Claude Savinaud
Aborder la question éthique du
Sujet en psychopathologie, c'est postuler que la psychopathologie n'est
pas une savoir objectif sur la « maladie » mentale, mais la manière
spécifique dont une « âme » en est affectée dans sa singularité.
Certes, il y a dans la souffrance psychique une part de déterminisme, à
quoi l'on se réfère en parlant de syndromes, de troubles mentaux, mais
on ne peut écarter la part contingente de l'implication du sujet dans
sa propre souffrance ou dans celle infligée à autrui. L'engagement de
l'individu dans ses conduites pathologiques, quelles qu'en soient les
causes, manifeste sa liberté, sa responsabilité et leurs limites, sans
lesquelles la dimension de « l'humain » disparaîtrait.
Ramener « l' humain » à cette dimension de contingence de l'action, ou
de la pensée, ce n'est pas nier l'appartenance des humains au règne
animal, pour lequel la biologie occupe la position d'un savoir
constitué sur l'étude expérimentale des fonctions de l'organisme liées
à l'espèce. La Médecine s'en préoccupe de plus en plus efficacement. Ce
n'est pas non plus ignorer l' anthropologie qui étudie la dimension
sociale de l'humanité structurée par des lois qui varient selon les
époques. Ces lois sont instituées dans le champ de la culture au sens
large du terme, produit de l'histoire et de la langue des groupes
d'appartenance dans lesquels l'individu s'inscrit. La culture d'une
société donnée, à un moment donné, détermine la relation de l'homme à
sa maladie, la compréhension qu'il en a, le sens qu'il lui donne.
(chamanisme,etc...) Ce à quoi la psychologie peut objecter que
l'histoire comme la langue sont vécues subjectivement avant d'être
perçues objectivement. C'est leur appropriation singulière qui
constitue le Sujet .
C'est donc prendre en considération en plus, dans un champ qui est
proprement celui de la psychologie, le fonctionnement psychique comme
une donnée irréductible aux autres paramètres du paradigme humain.
L'homme « pense », sans qu'on puisse établir encore avec certitude
comment cette pensée qui lui est propre résulte de ses habitudes
acquises, de ses besoins innés, du fonctionnement de son appareil
neuronal qui vise à établir un équilibre entre les deux catégories de
phénomènes dans leurs relations avec l'environnement, ou de tout autre
chose. Mystère du chemin tracé par la pensée de l'homme, entre son
désir et ses conduites, qu'on ne peut sérieusement réduire à un sillon
dans le lobe pariétal en couleur verte sur fond d'I.R.M.
Cette prise en compte supplémentaire de la pensée n'implique pas pour
autant la réduction de l'homme à un « cogito »; il n'y a pas
d'équivalence de l'humain à un savoir, une conscience, même au second
degré, consciente d'elle-même. « L'homme pense qu'il pense », mais
c'est une perspective de mise en abîme, à moins d'imaginer que penser
que l'on pense viderait du même coup la pensée de tout contenu, en
ferait une fonction sans objet : penser la pensée comme pensante.
(n'est ce pas l'intention de la pensée mystique de tendre à la
contemplation de l'être au delà de tout contenu représentatif?).
Penser, c'est toujours penser à quelque chose, même si cette chose
n'existe pas (concept), n'a pas d'image (l'irreprésentable) ou de nom(
l'innommable). Ce que semble montrer le phénomène psychopathologique,
une pensée qui s'ignore, n'est pas une ignorance de la pensée,
autrement dit un défaut de l'appareil cognitif à appréhender certaines
choses par manque d'habitude, d'apprentissages, par méconnaissance des
besoins ou des exigences de l'environnement. C'est sur cette hypothèse
que va s'orienter notre discussion . Après avoir défini ce que nous
entendons par Éthique à partir de situations critiques dans le champ du
soin nous montrerons leur exemplarité pour délimiter une approche
soutenue par la psychanalyse parmi d'autres perspectives inscrites dans
une orientation « pragmatique ». Puis nous situerons la problématique
du Sujet entre science et philosophie, dans cette interface où
s'inscrit la psychanalyse, comme théorie et comme pratique.
Enfin, nous reviendrons sur la psychopathologie en la séparant d'une
perspective purement médicale dans laquelle la taxinomie des troubles
évacue la question de l'organisation et de la dynamique psychique.
Dans un deuxième temps, deux thèmes seront abordés successivement:
1- : "la démarcation de l'éthique psychanalytique en psychopathologie
par rapport à la question de la technicité du soin ; la "dépossession"
de son acte chez le soignant dans un contexte de rationalisation
économique de la Santé". 2- :" qu'est ce qu'une interprétation juste?
", abordant avec la psychanalyse le champ de l'herméneutique qui va de
la subjectivité individuelle à la morale sociale en passant par le
politique. En repartant d'Aristote et de Platon jusqu'à Marx et Lacan.
Éthique...
Mais auparavant, tentons de définir la notion d'éthique dans notre
questionnement du Sujet en psychopathologie. La notion d'éthique
découle d'une appréhension de la distinction, essentielle chez l'Homme,
entre ce qui est bon et ce qui est mauvais. L'éthique, telle qu'elle
apparaît chez un philosophe comme Aristote, n'est pas une connaissance
théorique établie sur des principes , le Bon, le Juste, qui seraient
définis dans leur essence. Elle ne se présente pas comme un savoir sur
des invariants qu'il faudrait apprendre à discerner intellectuellement
pour les appliquer mécaniquement. C'est une « science pratique », c'est
à dire une mise à l'épreuve de la manière dont un Sujet, dans telles ou
telles circonstances, peut acquérir les qualités nécessaires à la
réalisation de cet Idéal, la mise en œuvre du bien. La vertu, objectif
cardinal du « devenir homme » chez les Grecs, n'est pas une idée, une
catégorie de l'entendement, mais une manière de faire jouer les
dispositions du caractère, de l'intelligence pour résoudre les
problèmes de l'imprévisibilité du cours des affaires humaines, de
l'irréductibilité des situations singulières aux règles générales, en
matière morale ou politique. On peut ainsi établir une distinction
entre la Morale, qui résulterait de l'observance des règles générales
de vie en société, et l'Éthique, qui vise à se forger personnellement
dans chaque situation une aptitude au discernement, correspondant au «
moindre mal », dans le sens d'éviter l' excès, l'ubris. Chez les grecs,
l'excès était considéré comme une rupture par rapport à l'ordre social
ou cosmologique. Pour ne citer qu'un exemple contemporain évident où
l'éthique se distingue de la morale:
- moralement, toute personne en danger de mort doit être secourue.
- Cependant, les soins aux personnes en fin de vie peuvent constituer
une atteinte à leur dignité par un prolongement artificiel des
fonctions organiques au delà d'une déchéance ou d'une mort clinique. La
définition de la reconnaissance objective de la mort clinique fait
l'objet d'un débat entre spécialistes. Une discussion sur la déchéance
ne peut occulter l'implication du soignant à titre personnel dans
l'appréciation de l'état du Sujet, et encore moins de la manière dont
ce Sujet singulier peut vivre cet état. (dire: « j'en ai assez » ne
signifie pas forcement : « je souhaite en finir »)
- Cette implication induit une réflexion éthique dans laquelle le souci
de l'autre, à entendre non seulement comme le prochain, mais aussi
comme ce qui échappe à notre compréhension, ou ce qui fait appel à
l'altérité du collectif au delà des convictions personnelles, prime sur
le strict respect de la règle établie du « primum non nocere », sans
pour autant l'abolir.
- La qualité de la vie, notion éminemment subjective, devient une
considération aussi importante que l'existence de cette vie ; cette
équivalence est rendue possible par les moyens technologiques dont on
dispose, qui outrepassent les limites de ce qu'on a coutume d'appeler
la « mort naturelle ». Peut -on pour autant la définir à partir de
critères objectifs, comme par exemple un certain nombre de « facteurs
discriminants »? C'est toute la question d'une méthodologie tendant à
quantifier la qualité à partir des critères de probabilité d'opinions
favorables ou défavorables. Cette technique du »sondage » doit être,
comme une autre, épistémologiquement et éthiquement questionnée sur sa
scientificité alléguée. Est ce que la réponse ne dépend pas d'abord de
qui pose la question, à qui elle s'adresse, et dans quelles conditions?
- N'importe quelle quantification n'est pas en soi un critère absolu de
vérité. La validation du mesurable va de pair avec une définition
préalable et contradictoire de l'objet de cette mesure. (ou alors, la
moyenne pondérée de la somme de numéros de plaques minéralogiques des
véhicules sur un trajet pourrait être un indicateur de l'état des
routes!) On peut aussi prolonger ce questionnement dans le champ des
suppléances technologiques à la diminution des capacités physiques ou
psychiques par des prothèses nanotechnologiques (puces) pouvant être
implantées dans le cerveau. Si certaines atteintes organiques de la
capacité mémorielle ou psychomotrice pourraient bientôt être corrigées
par ce moyen, on peut s'interroger sur l'opportunité, soit de la «
booster » chez des personnes normales pour améliorer leurs
performances, ou sur le risque d'imposer à quiconque, par ce moyen, des
« souvenirs ou des gestes parasites ». Le « droit à l'oubli », ou à la
paresse, est aussi la condition d'une mémoire ou d'une action humaines,
subjectives parce que sélectives. Sous un autre angle purement
organique, le poumon, le cœur ou le rein artificiels ne semblent pas
avoir suscité de controverses sur les bienfaits de leur prescription.
Le gain de survie indéniable apporté par certaines prothèses n'ouvre
pas de « front secondaire » dans le combat pour le progrès utilitariste
proposé comme l'accès au Bien-être général. Si l'utilité de certains
soins (esthétiques, de performance sportive ou de confort) peut être
interrogée du point de vue sociétal, au regard du coût supporté par la
collectivité et ses priorités sanitaires, jusqu'où l'humain peut-il
être appareillé sans disparaître sous une robotisation artificielle qui
pourrait le déshumaniser?(cf : le personnage de « robocop » au cinéma)
Le fauteuil roulant, la communication assistée par ordinateur pour les
IMOC ne semblent pas avoir suscité de rejet chez les descendants des
chasseurs-cueilleurs que nous sommes, dont la survie était étroitement
liée à la locomotion et la communication dans le groupe. Il est
probable qu'une éthique collective compassionnelle a de tout temps
prévalu sur l'utilité matérielle de l'individu pour le groupe, pour ne
pas éliminer tout(s) ce(ux) qui est(sont) contraire à l'optimisation du
bien commun. Par contre, une ségrégation accrue semble accompagner le
progrès de la technicité, comme si elle pouvait assurer à elle seule un
tri « scientifique » des importuns en faisant l'économie du facteur
humain. Dans la mesure où nous pourrons bientôt modifier les propriétés
du corps humain par l'intervention sur les gènes, nous pouvons
envisager de subordonner ces modifications à la prévention des menaces
sur la société. Par exemple, comme le préconise une bioéthique
libérale, on pourrait provoquer des incompatibilités alimentaires aux
protéines animales, réduire la taille des humains par la pré-sélection
implantatoire d'embryons sous-dimensionnés, pour amener l'humain à une
moindre consommation de viande, facteur de réchauffement climatique,
etc... A partir du moment où une conduite est volontairement consentie,
et encouragée par des avantages pécuniaires dans le but de protéger les
populations de la planète, quel argument « moral » peut s'y opposer?
[1]On pourrait pousser l'allégorie en manière de paradoxe absurde, en
supposant qu'on aura peut-être aussi des troubles de l'identité à
traiter quand on réalisera les premières greffes de cerveau. A qui
l'attribuer : au donneur d'organe, ou au corps du receveur? Faudra t'il
effectuer post-mortem une révision des pensées du donneur avant
d'effectuer l'implantation, pour ne pas disséminer des idées morbides
chez un receveur indemne et sans défense, pour cause d'ablation?
Doit-on en attendre des progrès dans les méthodes de lavage de cerveau?
La science-fiction a souvent traité de ce problème de société sur un
mode d'anticipation imaginaire qui projette un éclairage inquiétant sur
le futur. Les préposés à l'État Civil devraient probablement d'ores et
déjà suivre des séminaires d'éthique au cours de leur carrière ! Plus
sérieusement, on ne peut que reconnaître l'actualité, ou la permanence
des interrogations que l'Éthique suscite, car on commence à
s'apercevoir qu'il n'est pas de pratique de la modernité qui n'ait un
impact sur notre statut d'humain comme Sujet et comme Citoyen. Dans le
modèle de société démocratique occidentale qui tend à s'universaliser,
le second suppose toujours le premier, sans s'y réduire. L'organisation
politico-économique qui en assure la gestion ne peut proposer d'autre
référentiel que l'individu pour mesurer les écarts entre les valeurs :
le bien de tous se réduit à celui de chacun, qui occupe dès lors une
position de force, un pouvoir exorbitant de blocage dans toute
hiérarchisation de l'action. C'est le point limite d'une
démocratisation qui vise à faire de la volonté de l'individu la
référence ultime du système. ...
du Sujet...
Mais l'Individu n'est pas le Sujet. On peut se demander si la promotion
de l'Ego par l'individualisme libéral ne risque pas à terme, de
compromettre la pérennité du second. Une définition ontologique de ce
troisième terme ,« Sujet », a été tentée par la philosophie selon
plusieurs angles :
- L'aliénation, concept Hégélien définissant le rapport dialectique
entre le Sujet et l'Objet, fait référence à sa dépendance aux préjugés
dans sa saisie du monde. Le Moi ne peut que s'aliéner les objets pour
se constituer en figure objectivée, ce qui le rend immédiatement
étranger, autre, par défaut d'accéder directement à la vérité de son
être. Selon Hegel, la subjectivité individuelle n'est qu'une partie
d'un Sujet absolu qui nous serait restitué comme la résultante de
l'aperception globale du réel, que nous ne saisissons jamais que comme
l'image d'une partie de nous-même. D'où la nécessité d'en revenir à
l'expérience immédiate, phénoménologique : ressentir la chose telle
qu'elle est en elle-même dans sa vérité, pour en retrouver intimement
le sens, avant de la penser.
- La fonction de l' Ego cartésien, lieu de la co-(n)naissance à priori,
apparaît dès lors comme un moment négatif d'un processus
d'humanisation, fermeture à l'autre et à la Vérité. Il est le temps
logique de l'annulation de l'objet précédant le retour à une ouverture,
à une formulation nouvelle dans l'universel.
- Cette réflexion hégélienne rejoint la psychanalyse quant au rôle
d'illusion de l'Ego, du Moi qui se défend contre des désirs
inacceptables. C'est la négation (verneinung) qui constitue
l'Inconscient à partir des souvenirs refoulés qui en forment le fond
représentatif. Ce refoulement est fondamental pour maintenir l' unicité
du Moi, sa cohérence. Freud avait mis à jour les phénomènes
inconscients (lapsus, rêves, mot d'esprit, actes manqués, symptômes)
comme l'expression de la pulsionnalité et de ses représentants siégeant
dans une instance (Çà) séparée du Moi. Ce Moi réduit à la
conscience-perception, n'est que le siège des conflits entre la
pression pulsionnelle et la réalité extérieure, à laquelle vient se
substituer très tôt la conscience morale, le Surmoi, d'origine sociale.
- Enfin s'intégrait, avec cette notion de conflit interne, la
pathologie dans un continuum avec la « normalité » de la vie psychique,
qui permettait d'appréhender le « sens » du symptôme restitué dans le
phylum de son histoire et non rejeté dans le « hors sens » d'un organe
lésé, ou d'un appareil cognitif atrophié. Il s'agit là d'une position
éthique, par laquelle la folie ne soustrait pas le malade de son
humanité, mais l'y dépose comme témoin d'une conflictualité essentielle
à tous, manifestée à chaque fois de façon singulière.
- Avec Lacan s'instaure le rapprochement du sujet de l'inconscient avec
le Sujet de la philosophie, dans l'usage même du concept de « Sujet
désirant », « Sujet parlant », dans une équivocité qui rejoint la
philosophie Hégélienne et son prolongement phénoménologique. Le Sujet
est assujetti au discours, mais il le réalise en se disant, et
réciproquement, il se réalise en acte de parole. Reprenant ainsi de
Freud l'expérience de la pratique psychanalytique comme « talking cure
», il logifie la proposition freudienne d'une prédominance de
l'articulation littérale sur les contenus perceptifs mémorisés dans
l'Inconscient. Si le souvenir refoulé est agissant au présent, c'est
parce qu'il s'articule « comme » un langage, qui reste à décripter.
...en psychanalyse.
Aujourd'hui, cette façon psychanalytique d'aborder la question de la
souffrance psychique est gravement mise en cause.
Par le fait, une critique radicale de la psychanalyse, au demeurant
tout à fait justifiable dans la confrontation générale des idées,
trouve son acmé dans les présupposés éthiques qu'elle véhicule. Il
s'agirait ici d'en discuter le bien-fondé en dépassant le caractère
anecdotique de certaines récriminations, touchant les personnes de ses
fondateurs, les institutions qu'elle engendre ou dont elle dépend,
toutes choses fortement contextuelles au regard des fondements d'un
courant de pensée majeur qui marque la culture au delà de son époque.
Si Lacan s'est fait le pygmalion de l'Éthique en psychanalyse dans les
années 1959-1960, ce n'est pas pour se poser en moraliste mais pour
fonder de nouveau ce qui fait l'incise de la psychanalyse, sa
subversion dans le discours bien-pensant d'une certaine forme de
réification de la condition humaine. La banalité ou la trivialité de la
pensée post-freudienne, qu'il dénonçait à l'époque, s'avère, avec le
décalage, si largement entrée dans les mœurs qu'on pourrait se demander
laquelle a précédé ou suivi l'autre, de la socialisation du discours
psychanalytique ou de la « psy-canalisation » du discours social. Il
n'est pas jusqu'au discours médical et principalement psychiatrique
auquel elle n'ait étendu son influence. [Ce fût certainement pour son «
bien », car l'aliéniste du XIXème siècle avait surtout réduit le monde
de la folie à celui d'une dégénérescence ou les préjugés sociaux et
moraux avaient valeur de préceptes doctrinaux : la folie, séparée de
l'indigence par Pinel, demeurait une tare génétique irrémédiable qui
définissait « scientifiquement» la condition de l'exclusion]. Cette
fausse adaptation aux normes sociales, fondée sur le malentendu, trouve
aujourd'hui, dans ces lieux de soins, son point de rupture comme si
elle se retournait contre sa source, son origine, l'observation
clinique en médecine. Au nom de la mesure de son efficacité, de la
vérification scientifique de ses théories, il y a en médecine
post-moderne une volonté de débarrasser la psychopathologie de
l'hypothèse prétendue « invérifiable » de l'Inconscient, de l'inter
subjectivité qu'elle promulgue, de tourner le dos à la démarche
clinique globalisatrice pour fonder enfin une science de l'homme sans
Sujet, sur les découvertes de la génétique et de la biologie
moléculaire, relayée par les sciences du comportement.
Ainsi, le redécoupage des grandes entités nosographiques en profils de
personnalité corrélés à des comportements déviants normés[2], ou le
regroupement de troubles du comportement vaguement définis en grands
ensembles descriptifs aux contours flous[3], procèdent d'un
démembrement de la pensée clinique, sous prétexte de transcender des
théorisations divergentes. Pour faire consensus, on prend comme
dénominateur commun une représentation factuelle de la folie qui en
supprime toute l'intensité dramatique, mais on ne dit pas que cette
conception est sous-tendue par une théorisation minimaliste qui prévaut
sur toutes les autres conceptions, le behaviorisme watsonien, ni
qu'elle sert à la promotion d'un commerce lucratif : les psychotropes.
On oublie que la souffrance, l'angoisse, sont probablement les choses
qui relient le plus un homme à un autre. Les incertitudes des affects
font aussi très peur dans une société aseptisée; on serait en passe de
les codifier, à défaut de les interdire. Le paradoxe de la modernité,
c'est l'exigence du rétablissement sous contrôle d'un lien social
normalisé tout en accentuant les facteurs de discrimination,
d'exclusion. Nous entrons ici en débat avec une deuxième source
philosophique qui nous est proposée dans la question éthique
contemporaine, celle de Kant pour qui il faut agir « en sorte que la
maxime de ton action puisse être prise comme maxime universelle ». Il
s'agit de faire que la volonté individuelle se plie à l'application
d'une règle logique qui ne peut que valoir pour tous. La loi qui y
préside n'est pas une loi sociale, mais une loi subordonnée à un ordre
naturel défini par la science, qui doit surpasser les intérêts
particuliers, donc évacuer tout affect qui infléchirait notre action.
Nous voyons bien en quoi une morale fondée sur ce qui serait
scientifiquement défini comme la « nature humaine » nous assurerait à
tout coup d'une définition des règles pour atteindre le Bien, mettre la
Raison en action contre le Sentiment, facteur de trouble par
l'immixtion du particulier, du subjectif. Mais nous percevons
immédiatement qu'aucune société ne pourrait s'en prévaloir
véritablement, car elles sont construites sur leur transgression.
Aurions nous l'inconséquence de les imposer aux autres sans les
respecter nous-mêmes, comme on le voit actuellement, au nom de valeurs
universelles comme par exemple « les droits de l'homme », la liberté de
circulation des biens et des personnes, voire du droit de jouir du
corps d'autrui comme bon nous semble en acceptant la réciprocité(Sade)?
Car les moyens de coercition, pour en assurer les impératifs auprès de
ceux qui s'y refusent, iraient en contradiction avec l'idéal éthique
projeté : ce serait instaurer la tyrannie du Bien. La psychanalyse,
comme expérience du Réel, montre que ce bien n'est que relatif au pire
auquel il prédispose. La satisfaction (befriedigung) de la pulsion
n'est pas un but recherché directement, en quoi elle ne viserait que la
disparition de l'objet et de son corrélatif : le Sujet de ce proces.
Elle résulte plutôt d'une trajectoire interne au psychisme visant la
réduction de la tension par son intégration dans la « réalité psychique
» à travers le fantasme qui soutient le désir. Le plaisir, qui est au
principe du fonctionnement inconscient, ne peut s'atteindre que
marginalement, dans la « dérive » de l'instinct hors d'un
assouvissement total dans la consommation de l'objet. C'est dans ce
discord entre plaisir et jouissance que l'humain trouve son point
d'origine, le désir, qui se construit sur le manque et doit en passer
par la demande[4]. C'est là son drame, son pathos qu'aucune orthopédie
ne saurait corriger. Il y a là une faille, que Freud a théorisée sous
le nom de complexe d'œdipe, manière de symboliser par le mythe les
difficultés, essentielles, à saisir dans une rationalité cohérente
l'histoire individuelle et collective. Lacan en a repris la structure
en l'articulant avec la dépendance de l'humain au langage. Le langage,
c'est l'Autre de l'humain, par lequel il est déterminé dans son être
comme Sujet séparé de la jouissance de la Chose. A contrario, on
assiste actuellement à travers le « comportementalisme » à la promotion
universelle d'une conception « utilitariste » du Bien, comme la
régulation de ce qui peut s'échanger entre les hommes pour concourir à
satisfaire leurs besoins supposés « naturels », s'acquérir par des
comportements consommatoires adaptés, par l'apprentissage. Le Bien
dépend de l' accumulation des objets pour pouvoir en disposer. Mais ce
que la psychanalyse repère dans la relation rivalitaire au prochain,
cette accumulation de « biens », n'a d'intérêt pour l'homme que si elle
sert à en priver l'autre, puisque c'est cette différence entre ceux qui
les ont et ceux qui ne les ont pas qui fait toute leur valeur
symbolique. Leur coût sert d'outil de mesure de l'échelle des valeurs
qui s'en trouve objectivée dans la valeur ajoutée que ces biens
produisent. La morale néo-libérale met en perspective cette « valeur »
au niveau d' une doctrine sociale générale : « le profit de l'un fait
l'enrichissement de tous ». De là à proposer qu'à un certain niveau du
processus, le droit de l'homme à disposer de lui-même ne puisse se
réaliser que par sa totale dépendance à la dévaluation de son travail
salarié, ou comme déchet de cette sur-consommation de biens
manufacturés...
I - TECHNICITE ET DEPOSSESSION SUBJECTIVE DE L'ACTE
SOIGNANT
Que voyons nous aujourd'hui s'instaurer sous les auspices de
l'impératif kantien ? - l'État assure une codification universelle et
chiffrée des « bonnes pratiques »
Il s'agit avant tout d'élaborer la manière la plus opérationnelle de
réduire le désordre que représente la maladie, l'erreur de la nature
que traduit la morbidité du symptôme, mais aussi la dépense de temps
liée à la dimension humaine du soin, dans une perspective de réduction
des coûts de la politique de santé publique.
L'éthique soignante, en ses principes, vise l'amélioration générale du
bien-être de la personne en souffrance. Ce bien-être va au delà de la
réparation technique du corps lésé, en ce qu'il concerne la personne
toute entière. La douleur par exemple, longtemps appréhendée comme
inhérente à la maladie, voire comme signe indispensable d'un processus
évolutif, peut aujourd'hui être soulagée efficacement indépendamment de
l'évolution de la pathologie. Le soignant doit non seulement porter
toute son attention à son expression mais aussi solliciter le concours
du malade pour participer à son évaluation. Il n'est plus un objet de
soin mais un partenaire privilégié dans la lutte contre « la maladie »
conçue comme un désordre dans le bien-être général.
Pour obtenir cette coopération, on doit aider le malade à collaborer
activement au soin, le « responsabiliser » en lui transmettant les
informations qui concernent sa maladie. Le dossier de soin devient un
outil de communication et d'échange dans lesquelles chaque membre de
l'équipe soignante s'engage à assurer la transparence de ses actes,
partager les choix thérapeutiques, enregistrer le désaccord éventuel du
malade et tendre par l'explication rationnelle à sa réduction,
transmettre de façon efficace l'essentiel de l'information. Cette
contractualisation du soin met le soignant en position de demandeur
d'une aide qu'il doit maîtriser avec les techniques de communication
issues du marketing. Ce qu'il perd de son pouvoir, de son savoir-faire
ou de son prestige face à un malade en position d'infériorité, il doit
le reconquérir non seulement par son « faire savoir » mais par la
vérification immédiate de son efficacité. Le soignant doit donc mener
de front deux impératifs catégoriques, réussir à traiter efficacement
et se faire comprendre, voire accepter comme allié du patient qui
jugera de la « qualité du soin ».
Nous avons donc à faire face à deux obligations :
1) utiliser sans réserve mais avec souci d'économie tous les moyens de
traitements efficaces
2) obtenir le consentement « éclairé »du patient vis à vis des risques,
en faire un partenaire, le prévenir des séquelles et se porter garant
de leur limitation au minimum.
Commentaire : la libre disposition pour
le soignant de ses outils techniques, de son jugement personnel sur les
actes qu'il doit accomplir et les raisons pour lesquels il les
effectue, ne peut être qu'une source de défaillances potentielles,
d'excès de zèle ou d'inopportunité, au regard d'une administration de
la Santé qui assume la position de responsabilité civile et pénale, et
s'en dégagera le cas échéant par la mise en cause individuelle du
professionnel au regard de normes de qualité consensuellement
approuvées. Il est inutile de rappeler ici quelles sont les contraintes
budgétaires, d'accréditation des services et de notation des
établissements de santé. D'où la mise en place de « programmes »
d'hygiène, de training à la gestion du personnel, de schémas
d'organisation hiérarchique, de notes de service visant à éliminer les
sources d'erreurs, les interprétations personnelles des règlements, les
attitudes subjectives pouvant introduire des points de litige.
Devant une telle mise en tutelle de la « geste soignante », la position
de repli ou de sauvegarde consiste à s'abstenir de toute initiative,
automatiser la pratique, voire peut-être faire jouer la concurrence,
mise en route par les évaluations qualitatives dans un cadre de
promotion professionnelle et personnelle. Ce style de management issu
de l'organisation de la production industrielle et de la démarche
commerciale peut avoir des effets bénéfiques à court terme sur les
comptes d'exploitation, la mobilité des personnels et leur adaptation
rapide aux changements d'organisations, mais aussi quelques
conséquences tératogènes dans la pratique et dans la vie
professionnelle et collective:
- La compétitivité pour améliorer les coûts de production entraîne la
compétition entre équipes ou membres de chaque équipe, laquelle dissout
les sentiments d'appartenance à la collectivité, au service du public.
-Chaque soignant est dissocié de sa condition d'humain faillible, dans
laquelle le patient pourrait lui-même se reconnaître. Pas plus que leur
corps, leur esprit ne leur appartiennent, sauf à en faire une entité
étrangère manipulée de l'extérieur par un service de gestion des
ressources humaines, ils ne peuvent non plus faire face à la
singularité de la confrontation à l'expérience de la souffrance. (le
turn over des soignants et leur mobilité introduisent dans les soins
une discontinuité dommageable à l'établissement d'une relation durable
soignant-soigné).
-Collectivement ou individuellement, la déchéance, la souffrance et la
mort devient ce qui fait obstacle à l'illusion d'immortalité, de
toute-puissance, elle est évacuée du tableau de la vie hospitalière,
parfois c'est le patient lui-même qui est considéré comme un « intrus »
dans le système de santé. Quand nous voyons ces nouvelles normes
sanitaires transférées au domaine de la Santé Mentale, nous ne pouvons
qu'enregistrer leurs incompatibilités avec une approche psychanalytique
de la psychopathologie:
1)Sur la transparence:
- La révélation du diagnostic, première étape de la mise en condition
pour l'observance du traitement médical, vient s'opposer à une
conception de la pathologie comme émergence d'un conflit psychique : si
l'acquisition d'un savoir du patient sur la maladie somatique peut le
rassurer et favoriser une maîtrise du stress, l'hypothèse de
l'inconscient fonde la pathologie sur un non-savoir au centre du
Sujet[5], que les connaissances intellectuelles vont tendre à
recouvrir, retardant d'autant son émergence comme expérience de
l'altérité en soi et prolongeant indéfiniment le recours au symptôme.
La « demande » d'aide ne peut être pré-formulée mais doit être
acheminée dans les mots, ou dans les silences du discours du Sujet.
- La contractualité qui donne une place d'égalité dans l'échange entre
soignant et soigné ne peut être la même en pathologie mentale, non
parce que le « malade mental » serait incapable d'en assumer la place
pour des raisons d' incapacité intellectuelle, mais parce que le
principe même de la cure psychanalytique repose sur le transfert,
lequel suppose un savoir du côté du thérapeute pour se mettre en place.
Désamorcer ce déséquilibre par des manifestations d'ajustement du
rapport de place ne peut que renforcer l'impression d'une confrontation
d'individualités, là où le transfert s'institue sur une ouverture
offerte par la place « vide », in interprétable, du thérapeute. Ce vide
n'est pas une indifférence, une dérobade, mais une béance permettant à
ce savoir insu d'advenir. C'est parce que son « lieu » reste opaque que
l'interprétation du Sujet va s'y engouffrer, dévoilant dans ce
mouvement les éléments signifiants de sa problématique.
- La confidentialité est une règle fondamentale en médecine, concernant
la divulgation d'informations personnelles, mais elle est subordonnée
aux règles concernant le respect de la vie privée (par exemple, on peut
appeler quelqu'un par son nom dans une salle d'attente sans contrevenir
au secret médical, mais on ne peut divulguer à autrui le nom de sa
maladie). En psychopathologie, l'objet même du travail clinique
consiste en un discours dont le sujet lui-même ne possède pas la clé
(association libre). Si la règle de stricte confidentialité est
indispensable à la mise en place d'une relation de confiance entre le
patient et son thérapeute, elle ne suffit pas à préserver la parole de
l'usage qui pourrait en être fait par un tiers, par la personne du
thérapeute lui-même. Car cette parole est indissociable de son adresse,
et c'est la manière dont le thérapeute va en être investi qui va
déterminer la « résolution de l'énigme », la mise en signification des
symptômes. Il y a donc en plus du secret, une règle supplémentaire «
d'abstinence », de retenue par rapport à la jouissance, on peut même
accentuer le terme par sa disjonction en « jouis-sens », qui ne peut
être que le fruit d'un travail personnel du thérapeute sur son rapport
à celle-ci. Que cette position de thérapeute soit difficile, voire
intenable, n'empêche pas quelqu' UN remplissant cette fonction,
reconnue par quelques AUTRES, de se proposer à l'assurer, à condition
de savoir au moins à quoi il s'engage.
- Le partage des « informations » entre soignants dans le travail
d'équipe souffre d'autant de limitations que celles dues au respect du
secret professionnel. Là où le médical enjoint à chaque « technicien »
de fournir une part de connaissance aux autres à partir de son champ
d'expertise, la pratique d'une psychopathologie d'orientation
psychanalytique met en avant le partage du manque à savoir, de l'effet
révélateur d'avoir à en dire quelque chose de son rapport singulier à
ce « réel » du symptôme, à ce qui échappe à l'emprise du langage. Il
s'agit de cerner cette béance à travers une parole singulière, dans le
collectif d'une réunion de synthèse comme dans une supervision de
groupe ou individuelle, et non d'apporter une superposition de couches
de savoir, de démultiplication de points de vue pour asseoir une «
compréhension exhaustive du malade ». Cet accueil de la singularité
suppose la mise en place des conditions minimales de neutralité
requises par le dispositif analytique, et rarement obtenues dans un
cadre institutionnel régi par une tutelle administrative omniprésente.
- Dans le même champ, la dissociation de la demande du patient et de
celle de son entourage fait partie des conditions de respect de la
singularité de l'écoute, de la reconnaissance d'une place pour le
Sujet.
Si le modèle médical, révisé à la « sauce » épidémiologique moderne,
prend en compte l'implication environnementale au titre de la
prophylaxie, comme pour les épidémies virales ou microbiennes, c'est
pour en faire un problème de régulation de la charge économique ou
éducative de la pathologie mentale, d'insertion sociale du handicap, et
non un problème d'inter-subjectivité conflictuelle. Il y a, cependant,
nécessité à penser le concept psychopathologique dans ce sens comme un
ensemble de représentations psychiques (au sein du couple, de la
famille etc..) qui interagissent entre elles. Chez l'enfant,
l'adolescent, cette nécessité fait loi au sens de la protection des
mineurs. Mais elle est aussi sous-tendue par certaines hypothèses
heuristiques quant à la généalogie des troubles. Bien souvent les
parents, les proches, doivent être entendus séparément dans leur
souffrance particulière, par un dispositif pluraliste de modes
d''approche, ou au contraire en se centrant sur l'interdépendance
groupale comme objet du traitement (thérapies familiales). La question
de la différenciation entre les demandes n'est pas réglée, comme on
pourrait le croire naïvement, par l'obtention d'une séparation physique
du patient « symptôme » de son environnement, et il est souvent
nécessaire de moduler ce processus (par un travail psychique) de
séparation plutôt que de l'imposer physiquement d'autorité. Mais il est
parfois impossible d'en envisager l'hypothèse, tant la famille peut, ou
successivement ou alternativement, se sentir responsable des troubles
et détachée de toute implication. La paradoxalité de la situation est
incontournable car elle est nourrie de l'ambivalence fondamentale
humaine. L'ignorer serait une forme d'aveuglement par rapport à sa
résonance dans sa propre expérience intime. Il est parfois étonnant de
constater un déni de l'importance de la relation parent-enfant sous la
demande de rééducation des dysfonctionnements mentaux, comme si
l'enfant « à problèmes », à partir du moment où on n'arrive pas à s'en
rendre maître, est destitué de sa place d'enfant pour ne devenir qu'un
problème, demandant une résolution mécanique et non affective (cf:
comme l'indique le nom d'une association comme « Vaincre l'Autisme »,
ou par ex. l'incompréhension suscitée par le praticien qui demande à
une mère si elle a désiré son enfant lors de la grossesse).
- dans cette voie, on ne peut que souligner la surenchère morale et
juridique dans la « prévention » des adultes, au double sens de
protéger et d'être prévenu (voire inculpé) des risques, ce pourquoi on
prive alors l'enfant des manifestations affectives considérées comme
des débordements confinant à l'abus, que l'on va rechercher de façon
inquisitoire, au mépris du respect de l'intégrité des personnes. Les
sévices corporels à enfant ont été considérablement judiciarisés ces
derniers temps. Non seulement toute intervention d'un adulte sur le
corps d'un enfant est aujourd'hui suspectée de violence, mais on est en
passe de « sanctuariser l'enfant » au point d'en interdire tout
rapprochement affectif au nom du risque d'abus sexuel. On peut se
demander légitimement si nous n'assistons pas à une « réalisation » du
fantasme incestueux (au sens de le rendre réel dans toute intention),
alors même que les théories behavioristes s'instaurent sur un démenti
formel de sa pertinence comme élément fondamental, décrit par la
psychanalyse, dans la structuration du désir humain. Un discours
ultra-hygiéniste interprète toute marque d'affection comme signe de
déviance. L'automatisation des sanctions, la déconnexion du discours de
son registre conatif au profit d'une dénotation iconique, comme on le
voit dans les méthodes cognitive-comportementales, s'adaptent
parfaitement à des processus de déshumanisation du lien qui pérennisent
les processus défensifs à l'œuvre dans les symptômes les plus
régressifs. La privation de ces marques d'attachement indispensables au
développement infantile concoure à renforcer la pathologie (troubles du
comportement) dont elle est un élément déterminant, alors même qu'elle
est censée les réduire. On peut parler de « complaisance praxique » de
la méthode rééducative à la problématique du « handicap », à l'instar
de la « complaisance somatique » qui lie l'organe lésé à la souffrance
psychique chez l'hystérique. C'est cette adéquation de la technique aux
modalités d'expression du trouble qui lui confère son éfficacité dans
le cadre restreint de l'aménagement symptomatique, et la reconnaissance
de sa valeur opératoire dans ces limites définies.
2) Sur la technicité
:
A partir du moment où la rationalisation du soin repose sur la mise en
place de procédures standardisées, adaptées à une nomenclature
statistique de « cas » répertoriés, avec repérage des « incongruités »
(incompatibilités) entre symptôme et traitement, l'autonomie de
décision n'appartient plus au praticien, qui doit s'en référer à la
liste officielle des indications et non à son savoir-faire clinique
particulier acquis par expérience.
Ce qui était la règle hippocratique implicite de l'obligation de moyen
(tout mettre en œuvre humainement pour soulager le malade) devient une
obligation de résultat : c'est la gestion « à la performance », par
laquelle l'administratif dicte au médical le « bon usage » de son outil
de travail en fonction de l' épidémiologie officielle (classification
des signes pathologiques) directement corrélée aux normes économiques
du traitement approprié selon le rapport coût-efficacité. En lui
proposant d'être lui-même « acteur » de ses propres normes, en
participant à l'auto-évaluation et en en faisant un vivier
d'informations sur l'évolution du contrôle social sur la maladie, le
praticien dans ce champ est réduit à être l'auxiliaire d'une politique
économique libérale de Santé, c'est à dire de compétitivité qui, en
même temps, le laisse dans un statut de fonctionnaire déresponsabilisé.
Il doit produire des résultats chiffrés en fonction des objectifs
nationaux, régionaux etc... et se conformera donc aux résultats
attendus, voire les fabriquera de toute pièce. La pratique
psychanalytique, si elle veut rester fidèle à la conception
fondamentale de son champ d'intervention, l'inconscient, ne peut
prétendre chiffrer son effet, à moins d'entrer dans une pratique de la
réduction du symptôme. Elle souligne l'importance du symptôme comme
métonymie du Sujet du désir, et comme métaphore de son objet[6], et
l'importance d'en maintenir l'ouverture dans le discours du Sujet et
non l'objectiver. C'est ce qui pousse le Sujet au devant de (à la
rencontre de) son Être et souvent la justification de son existence.
On peut aussi entendre que, du point de vue du patient, ou de son
entourage, une telle ouverture n'est pas sa première préoccupation dans
sa demande, mais plutôt qu'on l'en soulage. Il semble même que cela
représente un « progrès » de civilisation, d'être débarrassé
illusoirement de tout ce qui peut entraver la jouissance, mouvement
déjà historiquement tangible dans les expériences totalitaires qui
peuvent servir de prototype (éradiquer le dissident, l'allogène,
l'impur, qui fait obstacle à la perfection du modèle). Ce à quoi la
psychanalyse promet l'avènement du pire si on renonce à la préservation
du désir singulier, en ce qu'il introduit un défaut, une faiblesse, un
manque au centre de l'être, répondant au manque dans l'Autre, et
assurant la pérennité du « Malaise dans la civilisation ».
3) sur l'influence :
La question de l'impact de l'influence bonne ou néfaste exercée par
quiconque sur le jugement du malade, considéré a priori en position de
faiblesse, fait partie de la déontologie médicale. Son autorité ne
rejette pas une certaine dose de persuasion pour l'engager sur la voie
de la guérison. Le « paternalisme » semble avoir perdu de son
magnétisme, et l'on s'achemine vers une contractualisation du soin sur
la base d'une explicitation des clauses pour donner le choix au
patient. Dans une perspective de consommation du soin, on peut comparer
une large gamme de traitements, des effets secondaires, des
inconvénients pécuniaires ou des astreintes temporelles, comme dans une
carte de restaurant, on peut opter pour le plat unique avec ou sans
dessert ou le menu gastronomique avec spécialités locales.
L' accès à une information largement diffusée par les médias (internet)
procure au malade la possibilité de négocier avec le praticien le
diagnostic, les examens complémentaires, le contenu de l'ordonnance, et
de changer de médecin à sa convenance. La suggestion opère selon les
mêmes règles que dans l'hypnose : la notoriété du prescripteur, la
communication ciblée sur des images fortes et répétitives, la
présentation d'un idéal de guérison sous des aspects de gains
immédiats. Il va de soi qu'une psychopathologie fondée sur la maladie
présentée comme résultant d' un déficit cognitif ou de mauvaises
habitudes acquises, implique une induction rééducative pour combler les
lacunes, corriger les comportements aberrants. La collaboration du
patient est requise, mais surtout dans le sens d'une réduction de la
dissonance, c'est à dire de la non-conformation de l'individu à ses «
intérêts » bien compris, ceux que la théorie du déficit ou de la
déviance lui pré-suppose. Le thérapeute et son patient doivent non
seulement en partager la conviction, mais aussi la renforcer
réciproquement par le constat du progrès du traitement.
II -
L'INTERPRETATION « JUSTE », UN ART DU BIEN-DIRE
Il est à noter que la psychanalyse s'est constituée à partir de
l'abandon de la pratique de l'hypnose.
Quand Freud a abandonné la recherche du trauma initial[7] dans les
souvenirs de ses patients pour la règle de « l'association libre », il
aurait détaché la pratique psychanalytique de tout endoctrinement
psychologique. Le patient est libre de « croire » ou ne pas croire à la
théorie qui la sous-tend. Le thérapeute est aussi convié à l' « oublier
» pour ne pas faire écran à « l'inouï » du discours du Sujet. De plus,
le constat d'une amélioration symptômale ne renvoit plus à un progrès
dans la cure, mais plutôt à une « résistance » au transfert. Une
réflexion épistémique traverse l'œuvre de Freud dans une dialectique
entre théorisation et élaboration progressive des pratiques, pour
aboutir à de véritables enjeux éthiques. Ainsi, contrairement à Jung,
il renonce à l'explicitation exhaustive du rêve, de l'acte manqué, du
symptôme selon une grille de lecture universelle, (le « symbolisme » du
rêve). La psychanalyse laisse place à la singularité du récit
s'appuyant sur l'effet en retour du discours « hic et nunc »,dans son
adresse à celui qui l'écoute. La vérité du Sujet qui tente de s'y
dévoiler n'est pas du ressort d'un savoir pré-conçu qui va combler son
ignorance, mais résulte d'un mi-dire émergent dans l'équivoque du
langage. Comme on peut opposer Savoir et Vérité, on opposera un langage
à fonction d'in-formation, de transmission de messages, à un langage
versus métaphorique, qui joue sur la pluralité des sens dans son
pouvoir d'évocation a priori illimité. Si la transmission de message
s'apparente à un enseignement, la « poiëtique» du maniement du
signifiant jusque dans le trébuchement, la déformation ou
l'incongruité, débouche sur une création singulière où le désir se
laisse piéger dans une forme changeante et toujours singulière.
Il est bien évident que la présentation de la psychanalyse sous cet
angle laisse un certain nombre d'interrogations en suspens. Bien rares
sont ceux qui viennent à la psychanalyse sans en avoir jamais entendu
parler, et leur représentations viennent vicarier l'objectif d'une
stricte neutralité quant à un contenu « idéologique » sous-jacent plus
ou moins introjecté.
La suggestion peut se reproduire à un autre niveau, social et culturel,
et conduire à une symptomatologie « nosocomiale » humoristiquement
décrite par Woody Allen dans ses films.[8] Un tel biais ne devrait
représenter qu'une difficulté passagère dans le champ d'une pratique
psychanalytique de la cure type, par le maintien d'un cadre strict
d'analyse de la demande qui en écarte progressivement les artefacts de
la reconnaissance sociale, du statut professionnel, ou de la mode pour
se centrer sur la souffrance réelle du Sujet. Travail de sculpteur, por
via di levare, qui dégage les couches successives de formations
symptomatiques pour accéder au noyau de la névrose.
Quand Freud en vient à s'interroger sur les limites entre ce qui est
remémoré et ce qui est construit en séance[9], il touche à une
véritable aporie de l'epistémé psychanalytique qui remet en marche la
question de la suggestion. En effet, Freud a toujours affirmé que le
récit du souvenir, ou le récit du rêve, n'est pas le souvenir ou le
rêve. Il en est toujours une reconstruction. C'est sur ces « vestiges
archéologiques » réutilisés dans une « architecture » contemporaine que
l'analyse porte son regard, pour reconstituer l'ensemble du « monument
antique », supposé préexister aux formes actuelles. L'infantile n'est
pas une « histoire » dont les faits passés peuvent trouver un semblant
de preuve dans l'anamnèse, mais un fantasme originel qui fait retour
parce qu'il structure l'organisation de la psyché.
Que le Sujet y amalgame des bribes de souvenirs, imaginés ou entendus
racontés par des tiers, n'est qu'une manière de s'en approprier le sens
de façon personnelle dans sa restitution à l'adresse de l'analyste. La
réalité projetée dans la séance n'est « que » psychique, elle fait
appel à une construction qui peut être le produit de l'évolution de la
relation transférentielle, sans qu'aucune vérification effective n'ait
d'incidence dans son cours. La vérité du Sujet peut surgir d'un énorme
mensonge sans pour autant que sa portée de transformation en soit
affectée. Le problème, c'est « d'y croire », et là s'achève le
compagnonnage de la psychanalyse avec les sciences exactes. La
différence se creuse dans l'observation des faits, entre une recherche
des causes et une recherche du sens, qui se réfère non aux faits
eux-mêmes mais à la cohérence intrinsèque du discours sur ces faits.
Pour autant, cette herméneutique mène t-elle aux sphères obscures de
l'ésotérisme? L'influence de l'analyste, et de ses pré-jugés sur
l'étiologie va t'elle orienter l'évolution du travail dans le sens
d'une induction d'une compréhension doctrinale qui serait la limite de
son savoir et de son pouvoir? Travail de peintre, por via di pore, il
viendrait déposer sur une toile blanche les couleurs de sa névrose
personnelle revue à l'aune d'une théorie préfabriquée pour la
circonstance. Il n'y a pas moyen de sortir de la suggestion, mais
seulement possibilité d'en faire le tour.
Freud retourne à son avantage l'interrogation, en marquant du sceau de
l'inédit ce qui advient dans une cure sous l'effet du transfert. D'une
interprétation qui n'est pas une simple relecture du passé à la lueur
du présent, il fait la découverte conjointe du psychanalyste et du
patient de l'Inconscient in situ, d'un inconscient qui ne serait pas la
trace de l'éprouvé refoulé, mais d'un non-vécu structural qui trouve à
s'actualiser dans le cadre du traitement, et par là entraîner un
remaniement de la structure psychique dans ses possibilités
intrinsèques de transformation. Le psychanalyste comme passeur n'en est
que l'instrument ; il a vocation à s'effacer sans trop rien(?) y
comprendre. L'analysant s'étonne de découvrir quelque chose et de «
l'avoir toujours su ». L'interprétation est un art de la « coupure » et
non une astreinte à l'exégèse. Elle suppose d'être traversée par le
flot des sens pour se saisir du point de bascule, plutôt que de
s'arrêter au mot à mot. Elle trouve son efficace non dans le
comment-taire mais dans l'usage opportun de la ponctuation, de
l'interjection.(le silence est, comme en musique, un élément de la
portée et donne son efficace à l'usage de la parole, de la voix)
Freud ajoutera plus tard à son exposé « technique » sur le transfert
une considération dont on n'a pas encore mesuré toute la portée[10]. Il
en vient à évoquer les phénomènes délirants aigus comme l'expression de
cet « inédit » de la structure psychique qui vient par exemple
s'actualiser dans la bouffée oniroïde. Elle pourrait être entendue
comme une manifestation de ce qui n'a pas été intégré dans la psyché,
(forclos, pourrait-on dire?) et vient à se mettre en acte comme dans un
transfert sauvage. Beaucoup d'actes pathologiques ne relèvent-ils pas
d'épisodes hallucinatoires non repérés? Il y a là une ouverture à ce
que peut devenir la psychanalyse, comme voie d'accès à des troubles qui
n'étaient pas jusque là accessible à la cure type, dont l'expression de
« psychoses atypiques » est loin de rendre compte. Mais elle est aussi
une réponse possible à la question de l'inactualité de la psychanalyse,
parfois formulée dans un regret d'une perte de clientèle « normosée »
au profit d'une diversité structurale de patientèle en terme
d'addiction, de dépression ou de perversion qui trouve son lit commun
dans la notion d'état-limite, peu compatible avec la rigueur du divan.
Pas plus qu'on ne peut donc « prescrire » une psychanalyse, on ne peut
prétendre qu'elle « réponde » de ce qui ne va pas, du point de vue de
l'ordre social. Est-ce à dire qu'elle doit s'effacer devant des
pratiques présentées comme plus fiables, plus efficaces qui
permettraient cette adéquation d'un but thérapeutique à une visée
hygiénique de la vie sociale? Si l'on maintient une éthique du Sujet
dans le monde soignant de la post-modernité, ce qui n'est pas acquis
d'emblée, ce ne pourra être sans la psychanalyse ; non comme une
pratique généralisable à tous, ce qu'elle a cru devoir accomplir à la
suite de Freud, dans l'éducation, la gouvernance politique, ni comme
ascèse, recherche d'une vérité en soi, mais comme « discipline »,
formation personnelle de cliniciens orientant des pratiques plus ou
moins éloignées de la cure type, mais se référant toujours à son
principe actif, le transfert. C'est à cette condition qu'elle
continuera sa tâche humaniste d'un soutien à l'existence du Sujet et à
sa reconnaissance dans le monde médical.
CONCLUSION
S'il y a encore
place pour une psychopathologie psychanalytique aujourd'hui, ce ne peut
être que corrélative d'une pratique de la psychothérapie s'en inspirant
pour aborder ces problématiques qui « résistent » au modèle freudien
des grandes entités morbides classiques. Rien ne s'oppose à la
coexistence d'une part, d'une psychanalyse « laïque », centrée sur
l'accueil et l'écoute de troubles « à la limite du dispositif »,
soutenue par une formation et une recherche de problématisations
nouvelles, et d'autre part, la sauvegarde d'un corpus « sacré » de
doctrines qui limiterait à la psychanalyse « pure » ses indications,
comme on protège un patrimoine par un site classé. C'est une question
de choix et d'appétence personnelle, donc d'éthique. Mais la pertinence
reconnue du regard clinique psychanalytique ne se résoudra pas dans
l'introduction du « plomb de la suggestion dans l'or de la pratique de
l'analyse », ni de l'évaluation statistique par des protocoles
standardisés « ad hoc » pour se conformer aux normes internationales en
vigueur. Les pédagogues dont c'est le cœur de métier seront toujours
mieux armés que les psychanalystes pour donner des éléments de
repérages, en terme d'évaluation de l' adaptation, de modalités
d'apprentissage dans le champ social. Si l'on peut leur reconnaître la
pertinence d'affirmer qu'il n'y a pas d'humain sans éducation, ils
doivent en retour admettre que tout l'humain ne s'y résume pas, et
qu'en matière de pathologie psychique, l'essentiel résiste à une
approche exclusive par la rationalité comme levier pour modifier ce qui
leur apparaît comme une aberration. Pour notre part, il ne nous semble
pas suffisant d'attendre stoïquement que les illusions positivistes et
scientistes s'estompent pour qu'une reconnaissance de la dimension du
Sujet, telle qu'elle est apportée par la réflexion psychanalytique,
renaisse de ses cendres. L'Éthique est un combat, dont les «
stratégies» logiques doivent être en adéquation avec les buts visés, et
aussi avec le terrain. Dans le champ du soin balisé par le médical, la
marge de manœuvre est étroite, et nous aurions tort de refuser
l'engagement dans le seul qui nous est encore favorable, celui de
l'Université.
Claude SAVINAUD professeur (E.R.) de psychologie clinique et de
psychopathologie Maulais, le 16 Avril 2012
Bibliographie sommaire:
Aristote : sur la justice : Éthique à Nicomaque Livre V Édition GF
Flammarion (2008)
Guyomard P. (1998) : la jouissance du tragique champs Flammarion
Freud S. (1937) Constructions dans l'analyse in Résultats, Idées,
Problèmes II PUF 1995
Lacan,J; (1959-1960) l'éthique de la psychanalyse le séminaire Livre
VII Seuil (2000)
Ogien A., Laugier S (2010) : pourquoi désobéir en démocratie? édition
la découverte
Platon : Le banquet : GF Flammarion (1999)
[1] Pour en plaisanter, on
peut toujours citer Boris Vian et « l'appareil à faire les pilules » du
professeur Mangemanche. Ce lapin, transformé en machine à faire des
crottes pharmaceutiques, a tendance à reprendre le dessus sur
l'appareillage mécanique qu'on lui a adjoint pour optimiser la
performance et la régularité. D'où l'obligation pour le Professeur de
l'abattre à coup de fusil quand il redevient animal.
[2] DSM 4,
[3] Exemple : « l'Autisme »de Kanner est ainsi réduit dans le
vocabulaire psychiatrique comme une expression historiquement datée, à
laquelle il faudrait préférer celle de « troubles envahissants du
développement »(T.E.D). Si cette subtilisation d'un terme à un autre
est justifiée par une difficulté à regrouper sous un même vocable des «
formes »différentes d'expression (et de niveau) des troubles, elle
assure l'escamotage de ce qui faisait leur tronc commun, le retrait, «
souffrance subjective de l' isolement », pour mettre en avant «
l'envahissement de comportements », qui, dès lors, en fait un trouble
de l'adaptation comme un autre, et dans lesquels on peut faire entrer
n'importe quoi, de la bouderie insidieuse à la violence morbide. La
référence à la « pathologie » est élidée au profit de la rééducation du
comportement inadapté.
[4] Ce qui peut se résumer de cet aphorisme freudien: « l'homme ne
montre aucune disposition naturelle au bonheur. »
[5] ...Ou plutôt à un savoir-non-su du Sujet...
[6] Le symptôme est à la fois un signifiant qui représente le Sujet
pour un autre signifiant, et une partie du Sujet valant pour le tout,
en ce qu'il est reconnaissable à ce trait d'identité qui le désigne
dans son ensemble comme indexé à son désir, et différent d'un autre.
[7] Appelée généralement « neurotica »
[8] Effet « Zélig »
[9] Freud S. (1914)remémoration, répétition et élaboration in la
technique psychanalytique PUF 1970 p.105-115
[10] Freud S. (1937) Constructions dans l'analyse in Résultats, Idées,
Problèmes II PUF 1995