C’est un film qui a été encensé par la critique, « Le monde », «
Télérama », par exemple. Il se présente comme un documentaire retraçant
l’histoire réelle d’un petit garçon, 7, 8 ans à l’époque du tournage,
transgenre, et de son difficile combat pour se faire accepter dans sa
différence.
Le titre et l’introduction du film :
Le titre : « Petite fille » et les premiers plans du film, centrés sur
les images d’une petite fille, seule, en train de choisir des vêtements
et de danser, laissent à penser qu’il va être question essentiellement
d’elle, (de lui)..., de ses sentiments, de ses vécus, que le
documentaire, puisque c’est ainsi qu’il se nomme, va nous permettre de
saisir les sentiments de cet enfant particulier, d’en approcher le
vécu, au travers de ses relations avec ses camarades, sa famille, ou au
travers de ses jeux, ou encore d’entendre sa voix, ses dires en rapport
avec ce que le film entend nous montrer. Or il n’en est rien. Passés
ces premiers plans, le cadrage change complétement, et cela jusqu’à la
fin du film, là en est peut-être l’intelligence.
Il ne sera plus au centre de l’écran, assez brièvement, qu’en deux
occasions sur lesquelles je reviendrai.
Le personnage principal :
Le personnage principal, celui qui va occuper le centre de l’écran
pendant plus de 90% du temps, et le plus souvent en gros plan, c’est la
mère. C’est une mère formidable. Une mère comme on aurait aimé en avoir
une. Elle est extrêmement proche de son enfant, complice même, aimante.
Attentive à son enfant, à ses désespoirs. C’est en fait son combat qui
est le moteur, l’axe, de la narration et du film. Son combat pour le
bien et le bonheur de son enfant. Quel enfant n’aimerait avoir une
telle mère ? Ceci sans ironie aucune. Elle est admirable et sincère.
Trois temps de son combat sont montrés, suivis dans le documentaire :
• Premier temps, face à son médecin généraliste, dont elle demande
l’aide, pour répondre à son enfant, garçon désirant être fille, elle
expose son embarras :
Il, elle désire être une fille et depuis l’âge de 5 ans insiste, veut
s’habiller en fille, être reconnu comme fille, devant tant
d’insistance, elle ne s’est pas opposée.
Elle précise qu’à l’âge de 3 ans, ce que personne ne relèvera, même nos
collègues dans leurs articles, il a dit comme le font les autres
enfants à cet âge : « Quand je serai grand, je serai.. », mais à la
différence des autres enfants, il n’a pas ajouté aviateur, chanteuse,
pilote, mannequin, etc, mais « quand je serai grand, je serai une fille
». Ce qui est remarquable, c’est que si le souhait des autres enfants
porte sur un attribut, un en plus social, phallique, là, pour lui,
elle, c’est sur un élément d’identité. Et il me semble que cela aurait
été tout autant interrogeant si cela avait été une fille qui aurait
proféré pareil souhait, la même problématique d’identité : « quand je
serai grande, je voudrai être une fille ».
La mère confie ses interrogations : elle a été déçue d’apprendre
qu’elle attendait un garçon à l’échographie, elle se demande l’effet du
regret de ne pas avoir une fille lorsqu’il, était bébé…
Le médecin, face aux interrogations de la mère, au désir de l’enfant se
déclare incompétent. Il est à noter, je le redis sans doute, que la
mère comme l’enfant ne sont jamais entendus au-delà du fait qu’ils
énoncent, seul le factuel est écouté. Aussi bien par le réalisateur,
qui aurait pu les interviewer vraiment que par les autres intervenants.
Quant aux interrogations de la mère, que le réalisateur aurait pu ne
pas citer, quelles raisons ont-elles de l’être ? Est-ce un doute de
celui-ci ? Il a réalisé beaucoup de films autour de l’identité. Est-ce
une suprême manœuvre ? Préventive de surcroit : il ne peut être
question de désir inconscient de la mère, celle-ci en est consciente et
même prête à s’en culpabiliser… Sauf que, en effet, s’il y a
inconscient cela ne se restreint surement pas à cela… On en a les
traces bien plus dans la proximité, même si elle est touchante, entre
cette mère et son enfant : la séquence de jeu, où le père et les deux
garçons et la fille aînée jouent ensemble dans la neige, jeu tonique et
joyeux, et où la mère et cet enfant sont présents, mais pas avec, en
parallèle, dans un échange plus délicat, gracile, cette séquence est
exemplaire, de même celle autour des vêtements.
La mère indique au médecin qu’elle a été surprise de l’insistance du
désir de son enfant, mais que devant tant de conviction elle avait
accepté, et maintenant face à sa souffrance à l’école, elle veut
l’aider. Comme toute bonne mère pour son enfant. Le médecin les renvoie
donc, puisque incompétent, à un spécialiste.
• Deuxième temps, face à la pédopsychiatre :
J’en dis quelque chose ensuite. Qu’y ajouter ? La sincérité de la mère
et de l’enfant ? Leur souffrance aussi ? L’enfant pleure mais on ne
sait pas bien, ce n’est guère approfondi par la pédopsy, est-ce parce
qu’il est rejeté à l’école car trop fille, ou bien parce que garçon il
n’est pas encore fille ? Ce n’est pas éclairci. L’attestation
officielle médicale est faite : « c’est une fille ! », dans un corps
erroné, il va y être remédié. La mère, grâce à cette attestation va
pouvoir faire accepter son enfant dans le milieu scolaire. A la fin de
la consultation, elle est déjà quasiment finie, la mère dit, presque
subrepticement, mais qui l’entend( ?), qu’elle a perdu un enfant avant
la naissance de celui-ci, on n’en sait pas plus, cela n’est pas relevé,
était-ce pendant la grossesse, à la naissance, était-ce une fille ?
Cela n’a pas été coupé au montage. Encore une fois : ambiguïté du
réalisateur, désamorçage : elle n’est pas sans savoir ?
• Troisième temps, face à l’école, avec la famille.
Tout enfant handicapé a le droit d’être intégré, avec son handicap,
dans le système scolaire de notre République. Cela a été le combat pour
les autismes, les divers handicaps psychiques, les handicaps physiques,
la cécité, etc. Pourquoi cela serait-il refusé à cet enfant ? C’est
donc le courage louable de cette mère aimante de vouloir que son enfant
ait les mêmes droits que les autres. Aller à l’école et y être accepté
avec son handicap (être une fille). Tout le film, et sa répartition du
temps et de la mise en image consacrés à la mère, va dans ce sens, il
s’agit d’un handicap comme les autres. L’enfant dans sa présence
minorée n’étant que l’indice, la marque de l’existence incontestable de
sa singularité. Pourquoi se poserait-on des questions sur d’éventuels
problèmes d’identité ?
Le détail du prénom :
Cet(te) enfant est nommé(e) Sasha. C’est un détail particulier.
L’est-il, (elle), de naissance ? Car si Sacha, avec un c, est un prénom
masculin d’origine slave, Sasha avec s est un prénom féminin
anglo-saxon. Or ce détail dont l’origine n’est pas précisée, est-ce de
naissance ou est-ce récent pour marquer le désir de l’enfant de
changement de genre ? Pourtant on peut penser que le prénom indiqué au
générique du documentaire est le prénom officiel. Celui-ci, au point où
en sont les démarches engagées de changement de genre, au début, n’a pu
donner lieu déjà à un changement officiel d’état civil. Ce serait
probablement donc le prénom de naissance. Avec ce qui y serait indiqué
du désir des parents(?).
La pédopsychiatre :
Avec ce qu’il en a été dit déjà dans les articles joints: qu’elle
refuse d’entendre, qu’elle est choquante d’un abord non psychiatrique,
purement médical. Elle est remarquable. Au sens où même si elle n’a
aucun doute sur la validité de son approche, ni sur celle de sa
réponse, elle est une psychiatre DSM authentique, elle en a l’assurance
et l’autorité, celle de l’objectivité scientifique (! ?). Il n’empêche
qu’il pourrait y avoir dans son regard, ou son attitude, un certain
flottement, dû à l’étonnement d’avoir fait de si longues études, 10
ans, doctorat de médecine plus spécialisation, pour finalement ne tenir
qu’un rôle de guichetière : -« C’est pourquoi ? Changer de sexe ? C’est
depuis longtemps ? » « Non, madame vos considérations subjectives ne
sont pas à prendre en compte » (à la mère qui scrupuleusement
s’interrogeait sur l’effet de son désir d’avoir une fille). « T’en es
malheureux? » (L’enfant pleure). « Donc, tristesse, depuis plus d’un
an, pré-pubère, tu as 7 ans, protocole n°3 : hormonothérapie, et à la
puberté, conservation de quelques spermatozoïdes si par hasard tu
voulais être maman-papa ». Et une attestation, de l’autorité : «
Dysphorie de genre » authentifiée !
Terme étrange que dysphorie : « dysphorie (du grec δύσφορος
(dusphoros), de δυσ- : « difficile », et φέρω : « à supporter »), ou
humeur dysphorique, généralement labile, désigne une perturbation de
l'humeur caractérisée par un sentiment déplaisant et dérangeant
d'inconfort émotionnel ou mental, symptôme de la tristesse, de
l'anxiété, de l'insatisfaction, de la tension, de l'irritabilité, ou de
l'indifférence » ( source wiképédia). Pourrait-on envisager une
dysphorie de couleur (comme Nougaro le chantait : « J’aimerais être
noir de peau ») ou encore envisager une dysphorie automobile :
j’aimerai avoir une Porsche plutôt qu’une Volkswagen, voire de
logement. Divorce-t-on pour dysphorie conjugale ?
Et notre pédopsychiatre ayant fait son travail de cette façon, 4
questions et réponses, sans jamais tenter d’entendre la mère ou
l’enfant, eux-mêmes, juste en enregistrant les faits, il pleure, elle
l’enregistre, mais ne s’approche pas de lui véritablement à l’entendre.
De même la mère. Notre pédopsychiatre ne paraît pas troublée que dans
peu de temps elle soit remplacée par une machine… puisqu’un tel
travail, n’importe quelle intelligence dite artificielle, et pas bien
grande, pourra le réaliser, il suffit d’une tablette et de cases à
cocher…
La danse :
Une des rares séquences où, après celle d’introduction, il, elle,
apparaît seul(e). Sa mère, ou/et elle, ont décidé qu’elle participe à
cette activité typique des petites filles : un cours de danse. Bien
sûr, elle, il, débute, et y est malhabile. Mais ce qui est frappant,
c’est au-delà de cette malhabileté ce que l’image révèle c’est une
gaucherie du corps typiquement masculine ! Typiquement celle d’un
garçonnet : cette gaucherie heurtée, anguleuse, celle d’un jeune garçon
tentant d’imiter la danse d’une sœur par exemple ! J’aimerais avoir
l’avis de quelqu’un s’y connaissant mieux que moi, danseur, ou
psychomotricien… Je suis étonné que le réalisateur ait laissé cette
séquence, ou est-ce que ça allait dans le sens de la participation
compassionnelle au cas de cet enfant ??
Mais, si ce corps, l’image du corps, mais ici non spéculaire, que cet
enfant habite ainsi est celui d’un garçon, que veut dire qu’il soit
déjà déclaré fille, non seulement par lui, c’est son désir, son
fantasme, ou autre, en tout cas, cette habitation de son corps semble
dire que ce n’est pas son gène, mais déclaré fille aussi
officiellement, par sa famille, mais surtout la pédopsychiatrie, et par
là par la société ?
Le père :
Ah les pères absents, défaillants, ceux qui font les délices des
synthèses des établissements et services pour enfants. Qui en
expliquent les psychoses, les névroses, les troubles divers, TDAH, dans
des explications où il n’est plus besoin de s’occuper de la
subjectivité de l’enfant, c’est si compliqué. (D’ailleurs dans ce film,
si je ne l’ai pas noté ailleurs, jamais l’enfant n’est interviewé
directement, on ne l’entend jamais ainsi, toujours que de façon
indirecte et si peu). Donc, ce père, lui, n’est ni carent, ni
défaillant ni absent. Au contraire, pleinement là. Au départ, montrant
un peu d’inertie, mais ensuite, presque un père modèle, attentif aux
membres de sa tribu, il se retrousse les manches. Et en père véritable,
il monte en première ligne et défend sa tribu, quelques soient les
particularités de ses membres. Il, elle, fait partie de la tribu. Il,
elle, est à aimer et à défendre comme tous les autres membres.
Les cheveux :
Un détail : tout le monde dans la famille a les cheveux courts. Le
père, bien sûr, les garçons presque rasés, la fille aînée, coupe très
courte à la garçonne, la mère aussi, bien qu’un peu plus long. Le seul,
seule, ayant des cheveux longs, c’est lui, elle. Cheveux longs signe de
féminité, d’autre chose ?
Le film :
N’y aurait-il pas une solution moins coûteuse pour cette mère et cet
enfant que le passage à l’acte, dans la chair, irréversible, et qui
puisse les rendre aussi heureux que ce passage à l’acte, (dans son
immédiateté montrée : ça va se faire bientôt), leur laisse croire ?
Nous sommes aveuglés par ce duo d’amour, car toujours pensé comme
naturel entre une mère et son enfant. C’est « l’astuce » du film car la
sympathie qu’on ne peut qu’éprouver pour cette mère et son combat fait
passer au second plan ce dont il s’agit, et le considérer comme «
naturel ».
Pour finir quelques remarques :
Nous sommes psychanalystes, et n’avons pas à juger, même d’un savoir
éclairé. Comme analystes nous entendons les discours. Et Lacan nous a
récuré les oreilles. Un film est un discours, à entendre comme tel.
Au-delà de son discours apparent : la dysphorie de genre est un
handicap naturel comme les autres, on peut y entendre un discours
latent dont j’ai essayé de relever certains indices, il y en a
peut-être d’autres, essentiellement dans ce qui se joue entre cette
mère et cet enfant, et ce aussi bien par amour. Jusqu’où cela va nous
n’en saurons rien. Il y a 25 ans maintenant, aux journées sur le
transsexualisme auxquelles j’avais participé, l’hypothèse faite par
Henry Frignet était que le transsexualisme pourrait être, au moins dans certains cas, un délire
mono-idéique, au sens freudien du délire comme tentative de
reconstruction, de solution au risque de perte identitaire. Un
délire cristallisé sur un trait pour parer à pire. Est-ce ce qu’il y a
là, entre l’enfant et la mère, une solution ainsi trouvée, dans leur
amour? Et à quoi et pourquoi ?
L’unanimité des critiques, j’ai cité Télérama et Le Monde, mais aussi
Libération, Paris Match, L’Humanité, Les Inrocks, etc, laisse à penser
qu’il y a là un vrai problème sociétal concernant l’identité. Je
comprends mieux l’agacement de Melman en fin du séminaire d’hiver.
Peut-on se contenter de penser que ce discours social, cette question
identitaire, sont uniquement dus à la chute de la référence paternelle ?