeute, et non d'orthopédie d'un trouble fonctionnel. En de ça de
l'horizon
royal de ses souvenirs, de ce vécu subjectif émerge la confidence que
le
patient fait du rapport d'un jeune garçon a un père admiré.
De même la
monstration des exercices auxquels se soumet le royal patient a aussi
sa valeur
démonstrative, même et y compris dans leur aspect quelque peu
guignolesque. Ces
exercices, par un certain bord, ne sont pas sans rappeler la règle
fondamentale
de la psychanalyse : « Dites tout ce qui vous vient à l'esprit ».
Celle-ci a
pour but principal l'émergence d'éléments signifiants au travers des
associations libres ainsi provoquées. Mais, comme le faisait remarquer
Lacan,
sur un certain bord aussi, elle est n'est pas sans pouvoir évoquer un «
dite
n'importe quoi, n'importe comment... ». Une autorisation à la déliaison
de la
rationalité du discours, voire à dire des « guignoleries » sérieusement.
Du coup,
on se doute,
que ce soit le thérapeute représentant « l'idéal du moi » du patient
qui
propose cette consigne ou ces exercices, justement « guignolesques »,
sérieusement, ne peut avoir qu'un effet soulageant, libérateur... Que
le
patient en acquiert de ce fait une certaine souplesse dans sa
structure, dans
son rapport aux exigences de son « idéal du moi ».
C'est là
l'aboutissement d'un certain nombre de psychothérapies, dont certaines
dites
humanistes auxquelles s'était formé le thérapeute du film. C'est là
aussi ce
dont se contentent un certain nombre d'analysants, voire d'analystes.
Pointons-le,
ici, de
ce qu'il en découle un certain nombre d'éléments.
Déjà quant
au film.
On peut ressentir qu'arrivé en ce point le film sature, tourne un peu
en rond,
risquant de se répéter... Et qu'il y faut une sorte de saut filmique,
une
rupture du scénario, pour que surgisse presque brutalement, presque par
surprise, la fin par laquelle le film va se conclure.
Ensuite
quant au
thérapeute. On le voit alors sortir du strict cadre thérapeutique de
son
cabinet. Il accompagne, dans la réalité, son patient dans ses épreuves.
On
perçoit ainsi l'intuition que peuvent avoir certains psychothérapeutes,
certains « coaches », de la structure inconsciente dont il s'agit dans
le
transfert. Puisqu'à être les représentants de « l'idéal du moi », ils
peuvent en
espérer soutenir ainsi, dans la réalité, le narcissisme de leurs
patients. Mais
à ne pas aller au-delà de l'intuition, à ne pas connaître la théorie de
ce dont
il est question, ce qu'ils méconnaissent c'est le risque d'effets
strictement
inverses : à savoir l'inhibition résultant de la présence dans la
réalité de
cet idéal, voire l'aliénation résultant de son incarnation... Alors
qu'il
s'agirait, dans un processus thérapeutique véritable, d'en remettre en
cause
les fondements...
La
fin de la cure,
indiquait Lacan, c'est la traversée du fantasme, la chute de l'objet a.
Et si nous
pouvons
ressentir la fin de ce film comme la fin d'un trajet thérapeutique,
cette fin
ne doit rien au thérapeute. Ce sont les circonstances historiques qui
interviennent en tant qu'elles sont exceptionnelles. Au début de cette
séquence
finale, lors de laquelle nous allons entendre le discours du sujet
devenir
véritablement le discours d'un roi,
que voyons-nous remarquablement illustré par le cinéaste ? Le sujet
face au mur
vide du studio où son discours doit être enregistré. Or ce mur vide
est, en ces
circonstances, une merveilleuse illustration de cet écran dont parle
Lacan comme
support du fantasme, où celui-ci se projette et au travers lequel nous
percevons notre réalité. Une illustration précédente en avait été
fournie par
les bords sombres du toit et des tribunes d'un stade cernant le centre
lumineux
tel un écran de cinéma ou de télévision. Si au début du discours nous
sentons,
nous percevons combien le sujet est toujours parasité par son fantasme,
par
l'objet qui est attaché, il survient un moment qui apparaît presque
miraculeux
dans le film... (Mais n'y a-t-il pas quelque chose de semblable dans la
prise
de conscience, dans le sentiment de certitude qui y advient?)... Un
moment où
le sujet semble soudain libéré de ce qui jusque-là venait perturber son
élocution : fantasme, objet petit a.(Celui-ci tenait-il au regard du
père ? À autre chose ?
Les indices
donnés dans le film semblent ici insuffisants...).
Mais
qu'entendons-nous alors ? Quelque chose de très simple et qui est
énoncé dans
le discours lui-même en cet instant. C'est que le sujet vient
s'inscrire dans
la loi du père très précisément. Non la loi en tant que créée par le
père, en
tant que désir du père, caprice du père, etc... Mais bien au contraire,
dans sa
dimension symbolique, à savoir la loi à laquelle le père lui-même
obéissait, la
loi à laquelle le père lui-même était soumis et qu'il a transmise...
C'est dit
explicitement dans le film... Et qui est, très précisément, la loi des
rois. Telle
que le sujet lui-même l'énonce. Au creux même de son discours. Très
simplement.
La loi des rois, c'est d’incarner la nation...
Qu'ajouter
à cela ?
Que c'est justement cette fin : la traversée du fantasme, la chute de
l'objet a,
l'inscription dans la loi symbolique, le remaniement de l'idéal du moi
en tant
que lié à l'objet a et à l'Autre dont le thérapeute est le
représentant, avec
leurs conséquences habituelles par où se termine une cure
analytique : la
chute du transfert et de la figure du thérapeute... Ici, c’est
justement cette
fin de ne se produire que du fait des circonstances historiques
exceptionnelles, et non dans le cadre de la thérapie, alors qu’elle est
partie
intégrante de la cure analytique au contraire, qui me font penser que
nous
avons affaire ici à une psychothérapie et non à une psychanalyse, même
si nous
voulions la qualifier de psychanalyse sans le savoir.
Nous ne
contesterons
pas cependant ce que nous avons déjà dit précédemment, à savoir la
possibilité
d'un assouplissement dans la structure, mais accompagné du risque
d’inhibition
et d'aliénation que nous évoquions... (ici, en note : loi sur les
psychothérapeutes et les brouillages conséquents).
Pour
finir, pour les
amateurs de lettre lacanienne. Une oreille clinique un peu attentive
aura noté,
c'est clairement indiqué dans le film, comment le sujet qui a pourtant
de très
nombreux prénoms, ils sont cités, tous plus prestigieux les uns que les
autres au
regard de leur renvoi à sa royale lignée, ne peut se choisir comme nom
de
règne, non pourtant un de ces prénoms, mais celui-là même par lequel
son père a
lui-même régné, en y ajoutant un « Un ». Georges-V + 1.
Bien
à vous
Jean-Jacques
Lepitre,
26-05-2011
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