Le traitement de la mélancolie avec délire, comme celui des autres
aliénations, ne doit point se borner à l'administration de quelques
médicaments. Il faut, avant toute médication, être bien convaincu que
cette maladie est opiniâtre, difficile à guérir ; que la médecine
morale, qui cherche dans le coeur les premières causes du mal, qui
plaint, qui pleure, qui console, qui partage les souffrances et qui
réveille l'espérance, est souvent préférable à toute autre. Il faut
s'être bien informé des causes éloignées et prochaines de la maladie.
Le traitement de la lypémanie peut être hygiénique, moral ou
pharmaceutique.
Hippocrate et les anciens, les Arabes et les modernes, ont tous observé
que l'état de l'atmosphère exerce une grande influence sur les facultés
intellectuelles et morales de l'homme. Un climat sec et tempéré, un
beau ciel, une température douce, un site agréable et varié,
conviennent aux mélancoliques. Aussi les médecins anglais ont-ils soin
d'envoyer leurs lypémaniaques dans les provinces méridionales de la
France et dans l'Italie, les préservant ainsi des funestes effets de
l'air épais et humide d'Angleterre.
M... né en Belgique, âgé de 42 ans, d'une forte constitution, faisant
un très grand commerce, vient me consulter à la fin de l'hiver dé 1825.
Voici les renseignements que me donna M. lé consultant : « J'ai
toujours joui d'une bonne santé, je suis heureux dans mon ménagé,.
aimant beaucoup ma femme et mes enfants qui sont charmants ; mes
affaires sont en très bon état. Il y a trois ans, j'éprouvai une légère
tracasserie, c'était à l'entrée dé l'automne, je devins triste,
soucieux et susceptible. Peu-à-peu je négligeai mes affairés ; je
désertai ma maison pour fuir l'ennui : je me sentais faible, je bus de
la bière et dés liqueurs. Bientôt je fus irritable,. un rien me
contrariait, m'agitait et me rendait insupportable aux miens et même
dangereux. Mes affairés souffrirent de cet état ; j'avais dé
l'insomnie et dé l'inappétence. Ni les avis, ni les tendres conseils
dé ma femme, dé ma famille, n'avaient plus d'empire sur moi. Enfin je
tombai dans une apathie profonde, incapable de tout, excepté de boire
et de me fâcher. A l'approche du printemps, je me sentis renaître à
mes affections, je recouvrai toute mon activité intellectuelle et
toute mon ardeur pour lés affaires. Je me suis très bien porté tout
l'été suivant ; mais dès lés premiers froids humides de l'automne,
retour de la tristesse, de l'ennui, du besoin de. boire pour dissiper
ma tristesse ; retour de l'irascibilité, dés emportements. L'automne
dernier et cet hiver j'ai éprouvé pour la troisième fois les mêmes
phénomènes, ils ont été plus fâcheux, ma fortune a souffert et ma femme
n'a pas été sans danger... Je viens me livrer à vous, monsieur, et me
soumettre à tout ce que vous m'ordonnerez. » Après mille questions, je
donnai les conseils suivants : une maison de santé n'est pas utile,
elle peut nuire. Je vous indiquerai un médecin qui, pendant tout l'été,
surveillera votre régime, vous accompagnera dans vos coursés aux
environs de Paris. Vous vous baignerez souvent et vous boirez de temps
en temps de l'eau dé Sedliz. La nourriture sera végétale. .Au mois dé
septembre, vous gagnerez le Languedoc et serez rendu en Italie avant la
fin d'octobre d'où vous reviendrez au mois de mai. Ces conseils furent
rigoureusement suivis : à la fin du mois de décembre, M... était à
Rome. Le froid se fit sentir ; des velléités dé désir dé boire se
manifestèrent, mais se dissipèrent presque aussitôt. M... avait
échappé à un quatrième accès en se soustrayant à l'influence du froid
humide de l'automne. Il revint à Paris au mois de mai, jouissant d'une
excellente santé. Je pourrais rapporter quelques faits semblables.
Les vêtements doivent être chauds, souvent renouvelés,
particulièrement lés chaussures, les mélancoliques étant surtout sujets
au froid des pieds.
On doit proscrire les aliments salés, épicés, irritants, grossiers et
de difficile digestion. Les viandes fraîches, rôties et choisies parmi
celles dés jeunes animaux, la diète végétale conviennent à ces malades
; ils doivent s'abstenir des végétaux farineux, préférer les légumes
herbacés, lés fruits, surtout ceux qui contiennent en plus d'abondance
le principe mucoso-sucré : tels que lés fruits rouges d'été, le raisin,
les orangés, les grenadés,etc. Fernel, Van-Swiéten, Lorry citent des
exemples de mélancoliques guéris par l'usage des fruits d'été ; ils
auraient pu ajouter par l'usage très abondant du raisin.
L'exercice, de quelque manière qu'il soit pris, est sans contredit une.
des grandes ressources pour combattre la lypémanie ; les voyages, qui
agissent sur le cerveau par les impressions, en faisant passer en
quelque sorte au travers de l'intelligence une multitude d'images,
d'idées sans cesse renouvelées, détruisent nécessairement cette fixité
des idées, cette concentration de l'attention si désespérantes. Les
malades qui ne peuvent voyager doivent être exercés et distraits par la
promenade à pied ou en voiture, par les exercices du corps, par la
culture de la terre, par les soins donnés à un jardin, par les
occupations du ménage, par la pratique d'une profession quelconque.
L'équitation excite l'activité des viscères abdominaux, favorise la
transpiration, repose et distrait l'attention. On obtient d'heureux
résultats de la conduite d'une voiture. Les Anglais luttent contre le
spleen en prenant la place de leur cocher et en parcourant ainsi les
rues de Londres. Le célèbre Alfieri ne rendait supportable sa noire
mélancolie que par ce moyen. La chasse peut remplir les mêmes vues,
mais il faut craindre de confier témérairement des armes à ceux qui ont
quelques dispositions au suicide. Pinel exprime le voeu que tout
hospice d'aliénés soit à portée d'une ferme où l'on puisse faire
travailler la terre à ces malades. Le docteur Langèrmann avait presque
effectué ce voeu dans l'hospice de Bareuth, dont il était le médecin ".
Le docteur Horn a pourvu les aliénés de l'hôpital de Berlin de tous les
moyens d'exercice compatibles avec leur sûreté et il en retire de
grands avantages. A la Salpêtrière, un bon nombre de nos femmes
aliénées s'y occupent à la couture, au tricot et à d'autres ouvrages
manuels ; quelques-unes se livrent à la culture du jardin et plusieurs
sont occupées au service de l'hospice. Ces occupations actives
contribuent aux nombreuses guérisons obtenues dans cette maison. Il
n'est pas aussi facile de fournir aux hommes des instruments de travail
parce qu'ils veulent en abuser. Les individus qui n'ont point
l'habitude de l'occupation, lorsque des obstacles invincibles
s'opposent à ce qu'ils voyagent, à ce qu'ils montent à cheval, à ce
qu'ils aillent en voiture, doivent s'exercer à des jeux qui reposent
l'esprit et fatiguent le corps : tels sont le volant, la paume, le
ballon, le billard, etc. Mais aux exercices du corps il faut joindre
ceux de l'esprit. L'étude contribue à guérir les mélancoliques, pourvu
qu'elle ne s'applique point à des objets propres à exalter
l'imagination. Quelquefois aussi, on se prête aux idées mélancoliques
de celui qu'on veut guérir. M. Charpentier, dans son excellente thèse
sur la mélancolie, rapporte qu'un ecclésiastique, devenu mélancolique
avec penchant au suicide, à la suite des malheurs de la révolution,
fut retiré de cet état par l'activité qu'il mit à défendre le
concordat, qui était favorable à l'indépendance des ministres de la
religion. Un homme se persuade que ses ennemis l'ont dépouillé de
toute sa fortune ; il devient triste, morose, refuse de manger, parce
qu'il n'a plus rien pour acheter sa nourriture : il est envoyé à Paris.
Après plusieurs mois, je conseille à l'un de ses parents de supposer un
procès et de persuader au malade de consulter un avocat ; celui-ci,
prévenu,. demande un mémoire écrit, afin de mieux connaître la:.
situation de l'affaire. Après quelques jours d'hésitation,. M...
commence un long mémoire qui nécessite plusieurs., courses et même de
petits voyages. Un mois était à. peine écoulé, le mémoire n'était point
fini, qu'il était évident que la maladie tendait à sa guérison,
laquelle ne: se fit pas attendre long-temps. M. Alibert rapporte uni
fait analogue.
L'isolement- est ordinairement favorable, même lors-qu'il est absolu ;
la solitude exerce un pouvoir mysté-rieux qui rétablit les forces
morales épuisées par les. passions.
Les bains tièdes prolongés sont d'une utilité évidente-. pour le
rétablissement de la transpiration et tous les. médecins, depuis Galien
jusqu'à nos jours, ont vanté leurs bienfaits et en ont soigneusement
recommandé l'usage. Les excrétions semblent presque toutes suspendues
dans la lypémanie ; la transpiration ne se fait point ; l'urine est
retenue quelquefois pendant un jour, deux jours, cinq jours. La
constipation est opiniâtre ; elle persiste pendant des semaines,
pendant des mois. Forestus parle d'un vieillard qui fut, pendant trois
mois, sans évacuations alvines. Cette constipation n'est pas toujours
sans danger, elle occasionne quelquefois des inflammations
intestinales. Il faut la surmonter par la qualité des alimens et des
boissons et par l'usage des lavements, des fomentations sur l'abdomen,
par les bains de siège, etc.
Quoique la continence soit très rarement cause de la mélancolie, il
n'est pas moins vrai que, dans quelques circonstances, l'évacuation
spermatique a guéri. Peutêtre l'action morale a-t-elle été plus
favorable que l'évacuation elle-même. Il n'est point aisé d'établir le
degré d'influence qui, dans cet acte, appartient au physique et au
moral : Aëtius a trop vanté les avantages du coït, qu'il prescrit comme
un spécifique. Que de faits contraires, je peux opposer à quelques
observations rares.
En parcourant les divers matériaux de l'hygiène, .j'ai presque tracé
les règles les plus importantes pour le traitement des mélancoliques :
il me reste à parler de l'emploi des passions pour le traitement de ces
malades. Rien n'est plus difficile que de maîtriser les passions de
l'homme sain, combien la difficulté augmente lorsqu'on veut diriger
les passions des aliénés. Il faut une certaine adresse dans l'esprit,
et une grande habitude pour saisir les nuances infinies que présente
l'application du traitement moral et pour se déterminer sur
l'opportunité de cette application. Tantôt il faut en imposer, et
vaincre les résolutions les plus opiniâtres, en inspirant aux malades
une passion plus forte que celle qui domine leur raison ; substituer
une crainte réelle à une crainte imaginaire ; tantôt il faut conquérir
leur confiance, relever leur courage abattu en faisant naître
l'espérance dans leur coeur. Chaque mélancolique doit être conduit
d'après une connaissance parfaite de la portée de son esprit, de son
caractère et de ses habitudes, afin de subjuguer la passion qui,
maîtrisant sa pensée, entretient son délire. Les mélancoliques qui
sont sous l'empire de la superstition doivent éviter les lectures, les
conversations sur le mysticisme. Il est rare qu'on s'écarte impunément
de ce précepte, et c'est ordinairement après avoir lu des livres
propres à exalter l'imagination, après s'être livré à des pratiques
religieuses exagérées, après avoir assisté à des prédications qui
égarent le sentiment religieux, que le délire mélancolique prend un
caractère plus funeste. Les guérisons que l'on rapporte et que l'on
attribue à l'influence religieuse méritent d'être constatées ; j'ai
fait bien des tentatives ; j'ai appelé à mon aide beaucoup et de bien
respectables ecclésiastiques, mais rarement ai-je obtenu du succès. Un
homme se désespère pour ne pas avoir obtenu une place ; il se croit
déshonoré, lui et sa famille. L'assistance religieuse pourra le guérir
en faisant diversion à ses idées dominantes et en le persuadant de la
vanité des choses d'ici-bas ; mais un démonomaniaque ne cède point aux
conseils d'un ecclésiastique. J'ai vu des aliénés qui n'étaient rien
moins que religieux avant leur maladie et qui après leur guérison sont
devenus croyants sincères et pratiquant très régulièrement les
préceptes de la religion. Ils étaient convalescents lorsqu'ils ont
embrassé franchement les voies religieuses. L'un de ces individus,
homme d'un grand mérite et qui a long-temps rempli des fonctions
publiques très importantes, a été conduit aux croyances religieuses,
qui lui étaient bien étrangères avant, par le souvenir de tout ce qu'il
avait éprouvé pendant le délire. Lorsque l'amour est la passion
dominante, il n'y a souvent que la possession de l'objet aimé qui
guérisse : amore medico sanatur amor (Ovide). Tout le monde connaît le
fait d'Erasistrate, qui guérit le fils de Séleucus en déterminant ce
prince à sacrifier à son fils son amour pour Stratonice. Arétée parle
d'un Crotoniate qui ne guérit que par la possession de l'objet aimé. Si
des obstacles insurmontables s'opposent à l'emploi de ce moyen,
quelques médecins n'ont pas craint de renvoyer aux conseils donnés par
Ovide.
Une émotion vive, forte et imprévue, une surprise, la crainte, la
terreur, ont eu leurs succès : spasmo spasmus solvitur, dit Lorry. On a
eu recours à des moyens plus ou moins ingénieux pour briser les
convictions, pour rompre la chaîne des idées bizarres ; mille
circonstances peuvent fournir au médecin et faire naître dans son
esprit des indications de thérapeutique intellectuelle et morale ; les
faits suivants peuvent mettre sur la voie ; on en trouve dans tous les
recueils d'observations et dans les diverses parties de cet ouvrage.
Alexandre de Tralles guérit une femme qui croyait avoir avalé un
serpent en jetant un serpent dans le vase en même temps qu'elle
vomissait. Zacutus raconte qu'un jeune homme qui se croyait damné, fut
guéri par l'introduction, dans son appartement, d'un homme déguisé sous
la forme d'un ange qui lui annonça que ses péchés étaient remis.
Ambroise Paré guérit un malade qui croyait avoir des grenouilles dans
le ventre, en le purgeant et en jetant furtivement des grenouilles dans
son vase de nuit.
Un démonomaniaque refuse toute sorte de nourriture, parce qu'il se
croit mort. Forestus parvient à le faire manger en lui présentant un
autre mort qui assura au malade que les gens de l'autre monde
mangeaient très bien.
Alexandre de Tralles rapporte que Philotinus détrompa un homme qui
croyait n'avoir plus de tête, en lui faisant porter un bonnet de plomb,
dont la pesanteur l'avertit enfin de son erreur.
Un mélancolique croit qu'il ne peut uriner sans faire courir à la terre
le risque d'être submergée par un nouveau déluge. On vient lui
annoncer que le feu menace d'embraser la ville et que, s'il ne consent
à uriner, tout est perdu ; il se décide à ce qu'on lui demande, et
guérit.
Un jeune homme ne veut pas manger, parce que ses amis, ses parents
seront déshonorés s'il mange. Un de ses amis arrive tout essoufflé, et
apporte une déclaration du gouvernement qui le met à l'abri de tout
déshonneur ; le malade, qui avait passé treize jours sans rien
prendre, mange aussitôt.
Pinel rapporte que, pendant qu'il était médecin à Bicêtre, il fit
simuler un tribunal qui jugea un mélancolique qui se croyait coupable ;
ce stratagème
réussit, mais ce succès fut de courte durée par l'imprudence d'un
indiscret qui dit à ce même homme qu'on l'avait joué. Le même auteur
raconte dans le Traité de la Manie, plusieurs exemples de monomaniaques
dont les craintes imaginaires, les répugnances obstinées avaient cédé à
une crainte réelle, causée par un grand appareil de contrainte ; la
douleur a aussi triomphé de l'obstination de quelques malades. Une
dame confiée à mes soins, qui croyait être damnée et avoir le diable
dans le corps, fut guérie par la crainte des bains frais qu'elle
redoutait infiniment, dont on lui faisait la menace chaque fois qu'elle
s'abandonnait à ses idées et à ses craintes chimériques. On réussit
aussi, en persuadant aux lypémaniaques qu'ils n'ont nulle possibilité
d'accomplir leur dessein. Ainsi une jeune personne trompée dans ses
affections, ayant, pendant dix-sept jours, refusé de prendre des
aliments pour terminer sa vie, fut ramenée à la santé lorsqu'on lui
eut ingéré des aliments à l'aide d'une sonde, et qu'elle eut acquis la
conviction que, malgré elle, on la nourrirait et qu'on l'empêcherait de
mourir de faim.
J'ai vu la substitution d'une passion à une autre guérir la lypémanie,
en s'adressant à l'amour-propre, en l'irritant, l'exaltant. J'ai fait
taire des terreurs imaginaires ; j'ai vu l'amour prendre la place du
délire mélancolique chez deux ou trois jeunes lypémaniaques de la
Salpêtrière.
On doit être sobre dans l'emploi de la crainte et surtout de la
terreur ; ces passions ont une action sédative qui petit avoir les
plus graves conséquences.
Les effets de la musique, auxquels les anciens ont attribué tant de
miracles, sont plus utiles dans la mélancolie que dans les autres
espèces d'aliénations mentales. Galien assure qu'Esculape guérissait
les maladies de l'esprit avec les chants et l'harmonie. On lit, dans
l'histoire de la musique, et dans les écrits des médecins, des exemples
de guérisons produites par ce moyen pour le rendre efficace, il faut
employer un petit nombre d'instruments, il faut choisir des airs
appropriés à l'état du malade. Dans le Mémoire sur Charenton, je
rapporte les résultats que j'ai obtenus de mes essais nombreux sur la
musique.
Le traitement qui s'applique directement à la sensibilité organique et
qu'on appelle traitement physique, lorsqu'il est secondé par l'hygiène,
lorsqu'il n'est point dirigé par l'empirisme et par des vues
systématiques, contribue certainement à la guérison de la lypémanie ;
car si cette maladie est souvent produite par les affections morales,
elle l'est aussi par des dérangements physiques. Il est d'observation,
que les aliénations mentales, la mélancolie, en particulier, offrent
plus de chances de guérison lorsque le médecin peut apercevoir quelques
désordres dans les fonctions de la vie d'assimilation.
Supposons la nature des causes pathologiques qui ont produit la
mélancolie bien connue, les vues thérapeutiques seront dirigées
d'après cette connaissance s'il y a suppression de la menstruation ou
des hémorrhoïdes, il faut rétablir le cours de ces évacuations ; s'il y
a rétrocession de dartres, on agit sur la peau, etc. Il serait superflu
d'entrer dans les détails, les praticiens savent qu'ils ont souvent
affaire à des mélancolies dépendantes de causes semblables.
Il n'est pas toujours aisé de remonter à la connaissance de causes
aussi évidentes, on a traité la lypémanie conformément aux théories et
aux systèmes qui ont prévalu aux différentes époques de la médecine.
Les anciens, considérant cette maladie comme produite par la bile,
l'atrabile, l'humeur corrodante, employaient les évacuants, surtout les
purgatifs. L'hellébore était le remède par excellence contre la
mélancolie, son usage était passé en proverbe ; l'hellébore d'Antycire
était préféré à tout autre. Celse recommande l'ellébore blanc dans la
monomanie gaie tandis qu'il prescrit l'ellébore noir contre la
lypémanie ou mélancolie triste. Quelques modernes ont voulu rappeler
l'usage de l'hellébore ; ils se proposent de purger, mais nous ne
manquons pas d'autres médicaments mieux connus, plus sûrs et moins
dangereux, car les praticiens qui préconisent l'usage de cette racine,
ne lui accordent pas sans doute une vertu spécifique. Pinel s'en tient
aux légers laxatifs, aux purgatifs doux ; les chicoracées, les plantes
savonneuses, combinées avec quelques sels neutres, suffisent pour faire
cesser la constipation, soit qu'elle annonce un accès ou un paroxysme,
soit qu'elle complique la mélancolie. Dans le début des lypémanies, les
vomitifs, les émétocathartiques, sont très utiles. On se trouve bien
aussi d'entretenir une diarrhée artificielle lorsque les forces du
malade le permettent, imitant ainsi la nature dans l'un de ses moyens
de guérison : les lavements plus ou moins irritants ont aussi quelque
avantage. Les évacuants conviennent principalement dans la mélancolie
caractérisée par la nonchalance, l'aversion pour le mouvement et la
lenteur des fonctions. On administre le tartrite antimonié de potasse,
à petites doses rapprochées, soit pour déplacer l'irritation, soit pour
agir sur l'imagination des malades qui se croient bien portants les
douleurs gastriques ou intestinales qu'ils éprouvent attirent leur
attention, leur persuadent qu'ils sont malades, et les déterminent à
faire les remèdes convenables. Chez quelques mélancoliques qui
repoussent toute espèce de médicaments, on emploie des substances
énergiques sous un petit volume, et on les fait prendre à l'insu du
malade, mêlées aux boissons ou aux aliments : tels sont, la gomme
gutte, le diagrède, le jalap, l'aloès, le muriate de mercure doux, etc.
Dans ces derniers temps, Darwin a appliqué à la médecine une machine
dite rotatoire dont l'effet est de produire des évacuations abondantes
par le haut et par le bas. Quelques médecins anglais, entre autres
Masson Cox et Haslam, vantent beaucoup les heureux effets de cette
machine dont, le premier en France, j'ai fait faire un modèle. Quelques
médecins ont craint que l'usage de cette machine ne fût plus nuisible
qu'utile. Elle provoque l'épistaxis, fait craindre l'apoplexie, jette
dans la plus grande faiblesse, amène la syncope et expose à d'autres
accidents plus ou moins alarmants, ce qui l'a fait rejeter. Poursuivant
l'atrabile jusque dans le sang, les humoristes firent de la saignée un
précepte général contre la mélancolie. Arétée, seul parmi les anciens,
la défend expressément dans la plupart des cas. Il ne la permet que
chez les sujets jeunes, au printemps, et en petite quantité. Cullen dit
que la saignée est rarement utile. Pinel l'emploie très peu. Néanmoins,
on peut recourir aux évacuations sanguines locales, tantôt à
l'épigastre, lorsque l'estomac est le siège d'une vive irritation ;
tantôt à la vulve, lorsqu'on veut rétablir le flux menstruel, ou à
l'anus, lorsqu'on veut remplacer les hémorroïdes tantôt à la tête,
lorsqu'il y a des signes de congestion cérébrale. Il m'est arrivé
quelque fois d'appliquer avec succès des sangsues sur l'un des côtés de
la tête, lorsque les lypémaniaques se plaignaient d'une douleur fixe
dans ce même côté.
La lypémanie ne se présente pas toujours escortée de symptômes qui
indiquent la prédominance du système abdominal ou la turgescence du
système sanguin ; quelquefois le système nerveux paraît seul être
cause de tout le désordre ; et Lorry, le premier, a bien senti et
admirablement exprimé le caractère de cette mélancolie, qu'il distingue
parfaitement de la mélancolie avec matière. Dans cette mélancolie,
vulgairement appelée nerveuse, dans la mélancolie sans matière, de
Lorry, les évacuants augmentent le mal. Le médecin doit se proposer de
modifier la sensibilité, de calmer l'excitation nerveuse par les
moyens hygiéniques déjà indiqués, par les boissons adoucissantes, par
les narcotiques, par l'opium, par l'usage de l'eau en vapeur, en
douches, en bains, en affusions ; le bain tiède est plus ou moins.
prolongé, quelquefois pendant plusieurs heures. Le bain d'immersion
dans l'eau froide est utile lorsque la mélancolie est causée par
l'onanisme. Les affusions d'eau froide, en provoquant à l'extérieur une
réaction nerveuse,. font cesser le spasme intérieur, et provoquent une
solution heureuse de la maladie. La douche agit de la même" manière,
outre qu'entre les mains d'un médecin expérimenté, elle peut avoir une
influence morale sur le malade, et le forcer de renoncer à des
résolutions funestes et dangereuses.
Quelques médecins, et particulièrement Teden et Leroi d'Anvers, ont
conseillé de prendre intérieurement l'eau froide à très grandes doses ;
ces médecins la regardent comme un remède presque infaillible contre
le suicide.
Les anciens faisaient un grand usage des narcotiques. Lazare Rivière
vante les bons effets des opiacés. Odier dit avoir guéri une mélancolie
par l'opium, porté graduellement jusqu'à trente grains, et combiné avec
égale quantité de musc. On doit en rejeter l'usage chez les individus
pléthoriques, et disposés aux congestions sanguines.
Quelques enthousiastes ont employé le magnétisme dans le traitement de
la mélancolie : qu'ont-ils obtenu ? Quelques résultats peu avantageux
et même contestés. J'ai fait aussi des expériences et je n'ai pas
obtenu de guérison.
Après avoir exposé rapidement les considérations générales que présente
l'étude de la lypémanie ou de la mélancolie avec délire, nous devrions
indiquer les formes variées que prend le délire mélancolique ; mais
qui pourrait indiquer toutes ces variétés ? Ne sont-elles pas aussi
nombreuses que les modifications que la sensibilité peut éprouver ?
n'empruntent-elles pas leurs caractères à quelques passions exaltées
par l'imagination ? et quoique le fond de la maladie reste toujours le
même, les traits qui caractérisent chaque maniaque se nuancent et se
diversifient à l'infin.
NOTES
1.Ce mot a été admis dans le Dictionnaire de l'Académie
Française,édition de 1835.
2.Medical inquiries and observations upon the diseases of the
mind,Philadelphie, 1812, in-8.
3.Traité des maladies nerveuses ou vapeurs, 2 vol., Paris, 1816,
4. La solitude, trad. par A.J.L. Jourdan, Paris, 1825, in-8.
5.Mémoires de la Société Médicale d'Emulation, III, p. 348.
6. Depuis plus de trente ans, on a conseillé le travail et le travail
de la terre plus particulièrement. Aujourd'hui ce précepte est invoqué
partout et mis en pratique en Allemagne, en Angleterre et en France.
7. Bibliothèque Britannique, Genève, 1816.