Revue Française de Psychanalyse 1955
TROISIÈME RAPPORT Importance du rôle de la motricité dans la relation d'objet
par les Drs PIERRE MARTY et MICHEL FAIN (Paris) ( Nous avons tenté de remettre en forme la numérisation de la
BNF dont ce texte est issu, avec plus ou moins de réussite )
INTRODUCTION -
«
Est-il besoin d'expliquer que le moi est la partie du ça modifiée par
la proximité et l'influence du monde extérieur... Par ordre du ça, le
moi a la haute main sur l'accès à la motilité, mais il a intercalé
entre le besoin et l'action le délai nécessaire à l'élaboration de la
pensée... »
FREUD, Nouvelles conférences de psychanalyse.
Deux
mouvements président à l'élaboration de la personnalité, l'un,
initialement, appartient en propre à l'individu, l'autre est celui du
monde extérieur.
L'élaboration de la personnalité n'est pas faite
d'une simple adjonction de ces deux mouvements mais d'une série
d'interactions d'une complexité croissante, tout au moins pendant une
grande partie de l'évolution individuelle.
La réalité d'un
mouvement propre à l'individu est toujours discucutable. Né de
l'intégration, déjà, de deux cellules parfaitement étrangères l'une à
l'autre, l'embryon devient pendant un temps relativement à l'abri des
problèmes d'une relation d'objet qui s'effectue alors automatiquement,
mais cependant grâce à lui, grâce à son placenta.
Plus tard,
l'enfant est, dans l'espace, de plus en plus indépendant ; la
responsabilité de sa relation d'objet lui incombe davantage au fur et à
mesure de sa croissance. Les objets ont beau se multiplier, notre'
enfant garde en son coeur et en son corps l'empreinte de son évolution
passée, l'empreinte des objets d'amour et de destruction, des objets
amoureux et persécutants. Il reçoit et il donne, il est lui et il est
les autres, les autres aussi sont lui. Il est ainsi obligé de prendre
des mesures par rapport aux autres et par rapport à lui, de s'éloigner
ou de se rapprocher selon ce qu'il sent. Sa motricité et sa
sensorialité qui réglaient toute la relation par le passé laissent la
place à la pensée qui évolue...
C'est l'aspect de certaines des
formes de ce passage de la motricité à divers stades de la pensée que
nous allons esquisser ici.
Les quelques travaux que nous avons pu
faire de médecine dite psychosomatique nous ont conduit à tenter
l'étude d'aujourd'hui. Notre compréhension, bien que très relative, de
la texture profonde des affections somatiques les plus classiques a
toujours mis en évidence deux éléments essentiels : la motricité et la
sensorialité, normales ou pathologiques, d'une part, les diverses
formes, normales ou pathologiques de l'activité mentale, d'autre part.
L'examen
clinique d'un grand n'ombre de céphalalgiques nous amena à considérer
le symptôme de ces malades comme une inhibition douloureuse de la
pensée, cette définition restant valable quelle que fut l'étiologie de
l'affection qui pouvait provenir de facteurs traumatiques ou tumoraux
mais qui, dans la majorité des cas, reposait sur des bases
conflictuelles, au sens analytique du mot.
Le déficit de la pensée
de ces malades atteignait apparemment la sphère intellectuelle ; les
patients avaient des difficultés scolaires, ou d'apprentissage, des «
vides » de la pensée, une insuffisance mnésique. Mais comment concevoir
l'atteinte annihilante, par des facteurs affectifs, d'une fonction
telle que celle de la pensée abstraite ? Il s'agissait
vraisemblablement d'un déplacement. Ce déplacement se vérifia en
partie, bien qu'on put noter dans chaque cas une inhibition de
l'activité psychique sur tous les plans, en particulier sur le plan
fantasmatique, plan d'une production psychique théoriquement dégagée
cependant de tout contact avec l'extérieur. L'inhibition de l'activité
motrice allait, dans la majorité des cas, de pair avec l'inhibition de
la pensée.
Un fait particulier nous attira à ce moment. Il était
signalé par Morton FRENCH et nous le retrouvâmes fréquemment. Les
céphalalgiques, jusque dans leurs rêves, inhibaient l'action et
présentaient des situations où les personnages, tant le sujet que les
objets, figés, pétrifiés, se trouvaient en présence les uns des autres,
pleins de leurs qualités réelles, mais immobiles. Le blocage de tout
mouvement dans la représentation onirique s'étendait quelquefois à la
vie fantasmatique des patients. D'autres fois au contraire, on
assistait, dans les fantasmes, à un débordement d'action, à des viols,
à des carnages. Un lien entre l'activité intellectuelle, l'activité
fantasmatique, l'activité motrice pulsionnelle existait sûrement dont
nous ne parvenions pas à analyser la texture. D'autres travaux connexes
(I), portant sur certains troubles de l'activité musculaire d'une part,
sur les affections visuelles d'autre part, nous confirmèrent nos
premières impressions. Le fait que le mouvement, l'activité motrice
première, même dans une représentation mentale, pouvait être combattu,
nous frappait, comme si la motricité se poursuivait, avec ses qualités
pulsionnelles, jusque dans la pensée, comme si elle évoluait en pensée
et qu'elle gardait ainsi une partie de sa valeur initiale.
L'envisagement
de ces fonctions motrice et psychique, et de leurs rapports,
nécessitait une dimension qui nous guidât dans notre travail. Celle qui
s'imposait naturellement était celle de la relation d'objet.
Notre
pensée a dû être longtemps encore élaborée avant d'aboutir à
l'esquisse, au développement très imparfait que nous apportons
aujourd'hui sur le plan de la psychanalyse, et dont les conclusions
devront être non seulement confirmées, mais aussi éclairées au jour des
diverses disciplines biologiques qui échappent à notre compétence.
Au
point de vue clinique, une séance d'analyse, entièrement rapportée,
nous servira à montrer comment évolue, avec rapidité, la relation
d'objet, et à dégager, en dehors de l'angoisse, les trois formes
essentielles dont nous venons de parler : l'activité motrice, la
fantasmatisation, l'intellectualisation.
Nous verrons ainsi
comment, selon le contenu, selon les modifications pulsionnelles, la
forme de la relation d'objet est transformée et utilisée comme un
mécanisme de défense qui maintient une certaine distance entre le sujet
et l'objet, et qui s'intègre aux autres mécanismes de défense du moi
que nous avons l'habitude de considérer.
La fonction
sensorio-motrice domine ce problème. Maintenant quelquefois, presque
seule, la relation d'objet, elle s'efface souvent devant des formes
plus évoluées dont la valeur transférentielle sera
(i) L'essentiel
de nos observations a été fait dans les Services hospitaliers de MM.
les Professeurs Agrégés Marcel DAVID et Jean GOSSET, de M. le Dr Edward
HARTMANN, Ophtalmologiste des Hôpitaux, de M. le Dr R. KERVRAN (Centre
de post-cure de la M. G. E. N.).
située à chaque
instant. Les niveaux majeurs de relation : activité motrice, angoisse,
fantasmes, intellectualisation, dégagés du compte rendu de la séance,
seront alors globalement envisagés, le rapport entre le contenu
pulsionnel et la forme de la relation sera mis en évidence pour chacun
de ces niveaux.
Au point de vue théorique, nous nous attacherons à
déterminer la genèse de ces formes. Nées de l'évolution d'une
sensorio-motricité primitive qui assurait certains types de contact
avec l'objet, les formes de relation ultérieures sont, à chaque
instant, pleines de la qualité sensorio-motrice primaire très proche de
la pulsion, et peuvent se définir par rapport à cette dernière, selon
son degré d'effacement progressif.
Les mécanismes qui maintiennent
la liaison avec l'objet, en modifiant la nature de l'objet, sont déjà
en place au moment du conflit oedipien. Le stade oral et le stade anal
ont présidé à leur naissance. Nous insisterons donc surtout sur
l'élaboration, des mécanismes de relation d'objet au cours des stades
prégénitaux et sur ses conséquences.
L'identification
sensorio-motrice primaire à l'objet, phénomène de la période orale,
constitue la base de l'intériorisation sur laquelle s'édifie une partie
importante de l'activité psychique. La phase anale de conservation et
de manipulation de l'objet, Pérotisme de rétention, assurent à
l'appareil psychique ébauché une possibilité accrue d'existence et lui
assument un rôle défensif de grande importance et de grande richesse
dans la relation avec l'objet extérieur. La motricité du sujet et ses
qualités primaires, les formes plus évoluées de relation toujours
pleines de cette motricité initiale, la nature des objets éprouvés,
déterminent l'individu jusqu'au point où nous le rencontrons.
Disons
tout de suite que par « motricité », nous entendons l'ensemble du
dynamisme de la musculature striée. Sans doute cette définition
pourra-t-elle être contestée quelquefois, à cause de sa limitation, ou
à cause de sa trop grande extension. La difficulté du langage ne peut
nous arrêter maintenant, la valeur des mots se dégagera surtout de
notre exposé qui se situe essentiellement sur le plan de la
psychanalyse:
Nous ferons ressortir brièvement, tant dans les
conclusions provisoires qui suivront chaque chapitre, que dans notre
conclusion générale, un certain nombre de conséquences Irypothétiques
ou vraisemblables qui découlent de notre étude, sans, souvent
malheureusement, pouvoir les poursuivre longtemps.
II
POINT DE VUE CLINIQUE
Avant d'aborder ce point de vue clinique, nous devons faire une
remarque.
Notre
titre, concernant l'importance du rôle de , pourrait faire penser au
lecteur que nous allons fixer notre sujet à l'examen exclusif des
diverses expressions motrices de l'individu dans sa relation d'objet,
que ces expressions motrices soient coordonnées comme dans le geste, la
posture, la mimique et aussi dans l'action vocale, ou encore dans
d'autres mouvements moteurs faisant intervenir une participation plus
élargie, ou qu'elles soient incoordonnées sous forme d'actes ou de
décharges toujours plus ou moins pathologiques. Ce n'est pas là, à vrai
dire, le principal du thème que nous développerons ici, et notre
attitude mérite ainsi quelques explications préalables.
Nous
croyons que l'évolution de la motricité d'un individu peut être
considérée comme un noyau essentiel de la formation de sa personnalité,
au point que les expressions motrices que l'on retrouve dans la
relation d'objet de l'adulte ne constituent qu'une faible partie de ce
en quoi la motricité est impliquée dans cette relation.
Nous
concevons mal l'existence, même momentanée, d'un sujet dont la relation
d'objet serait établie sans voix, sans geste, sans mimique, sans
contracture, sans hypertonie, sans hypotonie, sans mouvement, autrement
dit sans manifestation motrice concomitante, sans expression motrice,
mais nous savons cependant que là ne sont pas tous les mécanismes de
relation, dont une partie reste formée d'une activité apparemment libre
de toute motricité,- le fantasme pouvant être pris comme exemple.
Cependant,
nous ne pouvons avoir connaissance de ces mécanismes, non moteurs, de
relation, que par l'examen de notre propre personnalité, nous faisant à
la fois jouer le rôle du sujet et de l'objet. Autrement dit, la
relation d'objet ne peut se concevoir, en l'absence de manifestation
motrice, que lorsque l'objet est intérieur.
On pourrait sans doute
objecter à ce moment que si l'expression ne peut être que motrice — et
cela ne souffre pas, croyons-nous, de discussion — la réception, qui
fait tout autant partie de la relation d'objet, peut fort bien, quant à
elle, se passer de la présence d'une activité
motrice quelconque. Il faut à ce sujet remarquer trois choses : d'abord
que la réception sensorielle s'accompagne à peu près toujours d'une
préparation motrice à la réception optima ; ensuite, que la réception
sensorielle n'existe pratiquement pas à l'état pur, mais suscite
immédiatement une réponse, c'est-à-dire une manifestation du sujet,
manifestation qui peut être expressive, c'est-à-dire motrice, ou qui
peut être contenue, c'est-à-dire en relation avec un objet intérieur,
nous pouvons dire avec l'objet intériorisé (I) ; enfin qu'il s'agit
souvent, du moins dans l'atmosphère affective qui nous occupe, de la
réception d'un objet en mouvement.
L'exemple le plus manifeste de
réception aussi éloignée que possible de l'action motrice nous semble
être l'activité de l'analyste. Nous savons justement que le travail
d'identification qui nous sert de base dans notre rôle consiste en une
intériorisation de notre objet, le patient.
Il n'est en somme,
dans la relation d'objet, qu'une alternative : relation motrice avec
l'objet direct extérieur, ou relation pouvant être débarrassée de
motricité avec l'objet intériorisé. Notons encore, à ce sujet, que
l'absence de manifestations motrices, même avec un objet intériorisé,
n'est pas une chose fréquente. Il n'est besoin pour cela que de relever
notre attitude d'analyste en action et de chercher à découvrir les
temps où la relation avec notre objet existe, alors que nous sommes
sans voix, sans geste, sans contracture, sans hypotonie, sans
hypertonie et sans mouvement. Il est vrai que dans ces temps nous
substituerions à notre objet, même intériorisé, un objet plus intérieur
et plus partiel encore, constitué de notre interoceptivité.
Soulignons
dès maintenant, à l'occasion de ce propos, que motricité et
sensorialité forment un tout cliniquement indissoluble et que, lorsque
dans ce chapitre clinique nous utiliserons le terme de motricité, il
ira sans dire que nous ne mésestimerons pas le rôle de l'activité
sensorielle conjointe.
Mais revenons à l'alternative que nous
croyons nécessaire dans la relation d'objet : relation motrice avec
l'objet extérieur, ou relation d'un autre ordre avec l'objet
intériorisé. Il est évident que les faits ne sont que rarement aussi
absolus que cela et se situent à peu près toujours entre deux pôles,
celui de l'impulsion motrice-dirigée sur l'objet, de la réponse motrice
immédiate à la situation, de la relation directement agie avec l'objet,
d'une part, et celui d'une relation débarrassée de toute
(i) Notre « intériorisation » équivaut à l'intenalisation des auteurs
anglo-saxons.
motricité, qui ne se rencontre pratiquement pas, d'autre part. La
plupart des faits cliniques s'inscrit entre ces deux pôles.
Pour
pénétrer plus au coeur de notre travail et saisir un certain nombre de
ces types intermédiaires de mécanismes de relation d'objet — sur
lesquels nous ferons ultérieurement les remarques et indiquerons les
prolongements qui s'imposent — nous allons exposer dans son détail le
contenu et la forme d'une séance d'analyse faite par l'un de nous.
Le
choix de cette séance, arbitrairement fixée à l'avance, fut déterminé
en raison du type courant de Marthe : jeune femme d'une trentaine
d'années, venue consulter pour des angoisses progressivement apparues
depuis son mariage. Marthe, d'une structure essentiellement phobique,
était en analyse depuis plus d'un an lorsque se déroula cette séance.
OBSERVATION (i)
Marthe
est arrivée un quart d'heure en avance. Nous allons la chercher. Elle
nous serre la main après avoir posé la revue qu'elle avait devant elle,
nous dit : « Bonjour Monsieur » en nous regardant, nous précède dans le
couloir qui conduit au bureau, et s'allonge sur le divan après avoir
posé sur un fauteuil son sac, ainsi que la veste qu'elle vient d'ôter.
I
Elle croise les bras et fléchit à demi les deux jambes sur le côté.
II
Marthe
place ensuite sa main gauche sous sa tête, pliant le bras, puis
esquisse quelques mouvements des doigts de sa main droite sur son
flanc.
III
MARTHE. — Je ne pense à rien de spécial si ce n'est que je me demande
pourquoi j'ai froid, éternellement froid.
IV
Légère agitation générale de tout son corps et de ses membres.
V
Ça m'énerve parce que cela n'est pas normal ! (d'avoir froid).
VI
Marthe tousse un peu puis place sa main droite sous ses fesses.
VII
Ça n'est pas la peine que je pose la question parce que vous n'y
répondrez pas !
VIII
| Soupir profond.
IX
Je
n'ai pas d'angoisse d'avoir froid... mais ça n'est pas normal... Ce
n'est pas la peine d'insister, il n'y aura pas de réponse...
X
J'ai rêvé l'autre jour...
XI
Pourquoi, là, vous ne me répondez pas ?
XII
I Soupir.
(i)
Les chiffres romains fixant certains passages permettront an lecteur,
dans notre interprétation ultérieure, de retrouver les paragraphes
visés.
XIII
Ce n'est pas la peine que je
m'énerve... Si pourtant il y a une explication... (Sous-entendu
vraisemblablement : vous pourriez bien me la donner)... Éternellement
gelée comme je suis. J'ai une tension artérielle très basse, je sais
bien...
Remue les deux jambes à ce moment.
... Les autres n'ont pas froid et moi je suis gelée... Bon... J'ai rêvé
l'autre jour, j'étais dans un village avec
ma
mère. J'ai pris un train pour quitter ce village... Le train était
annoncé par un sifflement, c'était un train à crémaillère que je voyais
de loin, j'étais au sommet d'une côte. Il arrivait de ma gauche alors
qu'il devait arriver de ma droite. Pourquoi à 4 h. 30 au lieu de 3 h.
38 ? Les gens du train me conseillent de revenir à la gare. Une femme
pleurait dans la salle d'attente. Elle avait un visage connu. Ma mère
la connaissait. La femme a dit : « La chose la plus cruelle vous ne la
connaissez pas ! » Elle tenait un livre, une revue, c'était la réclame
d'une revue, il y avait un quadrillé. « C'est la lettre reçue de mon
fils. La pièce occupée par mon fils est au nord. Il ne faut pas que je
l'habite, il m'arriverait quelque chose... » Ensuite, je me trouve dans
la rue, devant un cinéma où je trouve les portes fermées... puis là...
Ce n'est pas la peine, parce que... J'ai trouvé ce que c'était...
L'autre jour, cette fameuse question du golf... Il y avait des pieds
devant moi, je n'arrivais pas à jouer. L'autre jour (à la précédente
séance), je n'étais pas angoissée, j'étais nerveuse parce que le soir
je devais — c'était sans importance — faire le championnat de golf...
J'avais peur que ça ne marche pas... question d'orgueil... j'en ai
rêvé...
Nous. — J'en ai rêvé ? Comment ça ?
XIV
MARTHE. —
Oui, dans le rêve... Je suis en train de jouer. Devant moi ces pieds
sur la piste m'empêchent de jouer. Devant le cinéma, je me heurte à des
tas de gens. Les garçons sont des garçons du golf contre qui je joue.
C'était dans le même rêve (sous-entendu : que le train à
crémaillère)... ou dans la même nuit, je ne sais pas si je me suis
éveillée entre les deux.
Marthe a gardé la même position pendant le débit de ce rêve et n'a pas
effectué de mouvements perceptibles.
XV
Elle secoue à ce moment la tête pendant le silence puis se gratte la
joue, puis secoue à nouveau la tête.
XVI
Je m'accroche sur le « comment ça ? » (de notre intervention) comme si
vous aviez marqué une opposition.
Nous. — Comme si j'avais marqué ?
XVII
MARTHE.
— Évidemment, j'interprète, comme si ce que j'ai dit ne vous convenait
pas. Ça n'a pas à vous convenir ou pas, c'est ce que j'ai pensé, c'est
tout ! Je ne peux m'empêcher de traduire ce que vous dites d'une façon
désobligeante pour moi. Je devrais pourtant commencer à ne pas faire
attention à ce que les autres disent !
XVIII
Silence assez long. Secoue la tête.
Nous. — Cette histoire de train ?
MARTHE.
— J'allais dire... C'est la deuxième fois que je rêve de train et de
sac. Ce sac, je l'avais perdu aussi (dam un précédent rêve). Ici, en
retrouvant ce train, c'était en plein été, je devais pourtant traverser
un champ de neige. C'est là que je l'avais perdu, ou oublié, ou
laissé...
XIX
Il serait plus simple de dire à quoi j'ai pensé... Le fait d'avoir un
nouveau rêve... Oh !... Pourquoi ?...
XX
Secoue
la tête, remue la main droite, s'agite, descend s'a jupe, puis se calme
et replie la main gauche sous la tête. Silence pendant ce temps.
Je
ne devrais pas, en me réveillant le matin, essayer de moi-même. ...
Après, ici, j'ai l'impression que ce que j'ai pensé m'influence... J'ai
pensé que c'était un sac de plage... un sac de marin...
Nous. — Un sac de marin ?
XXI
| MARTHE, énervée. — Oui, la forme, pas la taille.
XXII
| Triture de la main droite une boiserie à proximité.
XXIII
Pourquoi, en pensant à ce sac...
Soupire.
Alors que les autres fois ça m'avait...
Allonge la jambe.
Autrefois je pensais vagin (pour sac), là, j'ai pensé testicules, je ne
sais pourquoi !...
J'étais avec ma mère... Ce sac que j'avais perdu...
Se secoue. Place les deux mains sous la tête.
A
ce moment, je fais un mélange de tout ce à quoi j'ai pensé... Ce sac
que je perds avant de trouver ma mère... J'ai l'impression que je
construis. Ce n'est pas spontané. En arrivant ici je dis : « Ce ne peut
pas être ça, ça ne colle pas... » Je partais du regret que j'avais eu
de ne pas être un homme. L'ayant perdu ce sac, je retrouvais ma mère,
je me transformais en femme !... Ça ne tient pas debout... Mais si !
Se touche le front.
C'est
toujours la même chose. Je suis obligée d'admettre certaines choses. Je
ne le sens pas. Mon refus d'être une femme. Si, ça je l'admets, mais je
ne le ressens pas...
Silence.
Nous. — Ce que je ne comprends pas...
MARTHE,
nous coupe la parole. — Je comprends que vous ne compreniez pas.
J'avais déjà rêvé de cette histoire de sac. J'ai fait autrefois le
rapport sac-vagin. Pourquoi aujourd'hui ai-je pensé testicules ? J'ai
perdu le sac, donc, du fait de la présence de ma mère. C'est des
choses...
Plie le bras gauche et le secoue. Triture le coussin sous sa tête.
J'embrouille
tout... J'essaie de laisser aller mon esprit et je pense à ce que j'ai
pensé hier matin en me réveillant... Et pourquoi toujours ce train ?...
Nous. — Vous avez dit sac de marin, effectivement il s'agit d'un sac
d'homme.
MARTHE. — De plage !... Ça peut avoir de nombreuses
formes. Pourquoi de marin ? Je ne sais pas. Ça n'était pas...
Se secoue. Place sa main droite sur le front. Silence.
XXIV
Je pense à quelque chose. Je dis : « Ce n'est pas vrai ! » Je pense
marin, c'est la mer, la mère, je ne comprends pas... »
Nous. — Peut-être comprenez-vous trop bien ?
XXV
MARTHE. — Quand vous dites ça !
XXVI
Se secoue, s'agite.
XXVII
Je ne comprends pas trop bien, ce n'est pas vrai !
XXVIII
Place sa main sur le front.
J'essaie
de comprendre, je ne comprends pas, ce n'est pas vrai... Je ne
comprends pas le rapport entre sac et testicules, et ma mère, je ne
comprends pas...
Nous. — Le champ de neige ?
MARTHE. — Oui ! Alors qu'on est en été. Oui, je ne comprends pas.
Silence;, ne bouge pas, puis s'agite et place à nouveau sur son front
la main droite qu'elle étend dès qu'elle parle.
XXIX
Je ne pense à rien, je revois seulement l'image, mais je ne pense à
rien.
Nous. — Que voulez-vous dire ?
MARTHE.
— Je pense simplement... Je dis : Pourquoi je franchis ce champ de
neige pour aller au train ? Je revois l'image. Je me dis ça et c'est
tout ! Je me le répète.
Nous. — Est-ce que vous ne vous répétez pas cela afin de ne pas laisser
aller votre idée ?
MARTHE. — Non. Non... Parce que... J'allais dire... ... Ce champ de
neige et le train à crémaillère... Je
cherche et ce train à crémaillère fait partie Mais ce
n'est sûrement pas ça Un décor de haute montagne,
du côté de X... Qu'est-ce qui a pu se passer là-bas ?... C'est pas
ça... J'allais dire...
Se secoue.
Pourquoi ? Mais pourquoi ? Pourquoi j'y pense !
Se secoue, agite les doigts de la main gauche.
Je ne vois pas le rapport...
Avec
mes parents, à X..., il y avait un camarade d'Y... J'aime m'entendre
prononcer ce mot de camarade ! Il était avec sa femme qui fait beaucoup
de montagne aussi... Ce garçon, évidemment, était...
Silence, puis se remue, s'agite.
Il me plaisait énormément physiquement, mais je n'ai jamais voulu
coucher avec lui.!... Ah ! mon Dieu !...
Allonge les jambes.
Mais
pourquoi, pourquoi ai-je pensé à cela ?... A X..., donc ce garçon,
toutes les femmes lui plaisaient à mon avis... A ce moment c'était moi
!... Un certain soir... Je ne vois pas le rapport avec cette neige et
le train...
Remue les jambes. Secoue la tête.
Enfin... Oh !
Se remue et s'agite.
XXX
Je vais être obligée de le sortir (ce que je pense)
alors que ça n'a pas de rapport Mais je n'en sortirai
pas sans ça Il avait habitué sa femme à vivre d'une
certaine façon Le soir-la après avoir fait l'amour
avec sa femme devant moi, il a voulu le faire avec moi devant sa femme.
Je n'ai pas voulu... ... Je ne vois pas
le rapport, ça ne correspond à rien.
Silence, s'agite.
C'est là que je ne vois pas, que je ne comprends pas. Pourtant cette
neige !...
Nous. — Que pensez-vous de cela : Il a fait l'amour avec elle devant
vous et voulait que vous le fassiez avec lui devant elle ?
MARTHE. — Ce que j'en pense ?... Partout, il me plaisait
physiquement... Je l'ai toujours pris pour un détraqué, pour un...
XXXI
S'agite. S'est croisé les jambes depuis quelques instants. Se caresse
la joue.
XXXII
Dans un salon, même devant ma mère il me remontait les jupes pour me
caresser. C'est un détraqué !
Nous. — La voilà votre mère !
MARTHE.
— Ça n'a pas d'importance, il le faisait devant n'importe qui et avec
n'importe qui ! Ça m'a amusée un certain temps et c'est tout !
Nous. — Vous avez cependant réintroduit ici votre mère.
MARTHE. — Je ne sais pas pourquoi... J'allais dire... Enfin, ça n'était
jamais devant ma mère, c'était devant tout le monde.
Nous.
— Alors pourquoi avez-vous introduit votre mère comme s'il s'agissait
d'avoir eu des relations sexuelles devant elle, ou qu'elle en ait eu
devant vous. Un homme et deux femmes.
XXXIII
MARTHE. — Pourquoi y ai-je mis ma mère ? D'autant que malgré tout, il
craignait mes parents, pourquoi ?
La
séance est terminée. Nous nous levons, Marthe se lève, enfile sa veste,
prend son sac, et sort, nous serre la main disant « au revoir Monsieur
» en nous regardant, sans manifestation particulièrement notable.
COMMENTAIRE
Avant
d'entreprendre le développement de notre point de vue sur les
mécanismes de relation d'objet utilisés par Marthe dans cette séance et
l'importance du rôle qu'y joue la motricité, nous allons apporter,
classiquement, l'interprétation du contenu de cette séance,
interprétation qui servira ultérieurement à notre démonstration.
A) EXAMEN DU CONTENU
Cette
séance a conduit Marthe, comme le lecteur a pu s'en rendre compte, à la
résurgence de souvenirs concernant la, ou vraisemblablement, les scènes
primitives, sans doute les rapports sexuels des parents, sans toutefois
que ces scènes premières aient été directement évoquées.
Nous allons tenter de suivre le cheminement de la pensée de la
patiente.
Marthe
a froid. Elle se demande d'abord les raisons pour lesquelles elle a
froid (nous savons, par ailleurs, que le froid représente pour Marthe,
d'abord la relation avec sa mère, sa mère froide. Nous avons appris
plus tard que cette sensation de froid présentait des caractéristiques
érogènes déterminant, sur certaines parties du corps, une véritable
excitation sexuelle). Le contact avec nous, dès le début de la séance,
a déclenché ces manifestations et l'angoisse qui en résulte : « Je n'ai
pas d'angoisse d'avoir froid. »
Les questions posées à ce sujet :
« Pourquoi, là, vous ne répondez pas ? », contiennent, en même temps
qu'une demande d'assurance sur le danger présent : « Ça n'est pas
normal », une tentative de déplacer le problème sur un plan moins
affectif, ce que la patiente réalise d'ailleurs par la suite : « J'ai
une tension artérielle très basse. »
Le rêve montre Marthe prête à
quitter sa mère : « J'ai pris un train pour quitter ce village. » En
fait, elle ne la quittera pas si nettement qu'elle le prétend, elle ne
prendra pas de train ce jour-là. Le train contient une valeur érotique
certaine, à la fois homo et hétérosexuelle. (Dans un rêve ultérieur
elle quittera effectivement sa mère, dans un train, puis changera de
train et partira avec son mari dans une autre direction.)
La
question de choisir, ici même, entre les deux directions, être un homme
pour contenter sa mère (et bien d'autres buts prégénitaux).
ou être une femme, se pose nettement : gauche ou droite, 4 h. 30 ou 3
h. 38 (4 h. 30 ou 3 h. 40 ou presque, inversion).
L'hétérosexualité est dangereuse, « les gens du train me conseillent de
revenir à la gare ». La mère pleure, dans l'attente.
Nous
sommes obligés ici de résumer l'interprétation des paroles de cette
femme en attente, une analyse profonde devant nous entraîner trop loin.
Bornons-nous à constater que ces paroles contiennent :
— une valeur sadique : « La chose la plus cruelle » ;
— une incertitude : « Vous ne la connaissez pas » ;
— l'idée de voir, de revoir, et l'exhibition : « Une revue, la réclame
d'une revue » ;
— la notion de relation incestueuse : « La pièce occupée par mon fils »
;
— le rappel du froid érogène : « La pièce est au nord » ;
— la présence d'un danger : « Il ne faut pas que je l'habite, il
m'arriverait
m'arriverait chose » ;
— l'identification à un personnage masculin, dans l'idée d'habiter la
pièce, et d'être le fils.
Nous
retrouvons ici l'hésitation première dans le choix du sexe : être la
mère ou être le fils-pénis, et le danger qui réside dans ce choix. Nous
voyons apparaître le climat incestueux. Nous rencontrons l'image de la
frigidité effective de Marthe dans les rapports sexuels normaux. La
notion de revoir, « revue », va immédiatement nous être confirmée : «
Je me trouve devant un cinéma. » Mais les portes sont fermées. Des
pieds, aussi, l'empêchent de bien voir, et l'empêchent de jouer
correctement. Il s'agit de rapports sexuels : « C'était dans le même
rêve » (que celui du train). Remarquons d'ailleurs que Marthe est ici
dans un rôle masculin (la canne de golf), rôle qu'elle ne défend pas
seulement pour une « question d'orgueil », mais surtout parce qu'il
s'agit de jouer avec, mais « contre », des garçons, seuls personnages
qu'elle signale. Elle joue aussi, évidemment, le jeu érotique
castrateur « contre » nous, et nous signale immédiatement sa projection
: « Comme si vous aviez marqué une opposition. »
Nous sentons, à
proximité de la conscience de la patiente, la scène primitive ou tout
au moins un rappel, une « revue » de cette scène, mais le cinéma est
encore fermé.
L'image du sac apparaît alors. La malade ne va pas,
d'abord, se compromettre, et nous donnera les trois termes qui vont de
l'irresponsabilité à la responsabilité : « Perdu, oublié, laissé. »
Tout dépend évidemment de la valeur symbolique de ce sac. En tout cas
c'est au moment de
la traversée du champ de neige, en compagnie de la mère, que le sac a
disparu. Elle a déjà perdu un sac (vagin) antérieurement, dit-elle,
mais ici la chose ne semble pas la même, ni exempte de danger,
puisqu'il s'agit d'un « sac de marin », d'organes génitaux mâle. Bien
sûr, un petit, « la forme, pas la taille ». (Notons à ce sujet, en même
temps qu'elle triture la boiserie, les reproches que Marthe s'adresse :
« Je ne devrais pas, en me réveillant, le matin, essayer de moi-même...
».)
Voilà donc, à nouveau posée, la question du choix du sexe. Que
peut-elle accepter de perdre, le vagin ou le pénis ? « Je partais du
regret que j'avais eu de ne pas être un homme. L'ayant perdu, ce sac,
je retrouvais ma mère, je me transformais en femme. » Le danger est là.
Souvenons-nous des conseils qu'on lui donnait, à la gare, de revenir en
arrière.
Marthe comprend fort bien alors (au point qu'elle nous «
coupe » la parole) que nous ne comprenions pas, puisqu'elle ne comprend
pas, elle-même, cette possible transformation. L'entrée au cinéma
aurait pu lui apporter des lumières à ce sujet, mais les portes du
cinéma étaient fermées et les pieds la gênaient.
Il est cependant
certain que c'est le sac de marin, provisoirement au moins, qui est
délaissé au profit du sac de mère. Le champ de neige est traversé,
l'été est là. La situation est évidemment dangereuse, chauffée qu'elle
est par le soleil d'été, puisque nous sommes là. Peut-être cette
lumière d'été éclairera-t-elle l'écran ? Un temps de brume et l'écran
va être effectivement éclairé, le brouillard va se lever sur la scène :
« Après avoir fait l'amour avec sa femme devant moi. » Les éléments du
rêve ont encore fourni le matériel nécessaire au décor de « haute
montagne » dans lequel s'est passée la « revue ». Et lorsque nous
saurons, plus tard, qu'il faisait à peu près nuit lorsque se déroulait
ce tableau, nous trouverons justifiée notre pensée première de relais
de scènes primitives, et la difficulté d'y voir le « rapport » ou d'y «
comprendre » quelque chose, dans le noir (de la chambre, du cinéma, de
la montagne) et avec ces pieds, encore, qui gênaient.
L'homme a
fait son apparition en même temps que la scène érotique, et cette fois,
il est distinct. Voyons-le : « J'aime m'entendre prononcer ce mot de
camarade !... Il me plaisait énormément physiquement, mais je n'ai
jamais voulu coucher avec lui... Toutes les femmes lui plaisaient, à
mon avis... Il a voulu faire l'amour avec moi, devant sa femme. Je n'ai
pas voulu... Partout (tous : cet homme, son père, nous) il me plaisait
physiquement... Je l'ai toujours pris pour un détraqué... Dans un
salon, même devant ma mère, il me remontait les jupes pour me caresser.
(Nous savons, par ailleurs, que la malade avait une grande crainte
des contacts avec son père, ainsi que des marques d'affection et des
caresses de ce dernier qui la hérissaient et la faisaient fuir.) ... Ça
m'a amusée un certain temps et c'est tout ! » La situation triangulaire
: elle, son père, sa mère, est nettement posée alors. Devant cette
situation, la malade se rétracte, nie qu'il s'agisse de ses parents «
il le faisait devant n'importe qui et avec n'importe qui... Ça n'était
jamais devant ma mère, c'était devant tout le monde ». Cette défense ne
suffit évidemment pas, elle ajoute alors : « D'autant que, malgré tout,
il craignait mes parents », qui constitue une identification à cet
homme et un retour à la plus grande tranquillité théorique de
l'homosexualité première.
B) EXAMEN DE LA FORME EXPRESSIVE
Après
avoir ainsi rassemblé et dégagé d'une manière à peu près cohérente le
matériel apporté par la patiente dans cette séance, nous allons essayer
de voir dans quelles conditions ce matériel a été fourni par Marthe.
Les
interprétations que nous donnerons dans ce paragraphe porteront sur
trois ordres essentiels de faits concernant la relation d'objet de
Marthe, pendant la séance que nous connaissons, à savoir :
— la forme de la relation et son mouvement (i) ;
— la nature de l'objet : objet extérieur, objets intérieurs, sur
lesquels
nous nous expliquerons brièvement à la fin de ce paragraphe ;
— le rapport entre la forme de la relation et la nature de l'objet.
Certaines remarques préliminaires nous semblent nécessaires.
La
relation analytique est une relation de proximité imposée. L'analyste
est l'objet, et le sujet va tenter, en présence de l'objet, une
approche de ses pulsions, c'est-à-dire une approche des phénomènes qui
l'ont fait fuir dans le biais pathologique des mécanismes de défense de
la névrose. Ce travail ne peut évidemment pas se faire dans n'importe
quelles conditions, et la neutralité bienveillante de l'analyste n'est
sûrement pas suffisante pour permettre au patient d'aller jusqu'à
friser
(I) W. REICH, dans une note écrite en 1945, sur le
paragraphe consacré à l'analyse de la résistance de caractère dans son
ouvrage Character Analysis s'exprime ainsi :
« La forme de
l'expression est beaucoup plus importante que son contenu idéique.
Aujourd'hui en pénétrant dans les expériences décisives de l'enfance,
nous ne faisons usage, exclusivement que de l'expression de la forme.
Ce n'est pas le contenu idéique, mais la forme de l'expression qui nous
conduit aux réactions biologiques qui forment la base des
manifestations psychiques. »
Notre façon de voir s'éloigne cependant très profondément des
conceptions tant théoriques que pratiques de cet auteur. le
passage à l'acte vis-à-vis de l'objet dans les impulsions verbales qui
soulignent obligatoirement les périodes d'abréaction nécessaires.
Deux
systèmes sont adoptés, le premier par les thérapeutes, le second par
les patients, qui permettent aux névrosés d'accomplir cette approche de
leurs mouvements pulsionnels.
• Le système des thérapeutes réside dans la méthode analytique :
position du patient et règle fondamentale.
Le
système des patients sera le point de départ de notre démonstration
ultérieure sur la forme des mécanismes de la relation d'objet.
La méthode des analystes va nous servir d'introduction.
La
position allongée du patient en analyse ôte, théoriquement, à ce
patient, toute possibilité de réception de stimuli, venant de
l'analyste, objet extérieur, autres que les stimuli auditifs. Cette
position, qui soulage le travail musculaire du maintien de
l'équilibration, limite, par ailleurs, la liberté de mouvements du
sujet en analyse et ne lui permet pas, en tout cas, d'entrer en contact
effectif avec l'analyste.
La règle fondamentale recommande au
patient de verbaliser tout ce qu'il peut verbaliser de lui-même. « Nous
invitons le malade à se mettre dans un état d'auto-observation, sans
arrière-pensée, et à nous faire part de toutes les perceptions internes
(I) qu'il fera ainsi. »
Cette double méthode, en résumé, tend à
éviter le plus possible à l'analysé la relation sensorio-motrice avec
l'analyste - objet extérieur. Nous comprenons facilement son intérêt.
La forme sensorio-motrice de relation étant la plus proche de l'élément
pulsionnel de base, nous devons éviter au patient d'en être, d'abord,
trop près, pour lui permettre, ultérieurement, de s'en rapprocher
jusqu'aux formes verbales impulsives d'abréaction.
Nous allons
voir que le patient renforce spontanément la prescription analytique en
éloignant de lui-même l'objet extérieur, réel et les risques de le
détruire, par diverses formes graduées d'intériorisation de cet objet.
Dans
l'interprétation de la forme de cette séance, nous utiliserons les
termes d'objet extérieur, direct, et d'objet intérieur, et nous
distinguerons plusieurs formes (fantasmatique, intellectuelle, par
exemple) de cet objet intérieur. Il nous est impossible, maintenant, de
définir de façon précise ces termes que nous allons justement être
appelés à présenter et à illustrer dans notre étude clinique, et à
expliciter, en en soulignant la genèse, dans notre étude théorique.
(I) Le mot « internes » n'est pas souligné dans le texte de FREUD.
Nous
nous limitons donc, pour l'instant, à signaler que l'objet extérieur
est, dans notre interprétation clinique, l'analyste. La patiente est en
rapport direct avec cet objet extérieur à certains moments seulement de
la séance, moments où sa verbalisation est impulsive par exemple,
lorsqu'elle s'adresse à nous sans arrière-pensée, pouvons-nous dire
après FREUD.
L'objet intérieur, dont nous pouvons donner pour type
le fantasme ou l'élément intellectuel, est ainsi nommé parce que, même
s'il constitue au maximum une représentation de la réalité, il reste
cependant intérieur au sujet, « transportable » par le sujet
pourrions-nous dire, et sans relation directe avec l'objet extérieur.
Il peut seulement, dans quelques cas, servir de base au pont jeté par
la patiente à l'objet extérieur, à l'analyste, lorsque cette patiente
verbalise par exemple, devant l'analyste, son fantasme. Il ne s'agit,
alors, que de l'extériorisation d'un objet intérieur, le fantasme, qui
dans sa nature première, nous le verrons, a justement pour qualité
essentielle d'être un objet intérieur.
A chaque instant, la forme
de la relation est en rapport avec le contenu, et ce rapport maintient
l'objet à une distance déterminée, malgré les vagues pulsionnelles.
Cette distance diminue au cours de l'analyse jusqu'à friser l'impulsion
motrice, et c'est à partir de cette distance minima que se restaurera
la personnalité sur une base solide.
Nous allons maintenant
assister, tout au long de la séance précédemment présentée, à la
succession des moyens de relations de Marthe avec nous, dont fait
partie la « forme intime du récit » (AJURIAGUERRA), succession de
moyens de relation d'objet qui se fond avec le travail d'approche des
pulsions.
Nous n'insisterons pas sur le préambule analytique, nous
voulons dire sur la période dans laquelle nous allons chercher la
patiente et jusqu'à ce qu'elle soit allongée. La situation est là
complexe, les objets sont multiples, les déplacements possibles sont
nombreux, l'activité motrice est riche. Il est a remarquer, à ce sujet,
l'apparence calme de Marthe et sa relation apparemment simple avec ce
qui l'entoure, faits qui contrastent, nous le savons, avec la suite de
la séance, lorsqu'étendue, Marthe en sera réduite à s'exprimer par la
voix et par une motricité limitée, seules canalisations permises.
Nous
nous attacherons d'abord à chacun des mouvements de Marthe, la suivant
pas à pas dans le début de la séance. Puis, pour éviter trop de
redites, les mécanismes essentiels de relation d'objet de Marthe étant
déjà vus, nous ne soulignerons que certains passages particulièrement
caractéristiques (I).
I.
Elle croise les bras et fléchit à demi les deux jambes sur le côté.
Cette
situation posturale a été ultérieurement, sur notre demande,
interprétée par la malade elle-même, et consiste en une opposition à un
viol possible de notre part. Elle n'est accompagnée d'aucune
représentation mentale. Nous sommes, ici, objet extérieur. Et, malgré
tout, nous pouvons penser qu'un objet intérieur existe. En effet,
Marthe n'adopte pas, en fait, son attitude de refus, contre un viol
possible de notre part, mais surtout contre son désir (forcément
intérieur) de ce viol.
Nous disons cependant que la situation
n'est accompagnée d'aucune représentation mentale parce que, à la suite
de manifestations identiques, nous avons interrogé Marthe. Ce n'est que
la cessation de son activité motrice de rejet qui a permis à Marthe de
fantasmer le mouvement qui venait de se passer, rien de « mental » ou
de « psychologique » ne s'étant déroulé, selon la patiente, au cours du
mouvement lui-même. Nous disons, de ce fait, que nous sommes à ce
moment « objet extérieur » la relation étant, dans sa majeure partie,
établie directement avec nous, sans intermédiaire objectai intérieur
conscient. Par ailleurs, l'analyste, c'est-à-dire nous, « objet
extérieur », sommes réduit à un rôle seulement relatif d'objet
extérieur, tel que nous l'avons précisé dans le préambule.
II.
Marthe
place ensuite sa main gauche sous sa tête, pliant le bras, puis
esquisse quelques mouvements des doigts de sa main droite sur son
flanc.
Interprétation donnée, dans les mêmes conditions que la
précédente, par la malade elle-même. Se relevant la tête de la main,
elle se place ainsi hors de portée de ce qu'elle croit être notre champ
visuel (nous sommes encore objet extérieur). Les mouvements des doigts
n'ont pas été interprétés. Ce geste et cette attitude ne sont
accompagnés d'aucune représentation mentale.
III.
« Je ne pense à rien de spécial si ce n'est que je me demande pourquoi
j'ai froid, éternellement froid. »
(I)
Notre façon d'envisager la forme transférentielle de la relation
d'objet, que nous développons dans les pages suivantes, ne semble pas
avoir été antérieurement présentée dans la littérature analytique dont
D. LAGACHE fait un très large compte rendu dans Le problème du
transfert, 1951.
Nous l'avons
vu, le froid est érogène. Il est, ici, représenté comme vécu,
c'est-à-dire profondément intérieur, comme objet interoceptif. Cette
sensation est traduite par une double précision oratoire :
« Je ne pense à rien » qui montre l'absence d'un intermédiaire
fantasmatique.
«
Je me demande », forme pronominale, souligne un enfouissement, une
intériorisation de l'objet. C'est à elle (à nous intériorisé) sous une
forme immobile, « intellectuelle », qu'elle le demande.
La
manifestation de froid est une relation érotique, nous le savons. Mais
elle « nous » demande pourquoi elle a froid. Nous sommes donc
intériorisé à deux degrés :
— le plus superficiel, d'observateur, c'est « nous » à qui elle le
demande
(sous la forme « je me demande ») ;
— le plus profond, en tant que jouant un rôle dans le froid érotique.
érotique.
Il y a donc là :
— un objet profondément enfoui, le froid ;
— un objet intermédiaire avec qui elle fait ses réflexions ;
— un objet extérieur (nous réel) avec lequel elle n'a pas, apparemment,
de relation directe.
Nous
pouvons ainsi constater que l'objet (nous) n'est pas exclusivement
intériorisé, mais qu'il s'agit de l'intériorisation de toute la
relation avec nous, à deux niveaux différents.
IV.
Légère agitation générale de tout son corps et de ses membres.
Interprétée,
ultérieurement, comme destinée à se débarrasser de nous, ainsi redevenu
objet extérieur. La proximité de l'objet due au rapprochement précédent
fait place à une manifestation de rejet d'un objet trop proche. La
manifestation de rejet est motrice.
V.
« Ça m'énerve parce que cela n'est pas normal » (d'avoir froid).
Reprise
de l'idée de froid, donc de rapports avec nous, objet intérieur au
second degré. Notons la reprise de la forme pronominale. Même
construction qu'au III.
VI.
Marthe tousse un peu puis place sa main droite sous ses fesses.
La
toux, classiquement, est un système de rejet d'un objet intérieur. Trop
d'interprétations sont possibles. Manquant de certitudes, nous
n'interpréterons pas ce mécanisme:
La main droite placée sous les
fesses, après avoir été devant la bouche qui tousse, est un acte, puis
une posture, destinés à maintenir immobile une main agressive. C'est
une manifestation de rapprochement, motrice et « consciente » ici, de
l'objet extérieur.
VIL
« Ça n'est pas la peine que je pose la question parce que vous n'y
répondrez pas ! »
Premières
paroles s'adressant presque directement à nous (vous n'y répondrez
pas). L'objet reste cependant intérieur. Marthe donne la réponse pour
nous, mais n'a jamais, jusqu'ici, été aussi proche, verbalement, d'un
rapport avec la réalité.
VIII.
Soupir profond.
Il est
difficile d'estimer la valeur propre du soupir, c'est une manifestation
proche, nous le savons, de l'angoisse. L'angoisse peut être,
éventuellement, considérée comme une relation d'objet avec un objet mal
dessiné, ineffable, ni intérieur, ni extérieur, comme la relation avec
l'objet que l'on pourrait dire momentanément disparu.
IX.
« Je
n'ai pas d'angoisse d'avoir froid... mais ça n'est pas normal... Ce
n'est pas la peine d'insister, il n'y aura pas de réponse... »
L'angoisse a été effectivement traversée comme le soupir précédent le
laissait prévoir.
Comme
nous le signalions au paragraphe précédent, l'angoisse peut être
considérée comme une relation d'objet (nous ne nous éloignons pas de la
position classique, en ce fait). L'angoisse est alors le moment, le
passage, l'infiltration, l' « irruption » (PASCHE le dit en ce terme,
mais dans d'autres conditions), de la relation d'objet dans le sujet,
lorsqu'il n'y a plus de sujet ni d'objet distincts. Ce passage peut se
faire dans les deux sens, soit d'intériorisation de
la relation d'objet lorsque cette relation directe est dangereuse, soit
d'extériorisation de la relation, avec restitution de l'objet, remise
de l'objet à sa place, dans la prise de conscience par exemple.
Le
mouvement de la relation semble ici, d'abord un mouvement
d'intériorisation de l'objet à la faveur de l'intériorisation de la
relation, avec un passage angoissant concomitant, puis une relation
avec l'objet intérieur, plus intérieur encore, moins direct que dans le
« vous n'y répondez pas » précédent, où l'objet était malgré tout
nommément désigné.
X.
« J'ai rêvé l'autre jour... »
Nous
savons ce qu'elle a rêvé, et ce que cela représente pour elle,
inconsciemment, à savoir la représentation de la scène primitive et
l'incertitude pesant sur la nature de l'objet (PASCHE pense que
l'identification primaire simultanée aux deux parents — notre
observation en est une illustration — est à l'origine du caractère
terrifiant de cette scène), le possible abandon du pénis,
l'envisagement de l'homme, de rapports peut-être dangereux avec lui, la
mère sûrement dangereuse. On ne s'étonnera pas, dans ces conditions, de
tout le préambule que l'on peut considérer comme introductif à ce rêve
et de la recherche d'une distance convenable, pour Marthe, à la
relation avec nous nécessaire au rapport du rêve, distance trouvée
obligatoirement proche de l'angoisse, après tout ce tâtonnement fait de
relations plus ou moins directes et d'intériorisations plus ou moins
profondes. XI.
« Pourquoi, là, vous ne me répondez pas ? »
Les
paroles, impulsives, s'adressent, pour la première fois, directement à
nous. Marthe n'a jamais été si proche de la relation directe positive
avec nous, objet extérieur réel.
XII.
Soupir.
L'objet est
sans doute réintériorisé avec un nouveau passage d'angoisse. Cette
modification suit la première relation verbale impulsive avec l'objet
extérieur. La distance fantasmatique qui permet le rapport du rêve
n'est pas encore trouvée.
XIII.
«
Ce n'est pas la peine que je m'énerve... Si pourtant il y a une
explication... (Sous-entendu vraisemblablement : vous pourriez bien me
la donner). ... Éternellement gelée comme je suis. J'ai une tension
artérielle très basse, je sais bien. »
Remue les deux jambes à ce moment.
« ... Les autres n'ont pas froid et moi je suis gelée... Bon... »
Les
mécanismes précédents semblent, ici, repris successivement avec
rapidité, comme s'il s'agissait d'un résumé du préambule qui a servi à
établir la distance optima qui, pouvons-nous penser, va permettre le
récit du rêve.
« Ce n'est pas la peine que je m'énerve », forme
pronominale, montre la relation (qui contient l'objet), intériorisée et
retenue dans un effort. Marthe observe son énervement. Puis elle nous
considère de façon plus détachée d'elle mais le « vous » ne sort pas.
Son objet intérieur, n'est pas assez proche de la réalité que nous
représentons. Elle intellectualise ensuite, enfouit à nouveau, prenant
une nouvelle distance par rapport à un objet très intérieur cette fois,
intellectuel.
Marthe remue les deux jambes. Nous savons qu'elle nous repousse ainsi
en tant qu'objet extérieur.
Le
« Bon »... final peut être interprété, croyons-nous, ainsi : « Bon,
j'ai trouvé le passage (entre elle et nous), je suis sur un terrain
possible, à une distance convenable » ; et effectivement, cette fois,
le rêve va sortir.
XIV.
MARTHE. — « Oui, dans le rêve... Je
suis en train de jouer. Devant moi ces pieds sur la piste m'empêchent
de jouer. Devant le cinéma je me heurte à des tas de gens. Les garçons
sont des garçons du golf contre qui je joue. C'était dans le même rêve
(sous-entendu : que le train à crémaillère)... ou dans la même nuit, je
ne sais pas si je me suis éveillée entre les deux. »
C'est la
réponse à notre question : « J'en ai rêvé, comment ça ? » qui demandait
des précisions sur la réalité qui avait été le point de départ du rêve.
La seule perturbation que notre question apporte au débit du rêve
est l'interruption : « C'était dans le même rêve (sous-entendu : que le
train à crémaillère) ou dans la même nuit, je ne sais pas si je me suis
éveillée entre les deux... » Cette interruption
marque une réflexion de Marthe sur elle-même, une manipulation
nécessaire pour estimer le niveau de l'objet, une vérification de son
effective intériorité, ce mécanisme nous niant ainsi en tant qu'objet
extérieur qui vient de se manifester.
XV.
Elle secoue à ce moment la tête pendant le silence puis se gratte la
joue, puis secoue à nouveau la tête.
Nous
n'interpréterons pas, faute de connaissance à ce sujet, le fait qu'elle
se gratte la joue. (L'auto-érotisine est cependant évident.) Secouer la
tête nous est, par contre, connu : c'est un moyen de rejeter un objet
intérieur constitué par une image fantasmatique.
XVI.
« Je m'accroche sur le « comment ça » (de notre intervention);, comme
si vous aviez marqué une opposition. »
Le
« vous » est à nouveau employé, la dernière fois (XIII) il avait été
seulement esquissé. L'objet intérieur, l'image fantasmatique à rejeter,
c'est la relation d'opposition que, selon Marthe, nous avons marquée.
Il nous faut dire quelques mots à ce sujet. La relation d'objet de
Marthe est tout entière déterminée par deux tendances violentes,
classiques, à notre égard : celle d'avoir avec nous des rapports
sexuels — nous venons d'en voir certains aspects — d'une part, celle de
nous frapper, de nous blesser, de nous détruire, d'autre part. Ce
mélange instaure le désir d'une relation sado-masochique que Marthe
cherche souvent à établir avec nous. Cette relation est effectivement
érotisée dans le contact analytique, au point que nos interventions ont
dû, depuis longtemps, être réduites au strict minimum car, toujours
interprétées comme une opposition, elles ont déclenché à plusieurs
reprises une véritable excitation sexuelle, bien faite pour que Marthe
s'en tienne là et empêche ainsi l'analyse de se dérouler. On conçoit
donc que notre intervention ait été interprétée dans le sens d'une
opposition, d'un viol, manifestations d'un objet extérieur, accepté
comme tel, comme le montre le « vous » directement lancé dans la
réponse de Marthe.
Retenons que les deux phases précédentes (XV et
XVI) ont suivi de peu notre intervention. On peut se demander si la
relation n'aurait pas continué sur le même mode de facilité que
précédemment si nous n'étions pas intervenu. On
peut se demander aussi si nous ne sommes pas intervenu pour tâter, nous
aussi, le terrain, le niveau de la relation, et en éprouver la
solidité. La « question d'orgueil » nous ayant vraisemblablement fait
sentir la sous-jacence très proche du pénis, nous devions être étonné
que la relation se poursuive d'une allure aussi confortable.
XVII.
MARTHE.
— Évidemment, j'interprète, comme si ce que j'ai dit ne vous convenait
pas. Ça n'a pas à vous convenir ou pas, c'est ce que j'ai pensé, c'est
tout ! Je ne peux m'empêcher de traduire ce que vous dites d'une façon
désobligeante pour moi. Je devrais pourtant commencer à ne pas faire
attention à ce que les autres disent !
Il y a là, dans une
tentative d'intellectualisation rassurante, une espèce d'immersion de
l'objet dans les profondeurs intérieures. Marthe établit une relation
avec un objet très enfoui, profondément éloigné de la réalité. Ses
paroles ont l'air de constituer une relation positive avec nous ; en
fait, cette apparence positive ne tient que grâce à l'intériorisation
intellectuelle. Cette qualité intellectuelle de l'objet est marquée
dans le fait que Marthe prend parti dans un choix de matériel presque
totalement dépourvu de réalité extérieure, presque totalement dépourvu
de relation avec l'objet réel.
XVIII.
Silence assez long. Secoue la tête.
Le
fantasme d'opposition qui contient, nous le savons, la relation
génitale avec nous, réapparaît. L'objet, d'intellectuel qu'il était, se
rapproche de la réalité, Marthe éprouve le besoin de s'en débarrasser
en secouant la tête à nouveau.
XIX.
.« Il serait plus simple de dire à quoi j'ai pensé... Le fait d'avoir
un nouveau rêve... Oh !... Pourquoi ?...
«
Il serait plus simple », dit Marthe, de verbaliser le fantasme, de le
sortir, de le rendre presqu'à la réalité, en l'affrontant à la réalité.
Cela serait théoriquement « plus simple » mais, en fait, il s'agit
de sortir le sac-pénis, nous le savons. La distance n'est pas trouvée
pour une telle sortie, pour une telle prise de conscience.
La
phrase de Marthe se situe entre deux temps où elle secoue sa tête pour
la débarrasser du fantasme de relation d' « opposition » avec nous. Il
est certain qu'ici, Marthe poursuit, à travers sa réticence, le profit
érotique de cette « opposition », et cela n'est pas fait pour faciliter
la sortie du fantasme.
XX.
Secoue la tête, remue la main
droite, s'agite, descend sa jupe, puis se calme et replie la main
gauche sous la tête. Silence pendant ce temps.
C'est ici un
éloignement moteur de l'objet trop proche de la sortie, trop près
d'être rendu à sa presque réalité. Ce passage à peine esquissé au plan
moteur, plan de l'action, va de pair avec le double éloignement :
secouer la tête pour se débarrasser du fantasme sans l'extérioriser et
descendre la jupe pour se débarrasser de la presque réalité. Le
repliement de la main sous la tête correspond, nous l'avons vu, à une
tentative de disparaître de notre champ visuel, à un prolongement de
l'évitement de notre proximité effective.
XXI.
MARTHE, énervée. — « Oui, la forme, pas la taille. »
Malgré la précaution de forme, la relation est franche, l'objet étant
fantasmatique.
XXII.
Triture de la main droite une boiserie à proximité.
Il
s'agit, nous le pensons d'après le contexte, d'un équivalent
masturbatoire. L'objet, qui est classiquement une partie du sujet, est
ici déplacé à l'extérieur. C'est la première manifestation motrice
franche de relation positive avec un objet extérieur. Mais c'est un
équivalent masturbatoire, et nous pourrions longuement épiloguer
là-dessus.
XXIII.
MARTHE, nous coupe la parole. — « Je comprends que vous ne compreniez
pas. »
Le
niveau de relation établi par Marthe semble effectivement « bon ». Nous
sommes intériorisé juste au point qui permet à Marthe de continuer nos
phrases.
XXIV.
« Je pense à quelque chose. Je dis : Ce n'est pas vrai ! Je pense
marin, c'est la mer, la mère, je ne comprends pas... »
Marthe
fait ici la distinction entre deux objets intérieurs : penser (qu'elle
fait) et comprendre (qu'elle ne fait pas). Il s'agit de deux formes
fantasmatiques, la seconde beaucoup moins intellectuelle, plus
affective, est, nous le savons, très proche de la réalité. Il s'agit de
comprendre effectivement, d'abréagir, de laisser aller l'impulsion
sinon motrice, du moins verbale.
XXV.
MARTHE. — Quand vous dites ça !
L'impulsion
verbale est nette, la relation avec nous, objet extérieur réel, est
étroite comme le paragraphe précédent le faisait pressentir. Notre
intervention a évidemment précipité les choses, en nous manifestant
comme objet extérieur.
XXVI.
Se secoue, s'agite.
Elle se débarrasse de nous qui étions trop proche en tant qu'objet
extérieur, d'où l'utilisation de la motricité.
XXVII.
« Je ne comprends pas trop bien, ce n'est pas vrai ! »
Marthe
revient à l'objet intériorisé, dont elle se rapproche ainsi, tout en
vivant la proximité impulsive qui accompagne la « compréhension »,
l'extériorisation, la confrontation du fantasme et de la réalité.
XXVIII.
Place sa main sur le front.
La
tête, le front, sont à nouveau pris comme objet. Il s'agit de cacher le
fantasme et sa compréhension, trop proches de l'abréaction ou de
l'action, de le maintenir dans la boîte, de l'empêcher de sortir.
XXIX.
« Je ne pense à rien, je revois seulement l'image, mais je ne pense à
rien. »
Le
fantasme-image, objet intérieur immobile, apparaît et assure une
distance que « penser » raccourcirait. Marthe a substitué « penser » à
« comprendre ». Tout à l'heure (XXIV), elle pensait et ne comprenait
pas.
XXX.
« Je vais être obligée de le sortir (ce que je
pense), alors que ça n'a pas de rapport... Mais je n'en sortirai pas
sans ça... »
Laisser sortir le fantasme est dangereux. En sortant,
il devient presque action. Elle n'en sortira pas sans ça. Le fantasme,
bien qu'objet intériorisé, c'est aussi elle et c'est justement, là, la
différence avec la réalité extérieure qui n'est plus seulement elle.
On
voit ici, nettement, que l'objet n'est intériorisé que grâce à
l'intériorisation de toute la « relation d'objet » qui constitue le
fantasme.
Sortir le fantasme, c'est remettre l'objet à sa place,
au dehors, le restituer, et avoir ainsi des rapports avec l'objet
extérieur, réel.
XXXI.
S'agite. S'est croisé les jambes depuis quelques instants. Se caresse
la joue.
Éloignemeut
d'un objet extérieur, trop proche, par voie motrice. Puis, l'objet
devient une partie d'elle-même. Marthe se caresse la joue, comme au
XXII elle triturait la boiserie à proximité. Mais la satisfaction
d'auto-érotisme est nette ici.
XXXII.
« Dans un salon, même devant ma mère, il me remontait les jupes pour me
caresser. C'est un détraqué. »
L'objet
est effectivement intérieur, sous forme fantasmatique. C'est lui qui la
caressait tout à l'heure lorsqu'elle se caressait la joue. C'est nous
aussi qui sommes intérieur, et cette intériorisation permet à Marthe de
reprendre le rapport verbal.
Un « détraqué », que ce soit lui ou
elle, est un individu dont le mécanisme est détraqué et justement le
mécanisme « normal » de la rétention de l'action impulsive;
pulsionnelle, par incorporation de la relation d'objet, au moins sous
forme fantasmatique.
XXXIII.
« Pourquoi y ai-je mis ma mère ? D'autant que malgré tout, il craignait
mes parents, pourquoi ? »
L'intériorisation rassurante de l'objet persiste. Les deux phrases nous
le confirment.
«
Pourquoi y ai-je mis ma mère ? » Marthe fait là comme si elle était
libre ou non d'y mettre sa mère. Elle n'en est libre que dans la mesure
où l'objet, intérieur, est manipulable par elle.
« Il craignait
mes parents. » Nous savons que c'est elle qui craint ses parents, les
caresses de son père et l'hostilité de sa mère.
DISCUSSION
Quelques remarques, d'ordre général, s'imposent dès maintenant.
Les
interprétations que nous avons faites des mécanismes de relation
d'objet de Marthe sont des interprétations schématiques. Nous avons
tenté de dégager de notre matériel certaines formes de relation, et
d'établir ainsi une espèce de hiérarchie linéaire de ces formes qui,
partant de la relation motrice pulsionnelle directe avec l'objet
extérieur, vont jusqu'à la relation intellectuelle avec l'objet
profondément intériorisé. Or, cette hiérarchie linéaire se heurte à la
réalité pour trois raisons essentielles.
D'abord, parce que nous
traitons de phénomènes dynamiques en des termes obligatoirement
statiques, que nous fixons des moments complexes qui perdent, de ce
fait, de leur réalité (en cela, nous ne faisons rien d'autre, au fond,
que d'utiliser, mais délibérément, des mécanismes identiques aux
mécanismes d'intellectualisation de Marthe).
Ensuite, parce que
les mécanismes que nous indiquons comme se produisant dans un sens qui
éloigne la relation d'objet de la motricité pulsionnelle primitive, se
produisent également, et en même temps, dans la direction opposée, sans
qu'il nous soit possible de cerner toutes les nuances de ces
oppositions concomitantes, ne signalant que la qualité dynamique
essentielle du mouvement que nous percevons.
Enfin, parce que nous
utilisons une classification unidimensionnelle, négligeant sûrement
ainsi un certain nombre de mécanismes qui, pour ne pas toucher au vif
de notre sujet, n'en jouent pas moins un rôle important dans la
polyvalence de la réalité (là encore, nous ne faisons que poursuivre un
objet unique, notre thème, mais délibérément, comme Marthe poursuit,
sans s'en douter, son unique objet, à travers les innombrables
variations de tout ce qui l'entoure).
Une seconde limitation est
imposée à la valeur générale des conclusions que nous pourrons tirer de
nos interprétations. Cette limitation a ses origines dans les faits que
les mécanismes que nous décrivons n'appartiennent en propre qu'à
Marthe, et n'appartiennent en propre qu'à cette séance, que Marthe
n'est qu'une phobique, enfin qu'il s'agit là d'une relation d'objet
dans le transfert. Tout cela sans compter, encore, l'insuffisance
vraisemblable de nos perceptions et l'insuffisance du langage écrit qui
ne nous permet pas de signaler toutes les modulations tellement
significatives de la parole.
Nous avons donc affaire, ici, à des événements d'une portée
théoriquement réduite.
Cette
limitation nécessaire est cependant très relative. Nous avons souligné
le rétrécissement imposé par la règle analytique de la valeur de
l'objet extérieur qu'est l'analyste ; nous savons maintenant que ce
mécanisme est peu de chose en regard de +l'importance des mécanismes
identiques dont use le patient, et dont il use dans n'importe quelle
circonstance, nous voulons dire même en dehors de l'analyse. Le
syndrome de Marthe est, par ailleurs, un des plus vastes, celui qui
s'étale le plus dans le cadre des névroses de transfert. Enfin, cette
séance, bien que mouvementée et riche, et qui se situe en plein cours
d'analyse, ne constitue nullement un cas particulier. Nous aurions,
d'ailleurs, pu faire la même interprétation sur n'importe quelle séance
de n'importe quel patient.
Nous sommes, cependant, loin de croire
que nous avons dégagé ici toutes les formes majeures de la relation
d'objet dans le transfert, et l'analyse identique de certains syndromes
(nous pensons en particulier à la névrose obsessionnelle) permettraient
sans doute de compléter avantageusement notre démonstration.
Le
plan de notre développement sera simple. Nous soulignerons, comme nous
venons de le dire, les niveaux essentiels, caractéristiques,
spécifiques, sur lesquels Marthe bâtit sa relation d'objet, au gré du
matériel, du contenu qui se présente à elle, et en rapport avec ce
contenu. Nous examinerons ainsi successivement et brièvement :
l'activité motrice d'une part, l'angoisse, les fantasmes,
l'intellectualisation, d'autre part, mécanismes de relation d'objet
s'éloignant de plus en plus de la motricité pulsionnelle initiale. Nous
montrerons comment ces mécanismes se substituent les uns aux autres, et
peuvent être repris tour à tour comme objet par le sujet. Nous verrons
enfin comment on peut penser que cette évolution reste une adaptation à
l'objet et permet au sujet d'accepter la proximité effective de l'objet
dans l'analyse.
A) L'ACTIVITÉ MOTRICE
Gestuelle, posturale,
d'agitation générale ou segmentaire, mimique, servant aussi à
l'accomplissement de fonctions corporelles, l'activité motrice
s'exprime tout au long de la séance, occupant la plupart du temps des
silences, accompagnant une activité mentale, ou existant sans elle.
Dans un ouvrage récent, plein d'intérêt en raison des données apportées
et de la large base sur laquelle se place l'auteur, J. DE AJURIAGUERRA
nous montre les rapports de l'activité motrice, telle que nous
l'entendons, avec le langage et le geste, selon leurs différents
niveaux d'intégration et de désintégration. Nous ne pouvons, ici, faire
un tel développement, nous limitant à analyser l'expression motrice de
Marthe pendant la séance, en fonction de la nature de l'objet qu'elle
vise.
P. LUQUET, dans un très intéressant travail : A propos du
geste dans l'analyse, traite des activités motrices des patients
pendant leur traitement et de leur interprétation, soulignant
l'importance de la valeur de ces activités. Il distingue des décharges
motrices élémentaires la mimique, la posture, l'acte, le geste, et
situe ces événements selon leur degré de conscience et leur finalité.
Notre étude, ne s'attachant que peu à déterminer la nature intime des
diverses formes d'activité motrice, les envisageant seulement sous
l'angle de l'appréciation de la forme de l'objet, nous regretterons de
ne pouvoir discuter ici les termes de cet exposé.
Il est difficile
de préciser dans quelle mesure les réactions motrices de Marthe
s'approchent ou s'éloignent de la motricité pulsionnelle basale et, de
ce fait, s'éloignent ou s'approchent de ce qu'on a l'habitude d'appeler
la motricité volontaire.
Nous pouvons cependant penser que, au fur
et à mesure de l'éloignement de l'activité motrice de sa forme
pulsionnelle initiale, cette activité est en rapport avec un objet de
plus en plus intériorisé.
Il n'est pas question, pour nous, de
distinguer grossièrement deux catégories absolues de manifestations
motrices, les unes plus ou moins proches des pulsions, inconscientes en
tout cas, s'adressant à l'objet extérieur, les autres « conscientes »,
accompagnant un contenu mental et ne servant que d'intermédiaire, de
pont, entre la relation qu'établit le sujet avec son objet intérieur,
son fantasme par exemple (qui inclut l'objet) d'une part, et l'objet
réel extérieur, d'autre part. Toute l'évolution individuelle s'oppose à
l'absolu d'une telle distinction (1). Mais il semble bien qu'il existe
ainsi deux dimensions selon lesquelles se tissent la plupart des
manifestations motrices.
En analyse, du fait de la situation,
frustratrice de l'objet extérieur (qui n'est jamais, que relativement
direct, comme nous l'avons vu), l'objet
(1) L'intériorisation de
l'objet et le passage de l'activité motrice pulsionnelle à d'autres
formules d'activité motrice s'accomplit, nous le savons, tout au long
de l'évolution individuelle, et essentiellement dans la période
pré-génitale, l'individu intégrant successivement la motricité
pulsionnelle en des tonnes qui, comme la mimique, le geste, le langage,
s'adressent, ultérieurement, aussi bien à l'objet intérieur qu'à
l'objet extérieur direct.
LA MOTRICITÉ DANS LA RELATION D' OBJET 239
intérieur est pour ainsi dire « imposé », et le patient en profite
largement.
Tout
en restant d'accord avec J. MALLET sur l'essentiel de son remarquable
travail sur L'évolution de W. Reich ou l'analyste et l'instinct de
mort, ainsi que sur le point particulier du « va-et-vient de l'énergie
entre les systèmes de défense névrotiques et les muscles », nous nous
séparons de la pensée de cet Auteur lorsqu'il nous dit : « l'armure
musculaire est dérivée de l'armure caractérielle ». Le refuge du
patient sur « un plan, le corps, où les paroles de l'analyste ne
peuvent plus l'atteindre » est vrai lorsqu'il s'agit d'une manoeuvre
verbalisée où l'intellectualisation est sous-jacente, lorsque, par
exemple, le patient signale à l'analyste ses contractures musculaires
(1). Mais lorsque « par exemple, un patient, nous dit J. MALLET, au
cours de l'analyse, au moment où il repousse une interprétation
évidente, présente un spasme de certains groupes musculaires », nous ne
pensons pas qu'il s'agisse d'un « refuge » mais bien de l'inhibition
automatique d'une activité motrice pulsionnelle dangereusement
naissante, apparue en raison de « l'interprétation évidente »,
c'est-à-dire en raison de la confrontation de l'objet intérieur et de
la réalité, en raison de la restitution, exigée par l'analyste, de
l'objet. L'objet reprenant sa place à l'extérieur, le sujet ne. peut
avoir avec lui qu'une relation motrice directe, proche du mouvement
pulsionnel, le sujet inhibe alors le mouvement par la contracture. On
ne peut, à notre avis, qualifier de « refuge » ce lieu, peu sûr en
raison de la proximité pulsionnelle.
Si nous voulions prendre
trois types essentiels des manifestations de Marthe illustrant une
échelle de la motricité, selon la nature de l'objet essentiel, nous
pourrions signaler ainsi :
a) La posture du I. — Marthe croise les bras et fléchit à demi les deux
jambes sur le côté,
où
la relation d'opposition à un objet extérieur est nette, où Marthe
éloigne l'activité motrice pulsionnelle génitale et agressive (2).
b) La relation du XVIII. — Marthe secoue la tête,
où la relation d'opposition à un objet fantasmatique (incluant l'objet
initial, c'est-à-dire nous), intérieur, est nette.
(1)
Le fait même de signaler l'existence des contractures montre la
transformation de ces contractures, vécues, en un objet que le patient
observe au dedans de lui.
(2) Ce type de réactions, les plus
dénuées de rapport avec un objet intérieur, sont des réactions
d'opposition, bien qu'elles constituent un rapprochement de fait de
l'objet extérieur. Il s'agit là de réactions régressives épuisant une
certaine énergie que Marthe utilise vraisemblablement pour ne pas être
placée devant sa vie interieure, pour ne pas être conduite a observer
ses fantasmes. Nous savons d'ailleurs que ses fantasmes n'apparaissent
qu'après la cessation de ces réactions motrices.
c) Le mouvement du VI. — Marthe place sa main droite sous ses fesses,
où
la relation avec nous est, sur le plan moteur, positivée de force par
Marthe qui est à ce moment le sujet de toute une manipulation
intérieure d'objets.
Cependant, ces types d'activités, variant
selon la mobilisation de l'objet, se succèdent parfois très rapidement,
s'imbriquant presque, comme au XX où Marthe secoue la tête, remue la
main droite, s'agite, descend sa jupe, puis se calme et replie la main
gauche sous sa tête.
Nous voulons, en dernière analyse, faire
remarquer toutefois que, dans l'activité motrice de Marthe, la majorité
des mouvements observés (I, II, IV, XIII, XX, XXVI, XXXI), étaient
destinés à se débarrasser d'un objet extérieur trop proche, avec lequel
elle établissait, sans contenu mental conscient (du moins sommes-nous
en droit de le penser), une relation motrice pulsionnelle, génitale et
agressive. On ne sera donc pas étonné, étant donnée la proximité
pulsionnelle, que cette activité motrice soit surtout une activité
d'opposition, de rejet de l'objet extérieur.
Pour conclure ce bref
paragraphe sur l'activité motrice, nous pourrions dire que la
motricité, bien que s'éloignant plus ou moins, en une grande variété de
formes, de la relation pulsionnelle directe, n'en constitue pas moins
le système de relation le plus intime possible entre le sujet et
l'objet. On pourrait se demander, dans ces conditions de proximité de
la motricité et de la relation pulsionnelle, si la motricité et la
sensorialité nécessaire, ne constituent pas en grande partie,
artificiellement figées sur le plan topique, ce que FREUD appelait « la
couche corticale du ça qui, aménagée pour recevoir et rejeter les
excitations, se trouve en contact direct avec l'extérieur (la réalité)
».
Et comme nous savons, toujours selon FREUD, que « l'autre
instance psychique, le moi... s'est développée à partir de la couche
corticale du ça... [et que] le rôle constructif du moi consiste à
intercaler entre l'exigence instinctuelle et l'acte propre à satisfaire
cette dernière, une activité intellectuelle... », nous ne serons pas
étonnés de nous voir faire dériver dans les paragraphes qui suivront,
tout au moins une partie des mécanismes « intellectuels », de la
motricité fondamentale.
Nous croyons ainsi, globalement, que
l'intériorisation par le sujet de la relation d'objet motrice directe,
pulsionnelle, est la base de l'édification intellectuelle qui s'établit
par de nombreux intermédiaires dont nous soulignerons quelques types.
L'éloignement de la motricité destructive est évidemment le mobile
nécessaire à cette transformation, à cette intériorisation de la
relation d'objet motrice pulsionnelle initiale.
Pour
préciser, de façon valable, ce que nous entendons par « intériorisation
» de la relation motrice avec l'objet extérieur, nous, devrions faire
appel à des notions tirées de l'évolution de la première enfance. Nous
réservant, pour de nombreuses raisons, de développer ces notions dans
un chapitre ultérieur de notre travail, nous nous bornerons ici à une
description théorique de ce que nous pensons être cette «
intériorisation ».
La relation motrice avec l'objet extérieur
comprend : le sujet, l'objet extérieur, la relation motrice agie du
sujet vers l'objet.
La relation intériorisée met le sujet en
présence de la relation précédente qui devient ainsi objet intérieur.
Cet objet se compose : du sujet lui-même, de l'objet primitif, de la
relation motrice agie du sujet sur l'objet et aussi, point capital, de
la relation motrice agie de l'objet sur le sujet. Seule, cette
intériorisation permet au sujet de faire jouer à l'objet un rôle de son
choix. Notons que, dans ce rôle, l'objet est forcément paré des
qualités sensorio-motrices du sujet.
Dans la réalité, ce mécanisme
n'existe vraisemblablement jamais à l'état pur, mais se complique
d'autres phénomènes, d'introjection orale par exemple, dont il reste
cependant théoriquement distinct.
Cependant, entre la motricité
directe, pulsionnelle, relation avec l'objet extérieur, et l'activité
psychique, relation d'objet intériorisée (l'objet étant intériorisé de
ce fait), nous pensons que peut se placer l'angoisse sur laquelle nous
ne dirons que quelques mots.
B) L'ANGOISSE
Deux manifestations
(VIII et IX, puis XII) à peu près indiscutables d'angoisse surviennent
chez Marthe pendant la séance. Elles précèdent immédiatement la mise à
jour du rêve.
Nous avons à ce moment interprété l'angoisse comme
le passage, l'infiltration, l'irruption de l'objet dans le sujet, au
moment de l'indistinction qui résulte de ce passage, l'objet n'étant
pas extérieur, réel, et n'étant pas non plus intérieur, et par là
relativement manipulable par le sujet. Nous avons signalé qu'à notre
avis, l'angoisse pouvait ainsi survenir soit lors de l'intériorisation
d'une relation avec l'objet extérieur, soit lors de la restitution d'un
objet intérieur, au moment de la prise de conscience par exemple.
Ici,
les manifestations d'angoisse précèdent immédiatement le récit du rêve
qui contiendra, nous le savons, un certain nombre de prises de
conscience, c'est-à-dire un certain nombre de restitutions d'objet.
Cependant nous avons, lors des deux manifestations d'angoisse de
Marthe, interprété ces passages comme des intériorisations de l'objet.
A vrai dire, il est extrêmement difficile de saisir le moment précis où
le passage angoissant se produit, ce passage n'ayant été, de notre
part, que l'interprétation de deux soupirs et de la phrase : « Je n'ai
pas d'angoisse... ». Ce que l'on peut retenir, en tout cas, c'est la
proximité du récit du rêve, les variations de la relation à une petite
distance tant de la restitution de la réalité que de la fuite par
intériorisation, court trajet sur lequel les phénomènes anxiogènes,
qu'ils se produisent dans un sens ou dans l'autre, ne peuvent manquer.
Nous
avons dit que l'angoisse pouvait être considérée comme une relation
d'objet. Remarquons que l'angoisse peut être, à son tour et
ultérieurement, considérée comme un objet. Et c'est là un exemple de
l'un des points sur lesquels nous insistons fréquemment, à savoir ,
celui de l'intériorisation de l'objet à la faveur de l'intériorisation
de toute la relation. Lorsqu'un patient, en effet, vient nous voir et
nous dit : « J'ai de l'angoisse », et qu'il affirme que ce phénomène se
produit devant nous, nous savons qu'il substitue à la relation directe
avec nous, objet extérieur, une relation avec son angoisse, objet
intérieur polymorphe (constitué surtout, à notre avis, d'une ancienne
relation avec un objet extérieur), dans lequel nous sommes inclus.
L'angoisse-objet
peut être intériorisée davantage encore et devenir dans certains cas,
nous le savons aussi, un véritable objet intellectuel, parfaitement
manipulable par le sujet. Mais il ne s'agit plus d'angoisse, tout le
monde est d'accord sur ce point.
Ainsi l'angoisse, tout en perdant
son nom, présente des formes de plus en plus dégradées selon la
profondeur de son intériorisation, selon la multiplicité des reprises
qu'a effectuées le sujet, intériorisant d'abord la relation motrice
pulsionnelle avec l'objet extérieur, puis reprenant successivement
comme objet chacune des relations intérieures ainsi constituées. C'est,
nous le verrons, la voie de l'intellectualisation, c'est l'éloignement
progressif, vécu comme nécessaire par le sujet, de la motricité
pulsionnelle initiale dangereuse.
On peut à ce moment presque
confondre éloignement de la motricité pulsionnelle et éloignement de
l'angoisse, bien que l'angoisse, du fait de sa situation frontalière
puisse constituer un rendez-vous de choix, si l'on veut, du moi et du
ça, rendez-vous prêt à servir de base, à chaque instant sensible et
possible, à la réédification du moi. Et nous savons combien l'analyse
use de ce rendez-vous.
En ce qui concerne
l'angoisse, lorsque l'individu la conserve comme objet intérieur, nous
lui voyons bien perdre son caractère propre, vibrant, et lorsqu'elle
est trop longtemps vécue, nous lui voyons abandonner sa qualité
explosive, nous la voyons s'intellectualiser.
Dans un ordre
d'idées plus général, lorsque FREUD disait à propos de la névrose
d'angoisse qu'il s'agissait d'un blocage d'une excitation d'origine
sexuelle qui, n'étant pas assimilée psychiquement, ne pouvait plus
s'écouler au dehors, on peut considérer qu'il marquait les deux issues
possibles : l'une interne, l'assimilation psychologique, la voie
ouverte à la pensée, l'autre externe, l'écoulement moteur pulsionnel,
et qu'il situait ainsi l'angoisse comme un étroit passage
intermédiaire, comme l'état de déséquilibre et d'hésitation avant que
ne penche la balance. Le court-circuit entre le moi et les profondeurs
du ça reproduisait d'une façon théorique la même image.
L'existence
de l'instinct de mort, quelle qu'en soit la nature, ne change rien et
n'impose aucune modification à notre façon de voir.
Nous
concevons, nous l'avons dit, l'angoisse originelle comme un passage
entre l'extérieur (et la motricité pulsionnelle qui le saisit) et
l'intérieur (et l'activité mentale qui l'anime). Le passage anxiogène
se fait aussi bien du dehors au dedans que du dedans au dehors, et
existe autant dans la confrontation directe de l'objet intérieur avec
l'objet extérieur, dans la prise de conscience si l'on veut, que dans
l'intériorisation, sous certaines formes fantasmatiques par exemple,
d'une relation extérieure dangereuse. Il est intéressant de noter, à ce
sujet, l'état de sidération à la fois motrice et psychique, qui
correspond au « passage » de l'angoisse.
Il nous est difficile de
savoir de façon précise dans quelle mesure notre façon de voir se
rapproche de la pensée de PASCHE, telle qu'il la développa devant cette
Assemblée, l'an dernier à Rome, sous le titre L'angoisse et la théorie
freudienne des instincts, dans un rapport d'une grande richesse dans
lequel nous avons largement puisé.
Nous interprétons, peut-être,
la pensée de l'Auteur, mais lorsque PASCHE nous dit : « Les tendances
se différencient et s'intègrent progressivement en s'élevant du moi
biologique au moi psychologique », nous y voyons le passage évolutif de
la couche corticale du ça au moi, le passage de cet embryon de moi
qu'est la couche corticale du' ça, ou, selon nous, la
sensorio-motricité, à un moi plus différencié, psychologique. Et
lorsque PASCHE nous dit plus loin que « la condition essentielle de
l'angoisse étant la rétention énergétique, cette surcharge est imposée
au moi biologique qui y réagit presque automatiquement par l'angoisse,
alors
qu'elle est provoquée par le moi psychologique qui met un terme à la
détente pour se donner de l'angoisse », nous y trouvons là les deux
directions essentielles qui empruntent le « passage » de l'angoisse.
Si
nous regardons, selon le même auteur, les moyens de faire cesser
l'angoisse, nous y trouvons au premier plan, outre l'auto-érotisme, la
réalisation hallucinatoire du désir, la formation du moi, la formation
de l'idéal du moi.
L'auto-érotisme, nous l'avons aperçu dans notre
observation, au moins à trois moments (XV, XXIII, XXXI). Il est
toujours sous-jacent, nous le savons, prêt à exploiter à son avantage
le moindre danger. « Non seulement l'objet est évoqué, mais l'on peut
dire que le sujet revêt l'image pour agir sur lui-même. »
Quant
aux autres mécanismes de défense contre l'angoisse, ou, pour nous,
contre l'activité motrice pulsionnelle, à commencer par la «
réalisation hallucinatoire du désir » qu'évoque PASCHE, nous allons y
venir dans les paragraphes suivants. ,
C) L'ACTIVITÉ FANTASMATIQUE ET INTELLECTUELLE
Pas
plus que pour l'angoisse, il n'est de notre intention de passer une
revue des différentes définitions, ni partant des différentes théories
concernant les fantasmes. Pour ce faire, nous avons l'avantage de
posséder un matériel dé choix qui nous a été présenté à notre dernière
Conférence, à Rome, par S. LEBOVICI et R. DIATKINE, SOUS le titre Étude
des fantasmes chez l'enfant.
Le problème est évidemment fort
complexe puisqu'il traite des fondements mêmes de la pensée. Les
Auteurs du rapport de Rome insistent, dans leur conclusion, sur la
distinction fondamentale qui doit être établie entre « les fantasmes
hallucinés, fruits d'une élaboration du Moi du sujet qui les vit, et
ses fantasmes inconscients, issus des expériences vécues durant les
premiers jours et les premiers mois de la vie ». Nous ne pensons pas
que LEBOVICI et DIATKINE limitent le monde des fantasmes à l'absolu de
ces deux formes qui semblent constituer pour eux deux pôles essentiels
d'activité fantasmatique, qu'il importe de ne pas confondre, dans la
perspective thérapeutique, surtout chez les enfants.
Il importe
aussi de ne pas confondre les différents plans de l'activité
fantasmatique de l'adulte, et nous savons fort bien qu'entre un
fantasme abréagi, un fantasme raconté, et l'expression d'une
représentation intellectualisée par exemple, existent des différences
capitales qui fixent immédiatement notre attitude. L'étude de ces
formes psychologiques de relation, sans doute
moins nettement approfondie chez l'adulte que chez l'enfant, pourrait
cependant, jointe à la fixation des types majeurs d'angoisse et
d'activité motrice, servir de point d'appui au perfectionnement d'une
séméiologie psychanalytique basée sur la relation d'objet.
Il
existe évidemment, dans l'échelle fantasmatique, qui représente une
grande partie de l'activité psychique, un nombre impressionnant de
degrés. Les querelles de mots ne peuvent manquer de survenir à ce
sujet, mais notre désir est davantage de souligner le mouvement général
d'une hiérarchie possible des fantasmes que d'en fixer de façon précise
les termes.
Le mouvement général d'une hiérarchisation des
fantasmes ne peut être établi sur les caractères imprécis — parce que
sans référence nette au développement biologique total — des concepts
d'imago, d'identification, d'introjection. L'alimentation du
nouveau-né, et tout ce qui s'y rattache sont, certes, d'une importance
capitale. Mais laissons la parole à LEBOVICI et DIATKINE : « Les
travaux de PREYER, de SCHILDER confirmés par les récentes études de
HÉCAEN et AJURIAGUERRA, donnent un aperçu de quelques caractères du
monde dans lequel l'enfant vit aussi intensément ses émois. Malgré
l'impossibilité évidente d'une étude phénoménologique, la connaissance
de ces états a pu être suffisamment avancée par l'étude des conduites
ou comportements successifs de l'enfant. Cette intégration va
s'accomplir autour de deux pôles : la différenciation des activités
sensorio-motrices (maturation des structures) et les réactions au monde
extérieur... »
Ce sont là les deux pôles essentiels que nous nous
efforçons de cerner : activité sensorio-motrice et relation d'objet.
Nous n'entrons cependant pas ici dans la sphère neurologique qui
dépasse notre compétence, mais notre démonstration ne veut être qu'une
esquisse sur le plan de la clinique psychanalytique.
Revenons-en
donc à Marthe. Nous ne connaissons son intérieur, fantasmatique que par
sa verbalisation, ce qui ne signifie pas que tout ce qu'elle apporte,
verbalisé, traite de contenus fantasmatiques. Et cependant, en dehors
de la verbalisation impulsive qui surgit à deux reprises : « Pourquoi
là, vous ne me répondez pas ? » (XI) et « Quand vous dites ça ! » (XXV)
et qui adopte des formes interrogative et exclamative, et en dehors des
périodes de « motricité directe », qui peut prétendre chez Marthe à
l'absence d'une manipulation intérieure de l'objet, et-comment englober
ce mouvement sous un autre terme que celui d'activité fantasmatique ?
On
pourrait, dans ces conditions, et dans la perspective de la relation
d'objet, établir une hiérarchie intérieure de l'activité fantasmatique
chez l'adulte, dont les termes extrêmes seraient : l'activité traduite
par la verbalisation impulsive d'un côté, l'intellectualisation de
l'autre. Cette hiérarchie serait une reprise par le sujet, mais
entièrement au dedans de lui, du mouvement premier de l'intériorisation
de la relation avec l'objet extérieur (nous reviendrons à plusieurs
reprises sur ce point que nous développerons dans la partie théorique),
cet objet initial n'étant ainsi plus jamais parfaitement extérieur. Et
sans doute n'est-il plus jamais parfaitement extérieur chez l'adulte
non pathologique, « :.. une fraction du monde extérieur a été tout au
moins partiellement abandonnée en tant qu'objet et, au moyen de
l'identification, s'est trouvée intégrée dans le moi, ce qui signifie
qu'elle fait désormais partie du monde intérieur » (FREUD). L'impulsion
verbale serait la manifestation la plus représentative de l'activité
motrice pulsionnelle dont s'approche l'abréaction, et
l'intellectualisation serait la plus représentative de
l'intériorisation extrême, avec l'abandon progressif de l'expression
motrice que cette intériorisation apporte. Nous arriverions ainsi à une
conception de la pensée « métamorphose de l'action », de JANET, avec
tous les passages que cette métamorphose implique et qui réapparaissent
jusque dans le domaine propre de la pensée.
Ce que l'on a
l'habitude, en effet, d'analyser dans le dialogue thérapeutique n'est
pas et ne peut pas être le matériel effectivement formé lors des
intégrations psychomotrices initiales, mais toujours une partie de
l'élaboration fantasmatique ultérieurement formée par le sujet,
élaboration qui doit être cependant calquée sur les manifestations
primaires des intégrations, qui ne peut être autre chose qu'une
répétition, sous une forme plus évoluée, plus intellectualisée, et
progressivement verbalisée devant nous, de ces intégrations.
Dans
ce cadre général, sous l'angle de la relation d'objet et en spécifiant
bien que chaque terme (qui constitue à lui seul une relation d'objet)
peut être repris à son tour comme objet, ce qui le débarrasse
progressivement d'une toujours gênante motricité, nous pourrions
inclure les deux niveaux que nous indiquent LEBOVICI et DIATKINE, à
savoir « les fantasmes inconscients » d'une part, les plus proches des
pulsions et que l'on pourrait qualifier de fantasmes de l'activité
pulsionnelle, et les « fantaisies hallucinées » d'autre part, fantasmes
au sens le plus courant, « fruits d'une élaboration du moi du sujet ».
Quant à la « réalisation hallucinatoire du désir » de PASCHE, « amorce
de l'édification du moi », elle est sans doute très proche des «
fantasmes inconscients ».
La
difficulté d'expression et l'utilisation par différents auteurs des
mêmes termes pour désigner des concepts différents, situent la
relativité d'un problème avant tout dynamique et impossible à couler en
des formes strictes. Le type de relation le plus proche dp l'angoisse
dans la vie intérieure est sûrement la « réalisation hallucinatoire du
désir », ou le « fantasme inconscient », c'est-à-dire la représentation
vécue de l'action pulsionnelle dirigée sur l'objet. Nous doutons
d'ailleurs de l'existence possible, à l'âge adulte, de cette forme de
représentation. L'intériorisation de la relation pulsionnelle motrice
nous semble toujours au moins accompagnée d'un déplacement d'objet.
En
ce qui concerne notre observation, remarquons que tout ce qu'exprime
Marthe, en dehors de ses verbalisations impulsives, a tendance à la
rapprocher de nous et, nous pouvons l'interpréter sans trop de
finalisme, lui permet sans doute de supporter, grâce au jeu des
intériorisations fantasmatiques, notre présence effective.
Ce jeu,
qui marche au gré des vagues instinctuelles, est toujours en rapport
avec la motricité agie vis-à-vis de l'objet, dont le sujet se tient
souplement à distance par les infinies nuances de la vie fantasmatique
(1).
Entre le sentiment de froid et « Évidemment, comme si ce que
j'ai dit ne vous convenait pas. Ça n'a pas à vous convenir ou pas,
c'est ce que j'ai pensé, c'est tout !» (XVIII), il y a toute la place
qui existe entre l'intéroceptivité (et son vécu), et
l'intellectualisation (et son détachement), or ces deux formes
d'expression traitent d'une relation de Marthe avec nous.
De même
(nous éliminons volontairement les exemples du rêve, reprise
fantasmatique d'une imagerie dynamique établie dans d'autres conditions
que celles de la séance), il existe de notables différences entre « Je
pense à quelque chose. Je dis : ce n'est pas vrai ! Je pense marin,
c'est la mer, la mère, je ne comprends pas,» (XXIV et « Je ne pense à
rien, je revois seulement l'image, mais je ne pense à rien » (XXIX).
Toute la vie a disparu entre ces deux formes, toute la mobilité, toute
(r)
Remarquons dès maintenant, ce que nous avons déjà dit et que nous
préciserons à plusieurs reprises plus loin. La mobilité de la forme
fantasmatique telle que nous la soulignons, ne se substitue en rien aux
autres systèmes de défense mais existe parallèlement à eux. Ce jeu
fantasmatique est, à notre avis, grossièrement exprimé ici, le produit
de deux types essentiels de mécanismes : ceux des intériorisations
sensorio-motrices primaires de l'objet d'une part, ceux de la période
anale d'autre part. la dynamique du premier niveau
fantasmatique a laissé en place une image immobile (1) qui ne restera
évidemment pas longtemps immobile du fait de notre présence (nous
sommes d'ailleurs intervenu à ce moment, pour « animer » sans doute
l'objet), mais dont la valeur est nettement distincte et qui se
rapproche, en fait, du niveau de l'intellectualisation.
Encore un
mot sur l'intellectualisation. Existant, pathologique, sous ses formes
les plus marquantes, dans la névrose obsessionnelle,
l'intellectualisation manque d'allure et de stabilité chez Marthe. Nous
ne voulons pas nous attarder sur l'obsession ni sur la complexité du
jeu psychologique de l'obsédé dont FEDERN a pu dire que le moi était
fort parce qu'il tentait de régler la problème de l'angoisse (nous
substituons à cela : le problème de la motricité pulsionnelle) par un
jeu intérieur, une défense psychologique spirituelle. Et lorsqu'à
propos de ce moi, BOUVET nous disait, dans son magnifique rapport que
nous connaissons tous sur Le moi dans la névrose obsessionnelle.
Relations d'objet et mécanismes de défense, que ce moi est dédoublé,
pour le sujet (mais, en réalité, atteint dans sa totalité), et que « le
sujet utilise cette scission entre les deux parties de son moi, comme
un écran qu'il place entre l'analyste et lui, et déjà se pose la
question des relations d'objet au cours du traitement », il ouvrait la
perspective de notre travail d'aujourd'hui. Le Moi divisé, le sujet en
assume une partie, l'autre partie servant d'écran entre l'objet
extérieur et le sujet.
Mais « l'écran » est aussi un « pont » et
ce que nous dit BOUVET : « ... la compréhension, aussi exacte que
possible, à chaque instant du traitement, de la signification de la
relation d'objet dans le transfert, peut éviter bien des surprises et
des erreurs dont la conséquence serait, en frustrant à contre-temps le
sujet dans ses rapports avec l'analyste, de défaire ce qu'il a
spontanément construit, pour, selon l'expression de bien des malades,
se maintenir accroché ou au mieux de lui ôter sa chance de troquer une
mauvaise mais valable relation d'objet, contre une meilleure », peut
régler notre conduite vis-à-vis de tous nos patients. C'est cette «
compréhension de la signification de la relation d'objet dans le
transfert » que nous avons essayé d'approcher dans ce paragraphe en
soulignant ce que nous croyons être une partie des mécanismes de la
formation des fantasmes et de l'intellectualisation.
(1) Cette
immobilité de l'image fantasmatique ou de l'image onirique se retrouve
avec fréquence chez les céphalalgiques, nous l'avons signalé dans
l'introduction de ce rapport, qui poursuivent l'abandon de toute
motricité jusque dans des réalisations fantasmatiques pourtant très
éloignées de la réalité.
Nous avons conscience, en
terminant ce chapitre clinique, d'avoir laissé de côté un nombre
important de faits et d'interprétations dont nous aurions pu tirer
prétexte à la poursuite de notre discussion ou à des développements
nouveaux.
La comparaison du mouvement que nous avons décrit et des
mouvements classiques, tant théoriques que pratiques, de l'analyse,
s'imposerait. Il n'est pas question de poursuivre cette comparaison ici
en raison, surtout, du temps que demanderaient ces travaux. Les limites
de l'inconscient et du préconscient, la nature du refoulement et de la
prise de conscience restent des notions que nous avons à peine
esquissées. Les mots de FENICHEL : « Le refoulé travaille à se faire
jour vers la conscience et la motricité » résumera provisoirement, ici,
notre pensée sur la marche du traitement.
L'analyse du mouvement
des défenses du patient au cours des séances successives, du rapport
qu'établit le sujet entre sa conception de la qualité de l'objet, d'une
part, et la qualité de sa relation avec l'objet, d'autre part,
l'analyse de l'évolution de ce rapport au cours du traitement, de
l'approche progressive, par le sujet, de sa motricité pulsionnelle à
travers le jeu fantasmatique de ses abréactions, de sa verbalisation
impulsive, l'analyse enfin dé la reconstruction de sa personnalité sur
des bases psycho-motrices nouvelles, nous entraînerait trop loin, bien
que ces développements restent parfaitement dans notre sujet. Notre
travail ne nous a permis de donner ici que quelques aperçus de
l'importance du rôle de la motricité.
Sur le plan biologique il
serait intéressant, nous semble-t-il, de connaître avec quelle
électivité les patients, selon leur syndrome, usent plus
particulièrement de certains des mécanismes que nous avons énumérés, ou
d'autres mécanismes de même nature. Si cette pensée se confirmait, ces
mécanismes de défense étant en partie basés (nous ne minimisons aucun
des facteurs classiques) sur certaines qualités de la
sensorio-motricité du sujet, il y aurait là un pont jeté à la
typologie. Mais il n'est pas question ici de poursuivre plus avant une
telle hypothèse.
Les précisions sur l'aspect clinique et théorique
de la motricité pulsionnelle, les qualités de la motricité dite «
volontaire », leurs différentes formes évolutives, leurs niveaux
essentiels d'intégration, leurs rapports, l'élaboration du langage,
sont l'objet de travaux particuliers établis par
des spécialistes. Bien que nous ne nous avancions pas, ici, sur le
terrain neurologique, nous nous plaisons à rendre hommage aux travaux
d'AJURIAGUERRA qui ont une place importante dans l'inspiration de notre
étude.
Les rapports de ces formes motrices, pathologiques ou non,
avec les dysfonctionnements viscéraux sont des objets de travaux
d'avenir, la motricité striée paraissant régulièrement impliquée, sous
divers aspects, dans la plupart des affections classiques ayant donné
heu aux recherches dites psychosomatiques.
En conclusion de ce
paragraphe essentiellement marqué par l'interprétation d'une séance
d'analyse, par l'interprétation de chacune des expressions de Marthe,
qu'elle soit activité motrice, angoisse, fantasmes,
intellectualisation, et selon la dimension de la relation d'objet, nous
voulons souligner encore une fois ce qui nous paraît capital : le
rapport entre le contenu pulsionnel et la forme de la relation d'objet.
L'intériorisation et la manipulation de cette relation d'objet selon
les variations instinctuelles qualitatives ou quantitatives déclenchées
par des modifications intérieures, de quelque nature qu'elles soient,
ou provoquées par des événements extérieurs, assurent au sujet une
stabilité relative que l'on pourrait presque qualifier d'homéostatique
et qui lui permet d'accepter son voisinage de l'objet réel.
L'acceptation
du voisinage de l'objet réel, élément nécessaire de la vie sociale de
l'homme, se confond dans la normale avec un certain éloignement de la
motricité pulsionnelle, ainsi qu'avec une certaine évolution des formes
de la pensée.
La reconstruction, en analyse, de la personnalité du
patient, des formes de sa pensée, ne peut se faire que lorsque ce
dernier est venu frôler sa motricité pulsionnelle. Nous qualifions ces
périodes tangentielles d' « abréactionnelles » et nous savons par
expérience toute l'implication motrice qu'elles comportent. Elles
nécessitent une longue préparation, un long travail d'approche de la
part du sujet devant l'objet réel, l'analyste.
Nous reviendrons,
dans la conclusion de notre rapport, sur la captation, à chaque instant
intuitive, par l'analyste, de la situation exacte de son patient, et
sur l'importance que joue, dans cette « intuition », l'identification
psychomotrice du thérapeute avec son patient.
Avant de faire les
développements théoriques, aussi courts que possible, qui s'imposent
sur la genèse des mécanismes d'intériorisation de la relation d'objet,
telle que nous l'avons décrite, nous voulons encore faire
nôtres ces mots de FENICHEL : « On doit considérer les phénomènes
mentaux comme étant dus à l'interaction de forces qui tendent à la
motricité ou s'y opposent. » Nous ajouterons seulement que ces forces
sont pour nous, elles-mêmes, issues de la sensorio-motricité. Nous
allons voir comment.
III
POINT DE VUE THÉORIQUE
Nous
aborderons, dans cette partie théorique, quelques-uns seulement des
problèmes qui nous paraissent essentiels dans la genèse des mécanismes
de relation d'objet.
Notre but est de montrer, à travers les
implications de l'évolution de la première enfance, certains des
mécanismes utilisés par le sujet pour maintenir l'objet à une distance
déterminée. Nous nous placerons, pour ce faire, sur le même terrain que
celui de l'interprétation de la forme de la relation d'objet de Marthe,
dans sa séance. Il nous semble inutile d'insister sur le fait que ce
terrain ne rend compte que d'une partie de la réalité. De nombreuses
mesures de distance sont prises par les patients, dont nous ne
parlerons pas, et qui s'intègrent cependant aux diverses formes de
relation d'objet dont nous étudierons l'évolution. La réalité est une,
et nous sommes contraints à faire un découpage qui permette notre
exposé.
Cet exposé ne peut prétendre être l'analyse exhaustive de
la relation d'objet, il veut seulement appuyer théoriquement la valeur
de certains des mécanismes que nous venons de mettre en évidence dans
la partie clinique qui précède.
L'éloignement du sujet de sa
motricité pulsionnelle nous paraît jouer un rôle essentiel dans la
genèse de la fantasmatisation et de l'intellectualisation, et pouvoir
servir de guide à la compréhension de toute une série des mécanismes de
relation d'objet de ce type.
Nous aborderons successivement
l'évolution de la relation d'objet dans ses rapports avec différentes
phases des stades prégénitaux, ne disant que quelques mots des
modifications entraînées par l'apparition du conflit oedipien. Notre
silence relatif sur ce point se comprendra :
— d'abord, du fait
que les mécanismes dont nous parlons ont surtout été mis en valeur
jusqu'ici, dans la littérature analytique, au cours du stade génital. —
ensuite, parce que ces mécanismes, s'ils atteignent leur plein
épanouissement au moment de la période de latence, puisent leurs
racines essentielles dans les périodes prégénitales sur lesquelles nous
insistons justement.
Ce travail sera incomplet pour une autre
raison encore. Il considère essentiellement le versant subjectif des
mécanismes de relation d'objet allant de la relation motrice
pulsionnelle directe à l'intellectualisation, il en néglige par trop le
versant neurologique. Sans doute nos amis neurologues viendront-ils
combler cette vaste lacune.
L'importance du rôle de se manifeste
sans doute dès avant la naissance. L'étude de la vie intra-, utérine
nous apporte sur ce point de précieux renseignements. Notre
développement reposera cependant sur les bases du stade oral, sans que
nous négligions pour autant les caractéristiques essentielles de la vie
in utero.
LA RELATION D'OBJET ET LE STADE ORAL
A) LE BESOIN ALIMENTAIRE
Nous
divisons artificiellement ce chapitre, pour en faciliter la
présentation, en deux paragraphes, l'un concernant l'activité du sujet,
l'autre sa passivité. Il est bien évident que, dans la réalité, ces
deux formes de relation sont parfaitement imbriquées.
a) Activité du sujet.
La
qualité de la sensation de faim qu'éprouve l'enfant peu après sa
naissance doit constituer un sentiment qui nous échappe en grande
partie. Les réserves du nouveau-né sont extrêmement faibles et son
besoin alimentaire, dont les racines organiques sont très puissantes,
appelle une satisfaction quantitative et qualitative. « L'état de
besoin » du nouveau-né, décrit dans la littérature, nous fait penser à
celui du toxicomane qui, prêt à tout pour se procurer son objet, ne
réagit au monde extérieur que dans la mesure où ce dernier est
susceptible de lui fournir ce qu'il désire. L'objet unique est le
stupéfiant, la seule activité la recherche de celui-ci. Le besoin
calmé, la vision du monde change et le toxicomane peut, si sa
régression n'est pas trop accentuée, rechercher d'autres satisfactions.
Margaret RIBBLE insiste justement sur le fait que la mère est
identifiée
rapidement sous l'influence du besoin succion-alimentation. FENICHEL
écrit dans le même sens que : « Les premiers signes d'une relation
d'objet doivent prendre naissance dans l'état de sensation de faim. »
Nous
pouvons penser que les premières formes de l'objet sont constituées de
simples sensations. Le besoin a tiré le nouveau-né du sommeil, et ce
nouveau-né n'est apte à saisir ces sensations que lorsqu'il est affamé.
La vigueur des sensations est alors fonction de la vigueur du besoin.
Le besoin satisfait, les sensations disparaissent. La satisfaction a
supprimé les sensations, donc l'objet. Ce point de vue a été développé
par SIMMEL pour qui, aux tout premiers jours de la vie, la libido n'est
pas seulement orale, mais gastro-intestinale.
Les sensations
primitives sont caractérisées, comme le dit FENICHEL, , par leur «
contiguïté » aux réactions motrices. Issues du besoin, c'est vers elles
que le besoin va organiser les premiers mouvements, comme le montrent
M. RIBBLE et R. SPITZ. Les premiers mouvements ne seront que la
prolongation au dehors, l'extériorisation, de tout un dynamisme qui, à
l'intérieur du corps, va du plan humoral à la musculature striée, en
passant par la musculature lisse digestive. Ces sensations, qui
constituent alors l'objet, seront le point de concentration, le champ
de force où s'organisera l'activité motrice du sujet.
A cette
relation d'objet primitive s'appliquent déjà les mécanismes décrits par
Melanie KLEIN. L'objet extérieur n'est perçu qu'en fonction d'un besoin
(objet interne). Il est l'extériorisation de ce besoin. Sa perception
est frustratrice, persécutante. Seule la destruction de l'objet, si
l'on veut, externe (les sensations), entraînera la disparition de
l'objet interne (la faim).
Le « manque » interne, origine du
besoin, peut être considéré comme un objet intérieur puisqu'il éveille
des sensations internes. Mais il éveille aussi des sensations externes,
il est également extérieur. Nous retrouvons là l'identité de la pulsion
du ça et du mauvais objet qu'ont souligné LEBOVICI et DIATKINE.
Quoi
qu'il en soit, à ce niveau, seule une attitude active du sujet sur
l'objet peut soulager la tension interne. Nous disons active, car la
satisfaction est le résultat du mouvement moteur du sujet.
De
nombreux auteurs nous disent que la satisfaction n'est jamais totale.
De ce fait, la perception de l'objet ne s'éteint pas complètement. Sa
luminosité est fonction de la persistance d'un reste de besoin, qui
conserve de ce fait un pouvoir d'organisation motrice. D'autres objets
pourront être choisis comme but de satisfaction et enrichiront le champ
sensoriel du sujet.
254
Ainsi, la vision de l'objet
naît du désir de relation active, et progressivement motrice, créé par
le besoin alimentaire. L'objet et le besoin sont, dans ce stade
primitif, indissociables, la présence de l'un résultant de la présence
de l'autre. On comprend que la perception de l'objet est alors, pour
reprendre l'expression de FENICHEL, contiguë à l'action. Comme l'a dit
FREUD : « Au début était l'action. »
Cependant, cette description
ne figure qu'un aspect de la relation objectale. La sensorialité
extérieure ne s'élabore pas, en général, uniquement sur ce mode de
stimulation de l'action, que l'on pourrait, à ce moment, qualifier de «
persécutif », après Melanie KLEIN. Mais déjà, sur le plan alimentaire,
la satisfaction qui suit la perception donne à celle-ci un caractère
moins déplaisant. FENICHEL parle, à ce sujet, de l'apparition de la «
soif du désir ».
b) Passivité du sujet.
Nous avons, jusqu'à
maintenant, parlé d'un type de relation d'objet menant le sujet à
l'édification de conduites actives. En même temps se développe un autre
type de relation entraînant pour le sujet des satisfactions passives,
réceptrices, qui sont, avant tout, de nature sensorielle. Nous avons
précédemment souligné que ces deux types de relation étaient
cliniquement indistincts.
Comme exemple de ces satisfactions
essentiellement passives, nous pouvons prendre celui que nous signale
BENASSY dans son rapport sur La théorie des instincts, à savoir les
soins de la surface cutanée, soins qui apparaissent comme un besoin,
sinon comme un véritable instinct. FERENCZI a attribué une grande
importance à ces soins dont on entoure l'enfant, leur présence
permettant, nous dit-il, de réinvestir hallucinatoirement le milieu
utérin.
FREUD, avant FERENCZI, avait parlé d'une défense primitive
hallucinatoire contre la frustration : « Au début de notre vie, l'objet
propre à nous satisfaire constituait vraiment pour nous une
hallucination lorsqu'il nous devenait nécessaire. » Les conditions de
satisfaction tirées de ces « hallucinations », dont parle FREUD,
apparaissent sans doute particulièrement nettes dans les premiers rêves
de l'enfant, vraisemblablement très proches de ces manifestations
hallucinatoires.
Au fur et à mesure que le champ perceptif du
jeune enfant s'enrichit, sa vie devient de moins en moins morcelée. Les
alternances de veille et de sommeil tendent de plus en plus vers le
rythme nyctéméral normal. La durée du sommeil, si elle est plus courte
dans son total, est plus longue dans ses épisodes devenus moins
nombreux. Au début, la faim
LA MOTRICITE DANS LA RELATION D OBJET 255
réveillait l'enfant. Nous pouvons penser que la défense hallucinatoire
qu'est le rêve s'est établie progressivement.
Il semble que l'on puisse poser certaines conditions à la réussite de
cette défense :
1)
Il faut que l'enfant puisse atténuer un besoin primaire par des
satisfactions secondaires. Un rêve ne peut combler une insuffisance
glycémique. Il peut, par contre, reproduire des satisfactions
sensorielles ou proprioceptives.
2) Le contenu doit, par
définition, protéger le sommeil. S'il s'approche par trop du désir et
de l'acte réels, qu'il figure par exemple l'acte de téter, la
frustration sera exacerbée, le sommeil sera de nouveau menacé. Par
contre, l'enfant peut halluciner une satisfaction sensorielle vécue au
contact de sa mère. Son désir d'approche, d'action, sur l'objet suscité
par la faim, est transformé en désir que la mère s'approche, qu'elle
agisse. Cet ensemble de faits correspond à la règle formulée par FREUD
à propos du rêve : la représentation d'un désir ne doit pas être trop
explicite si, à cette représentation, se lient des réactions qui
peuvent entraîner l'éveil.
- Il est possible qu'il y ait une autre
raison favorable à l'action de défense des satisfactions sensorielles
contre une frustration partielle du besoin alimentaire. L'incorporation
alimentaire, la digestion, est lente. Elle n'est complète que si elle
sature un besoin humoral profond d'une façon qualitative et
quantitative. L'incorporation sensorielle est, par contre, immédiate,
et atteint tout de suite son but. „
Si nous avons parlé du rêve,
c'est qu'il s'agit justement là d'un moyen de défense qui va persister,
comme l'a souligné FERENCZI. Nous n'avons fait, à son propos, que
signaler l'importance des incorporations de l'objet en mouvement que
représentent les soins sensoriels maternels, soins qui permettent
l'hallucination d'une situation plaisante ou, comme le précise
FERENCZI, la situation auto-érotique primaire intrautérine.
Cependant,
le problème n'est pas si simple. FREUD dit : « Il (le Moi) s'incorpore
les objets offerts pour autant qu'ils constituent des sources ' de
plaisir, les introjecte et rejette d'autre part ce qui au dedans de
lui-même devient source de déplaisir. » LEBOVICI et DIATKINE ont fait
remarquer, à ce sujet, combien la pensée freudienne était proche sur ce
point de celle de Melanie KLEIN.
Le fantasme hallucinatoire ou le
rêve ne pourraient donc réussir dans leur rôle qu'après l'introjection
des objets agréables et la réjection
256
des objets
désagréables. Or, la sensation éveillée par la faim, stimulus de
l'action du sujet vers l'objet, est aussi le témoin de la tension
intérieure suscitée par le besoin, et signale l'existence d'un mauvais
objet intérieur. Il s'agit alors, pour le sujet, de substituer à ce
mauvais objet une sensation agréable, celle de l'objet en mouvement
vers le sujet.
Pour que le processus hallucinatoire qui tend à
recréer la situation auto-érotique puisse réussir il est donc
nécessaire, en plus des deux conditions que nous avons signalées plus
haut, que les introjections des bons objets dépassent celles des
mauvais.
LEBOVICI et DIATKINE nous rappellent, dans leur rapport,
les controverses qui ont surgi autour du processus hallucinatoire,
l'école kleinienne le considérant, avec Susan ISAACS par exemple, comme
un fantasme, GLOVER ne voyant dans ce processus qu'une des
manifestations qui conduira ultérieurement aux fantasmes.
L'effort
de réinvestir hallucinatoirement le milieu utérin nous évoque une
analogie. Pendant la gestation, le foetus présentait une activité
motrice destinée, d'après A. GESELL, à favoriser une fonction future.
Dans le processus hallucinatoire ou le rêve primitif, une véritable
activité psychologique embryonnaire se manifeste, qui nous semble
favorable à l'établissement futur de la fonction fantasmatique.
L'effort
pour établir l'illusion de la relation prénatale, ou tout autre bonne
relation, est déjà une tentative de s'éloigner d'un objet réel. Dans ce
but, des incorporations sélectives du bon objet ont été opérées, afin
de contrebattre les intériorisations du mauvais objet, fruit de la
réalité, c'est-à-dire de l'insatisfaction vécue à son contact. S'il ne
s'agit pas encore là du fantasme, il nous semble que les principaux
mécanismes qui vont présider à son établissement ont déjà fonctionné.
Nous pouvons donc résumer ainsi ce premier paragraphe :
— le besoin alimentaire, qui nécessite l'absorption de l'objet, rend ce
dernier
perceptible dans le champ sensoriel du sujet. La satisfaction abolit la
perception, la frustration l'exacerbe. Une activité motrice,
prolongement d'une activité interne, se développe vers l'objet afin de
mieux l'atteindre et l'absorber ;
— par ailleurs, des satisfactions sensorielles peuvent être prodiguées
par
l'objet. Elles résultent d'incorporations passives, agréables et
immédiates, de l'objet en mouvement. Elles peuvent servir à nourrir des
satisfactions hallucinatoires. Ces incorporations vont contribuer à
édifier la défense primitive qu'est le processus
257
hallucinatoire.
L'existence même des satisfactions de ce type montre que les besoins
primordiaux ont été suffisamment satisfaits. Il faut, en effet, que la
perception sensorielle, persécutante, issue du besoin, ne domine pas la
perception de l'objet en mouvement prodiguant des satisfactions
sensorielles.
Ces deux systèmes primitifs de la relation d'objet
s'imbriquent ainsi étroitement. Le mode de cette imbrication est lourd
de l'avenir. Les conflits violents qui vont opposer la paire
antithétique : activité-passivité, plongent probablement leurs racines
dans un déséquilibre originel des deux types d'incorporation
sensorio-motrice. Le « masochisme primaire » de S. NACHT est sans doute
l'aboutissement d'une incorporation sensorio-motrice massive de mauvais
objets.
Au début de la séance d'analyse de Marthe, la patiente se
place sur un terrain régressif, imposé par ses défenses, qui la conduit
à mettre en avant une sensation de froid. Cette sensation, ressentie
comme injuste, énervante (« les autres n'ont pas froid, moi je suis
gelée »), traduit un besoin intérieur issu d'un manque de chaleur. Elle
s'associe à une sensibilité exacerbée envers nous : « Je n'ai pas
d'angoisse d'avoir froid, mais ça n'est pas normal... Ce n'est pas la
peine d'insister, il n'y aura pas de réponse. » Même l'explication très
intellectualisée qu'elle donne insiste sur un « manque » : « J'ai une
tension artérielle très basse. » Et lorsque nous prenons la parole,
c'est pour nous opposer à elle (introjection d'un mauvais objet).
Nous
voyons ainsi que Marthe, apparemment, ne peut profiter, au cours de
cette séance, d'aucune incorporation sensorielle agréable. Il fait
chaud, elle a froid. Elle se plaint du silence, mais nos paroles
s'opposent à elle.
Il est évident que ce matériel sert surtout de
défenses devant l'OEdipe, mais il laisse pressentir les difficultés
prégénitales. Ces difficultés apparaissent dans le rêve : « La pièce
occupée par mon fils est au nord. Il ne faut pas que je l'habite, il
m'arriverait quelque chose », dit la mère. Il y a inversion des sexes
des deux occupants de la pièce où a lieu l'analyse, pièce réfrigérée.
Et le froid inspire des réactions particulièrement agressives envers
l'objet.
Mais certaines manifestations auto-érotiques
inconscientes, essentiellement motrices, montrent que Marthe utilise
aussi ce matériel pour empêcher un investissement hallucinatoire (ou
fantasmatique) de la situation analytique, investissement qui ferait
réapparaître les angoisses vécues au cours de la scène primitive. En
insistant sur le besoin de
PSYCHANALYSE 17
258
rejeter
un mauvais objet persécutant elle montre que, dans ces conditions, il
n'est pas possible d'échapper à cette pénible sensation (qui la tient à
distance de la réalité).
B) LA SECONDE PHASE DU STADE ORAL
Nous
avons traité, jusqu'à maintenant, de la relation active, motrice, du
sujet, qui s'établit sous l'impulsion du besoin alimentaire, et de la
relation passive, sensorielle, du sujet, fonction de la motricité de
l'objet.
Il est vraisemblable que, dans des conditions
relativement bonnes d'alimentation et de soins, l'enfant peut réussir
dans les premiers mois de sa vie à maintenir, lorsque cela est
nécessaire, le processus hallucinatoire, reproduction de la situation
utérine précédente pour FERENCZI. Dans ce sens, cette première phase
peut être considérée comme autoérotique préambivalente, comme l'a
définie ABRAHAM, ceci dans la mesure où les conditions nécessaires à la
réussite de cette défense primitive sont réunies. Autrement dit,
l'auto-érotisme ainsi défini dépend d'une bonne relation d'objet, fruit
d'incorporations satisfaisantes.
Cet équilibre concevable, quoique
certainement bien rare, ne survit pas à l'apparition du stade oral
sadique décrit par ABRAHAM. Il est probable que le passage d'un stade à
l'autre est en partie provoqué par la relation d'objet. LEBOVICI et
DIATKINE signalent, reprenant en cela une opinion classique, qu'au
stade oral sadique, les besoins oraux sont augmentés et sont colorés
d'agressivité. Or, biologiquement, les besoins oraux ont
vraisemblablement perdu de leur urgence première, des réserves
énergétiques ayant été constituées. Il est probable que l'augmentation
des besoins oraux est surtout alors une augmentation de l'avidité,
avidité qui tend à perdre son but spécifique alimentaire du tout
premier âge pour se fixer sur un désir d'acquisition de puissance. A ce
sujet, ABRAHAM fait remarquer que le cannibale cherche davantage à
satisfaire son désir d'acquérir les vertus, le courage, la force de
l'adversaire, que de satisfaire son appétit proprement dit. Nous
pourrions justement nous demander si le passage du sein au pénis,
objets partiels, ne représente pas ce changement de direction de
l'avidité, le pénis pouvant alors être compris dans le sens que lui a
donné GRUNBERGER (pénis énergétique).
BOUVET, de son côté nous dit, à propos des obsédés, que « l'image
phallique toute-puissante » est l'objet en entier.
Le
moyen le plus éclatant par lequel s'exprime la puissance de l'objet,
puissance qui va être le stimulant de l'avidité, est la motricité, la
mobilité maternelle. Remarquons à ce sujet le grand pouvoir d'attrait
259
que le spectacle de la performance motrice conserve fréquemment pour de
nombreux individus.
Quoi
qu'il en soit, les analystes d'enfant nous décrivent, après ABRAHAM,
les buts sadiques des pulsions de cette époque. L'objet, sous
l'impulsion de ce nouveau besoin, est violemment perçu dans le champ
sensoriel, et un mouvement destructeur a tendance à s'organiser sur
lui. La vision semble, dans la majorité des cas, l'élément sensoriel
prédominant. Le caractère sadique du mouvement pulsionnel fait qu'il ne
peut recevoir aucune satisfaction en retour, contrairement au désir
alimentaire de la première phase.
Que l'on parle de bons et
mauvais objets comme Melanie KLEIN, d'ambivalence comme FREUD et
ABRAHAM après BLEULER, on se trouve devant un double but de la relation
d'objet. Quand le besoin alimentaire, ou le besoin de satisfactions
sensorielles, domine, l'objet est bon, la possibilité de satisfaction
existant. Quand la pulsion sadique, la relation motrice agressive, est
au premier plan, l'insatisfaction est la règle. FREUD a vu dans cette
situation la condition nécessaire à la naissance de l'activité
psychique : « Ce qui poussa l'homme primitif à réfléchir, ce ne fut ni
l'énigme intellectuelle ni la mort en général, mais ce fut le conflit
affectif qui, pour la première fois, s'éleva dans son esprit, à la vue
d'une personne aimée et cependant étrangère et haïe. »
FENICHEL a
repris la même idée : « La tendance générale des impulsions
intellectuelles est d'abaisser le niveau de l'excitation par la
décharge des tensions qui ont provoqué les stimuli excitateurs. Des
contreforces s'y opposent et c'est cette lutte qui forme la base du
monde des phénomènes mentaux... La partie non instinctuelle de l'esprit
humain devient compréhensible lorsqu'on la considère comme un dérivé de
la lutte pour ou contre une décharge, lutte créée par l'influence du
monde extérieur. »
Le destin normal de la pulsion sadique serait
ainsi, en quelque sorte, de déclencher l'évolution psychique. Nous ne
serons pas étonnés, dans ces conditions, des modifications profondes de
la nature de la relation d'objet qui, partant de la relation motrice
immédiate, se transforme jusqu'à devenir la relation intellectuelle.
- C) L'IDENTIFICATION SENSORIO-MOTRICE PRIMAIRE
La
relation d'objet qui prolongerait les tendances sadiques serait
purement motrice. Nous savons classiquement que cette relation est
inhibée par le mécanisme de la projection des propres tendances
destructrices du sujet sur l'objet.
2Ô0
Cette
projection transforme le caractère de l'objet dans son rôle de stimulus
sensoriel et notamment visuel. La vigueur stimulante de l'objet dépend
de la puissance de la pulsion du sujet, qu'elle oriente dans un champ
de force organisé vers l'objet. Mais la projection des propres
tendances sadiques d'une part, la crainte de détruire l'objet d'autre
part, ajoute un élément négatif à la stimulation positive. Les
conditions d'e l'inhibition sont rassemblées. « Percevoir visuellement
est un moyen de maintenir la distance », nous dit PASCHE. En effet, la
stimulation positive, désir d'approche motrice, à laquelle s'ajoute, en
l'annulant, la stimulation négative, désir de fuite, laisse le sujet
fixé sur place, à distance de l'objet. La perception visuelle s'est
établie, dénuée alors de tout effet stimulant. Cette perception
visuelle semble inséparable, au début, de ce que FENICHEL appelle
l'identification narcissique, qui est une identification
sensorio-motrice primaire. « Apparemment, la , perception et la
modification de son propre corps selon ce qui est perçu est une seule
et même chose », dit FENICHEL. L'action est ainsi devenue une action du
sujet, à distance de l'objet, reproduisant un mouvement de l'objet par
le moyen d'une incorporation effectuée par l'oeil. LEBOVICI et DIATKINE
ont justement assimilé ce mécanisme à celui de l'identité spéculaire
dont parle LACAN, en insistant sur la valeur de réassurance narcissique
attachée à ce moyen qui garantit l'intégrité de l'objet.
FENICHEL
fait de l'identification narcissique le fruit d'une incorporation
orale. Il est de fait que le sujet a ainsi réussi à s'emparer d'une
partie de la puissance de l'objet. Cependant ce résultat n'a pu se
réaliser que par l'établissement d'une défense contre une réalisation
motrice agressive immédiate, défense qui semble dépasser de beaucoup la
localisation orale de l'incorporation.
L'incorporation visuelle de
l'objet en mouvement, la perception, est un phénomène psychologique. Il
permet l'établissement entre le sujet et l'objet d'une distance donnée.
Cette distance est constituée par l'abandon de la relation motrice
directement inspirée par la pulsion.
Notons que, dans «
l'identification sensorio-motrice primaire », non seulement le sujet
reproduit une attitude de l'objet, mais qu'il en surveille aussi
l'exécution. Il faut que le geste soit celui-ci, et pas un autre.
Autrement dit, le sujet surveille sa propre motricité comme sa mère
surveillait ses mouvements.
Le problème est complexe, sans aucun
doute. On pourrait se demander si deux mécanismes ne jouent pas en même
temps, le premier partiel, oral, d'incorporation, menant à
l'identification motrice, et le second, fonctionnellement plus étendu,
d'intériorisation de l'objet qui surveille l'exécution.
LEBOVICI
et DIATKINE, parlant de la métapsychologie kleinienne, soulignent cet
aspect : « Le type de relations ambiantes qui s'établissent entre
l'enfant et la mère, objet partiel, relations négatives de réjection du
mauvais sein, constituent le Surmoi précoce qui a un aspect positif
analogue à l'idéal du Moi (le bon sein incorporé) et un aspect négatif
et punitif (le mauvais sein de réjection). »
Nous voyons que
l'incorporation du bon sein est l'incorporation sensorielle, surtout
visuelle, d'un geste de l'objet qui permet une certaine liberté de
décharge motrice « à distance » de l'objet. Mais cette incorporation
est limitée par l'intériorisation simultanée de l'objet qui conduit à
surveiller l'exécution. La relation d'objet apparaît alors comme
s'orientant tout autant vers un objet intériorisé que vers la mère.
Nous allons tenter de préciser ces mécanismes.
INCORPORATION ET INTÉRIORISATION
Biologiquement,
l'incorporation est l'assimilation, par le sujet, d'éléments
extérieurs. Le besoin spécifique active une conduite motrice qui est
sélective. Nous savons, par exemple, qu'un rat surrénalectomisé choisit
la ration la plus salée.
Si la ration, l'objet, contient un
élément toxique, cet élément sera combattu par l'organisme dans le but
de l'éliminer, et provoquera ainsi tout un mouvement dû sujet vers
cette partie inacceptable de l'objet. Cet élément n'aura pas été
incorporé mais simplement intériorisé. S'il n'est pas rejeté, une
organisation interne d'un type particulier se créera.
L'idée de
l'identité de l'incorporation biologique et de l'incorporation,
mécanisme psychique (1), a déjà été avancée. FENICHEL écrit par exemple
: « La tendance à participer à la toute-puissance des adultes, après
avoir renoncé à la sienne propre, se différencie du désir de satisfaire
sa faim. Tout gage d'amour de l'adulte plus puissant a dès lors le même
effet que celui qu'avait pour le nourrisson l'approvisionnement en
lait. »
Si nous considérons à nouveau le mécanisme qui a conduit à
l'identification motrice, nous voyons que les' fonctions
incorporatrices sont les fonctions sensorielles. L'oeil, au premier
plan, et que nous prenons en tout cas pour exemple, réalise ainsi
l'incorporation passive d'une série d'images. L'oeil se comporte ici
comme s'il reproduisait les expériences
(1) Il s'agit, eu fait, d'un mécanisme sensorio-psycho-moteur.
vécues
dans les circonstances antérieures, dont nous avons parlé, de
satisfaction sensorielle, celles de l'incorporation agréable de l'objet
en mouvement. Mais cette fois, cette attitude, que nous pouvons situer
par rapport au sujet ou par rapport à l'objet, est le résultat d'un
mécanisme de défense.
Par rapport au sujet, il y a
fonctionnellement inhibition d'une tendance qui menait à l'action
motrice immédiate. Les yeux, dans la motricité pulsionnelle envers
l'objet, ont un rôle de guide de l'action, la concentrant dans le
faisceau de leur convergence sur l'objet. Cette fonction inhibée, la
vision reprend régressivement un rôle de réception passive (1). La
passivité sensorielle, déjà expérimentée comme pouvant servir à des
incorporations de l'objet en mouvement, sert maintenant à incorporer
les images du mouvement de l'objet.
Par rapport à l'objet, la
défense le transforme d'agent stimulant de l'action en objet de
perception, prometteur de satisfactions sensorielles.
Ces deux
vues ne sont que les deux aspects d'un même phénomène. L'image
incorporée est, en quelque sorte, le bon objet plaqué sur le mauvais,
la satisfaction cachant la frustration dans les plis de sa robe. Une
telle incorporation comprend donc un « noyau toxique ». Le bon objet,
le geste, sera incorporé et servira à l'identification. Le mauvais
objet, non assimilable, n'est qu'intériorisé et le sujet établit une
relation nouvelle avec lui. Cette relation avec l'objet intériorisé est
en même temps la garantie de l'abandon de la relation sadique motrice
directe avec l'objet.
L'objet intériorisé surveille la motricité
du sujet, reprenant à son compte le rôle de guide moteur de l'oeil dans
la mesure où celui-ci contrôle maintenant l'exécution d'une motricité
d'identification. La réjection de cet objet, rétablissant l'objet
extérieur, redonnerait aux yeux leur rôle de guide d'une motricité
purement pulsionnelle. Ce fait apparaît communément, lors de
l'exécution d'un travail gestuel précis et difficile, dans l'effort
nécessaire à contenir des décharges destructrices sous-jacentes.
La
réussite de l'identification sensorio-motrice, partie capitale de
l'évolution, nécessite donc tout autant l'incorporation du bon objet
que l'intériorisation du mauvais. On se rend compte, alors, combien est
artificielle cette subdivision de l'objet qui donne à un processus
essentiellement dynamique un aspect statique. Il existe, en fait, un
mouvement continu qui, selon les circonstances, peut transformer une
masse
(1) Quelques-unes des valeurs psychopathologiques du regard ont été
soulignées par R. HELD. énergétique
en action ou en inhibition. La qualité de l'objet, sa plus ou moins
grande incorporation, sa plus ou moins grande intériorisation,
dépendent surtout des distances nécessaires à prendre pour maintenir la
relation d'objet, suivant les données d'un moment plein du passé. Comme
le dit FENICHEL : « Suivant les pulsions en jeu, le monde est perçu
comme une source possible de satisfaction ou comme une menace possible.
»
D) LA MOTRICITÉ ET LES FANTASMES PENDANT LA PÉRIODE ORALE
Nous
savons la variété, selon les auteurs, des définitions de l'activité
fantasmatique dans cette période précoce de la vie. LEBOVICI et
DIATKINE pour leur part ont établi, nous l'avons vu, une distinction
entre les fantasmes inconscients et les fantaisies hallucinées, ces
dernières représentant les « fruits d'une élaboration du Moi du sujet
qui les vit », et pouvant, de ce fait, être très étalées et très
diverses, alors que les fantasmes inconscients sont « issus des
expériences vécues durant les premiers jours et les premiers mois de la
vie ». L'expression « expériences vécues » montre la proximité de
l'action de ces « productions spontanées ». Cette action est justement
le point de rencontre de tous les auteurs qui ont parlé de l'activité
fantasmatique précoce.
Melanie KLEIN explique l'origine du
symbolisme et des fantasmes par le placage, sur des objets
substitutifs, des actions pulsionnelles : « Dès que l'enfant désire
détruire les organes (pénis, vagin, sein) qui lui servent d'objets, il
conçoit une crainte de ces derniers. Cette angoisse contribue à trouver
d'autres objets équivalents aux premiers. En raison de cette équation,
l'enfant est ainsi amené à établir de nouvelles équivalences qui sont à
l'origine de nouveaux intérêts et du sYmbolisme... une quantité
suffisante d'angoisse est la base nécessaire pour une formation de
symboles et de fantasmes. » Si nous suivons cet auteur, l'angoisse, née
de la nécessité de désinvestir l'objet, but pulsionnel, est combattue
par des réinvestissements d'objets divers qui gardent inconsciemment la
valeur de l'objet primitif, c'est-à-dire qui peuvent servir de buts
secondaires à cette action pulsionnelle. Dans ce sens, l'activité n'est
« fantasmatique » que pour un observateur adulte, l'enfant ignorant la
valeur réelle, pratique, de son objet substitutif. Le « fantasme
inconscient » nous apparaît surtout comme très proche de l'action. Il
est, aussi, voisin du « processus hallucinatoire primaire » de FREUD et
FERENCZI, de la « réalisation hallucinatoire du désir » de PASCHE.
Sous ce jour, l'identification narcissique primaire ou l'identification
sensorio-motrice
est tout autant fantasmatique. Cette identification, qui consiste en un
ensemble d'intériorisation et d'incorporation de l'objet en mouvement,
et qui sert de modèle au mouvement propre du sujet, ne peut s'inscrire
que dans les limites qualitatives de la propre sensorio-motricité du
sujet qui réalise ainsi, sur le plan sensoriomoteur, une véritable
interprétation des mouvements de l'objet.
Ce mécanisme s'approche
de celui des fantasmes, au début de leur élaboration, fantasmes dans
lesquels le sujet fait agir à sa guise, nous voulons dire, selon ses
propres qualités, l'objet en mouvement. Nous comprenons, en raison de
cette identification à l'objet, que le sujet puisse aussi, dans son
activité fantasmatique, se voir ou se faire agir à sa guise.
La
fantasmatisation apparaît ainsi, dès ses premières élaborations, comme
une véritable intériorisation de toute la relation primaire avec
l'objet extérieur, le fantasme étant un objet intérieur comprenant à la
fois l'objet, le sujet lui-même, et le mouvement de chacune des deux
parties.
Un obstacle essentiel à la réalisation fantasmatique
existe cependant, celui de la tendance à la décharge motrice immédiate,
tendance qui, empêchant une certaine rétention, rend difficile toute
élaboration. C'est pourquoi les mécanismes de fantasmatisation vont
trouver leur plein épanouissement au stade anal.
Nous pensons que
les controverses et les difficultés qui surgissent dès qu'est évoqué le
problème des fantasmes précoces, vient de l'impossibilité de séparer
ces fantasmes d'une décharge motrice qui, épuisant sans cesse l'énergie
pulsionnelle, diminue constamment les possibilités d'investissements et
de contre-investissements. L'identification motrice primaire qui, dans
son mécanisme, introduit un certain ajournement de la pulsion,
ajournement dû à l'intériorisation d'un objet et à l'organisation d'une
relation intérieure avec cet objet, peut être ainsi considéré comme un
pas important dans l'édification du Moi et de la forme future de la
relation d'objet.
Lorsque l'on tente de rassembler les
connaissances cliniques et théoriques sur le stade oral, le sentiment
de contours nébuleux, de diffusion et d'imprécision vient, dès l'abord,
dominer la scène. Il est difficile d'exprimer en mots l'ensemble
mouvant d'une organisation freinée par des débordements inadaptés.
L'impression qui prévaut est celle d'une tentative réitérée de
rétablissement d'une homéostase constamment menacée par l'évolution.
La relation d'objet semble le meilleur moyen d'établir des schémas à,
peu près satisfaisants pour l'esprit. Elle apparaît comme un champ de
force à direction relativement précise.
Lors
de la vie prénatale, elle est revêtue du maximum de quiétude,
abondamment facilitée par l'intermédiaire placentaire. L'évolution
intra-utérine, avec l'apparition de besoins nouveaux rend, au bout d'un
temps, cette relation insuffisante. La naissance permet la satisfaction
de ces besoins mais fait dépendre alors le sujet, nettement
différencié, d'un objet autonome et non plus automatique. Nous
comprenons mieux que l'enfant utilise alors, au maximum, les
satisfactions sensorielles venant de l'objet, dans ses tentatives
d'établir son équilibre. Ces satisfactions sont, en effet, les plus
proches, par le résultat rapide qu'elles procurent, des apports
continus de la vie utérine précédente. La relation d'objet motrice naît
d'un besoin qui persiste tant qu'il n'est pas satisfait. Les
satisfactions sensorielles n'ont plus alors le pouvoir de maintenir le
processus hallucinatoire primaire, mais conservent l'intérêt de servir
à élaborer des défenses contre une relation que la tendance motrice de
plus en plus puissante revêt d'une angoisse de plus en plus importante.
Les expériences d'incorporation de l'objet en mouvement, nées de la
relation sensorielle, vont servir de base à des phénomènes nouveaux qui
vont pouvoir amortir, tamponner, la relation motrice ressentie
désormais comme par trop dangereuse.
L'identification narcissique
primaire, qui apparaît comme une des défenses les meilleures, à cette
époque, dans la constitution du « Moi », condensant en elle-même les
reliquats de la relation primitive sensorielle et motrice d'objet,
constitue une ébauche des mécanismes de rétention et semble être la
base de l'élaboration fantasmatique.
LA RELATION D'OBJET ET LE STADE SADIQUE ANAL
FREUD
nous dit que lorsque la motricité est organisée, cette organisation
s'accompagne d'un déplacement du centre d'intérêt de la bouche vers
l'anus ; il fait alors allusion à un phénomène embryologique de'
déplacement. ABRAHAM, reprenant ce point de vue, précise le déplacement
et montre que l'anus dérive de la bouche primitive et que sa
différenciation est contemporaine du développement musculaire.
Sans
rejeter ces faits que l'on doit prendre en considération sous le jour
des intégrations évolutives, il ne semble pas qu'ils représentent
l'élément actif, majeur, du glissement du stade oral au stade anal.
Le
stade anal est un événement spécifiquement humain. A première vue,
autant les désirs oraux et génitaux sont immédiatement compréhensibles,
autant les besoins excrémentiels et les actes qui peuvent en découler
apparaissent d'une importance moindre. Il n'en est plus de même si l'on
considère le lieu électif de l'éducation, celui des fonctions
excrémentielles, et si l'on consent à voir que cette éducation s'étend
à toute la motricité.
Comme ABRAHAM l'a montré, le stade anal fait
parcourir à la relation d'objet un important chemin sur la voie qui
mène du sadisme primitif à l'amour objectai. La pulsion sadique
motrice, asociale à son départ, va subir des transformations et aboutir
à des formes qui renforceront, au contraire, l'édifice social.
L'adaptation motrice à l'objet tire l'essentiel de ses racines du stade
anal. Cette phase de l'évolution libidinale apparaît comme le stade de
la socialisation.
Le glissement progressif du stade oral au stade
anal a déjà été implicitement décrit par Melanie KLEIN et par les
analystes d'enfants. Ceux-ci ont montré que, lorsque l'enfant
intériorise le mauvais objet, il tente de le rejeter, de l'expulser. Ce
mouvement, à l'origine, ne concerne pas spécialement le stade anal,
mais exprime la tendance générale de l'organisme à se débarrasser d'un
corps étranger inassimilable (Riddance principle, de RADO). Lorsque
FENICHEL dit : « La première pulsion hostile envers les objets est de
les cracher et non de les avaler », il ne peut faire allusion qu'à des
objets intérieurs.
Dans le cadre de notre travail, l'objet
intériorisé représente, nous l'avons vu, l'abandon d'une relation
motrice sadique exercée sur l'objet extérieur. L'expulsion de l'objet
intérieur entraînerait la reprise de cette relation.
La prise de
conscience de l'image corporelle tend à localiser les impressions qui
restaient diffuses lors du stade oral. Les produits excrémentiels
acquièrent de ce fait un grand intérêt. D'une part, ils sont expulsés
du corps, d'autre part ils éveillent, avant cette expulsion, des
sensations interoceptives qui montrent qu'il existe à l'intérieur du
corps quelque chose qui n'est pas le corps, qui n'est pas incorporé.
Par ce fait seul, le contenu intestinal est prêt à servir de support à
l'objet intériorisé. L'éducation sphinctérienne, s'efforçant de
domestiquer l'excrétion, renforce l'analogie avec la domestication
motrice, c'est-à-dire avec l'éducation de la motricité par la motricité
née, comme nous l'avons vu, de l'intériorisation de l'objet.
On
pourrait penser que l'éducation sphinctérienne vient entraver une
activité substitutive, l'expulsion des matières fécales symbolisant
l'expulsion de l'objet intériorisé. Mais il faut croire que l'objet
réel, intervenant directement dans cette activité substitutive, est
substitué à nouveau à l'objet substitutif (le bol
fécal). Le pouvoir anxiogène, primitivement lié à la reprise de la
relation motrice sadique par expulsion de l'embryon de Surmoi qu'est
l'objet intériorisé, se transmet également à l'expulsion incontrôlée
des matières fécales.
Le sphincter anal ne peut être considéré,
dans son rôle de sphincter empêchant l'extériorisation de pulsions
sadiques, que d'une façon toute symbolique. Par contre, les organes
sensoriels, et en particulier l'oeil, qui a subi du fait de
l'intériorisation de l'objet une modification profonde de sa fonction
primitive de guide de la motricité pulsionnelle, apparaît
subjectivement comme plus apte à jouer ce rôle. Cette modification lui
a donné, malgré l'apparence d'une attitude passive, une fonction active
d'incorporation, dont le but est de rechercher des moules
d'identification où viendront se couler l'énergie motrice. L'oeil
concourt également (nous le prenons toujours pour exemple) à surveiller
l'exécution, c'est-à-dire à empêcher la motricité pulsionnelle
sousjacente de se manifester à nouveau.
On peut dire ainsi que le
rôle primitif de guide a été transmis à l'objet intériorisé.
L'expulsion de ce dernier ferait jaillir, « en avant de l'oeil », la
motricité pulsionnelle avec la vision propre à cette dernière. Dans ce
cas, l'objet intérieur expulsé se projetterait à nouveau sur l'objet
réel et la relation motrice sadique directe, redoutée, réapparaîtrait.
Il
nous semble ainsi qu'au cours du stade anal, l'oeil a fonctionnellement
un rôle moteur de sphincter, peut-être aussi important que celui de
l'anus. Un rapport similaire pourrait sans doute être établi dans le
domaine de l'expression, sur la fonction « audition-langage ».
L'évolution,
que nous avons suivie pendant la période orale, prend ainsi toute son
extension dans le stade anal. Elle est en grande partie le fruit de la
relation d'objet. Sur le plan de la relation sadique, le glissement
d'un stade à l'autre apparaît surtout déterminé par des facteurs
affectifs, qui s'intègrent, évidemment, à l'évolution de la
sensorio-motricité.
A) LA PREMIÈRE PHASE SADIQUE ANALE
L'existence
de cette phase a été établie par ABRAHAM qui a insisté sur la
prééminence des pulsions sadiques dès cette époque, et a montré
l'équivalence inconsciente existant entre « expulser » les matières
fécales et « détruire l'objet ». Nous retrouvons, dans cette
équivalence, la relation du sujet avec l'objet intériorisé (les
matières fécales) et avec l'objet extérieur, le maintien de la première
relation sauvegardant la seconde.
Toujours d'après
ABRAHAM, les visées d'incorporation de l'objet persistent à cette
époque, mais se réduisent à une partie de l'objet.
Après STARCKE
et VAN OPHJUISEN, ABRAHAM a émis l'hypothèse que la paranoïa
représentait une régression à ce stade. Cette opinion est réapparue
dernièrement sous la plume de BOUVET qui insiste sur le fait que
l'introjection agressive de l'objet partiel (1) entraîne le sentiment
du danger d'être désormais habité par un objet destructeur. Nous savons
que Melanie KLEIN pense que ce conflit est beaucoup plus précoce. Il
serait intéressant de pouvoir lier entre elles ces tendances qui
apparaissent éparses chez l'enfant.
Éliminer l'objet intérieur,
c'est expulser l'embryon de Surmoi moteur qui s'est formé. Autrement
dit, c'est revenir à une organisation motrice pulsionnelle, à une
relation motrice sadique directe avec l'objet. Ce retour permettrait
alors une incorporation destructrice de ce dernier. Mais les mécanismes
de projection et la crainte de détruire l'objet interdisent ce
processus.
Sans vouloir nous étendre sur ce problème, il semble
que la relation paranoïaque, fruit de la projection sur l'objet
extérieur, n'est vraiment au premier plan que dans les cas où l'objet
intériorisé est surtout un mauvais objet. Cet objet, qui condense
l'idéal du Moi et un Surmoi sadique, limite d'autant plus l'expression
motrice que l'idéal du Moi, qui est la source des identifications, donc
d'un certain écoulement de la tension interne, est faible.
Nous
comprenons là l'importance des expériences passives sensorielles
agréables vécues au contact de l'objet, qui peuvent, dans une certaine
mesure, tamponner les conflits nés des exigences instinctuelles. Il
nous semble que la qualité de l'objet intériorisé, tellement importante
dans l'avenir de la relation d'objet, découle de la notion, introduite
par BOUVET, de la différence entre l'introjection agressive et
l'introjection conservatrice.
A ce stade, l'éducation se manifeste
de plus en plus. L'action de l'objet tend à imposer des conduites. Dans
sa recherche première d'identification, le sujet était à l'affût des «
moules moteurs ». Dans l'éducation, ces moules lui sont imposés. Nous
pourrions dire que l'objet s'intériorise alors dans le sujet par
effraction. FENICHEL écrit que ce qui rend les enfants éducables est
leur soif d'amour, d'estime. La
(1) L' « objet partiel »
correspond sans doute à une réalité archaïque vraisemblablement
impossible à appréhender au moment de sa conception. Tel qu'il apparaît
cliniquement, l' « objet partiel » est surtout une formulation
métaphorique, reliquat de l'appréhension hésitante de cette ancienne
réalité.
prédominance de la punition ou de la récompense va donc colorer la
qualité de l'objet ainsi intériorisé.
Cette
pénétration de l'objet dans le sujet est analogue à celle de la
passivité anale qui, nous le savons, permet l'établissement d'un
nouveau système de défense. Le sujet se sent libre d'agir dans la
mesure où son action peut être considérée comme le résultat d'une
effraction de l'objet. L'activité n'est pas alors considérée comme la
suite d'une expulsion de l'objet.
Ce point de vue est très proche
de celui que GRUNBERGER a exprimé sur les masochistes pervers.
L'effraction douloureuse de l'objet est une façon dissimulée pour le
sujet de s'approprier le « pénis énergétique » et de parvenir ainsi à
l'orgasme.
Nous pouvons maintenant revenir encore à la sensation
de froid de Marthe. Comme nous l'avons déjà vu, Marthe se plaint de
l'irruption en elle de cette sensation. Nous remarquons cependant en
même temps, dans ses rêves, une attitude de compétition avec « les
joueurs de golf » par exemple. Il est évident que l'attitude de rapt du
pénis paternel dissimulé est essentiellement une défense devant le
conflit oedipien, mais Marthe emploie, pour établir cette défense, des
mécanismes prégénitaux dont l'utilisation, contre le père, laisse sa
mère à ses côtés.
Certains passages à l'acte ont vraisemblablement
leurs racines dans cette première phase du stade anal. Les pulsions
sadiques de cette époque exigent une certaine distance entre l'objet et
le sujet. Cette idée a été défendue par BOUVET qui, par ailleurs, a
montré que, dans une relation de transfert qui met au premier plan les
émois prégénitaux, l'objet ne doit pas trop s'approcher du sujet.
L'angoisse qui naît de cette situation peut provoquer des mécanismes
violents de rejet de l'objet extérieur et rendre l'analyse impossible.
Dans le même sens, LEBOVICI, MALE et PASCHE (Psychanalyse et
criminologie) ont écrit : « En d'autres termes, chez l'enfant, les
passages à l'acte, au cours des traitements, expriment des désirs et
des.craintes particulièrement vifs que sa personnalité ne peut assumer.
»
L'approche de l'objet, attitude favorisant le retour à une
relation sadique, exacerbe le désir d'expulser l'objet intériorisé. En
repoussant l'objet extérieur, le sujet conserve ainsi sa relation
préservatrice avec son objet intérieur. Il la conserve d'ailleurs tout
autant en soulageant, sur un objet substitutif, la tension qui naît de
cette situation.
Cependant, progressivement, le jeu des
récompenses et des punitions, les manifestations extérieures de l'objet
devant les progrès de la conduite motrice du sujet,
lient de plus en plus la conduite du sujet à ces manifestations.
L'ensemble conduite motrice - réaction de l'objet peut être ainsi
progressivement prévu à l'avance.
L'objet intériorisé devient, de
façon nette, toute la relation primitive avec l'objet extérieur.
L'éloignement de la motricité pulsionnelle s'accentue, du fait de cette
acquisition précieuse, mais ce processus fait partie de la seconde
phase du stade anal.
* B) LA DEUXIÈME PHASE DU STADE ANAL ÉTABLIT LES BASES
DES RELATIONS D'OBJET ULTÉRIEURES
Selon
ABRAHAM, la seconde phase du stade anal aboutit à un remaniement
presque total de la relation d'objet. Les visées d'incorporation et les
tendances destructrices sont abandonnées au profit du désir ambivalent
de contrôler et de posséder l'objet. L'attitude envers les matières
fécales reproduit l'attitude envers l'objet extérieur.
L'érotisation
de la relation avec l'objet intérieur améliore cette relation. La
rétention, d'abord imposée, est maintenant recherchée. Le fait que
l'ajournement du rejet excrémentiel puisse mener aux conduites de refus
est une raison qui, dans la littérature psychanalytique, a été avancée
pour expliquer le plaisir de retenir.
Là encore, la rétention des
matières fécales symbolise la rétention de toute une activité
intérieure, et concourt à l'acquisition par le sujet d'un sentiment de
maîtrise de ses réactions motrices, qui s'étend en un sentiment de
maîtrise des réactions motrices de l'objet.
ABRAHAM nous dit
encore que l'amour des matières fécales, objet de la phase anale,
constitue la première manifestation d'amour d'un objet perçu comme
nettement indépendant. Il nous apparaît qu'à ce niveau, les matières
fécales représentent surtout la condensation sujetobjet ou, mieux
encore, la condensation de l'interactivité sujet-objet, En faisant
dériver la faculté de prévision et de contrôle de l'intériorisation de
la relation vécue jusque-là au contact de l'objet, nous constatons que
le sujet observe, en lui-même, cette relation. Il peut y réagir
émotionnellement tout en en réglant la séquence. Il est difficile de
schématiser la situation dans laquelle l'objet, d'une part, est devenu
cette activité intérieure mettant en scène à la fois l'objet premier et
le sujet, dans laquelle, d'autre part, le sujet s'est identifié à
l'objet en tant qu'observateur.
T. REIK, étudiant la vocation
psychologique, a insisté sur le fait que l'auto-observation naissait de
l'introjection de l'objet observateur.
«...
Nous avons en conséquence ce cycle : La perception intérieure de
plaisir ou de déplaisir est projetée sur le monde extérieur et il
s'ensuit à ce moment seulement] une perception primitive. Ce système,
qui permet de devenir conscient d'être observé, se transforme en
autoobservation par introjection de l'objet... Là surgit le deuxième
point, cette auto-observation est mise précocement sous le signe de la
critique de soi-même..., et cette auto-critique est la continuation de
la critique extérieure. »
Nous nous écartons de l'opinion de REIK,
en ce qui concerne la naissance de l'observation. Cependant, en
remplaçant la notion de projection du sentiment de plaisir et de
déplaisir par celle de projection des tendances sadiques du sujet sur
l'objet, nour rejoignons cet auteur dans son développement. Le besoin
de voir s'active chaque fois que la pression des tendances
instinctuelles conduit, soit à la recherche de comportements
d'identification susceptibles de leur donner une issue, soit à la
recherche d'objets substitutifs susceptibles de servir symboliquement
d'exutoire à ces tendances. Ce besoin peut être projeté sur l'objet et
cette attitude d'inquisition, projetée ou réelle, vient gêner les
possibilités d'issues des pulsions pour deux raisons principales : la
première est que, ce faisant, l'objet vient interférer dans le champ
d'action du sujet, la seconde est qu'il éveille des réactions
agressives qui, elles aussi, ont tendance à replacer l'objet dans ce
champ d'action. « La conscience du Moi est exacerbée par l'impression
d'être observé », dit REIK. Cette phrase nous montre bien
l'exacerbation de l'identification à l'observateur ainsi provoquée par
l'observation exercée par l'objet, identification destinée à soustraire
l'objet aux émois éveillés par son inquisition. FREUD a décrit en
d'autres termes et d'une façon plus générale le même mécanisme : « Les
investissements objectaux sont dus aux exigences pulsionnelles du Ça :
le Moi n'a d'abord qu'à les enregistrer, mais tandis qu'il s'identifie
à l'objet, il se présente à la place de ce dernier devant le Ça... »
Ces
mécanismes s'observent fréquemment au cours de la pratique
psychanalytique. Si l'analyste pose une question sur une activité
motrice du patient, ce dernier intériorise son activité et la
contemple. Il s'identifie ainsi à l'analyste, et prend son activité
pour objet.
Que s'est-il passé ?
L'analyste, en posant une
question, s'est introduit dans le champ d'action du patient, comme la
mère en s'inquiétant de l'activité, fécale de l'enfant s'était imposée
comme substitut second au substitut premier de l'objet que l'enfant
avait trouvé dans ses matières fécales. L'analyste s'est
trop approché des pulsions motrices du sujet, et celui-ci a rétabli la
situation en s'identifiant à l'objet qui contemple une activité
substitutive du sujet, à une certaine distance. Sa relation d'objet
s'établissant vis-à-vis de cette activité, retenue en lui, est alors
essentiellement intérieure. Le caractère défensif de cette relation
exige qu'elle reste intérieure, car sa communication ferait sauter
l'identification à l'objet et remettrait ce dernier dans le champ des
pulsions motrices.
Dans la cure psychanalytique, l'analyste prend
un caractère inquisiteur dès qu'il a formulé, au début du traitement,
la règle fondamentale. Tout fantasme à peine vécu doit être en principe
communiqué. Quelquefois le malade, gardant son fantasme, refuse d'en
parler. Il maintient ainsi une distance, ce qui ne va quelquefois pas
sans un certain plaisir obtenu par cette rétention, nous l'avons vu
particulièrement dans le cas de Marthe. La décision de communiquer un
fantasme entraîne toujours, chez l'adulte, une série de mesures
défensives. La communication du fantasme naît d'ailleurs d'une prise de
position du sujet par rapport à son fantasme qui constitue, en
elle-même, une défense. La tendance la plus profonde, la plus
archaïque, serait d'extérioriser le fantasme sous forme d'action
motrice.
Contre cette tentation, le sujet utilise souvent une
défense qui remonte, génétiquement, à l'identification motrice
primaire. A cette époque, l'inhibition motrice, née de la projection
sur l'objet des tendances sadiques du sujet, avait retiré à la vision
de l'objet son caractère de « stimulus moteur » pour ne lui laisser
qu'une valeur de perception passive. Cette perception, qui permettait
secondairement une identification motrice avec l'objet, était
extérieure.
La perception intérieure qu'est celle du fantasme
donne lieu au même processus. L'extériorisation du fantasme pourrait
supprimer l'identification à l'objet qui lui a donné naissance et
replacer, restituer l'objet en face des pulsions du sujet. L'inhibition
motrice qui résulte automatiquement de cette confrontation retire tout
affect et toute motricité au fantasme et permet une identification
supplémentaire à l'objet observateur. L'objet intérieur devient ainsi,
sur un nouveau plan, le sujet occupé à fantasmer.
Pour nous
résumer, dans un premier temps, le sujet « vit » son fantasme. Dans un
second temps, prenant position par rapport à son fantasme, le
considérant, il s'éloigne de lui, alors qu'il est cependant inclus dans
le mouvement de son fantasme premier. Le sujet porte alors des
jugements sur son activité précédente, jugements issus de cette
nouvelle
identification à l'objet. L'intellectualisation et son cortège
d'abstraction, de désincarnation, et d'éloignement de la motricité,
apparaît comme le résultat de ce processus renouvelé.
Il est à
remarquer que les jugements émis sur l'activité fantasmatique, souvent
péjoratifs, sont du même type que ceux qu'à la suite de l'objet,
l'enfant portait dans son attitude de dégoût devant ses produits
excrémentiels. Inutile de dire que la thérapeutique analytique n'est
pas le seul lieu où se déroule le processus qui, partant de la relation
motrice avec l'objet, éloigne progressivement le sujet dans une
relation avec un objet intérieur abstrait, intellectuel.
REIK,
nous l'avons vu, a montré que l'introjection de l'objet, nécessaire à
l'éclosion de l'auto-observation, entraînait la transformation de la
critique extérieure en auto-critique. Lorsque le contenu fantasmatique
est répréhensible, le Surmoi se révèle, se cristallise, et le sujet se
retrouve alors devant un objet intérieur hostile. Pour échapper à une
situation dans laquelle surgissent les sentiments de culpabilité,
c'est-à-dire la crainte profonde d'avoir agressé directement le bon
objet, le sujet rétablit l'identification à l'objet en adoptant ses
critiques. Ce mécanisme entraîne des modifications des fantasmes,
pouvant aller jusqu'à l'annulation complète de l'action qu'ils
contiennent.
Le passage de la pulsion à l'intellectualisation est
facilement visible chez les obsédés. FENICHEL nous dit que ces malades
fuient le monde des images (encore trop imprégnées de motricité,
soulignons-nous) pour [celui des concepts et des mots. Lorsque cette
fuite n'est pas soutenue par la sublimation et qu'elle n'est que la
défense contre le fantasme, la pensée a tendance à prendre cet aspect
caricatural qui montre son infiltration par la pulsion sous-jacente et
à conserver le caractère de toute-puissance magique que possèdent,
comme nous l'a montré FERENCZI, les premiers mots pour l'enfant.
Lorsque la pulsion est activée, la défense impose en quelque sorte la
sortie d'un flux de mots eh place de l'action. Ces mots conservent,
pour le sujet, la puissance et la capacité de réalisation de l'action.
Au cours de la séance que nous avons rapportée, Marthe qui, par
ailleurs, intellectualise très peu, ne donne guère qu'un seul exemple
de ce passage rapide, presque un saut, escamotant l'intermédiaire
fantasmatique. C'est toujours à propos de sa sensation de froid. Nous
savons que cette sensation est liée à une excitation sexuelle. Les
fantasmes que le désir pourrait inspirer son trop proches de la scène
primitive et de ses angoisses, aussi Marthe explique-t-elle sa
sensation de froid par une tension artérielle trop basse, notion
intellectuelle qui devrait mettre un point final à toutes ses
cogitarions
autour de cette sensation. Nous avons vu que cette défense, dans la
séance, était sans lendemain, mais notons qu'elle contenait, malgré son
aspect intellectuel, une demande implicite d'action du thérapeute.
En
situant, comme nous venons de le faire, une part essentielle de
l'élaboration des mécanismes de fantasmatisation et
d'intellectualisation, dans le décours de la seconde phase du stade
anal, nous pensons rester en accord avec ABRAHAM. Ces processus ne
peuvent se produire que dans de bonnes conditions de rétention,
conditions qui n'apparaissent qu'à ce stade. Pour nous résumer, nous
pourrions dire que nous avons décrit les phénomènes qui se produisent
en arrière de la sensorialité, et plus particulièrement en arrière du «
sphincter oculaire », comme ABRAHAM les avait décrits en amont du
sphincter anal. Lorsque l'enfant jouit, en effet, des émois que lui
procure la rétention du bol fécal, les représentations issues de ces
émois reproduisent plus ou moins consciemment les expériences vécues au
contact de l'objet au cours de l'éducation sphinctérienne. Le sujet vit
à la fois la représentation de son mouvement de rétention et son
identification à l'objet attendant l'excrétion. L'ensemble de cette
activité constitue l'objet intérieur, c'est-à-dire le fantasme. Les
matières fécales étant excrétées, mises sous les yeux de la mère,
l'enfant adopte envers elles les jugements de la mère, elles sont
sales. Cette identification supplémentaire constitue l'embryon de
l'intellectualisation. Le fait d'avoir déféqué est identique au fait
d'avoir extériorisé un fantasme, et conduit le sujet à prendre une
nouvelle distance vis-à-vis de ce dernier. L'image que nous venons de
formuler, et qui met surtout en avant l'activité excrémentielle, est à
vrai dire insuffisante. Toute la genèse de la sensoriomotricité (A.
THOMAS et coll., J. AJURIAGUERRA et coll., A. GESELL, H. HÉCAEN)
participe au processus des intégrations des activités fantasmatique et
intellectuelle.
Le passage de la première phase à la seconde phase
du stade anal se traduit en partie par la substitution de l'érotisation
de la pensée à celle de la musculature en action. La pensée s'intercale
maintenant entre la pulsion et l'action, assumant ainsi, comme l'a
montré FREUD, une importante fonction du Moi. Le sentiment de maîtrise
en sort renforcé, ainsi que le dit FENICHEL :
« Le Moi a
maintenant une meilleure arme pour faire face au monde extérieur autant
qu'à ses propres excitations. Nous avons là le contenu rationnel que «
l'on se rend maître de ce que l'on peut nommer ». S'efforcer de cette
manière à maîtriser les impulsions instinctuelles est, sans aucun
doute, un appoint au développement intellectuel. »
Cette
acquisition d'une grande partie de la pensée qui, comme nous avons
tenté de le montrer, est le résultat d'identifications et
d'intériorisations successives opérées sous l'impulsion des angoisses
naissant de l'inspiration motrice pulsionnelle directe, a développé le
sentiment du « Moi ». Lorsque REIK nous dit que le sentiment du Moi est
exacerbé par le sentiment d'être observé, il souligne un élément
primordial de sa constitution : l'intériorisation de l'image du sujet
en action, observable par le sujet lui-même, grâce à son identification
à l'objet observateur.
Cette observation du sujet par lui-même (1)
constitue une réédition du stade du miroir décrit par LACAN. Les
menaces qui peuvent peser sur cette acquisition réactivent « l'angoisse
de morcellement ». Ces menaces découlent presque toutes des
circonstances qui pourraient entraîner un désir de rupture de la
relation libidinale avec le Surmoi.
LEBOVICI et DIATKINE, parlant
de la fantaisie hallucinée, insistent sur le fait qu'elle représente
une production d'un Moi constitué. Nous ajouterons que la constitution
du Moi va de pair avec l'apparition et l'évolution du fantasme.
Les
mécanismes de défense qui vont renforcer avec acharnement le sentiment
d'unité ainsi acquis par le sujet, mécanismes qui auront pour but
d'éviter un retour à la relation motrice pulsionnelle avec l'objet,
font que cette relation ne sera presque jamais directement observable
chez nos malades habituels. Il est cependant souvent possible
d'observer la sous-jacence de cette relation motrice pulsionnelle à
travers le jeu complexe des intériorisations successives, destiné à
maintenir la liaison libidinale avec l'objet intériorisé.
Nous pouvons maintenant résumer ainsi la genèse de
l'intellectualisation :
Il existe une relation d'objet qui ne peut qu'être motrice vis-à-vis de
l'objet extérieur.
Cette relation d'objet peut être prise à son tour comme objet qui, dans
ce cas, devient un objet intérieur fantasmatique.
Le
fantasme, qui constitue en soi une relation d'objet, peut à son tour
devenir un objet pour le sujet qui peut ainsi l'examiner, par exemple.
(1)
... « C'est un monde plastique et émouvant que je tiens à ma discrétion
et qui, réfracté dans mon coeur, reste toujours prêt à me tendre, comme
dans un miroir, l'image de moi-même. » (Henri EY.)
Une
suite plus ou moins longue, renouvelant ce type de processus, aboutit à
l'intellectualisation. Chaque fois que l'un de ces mécanismes apparaît,
c'est-à-dire chaque fois qu'une relation d'objet est considérée à
nouveau par le sujet comme objet, le mouvement inclus dans la relation
(à l'origine, la relation motrice avec l'objet extérieur) se perd, se
dégrade de plus en plus, jusqu'à aboutir à l'abstraction, à
l'intellectualisation. Il est évident que, dans la réalité
psychologique, ces processus ne se déroulent pas d'une façon aussi
cadencée que nous venons de le dire mais s'imbriquent, et que d'autres
mouvements à contre-sens s'ajoutent à cela, qui tendent à restituer
plus ou moins le mouvement inclus dans la relation d'objet primitive.
Nous
ne dirons que quelques mots sur ce qui nous apparaît essentiel dans les
modifications apportées, à la période génitale, aux mécanismes
précédemment décrits.
L'apparition des émois génitaux inspire au sujet une conduite motrice,
nouvellement déterminée, vers l'objet.
Les
expériences des stades précédents ayant conduit le sujet à se défendre
de laisser l'instinct organiser cette conduite motrice, ce sujet
recherche alors davantage encore les objets extérieurs qui pourraient
servir à édifier des identifications. Le besoin de voir, de savoir, est
activé par la pulsion.
L'agressivité naît, à la fois du désir de
supprimer le rival et de prendre sa place, et de l'inhibition de
l'action destructrice. Cette agressivité ne nous semble pas mériter, au
même titre que les pulsions sadiques des stades précédents, le nom de
relation d'objet, n'étant pas libidinale dans sa forme essentielle. Le
rival, catalysant sur lui les restes des pulsions sadiques, tend en
fait, par sa présence, à améliorer la relation d'objet basale.
Le
fantasme va s'établir, comme nous l'avons décrit précédemment, par
intériorisation de la relation avec l'objet, mais cette fois-ci, le
sujet s'identifie au rival observateur. Le fantasme, qui ne fait
d'ailleurs souvent qu'exacerber l'excitation génitale, échoue dans son
rôle de « mécanisme tampon ». Nous n'avons l'intention d'examiner ici,
ni les nouveaux conflits qui s'élèvent fréquemment autour de la
masturbation, activité qui accompagne presque fatalement ces fantasmes,
ni la culpabilité qui en naît, ni l'action des mécanismes de
refoulement. Il nous semble cependant qu'une régression, érotisant la
musculature et la pensée, va être fréquemment favorisée par la relation
agressive qui
s'est établie avec le rival du fait du conflit oedipien. L'essence
motrice de cette relation permet l'application facile des défenses
expérimentées au cours des stades prégénitaux dans lesquels la relation
motrice était au premier plan. La fantasmatisation,
l'intellectualisation reprennent alors toute leur efficacité (1).
La
régression donne au rival qui, primitivement, n'était qu'un obstacle,
un rôle d'objet. Les visées d'incorporation de sa puissance déclenchent
à nouveau les mécanismes de défense que nous connaissons, et permettent
notamment de nouvelles identifications. Ces identifications, pour ne
pas faire renaître le conflit oedipien, devraient être seulement
purgées de toute aspiration génitale. Or il n'en est rien, car elles
recouvrent le fantasme de captation progressive de la puissance du
rival, dont le but est de renouer la relation avec l'objet génital.
Pour maintenir ce but, les identifications seront de plus en plus
intellectualisées. L'activité qui en résulte sera intériorisée et jugée
suivant les critères utilitaires du rival. GRUNBERGER a décrit un
phénomène régressif de ce type devant les angoisses oedipiennes,
affirmant que l'objet des visées sadiques d'incorporation était
toujours, dans ce cas, le pénis du père, quel que soit le sexe du
sujet. Du fait de la régression, le fantasme et l'intellectualisation
prennent souvent un caractère auto-érotique du type masturbatoire.
Ce
que nous venons de décrire n'implique absolument pas que nous pensions
que la relation avec l'objet génital est abandonnée, nous nous limitons
ici, à souligner quelques points essentiels concernant notre sujet.
Il
nous apparaît ainsi que les événements primordiaux qui, dans le cadre
de notre rapport, marquent le stade génital, sont essentiellement la
désintrication des pulsions, marquée par l'apparition dans la vie
affective de l'enfant de l'image menaçante du rival, et l'élaboration
en rapport avec cette image nouvelle, sur un plan plus évolué, des
mécanismes intellectuels expérimentés au cours des phases prégénitales
au contact de l'objet.
Notre exposé théorique a tenté de montrer,
en restant sur le plan de la relation d'objet, et de ce fait, en
éliminant arbitrairement un certain nombre de mesures qui gardent toute
leur valeur, l'évolution
(1) Les objets substitutifs que
constituent la fantasmatisation et l'intellectualisation peuvent être,
dans certains cas, directement ou indirectement combattus par l'objet
initial. Le sujet ne trouve alors issue que dans l'activité
céphalalgique. d'un type de défenses du Moi du
sujet, défenses qui, s'opposant à l'action motrice pulsionnelle tout en
étant issues d'elle, vont jusqu'à l'intellectualisation par le canal
des fantasmes.
A partir de la satisfaction alimentaire, le premier
éloignement, activé par l'apparition des pulsions sadiques de la phase
cannibalique, est l'identification motrice primaire. Née d'une
incorporation sensorielle de l'objet en mouvement, et d'une
intériorisation simultanée d'un objet revêtu du propre sadisme de
l'enfant, l'identification motrice primaire exprime aussi bien la
relation avec un objet extérieur que la relation avec un objet
intérieur. La tendance sadique tend alors tout autant à expulser
l'objet intérieur qu'à détruire, en l'incorporant agressivement,
l'objet extérieur (première phase du stade anal).
Le sentiment
d'être observé par l'objet place ce dernier à proximité de l'activité
du sujet. Le sujet opère alors une mesure d'éloignement supplémentaire,
il s'identifie à l'objet et observe intérieurement son activité qui
devient l'objet intérieur. L'érotisation de la motricité suit le même
chemin, et la représentation intérieure de cette motricité est à son
tour érotisée (seconde phase du stade anal).
Le maintien du lien
libidinal avec l'objet intériorisé nécessite l'adoption des critiques
de cet objet, c'est-à-dire une nouvelle identification à l'objet,
l'objet intérieur devenant le sujet qui fantasme. De l'adoption du
jugement de l'objet sur les matières fécales naît un processus
psychologique, embryon de l'intellectualisation.
Le stade génital
est marqué, d'un côté par un échec partiel de ces moyens de défense en
ce qui concerne la pulsion sexuelle proprement dite, d'un autre côté
par leur réussite, la relation agressive avec le rival permettant le
plein emploi des moyens de défense utilisés contre les pulsions
sadiques.
Le conflit oedipien, plaçant en général le sujet sur le
plan d'identifications évoluées, ces identifications au rival devront
être dépouillées de leur contenu fantasmatique. Le sujet leur donnera
un sens « réel » ou « utilitaire » recouvrant son désir inconscient de
captation de la puissance de ce rival. L'intellectualisation de
l'action constitue en quelque sorte l'aboutissement d'un processus
parti d'une inhibition de l'action. Ce processus est, à chaque instant,
plein des qualités sensorio-motrices du sujet.
IV CONCLUSION
Nous
avons essayé de montrer, dans ce travail, comment certains modes de
relation d'objet se dégagent et s'éloignent progressivement d'une
relation motrice pulsionnelle primaire.
La motricité pulsionnelle
reste cependant sous-jacente à toutes les formes de relation d'objet,
cela pour deux raisons essentielles. D'abord, parce que ces formes sont
issues de la motricité. Ensuite, parce que la menace du retour de
l'énergie pulsionnelle sur le mode moteur maintient et renforce
l'édification des systèmes de relation plus évolués, psychologiques.
L'activité
psychologique, dans son ensemble, se dégage ainsi progressivement d'une
relation d'objet sensorio-motrice primitive. D'abord embryonnaire et
inséparable d'une action provoquée par les besoins immédiats de
décharge du stade oral, elle fleurit lors de l'érotisation de la
rétention, au cours du stade anal, témoin de l'établissement d'un lien
libidinal avec un objet intérieur. Cet objet intérieur est
essentiellement constitué alors de diverses formules fantasmatiques.
Nous avons vu l'évolution de ces formules jusqu'à
l'intellectualisation.
Le but de notre étude n'a pas été celui
d'exposer toutes les implications que )a relation d'objet
sensorio-motrice primaire entraînait, relation qui constitue pour
chacun les fondations sur lesquelles s'érige sa personnalité. Plus
modestement, nous avons voulu analyser la valeur de quelques formes
substitutives de cette relation primitive, la fantasmatisation et
l'intellectualisation en particulier, en insistant sur l'importance de
la motricité initiale dans l'élaboration de ces productions. Nous avons
essayé de montrer que l'évolution de ces formes n'est, à chaque moment,
ni la simple transformation de la relation d'objet, ni la simple suite
logique d'une maturation organique, mais une résultante de ces
dynamismes. Dans ce sens, notre travail est un timide essai
d'établissement d'une physiologie objectale.
Notre tentative de
démonter les mécanismes de relation dégagés de l'observation clinique,
en développant leur genèse dans un chapitre théorique, a souvent figé
des moments essentiellement dynamiques et éphémères. Nos mécanismes
personnels, identiques, de relation, d'identification, basés sur notre
propre sensorio-motricité, sont plus aptes à enregistrer
les mouvements nuancés des types de relation de nos malades que le
système de l'intellectualisation nécessaire aujourd'hui à la
communication de notre rapport.
Certaines formes de relation de
nos patients trouvent en nous un écho, un moule qui les enregistre
parfaitement, et qui constitue sans doute une partie importante de
notre intuition. L' « attention flottante » permet évidemment, seule,
notre captation précise de ces formes qu'une autre attitude de notre
part, s'attachant intellectuellement au contenu, dénaturerait.
Nous
avons ainsi mis en valeur, isolé, fixé quelques étapes d'une série qui,
partant de la relation motrice primaire, va jusqu'à l'abstraction,
jusqu'à la perte totale du mouvement. Cette évolution se traduit par
une intériorisation de plus en plus profonde des relations d'objet qui
découlent des rapports avec le monde extérieur et des stimulations
issues de ce dernier.
Il est bien évident que, dans la réalité,
les choses sont plus complexes. Un sujet n'est pas en relation, à un
moment donné, avec un objet intérieur ou avec un objet extérieur, mais
il mobilise et répartit une certaine quantité de libido entre ces
objets, au gré de sa structure et du moment. Son Moi s'interpose, comme
le dit FREUD, devant les investissements pulsionnels d'objet du ça. Le
degré de réfraction sur un objet intériorisé est fonction, à tout
moment, de la sollicitation motrice des besoins internes éveillés par
la présence de l'objet extérieur.
La mesure dans laquelle un
patient utilise, pour s'éloigner de la relation motrice sollicitée par
la présence de l'objet, les mécanismes de fantasmatisation ou
d'intellectualisation, mécanismes qui font intervenir des
intériorisations de l'objet de plus en plus profondes, nous permet, à
un moment donné, d'évaluer le degré d'enfouissement de sa relation
primitive. L'éloignement de la relation motrice primitive, grâce aux
systèmes d'intériorisation, permet le maintien de la relation avec
l'objet extérieur. Si, en effet, la tendance motrice dominait, la fuite
effective, qui donne à la motricité un rôle que FREUD a souligné (fuite
des stimulations extérieures pénibles), prendrait trop souvent le pas
sur le désir moteur d'approche, la constance nécessaire des contacts
extérieurs serait sans cesse menacée.
La multiplicité des contacts
sociaux qu'impose la vie humaine, contacts souvent frustrants,
nécessite et provoque une grande activité des mécanismes
d'intériorisation qui conduisent aux formes élaborées de
fantasmatisation et d'intellectualisation. FREUD nous a montré, à ce
281
sujet, comment le rapprochement social naissait d'une relation
intérieure avec un idéal du Moi commun.
Dans
une perspective ontogénétique, le versant subjectif du passage évolutif
de l'action pulsionnelle à la pensée intellectuelle, nous apparaît
ainsi résulter d'une série d'identifications (au sens large du mot)
permettant une relation avec un objet intérieur, objet intérieur rendu
de plus en plus complexe selon le degré d'éloignement de la motricité
pulsionnelle exigé pour le maintien d'une relation extérieure.
Il
serait satisfaisant pour l'esprit de retrouver dans la phylogenèse une
évolution semblable. Dans le domaine de l'évolution de l'équipement
organique des espèces, la différenciation du tissu musculaire précède
celle du tissu nerveux. Les phénomènes qui se déroulent à ce moment, au
niveau d'un certain rassemblement biologique, constituent sans doute
une esquisse de ce qui se déroulera au moment de l'évolution de
l'appareil psychique, au niveau du groupe social. L'évolution du
rassemblement biologique jusqu'à la horde, puis jusqu'à la tribu,
nécessite un ajournement de plus en plus grand de la pulsion primitive.
Cet ajournement accompagne, chez l'homme, la constitution d'un stade
anal du développement.
L'intellectualisation et la
fantasmatisation sont, à la fois, des mécanismes de défense et des
constituants du Moi. L'appréciation systématique de la qualité, du
niveau de ces phénomènes pourrait sans doute préciser utilement la
séméiologie analytique. L'interprétation de la forme de relation, que
nous pratiquons intuitivement mais qui doit être objectivée, ajoute
beaucoup à celle du contenu. Il ne découle absolument pas de cela que
l'on doive, comme le préconise REICH, partant d'une conception tout à
fait différente de la nôtre, faire part au patient de cette
interprétation. Ceci mériterait cependant d'être discuté selon les
syndromes, selon les patients, selon les moments.
La question de
la forme de la relation d'objet n'a été, à notre connaissance, que peu
mise en évidence dans la perspective où nous nous plaçons. La nécessité
de l'interprétation de la forme est cependant apparue aux analystes
d'enfant dans les situations qui s'éternisent. La forme de la relation,
au premier plan des « impondérables qui ont plus d'importance parfois
que le matériel pour la conduite du traitement » (SCHLUMBERGER),
constitue, nous, l'avons vu, une expression directe de la distance
prise par le malade de sa motricité pulsionnelle. Cette forme témoigne
naturellement, davantage encore que le contenu, parce que plus
immédiatement sensible pour nous, du degré de parenté5
282
d'étrangeté, d'aliénation du sujet. Elle est la base même, d'ailleurs,
de l'aliénation, au sens pathologique du terme.
La
difficulté d'un malade de glisser souplement d'un plan de relation à un
autre selon les moments, donne une idée de l'acuité de ses conflits
prégénitaux et constitue un élément important dans l'établissement, par
l'analyste, des indications, des contre-indications et du pronostic du
traitement. Les modifications acquises de cet élément constituent par
la suite un témoin de l'évolution du patient, qui déclenche enfin chez
nous le « déclic » signalant la fin de l'analyse (1). Cet élément ne
manque pas, comme nous l'avons vu, d'être intuitivement ressenti par le
thérapeute.
Il n'est pas de notre intention, ici, d'insister sur
la ligne frontière tracée entre les affections mentales et les
affections psychosomatiques par des défenses, sans doute proches du
plan de celles que nous avons signalées, mises en action par le Moi
pour empêcher un retour à la relation motrice pulsionnelle primaire.
Mais
une autre implication, dont nous avons esquissé l'ébauche, peut se
dégager encore de nos conclusions. La pathologie mentale, nous le
savons, établit sa nosographie sur la dominance, dans chaque groupe
qu'elle détermine, d'un certain mouvement des malades dont la forme de
relation, en rapport évidemment avec leur structure intime, reste
relativement définie. Nous sommes, ici, incapables de dire en quoi
peuvent consister les « qualités » de la sensorio-motricité. Ces «
qualités » tiennent sans doute à des facteurs tant constitutionnels
qu'évolutifs, nous voulons dire en relation avec l'intégration
affective. Quoi qu'il en soit, les « qualités » sensorio-motrices
sous-tendent toute la genèse des modes de relation d'objet et
contribuent partiellement à la fixation, pathologique, de certains de
ces modes. Notre exposé effleure peut-être ainsi le problème de
l'affinité qui existe entre certaines formes typologiques et certaines
formes de la nosographie mentale.
Les études systématiques des
intégrations de la vie de relation et de la sensorio-motricité
permettront probablement un jour, au travers de l'appréciation des «
qualités » individuelles de la sensorio-motricité de préciser les
interdépendances et la genèse des diverses formes de maturation. Nous
n'en sommes pas encore là.
(1) Un certain nombre des problèmes que
nous évoquons ici ont été abordés, au cours de l'année 1954, dans les
colloques de la Société Psychanalytique de Paris : Interprétation du
maicnel piègénital et Les problèmes poses par la fin de l'analyse, dont
le compte rendu paraîtra dans la'" Revue fiançaise de psychanalyse".
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DISCUSSION SUR LE RAPPORT DE MM. MARTY ET FAIN
Intervention de Mme MARIE BONAPARTE (Paris)
On
sait que le passage de l'acte à la pensée symbolique, fantasmatique,
cogitative, est effectué peu à peu chez le petit enfant humain, puis
poursuivi, tout au long de la vie, suivant les circonstances.
Bergson
avait dit que l'action bouche la représentation. On peut inversement
dire que de l'inhibition de l'action émane la représentation. C'est
même sur ce mécanisme de la pensée qu'est édifiée l'analyse, le patient
étant au maximum, avec la position couchée et tout le contexte
analytique, incité à ce contact secondaire avec la réalité — souvenirs
et objets reproduits ensuite sur le mode de la parole.
Le retour
sensorio-moteur à l' « agir » est réfréné — pas toujours avec succès !
Sur ce fond psychologique MM. Marty et Fain ont édifié leur imposant
rapport.
Mais je dois avouer que la forme abstraite, ardue, que
ces auteurs ont donnée à leur pensée est souvent déconcertante. Sans
doute ne possédé-je pas, pour la saisir, la qualité d'intellect qui y
serait nécessaire.
Habituée, de par ma formation auprès de Freud,
voici déjà de longues années, à une appréhension bien plus concrètement
clinique des phénomènes psychiques, je ne puis suivre aisément la
pensée des rapporteurs.
Pour employer leur propre langage,
peut-être n'ai-je pas réussi à faire de leur rapport ce « bon objet
intérieur » qui, du fait de cette forme de relation, se trouverait à
une distance optima de mon Moi sensorio-moteur.
Je me bornerai donc à la discussion de quelques points.
Peut-on,
en particulier, comme ils le font, édifier cet immense édifice interne
non seulement des « objets intérieurs », actuellement si à la mode,
mais des sensations, des sentiments, voire des relations assimilées par
les rapporteurs aussi à des « objets intérieurs » ? Je vois, quant à
moi, assez mal, par exemple, une angoisse sous le mode d'un « objet »
intérieur. Une angoisse me semble plutôt, plus classiquement, être et
rester un affect. Certes un affect intérieur, mais qui n'est pas pour
cela devenu un objet !
Question
de définition, dira-t-on. Beaucoup des concepts de nos auteurs
mériteraient, en effet, des définitions très précises pour pouvoir être
exactement comprises.
Quant aux interprétations des gestes,
postures et paroles de Marthe bien que souvent dues, disent les
auteurs, à la patiente elle-même, elles semblent souvent pour le moins
constituer cette sorte d' « hyperinterprétation » contre laquelle, je
m'en souviens bien, Freud mettait en garde le zèle des analystes, ses
successeurs.
Il convient toujours de rappeler le dicton analytique plaisant mais si
plein de sens que j'entendais à Vienne :
L'avion est un symbole phallique, mais qui sert aussi à voler de Vienne
à Munich...
Je
n'aime pas non plus beaucoup l' « oeil sphincter ». Que de sphincters
alors en nous, de l'oreille aux doigts, au toucher, aux organes de
l'olfaction et du goût ! Question de définition, mais de défini dons
bien arbitraires.
Il m'est certes pénible de devoir ainsi
critiquer le travail patient, laborieux, qu'ont effectué mes collègues,
et qui, par cette patience et ce labeur, mérite toutes louanges.
Mais,
comme le disait le vieux Boileau, le temps, ici j'ajouterai le labeur,
ne fait rien à l'affaire, et il est regrettable de voir le résultat
d'un tel effort — car on ne saurait imaginer un tel travail conçu et
exécuté en se jouant — aboutir à tant d'abstraction et par là parfois
d'obscurité. Je présume d'ailleurs que d'autres — qu'ils l'avouent ou
non — sont susceptibles d'éprouver même regret.
Intervention de S. NACHT (Paris)
C'est une idée riche de promesses que d'avoir envisagé sous l'angle de
la motricité l'expérience qu'est une séance d'analyse.
MM.
Marty et Fain, en considérant dans cette optique nouvelle la position
respective des deux protagonistes au cours de cette expérience —
l'analyste et le patient — ont su d'emblée rendre sensible cet aspect
particulier du vécu dans la situation analytique.
L'analyste, du
fait même qu'il est immobile et passif (sauf lorsqu'il intervient par
la parole) est néanmoins une source d'excitation permanente pour le
patient durant la séance. Celui-ci éprouve en conséquence le besoin
d'approcher ou de fuir « l'objet » que représente alors le thérapeute.
Mais
ces mouvements ne peuvent se manifester que très partiellement. Le plus
souvent, ils sont inhibés, ou s'expriment en « pensées » ou encore à
travers des attitudes psychiques. N'est-ce pas là que nous pouvons le
mieux saisir cette « métamorphose de l'action en pensée », chère à
Janet ?
L'analyse ne nous offre-t-elle pas ainsi la possibilité
d'aller jusqu'aux confins où s'opère la transmutation de ce qui est
senti en ce qui devient pensée, le passage du sonia en psyché ?
Les
auteurs du rapport qui nous a été présenté aujourd'hui confessent
qu'ils n'ont pas entièrement réussi à accomplir la tâche qu'ils
s'étaient proposée.
Qui s'en étonnera, si l'on songe que nous nous
trouvons là en présence de l'un des mystères les plus étanches de
l'être humain ?
Nous voyons néanmoins s'ouvrir à l'analyse une perspective nouvelle qui
peut être d'un avenir fécond.
Nous
avons toujours été convaincus que le dialogue analyste-patient, qui ne
s'exprime en apparence que par le langage, se situe en réalité
ailleurs, et notamment sur le plan émotionnel, condition qui lui
confère d'ailleurs son efficience.
Or, l'émotion est éminemment un processus moteur, dans le sens que
donnent les auteurs du rapport à la motricité.
En
outre, la vie psychique ne s'épanouit que dans les échanges
relationnels, ou, si vous voulez, dans les relations d'objet. Mais ces
relations oscillent constamment, en substance, entre le mouvement qui
veut atteindre l'objet et celui qui veut le fuir. Nous retrouvons ici
de nouveau l'élément moteur, qui nous apparaît plus clairement encore
que tout à l'heure.
Aussi comprend-on toute l'importance accordée par Marty et Fain, dans
leur rapport, à cet aspect du problème.
Qu'il
me soit permis, cependant, d'exprimer ici quelques réserves sur la
façon dont ils ont interprété le matériel clinique fourni par leur
malade. Pour ceux (dont je suis) qui ne connaissent pas la totalité de
l'observation de Marthe, les interprétations données par les
rapporteurs peuvent trop souvent donner une impression d'arbitraire.
On
peut peut-être encore leur objecter que, accaparés par l'idée de
l'objet intériorisé, ils ont négligé d'envisager le devenir narcissique
d'une grande partie de la motricité ainsi conçue lorsqu'elle est
empêchée de s'exercer. Cette motricité ne peut pas toujours épuiser
toute sa force, en se concentrant sur l'objet, même lorsqu'il est
intériorisé.
D'ailleurs,
la place accordée à cet objet intériorisé me paraît quelque peu
excessive. Marty et Fain, comme nombre d'analystes aujourd'hui,
semblent comme fascinés par ce concept d'intériorisation de l'objet. Je
me demande si cela ne finit pas par déformer parfois la vue qu'ils ont
de la situation analytique et par pousser jusqu'à l'exagération
certains concepts théoriques : c'est du moins l'impression que donne
une bonne partie du chapitre théorique du rapport. Dès qu'une théorie
est excessive, on peut craindre que la vérité n'y trouve plus son
compte.
Dans leurs conclusions, les auteurs prennent soin, il est
vrai, de déclarer que, dans les échanges relationnels quotidiens le
sujet se meut constamment et insensiblement entre l'objet réel et
l'objet phantasmique dit intériorisé.
Mais dans le cours de leur
exposé l'importance que prend le second est telle qu'on a l'impression
qu'il ne reste plus grand-chose de l'objet réel. Tout se passe comme si
celui-ci avait été complètement dévoré.
Et ceci m'amène à revenir
sur certaines conceptions qui me sont personnelles, et auxquelles MM.
Marty et Fain ont fait allusion, car je ne suis pas tout à fait
d'accord sur leur façon de les comprendre.
Je lis, en effet, dans
leur rapport (p. 257) : « Le « masochisme pri« maire » de Nacht est
sans doute l'aboutissement d'une incorporation sensorio-motrice massive
de mauvais objets. »
J'avoue ne pas reconnaître mon enfant dans ce portrait.
En
effet, la conception que je me fais de ce que j'ai appelé le masochisme
primaire organique répond à un processus qui, non seulement se situe à
un stade du développement de l'enfant où la relation objectale n'existe
pas encore, mais qui est l'effet même de cette absence de sensation
d'objet.
Tant que la maturation nécessaire du système nerveux de
coordination et de motricité volontaire (et j'indique par là
l'importance primordiale de la motricité sur la formation élémentaire
du Moi) ne s'est pas effectuée (ou tout au moins ébauchée), ce qui plus
tard sera perçu comme objet reste confondu avec le sujet. Il y a là
identité et non identification, ni incorporation. Mais j'ai si souvent
souligné l'importance que prend à mes yeux cette distinction que je ne
veux pas vous ennuyer tous en y insistant davantage.
Revenons donc
à l'idée maîtresse du rapport de Marty et Fain, c'est-à-dire au tracé
que suit la pulsion motrice — je dirais presque aussi à ses
vicissitudes — lorsqu'elle devient pensée.
A ce sujet, et dans la perspective même qu'ouvre ce débat, il me semble
que nous n'accordons habituellement pas assez d'attention au processus
inverse, je veux dire à ce que la pensée (évoquée par nos paroles ou
celles du patient) déclenche sur le plan de la motricité dans le sens
le plus élargi.
Ces effets sont riches et multiples, car par
l'entremise du système neuro-végétatif, ils se répercutent, me
semble-t-il, dans tous les appareils viscéraux, et plus encore dans le
système endocrinien. On pourrait en donner d'innombrables exemples, et
chacun de vous a été à même de le constater.
Ce que je voulais
seulement rappeler ici, c'est que si ces effets moteurs ne se
produisent pas — et ceci non seulement dans la musculature striée visée
dans ce rapport, mais aussi et surtout dans la musculature lisse —
c'est que l'analyse n'a pas toute l'efficience souhaitable.
Car ce
sont ces réactions qui, à la longue, je le crois, par des modifications
fonctionnelles, favorisent ces changements de base de la vie
émotionnelle et effective qui sont le but même du traitement
analytique.
Intervention de F. LECHAT (Bruxelles)
J'ai surtout
envisagé le rapport de Marty et Fain selon mes préoccupations du moment
et mes collègues français voudront bien m'excuser si je n'en ai
principalement dégagé que ce qui s'adaptait à mes considérations sur le
sentiment d'insécurité.
La lecture de cet important travail m'a
réellement enthousiasmé, d'abord par la façon magistrale dont leur
sujet a été traité et aussi en raison du choix de ce sujet dont l'étude
nous mène aux assises mêmes de la personnalité humaine, tant normale
que pathologique. On ne peut faire la moindre objection à l'assertion
que la motricité pulsionnelle soit à la base des premiers rapports
objectaux qui seraient difficilement concevables autrement que sur un
mode sensorio-moteur.
La littérature en centrant trop
exclusivement l'attention sur les problèmes du stade génital, jusqu'à
une époque encore assez proche, n'avait pourtant pas beaucoup contribué
à orienter notre esprit dans cette direction. Il n'y aurait
probablement de problèmes génitaux et, par conséquent pas d'anomalies
dans le comportement psychosexuel s'il n'y avait eu auparavant des
accrocs dans l'évolution des stades prégénitaux : l'oral et l'anal.
Sans doute faut-il voir le sexuel comme le confluent de l'oral et de
l'anal car la sexualité implique à la fois un besoin de captation,
d'absorption et un besoin de décharge physiologique.
Si l'une des positions prégénitales a été faussée d'une manière
quelconque, on ne peut logiquement prévoir que les relations sexuelles
puissent être normales.
On peut affirmer qu'en remontant au début
de l'histoire de la motricité, et en suivant parallèlement l'histoire
de l'évolution psychologique de l'individu, les rapporteurs ont
vraiment fait oeuvre originale et fourni une contribution de valeur,
notamment à l'étude de l'angoisse dont, cependant, ils ont peu parlé.
Leur propos était manifestement d'aborder une question beaucoup plus
vaste sans s'attarder au cas particulier de l'angoisse qu'ils ont
néanmoins bien éclairé.
On suit très bien à travers le
développement de ce travail les transformations successives qui vont de
la motricité pulsionnelle primitive à l'intellectualisation en passant
par les fantasmes, la motricité adaptée et la verbalisation.
Les
rapports objectaux exprimés sur un mode moteur sont, je le crois,
sentis très tôt comme dangereux par le sujet car la motricité, tout au
moins sous sa forme pulsionnelle, est en principe toujours chargée
d'agressivité : Si elle exprime de l'amour, c'est de l'amour captatif,
dévorant, absorbant, donc destructeur de l'objet sur un monde oral ; si
elle exprime l'hostilité, elle tend à la réjection. Des deux manières,
son objectif est la suppression de l'objet.
Cette agressivité
motrice subit évidemment la répression la plus énergique de la société
qui se protège contre le danger qu'elle représente pour elle. Les
éducateurs avaient eu le même souci, non par peur de l'enfant mais
peut-être bien plus parce qu'ayant dû se dépouiller eux-mêmes de
l'agressivité motrice, ils ne pouvaient tolérer chez leur élève ce qui
leur était interdit à eux-mêmes.
Quiconque veut rester maître
d'une situation dans laquelle les relations d'objets doivent s'établir
à une certaine distance ou demeurer dans une certaine neutralité,
commence par réduire à l'immobilité ceux dont elle craint un contact
trop proche lorsque celui-ci pourrait prendre un caractère
d'insoumission ou de révolte agressive. Ainsi voit-on l'autorité
militaire figer au « garde-à-vous » le subordonné devant son supérieur,
lequel prend la maîtrise de sa motricité en n'admettant aucun mouvement
qui ne soit commandé, dirigé et exécuté selon un réglage mécanique dans
lequel tout est prévu et où la motricité pulsionnelle n'a vraiment plus
la moindre place.
C'est à partir de la répression dans l'enfance
que la motricité pulsionnelle, devenant désécurisante, tend à se
manifester par des fantasmes qui ne sont qu'une manière magique de
l'exercer symboliquement
sur des représentations imaginaires. En quelque sorte, elle agit ainsi
à distance et diffère assez peu de ce que prétendent faire les sorciers
par des philtres d'amour, des envoûtements ou des meurtres sur effigie.
Enfin, elle se verbalise et s'intellectualise : l'action devient le
verbe socialement admissible. L'agressivité verbale est moins redoutée
par autrui car, dit-on : « Chien qui aboie ne mord pas. »
« La
motricité pulsionnelle », remarquent les auteurs, « reste sousjacente à
toutes les relations d'objet ». En effet, même dans la forme
relationnelle la plus évoluée — la verbalisation affective — elle n'est
jamais absente et reste le moyen de contact avec autrui. Elle se montre
dans les modulations du discours : on n'exprime pas ce que l'on sent
comme on lirait à haute voix les faits divers d'un journal ; on met du
mouvement dans le débit verbal qui s'accompagne d'ailleurs de gestes.
Le parler monotone appartient à des gens qui n'acceptent pas le contact
et, corrélativement, on les voit généralement s'abstenir de tout geste.
S'il en fallait une, ce serait une preuve du rapport entre la motricité
et la relation d'objet.
Même les mouvements qui repoussent les
contacts, comme certains de ceux de Marthe, pendant la séance d'analyse
si minutieusement décrite, témoignent d'un contact car, pour repousser
celui-ci, il faut d'abord le sentir.
Certains sujets, au cours de
leur analyse sont d'une immobilité cadavérique. On peut distinguer deux
cas relativement à cette immobilité. Il y a une rigidité facile à
observer, un raidissement musculaire, une crispation de tout l'être
qu'on prendrait abusivement pour une absence de motricité : c'est de la
motricité à l'intérieur qui me paraît représenter un refus de contact
par peur de celui-ci. A l'opposé, il y a l'immobilité complètement
relâchée, la détente musculaire complète et cela me paraît bien
signifier une incapacité pathologique de contact. L'immobilité dans un
tel relâchement est, je le crois d'un pronostic très défavorable : on
peut attendre longtemps la première manifestation transférentielle
utilisable et même penser qu'elle ne viendra jamais. Parallèlement, ce
genre de sujets n'apporte que des associations verbales incolores,
monotones qui ne sont que l'évocation de souvenirs semblant raconter
l'histoire d'un autre et n'être donnés que pour obéir à la règle du
jeu. J'ai observé cela chez des leucotomisés et des apathiques, tandis
que la première attitude d'immobilité appartenait à des sujets
fortement schizoïdes. Il va de soi que je me garderais bien d'en tirer
une conclusion généralisante.
D'autres faits mettent en lumière les rapports étroits existant entre
la
motricité et l'affectivité (ou relation d'objet). La motricité décharge
l'affectivité et l'on s'en aperçoit bien lorsque, dans un moment
d'inquiétude quelqu'un marche nerveusement de long en large ou a des
mouvements spasmodiques. L'excès de charge affective tend à
s'extérioriser musculairement : dans l'agressivité, le fait de serrer
les poings ou les dents mime l'acte d'hostilité et détend.
On peut en tirer au moins 4 déductions :
1°
Plus un individu gesticule d'une manière quelconque, moins il sent les
choses car en se dépensant ainsi, il évite une accumulation d'affects ;
2° On peut dire aussi que plus il gesticule, plus son seuil de
tolérance à une charge affective est bas ; plus donc son Moi est
incapable de supporter un état de tension et moins il est évolué ;
3°
La capacité d'éprouver des sentiments profonds et intenses étant
fonction de la capacité de supporter une tension, est en raison inverse
des manifestations motrices ;
4° Quand un sujet est habituellement
calme, c'est-à-dire garde en général une certaine sobriété de
mouvement, le geste qu'il fait ■ à un moment donné indique qu'il vient
d'éprouver un émoi dont l'intensité dépasse celle qu'il peut tolérer
naturellement. Cela peut constituer une indication précieuse au cours
d'une séance d'analyse et les auteurs du rapport en ont tiré parti dans
le cas de Marthe.
Les attitudes ou manifestations motrices pulsionnelles montrent deux
choses :
1° Le sujet est momentanément perturbé par un afflux d'affects qui
le désécurisent ; 2° La nature du geste, qui a lui-même sa
signification, traduit soit
l'affect perturbateur extériorisé sur un mode primitif, soit le
moyen de défense opposé à l'affect.
Bref,
tout geste inutile, c'est-à-dire n'ayant pas un but tel que prendre
quelque chose intentionnellement ou repousser une chose t existant
réellement en dehors de soi (une guêpe, par exemple) traduit une
relation objectale soit attractive, soit répulsive, qui pour une raison
quelconque ne peut pas être verbalisée ou même simplement sentie en soi
parce que déterminant une situation affective perturbante. Je crois que
le plus souvent, le sujet n'a pas le temps de prendre conscience de la
signification de son geste.
J'ai
pris le plus grand intérêt au travail que P. Luquet a publié à ce
propos et qu'ont cité les auteurs du rapport. Il y a une étude
extrêmement fructueuse à poursuivre par les psychanalystes sur
l'expression gestuelle, laquelle permet de deviner ce que le langage
verbal ne dit pas et bien souvent d'interpréter celui-ci à l'opposé de
ce qui est exprimé. Par exemple, une femme me disait dernièrement au
cours d'une séance : « Je ne voudrais pas que vous vous approchiez de
moi » en même temps qu'elle reculait vers le mur comme pour me faire
une place à côté d'elle sur le divan. Elle venait de faire un rêve dans
lequel elle était couchée à côté d'un homme qui, disait-elle, me
ressemblait vaguement et c'était après me l'avoir raconté qu'elle avait
ajouté « mais ce n'était sûrement pas vous car je ne voudrais pas que
vous vous approchiez de moi ».
Marty et Fain mettent d'une manière
fort évidente l'angoisse en rapport avec la motricité pulsionnelle et,
se référant à Federn, considèrent le Moi fort — donc exempt d'angoisse
névrotique — comme celui qui peut régler le problème de la motricité
pulsionnelle. Cette vue des choses apporte une précision saisissante à
tout ce qui a été dit sur l'angoisse et permet aux auteurs du rapport
de faire comprendre, d'une manière fort concrète, le processus
conduisant à l'angoisse. Régler le problème de la motricité
pulsionnelle ne consiste certainement pas-à la maintenir refoulée ou à
l'inhiber une fois pour toutes, car c'est cela même qui conduit à
l'angoisse, par peur de voir ressurgir cette motricité. Nacht avait
envisagé la même question en d'autres termes en expliquant l'angoisse
par l'agressivité contenue. Or la motricité pulsionnelle a toujours un
caractère agressif et, si elle est sentie comme dangereuse par le
sujet, c'est en raison de ce caractère. La motricité pulsionnelle se
trouve donc réprimée en même temps que l'agressivité car l'une et
l'autre se confondent. Ce que le sujet craint, à l'origine c'est de
détruire l'objet dont il dépend.
Si l'on veut bien me laisser
accrocher la conception de Marty et de Fain à ce qui a été dit dans mon
rapport je le ferai en ces termes : le sujet se sent désécurisé par le
déclenchement en soi d'un mouvement agressif et est angoissé s'il lui
semble ne pas pouvoir le contenir et voir se débrider la motricité
pulsionnelle qui risque de détruire l'objet ou tout au moins de rompre
la relation.
Une analysée m'expliquait ainsi son angoisse sur le
terrain transférentiel : « J'ai peur de me dédoubler en votre présence
car une partie de ma personne échapperait à la
surveillance de l'autre et irait vous détruire sans que celle-ci en
sache rien. » C'est ce que dirait n'importe quel angoissé qui verrait
aussi clairement qu'elle ce qui se passe dans son activité pulsionnelle
insuffisamment évoluée.
Ce que j'ai voulu montrer, Marty et Fain
l'ont exprimé mieux que moi et je ne puis que les remercier d'avoir
précisé ma propre pensée.
Quand le sentiment d'insécurité
névrotique se transforme en angoisse, c'est parce qu'il a déclenché une
réaction agressive sur le mode d'une motricité pulsionnelle qui se
trouve barrée, bloquée, interdite chez le sujet et qui lui paraît, de
ce chef et selon son optique, encore plus dangereuse que le danger même
auquel il aurait à faire face. C'est de là que procède son impuissance
et l'angoisse qui en dérive.
La question de l'activité motrice met
en cause celle de l'acting-out. Celui-ci, s'il constitue au cours de
l'analyse une décharge de tension agressive peut entraîner, après sa
sortie un sentiment d'insécurité extrêmement lourd quand il a pris un
caractère de nette hostilité.
J'ai eu, par exemple, en analyse une
jeune femme calme, posée qui, au cours d'une séance a manifesté le
désir de déchirer l'abat-jour d'un lampadaire qui se trouvait à sa
portée. Comme je ne lui faisais aucune observation, elle a saisi
l'objet en observant mon attitude et, me voyant neutre devant le projet
qu'elle m'exprimait, elle m'a dit rageusement : « Je le fais » et, avec
furie, en a arraché le tissu.
Sa première réaction fut de
l'étonnement. Elle me quitta, semblant soulagée et assez surprise de
n'avoir vu chez moi aucune réaction punisseuse mais, deux jours plus
tard, à la séance suivante, elle me déclara qu'elle n'avait plus la
moindre confiance en moi et qu'elle désirait interrompre son analyse.
En réalité, elle était complètement désécurisée parce que je n'avais
pas mis une barrière protectrice devant sa motricité pulsionnelle
laquelle lui apparaissait maintenant comme dangereuse car une brèche
s'était ouverte à son déferlement. Ce n'était plus de moi qu'elle avait
peur mais d'elle-même.
Parmi les nombreuses observations que comporte le rapport, j'en ai
notamment retenu deux :
1°
La comparaison frappante qu'ont faite Marty et Fain entre le nourrisson
et le toxicomane concernant l'impériosité, le besoin anxieux de
satisfaction immédiate sans possibilité d'attendre ou de surseoir ;
2° Le désintérêt à l'égard de l'objet après la satisfaction.
On
retrouve ces comportements dans les rapports sexuels des sujets
demeurés fixés au stade oral, lesquels ne peuvent temporiser avec leur
désir quand celui-ci est éveillé et ne tiennent plus compte du
partenaire après l'orgasme et même s'endorment comme un nourrisson
repu.
Enfin, une dernière remarque à propos de la sensation de
froid éprouvée par Marthe : j'ai entendu maintes fois exprimer cela
dans le cadre transférentiel et cela signifiait toujours un appel de
contact physique témoignant de la froideur de la mère à l'égard du
sujet qui n'avait pas, jadis, bénéficié du bien-être que procure à
l'enfant le contact du corps maternel.
Et je termine eh redisant à
Marty et à Fain, non seulement l'intérêt que j'ai pris à la lecture de
leur travail, mais surtout mes remerciements pour les lumières qu'ils
ont apportées sur bien des notions qui ne peuvent se compléter que par
la connaissance du rôle de la motricité dans les rapports d'objet.
Intervention de J. DE AJURIAGUERRA (Paris)
Nous devons nous demander tout d'abord ce que nous appelons motricité ?
La
motricité n'est pas une automatique qui se meut, c'est une activité de
réaction face à des excitations particulières et une relation avec le
monde environnant. C'est au début un réflexe ayant une forme et
rapidement une relation qui devient dialogue.
Dès la naissance,
l'enfant vit dans un monde tonique où, rétréci par son hypertonie, il
réagit d'une manière protopathique à des excitations déplaisantes ou
plaisantes. Dès le début il existe des réactions tensionnelles qui sont
univoques, massives, qui dépendent plus du seuil du stimulus que de
leurs caractéristiques qualitatives. Dans l'ensemble les décharges
toniques sont liées au déplaisir, le plaisir entraînant plutôt la
quiétude. Dès une phase précoce, l'activité digestive et la motricité
sont liées, le relâchement tonique étant surtout marqué après les
satisfactions orales, le besoin de nourriture accroissant par contre la
tension.
A cette époque, les objets source de satisfaction n'ont
leur existence que lors de phases où la faim tissulaire se fait sentir.
Ils doivent exister dans un monde homogène dans lequel il n'y a pas un
Moi et un hors de Moi mais un manque ou un apaisement. Tous ces
phénomènes se conditionnent et le conditionnement est la base
essentielle de toute explication. Mais conditionnement ne veut pas dire
activité cérébrale isolée, cela veut dire relation
entre deux sortes de phénomènes. Ce qui en résulte n'est ni dans le
sujet ni dans l'objet c'est dans la forme de la réalisation qui va
s'intégrer dans la ligne du développement. Ce qui est intégré est déjà
du passé mais c'est aussi un devenir car il se manifeste dans les
futures réalisations. En fait, nous nous trouvons face à un dilemme :
tout ce qui existe, tout ce qui est assimilé n'est jamais perdu, mais
tout ce qui est assimilé est-il structuré pour jouer le rôle de ce
qu'on appelle les fonctions du Moi?
Nous pouvons admettre que
l'être dans son évolution développe son Moi dans ses relations avec le
ça. Nous ne croyons pas que l'on passe brusquement d'une phase de
Non-Moi à une phase du Moi ; mais nous ne croyons pas que ce qu'on
appelle le Moi à partir de la naissance soit la même chose que ce qu'on
appelle le Moi à partir des relations objectales.
Il vaudrait donc
mieux ne parler d'un Moi structuré qu'à partir d'une prise de
conscience du sujet par rapport au monde objectai. C'est à partir de la
prise de conscience de réalité que le Moi sera capable d'organiser ses
défenses.
Ce qui importe donc est de savoir à partir de quel
moment s'établissent des relations objectales et de savoir si avant
l'apparition des possibilités perceptives l'enfant est capable d'avoir
une vie hallucinée jouant un rôle dans les intégrations ultérieures. Il
est capital cependant de connaître à partir de quel moment dans le
cercle formel Moi-Autrui, le Moi prend une certaine distance par
rapport à autrui afin de mieux pouvoir assimiler et de mieux pouvoir se
défendre, à partir de quel moment le Moi deviendra figure au lieu
d'être uniquement réaction dans un monde relationnel indifférencié.
La
situation biologique de l'enfant lui donne un forme, l'expérimentation
ultérieure lui donnera un sens. Ce qu'il nous importe de savoir c'est à
partir de quel moment les événements peuvent prendre une forme ayant
des significations réelles ou imaginaires capables d'être revécus en
tant que tels ou en tant que forme du passé permettant l'hallucination
ou une réalisation effective.
Les premières relations se font
entre un corps non formé et un monde homogène. Le mode de réaction est
global. L'enfant passe de phases de silence somato-végétatif aux phases
d'activité tissulaire avec manifestations motrices vers la source qui
doit le satisfaire.
Ce n'est qu'à partir de certains
conditionnements temporels que l'enfant ressent que le sein n'est pas à
lui mais qu'à partir d'un certain laps de temps il sera à lui. Ce temps
préparatoire de besoin tensionnel, musculaire,
d'insatisfaction somatique et tissulaire est capital. Avant toute
hallucination cette attente suivie de satisfaction est la base de tout
conditionnement.
L'hallucination est temporelle avant d'être
représentative-perceptive. C'est le corps qui désire quelque chose,
c'est le soma qui manque de quelque chose qui est là en attente de la
fin du déroulement d'un cycle nutritionnel qui doit le satisfaire.
Au
début, il n'y a ni bon ni mauvais sein, il n'y a que la
frustrationtension ou la satisfaction-détente. Nous sommes en présence
d'une imprégnation corporelle végétative musculaire qui poursuivant son
histoire propre prépare le corps qui s'exprime ultérieurement. L'enfant
subit l'expérimentation et tout ce matériel non conscient participe à
sa structuration intime.
Les objets qu'on dit partiels ne sont
partiels que pour l'adulte qui les voit désinsérés. Pour l'enfant les
objets sont totaux, le sein est la relation mais c'est une totalité de
la relation avant le développement de ses possibilités perceptives.
Avant la période d'introjection l'enfant passe par un stade de
confusion entre son corps qui se nourrit par l'apport du sein et ce
sein qu'il ne sépare de lui et qui est en dehors de lui. Au moment de
la tétée, l'enfant est « sein ».
Au cours des premières phases, on
pourrait dire d'une manière paradoxale que le Pré-Moi est plus Moi que
le Moi. Car à partir du dialogue dans le Moi, autrui est toujours
présent alors que dans la phase du Moi non formé, autrui est Moi et en
Moi et non hors de Moi. Ce Moi objet-sujet sans extériorité n'est
évidemment pas relation. A cette époque nous pouvons admettre que
l'enfant vit des besoins comme ineffables et ses satisfactions et
insatisfactions comme globales. Les frustrations biologiquement vécues
seront réagies par l'agitation agressive indifférenciée.
Ce n'est
que plus tard que le besoin sera besoin de quelque chose qui est
quelque part et sur lequel on pourra agir ; encore plus tard qu'il
pourra prendre ou laisser et qu'il pourra réagir par la destruction ou
par la captation.
A partir de quel moment se crée le dialogue entre le sujet et le monde
objectai ?
C'est, croyons-nous, à partir d'un certain degré de développement de
notre perception et de nos possibilités motrices.
La
réalité extérieure ne fait partie de notre personnalité qu'à partir du
moment où nous pouvons la commander, à partir du moment où
s'établissent de nouvelles formes de contact. Le
premier contact avec un espace électif se fait dès la naissance avec
les phénomènes de succion, plus tard avec la préhension.
Mais le «
contact » avec l'objet ne se fait pas à partir de sa préhension simple.
La sensation des objets environnants, l'enfant l'a déjà au cours des
mouvements. La forme tactile n'est pas seulement le contact mais elle
commence à acquérir une nouvelle valeur lors de la prise manuobuccale
et de l'exploration manuo-visuelle. Au cours de la préhension réflexe
l'objet fait partie du sujet, lors de la préhension visuo-manuelle,
l'objet est déjà résistance et souvent mouvement, il est au delà et
pour soi. La vision de l'objet lui donne progressivement une forme et
celle-ci est prise et plus tard comprise. La compréhension de l'objet
sera complète par la voie tactile lors des possibilités de relâchement.
Lorsque l'objet est à soi et peut ne pas être à soi, il commence à
prendre, il acquiert une nouvelle valeur que la distance visuelle ne
pouvait pas encore lui donner.
C'est par la chute, par
l'opposition des matières à son action, par son propre mouvement dans
l'espace ou par les déplacements des objets, c'est par la séparation et
l'union, c'est par la sériation et la succession que l'enfant prendra
conscience de lui-même et des autres.
Le jeu moteur qui est la
complaisance dans le mouvement et la formation de la notion d'image
corporelle plus tardive s'interpénétreront. Le corps senti se
complaisant dans sa masse homogène devient progressivement distinct et
le sujet se dissout dans l'image d'autrui en même temps qu'il s'y
trouve lui-même. L'identification devient possible puisqu'il y a
séparation. L'oblativité pourra prendre son sens réel, se sachant
lui-même et différent de l'autre, l'enfant aura trouvé à qui donner.
C'est
lorsque le corps prendra place dans le monde de phénomènes que le
dialogue sera possible. D'où l'importance du développement
somatognosique car c'est à partir de l'action d'un Moi orienté que se
forment non point les signes statiques mais le déroulement du dialogue.
Dans le monde relationnel la gesticulation significative ne sera jamais
éliminée, dans la crainte, les premières réactions tonico-émotionnelles
du type protopathique ne seront jamais absentes, l'hostilité d'autrui
vraie ou imaginaire, sera vécue par nous sous la forme d'attitudes
toniques particulières. Un geste ou un silence d'autrui éveillera en
nous des attitudes inconscientes et ce sera souvent à travers elles que
la relation analytique prendra une forme particulière répondant à des
conditionnements antérieurs. Ce n'est pas toujours l'activité idéique
qui compte dans l'analyse mais souvent ce sera la mise en évidence de
certaines attitudes motrices intériorisées qui mettent l'individu en
situation et font mieux comprendre leur comportement. Ce
qui nous a intéressé dans le rapport de Marty et Fain c'est leur étude
des corps qui parlent, le développement des notions du dialogue corps à
corps, et l'étude de ces dissolutions en briques qui nous montrent les
premiers linéaments tonico-émotionnels, leur mise en valeur de la
notion de distance, base essentielle d'un Moi formé car sans la
distance il n'y a pas d'identification possible. C'est cette distance
qui permet à l'analysé de se confondre avec l'analyste et qui lui
permettra' également de s'en séparer. C'est cette distance qui fait que
dans le miroir qu'est l'analyste, l'analysé puisse à un certain moment
ne voir en lui que l'objet qu'il représente c'est-à-dire le reflet, et
lui permette ainsi de participer à sa propre vie.
Intervention de M. BOUVET (Paris)
Je
désire tout d'abord féliciter Marty et Fain de nous avoir donné le
rapport si intéressant et si original, qu'ils viennent de présenter à
cette conférence, travail dans lequel ils ont eu le mérite d'aborder la
si difficile question des rapports de la relation sensorio-motrice et
de la relation psycho-motrice, en utilisant comme base de leur
démonstration un matériel clinique, analogue à celui qui nous est
proposé dans notre expérience quotidienne.
Ils ont ainsi placé le
problème sur un plan concret, et ce n'est pas l'un des moindres
avantages d'une telle présentation, que de nous montrer immédiatement
combien la conception analytique de la genèse des relations
psychologiques peut nous aider à mieux saisir, dans le détail, dans son
intimité le mouvement qui anime à son insu le dialogue que le sujet
s'efforce de nouer avec nous, mouvement qui est, il n'est pas besoin de
le rappeler, évidemment déterminé, par ses difficultés intimes et ses
positions complexuelles, mais qui dans sa structure, ses modalités
obéit à certaines lois. Nous l'appréhendons ce mouvement, intuitivement
sans doute, dans le moment même de l'action analytique, mais ici, comme
ailleurs, notre intuition ne peut qu'être aiguisée par une
représentation claire de sa logique interne, cette connaissance est
tellement indispensable à notre pratique, que je me demande en fin de
compte, si elle n'est pas l'instrument essentiel de notre succès. Et
c'est à ces incidences essentiellement cliniques du travail de Marty et
de Fain, que je voudrais plus spécialement m'attacher.
Les
auteurs opposant la technique de l'analyste à celle de l'analysé, dans
la relation d'objet, qui va être celle de la situation analytique,
insistent sur le fait que si l'analyste, de par les règles
fondamentales de la technique qu'il utilise, situation couchée,
associations libres, impose au sujet une certaine distance dans sa
relation avec lui, le sujet, lui, de son côté augmente cette distance,
et de par l'emploi de ses défenses habituelles, ici appliquées à sa
relation avec l'analyste protège son contact avec lui, en le mettant à
l'abri de sa motricité pulsionnelle.
Je pense qu'on ne peut pas
mieux définir la situation analytique en termes de relation d'objet,
mais il me semble que les deux règles mentionnées plus haut, n'ont pas
seulement pour but de permettre au sujet de prendre une certaine
distance à l'analyste, il y a plus dans la nécessité qui lui est
imposée de tout verbaliser. Ce n'est pas seulement une facilitation qui
lui est procurée, mais tout autant une difficulté qui lui est imposée,
car par un côté le passage à l'acte, la libération de la motricité
pulsionnelle, à quelque niveau que ce soit, est une défense et eh
restant dans la perspective de ce travail protège l'ensemble de la
relation. L'acte décharge les tensions instinctuelles et si cette
décharge se fait dans un court-circuit, qui n'engage pas de façon
durable la personnalité tout entière, et ce dans un contexte
complexuel, l'ensemble du contact peut pendant longtemps être maintenu
sans difficulté.
Nous avons tous eu l'expérience d'analyses qui
tendaient à se stabiliser parce qu'un « acting-out » souvent
imperceptible, un passage à l'acte, qui ne prenait de valeur qu'en
fonction de l'énorme charge affective dont le sujet l'investissait,
satisfaisait les exigences instinctuelles, et par conséquent
stabilisait la relation d'objet analyste-analysé.
Il semble donc
que si les exigences analytiques, par un côté, permettent au sujet
d'aménager son rapport avec l'objet extérieur qui lui est proposé, par
un autre, elles l'obligent à percevoir dans toute leur ampleur ce que
seraient les manifestations de sa motricité pulsionnelle, et d'ailleurs
c'est bien là l'opinion de Marty et de Fain, lorsqu'ils insistent sur
l'importance abréactive de la formulation verbale impulsive.
Si je
me suis autorisé à faire cette remarque, c'est que précisément elle
nous permet de mieux comprendre l'articulation de ce que Marty et Fain,
nous montrent, avec tant de raison, être un mécanisme de défense
très général, à savoir : l'intériorisation de l'objet, à un degré
d'abstraction plus ou moins grand, et sa manipulation avec les autres
procédés de défense du Moi qui interviennent à un échelon plus élevé,
si je puis m'exprimer ainsi pour aménager la relation du sujet au monde
extérieur, autrement dit ces mécanismes qui apparaissent intervenir
d'une manière plus générale pour éviter les dangers de l'abandon à la
motricité pulsionnelle.
Ainsi que Marty et Fain m'ont fait
l'amitié de le rappeler, j'ai consacré mon rapport sur la Névrose
obsessionnelle à l'étude des relations d'objet dans cette affection, et
j'avais employé le terme de relation à distance pour caractériser le
style des relations d'objet de l'obsédé, de ses relations vivantes plus
spécialement avec ses objets significatifs, les autres relations de ces
sujets se déroulant dans une objectivité apparente (au sens où l'on
emploie communément ce mot) dans la mesuré où elles sont à la
perfection protégées par une isolation parfaite leur enlevant toute
signification instinctivo-affective, ce qui a par contre-coup
d'ailleurs l'effet de leur donner « ce goût de cendre » que Glover a si
bien rendu en parlant de mélancolie douce.
J'avais à dessein
choisi ce terme de relation à distance pour bien montrer la fixité d'un
contact qui, pour si écrasant qu'il soit, si dangereux qu'il puisse
paraître, n'en est pas moins indispensable.
En restant sur le plan
de ces mécanismes généraux d'aménagement de la situation relationnelle,
l'on peut dire que ce mode de relation d'objet, qui est d'ailleurs
commun à tous les sujets présentant à l'analyse ce type de résistance
que l'on désigne sous le nom d'intellectualisation — à la différence
près que chez l'obsédé l'intervention de la régression de l'ensemble de
la personnalité dans le secteur des relations significatives
(régression pulsionnelle, sadisme du Surmoi, secteur animisto-magique
du Moi) confère à son activité le cachet que l'on sait — s'oppose à cet
autre mode relationnel auquel je faisais allusion plus haut en
insistant sur le fait que la situation analytique, en proscrivant le
passage à l'acte, ne comportait pas pour le sujet que des
facilitations.
Ce mode relationnel est précisément celui de
l'impulsion motrice libératrice ou à un degré plus atténué de
l'abréaction verbale, de la verbalisation impulsive traduisant une
irruption d'affects et d'émois dans la conscience correspondant à un
brusque effondrement des défenses, bientôt reconstituées d'ailleurs. Il
s'agit de ces sujets enclins à la résistance du transfert et dont les
abréactions, selon l'heureuse expression de Fenichel, s'évanouissent en
fumée, leur procédé de défense étant par excellence : le refoulement
et, d'une manière plus générale, toutes les mesures
d'évitement grosso modo ; leur relation d'objet à l'analyse est une
suite d'abréactions violentes, séparées par des périodes de sécheresse
affective et émotionnelle. Sur le plan symptomatique ce sont, comme
chacun le sait : des phobiques graves et des hystériques. Ces deux
grands modes réactionnels correspondent précisément aux deux grands
types de personnalité que Federn a opposé en en prenant les types
extrêmes : le Moi obsessionnel d'une part, le Moi hystérique d'autre
part, le premier aménageant ses rapports avec la réalité de façon
active, en utilisant toutes les ressources d'un jeu psychologique
complexe ; le deuxième passif, labile, subissant le choc de ses
projections instinctivo-affectives dans le monde extérieur et ne
pouvant échapper à des situations intolérables que par la fuite,
l'évitement, le refoulement.
Je m'excuse d'avoir rappelé un peu
longuement ces deux grands types cliniques de relation d'objet, et sans
doute pourrez-vous penser à juste titre que je me suis écarté du sujet
de ce rapport et en particulier de ce que je désirais envisager plus
spécialement, ses implications cliniques.
A vrai dire je crois que
l'isolement de ces deux grands types de personnalité répond peut-être à
la préoccupation des rapporteurs en matière de nosographie analytique,
la forme de la motricité pulsionnelle se retrouvant par la suite dans
le mode habituel de relation d'objet. Et à ce sujet il est intéressant
de remarquer que — alors que le Moi obsessionnel conserve un mode
relationnel de maîtrise active de contact continu et étroit grâce à une
activité psychique à la fois arbitraire et rationnelle ayant les
caractéristiques mêmes de la relation objectale — au stade où la
fixation et la régression combinées l'ont ramené, le stade sadique
anal, le Moi hystérique ou phobique (dans le cas de phobie grave) subit
dans son contact avec le monde les mêmes vicissitudes et utilise les
défenses analogues à celles que nous présumons être employées par
l'enfant au stade oral, phase à laquelle précisément la clinique
analytique situe le niveau régressif où il se fixe ; l'enfant à cette
époque appréhendant le monde à travers son désir, se montrant incapable
d'autre réaction que la fuite et subissant passivement des orages
affectifs qu'il est incapable de maîtriser.
Par ailleurs je pense
que, à travers ces deux types si différents de réaction d'objet, l'on
peut voir à l'oeuvre les mécanismes d'aménagement décrits par Marty et
Fain. Si dans la névrose obsessionnelle, et d'une manière
plus générale, dans les cas d'intellectualisation, la démonstration en
est aisée (j'ai assez insisté sur cet aspect de la question de
l'utilisation de toutes les ressources du jeu de la pensée dans le
maintien de la relation à distance), je pense que chez les sujets du
deuxième groupe, ceux dont la relation aurait une représentation
graphique en dents de scie, la démonstration pourrait en sembler moins
facile. En réalité même dans les périodes de sécheresse, si l'on prend
garde d'examiner le matériel apporté sous cet angle, on s'aperçoit
aisément que le dialogue est animé d'un mouvement qui l'approche de la
verbalisation impulsive, puis qui l'en éloigne avec un rythme, une
amplitude de chacune de ses phases, sans doute propres à chaque sujet
et au moment de l'analyse. C'est d'ailleurs, me semble-t-il, une malade
de ce genre que Marty et Fain ont pris pour exemple.
Je ne veux
pas augmenter encore la durée de cette communication, déjà trop longue
en faisant état d'exemple personnel, mais je voudrais, à propos d'un
cas que je connais bien, montrer à quel jeu d'approche et de recul
s'est livré le sujet, avant qu'une simple remarque de ma part ait pu
déclencher la prise de conscience directe d'un affect transféré.
Il
faut dire qu'il s'agit d'une analyse déjà longue chez un sujet atteint
de phobies graves rapidement extensives et de phénomènes de
dépersonnalisation, dont l'amélioration est déjà substantielle et qui
est engagé après une longue période d'analyse de son hostilité envers
son père, actuellement, dans la prise de conscience et la formulation
de son agressivité concrète envers sa mère. Il vient effectivement de
perdre son père et l'épisode que je rapporte se situe dans la semaine
suivante : il m'a d'abord raconté qu'il était surpris lui-même du peu
de peine qu'il avait eu, puis il situe la mort de son père entre 8 h.
30 et 9 heures, disons le samedi. Il s'absout des motifs qui l'ont
écarté du chevet du malade, puis il fait une erreur sur le jour de la
mort. Mardi au lieu de samedi. Il se pose la question, il revient au
motif de son absence, le précise, affirme que son père ne saurait lui
en vouloir.
Il pense que depuis l'exitus il a davantage son père à
lui, il le possède mieux. Il revient encore sur son acte manqué, il ne
se l'explique pas, puis il m'affirme qu'il a la sensation d'avoir son
père en lui. C'est à ce moment-là seulement que j'interviens en le
ramenant à son erreur de date.
Il cherche, ne comprend pas, il
raconte qu'il a vu les organes génitaux de son père, qu'ils sont de la
même couleur que les siens, il y sent une preuve d'identité ; à ce
moment-là je le ramène à nouveau sur l'erreur de date.
Il
examine la question plus attentivement : le mardi était-ce le jour où
commençait sa série de séances, ou était-ce le jour où il retournait en
province — non ce jour ne correspond à rien de tel.
Et c'est alors
qu'il a brusquement la révélation que le mardi entre 8 h. 30 et 9
heures, il se trouvait effectivement avec moi, il me dit alors avec un
sursaut : « Vous ne voulez pas dire que je souhaite votre mort. »
Je
lui réponds simplement : « Voyez les faits. » Il m'avoue qu'en montant
chez moi, il a senti son pas se ralentir et comme une voix intérieure
lui dire, la voix de son père, dit-il : « maintenant tu es assez fort,
tu pourrais te guérir tout seul ! »
Il est évident que le sujet
n'a pu arriver à cette simple impulsion verbale qu'après avoir approché
à plusieurs reprises, en se posant une question à propos de l'erreur de
date, la verbalisation impulsive, et qu'il lui a fallu manipuler son
objet intérieur — dans le cas présent s'assurer de sa possession, de
son existence en lui — avant de pouvoir prendre conscience de son
attitude effectivement opposante et de son souhait de mort à l'égard de
son analyste, objet extérieur, assimilé d'ailleurs à un père castrateur
par clivage de l'image ambivalente du père dont il gardait en lui,
idéalisée, l'imago bénéfique.
Je dois dire qu'en même temps il
revivait dans son opposition avec moi son conflit envers sa mère
castratrice qu'il avait transféré dans ses rapports avec son père.
Et
ainsi se confirmait l'identification de l'analyste à sa mère opposante
et interdictrice, identification déjà sensible depuis quelque temps. Il
est bien évident que de ce mouvement je n'avais au moment de mon
intervention qu'une connaissance intuitive, mais qu'à l'examen cette
intuition peut se formuler dans les termes où Marty et Fain l'ont
explicitée.
La manipulation de l'objet fantasmatique était nécessaire pour que
puisse émerger la verbalisation impulsive.
Quant
à l'hypothèse que soulèvent les auteurs, que c'est l'identification
sensorio-motrice directe qui est le fondement de notre intuition du
malade, je pense qu'elle est en accord avec ce que l'on a écrit
généralement sur l'empathie et sur les processus d'identification
passive qui sont nécessaires à l'appréhension de l'équilibre réel des
forces refoulantes et refoulées dans la psychée du patient et que la
perception que nous pouvons avoir de l'intensité de sa résistance par
la subperception de ses attitudes de réjection motrice lors de
l'imminence de la coïncidence de l'objet intériorisé et de l'objet
extérieur commande la profondeur à laquelle nous situons notre
tentative d'interprétation.
En
terminant je tiens encore à remercier Marty et Fain de leur beau
travail qui nous fait pénétrer dans l'intimité des variations du
rapport de l'analyste et de son patient.
Intervention de R. DIATKINE (Paris)
Qu'il
me soit permis de féliciter d'abord les rapporteurs pour leur très
remarquable travail. C'est certainement la tâche de notre génération
d'intégrer la psychanalyse dans une conception large de l'évolution
neuro-biologique et la tentative de Marty et de Fain de définir le rôle
de constitue une étape très intéressante de cette intégration.
Nous
avons à plusieurs reprises pu échanger avec les auteurs un certain
nombre d'idées sur ce sujet qui nous intéresse doublement en tant que
psychiatre et psychanalyste d'adultes d'une part, en tant que
psychiatre d'enfants d'autre part. L'étude objective des enfants nous a
conduit à formuler un certain nombre d'hypothèses, que nous avons
rapportées dans un exposé fait l'an dernier avec Lebovici.
En tant
que psychanalyste d'enfant, nous pensons pouvoir apporter quelques
précisions sur le rôle de la motricité dans l'évolution des premières
relations objectales.
Dès les premiers jours la motricité de
l'enfant présente un caractère défini par un fond d'hypertonie avec
ballant très réduit, des mouvements symétriques et globaux, parfois
déclenchés par des réflexes qui vont longtemps jouer un rôle dans les
données élémentaires de l'émotion, tel que le réflexe de Moro.
L'activité orale proprement dite a été étudiée de très près par les
phoniatres. C'est ainsi que Stein décrit deux formes d'activité qui ont
un rôle essentiel dans la formation ultérieure des premiers éléments du
langage. Il s'agit d'une part de mouvements de protrusion et de
rétraction des lèvres produisant des bruits labiaux. Ces mouvements
sont manifestement dérivés des actes de succion correspondant à un
désir d'incorporer le mamelon. Stein pense qu'il s'agit déjà d'un désir
halluciné. D'autre part, les bruits glottiques correspondent à
l'expiration et ont une valeur d'activité de réjection. Ils sont
accompagnés d'un sentiment de bien-être dans le vagissement habituel
(babbling). Stein attache peu d'importance au cri ni au bruit glottique
correspondant à des efforts de défécation liés à des impressions
cénesthésiques pénibles, mais nous ne pensons pas
qu'on puisse éliminer' ces éléments des activités préverbales.
Celles-ci diffusent de la zone orale et sont parfois accompagnées de
syncinésies cheiro-orales avec ébauche de grasping-reflexe. C'est
l'intégration de ces deux pulsions primaires et contradictoires qui
aboutit aux premières articulations.
Si nous avons choisi et
développé un peu longuement cet exemple, c'est parce qu'il est assez
typique dans son évolution ultérieure. En effet, ces activités
instinctuelles contradictoires donnent issue à une nouvelle forme qui
sera intégrée à son tour dans le jeu des conflits et des pulsions, mais
qui dès lors en diffèrent qualitativement. On connaît toutes les
interférences de l'oralité et du langage, mais en aucun cas on ne peut
confondre les pulsions orales et l'activité expressionnelle des organes
de la phonation.
De même les activités réflexes (grasping, Moro,
etc.) seront inhibées progressivement par une motilité d'abord très
syncinétique et segmentaire. Puis par une activité de mieux en mieux
coordonnée et précise s'articulant sur des champs perceptifs internes
et externes de plus en plus étendus. Nous pensons que les caractères de
cette évolution sont déterminants dans le dépassement par l'enfant des
formes primitives de l'angoisse. Mais. nous serons d'accord
certainement avec Marty et Fain en montrant tout ce qui sépare cette
motricité des premières années, de l'activité motrice intégrée et
socialisée de l'adulte. Le geste est un moyen expressionnel dont la
valeur évolutive a été étudiée dans un travail récent par Ajuriaguerra.
Mais chez l'adulte, il est fortement déterminé par des particularités
ethniques et sociales, sans parler des facteurs typoconstitutionnels.
La situation particulière de l'analyse donne à la motricité un sens
plus restreint. Ce n'est pas par hasard que le psychanalyste se met
derrière son patient, ce qui libère toute une activité expressionnelle
motrice. La position couchée du patient réduit considérablement sa
motricité qui n'est plus qu'un reliquat difficilement interprétable du
comportement gestuel habituel.
Dans la première partie de
l'analyse du caractère, Reich étudie précisément la signification
historique de certains comportements moteurs autour de l'analyse. Les
différents exemples sur lesquels il s'appuie montrent bien ce
comportement mimique et gestuel par des relations déjà très évoluées et
prédéterminées avec les personnages parentaux. Il en est de même pour
les réactions toniques-émotionnelles. Si celles-ci ne sont qu'une
intégration relativement simple des activités primitives, leur
conditionnement ultérieur en rend la signification malaisée à saisir.
Si
nous avons été très intéressés par l'étude de Marty et de Fain, c'est
dans la mesure où nous croyons qu'ils ont échappé à un danger
méthodologique grave. Il serait en effet très artificiel de commenter
l'attitude motrice d'un adulte en langage de motricité infantile.
L'objet de la psychanalyse n'est jamais l'étude directe des pulsions
mais celle de la position que prend l'individu devant ces pulsions.
Cette position est définie par la structure du moi et l'on sait que la
notion de distance à l'objet est un des aspects les plus typiques des
réactions du Moi devant l'activité pulsionnelle. L'attitude du malade
ne peut être comprise que dans cette dimension mais correspond toujours
à une organisation tenant compte de toutes les intégrations
successives.
Nous sommes convaincus que toute autre position
risque de transformer cette notion si précieuse en clinique analytique,
la distance à l'objet, en une entité métapsychologique, à laquelle une
définition motrice analogique risque de donner un aspect de
pseudo-réalité. C'est parce que Marty et Fain ont su éviter cet écueil
que nous ne saurions les féliciter suffisamment pour leur remarquable
travail.
Intervention de ROLAND CAHEN (Paris)
J'ai toujours
été partisan du dialogue et de la confrontation entre les différentes
écoles de psychothérapie. C'est pourquoi je suis heureux de saluer la
largeur de vues du Bureau de votre Société, qui accueille quelqu'un qui
n'est pas de ses membres, et qui lui offre même l'occasion de prendre
la parole en cette Assemblée, alors qu'il appartient à la « Maison
d'à-côté ».
Mais soyez tranquilles, je n'abuserai pas de
l'hospitalité qui m'est ainsi offerte et je ne vous ferai part que de
quelques réflexions.
J'ai été « alerté », pour reprendre le
langage employé par M. Lechat au cours de son important rapport,
lorsque j'ai entendu cet auteur nous dire que le sentiment d'insécurité
lui semblait normal quand il venait « du dehors », et anormal,
pathologique, quand sa provenance pouvait être dite « du dedans »,
c'est-à-dire quand son origine était endogène.
Cette distinction
déjà me semblait situer le psychisme « du dedans » dans une promiscuité
un peu dangereuse et d'emblée le soumettre à une suspicion de
pathologique, qu'à mes yeux rien ne justifie, et qui, à tout le moins,
reste à démontrer.
J'ai été confirmé dans cette « alerte » quand,
écoutant Marty condenser son rapport hautement significatif, il m'a
semblé que cet auteur nous parlait du phantasme, comme si ce dernier
était toujours d'origine sensori-motrice, donc d'origine exogène.
Je
me suis demandé si cette façon d'envisager les choses ne tenait pas
compte seulement d'une moitié du problème, laissant l'autre totalement
en jachère, et contribuant ainsi à créer un malaise dont le Dr Berge,
dans son intervention, s'est fait l'éloquent interprète. Le Dr Berge,
en effet, a relevé qu'on a aisément tendance à ironiser à propos de la
mythologie et qu'il est toujours aisé de le faire. Mais, je vous le
demande, qu'est-ce qui nous y autorise ? L'humanité a vécu pendant des
siècles de la mythologie ; nous en vivons encore, et même, ce qui est
plus grave, chacun pour notre compte, dans une mesure qu'il ne nous est
même pas possible d'apprécier. Dès lors, au nom de quoi ironiser à
propos d'une partie irréfragable de la réalité psychique et humaine ?
La
vie mythologique de l'humanité a été l'expression d'une part importante
de sa vie phantasmatique, précisément en ce que, portée par une
majestueuse et souveraine spontanéité, « elle provient du dedans ».
Ainsi, la vie phantasmatique, à côté de ses origines exogènes, comporte
aussi des composantes endogènes majeures. Le phantasme n'est pas
seulement l'objet introjecté. La vie phantasmatique va bien au delà de
l'intériorisation pure et simple d'un objet ; souvent elle ne fait que
se servir de celui-ci, qu'elle déforme d'ailleurs comme à plaisir, le
dotant des qualités les plus paradoxales. Pourquoi cela serait-il si
notre vie introvertie n'était que le pâle reflet d'un monde extérieur
seul existant. Cela nous oblige à constater que la vie profonde des
êtres a ses lois spécifiques qui ne peuvent simplement découler des
perceptions extérieures. D'ailleurs, sans l'inné, ses catégories, ses
structures et ses potentialités, comment dépasserions-nous donc le
sensori-moteur au point d'en faire de l'idéo-affectif ?
Nous ne
sommes donc pas des tables rases en venant au monde et il faut bien
avouer que le psychisme endogène existe. Pour que nous puissions, par
exemple parler « d'instance personnifiée », comme l'a fait le Dr Berge,
encore faut-il, pour qu'on la personnifie, qu'une telle instance ait
existé au préalable, à titre de linéament virtuel, virtuel mais
impérieux, puisque, quand la personnification de la mère, par exemple,
fait défaut, l'instance, vide de tout contenu, crée un grave état de
manque.
N'est-ce point d'ailleurs Freud qui, le premier, a dans
une certaine perspective, révélé à la pensée étio-pathogénique et
thérapeutique, cette chose bouleversante qu'est la dimension de la
profondeur dans l'homme, la profondeur et ses dynamismes psychiques ?
N'est-ce point lui qui, le premier, a parlé, à
propos des névroses, du terrain, oui, d'une certaine hérédité, et
n'est-ce point lui qui a dit que ne fait pas une névrose qui veut, et
encore moins une psychose, soulignant ainsi l'inné préexistant à
l'acquis ?
Que la vie serait chose simple, et d'ailleurs aussi la
thérapeutique, si tout dans l'homme était d'origine extérieure et...
sensori-motrice. Dès lors, si Freud nous a légué sa découverte majeure
de la profondeur dans l'homme, est-ce lui rendre justice que de
soumettre celle-ci à une suspicion systématique ?
Pourquoi ne pas
voir que toute la complexité des problèmes vient de la rencontre des
plans sensori-moteurs, capitaux, certes, et des plans préexistants,
endogènes, non moins capitaux, et que des indications et des
interférences qui en résultent découle tout le problématisme de
l'existence.
C'est pourquoi, nous ne pouvons pas suivre non plus
Mme Melanie Klein quand celle-ci avance, comme cela a été rapporté en
ces débats, que tout le symbolisme n'est qu'une sorte de placage sur
des objets substitutifs. Il faudrait s'entendre : le placage de quoi ?
Le symbolisme semble être une chose beaucoup plus ample, chaque symbole
vivant, ou encore vivant, étant comme Jung l'a souligné, l'expression
la plus adéquate d'une chose qui ne peut être mieux exprimée que par
l'image symbolique précisément employée.
Certes, à titre
d'hypothèse de travail, comme on comprend la tentation, ne serait-ce
que pour simplifier les marches d'approche, de se comporter comme si
tout était exogène ! Mais cette perspective est manifestement
insuffisante pour rendre compte des phénomènes observables et
constamment observés par chacun de nous.
Je ne veux pas réveiller
la vieille querelle du sensualisme à la Condillac et de l'innéisme, à
la Platon, mais c'est sur ce plan, me semble-t-il tout de même, que se
situe ou que devrait se situer le débat. La science, et la science
psychologique en dernier lieu, n'est pas synonyme de sensualisme. Faire
comme si cela était reviendrait à déterminer un recul désastreux dans
la vie de l'esprit.
Ces considérations ont des implications
éminentes dans la pratique psychothérapeutique. Car leur acceptation ou
leur refus entraîne de la part du thérapeute des attitudes fort
différentes à l'adresse de l'inconscient et de ses créations.'
Ceci
nous ramène aux remarques formulées par le Dr Held, parlant du divan et
du fauteuil. Je ne veux pas m'attarder, sur ce thème qui nécessiterait
de longs développements. Je puis seulement vous affirmer, au
nom de mon expérience personnelle qui s'appuie sur une « technique de
la position assise », que la « position horizontale » n'a pas le
privilège des décours psychiques profonds et, qu'assis, on « tue son
analyste » avec la même implacabilité que couché, que, de fauteuil à
fauteuil, le transfert, à l'occasion, se forme, se renforce, évolue,
s'élabore, s'élucide, bref s'analyse et s'intègre sans doute aussi bien
qu'allongé.
Que chacun ait donc ses « règles fondamentales », et
qu'il hisse bien clairement ses couleurs. Mais, de grâce, n'en faisons
point de nouveaux tabous.
Intervention de Mme BERNSON (Paris)
« La motricité pulsionnelle reste sous-jacente à toutes les formes de
relation d'objets. » (Marty et Fain, 1954.)
Il
me faut tout d'abord faire un aveu : je ne suis pas certaine d'avoir
tout compris dans les remarquables travaux des Drs Marty et Fain.
Cependant j'ai été alertée et vivement touchée lorsqu'il fut question
des stades évolutifs du petit enfant et de son développement moteur, si
magistralement présentés par eux.
En tant que tout vieux
graphologues, mon mari et moi, nous nous sommes longuement penchés sur
les manifestations graphiques au cours de la vie humaine, et
spécialement aussi sur les gribouillis des tout-petits.
On ne peut
plus ignorer que le petit être humain, dans le stade embryonnaire,
parcourt en raccourci les étapes que la nature a parcourues elle-même,
depuis la plante et le poisson jusqu'au petit être évolué qui naît
aujourd'hui. Ainsi reparaît, dans ses premiers essais graphiques, toute
l'enfance collective de l'humanité. Nous trouvons dans les graphies
ancestrales et dans les graphies enfantines une loi de constance
biologique et psychique, qui rappelle que l'entité fondamentale de
l'être est lié à des facteurs invariables, possédant des moyens de
communication infiniment variables.
En ce qui concerne les
gribouillis des tout-petits, nous proposions (1) de les diviser en
trois groupes distincts, correspondant à notre avis, à trois stades
évolutifs différents.
Cependant il faut éliminer ce genre de
gribouillis qui s'inscrit en quelque sorte accidentellement (vers 6
mois peut-être) c'est-à-dire avant que l'enfant ait conscience qu'un
crayon dans sa main est un
(1) Congrès international de Graphologic, Paris. 1937.
objet qu'il peut mettre en contact avec un autre objet, le papier par
exemple.
Nous
situons ce premier stade vers 15 ou 18 mois, plus tôt ou plus tard,
certes ; mais en observant l'émerveillement du bébé, son attention
concentrée et fervente quand pour la première fois il s'aperçoit que
son geste de la pose du crayon a laissé une trace sur le papier, le
graphologue ne peut s'empêcher de se demander s'il n'assiste pas là à
la première manifestation de l'éclosion d'un Moi conscient.
Ce
papier, pour le bébé, représente des éléments très différents. Il peut
symboliser ou bien l'enfant lui-même (identification), ou bien une
autre personne (projection), ou n'importe quel objet ou représentation
matérialisée.
L'enfant se meut dans l'espace qui l'entoure soit
avec confiance et tendresse, soit avec crainte et agressivité. De la
même manière il abordera la feuille de papier qui symbolise au fond son
univers ; on pourrait dire les quatre coins du monde. Il est à noter
que déjà dans ce premier groupe de gribouillis joue la notion des
marges, comme si un tabou s'attachait déjà à leur dépassement. En fait
il s'organise plus ou moins bien dans cet espace, comme s'il agissait
poussé par une loi préétablie.
Ces gribouillis qui paraissent
incohérents à l'oeil inexercé sont souvent d'une constance frappante
pour chaque enfant. Un peu comme ces graffiti que les écoliers et les
adultes mettent au bord de leurs brouillons ou sur leurs buvards (et
peut-être aussi les médecins sur leur bloc de prescriptions en écoutant
les plaintes interminables de leurs malades).
Ce premier stade de
gribouillis, nous le nommons végétatif-moteur, se distingue par des
mouvements de va-et-vient plus ou moins anguleux. Il est à noter que le
bébé à cet âge ne décolle, généralement pas son crayon du papier. Cela
nous rappelle un émouvant film du Dr Spitz, nous faisant saisir sur le
vif la tendance du tout petit bébé à ne pas quitter des yeux sa maman
ou sa nourrice durant qu'elle bouge (1).
Déjà, nous pouvons
appliquer à ces premiers griffonnages les lois expressives
fondamentales : La bonne vitalité affermit le trait et le met en relief
; le bien-être arrondit, agrandit et harmonise le tracé ; la gêne le
rétrécit et le rappetisse ; l'agressivité le rend incisif. Nous
apprécions le coloris et le clair-obscur du trait, le rythme plus ou
moins rapide et très personnel du tracé, impossible à imiter. Les vieux
Chinois l'ont déjà su ; ils remplaçaient notre empreinte digitale par
un simple trait.
Deuxième stade : Représencatif-imitatif. — Pourrions-nous retrouver
(1) Dr SPITZ, Congrès international de Psychanalyse, Zurich, 1954.
là ce que les Drs Marty et Fain nomment la « fantasmatisation » ?
L'enfant,
à l'âge de 2 ou 3 ans, a pris conscience du monde environnant. Il a
touché, vu, senti et entendu beaucoup de choses qu'il a intériorisées,
et dont il s'est nourri. Il lui faut maintenant extérioriser les images
intérieures et les sensations vécues.
L'élément « forme » commence
à apparaître ; des ronds, des losanges, des croix, des courbes isolées
souvent d'allure phallique, viennent s'ajouter aux gribouillis du
premier stade de la motricité primitive. Les neurologistes
distingueraient là l'activité de couches cérébrales plus récentes en
comparaison avec les couches plus anciennes du premier stade,
correspondant au Pallidum, alors que les premières nommées ressortent
du Striatum (1).
L'enfant donne des noms — souvent variables et
fantaisistes à ces « dessins ». Il est à noter que ceux-ci ne sont pas
encore orientés dans l'espace des adultes. On dirait des poissons
nageant dans l'eau. (Nous verrons ce phénomène persister chez certains
enfants dyslexiques, mais parfois aussi chez les peintres surréalistes
(Klee et Chagall surtout).
Troisième stade :
Intellectuel-communicatif. — Après l'immense progrès du cerveau qui lui
permet de coordonner les sensations auditives avec les sensations
visuelles, l'enfant arrive à gribouiller alternativement ce qu'il
voudrait dire, et dire ce qu'il écrit.
Nous voyons ces graphies,
imitant l'écriture, plus ou moins alignées, plus ou moins réglées et
liées. L'enfant n'exprime et ne représente pas seulement quelque chose,
mais il veut surtout communiquer une réflexion. Les enfants font
généralement eux-mêmes une très nette distinction entre le deuxième et
le troisième. genre de gribouillis. Ce dernier est le stade précurseur
de la compréhension intellectuelle. De là à l'apprentissage de
l'écriture scolaire il n'y a qu'un pas, mais combien pénible pour
l'enfant et pour l'éducateur !
Il ne faut pas croire que ces trois
genres de gribouillis se perdent dans l'écriture des adultes. Cela
mènerait trop loin d'entrer dans les détails. Signalons seulement
l'activité motrice qu'aiment déployer dans leur écriture les sportifs
et les brasseurs d'affaires (premier stade), le souci des belles formes
chez les artistes (deuxième stade), et l'écriture souvent dépouillée et
sèche des intellectuels désincarnés.
D'autre part, il nous semble
que les psychanalystes et les psychiatres auraient la possibilité de
déceler certaines formes de régression dans le cycle évolutif de l'être
humain, déposé à son insu dans l'écriture, cet
(1) R. POPHAL, Handschuft als Gehrinschrift 1949.
acte graphique conscient et inconscient à la fois qui est un des plus
complexes qui soit.
Mon
mari et moi sommes très heureux d'avoir pu, grâce à l'encouragement des
Drs Nacht, Lebovici et Held, faire cette communication un peu hors
série sur des données graphologiques qui jusqu'à présent n'ont guère
encore été utilisées en psychanalyse. En même temps nous remercions les
auditeurs de leur bienveillante attention.
Intervention de P. LUQUET (Paris)
En
lisant le très intéressant rapport de Marty et Fain, nous avons été
frappé comme la plupart de nos collègues par le brio avec lequel les
rapporteurs maniaient ces notions abstraites, nécessaires pour décrire
le tout début de la vie. Cette habileté pouvait tout aussi bien donner
un sentiment de malaise, peut-être dû à quelque imprécision presque
obligatoire dans un tel domaine, qu'une profonde satisfaction liée à la
reconnaissance intuitive d'une réalité approchée. Peut-être dans un tel
domaine est-il nécessaire de ne pas se tenir trop près de la lettre,
pour pénétrer le sens. Si chacun avait modifié le détail qui l'avait
gêné, nous avons pensé que la plupart d'entre nous auraient pu se
mettre d'accord sur beaucoup de choses dans cet énorme travail.
Il
paraît que nous devons éviter un piège, lorsque nous nous penchons sur
les premiers moments de la vie qui ont certainement une importance
fondamentale (celle des fondements), qui consisterait à prendre pour
acquises les hypothèses faites et d'avancer en partant d'elles comme de
loi expérimentale de la physique. Ce qui est pour un auteur une
tentative d'explicitation, en terme d'adulte, d'un être partiellement
étranger — (car les intégrations successives modifiant la forme même de
l'objet d'étude font qu'il apparaît à chaque fois quelque chose non
seulement de plus, mais de différent) — ne doit pas être manié comme un
postulat mathématique et sans doute faudrait-il une nouvelle
formulation pour chaque moment qui ne tiendrait compte que,
partiellement, de celle qui a servi à définir et à préciser les stades
précédents. C'est ainsi que la formulation de Melanie Klein nous paraît
convenir pour une certaine époque de la vie, mais doit être modifiée
dans la compréhension de ce qui suit et aussi de ce qui précède.
Devant
une telle complexité, il nous paraît qu'il faut revenir aux deux
méthodes qui nous permettent de rester dans le concret ; nous voulons
dire : 1) L'observation du nourrisson et l'interprétation relative que
des adultes peuvent faire de ce comportement ; 2) L'analyse du matériel
analytique dans la séance telle qu'ont tenté de la faire les
rapporteurs.
Pour ce qui est du nourrisson, nous prendrons
comme exemple la toute première période de la vie, le premier mois. Les
termes de « bon sein » et de « mauvais sein » ont adroitement rassemblé
deux notions importantes : 1) Ils évoquent le globalisme de la
sensation primitive telle qu'on peut la comprendre chez le nourrisson :
réaction totale à des stimulis simples, peu nombreux ; réaction mal
différenciée par absence de maturation. Tout se passe bien, en effet,
comme s'il y avait le bon et le mauvais, l'agréable et le désagréable,
le sécurisant et le dangereux ; 2) L'importance de la relation
alimentaire, fondamentale étant donné la situation de passivité réelle
liée à l'immaturation qui en fait un sujet éminemment dépendant, mais
aussi fondamentale, car donnant le style de cette période de la vie, ce
qui n'est pas la conséquence obligatoire de la dépendance, mais plutôt
de l'état d'immaturation. Cette relation alimentaire domine l'activité
du sujet. Au tout début, le besoin alimentaire est capable de le
sortir, sinon du sommeil, du moins de cette somnolence, état
intermédiaire où persistent des réactions toniques de veille ainsi que
l'a montré A. Thomas, pendant lequel on constate le « sourire aux anges
» et qui a toute les chances d'être un état favorable « à une activité
intérieure » fort élémentaire. Cependant, la relation alimentaire n'est
pas tout. C'est ainsi que le froid paraît un des stimulis les plus
efficaces et les plus inquiétants. Nous citerons encore le mouillé et
surtout la présence des fèces dans la couche, la douleur intestinale.
Lorsqu'un de ces stimuli désagréables se produit, à l'état d'euphorie
ou de sommeil fait suite une période d'insécurité où le faciès exprime
ce qu'il est convenu d'appeler « inquiétude. » chez l'être plus évolué.
Cette phase s'accompagne de courtes expulsions d'air par la bouche,
avec constriction puis relâchement de la glotte, première ébauche du
sanglot. La seconde phase qui suit de très près la première semble
avoir une structure différente : les yeux se ferment, l'hypertonie
apparaît, accompagnée d'une gigantesque poussée congestive ; puis
l'agitation stéréotypée avec des efforts d'expulsion. D'extérieur, on
peut interpréter cela comme essentiellement fait d'hypertonie et, si
l'on veut le traduire, on dira qu'on a l'image : 1) D'une , expulsion
(par en bas comme par en haut) ; 2) D'une rupture avec le milieu
extérieur. En effet, à la phase d'insécurité, un stimulus externe
pouvait
agir pour enrayer la crise : c'est ainsi qu'au premier jour, le fait
d'être pris dans les bras suffisait (probablement en se rapprochant de
la situation in utero au point de vue coenesthésique), à établir le
calme lorsque les stimuli douloureux s'atténuaient. A la phase de
colère (non seulement les yeux sont fermés mais les stimuli paraissent
inefficaces), la voix qui a tant d'importance pour le nourrisson à
cette époque ne paraît plus perçue, le sujet est dans sa crise. Cette
rupture avec l'extérieur fait naître l'anxiété maternelle.
Cette
crise, que l'on pourrait appeler crise de « mauvais », nous
l'opposerons en état de « bon ». Mais, dira-t-on, où est l'objet ? Il
nous paraît qu'il est nulle part. La « mère » « bonne ou mauvaise »,
n'existe pas, pas plus que le sein, notion partielle essentiellement
opposée à une perception globale. Il y a dans ce monde continu sans
dedans et sans dehors, le Bon et le Mauvais c'est tout. Cette période
dure deux ou trois semaines. C'est sur ce fonds d'alternative d'état
bon et mauvais que vont se dessiner très lentement des relations qui ne
pourront être d'objet que lorsque la différenciation sera faite entre
le dedans et le dehors. Encore s'agit-il de quelque chose de bien plus
global que la mère et le sein. C'est à travers ces états que va se
construire « le dehors ».
Dans cette première période, ce monde du
dehors, qui naît du dedans, doit correspondre à une extériorisation
d'état, en aucun cas à une intériorisation d'objet. Si l'on nous permet
de nous exprimer ainsi, la mauvaise mère sera plutôt le trouble
gastro-intestinal douloureux que la réalité d'une mère mal aimante.
C'est seulement ensuite que la constance du bon rapport de la mère
s'associant fréquemment avec la cessation de l'état douloureux va
construire passivement la première relation d'objet constructive.
Nous
sommes d'accord avec Marty et Fain pour ce qui est du mauvais objet.
Comme il a été dit, l'embryon de ce qui sera le mauvais objet ne peut
se concevoir que comme une représentation hallucinatoire de ce qui
manque et ce serait alors un premier mécanisme de défense. Les
mouvements de succion à vide du nourrisson, d'abord simple réflexe,
s'accompagnent probablement d'une vague représentation dans la suite.
Ils se produisent à deux moments : 1) Avant satisfaction ; et l'on sait
que le seul fait d'approcher le dos de la main ou de placer quelque
chose dans la bouche suffit à faire cesser la crise de « mauvais »
lorsque la cause en est la faim, ce qui tendrait à montrer qu'il y a
bien là l'ébauche d'un fantasme d'objet d'ailleurs fragmentaire ; 2)
Après satisfaction, pendant l'état euphorique, les mouvements
persistent souvent pendant quelques minutes. S'il y a fantasme,
celui-ci n'a certainement pas alors les mêmes caractères.
L'hypothèse
des rapporteurs qui veut que l'objet — qu'ils disent externe —
n'existerait que par l'étude de besoin (d'où sa disparition
entraînerait celle de l'objet interne), pour être ingénieuse ne paraît
pas correspondre à l'observation. Le seul moment où le sujet est ouvert
et prêt à reconnaître l'autre, à avancer dans cette différenciation
d'avec lui-même, est au contraire un état qui succède à l'état
d'euphorie. Il y a beaucoup plus probablement alors l'ébauche d'un
objet réel bon et un mauvais objet intériorisé né de la représentation
hallucinatoire compensatrice ; mauvais objet qui est angoisse et
besoin, et, en même temps, colère, rejet et destruction. C'est en ce
sens qu'il est frustrant et persécutant. Il nous paraît du reste que
cette proposition restera vrai dans toutes les viscissitudes des
relations d'objet et l'on pourrait dire qu'un objet réel, aussi mauvais
qu'il puisse être, est toujours relativement un bon objet par rapport à
cette crise d'angoisse et de destruction indisciblement lié qu'est le
mauvais objet fantasmatique intériorisé. Par ce biais, la situation
analytique, par la présence d'un objet qui se manifeste comme permanent
(et toujours moins agressif que le mauvais objet projeté sur, lui) est
essentiellement reconstructrice ; de même, « la vie » garde ce
caractère par rapport à l'absence et à l'isolement (peut-être est-ce là
une ouverture sur les psychoses carcérales).
Il faut bien
distinguer la phase d'absorption de la nourriture de la phase
post-prandiale. Pendant la tétée, le faciès a un aspect vide, un
certain vague, une profonde intériorisation, un regard inatteignable
(certains caractères communs à l'extase mystique ou esthétique telle «
l'absorbation musicale »). Il est impossible d'obtenir une réponse à un
stimulus moyen ; c'est aussi une rupture de contact. C'est après cette
phase que le nourrisson semble s'ouvrir au monde extérieur ; c'est
alors qu'il regarde, qu'il cherche à se servir de ses membres paralysés
par leur mécanisme neurologique ; c'est la période d'incorporation
visuelle. C'est aussi celle de l'identification sensorio-motrice des
rapporteurs ; en effet, le seul geste qui soit réellement à sa
disposition — tourner la tête, ouvrir la bouche et manier la langue —
paraît pouvoir être obtenu avant deux mois par la représentation de
l'autre tirant la langue. (Réponse en miroir.)
L'incorporation du
monde extérieur se fait donc sous le signe d'un état intermédiaire
entre la rupture euphorique d'absorption alimentaire et la rupture
expulsive de la crise de mauvais. Nous ne sommes pas certains que le
désir de relation de cette période naisse d'un besoin alimentaire
comme le disent Marty et Fain. Le besoin d'absorber le monde par les
yeux, les oreilles et la bouche prend une forme alimentaire. Le
nourrisson ouvre la bouche quand il est satisfait de voir la lumière
vive ou d'entendre le son de la voix connue, mais il ne peut le faire
que lorsque le besoin alimentaire ayant été satisfait, il peut
s'intéresser à d'autres besoins. La satisfaction sur ce point permet
d'aller plus loin dans la relation avec l'autre. Elle suppose que le
monde extérieur peut être ressenti comme bon objet à travers un bon
état. C'est seulement à un stade plus tardif que l'ensemble de ces
incorporations du milieu extérieur et de la mère favorable, nettement
perçu comme différente du Moi, c'est-à-dire comme objet, peut être le
support d'une projection du mauvais objet intérieur et que le schéma
kleinien nous paraît pouvoir s'appliquer.,
Nous ne voulons pas
poursuivre plus avant, notre seul but ayant été de rapprocher ce que
montre l'observation du nourrisson de ce que nous pouvons concevoir
théoriquement d'après ce que nous approchons pendant la séance
d'analyse.
Au sujet de l'esquisse que nous avons faite à
propos du geste et de la motricité dans la séance d'analyse que les
rapporteurs ont eu l'amabilité de rappeler, nous voudrions préciser
deux points : 1) Si les termes de relation d'objet n'ont pas été
prononcés, il est évident qu'ils étaient à tout moment sous-entendus
puisque nous avons voulu montrer que tout autant que le langage, le
geste était une relation avec l'analyste et aussi avec le système
pulsion-défense ; 2) L'analyse structurale de la motricité « en séance
» ne nous paraît pas simplement formelle,' mais tout à fait
essentielle. En effet, si les décharges motrices indifférenciées par
exemple sont plus désintégration, rupture avec le monde, que contact
constructif, elles sont en fait utilisées secondairement dans un but
éminemment relationnel. Mais surtout dans leur nature même, elles
impliquent une attitude vis-à-vis de l'objet intérieur. Si l'on classe
dans l'ordre : 1) Les décharges indifférenciées ; 2) La mimique «
involontaire » ; 3) La posture ; 4) Le geste ; 5) Le langage, on
s'éloigne progressivement d'une relation avec un objet intérieur dans
la direction d'une relation avec un objet réel sur lequel est projeté
l'objet intérieur. Les niveaux d'intégration de ces diverses
manifestations motrices nous paraissent donc être spécialement
intéressants à étudier dans la perspective même où se placent les
rapporteurs.
Réponse de PIERRE MARTY et MICHEL FAIN
Nous
vous remercions de l'attention que vous avez bien voulu accorder au
rapport que nous avons eu l'honneur de présenter et à sa discussion.
Nous
pouvons diviser les interventions faites hier au sujet de notre rapport
en deux groupes opposés : interventions positives d'une part,
intervention que nous pouvons qualifier de négative d'autre part.
Entre ces deux groupes se situe l'intervention de M. Nacht à qui nous
allons répondre tout de suite.
Nous remercions M. Nacht des compliments qu'il nous prodigue au début,
de son texte.
Par
la suite, nous avouons ne pas comprendre lorsqu'il pense que nous
sommes fascinés par le concept d'intériorisation de l'objet. M. Nacht
tire cette idée, dit-il, d'une bonne partie du chapitre théorique du
rapport." La partie théorique de notre rapport n'a été qu'une tentative
d'expliciter, de façon obligatoirement schématique, un certain nombre
d'éléments tirés de la clinique, qui est la seule base fidèle à
laquelle on puisse se référer et à laquelle nous nous référons
constamment.
Notre chapitre théorique, issu des conceptions qui se
dégagent des travaux de Freud et d'Abraham, insiste sur les mécanismes
d'intériorisation, parce que ces mécanismes nous sont apparus
particulièrement importants dans le cadre du sujet que nous avions à
traiter. L'objet réel n'est certes pas complètement dévoré. C'est
plutôt la crainte qu'il soit dévorant qui rejette le sujet dans les
mécanismes de défense d'intériorisation que nous avons décrits.
Nacht
ne reconnaît pas son enfant dans notre interprétation de son «
masochisme primaire ». Nous ne voyons pourtant pas de différence
marquée entre notre texte : « Le masochisme primaire de Nacht est sans
doute l'aboutissement d'une incorporation sensorio-motrice massive de
mauvais objets » et le texte de Nacht disant, dans son remarquable
travail sur Le masochisme : « Des refus, opposés brutalement aux
besoins libidinaux inhérents à ces phases — il s'agit alors des phases
primaires avant même la formation d'un Surmoi, phases qui nous semblent
identiques à celles dont nous parlons — trop d'interdictions
intempestives, surtout si elles ne sont pas compensées par des
manifestations de tendresse qui seraient susceptibles de leur enlever
le caractère de frustration si pénible pour l'enfant, peuvent libérer
violemment
la composante agressive intensément liée aux pulsions libidinales de
ces phases. » Mais, sans doute, peut-on discuter du « temps » exact des
phases dont Nacht parle de son côté, et nous, du nôtre.
Par la
suite, nous pensons que nous aurions tort de croire avec Nacht à
l'existence d'un processus tel que la pensée déclenche des réactions
motrices et plus loin, par l'entremise du système neuro-végétatif, des
dysfonctionnements viscéraux. Les innombrables exemples que chacun de
nous a pu constater consistent surtout en un échec des mécanismes
habituels de défense de la pensée, intrinsèque et organisatrice, et à
une régression à partir de cet échec, échec dans lequel on ne saurait
considérer la pensée comme déterminante. Si une pensée apparaît
superficiellement comme le stimulus déclenchant le dysfonctionnement
viscéral, elle cherche seulement à recouvrir et à cacher au sujet le
conflit inconscient dont il est l'objet. L'énoncé, par un ulcéreux du
duodénum, de son indépendance provoquera, par exemple, une crise
douloureuse gastrique. On ne saurait considérer dans ce cas la
protestation d'indépendance comme l'origine du trouble gastrique et de
la douleur, bien qu'elle le soit, apparemment. Elle n'est en fait, au
même titre que cette douleur, qu'une manifestation des conflits de ce
malade.
Nous sommes cependant très heureux de l'intervention de
Nacht qui nous adresse moins de critiques que nous-mêmes nous en
adressons sur certains points qu'il y aurait eu intérêt à préciser.
Comme
Nacht le dit, nous nous trouvons en présence de l'un des mystères les
plus étanches de l'être humain. Si nous avons pu nous attacher à ce
problème c'est, en partie, grâce à l'enseignement de notre Maître,
Nacht.
Avant d'aborder la série des interventions positives, nous voudrions
dire quelques mots à Mme Marie Bonaparte.
Nous
sommes très émus à la pensée que Mme Marie Bonaparte soit tellement
sensible à ce que nous avançons. Son intérêt pour notre rapport a été
très grand. Lorsqu'elle nous décrit, laborieux, peinant, geignant sous
le faix, obscurs tâcherons d'un long et inutile travail, Mme Bonaparte
fait une erreur et confond la peine et l'acharnement qu'elle a mis à
nous lire, le temps qu'elle a dépensé à tenter de nous comprendre — et
nous l'en remercions — « mais le temps ne fait rien à l'affaire », avec
le plaisir que nous avons ressenti à rédiger ce que, contrairement
croyons-nous à sa pensée profonde, elle qualifie de monstre inutile. Le
fait même de l'intervention de Mme Marie Bonaparte montre que notre
travail l'a touchée. Mme Marie Bonaparte nous accuse
de faire une place trop importante à la sensorio-motricité et une part
fantastique aux objets intérieurs. Nous ne voyons pas en quoi nous nous
éloignons là le moins du monde de l'essentiel de la pensée de Freud.
Mais laissons donc parler Freud : « ... La prise de conscience dépend
avant tout des perceptions reçues de l'extérieur par nos organes
sensoriels... certes, certaines impressions nous viennent aussi de
l'intérieur du corps, les sentiments, qui exercent même sur notre vie
psychique une influence bien plus impérieuse que les perceptions
externes. Enfin, en diverses circonstances, les organes sensoriels
fournissent, en plus de leurs perceptions spécifiques, des impressions,
des sensations douloureuses. Ces impressions, comme nous les appelons,
pour les distinguer des perceptions conscientes, émanent aussi de nos
organes sensoriels... ... il suffît de dire que, pour les organes
récepteurs des sensations et des impressions, c'est le corps lui-même
qui remplace le monde extérieur. »
Nous remercions M. Lechat de
son intervention et des confirmations qu'il apporte à notre essai. Un
point de technique nous semble, entre autres, important à discuter dans
ce qu'il nous dit : à savoir l'intérêt que nous avons à interpréter les
diverses manifestations motrices de nos patients.
Ce genre
d'interprétation, souvent utile, est quelquefois indispensable pour
faire sortir le malade de situations dans lesquelles l'élément moteur
est au premier plan. Faire remarquer à un patient son attitude motrice
sur le divan, provoque souvent une réponse verbale qui, venant se
substituer à l'attitude motrice, constitue alors, un matériel
d'échange, un matériel manipulable par l'analyste. Mais ce genre
d'interprétation de l'attitude du patient n'est pas sans danger car il
attire l'attention de ce dernier sur autre chose que le matériel verbal
qu'il apporte. L'interprétation de l'attitude motrice est, de fait, la
marque d'un intérêt de l'analyste sur un matériel inanalysable en soi,
quelle que soit la nature de cette interprétation. L'idéal nécessaire à
la cure, vers lequel toute notre thérapeutique doit tendre est, en
effet, l'échange purement verbal, le dialogue, qui reste le fondement
de l'analyse.
De nombreux problèmes se posent à ce sujet.
Nous
demandions un jour à une de nos patientes : « Pourquoi croisez-vous
toujours vos mains ? » Pour toute réponse, elle les décroisa. Nous
enchaînâmes : « Pourquoi avez-vous changé d'attitude ? » Elle rétorqua
: « Pour ne pas répondre. »
D'autres problèmes que soulève ainsi,
explicitement ou implicitement, l'intervention de M. Lechat,
mériteraient d'être discutés.
Nous avons gardé pour la fin notre réponse aux interventions de
Diatkine, d'Ajuriaguerra et de Bouvet.
Ces
interventions sont d'emblée, éminemment constructives. Elles nous font
l'honneur de souligner certains points du texte de notre rapport et de
dégager, dans des sens classiquement assez éloignés les uns des autres,
des perspectives de grand avenir. Notre rapport a ainsi servi de point
d'appel à une rencontre éminemment souhaitable. Cette rencontre de deux
sciences aussi théoriquement éloignées l'une de l'autre que la
psychanalyse et la neuro-biologie ne peut aller sans frictions, sans
difficultés nécessairement dues à des incompatibilités premières dans
la méthodologie d'une part, dans l'expression verbale d'autre part. Ces
difficultés doivent être peu à peu résolues et nous ne saurions trop
féliciter Diatkine de sa phrase : « C'est certainement la tâche de
notre génération, d'intégrer la psychanalyse dans une conception large
de l'évolution neuro-biologique. »
Il nous est difficile de
revenir d'une façon circonstanciée sur ce que nous a dit Diatkine, et
sur la très importante intervention d'Ajuriaguerra. Ces auteurs ont
davantage apporté des éléments nouveaux qui s'intègrent au matériel de
notre rapport, qu'à proprement parler ■commenté notre texte. Le schéma
de construction de la motricité individuelle dans ses intégrations, tel
que nous l'a présenté Ajuriaguerra, mérite une étude et nécessite un
recul pour être apprécié pleinement.
Bouvet, reprenant dans des
confrontations cliniques un certain nombre des idées que nous avons
élaborées ou seulement ébauchées trouve, lui, nos idées concrètes.
Nous
sommes parfaitement d'accord avec Bouvet au sujet de la difficulté
qu'il signale, qui va de pair, chez le patient, avec une certaine
facilité, et qui naît de la nécessité de verbalisation, obstacle du
passage à l'acte libérateur. _
Bouvet, par l'exemple qu'il a tiré
d'une clinique dont il est actuellement un des maîtres dans notre pays,
et par les éléments essentiels qu'il a dégagés, a apporté, d'emblée,
une confirmation à notre pensée et a laissé entrevoir quelques-uns des
plus souhaitables prolongements de notre rapport.
Aujourd'hui, à
Cahen Salabelle, nous dirons que la minimisation, par nous, des
facteurs endogènes dans la naissance du fantasme n'est qu'une
apparence. Rien, dans notre texte, ne s'oppose à l'existence des
facteurs endogènes. Notre rapport ayant pris la dimension essentielle
de la relation d'objet, la place importante que nous avons réservée aux
facteurs exogènes n'a rien d'étonnant.
A
Mme Bernson, nous venons en partie de répondre, puisqu'une de ses
questions rejoint celle de Cahen-Salabelle. Il est évident que nous ne
pouvions passer les organes des sens en revue, nous avons pris l'oeil
pour type non exclusif. Nous remercions Cahen-Salabelle et Mme Bernson
de leur intervention.
Luquet, dans sa très intéressante
communication, et dans son observation clinique minutieuse, rejoint par
quelques côtés les interventions d'Ajuriaguerra et de Diatkine. Il est
besoin de lire son texte pour le commenter comme il le mérite. Dans la
mesure où nous l'avons saisi, en dehors de certains points qui nous
paraissent discutables, nous sommes en grande partie d'accord avec lui,
et nous le remercions vivement de son intervention.