La lecture du livre de Jeanne m’a conduit vers l’histoire de
l’esclavage alors que son travail explore la particularité dans le
contexte des caraïbes . C’est un moment de l’histoire de l’esclavage .
Il y aurait lieu de le distinguer de l’esclavage antique. Et il me
venait la question de savoir si l’esclavage n’avait pas pris dans le
système capitaliste essentiellement la forme du prolétariat moderne.
Ce n’est ni le lieu ni de ma compétence de traiter cette question d’un
point de vue historique. Mais ne pourrait-on pas en suivant la démarche
de Jeanne prendre comme point d’appui la question subjective, et de la
mettre comme clé de lecture aussi bien de ce qui se joue au niveau
singulier qu’au niveau collectif.
L’avantage du psychanalyste , c’est qu’à l’écoute d’un sujet, d’un
sujet divisé, il n’est pas sans être informé de ce qui se trame dans le
social, dans le politique dans son actualité.
Mais dans la mesure où l’inconscient, c’est aussi une mémoire, il a
aussi accès au passé tant de ce sujet-là que de ce qui a pu s’articuler
dans des époques éloignées.
Et d’autre part le repérage des constructions psychiques
contemporaines, peut donner des indications sur les lignes de
perspectives qui indiquent par certain aspect le futur.
Il ne s’agit pas de soutenir que le psychanalyste serait devenu le
devin des temps modernes et qu’il aurait les moyens de dégager la
vérité de l’histoire. Cela est l’ambition renouvelée des philosophies.
Et on le sait cela conduit rarement à de bonne chose, à de bon heurt
avec le réel.
L’expérience de la psychanalyse ne conduit pas à une totalisation du
savoir , mais sans doute à une vérité que tous les savoirs se
constituent à partir d’un trou , d’une lacune fondamentale. Que la
définition la plus ramassée que l’on peut faire de l’ inconscient, qui
est une des formes du savoir, bien qu’il échappe au sujet, c’est que
l’inconscient est une organisation du trou.
Le sujet , en tant qu’il est sujet de l’inconscient, se structure à
partir de ce trou. Mais il est aussi pris dans le signifiant.
L’histoire ne sera jamais qu’un discours qui tente de cerner un réel.
Il emporte beaucoup d’imaginaire. La méthode analytique ne néglige pas
cet imaginaire , même quand cela prend les allures d’un roman familial,
ou le récit des épopées collectives.
La méthode analytique porte son attention sur la manière dont un sujet
peut être affecté par les signifiants. Ce qui revient à prendre en
compte comment ce parlêtre est représenté auprès du signifiant, mais
aussi comment le signifiant vient cerner ce trou.
C’est dans le procès de la parole, dans ces trébuchements, dans ses
inhibitions, dans ses accélérations ou dans ses silences que le
psychanalyste entend la rencontre du sujet avec le réel.
Jeanne dans son travail avec les patients martiniquais entend les
effets subjectifs de ce traumatisme collectif que fut l’ arrachement à
la terre , l’invalidation de la langue maternelle, la violence de
l’exploitation, mais aussi comment par l’invention d’une langue, son
déploiement dans la poésie, son immixtion dans la musique témoigne
d’une tentative de subjectivation, symptomatique souvent, mais
tentative tout de même, de dépasser la jouissance du traumatisme.
II
J’ai tenté de réduire quelque peu mon ignorance sur l’histoire de
l’esclavage en particulier en consultant un ouvrage récent d’un
historien spécialisé sur cette question Olivier Grenouilleau intitulé «
Qu’est-ce que l’esclavage ? Une histoire globale »
On a tous une petite idée de ce c’est que l’esclavage , mais dès qu’on
fait l’effort de le définir, ça devient très vite plus compliqué.
D’ailleurs il n’y a pas actuellement une définition juridique claire .
Est-ce qu’on va dire par exemple qu’une enfant de 10 / 12 ans qu’on va
marier à un vieux monsieur, c’est une sorte d’esclavage ?
Olivier Grenouilleau estime que la difficulté à le définir , cela fait
partie du phénomène. Melman dira quelque chose qui s’en rapproche,
qu’il y a là quelque chose qui nous concerne tous et qui pourtant est
pris dans une certaine opacité.
Grenouilleau en historien est dans cette ambition d’écrire une histoire
globale reconnait bien vite que de parcourir l’espace et le temps
depuis la mise en place de cette institution de l’esclavage soit depuis
le néolithique jusqu’à maintenant est un projet immense. De cerner ce
réel-là de l’exploitation de l’homme par l’homme demande d’en explorer
des aspects multiples : économique, social, politique, culturel, etc.
Il y a des formes multiples à cette exploitation et la distinction
entre celles-ci n’est pas toujours aisée . Comment distinguer l’esclave
au service d’une famille romaine, celui qui travaille dans une mine ,
celui qu’on conduit à la guerre, l’esclavage comme solution pour payer
sa dette, le serf du moyen-âge requis pour le travail agricole , le
travailleur forcé comme ceux du STO pendant l’occupation allemande, le
mariage forcé d’un enfant à un vieillard…
Comment donner une définition qui puisse rendre compte de la variété
des formes ?
La méthode de cet historien est de centrer son étude à partir de la
personne même de l’esclave pour tenter de dégager un système, une
structure qui vaudrait pour toutes les sociétés esclavagistes.
De son immense tour d’horizon , il va retenir 4 caractères qui
définissent l’esclave :
1°) L’esclave est un autre.
Ou en tout cas il est transformé en un autre. Ce n’est pas forcément un
étranger au territoire comme ce fut le cas avec la traite des
populations africaines et leur transbordement en Amérique et aux
caraïbes.
Il y a en tout cas cet autre qui est susceptible d’être réduit en
esclavage, et il le devient réellement par un processus de
désocialisation, de déculturation, de dépersonnalisation. Il devient un
autre radical , arraché de tout lien de parenté.
La fabrication de cet altérité réelle tant du côté du maître que de
l’esclave qui est réellement transformé en un autre de lui-même en
mettant en jeu une extranéité, en produisant ce caractère étranger.
L’esclave a quitté la place de semblable. On voit se profiler ici les
liens complexes entre esclavage, ségrégation, racisme.
2°) L’esclave est possédé par son maître.
Grenouilleau préfère la notion de possession que celui de propriété.
Cela met plus en relief qu’à la différence des autres modes de
servitude, l’esclave va être dans une dépendance totale.
Celle-ci peut être tempérée de différentes manières selon les lois, les
mœurs, les époques, les codes, mais c’est tout de même ce trait de
dépendance qu’il faut retenir.
L’esclave n’est pas un sujet de Droit, il est soumis au caprice du
Maître. Mais dans la mesure où il attend que l’esclave reste productif
sa toute-puissance doit se restreindre afin de maintenir la force de
travail de l’esclave.
3°) l’esclave est utile .
C’est là un caractère universel. Il doit répondre à une utilité au
service du maître . Celle-ci peut là aussi prendre des formes bien
variées ; cela peut aller des plus humbles aux plus dégradantes, des
plus protégés comme dans l’administration de la cité comme des plus
risqué dans un enrôlement sur les champs de bataille.
Cette utilité est donc mise en œuvre selon des modes d’exploitation des
plus variés. Ce ne sera pas le cas du serf du moyen-âge qui sera
exclusivement attaché aux travaux de la terre. Cette souplesse est
cependant limitée par deux conditions :
La société esclavagiste est toujours sous tension , et selon ce niveau
de tension la souplesse va varier.
D’autre part , il y a la question de la fourniture de nouveaux esclaves
, qui est quelque chose qui échappe au maître, qui échappe à une
maitrise totale.
4°) L’esclave est en sursis dans son humanité.
Il peut être considéré comme une chose, un animal, une machine , en
tout cas il est tenu dans une zone frontière à l’ humanité. Son degré
d’appartenance à la société humaine va dépendre selon les cas
particuliers de la médiation du Maître mais aussi du discours qui
légitime plus ou moins cette institution dans la société à une époque
donnée.
Aristote y voyait un état de nature, St Paul le destin d’un pêcheur, le
code noir censé apporté une protection légale dans les colonies
françaises ( il accorde l’existence légale de la famille par exemple)
n’a pas aboli pour autant les pratiques les plus brutales.
Voilà donc les 4 caractères retenus qui définissent l’esclave pour cet
historien, caractères qui se combinent de bien des manières, mais cette
diversité n’empêche pas à son avis de concevoir un système, une
structure.
Il note que le défi propre à une société esclavagiste est celui de sa
reproduction. Elle est dépendante des possibilités de renouvellement du
contingent d’esclaves utiles.
L’affranchissement qui peut paraitre un signe de souplesse est
dépendante de la possibilité d’être compensé par ailleurs : des
campagnes guerrières, la prédation en Afrique, etc.
Les sociétés esclavagistes cherchent toujours à se pérenniser en l’état
et ne se dissolvent pas par elle-même . Ce n’est qu’à partir du 18eme
siècle que le mouvement abolitioniste international va imposer de
l’extérieur l’abolition de l’esclavage.
Quelques remarques personnelles
On va parler effectivement d’une abolition de l’esclavage, mais pour
autant peut on dire que les effets de l’esclavage sont eux abolis ?
Cette approche systémique, que je viens d’affreusement réduire, peut
sembler avoir sa cohérence . O Grenouilleau développe son propos à
partir de nombreuses sources et cherchant à recouvrir une histoire
mondiale dans sa globalité et à extraire la structure de cette
institution . Il aborde aussi cette histoire avec la figure d’une «
personne de l’esclave ».
Le travail de Jeanne , en abordant la question de la situation de
l’esclavage aux Antilles ne le fait pas en tant qu’historienne même si
elle prend connaissance de ce que les historiens peuvent apporter, elle
l’aborde à partir de sa place de psychanalyste, c’est-à-dire en
accordant à la singularité toute son attention. C’est en effet les
dimensions de la parole, de l’inconscient, de la jouissance qui sont
retenues pour orienter son analyse.
La notion de personne n’est pas rigoureusement celle du sujet, du sujet
de l’inconscient. Avec cette écoute analytique , cela ouvre à une
lecture plus complexe, moins rationaliste aussi, mais obéissant à une
autre rigueur, celle qui s’engage avec l’hypothèse d’ un sujet de
l’inconscient.
L’espoir que met l’historien dans les droits de l’ homme et
l’imposition de l’abolition de l’esclavage est à pondérer quand on met
en jeu le sujet de l’inconscient.
Jeanne Wiltord , à l’écoute des singularités, de la circulation des
signifiants, des inhibitions, des symptômes, des fantasmes, des
nominations écrit assurément une autre histoire.
Comme Melman le souligne, l’exemple le plus flagrant des enjeux
inconscients est ce qu’on observe dans les ex-colonies qui ont réalisé
leur indépendance : Les nouveaux maitres ne vont-ils pas remettre en
place, ne vont-ils pas reproduire les mêmes types de relation qui avait
lieux durant la colonisation ?
III
Alors comment d’un point de vue psychanalytique aborder ces questions ?
Je vais prendre appui sur deux interventions de Charles Melman qui
datent un peu et qui ont été publiées dans un ouvrage collectif : De
l’inconscient post-colonial, s’il existe . Y sont rassemblées diverses
contributions de rencontres qui ont eu lieu à la maison de l’ Amérique
latine à Paris dans les années 90.
Melman y avance une écriture audacieuse, à partir de celle des quatre
discours de Lacan, de ce qui pourrait être celui d’un discours
post-colonial.
Si on convient que la structure du discours du Maître pourrait nous
donner une idée sur la relation du Maître antique avec son esclave, il
propose de mettre un trait de coupure non entre le niveau du SI et-S2
et celui du $ et a , mais entre S1-$ et S2-a
Ce qui donne ceci
Pour rappel le Discours du Maître chez Lacan se décrit ainsi ( dans sa
version définitive )
S1 : L’agent est le signifiant Maître .
S2 : L’autre en regard de ce S1 reçoit un commandement, celui de
produire un objet a
a : c’est la production qui pour le Maître , qui fait retour vers S1
$ : c’est le lieu de la vérité, celui d’un sujet divisé par
l’inconscient, qui en appelle au Maître pour se signifier, mais pas
sans l’ Autre S2. Quant à l’ objet , en a, il est dans l’impossibilité
de s’en saisir. Cette relation impossible entre $ et a se soutient par
le fantasme fondamental.
Cette hypothèse que nous aurions là l’écriture du lien esclavagiste
antique peut trouver d’une certaine manière à se conforter avec les
propositions de Grenouilleau .
-L’esclave est un autre , il est au lieu de l’ altérité.
-L’esclave est possédé par son Maître . Il est dans la dépendance , y
compris de vie et de mort, mais la toute puissance du Maître est
limitée par son propre commandement que l’esclave doit être productif.
S’il ne le fait pas, cela vient à mettre en péril sa propre place. La
production de l’esclave est au bénéfice du Maître.
-L’esclave est utile : cette production est nécessaire au Maître. Ce
qui rend le Maître dépendant de cette façon de l’esclave.
-L’humanité de l’esclave, sa dignité de sujet, c’ est toujours en
sursis : cela dépend de la bienveillance du Maître, mais pour autant le
Maître ne cherche par le Bien de l’esclave, il cherche à en faire son
bien.
Le schéma de Grenouilleau trouve sans doute une limite dans sa lecture
utilitariste. On peut faire cette simple remarque que cette relation
maître -esclave n’est pas seulement réglé par des motifs économiques,
par l’ utilité , la dimension disons-le comme cela de l’inutile y est
tout aussi présente, c’est-à-dire celle d’une jouissance « autre » que
celle de l’ utilité.
L’écriture proposée par Charles Melman permet me semble-t-il de
prolonger une lecture de l’institution esclavagiste, mais en partant du
sujet de l’inconscient, et en la particularisant avec la situation
coloniale.
Il avance que la violence qui est celle de la traite négrière a détruit
les propriétés du symbolique. Si le trait de coupure au lieu de diviser
les symboles du haut d’avec ceux du bas , ce qui d’une certaine manière
solidarisait S1 et S2 tout en les distinguant , va dans l’institution
coloniale séparer irrémédiablement S1 et S2
Cette écriture entraine bien des conséquences . Il en signale
quelques-unes.
1°) l’écriture du fantasme s’en trouve défaite, il n’y a plus ce
poinçon qui permet l’écriture de ce rapport impossible du sujet à l’
objet dont on pouvait se dire qu’il a été perdu.
Ici l’objet n’est pas perdu, il a été volé. Ce dol est un effet de la
Jouissance de l’ Autre.
Le sujet s’en trouve suspendu dans son existence, et il n’a plus
d’autre solution que de se confondre avec le signifiant maître.
L’objet a devra être présentifié , ce qui introduit à une certaine
perversité.
2°) Le lieu de la jouissance va essentiellement relever d’un imaginaire
phallique.
Le maître pourra alors avoir l’idée que c’est en venant dans ce lieu de
l’imaginaire phallique qu’il pourra assurer sa virilité. Or ce lieu de
la mascarade phallique est habituellement celui de la femme.
Il est bien observable en effet que le maître quand il échappe à la
castration va se féminiser.
3°) La coupure entre S1 et S2.
Elle ne permet plus le pacte symbolique dans le lien social ce qui
défait toute solidarité et ouvre au recours de la violence réelle.
Le maître est poussé à jouir de tous les objets , « mais il n’osera pas
(les) incorporer puisque ces objets devront en quelque sorte entretenir
sa position de maîtrise »
Est-ce à dire qu’une incorporation qui serait symbolique mettrait le
maître en danger car cela mettrait en jeu le manque ?
4°) Une figure névrotique particulière.
Il n’y a plus de pacte entre S1 et S2 comme c’était le cas avec le
maître antique .
Dans cette configuration coloniale, le sujet $ est donc dans une
référence obligée au signifiant maître . Et du même coup , une menace
est ressentie vis-à-vis de cette altérité. Melman y voit le creuset
d’une névrose particulière qui conjoint l’ hystérie avec des aspects
paranoïaques , Ce serait une hystérie pseudo-paranoïaque.
5°) Un lien social qui se maintient par la violence
Le petit autre n’est pas reconnu comme un semblable. Sa valeur tient en
tant qu’il assure la jouissance . L’autre est donc traité comme un
déchet.
La sexualité aurait pu venir tempérer cette écriture, mais la relation
sexuelle se présente essentiellement comme une relation sadique.
Il note que ce n’est pas seulement l’esclave qui a perdu ses repères
symboliques, les maîtres eux-mêmes sont dénaturés, dans l’oubli de leur
lieu d’origine.
Par l’effet du servage colonial, le sujet est dans l’impossibilité de
retrouver une place qui lui serait propre, et cela aussi bien pour
l’esclave que pour le maître.
6°) La répétition de ce clivage ( ce que Melman nomme le complexe de
Colomb )
Cette écriture ne permet plus de faire tourner les lettres et produire
d’autre discours. Cela laisse entendre la permanence d’une dualité
ravageante.
L’observation des sociétés post-coloniale ne va-t-elle pas dans ce sens
?
IV
Lacan a proposé une écriture des discours comme lien social. Il nous
dit que cela est devenue possible à partir du moment où la pratique de
la psychanalyse a pu avec Freud se mettre en place. C’est l’hypothèse
d’un sujet de l’ inconscient, en tant qu’un objet bien particulier va
causer le désir inconscient, et en tant que ce sujet est appendu à une
représentation dans la chaine signifiante, chaine signifiante qui donne
consistance au champ social, et on pourra se risquer à l’ appeler champ
de l’ Autre.
Et à partir de là nous avons l’écriture d’un quadripode inaugural qu’il
appelle Discours du Maitre, ce qui relève d’une audace assurément,
dûment réfléchie et articulée, ce qui va entrainer bien des
commentaires. Ce Discours du Maître , il s’écrit donc ainsi dans son
premier jet :
Ce Discours du Maitre n’est pas sans évoquer la dialectique du maître
et de l’esclave de Hegel, reprise ensuite par Karl Marx, mais en se
dégageant justement de leurs conceptions qui situaient la jouissance du
côté du maître. Lacan va indiquer qu’au contraire dans ce discours la
jouissance est du côté de l’ esclave, proposition qui aura pu
surprendre, voir susciter des protestations chez les marxistes en
particulier.
[ Et pourtant une histoire du destin politique du marxisme nous montre
bien qu’il est loin d’être réglé par l’utilité économique.]
On peut entendre que cette écriture pouvait nous renvoyer du côté du
Maitre antique, où l’esclave est celui qui a un savoir, un
savoir-faire, et qu’il en jouit contrairement au maître qui est
seulement préoccupé par le commandement.
Pierre-Christophe Cathelineau développe sur ces problématiques bien des
articulations dans son ouvrage « L’économie de la jouissance » . Sa
lecture m’a beaucoup éclairé et m’oriente dans mon propos.
Une question ici me vient : Est-ce que cette formalisation relève d’un
acte essentiellement théorique ? Une sorte de principe fondamental à
partir duquel toute la théorie peut se construire ? Disons que ce qui
est notable, ce sont ses effets, elle ouvre à une fécondité qui nous
permet de situer bien des développements tout aussi bien historiques
que cliniques.
Ainsi Pierre-Christophe Cathelineau tout en reprenant le propos
lacanien fait valoir comment à partir de cet antique lien social, on
peut considérer comment historiquement ce Discours du Maître a pu
opérer une mutation grâce à une position autre en regard du savoir.
C’est en effet grâce au Discours spécifique qui met le savoir en place
d’agent ordonnateur d’un lien social , ce que Lacan a nommé le Discours
Universitaire, ajoutons Discours de la Science, que le Maitre moderne a
pu réussir cette mutation. Au lieu de laisser le savoir à l’esclave, il
va au cours d’un long procès historique l’ accaparer.
Voici comment il est proposé de l’ écrire :
On pourra ensuite situer le maitre colonial esclavagiste comme étape de
ce mouvement avant d’arriver au capitaliste moderne et au discours qui
dorénavant ordonne au niveau mondial l’économie, la géopolitique, et
les subjectivités.
C’est lors d’une conférence donnée à Milan en 1972 que Lacan a
introduit ce discours capitaliste selon cette deuxième version ,
discours qui venait s’ajouter aux quatre discours qu’il avait déjà
écrits lors de son séminaire.
Je ne vais pas en reprendre la démonstration, mais seulement en
souligner quelques aspects et entre autres ce trait, ce qui me semble
indispensable pour notre propos , c’est qu’avec ces 4 premiers discours
qui distribuent les signifiants, qui ordonnent la subjectivité, nous
avons une économie qui a à faire avec des limites, limites qui se
déclinent en termes d’impuissance ou d’impossible.
Entre autres, l’impuissance du maitre antique à se saisir du savoir de
l’esclave et de la jouissance qui s’y rapporte. Jamais S1 ne pourra
rejoindre le S2 et de s’y conjoindre. Impossible également de se saisir
de l’objet cause de son désir, il y a là une radicale impossibilité
d’en avoir un savoir.
Or qu’est que nous pouvons lire avec la formalisation du discours
capitaliste , c’est que ces limitations n’ont plus court, qu’elles ont
été abolies. Il y a là un coup de force théorique de la part de Lacan
puisqu’il pose une équivalence forte entre la plus-value , soit ce que
Karl Marx avait si judicieuse découvert dans l’exploitation capitaliste
et le plus-de-jouir qui elle est à situer dans l’économie subjective.
La plus-value est la part de la valeur du travail qui est détournée au
bénéfice du capital. Cette valeur en plus, die Mehrwert, le prolétaire
ne la reçoit pas et elle va augmenter l’accumulation du capital. Pour
une part, mais pour une part seulement , c’est réinvesti dans les
moyens de production.
Le plus-de-jouir est une notion introduite par Lacan pour écrire
l’économie inconsciente. C’est symbolisé par la lettre petit a. La
polysémie de la notion est bien sûr volontaire . C’est ce qui échappe,
c’est cette part de jouissance qui échappe au sujet et c’est aussi la
jouissance qui circule , qui s’échange.
On se souvient que Lacan avait d’abord apporté cette notion de l’ objet
petit a dans le montage de la pulsion, déplaçant ainsi la conception
énergétique de Freud. Mais avec cette formalisation des discours , il
va situer cet objet a, ce plus de jouir , dans les échanges sociaux,
comme symbole de tous les échanges ; Et c’est là où se tient un
supplément de jouissance.
Dans sa conférence de Milan Lacan disait que le discours capitaliste
était follement astucieux .
Si nous reprenons le mathème du Discours Capitaliste, Pierre-Christophe
Cathelineau fait remarquer , que dans la mesure où les limitations
traditionnelles du Discours du Maître sont abolies, ce discours se met
à cavaler, à tourner en rond, et ce qui curieusement décrit de la sorte
le symbole mathématique de l’ infini.
.
J’ai pu suggérer que le taggeur qui s’active sans cesse sur les murs de
la cité était devenu le comble de l’esclave moderne.
Le schéma proposé par ce discours peut se lire ainsi : le sujet moderne
en $ est dans la récusation de cette division , et tout aussi bien que
de la vérité de son acte, soit qu’il s’adresse finalement au Maître du
néo-libéralisme. Ce Maître moderne (S1), aveugle comme tous les Maîtres
mais aussi acéphale, aliéné lui-même dans ce Discours qui tourne en
rond, le Discours Capitaliste.
Le graffeur travaille pour l’autre ( S2) , sans vacances, sans la
moindre grève, dans une jouissance sans trêve. Il est à la tache de
produire un plus de jouir (a). Ce qui lui échappe, ce qui lui est
masqué, c’est que lorsqu’il pense récupérer pour lui -même ce
plus-de-jouir, la vérité de l’ opération c’est que le maitre ramasse ce
plus-de-jouir ; Mais ce maître acéphale, aveugle, et impuissant car il
ne peut faire autre chose devant cette machinerie que de relancer le
travail de l’ autre ( S2), puis la production, puis la jouissance, et
ainsi de suite…
Ainsi on peut admettre que dans ce cadre du discours capitaliste, nous
sommes tous devenus des esclaves, puisque c’est d’être serf de la
jouissance qui dorénavant nous définit.