APERCU HISTORIQUE
Doctrine utérine: HIPPOCRATE: Mouvements
de l'utérus. GALIEN : Excitation par rétention de la matière séminale.
- Vapeurs utérines. - Lepois et WILLIS : Maladie de l'encéphale et du
système nerveux. symptômes autres que la crise.- SYDENHAM : Mouvements
irréguliers des esprits animaux. Symptômes simulant toutes les
maladies. - Lutte entre la doctrine utérine et la doctrine nerveuse
cérébrale jusqu'au xixe siècle. - Théorie du réflexe utéro-ovarien. -
BRIQUET Névrose de l'encéphale. Description des crises et des autres
manifestations. - Systématisation de la Salpêtrière. Stigmates, crises
et accidents; Extension indéfinie du domaine de l'hystérie. - Réaction
contemporaine.
Les crise d'hystérie ont existé de tout temps, parce
qu'elles sont, comme nous le verrons, inhérentes à la nature humaine,
et surtout à la nature féminine. Depuis ,qu'il y a des émotions,
c'est-à-dire, depuis que l'humanité existe, il y a des crises de nerfs.
Les anciens, dépourvus de toute notion anatomique et physiologique,
jugeant comme les enfants d'après leurs impressions, étaient vivement
frappés par l'aspect étrange de ces manifestations si fréquentes chez
les femmes ; ces grandes convulsions, avec constriction abdominale,
boule épigastrique remontant au larynx, strangulation, projection du
ventre en avant, cris, délire, grands mouvements de défense,
contorsions, tout cela devait apparaître comme l'Suvre d'un animal ou
ennemi intérieur s'acharnant sur sa victime qui se débattait contre
lui, et cet animal ne pouvait être que l'utérus.
L'utérus est un animal sensible, mobile qui se déplace et se porte dans
les diverses régions du corps. C'est surtout chez les femmes qui n'ont
pas de rapports sexuels et chez celles d'un certain âge plutôt que chez
les jeunes que ces mouvements sont faciles parce que les vaisseaux sont
plus vides et que la matrice desséchée est vide aussi et légère; elle
se déplace, se jette sur le foie, organe plein de fluide, pour y
trouver de l'humidité, elle y adhère, se porte aux 'hypocondres, et
interceptant la voie respiratoire qui est dans le ventre cause une
suffocation subite, suffocation hystérique.
Quelquefois en même temps du phlegme descend de la tête aux.
hypocondres. Alors la matrice humectée par cette descente, ayant pompé
de l'humidité, devenue plus pesante, retourne à sa place et la
suffocation utérine cesse.
Elle peut rester vers les hypocondres, produire des vomissements, des
douleurs gravatives de la tête, de la cardialgie; de l'orthopnée, du
trismus, avec face livide, et ces symptômes ne cessent que si on
détache la matrice du foie auquel elle adhère, en la poussant en bas
avec la main. "
Telle, est la conception enfantine de l'hystérie; dans les livres
hippocratiques (édit. LITTRÉ, t. VIII, p. 33).
Comme traitement, ces livres conseillent la grossesse et divers
antispasmodiques; des substances fétides (asphalte, soufre, castoreum,
corne, etc..) sous les narines pour faire fuir l'animal utérin, des
fumigations aromatiques aux parties génitales pour l'attirer et le
tenir en place.
Telle est est aussi la conception des philosophes.
La matrice, disait PLATON, est un animal qui désire ardemment engendrer
des enfants. Lorsqu'il. reste longtemps stérile après la puberté, il a
peine à le supporter et s'indigne; il parcourt tout le corps, obturant
les issues de l'air, arrêtant, la respiration, jetant la malade dans
des dangers extrêmes et occasionnant diverses maladies, jusqu'à ce que
le désir et l'amour, réunissant l'homme et la femme, fassent naître un
fruit et le cueillent comme sur un arbre, semant dans la matrice, comme
dans un champ "
(TiMÉE, de Platon, édit. COUSIN, t. XII, p. 241).
On voit que l'imagination a précédé la science. Elle la déforme encore
souvent aujourd'hui.'
La théorie utérine a persisté jusqu'à nos jours, en se modifiant avec
les nouvelles conceptions scientifiques. GALIEN n'admet pas que la
matrice se déplace comme un animal. C'est l'excitation de cet organe
par la rétention de la matière séminale qui provoque les convulsions.
AÉTlUS d'Amide vers 980 et PAUL d'Egine vers ,490 pensent que les
crises sont dues à des vapeurs subtiles parties de l'utérus et gagnant
le cerveau. C'est presque déjà la théorie moderne de névrose réflexe
d'origine utérine,
Jusqu'au XVIIème siècle, l'hystérie est une crise convulsive,
dyspnéique, cardialgique, à manifestations diverses, que la matrice
produit par ses mouvements, par son excitation ou par les vapeurs
qu'elle envoie au cerveau.
Ambroise PARÉ admet les deux mécanismes : " Suffocation de matrice,
dit-il, est ablation de libre inspiration et expiration, qui vient ou
pour ce que l'utérus gonfle et s'enfle, ou pour ce qu'il est ravi et
emporté par un mouvement forcé et comme convulsif à cause de la
plénitude de ses vaisseaux.
" Les symptômes de cette suffocation, dit-il-d'autre part, résultent de
la montée de vapeurs corrompues s'élevant vers le' foie, le coeur ou le
cerveau. La matrice leur semble monter jusqu'à la gorge, les voulant
étouffer et étrangler. Les vapeurs- montent quelquefois jusqu'au
diaphragme, au poumon et au coeur, ce qui fait que la femme ne peut
respirer, Si lesdites vapeurs montent jusqu'au cerveau, causent
épilepsie, catalepsie, etc.. "
Au XVIème siècle encore, FERNEL prétend que contrairement à ce qu'a dit
GALIEN, la matrice se déplace ; il a senti cet organe remonter sous sa
main jusqu'à l'estomac.
Avec SENNERT ce sont des émanations utérines; mais non des humeurs
corrompues qui s'élèvent de la matrice; ce sont des vapeurs subtiles,
aura vel spiritus ces vapeurs s'appelleront avec Sydenham, les esprits
animaux; et plus tard le fluide ou l'influx nerveux c'est déjà le
prélude de la théorie nerveuse.
Bondissement de l'utérus comme un animal, humeurs corrompues venant de
lui et montant dans les organes, vapeurs subtiles gagnant le cerveau
par le système nerveux, sous ces diverses conceptions, la doctrine
utérine règne seule et sans conteste jusqu'au début du xvii ème siècle.
Cependant les nombreuses épidémies de démonomanie qui, surtout à partir
du .xiii ème siècle, désolèrent le moyen âge, troubles psychiques et
hallucinations collectives auxquels s'associaient des crises d'hystérie
émotive, si on les avait observées sans idée préconçue, eussent permis
de dégager la vérité et d'établir l'origine psychique de l'hystérie.
Mais la croyance au diable, aux sorciers, à la possession, encore
partagée par WILLis qui écrivait en 1680, aveuglait les esprits et
pervertissait l'observation scientifique.
A partir du xVii ème siècle, l'étiologie utérine trouva des
adversaires. Charles Lepois de Pont-à-Mousson plaça le siège de
l'hystérie dans l'encéphale ; une abondante sérosité qui s'y épanche,
une infiltration du cerveau par le colluvies serosa constitue la lésion
causale. L'utérus n'est plus le foyer de cette maladie. Lepois
rapproche l'hypocondrie de l'hystérie ; il décrit une hystérie
infantile, une hystérie masculine, et une hystérie sénile. Outre les
crises, d'autres manifestations d'origine nerveuse et cérébrale
appartiennent à cette maladie. Il signale la paralysie hystérique et
les tremblements qui la précèdent, il relate une observation d'attaque
suivie d'anesthésie, de surdité et de cécité hystériques; il rattache à
l'hystérie une observation de ptyalisme.
C'est donc la conception d'une maladie qui n'est plus une simple crise
d'origine utérine, mais qui émanant de l'encéphale, peut affecter
plusieurs domaines nerveux.
Cette conception est acceptée par WILLIS en 1667 ; il décrit la toux
hystérique, les spasmes laryngés avec cris et aboiement, la gastralgie.
Le domaine de l'hystérie fut surtout agrandi par SYDENHAM en 1681. Elle
est pour lui la plus fréquente des maladies chroniques, surtout chez la
femme. Ce n'est pas la matrice qui en est cause. Il s'agit du désordre
ou mouvement irrégulier des esprits animaux, lesquels se portant
impétueusement et en trop grande quantité sur telle ou telle partie, y
causent des spasmes et troublent les fonctions des organes.
Traduisez mouvement irrégulier des esprits animaux par troubles dans la
distribution de l'influx nerveux, désordre de l'innervation, et vous
aurez presque la "conception moderne. Elle est aussi dans la
description clinique de SYDENHAM : Elle cause presque toutes les
maladies qui arrivent au genre humain ; car dans quelque partie du
corps qu'elle se rencontre, elle produit aussitôt les symptômes qui
sont propres à cette partie. Et si le médecin n'a pas beaucoup dé
sagacité et d'expérience, il se trompera aisément et attribuera à une
maladie essentielle et propre à telle ou telle partie des symptômes qui
dépendent uniquement de l'affection, hystérique. Quand j'ai examiné une
malade et que je ne trouve en elle rien qui ne se rapporte aux maladies
connues, je regarde l'affection dont elle est prise comme une hystérie.
"
Cela ne semble-t-il pas écrit de nos jours ? SYDEnham décrit, comme de
nature hystérique, des hyperesthésies rachidiennes, le clou dit
hystérique, des paralysies, des hémiplégies succédant à une apoplexie
hystérique, la toux, les vomissements, le ptyalisme, des oedèmes
fugaces des membres inférieurs, certains troubles viscéraux,
pseudo-coliques hépatiques, néphrétiques, etc..
La crise, on le voit, n'est plus qu'une des manifestions de l'hystérie.
La doctrine encéphalique ou nerveuse de l'hystérie ne triomphe pas
définitivement avec Lepois, WILLIS et SYDENHAM. La doctrine utérine
continue à lutter avec elle jusqu'à nos jours. STAHL en 1724, HOFFMANN
en 1730, SAUVAGES en 1761 parlent encore de migrations utérines et de
rétention de liquide spermatique. Cette idée de pléthore spermatique
chez la femme trouve encore un défenseur autorisé en 1816 dans
LOUYER-VILLERMAY. Les causes les plus fréquentes de l'hystérie sont la
privation des plaisirs de l'amour, les chagrins relatifs à cette
passion et les dérangements de la menstruation. C'est une névrose dont
l'utérus est le siège.
PINEL avait classé l'hystérie dont les névroses des organes de la,
génération chez la femme.
En 1782 POMME, dans son traité des affections vaporeuses des deux
sexes, attribuait cette maladie au raccourcissement et au dessèchement
des nerfs. Il paraît d'ailleurs confondre l'hystérie avec la
neurasthénie et l'hypocondrie, comme l'avaient fait SAuvages, Sydenham,
Willis, Raulin, Robert
La lutte entre les deux doctrines continua longtemps
encore au xix ème siècle.
Tandis que GEORGET en 1821 et plus tard BRODIE défendaient la théorie
nerveuse cérébrale, Broussais et Dunois, d'Amiens, admettent l'origine
utérine.
Le traité de pathologie interne de Joseph FRANK (1826 à 1832) définit
l'hystérie comme une affection spasmodique vague venant de l'utérus.
En I845 l'Académie de médecine institua un concours sur l'hystérie et
décerna le prix ex-Squo à BRACHET qui soutenait la théorie nerveuse
cérébrale et à LANDOUZY qui rapportait l'hystérie à des excitations
parties de l'utérus et de ses annexes.
Cette intervention des annexes s'affirma plus nettement avec
ScHUTZENBERGER, en 1846. Ayant constaté l'ovarialgie et la possibilité
de provoquer des attaques par la compression des ovaires, il en
attribue la cause aux maladies de cet organe, congestion, inflammation,
dégénérescence, névralgie, irritation purement nerveuse. Cette nouvelle
conception utero-ovarienne, adoptée aussi par NÉGRIER est en rapport
avec les progrès de la physiologie. Il s'agit d'une action réflexe
nerveuse qui émane de l'utérus ou de ses annexes.
Il faut arriver à BRIQUET et à son traité de l'hystérie, paru en 1859
pour trouver la doctrine de l'hystérie bien établie sur 430
observations. Ce n'est plus une affection d'origine utéro-ovarienne,
elle peut-être masculine, comme SYDENHAM l'avait vu ; il en relate sept
observations personnelles ; c'est une névrose de l'encéphale
caractérisée surtout par la perturbation des actes vitaux qui servent à
la manifestation des sensations actives et des passions. Outre les
attaques de spasme, de convulsions, de catalepsie, de somnambulisme,
d'extase; de coma, de léthargie, de syncope, qui constituent une classe
de la maladie, qu'on appelle aujourd'hui l'hystérie paroxystique, il
décrit une série de phénomènes, dits aujourd'hui interparoxystiques qui
constituent sept autres classes : les hyperesthésies, les anesthésies,
les perversions de la sensibilité, les spasmes, les paralysies, les
perversions de contractilité, les modifications d'exhalation et de
sécrétion.
Le nombre de ces phénomènes hystériques, en dehors des crises, signalés
depuis et déjà avant BRIQUET, on peut dire depuis SYDENHAM, va
s'amplifiant tous les jours.
RAULIN avait noté le hoquet hystérique, POMME l'hémoptisie hystérique,
LASEGUE traite de la toux hystérique, de l'anesthésie et de l'ataxie
hystériques, de l'anorexie hystérique, des hystéries périphériques.
Le champ de l'hystérie ainsi successivement élargi par LEpois, WILLis,
SYDENHAM, BRIQUET, LASEGUE, l'est encore d'avantage :par CHARcOT et ses
élèves qui complètent l'oeuvre de BRIQUET. L'école de la Salpétrière
décrit les stigmates de l'hystérie, signes fixes permanents ;
l'hystérie paroxystique ou les crises, dont elle cherche à systématiser
les évolutions symptomatiques diverses qui se feraient dans un ordre
régulier et précis, enfin les accidents divers qui consistent en
d'innombrables troubles fonctionnels et viscéraux dont elle s'attache à
donner une nosographie minutieuse et précise. Ainsi serait constituée
la maladie complexe et protéiforme appelée hystérie qui échappe à toute
définition.
Telle est la doctrine que j'ai commencé à battre en
brèche dès 1891, mais qui dans ses grandes lignes est encore
universellement admise. Cependant la réaction a commencé contre
l'envahissement excessif du domaine de l'hystérie. J'expose dans ce
livre brièvement la conception classique, avec les manifestations
diverses qu'on rattache à l'hystérie ; je dirai ensuite comment je la
définis, et par quelle évolution à la suite de mes études sur la
suggestion, je suis arrivé à soutenir la thèse que je défends depuis
une dizaine d'années. Beaucoup de mes idées ont déjà été admises parla
Société de . névrologie, mais ma conception complète jure trop avec les
anciens errements et l'enseignement séculaire pour qu'on l'accepte sans
réserves.