,Un des sujets de mes observations personnelles connaît
personnellement, dans la commune où il est né (localité de 1,300
habitants), 14 uranistes. Il affirme en connaître au moins 80 dans une
ville de 60,000 habitants. Il est à supposer que cet homme, d'ailleurs
digne de foi, ne fait pas de différence entre l'homosexualité
congénitale et acquise.
1. HERMAPHRODISME PSYCHIQUE[92].
[Note
92: Comparez l'article de l'auteur: Ueber psychosexuales Zwitterthum
dans l'Internat. Centrablatt f. d. Physiologie und Pathologie der Harn
und Sexualorgane, t. I, f. 2.]
Ce degré de l'inversion est
caractérisé par le fait que, outre un sentiment et un penchant sexuel
prononcé pour les individus de son propre sexe, il y a encore un
penchant pour l'autre sexe, mais que ce dernier est beaucoup plus
faible que le premier, et ne se manifeste qu'épisodiquement, tandis que
le sentiment homosexuel tient le premier rang et se manifeste, au point
de vue de sa durée, de sa continuité et de son intensité, comme
l'instinct dominant dans la vie sexuelle.
Le sentiment
hétérosexuel peut exister à l'état rudimentaire, éventuellement ne se
manifester que dans la vie inconsciente (les rêves) ou éclater vivement
au jour (du moins épisodiquement).
Les sentiments sexuels pour
l'autre sexe peuvent être consolidés et renforcés par la force de la
volonté, la discipline de soi-même, par le traitement moral, par
l'hypnotisme, par l'amélioration de la constitution physique, par la
guérison des névroses (neurasthénie), et avant tout par l'abstention de
la masturbation.
Mais il y a toujours danger de céder
complètement à l'influence des sentiments homosexuels, ces derniers
ayant une base plus forte, et d'arriver ainsi à l'inversion sexuelle
exclusive et permanente.
Ce danger peut naître surtout sous
l'influence de la masturbation (ainsi que c'est le cas dans l'inversion
acquise), de la neurasthénie ou de son aggravation, conséquence de la
masturbation, puis, par suite de mauvaises tentatives de rapports
sexuels avec des personnes de l'autre sexe (manque de sensation
voluptueuse pendant le coït, échec dans le coït par faiblesse
d'érection, éjaculation précoce, infection).
D'autre part, le
goût esthétique et éthique pour des personnes de l'autre sexe peut
favoriser le développement des sentiments hétérosexuels.
C'est
ainsi qu'il est possible que l'individu, selon la prédominance des
influences favorables ou défavorables, éprouve tantôt un sentiment
hétérosexuel, tantôt un sentiment homosexuel.
Il me paraît fort probable que ces hermaphrodites tarés ne sont pas très rares[93].
[Note
93: Cette supposition est corroborée par un renseignement que M. le
docteur Moll, de Berlin, a eu la bonté de me transmettre et qui
concerne un uraniste célibataire. Celui-ci a pu citer une série de cas,
parmi des gens de sa connaissance, d'hommes mariés qui entretenaient en
même temps une liaison avec un homme.]
Comme, dans la vie
sociale, il n'attire que peu ou pas du tout l'attention, et que ces
secrets de la vie conjugale ne parviennent qu'exceptionnellement à la
connaissance du médecin, on s'explique facilement que cet intéressant
groupe intermédiaire de l'inversion sexuelle, groupe très important au
point de vue pratique, ait jusqu'ici échappé à l'exploration
scientifique.
Bien des cas de frigiditas uxoris et mariti
reposent probablement sur cette anomalie. Les rapports sexuels avec
l'autre sexe sont possibles. Dans tous les cas, dans ce degré
d'inversion, il n'y a pas d'horror sexus alterius. Un terrain bien
favorable s'offre là à la thérapie médicale et surtout morale.
Le
diagnostic différentiel de l'inversion acquise peut être difficile;
car, tant que l'inversion n'a pas fait disparaître tous les restes de
l'ancien sentiment génital normal, le status præsens donnera le même
résultat.
Dans l'état du premier degré, la satisfaction des
penchants homosexuels se fait par l'onanisme passif et mutuel, coitus
inter femora.
OBSERVATION 106 (Hermaphrodisme psychique chez une
dame).--Mme M..., quarante-quatre ans, est un exemple vivant du ce fait
que, dans un être, soit masculin, soit féminin, des tendances
d'inversion sexuelle peuvent subsister avec une vie sexuelle normale.
Le
père de cette dame était très musicien, doué d'un grand talent
d'artiste, viveur, grand admirateur de l'autre sexe, et d'une rare
beauté. Il est mort de démence, dans une maison de santé, après avoir
eu plusieurs accès d'apoplexie. Le frère du père était
névro-psychopathe; ce fut un enfant lunatique; de tout temps il fut
atteint d'hyperesthésie sexuelle. Quoique marié et père de plusieurs
fils mariés, il voulait enlever Mme M..., sa nièce, qui avait dix-huit
ans et dont il était amoureux fou. Le père du père était très
excentrique; artiste remarquable, tout d'abord il étudia la théologie,
mais, à la suite d'une ardente vocation pour l'art dramatique, il
devint acteur et chanteur. Il fit des excès in Baccho et Venere;
prodigue, aimant le luxe, il mourut à l'âge de quarante-neuf ans
d'apoplexie cérébrale. Les parents de la mère sont morts de tuberculose
pulmonaire.
Mme M... avait onze frères et soeurs, dont six
seulement sont restés vivants. Deux frères, tenant au physique de la
mère, sont morts de tuberculose, l'un à l'âge de seize ans, l'autre à
l'âge de vingt ans. Un frère est atteint de phtisie du larynx. Les
quatre soeurs qui sont vivantes, ainsi que Mme M..., tiennent du
physique du père; l'aînée est célibataire, très nerveuse, et fuit la
société. Deux soeurs plus jeunes sont mariées, bien portantes, et ont
des enfants sains. Une autre est virgo et souffre des nerfs.
Mme M... a quatre enfants, dont plusieurs sont très délicats et névropathes.
Sur
son enfance la malade ne sait rien d'important à nous dire. Elle
apprenait facilement, avait des dons pour la poésie et l'esthétique,
passait pour être un peu exaltée, aimait la lecture des romans, les
choses sentimentales; elle était de constitution névropathique, très
sensible aux fluctuations de la température, et attrapait au moindre
courant d'air un cutis anserina très désagréable. Il est encore à noter
que la malade, à l'âge de dix ans, eut l'idée que sa mère ne l'aimait
pas, trempa un jour des allumettes dans du café, le but afin de devenir
bien malade et de provoquer par ce moyen l'affection de sa mère.
Le
développement s'opéra sans difficulté dès l'âge de onze ans. Depuis,
les menstrues sont régulières. Déjà, avant l'époque du développement de
la puberté, la vie sexuelle commença à se faire sentir; d'après les
déclarations de la malade elle-même, ses impulsions sexuelles furent
trop puissantes pendant toute sa vie. Ses premiers sentiments, ses
premières impulsions étaient franchement homosexuels. La malade conçut
une affection passionnée, mais tout à fait platonique, pour une jeune
dame; elle lui dédiait des sonnets et des poésies qu'elle composait;
c'était pour elle un bonheur suprême quand elle pouvait admirer au bain
ou pendant la toilette «les charmes éblouissants de l'adorée» ou bien
dévorer des yeux la nuque, les épaules, et les seins de la belle.
L'impulsion violente de toucher ces charmes physiques fut toujours
combattue et refoulée. Étant jeune fille, elle devint amoureuse des
«Madones» peintes par Raphaël et Guido Reni. Elle avait l'obsession de
suivre pendant des heures entières les belles filles et les belles
femmes dans les rues, quel que fût le temps, en admirant leur maintien
et en guettant le moment de leur être agréable, de leur offrir un
bouquet, etc. La malade m'a affirmé que, jusqu'à l'âge de dix-neuf ans,
elle n'eut absolument aucune idée de la différence des sexes; car elle
avait reçu d'une tante, une vieille vierge très prude, une éducation
tout à fait claustrale. Par suite de cette ignorance, la malade fut la
victime d'un homme qui l'aimait passionnément et qui l'avait décidée à
faire le coït. Elle devint l'épouse de cet homme, mit au monde un
enfant, mena avec lui «une vie sexuelle excentrique», et se sentit
complètement satisfaite par les rapports conjugaux. Peu d'années après,
elle devint veuve. Depuis, les femmes sont redevenues l'objet de son
affection; en première ligne, dit la malade, par peur des suites que
pourraient avoir des rapports avec un homme.
À l'âge de
vingt-sept ans, elle conclut un second mariage avec un homme maladif et
pour lequel elle n'avait pas d'affection. La malade a accouché trois
fois, a rempli ses devoirs maternels; elle dépérit au physique et
éprouva dans les dernières années de sa vie matrimoniale un déplaisir
croissant à faire le coït, bien qu'il y eût toujours en elle un violent
désir de satisfaction sexuelle. Le déplaisir à faire le coït a été en
partie occasionné par l'idée de la maladie de son mari.
Trois
ans après la mort de son second mari, la malade découvrit que sa fille
du premier mariage, âgée de neuf ans, se livrait à la masturbation et
en dépérissait. Elle consulta le Dictionnaire Encyclopédique sur ce
vice, ne put résister à l'impulsion de l'essayer et devint elle aussi
onaniste. Elle ne peut se décider à faire une confession complète sur
cette période de sa vie. Elle affirme avoir été en proie à une terrible
excitation sexuelle et avoir placé hors de la maison ses deux filles
pour les préserver d'«un sort terrible», tandis qu'elle ne voyait aucun
inconvénient à garder avec elle ses deux garçons.
La malade
devint neurasthénique ex masturbatione (irritation spinale, congestion
à la tête, faiblesse, embarras intellectuel, etc.), parfois même
dysthymique avec un tædium vitæ très pénible.
Son sens sexuel la
poussait tantôt vers la femme, tantôt vers l'homme. Elle savait se
dompter, souffrait beaucoup de son abstinence, d'autant plus que, à
cause de ses malaises neurasthéniques, elle n'essayait de se soulager
par la masturbation que dans les cas extrêmes. À l'heure qu'il est,
cette femme, qui a déjà quarante-quatre ans, mais qui a encore ses
menstruations régulièrement, souffre beaucoup de la passion qu'elle a
conçue pour un jeune homme dont elle ne peut pas éviter le voisinage
pour des raisons professionnelles.
La malade, dans son
extérieur, ne présente rien d'extraordinaire: elle est gracieusement
bâtie, d'une musculature faible. Le bassin est tout à fait féminin,
mais les bras et les jambes sont étonnamment grands et d'une
conformation masculine très prononcée. Comme aucune chaussure féminine
ne va à son pied et qu'elle ne veut pas pourtant se faire remarquer,
elle serre ses pieds dans des bottines de femme, de sorte qu'ils en ont
été déformés. Les parties génitales sont développées d'une façon tout à
fait normale, et sans changements, sauf un descensus uteri avec
hypertrophie de la portion vaginale. Dans un examen plus approfondi la
malade se déclare essentiellement homosexuelle; le penchant pour
l'autre sexe, dit-elle, n'est chez elle qu'épisodique et quelque chose
de grossièrement sensuel. Il est vrai qu'elle souffre actuellement
beaucoup de son penchant sexuel pour ce jeune homme de son entourage,
mais elle estime, comme un plaisir plus noble et plus élevé, de pouvoir
poser un baiser sur la joue tendre et ronde d'une jeune fille. Ce
plaisir se présente souvent, car elle est très aimée parmi ces
«gentilles créatures», comme une «tante complaisante», puisqu'elle leur
rend sans se décourager les «services les plus chevaleresques» et se
sent alors toujours être un homme.
OBSERVATION 107 (Inversion
sexuelle, avec satisfaction par rapports hétéro-sexuels).--M. Z...,
trente-six ans, rentier, m'a consulté pour une anomalie de ses
sentiments sexuels, anomalie qui lui fait paraître comme très risquée
la conclusion d'un mariage projeté. Le malade est né d'un père
névropathe qui a, la nuit, des réveils subits avec angoisse. Son
grand-père était aussi névropathe. Un frère de son père est idiot. La
mère du malade et sa famille étaient bien portantes, avec un état
mental normal.
Trois soeurs et un frère, ce dernier atteint de folie morale. Deux soeurs sont bien portantes et vivent heureuses en ménage.
Étant
enfant, le malade était nerveux, souffrait comme son père de
soubresauts nocturnes, mais n'a jamais été atteint de maladies graves,
sauf une coxalgie à la suite de laquelle il est resté boiteux.
Les
impulsions sexuelles se sont éveillées chez lui très tôt. À l'âge de
huit ans, et sans y être incité par quelqu'un, il a commencé à se
masturber. À partir de l'âge de quatorze ans, il a éjaculé du sperme.
Au point de vue intellectuel, il était bien doué; il s'intéressait aux
arts et à la littérature. De tout temps il fut d'une faible
musculature, et ne prit jamais de plaisir aux jeux des garçons, ni plus
tard aux occupations des hommes. Il portait un certain intérêt aux
toilettes féminines, aux attifements et aux occupations de la femme.
Dès l'âge de puberté, le malade s'est aperçu de son affection pour les
individus du sexe masculin. C'étaient surtout les jeunes gars de la
classe populaire qui lui étaient sympathiques. Les cavaliers avaient
pour lui un attrait particulier. Impetu libidonoso sæpe affectus est ad
tales homines aversos se premere. Quodsi in turba populi, si occasio
fuerit bene successit, voluptate erat perfusus; ab vigesimo secundo
anno interdum talis occasionibus semen ejaculavit. Ab hoc tempore idem
factum est si quis, qui ipsi placuit, manum ad femora posuerat. Ab hinc
metuit ne viris manum adferret. Maxime pericolusus sibi homines
plebeios fuscis et adstrictis bracis indutos esse putat. Summum gaudium
ei esset si viros tales amplecti et ad se trahere sibi concessum esset;
sed patriæ mores hoc fieri velant. Pæderastia ei displacet; magnam
voluptatem genitalium virorum adspectus ei affert. Virorum occurentium
genitalia adspici semper coactus est.
Au théâtre, au cirque,
etc., c'étaient les artistes masculins qui seuls l'intéressaient. Le
malade prétend n'avoir jamais remarqué chez lui un penchant pour les
femmes. Il ne les évite pas; à l'occasion, il danse même avec elles,
mais, en le faisant, il ne ressent pas la moindre émotion sexuelle.
À l'âge de vingt-huit ans, le malade était déjà neurasthénique, peut-être bien à la suite de ses excès de masturbation.
Ensuite
ce furent de fréquentes pollutions pendant le sommeil, pollutions qui
l'affaiblissaient. Dans ces pollutions il ne rêvait que très rarement
des hommes, et jamais des femmes. Une fois la pollution fut provoquée
par un rêve lascif dans lequel il commettait un acte de pédérastie.
Sauf ce cas, ses rêves de pollutions lui représentaient des scènes de
mort, des attaques par des chiens, etc. Le malade continuait de
souffrir du plus violent libido sexualis. Souvent il lui venait des
idées voluptueuses d'aller se réjouir à l'abattoir à la vue des bêtes
en agonie ou de se laisser battre par des garçons; mais il résistait à
ce désir de même qu'à l'impulsion de mettre un uniforme militaire.
Pour
se débarrasser de son habitude de la masturbation et pour satisfaire
son libido nimia, il se décida à faire une visite au lupanar. Il tenta
un premier essai de satisfaction sexuelle avec une femme, à l'âge de
vingt et un ans, un jour qu'il avait fait force libations bachiques. La
beauté du corps de la femme, de même que toute nudité féminine, lui
était à peu près indifférente. Mais il était capable de pratiquer le
coït avec plaisir, et il fréquenta dorénavant régulièrement le lupanar,
«pour raisons de santé», comme il disait.
À partir de cette
époque, il trouvait aussi un grand plaisir à se faire raconter par des
hommes leurs rapports sexuels avec des femmes.
Au lupanar, des
idées de flagellation lui viennent très souvent, mais il n'a pas besoin
de fixer ces images pour être puissant. Il considère les rapports
sexuels au lupanar seulement comme des expédients contre son penchant à
la masturbation et à l'amour des hommes, comme une sorte de soupape de
sûreté, afin de ne pas se compromettre un jour devant un homme
sympathique.
Le malade voudrait se marier, mais il craint de ne
pas avoir d'amour et, par conséquent, de n'être pas puissant devant une
honnête femme. Voilà pourquoi il a des scrupules et pourquoi il
consulte un médecin.
Le malade est un personnage très cultivé et
d'un extérieur tout à fait viril. Il ne présente rien d'étrange ni dans
sa mise, ni dans son attitude. Sa démarche et sa voix ont un caractère
tout à fait viril, de même que son squelette et son bassin. Ses parties
génitales sont normalement développées. Elles sont très poilues, de
même que la figure. Personne dans l'entourage, ni dans les
connaissances du malade, ne se doute de son anomalie sexuelle. Dans ses
fantaisies d'inversion sexuelle, dit-il, il ne s'est jamais senti dans
le rôle de la femme vis-à-vis de l'homme. Depuis quelques années, le
malade est resté presque tout à fait exempt de malaises neurasthéniques.
Il
ne saurait dire s'il se considère comme inverti congénital. Il semble
que son faible penchant ab origine pour la femme, à côté de son
penchant très fort pour l'homme, a été affaibli encore par une
masturbation précoce, et au profit de l'inversion sexuelle, mais sans
avoir été complètement réduit à zéro. Avec la cessation de la
masturbation le sentiment pour le sexe féminin a augmenté quelque peu,
mais seulement dans le sens d'une sensualité grossière.
Comme le
malade déclarait être obligé de se marier pour des raisons de famille
et d'affaires, on ne pouvait éluder au point de vue médical cette
question délicate.
Heureusement le malade se bornait à la
question de savoir s'il serait puissant comme mari. On dut lui répondre
qu'en réalité il était puissant et qu'il le serait selon toutes
prévisions avec une femme de son choix, dans le cas où elle lui serait
au moins intellectuellement sympathique.
D'ailleurs, en ayant recours à son imagination, il pourrait toujours améliorer sa puissance.
La
principale chose consisterait à renforcer ses penchants sexuels pour
les femmes, penchants qui n'ont été qu'arrêtés dans leur développement,
mais qui ne lui manquent pas absolument. Il pourrait atteindre ce but
en écartant et en refoulant tout sentiment, toute impulsion
homosexuelle, même avec le concours des influences artificielles et
inhibitives de la suggestion hypnotique (suggestion contre les
sentiments homosexuels), ensuite en s'incitant avec effort aux
sentiments sexuels normaux, par l'abstinence complète de toute
masturbation, et en faisant disparaître les derniers vestiges de l'état
neurasthénique du système nerveux par l'emploi de l'hydrothérapie et,
éventuellement, de la faradisation générale.
Je dois à un
collègue, âgé de trente ans, l'autobiographie suivante qui, à d'autres
points de vue encore, mérite toute attention.
OBSERVATION 108
(Hermaphrodisme psychique; Inversion avortée).--Mon ascendance est
assez lourdement chargée. Mon grand-père du côté paternel était un
viveur gai et un spéculateur; mon père, un homme de caractère intègre,
mais qui, depuis trente ans, est atteint de folie circulaire, sans être
sérieusement empêché de vaquer à ses affaires. Ma mère souffre, comme
son père, d'accès sténocardiaques. Le père de ma mère et le frère de ma
mère auraient été des sexuels hyperesthésiques. Ma soeur unique, qui
est de neuf ans plus âgée que moi, fut atteinte deux fois d'accès
éclamptiques; elle était, à l'âge de la puberté, exaltée au point de
vue religieux et probablement aussi hyperesthésique au point de vue
sexuel. Pendant des années, elle eut à combattre une grave névrose
hystérique; mais maintenant elle est très bien portante.
Comme
fils unique, venu tardivement au monde, je fus le chéri de ma mère, et
je dois à ses soins infatigables d'être, à l'âge de jeune homme, bien
portant, après avoir enduré, enfant et petit garçon, toutes sortes de
maladies infantiles (hydrocéphalie, rougeole, croup, variole; à l'âge
de dix-huit ans, catarrhe intestinal chronique pendant un an). Ma mère,
qui avait des principes religieux très rigoureux, m'a élevé dans ce
sens, sans me gâter, et elle m'a toujours inculqué comme principe
suprême de morale un sentiment de devoir inflexible qui a été développé
jusqu'à la rigidité par un maître d'école que je considère encore
aujourd'hui comme mon ami. Comme, par suite de mon état maladif, j'ai
passé la plus grande partie de mon enfance dans le lit, j'en fus réduit
à des occupations tranquilles et notamment à la lecture. De cette
manière, je suis devenu un garçon précoce, mais non blasé. Déjà, à
l'âge de huit à neuf ans, les passages des livres qui m'intéressaient
le plus étaient ceux où il était question de blessures et d'opérations
chirurgicales que de belles filles ou des femmes avaient dû subir.
Entre autres, un récit où il est raconté comment une jeune fille
s'enfonça une épine dans le pied, et comment cette épine lui fut
retirée par un garçon, me mit dans une excitation très violente; de
plus, j'avais une érection toutes les fois que je regardais la gravure
représentant cette scène, qui cependant n'avait rien de lascif. Autant
qu'il m'était possible, j'allais voir tuer des poulets, et, quand
j'avais manqué ce spectacle, je regardais avec un frisson voluptueux
les taches de sang, je caressais le corps de l'animal encore tout
chaud. Je dois faire remarquer ici que, de tout temps, je fus un grand
amateur de bêtes, et que l'abatage de plus grands animaux, même la
vivisection des grenouilles, m'inspiraient du dégoût et de la pitié.
Aujourd'hui
encore, l'égorgement des poulets a pour moi un grand charme sexuel,
surtout quand on les étrangle; j'éprouve des battements de coeur et une
oppression précordiale. Fait intéressant, mon père avait la passion de
ligotter les deux mains à des filles ou à des jeunes femmes.
Je
crois qu'une autre de mes anomalies sexuelles doit encore être
rattachée à cette fibre cruelle de mon caractère. Ainsi que je le
raconterai plus loin, un de mes jeux favoris était un théâtre de
poupées que j'improvisais et où j'indiquais le sujet aux exécutants. Il
y avait dans la pièce une jeune fille qui, sur l'ordre sévère de son
père--c'était toujours moi,--devait se soumettre à une opération
douloureuse du pied exécutée par le médecin. Plus la poupée pleurait et
se désolait, plus ma satisfaction était grande. Pourquoi ai-je toujours
désigné le pied comme lieu de l'opération chirurgicale? Cela s'explique
par le fait suivant. Étant petit garçon, j'arrivai par hasard au moment
où ma soeur aînée changeait de bas. En la voyant vite cacher ses pieds,
mon attention fut éveillée, et bientôt la vue de ses pieds nus
jusqu'aux chevilles devint l'idéal de mes désirs.
Bien entendu,
cela fit que ma soeur redoubla de précautions; et c'est ainsi qu'il
s'engagea une lutte continuelle où j'employais toutes les armes: la
ruse, la flatterie et les explosions de colère, et que je soutins
jusqu'à l'âge de dix-sept ans. Pour le reste, ma soeur m'était
indifférente; les baisers qu'elle me donnait m'étaient même
désagréables. Faute de mieux, je me contentais des pieds de nos bonnes;
mais les pieds masculins me laissaient froid. Mon plus vif désir aurait
été de pouvoir couper les ongles ou, sit venia verbo, les
oeils-de-perdrix d'un beau pied de femme. Mes rêves érotiques
tournaient toujours autour de ce sujet; ce qui plus est, je ne me suis
consacré à l'étude de la médecine que dans l'espoir d'avoir l'occasion
de satisfaire mon penchant ou de m'en guérir. Dieu merci! c'est ce
dernier moyen qui m'a réussi. Quand j'eus fait ma première dissection
des extrémités inférieures de la femme, le charme funeste était rompu;
je dis funeste, car en moi-même je rougissais de ces penchants. Je
crois pouvoir omettre d'autres détails sur cette passion étrange qui
m'a même enthousiasmé jusqu'à faire des poésies, et qui a été déjà
décrite souvent en d'autres endroits.
Passons à la dernière page de mes aberrations sexuelles.
J'avais
environ treize ans et commençais à changer de voix, lorsqu'un camarade
d'école, qui était incidemment chez nous comme hôte, m'agaça un soir en
me poussant avec son pied nu qu'il sortait de la couverture. J'attrapai
son pied, et aussitôt je fus pris d'une excitation très violente qui
fut suivie d'une pollution, la première que j'eus. Le garçon avait une
structure de fille à s'y méprendre, et ses dispositions intellectuelles
étaient conformes à cette particularité de son corps. Un autre
camarade, qui avait des pieds et des mains très petits et très délicats
et que je vis un jour au bain, me causa une très violente excitation.
Je considérais comme un très grand bonheur de pouvoir coucher avec l'un
ou avec l'autre dans le même lit, mais je n'ai nullement pensé à un
rapport sexuel plus intime et qui aurait dépassé une simple accolade.
D'ailleurs, je repoussais avec horreur de pareilles idées.
Quelques
années plus tard, à l'âge de seize à dix-huit ans, je fis la
connaissance de deux autres garçons qui ont réveillé mon sentiment
sexuel. Quand je me colletais avec eux, j'avais immédiatement des
érections. Tous les deux étaient des garçons énergiques, gais, d'une
conformation délicate, d'habitus enfantin. Lorsqu'ils atteignirent
l'âge de puberté, aucun d'eux ne put plus m'inspirer un intérêt
profond, bien que j'eusse conservé pour tous les deux un intérêt
amical. Je ne me serais jamais laissé entraîner à des pratiques
d'impudicité avec eux.
Quand je me suis fait inscrire à
l'Université, j'oubliai complètement ces phénomènes de mon libido
sexualis; mais, par principe, je me suis abstenu jusqu'à l'âge de
vingt-quatre ans de tout rapport sexuel, malgré les railleries de mes
collègues. Comme alors les pollutions devenaient trop fréquentes, que
j'avais à craindre de la sorte de contracter éventuellement une
cérébralasthénie ex abstinentia, je me jetai dans la vie sexuelle
normale, et ce fut pour mon bien, malgré que j'en aie fait un assez
grand usage.
Si je suis presque impuissant en face des puellæ
publicæ, et si le corps nu de la femme me dégoûte plutôt qu'il ne
m'attire, cela tient probablement aux branches spéciales de la médecine
que j'ai étudiées pendant des années.
L'acte me satisfait
toujours mieux quand je peux, en le faisant, fixer l'idée de la vis;
mais, comme d'autre part, l'idée m'est insupportable que cette fille
est satisfaite par d'autres que par moi, j'ai résolu, depuis des
années, comme une nécessité pour l'équilibre de mon âme, de me payer
une femme entretenue et autant que possible une virgo, bien que ces
sacrifices matériels me grèvent lourdement. Autrement la jalousie la
plus absurde me rendrait incapable de travailler. Je dois encore
rappeler que, à l'âge de treize ans, je devins pour la première fois
amoureux, mais platoniquement, et depuis j'ai souvent soupiré avec des
langueurs de trouvère. Ce qui distingue mon cas de tous les autres,
c'est que je ne me suis jamais masturbé de ma vie.
Il y a
quelques semaines, je fus effrayé: pendant mon sommeil, j'avais rêvé de
pueris nudis, et je m'étais éveillé avec une érection.
Enfin, je
vais entreprendre la tâche toujours délicate de vous dépeindre mon état
actuel. De taille moyenne, élégamment bâti, crâne dolichocéphale de 59
centimètres de circonférence, avec bosses frontales très proéminentes;
regard un peu névropathique, pupilles moyennes, mâchoire très
défectueuse. Musculature forte. Chevelure forte, blonde. À gauche,
varicocèle; le frein était trop court, me gênait pendant le coït; je le
coupai moi-même, il y a trois ans. Depuis, l'éjaculation est retardée,
la sensation de volupté diminuée.
Tempérament coléreux, don
d'assimilation rapide; bonnes facultés pour combiner avec énergie; pour
un héréditaire, je suis très tenace; j'apprends facilement les langues
étrangères, j'ai l'oreille musicale, mais autrement pas de talents
artistiques. Zélé pour mes devoirs, mais toujours rempli du tædium
vitæ, tendances au suicide auxquelles je n'ai résisté que par religion
et par égard pour ma mère adorée. Du reste, candidat typique au
suicide. Ambitieux, jaloux, paralysophobe et gaucher. J'ai des idées
socialistes. Chercheur d'aventures, car je suis très brave; j'ai résolu
de ne me jamais marier.
OBSERVATION 109 (Hermaphrodisme
psychique; autobiographie).--Je suis né en 1868. Les familles de mes
deux parents sont saines. Dans tous les cas, il n'y eut chez eux aucune
maladie mentale. Mon père était commerçant; il a maintenant
soixante-cinq ans, est nerveux depuis des années et très enclin à la
mélancolie. Avant son mariage, mon père, dit-on, aurait été un vaillant
viveur. Ma mère est bien portante, quoique pas très forte. J'ai une
soeur et un frère bien portants.
Moi-même je me suis développé
sexuellement de très bonne heure; à l'âge de quatorze ans, j'avais
tellement de pollutions que j'en fus effrayé. Je ne puis plus dire dans
quelles circonstances ces pollutions se manifestaient ni par quel genre
de rêves elles étaient provoquées. Le fait est que, depuis des années,
je ne me sens attiré sexuellement que vers les hommes et que, malgré
toute mon énergie et malgré une lutte terrible, je ne puis pas vaincre
ce penchant contre nature qui me répugne tant. Dans les premières
années de ma vie, dit-on, j'aurais enduré beaucoup de maladies graves,
de sorte qu'on craignit pour ma vie. De là vient aussi que plus tard on
m'a gâté et trop choyé. J'étais confiné souvent à la chambre; j'aimais
mieux jouer avec des poupées qu'avec des soldats; je préférais en
général les jeux tranquilles de la chambre aux jeux bruyants de la rue.
À l'âge de dix ans, on me mit au lycée. Bien que je fusse très
paresseux, je comptai parmi les meilleurs élèves, car j'apprenais avec
une facilité extraordinaire, et j'étais le favori de mes professeurs.
Depuis mon âge le plus tendre (sept ans), j'eus plaisir à être avec les
petites filles. Je me rappelle que, jusqu'à l'âge de treize ans,
j'entretenais avec elles des liaisons d'amour, que j'étais jaloux de
ceux qui parlaient à l'objet de mon amour, que j'avais plaisir à
regarder sous les jupons des amies de ma soeur et des bonnes, et que
j'avais des érections quand je touchais le corps de mes petites
camarades de jeux. Je ne puis pas me rappeler avec exactitude si, à cet
âge précoce, les garçons avaient pour moi un aussi puissant attrait et
m'émotionnaient sexuellement. J'eus toujours beaucoup de plaisir à la
lecture des pièces de théâtre: j'avais un théâtre de poupées, je
contrefaisais les artistes que je voyais au grand théâtre et surtout,
cherchant pour moi les rôles de femmes, je me plaisais alors à
m'affubler de vêtements de femmes.
Quand l'éveil de ma vie
sexuelle est devenu plus fort, le penchant pour les garçons l'emporta.
Je devins tout à fait amoureux de mes camarades; j'éprouvais un
sentiment voluptueux quand l'un d'eux, qui me plaisait, me touchait le
corps. Je devins très farouche, je refusais d'aller à la leçon de
gymnastique et de natation. Je croyais être fait autrement que mes
camarades, et j'étais gêné quand je me déshabillais devant eux. J'avais
plaisir à adspicere mentulam commilitum meorum, et j'avais des
érections très faciles. Je ne me suis masturbé qu'une fois dans ma
jeunesse. Un ami me raconta qu'on pouvait avoir du plaisir sans une
femme; j'en essayai, mais je n'y éprouvai aucune jouissance. À cette
époque, le hasard me fit tomber entre les mains un livre qui prévenait
contre les conséquences funestes de l'onanisme. Je ne revins plus à mon
premier essai. À l'âge de quatorze ou quinze ans, je fis la
connaissance de deux garçons un peu plus jeunes que moi, mais qui
m'excitaient sexuellement à un très haut degré. C'était surtout de l'un
d'eux que j'étais amoureux. À son approche, j'étais ému sexuellement;
j'étais inquiet quand il n'était pas là, jaloux de tous ceux qui lui
parlaient et embarrassé en sa présence. Celui-ci ne se doutait pas du
tout de mon état. Je me sentais très malheureux, je pleurais souvent et
volontiers, car les pleurs me soulageaient. Pourtant je ne pouvais pas
comprendre ce sentiment, et j'en sentais bien le caractère irrégulier.
Ce qui me rendait particulièrement malheureux alors, c'est que ma
faculté pour le travail sembla disparaître tout d'un coup. Moi qui
autrefois apprenais avec la plus grande facilité, j'éprouvai subitement
la plus grande difficulté: mes idées n'étaient jamais à la question,
mais vagabondaient. C'était par le déploiement de toute mon énergie que
j'arrivais à faire entrer quelque chose dans ma tête. J'étais obligé de
répéter à haute voix ma leçon afin de maintenir mon attention en éveil.
Ma mémoire, autrefois si bonne, me trahissait souvent. Je restais,
malgré tout, un bon élève; je passe encore aujourd'hui pour un homme
bien doué; mais j'ai une difficulté terrible à me graver quelque chose
dans la mémoire. J'employai alors toute mon énergie pour sortir de cet
état pitoyable. J'allais tous les jours faire de la gymnastique, de la
natation et des promenades à cheval; je fréquentais assidûment la salle
d'armes, et je trouvais beaucoup de plaisir à tous ces exercices.
Aujourd'hui encore, je me sens très à mon aise quand je suis à cheval,
bien que je ne m'entende pas bien en fait d'équitation et que je n'aie
pas un don particulier pour les exercices de corps. Les relations avec
mes camarades me faisaient beaucoup de plaisir, je ne manquais à aucune
«beuverie»; je fumais et j'étais très populaire parmi eux. Je
fréquentais beaucoup les brasseries, j'aimais à m'amuser avec les
filles de brasserie, sans cependant en être sexuellement ému. Aux yeux
de mes amis et de mes professeurs, je passais pour un homme débauché,
un grand coureur de femmes. Malheureusement, c'était à tort.
À
l'âge de dix-neuf ans, je devins élève de l'Université. Je passai mon
premier semestre à l'Université de B... J'en ai gardé jusqu'à
aujourd'hui un souvenir terrible. Mes besoins sexuels se faisaient
sentir avec une violence extrême; je courais toute la nuit, surtout
quand j'avais beaucoup bu, pour chercher des hommes. Heureusement je ne
trouvais personne. Le lendemain d'une pareille promenade, j'étais
toujours hors de moi-même. Le deuxième semestre, je me fis inscrire à
l'Université de M...; ce fut l'époque la plus heureuse de ma vie.
J'avais des amis gentils; fait curieux, je commençais à avoir du goût
pour les femmes, et j'en étais bien heureux. Je nouai une liaison
d'amour avec une fille jeune mais débauchée, avec laquelle je passai
bien des nuits échevelées; j'étais extraordinairement apte aux joutes
amoureuses.
Après le coït je me sentais dispos et aussi bien que
possible. Outre cela, moi qui avais toujours été chaste, j'avais
beaucoup de relations avec des femmes. Chez la femme, ce n'était pas le
corps qui me charmait, car je ne le trouvais jamais beau, mais un
certain je ne sais quoi; bref, je connaissais les femmes et leur seul
contact me donnait une érection. Cette joie et cet état ne durèrent pas
longtemps; je commis la bêtise de prendre une chambre commune avec un
ami. C'était un jeune homme aimable, doué de talents et redouté des
femmes; ces qualités m'avaient vivement attiré. En général, je n'aime
que les hommes instruits, tandis que les hommes vigoureux mais sans
éducation ne peuvent m'exciter vivement que pour un moment, sans jamais
m'attacher. Bientôt je devins amoureux de mon ami. Alors arriva la
période terrible qui a détraqué ma santé. Je couchais dans la même
chambre que mon ami; j'étais obligé de le voir tous les jours se
déshabiller devant moi; je dus rassembler toute mon énergie pour ne pas
me trahir. J'en devins nerveux; je pleurais facilement, j'étais jaloux
de tous ceux qui causaient avec lui. Je continuais toujours à avoir des
rapports avec des femmes, mais ce n'était que difficilement que je
pouvais arriver à faire le coït, qui me dégoûtait ainsi que la femme.
Les
mêmes femmes, qui autrefois m'excitaient le plus vivement, me
laissaient froid. Je suivis mon ami à W... où il rencontra un ami
d'autrefois avec lequel il prit une chambre commune. Je devins jaloux,
malade d'amour et de nostalgie. En même temps je repris mes rapports
avec les femmes; mais ce n'est que rarement et avec beaucoup de peine
que j'arrivais à accomplir le coït. Je devins terriblement déprimé, et
je fus près de devenir fou. Du travail, il n'en était plus question. Je
menais une vie insensée et fatigante; je dépensais des sommes énormes;
je jetais pour ainsi dire l'argent par les fenêtres. Un mois et demi
plus tard je tombai malade, et on dut me transporter dans un
établissement d'hydrothérapie, où je passai plusieurs mois. Là je me
suis ressaisi; bientôt je devins très aimé de la société; car je puis
être très gai et je trouve beaucoup de plaisir dans la société des
dames instruites. Pour la conversation, je préfère les dames mariées
aux jeunes demoiselles, mais je suis aussi très gai dans la compagnie
des messieurs, à la table de la brasserie et au jeu de quilles.
Je
rencontrai, dans l'établissement hydrothérapique, un jeune homme de
vingt-neuf ans qui évidemment avait les mêmes prédispositions que moi.
Cet homme-là cherchait à se fourrer contre moi, voulait m'embrasser;
mais cela me répugnait beaucoup, bien qu'il m'excitât et que son
contact me donnât des érections et même de l'éjaculation. Un soir cet
homme me décida à faire de la masturbatio mutua. Je passai ensuite une
nuit terrible, sans sommeil; j'avais un dégoût horrible de cette
affaire et je pris la résolution ferme de ne plus jamais pratiquer
pareille chose avec un homme. Pendant des jours entiers, je ne pus me
tranquilliser. Cela m'épouvantait que cet homme, malgré tout et en
dépit de ma volonté, pût m'exciter sexuellement; d'autre part,
j'éprouvais une satisfaction à voir qu'il était amoureux de moi et que,
évidemment, il avait à traverser les mêmes luttes que moi. Je sus le
tenir à l'écart.
Je me fis inscrire dans diverses Universités;
je fréquentai encore plusieurs établissements hydrothérapiques,
obtenant des guérisons momentanées, mais jamais durables. Je
m'amourachai encore par-ci par-là d'un ami, mais jamais plus je n'eus
une passion aussi violente que celle que j'eus pour l'ami de M... Je
n'avais plus de rapports sexuels, ni avec des femmes, car j'en étais
incapable, ni avec des hommes, car je n'en avais pas l'occasion, et je
m'efforçais de me détourner d'eux. J'ai rencontré encore souvent l'ami
de M...; nous sommes maintenant plus amis que jamais; sa vue ne
m'excite plus, ce dont je suis bien aise. Il en est toujours ainsi;
quand j'ai perdu de vue pour quelque temps une personne qui m'avait
excité sexuellement, l'influence sexuelle disparaît.
J'ai passé
mes examens brillamment. Pendant la dernière année, avant mes examens,
j'ai commencé à pratiquer l'onanisme, c'est-à-dire à l'âge de
vingt-trois ans, ne pouvant satisfaire autrement mon instinct génital
qui devenait très gênant. Mais je ne me livrai à la masturbation que
rarement, car, après l'acte, j'étais rempli de dégoût et je passais une
nuit blanche. Quand j'ai beaucoup bu, je perds toute mon énergie. Alors
je cours des heures entières à la recherche des hommes et finis par en
arriver à la masturbation pour me réveiller le lendemain la tête
lourde, avec le dégoût de moi-même, et pour rester en proie à une
profonde mélancolie les jours suivants. Tant que j'ai de l'empire sur
moi, je cherche à combattre mon naturel avec toute l'énergie dont je
dispose. C'est horrible de ne pouvoir entrer en relations tranquilles
avec aucun de ses amis, et de tressaillir à la vue de tout soldat ou de
tout garçon boucher. C'est horrible, quand la nuit vient et que je
guette à ma fenêtre si au mur d'en face, il n'y a pas quelqu'un qui
pisse et me fournisse l'occasion de voir ses parties génitales. Ils
sont horribles ces rêves, et surtout la conviction de l'immoralité, du
caractère criminel de mes désirs et de mes sentiments. J'ai de moi-même
un dégoût qu'on ne peut guère décrire. Je considère mon état comme
morbide. Je ne peux pas le prendre pour congénital, je crois plutôt que
ce penchant m'a été inculqué à la suite d'une éducation manquée. Ma
maladie me rend égoïste et dur pour les autres; elle étouffe chez moi
toute bonhomie et tout égard pour ma famille. Je suis capricieux,
souvent excité jusqu'à la folie, souvent triste; de sorte que je ne
sais pas comment me sortir d'embarras; alors j'ai les pleurs faciles.
Et pourtant j'ai un dégoût pour les rapports sexuels avec les hommes.
Un soir que je revenais du cabaret, ivre et excité, et que j'avais
perdu à demi conscience, l'âme pleine de libido, je me promenai dans un
square public; je rencontrai un jeune homme qui me décida à faire un
acte de masturbation mutuelle. Bien qu'il m'excitât, je fus après
l'acte tout à fait hors de moi. Aujourd'hui même, quand je passe devant
ce square, je suis pris de dégoût; récemment encore, comme j'y passais
à cheval, je tombai sans aucune raison de ma monture docile, tellement
le souvenir de cette vilenie m'avait révolté.
J'aime les
enfants, la famille et la société, et je suis, grâce à ma position
sociale, en état de fonder et de diriger un ménage. Je dois renoncer à
tout cela, et pourtant je ne peux pas renoncer à l'espoir de guérir.
Ainsi, je suis balancé entre la joie de l'espérance et un désespoir
terrible; je néglige mon métier et ma famille. Je ne désire même pas
arriver à me marier et fonder une famille. Je serais content si je
pouvais dompter cet horrible penchant pour le sexe masculin, si je
pouvais communiquer tranquillement avec mes amis et reprendre l'estime
de moi-même.
Personne ne peut se faire une idée de mon état; je
passe pour un «vert galant» et je cherche à me maintenir cette
réputation. J'essaie souvent de nouer des liaisons avec des filles, car
l'occasion se présente souvent. J'en ai déjà connu plus d'une qui
m'aimait et qui m'aurait sacrifié son honneur; mais je ne puis lui
offrir de l'amour, je ne puis rien lui donner sexuellement. Je pourrais
bien aimer un homme; je ne suis excité que par des hommes très jeunes,
des jouvenceaux de dix-sept à vingt-cinq ans, qui ne portent pas de
favoris ou, ce qui est mieux encore, qui ne portent pas de barbe du
tout. Je ne puis aimer que ceux qui sont très instruits, convenables,
et de manières aimables. Moi-même je suis de petite taille, très
vaniteux, très étourdi, très exalté aussi; je me laisse facilement
guider par des personnes qui me plaisent et que je cherche à imiter en
tout, mais je suis aussi très susceptible et facile à froisser.
J'attache une très grande valeur aux apparences; j'aime les beaux
meubles et les beaux vêtements, et je m'en laisse imposer par des
manières aristocratiques et une mise élégante. Je suis malheureux de ce
que mon état neurasthénique m'empêche d'étudier et de cultiver tout ce
que je voudrais.
J'ai fait la connaissance d'un malade pendant
l'automne dernier. Il n'a pas de stigmates de dégénérescence; il est
d'un habitus tout à fait viril, bien que d'une constitution délicate et
frêle. Les parties génitales sont normales. L'extérieur, distingué, n'a
rien d'étrange. Il maudit sa perversion sexuelle dont il voudrait se
débarrasser à tout prix. Malgré tous les efforts du médecin ainsi que
du malade, on n'a pu obtenir qu'un degré d'hypnose très léger et
insuffisant pour un traitement par suggestion.
OBSERVATION 110
(Hermaphrodisme psychique; fétichisme de la bouche).--J'ai trente et un
ans; je suis employé dans une fabrique. Mes parents sont bien portants
et n'ont rien de maladif. On dit que mon grand-père paternel a souffert
du cerveau; ma grand'mère maternelle est morte mélancolique; un cousin
de ma mère était un alcoolique; plusieurs autres parents proches sont
anormaux au point de vue psychique.
J'avais quatre ans lorsque
mon instinct génital commença à s'éveiller. Un homme de vingt et
quelques années, qui jouait avec nous autres enfants et qui nous
prenait sur ses bras, me donna l'envie de l'enlacer et de l'embrasser
violemment. Ce penchant à embrasser sensuellement sur la bouche est
très caractéristique dans mon état, car cette manière d'embrasser est
chez moi le charme principal de ma satisfaction sexuelle.
J'ai
éprouvé un mouvement analogue à l'âge de neuf ans. Un homme laid, même
sale, à barbe rousse, m'a donné cette envie d'embrasser.
Alors
se montra chez moi pour la première fois, un symptôme qu'on retrouve
encore aujourd'hui: par moments les choses viles, même les personnes en
vêtements sales et communes dans leurs manières, exercent un charme
particulier sur mes sens.
Au lycée je fus, de onze à quinze ans,
passionnément amoureux d'un camarade. Là aussi mon plus grand plaisir
aurait été de l'enlacer de mes bras et de l'embrasser sur la bouche.
Parfois j'étais pris pour lui d'une passion telle que je n'en ai jamais
eu depuis de plus forte pour les personnes aimées. Mais, autant que je
me rappelle, je n'eus des érections que vers l'âge de treize ans.
Durant
ces années, je n'eus, comme je viens de le dire, que l'envie d'enlacer
de mes bras et d'embrasser sur la bouche; cupiditas videndi vel
tangendi aliorum genitalia mihi plane deerat. J'étais un garçon tout à
fait naïf et innocent, et j'ignorai, jusqu'à l'âge de quinze ans, tout
à fait la signification de l'érection; de plus, je n'osais pas même
embrasser l'aimé, car je sentais que je faisais là un acte étrange.
Je
n'éprouvais pas le besoin de me masturber, et j'eus la chance du ne pas
y avoir été entraîné par des camarades plus âgés. En général, je ne me
suis jamais masturbé jusqu'ici; j'ai une certaine répugnance pour cela.
À
l'âge de quatorze à quinze ans, je fus pris de passion pour une série
de garçons dont quelques-uns me plaisent encore aujourd'hui. Ainsi, je
fus très amoureux d'un garçon auquel je n'ai jamais parlé; pourtant,
j'étais heureux rien qu'en le rencontrant dans la rue.
Mes
passions étaient de nature sensuelle; cela ressort déjà du fait que,
rien qu'en pressant la main de l'individu aimé et en le caressant,
j'avais de violentes érections.
Mais mon plus grand plaisir a été toujours amplecti et os osculari; je ne demandais jamais autre chose.
J'ignorais
que le sentiment que j'éprouvais était de l'amour sexuel, seulement je
me disais qu'il était impossible que j'éprouve seul de pareilles
délices. Jusqu'à l'âge de quinze ans, jamais femme ne m'avait excité;
un soir que j'étais seul avec la bonne dans ma chambre, j'éprouvai la
même envie que j'avais jusqu'ici pour les garçons; je plaisantai
d'abord avec elle, et quand je vis qu'elle se laissait faire
volontiers, je la couvris de baisers; voluptatem sensi tantam quantam
nunc rarissime sentio. Alter alterius os osculati sumus et post X
minutas pollutio evenit. C'est ainsi que je me satisfaisais deux à
trois fois par semaine: bientôt je nouai une liaison analogue avec une
de nos cuisinières et d'autres bonnes encore. Ejuculatio semper evenit
postquam X fere minutas nos osculati sumus.
Entre temps, je pris
des leçons de danse: c'est alors que, pour la première fois, je fus
épris d'une demoiselle de bonne famille. Cet amour disparut bientôt;
j'aimai encore une autre jeune fille dont je n'ai jamais fait la
connaissance, mais dont la vue exerçait sur moi la même force
d'attraction que la vue des jeunes gens; j'éprouvai pour elle plus que
cette chaleur sensuelle que je sentais en d'autres occasions pour les
filles. Mon penchant pour les filles était, à cette époque, arrivé à
son point culminant: les filles me plaisaient à peu près autant que les
garçons. Je satisfaisais ma sensualité, ainsi que je l'ai dit plus
haut, en embrassant la bonne, ce qui provoquait toujours une pollution.
C'est ainsi que je passai ma vie, de l'âge de seize ans jusqu'à
dix-huit. Le départ de nos bonnes me priva de l'occasion de satisfaire
mes sens. Vint alors une période de deux à trois ans, pendant laquelle
j'ai dû renoncer aux jouissances sexuelles; en général, les filles me
plaisaient moins; devenu un peu plus grand, j'eus honte de me commettre
avec des servantes. Il m'était impossible de me procurer une maîtresse,
car, malgré mon âge, j'étais rigoureusement surveillé par mes parents;
je ne fréquentais que peu les jeunes gens, de sorte que je n'avais que
très peu d'esprit d'initiative. À mesure que le penchant pour les
femmes diminuait, l'attrait pour les jeunes gens augmentait.
Comme,
depuis l'âge de seize ans, j'avais beaucoup de pollutions en rêvant
tantôt de femmes, tantôt d'hommes, pollutions qui m'affaiblissaient
beaucoup et déprimaient complètement mon humeur, je voulus absolument
essayer du coït normal.
Cependant, des scrupules et l'idée que
des filles publiques ne pourraient m'exciter, m'empêchèrent, jusqu'à
l'âge de vingt et un ans, d'aller au bordel. Je soutins, pendant deux
ou trois ans, un combat quotidien (s'il y avait eu des bordels
d'hommes, aucun scrupule n'aurait pu m'empêcher d'y aller). Enfin,
j'allai un jour au lupanar; je n'arrivai pas même à l'érection, d'abord
parce que la fille, bien que jeune et assez fraîche pour une
prostituée, n'avait pas de charme pour moi, ensuite parce qu'elle ne
voulut pas m'embrasser sur la bouche. Je fus très déprimé et je me crus
impuissant.
Trois semaines après, je visitai aliam meretricem
quæ statim osculo erectionem effecit; erat robusto corpore, habuit
crassa labia, multo libidinosior quam prior. Jam post tres minutas
oscula sola in os data ejaculationem ante portam effecerunt. J'allai
sept fois chez des prostituées, pour essayer d'arriver au coït.
Parfois,
je n'arrivais point à avoir d'érection, parce que la fille me laissait
froid; d'autres fois, j'éjaculais trop tôt. En somme, les premières
fois, j'eus quelque répugnance à penem introducere, et même, après
avoir réussi à faire le coït normal, je n'y éprouvai aucun charme. La
satisfaction voluptueuse est produite par des baisers sur la bouche,
c'est pour moi le plus important; le coït n'est que quelque chose
d'accessoire qui doit servir à rendre plus étroit l'enlacement. Le coït
seul, quand même la femme aurait pour moi les plus grands charmes, me
serait indifférent sans les baisers, et même, dans la plupart des cas,
l'érection cesse ou elle n'a pas lieu du tout quand la femme ne veut
pas m'embrasser sur la bouche. Je ne peux pas embrasser n'importe
quelles femmes, mais seulement celles dont la vue m'excite; une
prostituée dont l'aspect me déplaît ne peut me mettre en chaleur,
malgré tous les baisers qu'elle pourrait me prodiguer et qui ne
m'inspireraient que du dégoût.
Ainsi, depuis quatre ans, je
fréquente tous les dix à quinze jours le lupanar; ce n'est que rarement
que je ne réussis pas à coïter, car je me suis étudié à fond, et je
sais, en choisissant la puella, si elle m'excitera ou si elle me
laissera froid. Il est vrai que, ces temps derniers, il m'est arrivé de
nouveau de croire qu'une femme m'exciterait et que pourtant aucune
érection ne s'est produite. Cela se produisait surtout quand, les jours
précédents, j'avais dû faire trop d'efforts pour étouffer mon penchant
pour les hommes.
Dans les premiers temps de mes visites au
lupanar, mes sensations voluptueuses étaient très minimes; je
n'éprouvais que rarement un vrai plaisir (comme autrefois par les
baisers). Maintenant, au contraire, j'éprouve, dans la plupart des cas,
une forte sensation de volupté. Je trouve un charme particulier aux
lupanars de basse espèce; car, depuis ces temps derniers, c'est
l'avilissement des femmes, l'entrée obscure, la lueur blafarde des
lanternes, en un mot tout l'entourage qui a pour moi un attrait
particulier; la principale raison en est, probablement, que ma
sensualité est inconsciemment stimulée par le fait que ces endroits
sont très fréquentés par des militaires, et que cette circonstance
revêt pour ainsi dire la femme d'un certain charme.
Quand je trouve alors une femme dont la figure m'excite, je suis capable d'éprouver une très grande volupté.
En
dehors des prostituées, mes désirs peuvent encore être excités surtout
par des filles de paysans, des servantes, des filles du peuple et, en
général, par celles qui sont habillées grossièrement et pauvrement.
Un
fort coloris des joues, des lèvres épaisses, des formes robustes: voila
ce qui me plaît avant tout. Les dames et les demoiselles distinguées me
sont absolument indifférentes.
Mes pollutions ont lieu, la
plupart du temps, sans me procurer aucune sensation de volupté; elles
se produisent souvent quand je rêve d'hommes, très rarement ou presque
jamais quand je rêve de femmes. Ainsi qu'il ressort de cette dernière
circonstance, mon penchant pour les jeunes hommes subsiste toujours,
malgré la pratique régulière du coït. Je peux même dire qu'il a
augmenté, et cela dans une mesure considérable. Quand, immédiatement
après le coït, les filles n'ont plus de charme pour moi, le baiser
d'une femme sympathique pourrait, au contraire, me mettre tout de suite
en érection; c'est précisément dans les premiers jours qui suivent le
coït que les jeunes hommes me paraissent le plus désirables.
En
somme, les rapports sexuels avec les femmes ne satisfont pas
entièrement mon besoin sensuel. Il y a des jours où j'ai des érections
fréquentes avec un désir ardent d'avoir des jeunes gens; ensuite
viennent des jours plus calmes, avec des moments d'une indifférence
complète à l'égard de toute femme et un penchant latent pour les hommes.
Une
trop grande accalmie sensuelle me rend pourtant triste, surtout quand
ce calme suit des moments d'excitation supprimée; ce n'est que lorsque
la pensée des jeunes gens aimés me donne de nouvelles érections que je
me sens de nouveau le moral relevé. Le calme fait alors brusquement
place à une grande nervosité; je me sens déprimé, j'ai parfois des maux
de tête (surtout après avoir refoulé les érections); cette nervosité va
souvent jusqu'à une agitation violente que je cherche alors à apaiser
par le coït.
Un changement essentiel dans ma vie sexuelle s'est
opéré l'année passée, quand j'eus pour la première fois l'occasion de
goûter à l'amour des hommes. Malgré le coït avec les femmes, qui me
faisait plaisir--(à vrai dire c'étaient les baisers qui me faisaient
plaisir et provoquaient l'éjaculation),--mon penchant pour les jeunes
gens ne me laissait pas tranquille. Je résolus d'aller dans un lupanar
fréquenté par beaucoup de militaires et de me payer un soldat en cas
extrême. J'eus la chance de tomber bientôt sur un individu qui pensait
comme moi et qui, malgré la très grande infériorité de sa position
sociale, n'était pas indigne de moi ni par ses manières, ni par son
caractère. Ce que j'éprouvai pour ce jeune homme--(et je l'éprouve
encore),--c'est bien autre chose que ce que j'éprouve pour les femmes.
La jouissance sensuelle n'est pas plus grande que celle que me
procurent les prostituées, dont l'accolade et les baisers m'excitent
beaucoup; avec lui je peux toujours éprouver une sensation de volupté
et j'ai pour lui un sentiment que je n'ai pas pour les femmes.
Malheureusement, je n'ai pu l'embrasser qu'à huit reprises différentes.
Bien
que nous soyons séparés l'un de l'autre depuis plusieurs mois déjà,
nous ne nous sommes pas oubliés et nous entretenons une correspondance
très suivie. Pour le posséder, j'osai aller dans un lupanar,
l'embrasser dans cet endroit, au risque d'être trahi.
Au début
de notre liaison, il y eut une période pendant laquelle je n'entendis
plus parler de lui; il ne me croyait pas digne d'assez de confiance.
Pendant
ces semaines, j'ai souffert de chagrins et de peines qui m'ont mis dans
un état de dépression et d'inquiétude anxieuse comme je n'en avais
jamais éprouvé auparavant. Avoir à peine trouvé un amant et être déjà
obligé de renoncer à lui, voilà ce qui me paraissait le tourment le
plus affreux. Quand, grâce à mes efforts, nous nous retrouvâmes, ma
joie fut immense, j'étais même tellement excité, qu'à la première
accolade, après son retour, je ne pus arriver à l'éjaculation, malgré
mon plaisir sensuel.
Usus sexualis in osculis et amplexionibus
solis constitit, pene meo ludere ei licebat (dum ferre non possum
mulierem penem manu tangere neque mulieri tangere cum concedo).Il est à
remarquer d'ailleurs qu'en présence du bien-aimé j'ai immédiatement une
érection: une poignée de main, même sa vue me suffit. Des heures
entières je me suis promené avec lui le soir, et jamais je ne me
lassais de sa compagnie, malgré sa position sociale fort inférieure à
la mienne; c'est avec lui que je me sentais heureux; la satisfaction
sexuelle n'était que le couronnement de notre amour. Bien que j'eusse
enfin trouvé l'âme-soeur tant cherchée, je ne devins pas pour cela
insensible aux femmes, et je fréquentais comme autrefois les bordels,
quand l'instinct me tourmentait trop. J'espérais passer cet hiver dans
la ville où se trouve mon amant; malheureusement, cela m'est
impossible, et je suis maintenant forcé de rester séparé de lui jusqu'à
une époque indéterminée. Cependant, nous essayerons de nous revoir, ne
fût-ce que passagèrement, quand même ce ne serait qu'une ou deux fois
par an; en tout cas, j'espère qu'à l'avenir nous pourrons nous
retrouver et rester plus longtemps ensemble. Ainsi cet hiver j'en suis
de nouveau réduit à rester sans un ami qui pense comme moi. J'ai bien
résolu, par crainte du danger d'être découvert, de ne plus me mettre en
quête d'autres uranistes, mais cela m'est impossible, car les rapports
sexuels avec les femmes ne me satisfont plus; par contre, l'envie
d'avoir des jeunes gens va toujours croissant. Parfois j'ai peur de
moi-même; je pourrais me trahir par l'habitude que j'ai de demander aux
prostituées si elles ne connaissent pas un homme avec mes tendances;
malgré cela, je ne puis renoncer à chercher un jeune homme partageant
mes sentiments; je crois même qu'au besoin je prendrais le parti de
m'acheter un soldat, bien que je me rende parfaitement compte du risque
que je cours.
Je ne puis plus rester sans l'amour d'un homme,
sans ce bonheur je serai toujours en désharmonie avec moi-même. Mon
idéal serait d'entrer en relations avec une série de personnes ayant
mes goûts, bien que je me trouve déjà content de pouvoir, sans
empêchement, communiquer avec mon amant. Je pourrais facilement me
passer de femmes si j'avais régulièrement des satisfactions avec un
homme; cependant, je crois que, par moments et à des intervalles plus
espacés, j'embrasserais aussi, pour me changer, une femme, car mon
naturel est absolument hermaphrodite au point de vue psycho-sexuel (les
femmes, je ne les peux désirer que sensuellement; mais les jeunes gens,
je puis les aimer et les désirer à la fois). S'il existait un mariage
entre hommes, je crois que je ne reculerais pas devant une vie commune
qui me paraîtrait impossible avec une femme. Car, d'un côté, quand même
la femme m'exciterait beaucoup, ce charme se perdrait bientôt dans les
rapports réguliers, et alors tout plaisir sexuel deviendrait un acte
sans jouissance, bien que non impossible à accomplir; d'autre part, il
me manquerait le véritable amour pour la femme, attrait que j'éprouve
en face des jeunes gens et qui me fait paraître désirable un commerce
avec eux, même sans rapports sexuels. Mon plus grand bonheur serait une
vie commune avec un jeune homme qui me plairait au physique, mais qui
s'accorderait avec moi au point de vue intellectuel, qui comprendrait
tous mes sentiments et qui, en même temps, partagerait mes idées et mes
désirs.
Pour me plaire, les jeunes gens devaient avoir entre
dix-huit et vingt-huit ans; quand j'avançai en âge, la limite des
jeunes gens capables de m'exciter fut également reculée. Du reste, les
tailles les plus diverses peuvent me plaire. La figure joue le
principal rôle, bien que ce ne soit pas tout. Ce sont plutôt les blonds
que les bruns qui m'excitent; ils ne doivent pas être barbus; ils
doivent porter une petite moustache peu épaisse, ou pas de moustache du
tout. Pour le reste, je ne puis dire que certaines catégories de
figures me plaisent. Je repousse les visages à nez grand et droit, aux
joues pâles, bien qu'il y ait là aussi des exceptions. Je vois avec
plaisir des régiments de soldats, et bien des hommes me plaisent en
uniforme, qui me laisseraient froid, s'ils étaient en bourgeois.
De
même que chez les femmes, c'est une mise commune (surtout les jaquettes
claires) qui m'excite, le costume militaire exerce un attrait sur moi.
Dans les salles de danse, dans des cabarets fréquentés par de nombreux
militaires, me mêler dans la foule aux troupiers et décider ceux qui me
plaisent à me donner l'accolade et à m'embrasser,--bien qu'au point de
vue intellectuel et social toute grossièreté de propos et de manières
me répugne,--me mêler, dis-je, aux soldats, constituerait une
stimulation naturelle de mes sens.
En présence de jeunes gens
des meilleures classes, l'envie sensuelle se manifeste moins. Ce que
j'ai dit de l'attrait qu'exerce sur moi le costume, ne doit pas être
pris dans ce sens que ce sont les vêtements qui m'excitent. Cela veut
dire que le vêtement peut contribuer à renforcer et à mieux faire
ressortir l'effet que me produit la figure qui, dans d'autres
circonstances, ne m'attirerait pas avec autant de force. Je puis en
dire autant, seulement dans un autre sens, de l'odeur et de la fumée
des cigares. Chez les hommes qui me sont indifférents, l'odeur de
cigare m'est plutôt désagréable; mais chez les gens qui me sont
sexuellement sympathiques, elle m'excite. Les baisers d'une prostituée
qui sent le cigare augmentent ses charmes (d'abord pour cette raison
particulière que cela me fait penser, bien qu'inconsciemment, aux
baisers d'un homme). Ainsi, j'aimais particulièrement à embrasser mon
amant quand il venait de fumer un cigare (il est à remarquer à ce
propos que je n'ai jamais fumé ni un cigare, ni une cigarette; je ne
l'ai pas même essayé).
Je suis de grande taille, mince; la
figure a une expression virile; l'oeil est mobile; l'ensemble de mon
corps a quelque chose de féminin. Ma santé laisse à désirer, elle est
probablement très influencée par mon anomalie sexuelle; ainsi que je
l'ai déjà mentionné, je suis très nerveux et j'ai par moments tendance
à m'absorber dans la méditation. J'ai aussi des périodes terribles de
dépression et de mélancolie, surtout quand je songe aux difficultés que
j'ai à me procurer une satisfaction homo-sexuelle correspondant à ma
nature, mais surtout quand je suis très excité sexuellement et que,
devant l'impossibilité de me satisfaire avec un homme, je dois dompter
mon instinct. Dans cet état, il se produit, conjointement à la
mélancolie, une absence totale de désirs sexuels.
Je suis très
courageux au travail, mais souvent superficiel, étant porté aux travaux
très rapides avec une activité dévorante. Je m'intéresse beaucoup à
l'art et à la littérature. Parmi les poètes et les romanciers, je suis
le plus attiré par ceux qui dépeignent des sentiments raffinés, des
passions étranges et des impressions insolites; un style fignolé,
affecté, me plaît. De même en musique, c'est la musique nerveuse et
excitante de Chopin, Schumann, Schubert, Wagner, etc., qui me convient
le mieux. Tout ce qui dans l'art est non seulement original, mais
bizarre aussi, m'attire.
Je n'aime pas les exercices du corps et je ne les cultive pas.
Je
suis bon de caractère, compatissant; malgré les peines que me cause mon
anomalie, je ne me sens pas malheureux d'aimer les jeunes gens; mais je
regarde comme un malheur que la satisfaction de cet amour soit
considéré comme inadmissible et que je ne puisse obtenir sans obstacles
cette satisfaction. Il ne me semble pas que l'amour pour l'homme soit
un vice, mais je comprends bien pourquoi il passe pour tel. Comme cet
amour est considéré comme un crime, je serais, en le satisfaisant, en
harmonie avec moi-même, c'est vrai, mais jamais avec le monde de notre
époque; voilà pourquoi je serai fatalement et toujours un peu déprimé,
d'autant plus que je suis d'un caractère franc qui déteste tout
mensonge. Le chagrin que j'ai d'être obligé de tout cacher dans mon for
intérieur, m'a décidé à avouer mon anomalie à quelques amis dont la
discrétion et l'intelligence sont absolument sûres. Bien que parfois ma
situation me paraisse triste, à cause de la difficulté que j'ai à me
satisfaire et du mépris général qu'inspire l'amour pour l'homme, j'ai
souvent des moments où je tire presque vanité de mes sentiments
anormaux. Je ne me marierai jamais, cela est entendu; je n'y vois aucun
mal, bien que j'aime la vie de famille et que j'aie passé jusqu'ici une
vie dans ma famille. Je vis dans l'espoir d'avoir à l'avenir un amant
masculin pour toujours; il faut que j'en trouve un, sans cela l'avenir
me paraîtrait sombre et monotone, et toutes les choses auxquelles on
aspire ordinairement, honneurs, haute position, etc., ne seraient que
vanité et choses sans attraits.
Si cet espoir ne devait pas se
réaliser, je sens que je ne serais plus capable de me consacrer à mon
métier; je serais capable de reléguer tout au second rang pour obtenir
l'amour des hommes. Je n'ai plus de scrupules moraux au sujet de mon
anomalie; en général, je ne me préoccupe guère de ce fait que je suis
attiré par les charmes des jeunes hommes. Du reste, je juge la moralité
et l'immoralité plutôt d'après mes sentiments que d'après des principes
absolus, étant toujours enclin à un certain scepticisme et n'ayant pu
encore arriver à me former une philosophie arrêtée.
Jusqu'ici il
me semble qu'il n'y a de mauvais et d'immoral que les faits qui portent
préjudice à autrui, les actes que je ne voudrais pas qu'on me fît à
moi-même; mais, je puis dire à ce sujet que j'évite autant que possible
d'empiéter sur les droits d'autrui; je suis capable de me révolter
contre toute injustice qui serait commise envers un tiers. Mais je ne
vois pas comment ni pourquoi l'amour pour les hommes serait contraire à
la morale. Une activité sexuelle sans but--(si l'on voit l'immoralité
dans l'absence du but, dans le fait contre nature)--existe aussi dans
les rapports avec les prostituées, même dans les mariages où l'on se
sert de préservatifs contre la procréation des enfants. Voilà pourquoi
les rapports sexuels avec des hommes doivent, à mon avis, être placés
au même niveau que tout rapport sexuel qui n'a pas pour but de faire
des enfants. Mais, il me paraît bien douteux qu'une satisfaction
sexuelle doive être considérée comme morale, parce qu'elle se propose
le but sus-indiqué. Il est vrai qu'une satisfaction sexuelle qui ne
vise pas la procréation, est contraire à la nature; mais nous ne savons
pas si elle ne sert pas à d'autres buts qui sont encore pour nous un
mystère; et quand même elle serait sans but, on n'en pourrait point
conclure qu'il faut la réprouver, car il n'est pas prouvé que la mesure
d'après laquelle on doit juger une action morale soit son utilité.
Je
suis convaincu et certain que le préjugé actuel disparaîtra et que, un
jour, on reconnaîtra, à juste raison, le droit aux homosexuels de
pratiquer sans entraves leur amour.
En ce qui concerne la
possibilité de la liberté d'un pareil droit, qu'on se rappelle donc les
Grecs et leurs amitiés qui, au fond, n'étaient pas autre chose que de
l'amour sexuel; qu'on songe un peu que, malgré cette impudicité contre
nature, pratiquée par les plus grands génies, les Grecs sont
considérés, encore aujourd'hui, au point de vue intellectuel et
esthétique, comme des modèles qu'on n'a pas pu encore atteindre et
qu'on recommande d'imiter.
J'ai déjà songé à guérir mon anomalie
par l'hypnotisme. Quand même il pourrait donner un résultat, ce dont je
doute, je voudrais être sûr que je deviendrais réellement et pour
toujours un homme qui aimerait les femmes; car, bien que je ne puisse
pas me satisfaire avec les hommes, je préférerais pourtant conserver
cette aptitude à l'amour et à la volupté, quoique inassouvie, que
d'être tout à fait sans sentiment.
Ainsi, il me reste l'espoir
que je trouverai l'occasion de satisfaire cet amour que je désire tant
et qui me rendrait heureux; mais je ne préférerais nullement à mon état
actuel une désuggestion des sentiments homosexuels sans trouver une
compensation dans des sentiments hétérosexuels équivalents.
Finalement,
je dois, contrairement aux diverses déclarations des uranistes que je
trouve citées dans les biographies publiées, faire remarquer que, pour
ma part du moins, il m'est très difficile de reconnaître mes semblables.
Bien
que j'aie décrit d'une manière assez détaillée mes anomalies sexuelles,
je crois que les remarques suivantes seront encore importantes pour la
compréhension complète de mon état.
Ces temps derniers, j'ai renoncé à l'immissio penis, et je me suis contenté du coitus inter femora puellæ.
L'éjaculation
s'est alors produite plus rapidement que par la conjunctio membrorum
et, en outre, j'éprouvai une certaine volupté au pénis même. Si cette
façon de rapport sexuel me fut assez agréable, cela doit être en partie
attribué au fait que, dans ce genre de jouissance sexuelle, la
différence de sexe est tout à fait indifférente, et qu'inconsciemment
cela me rappelait l'accolade d'un homme. Mais, cette réminiscence était
absolument inconsciente, bien que perçue vaguement; car je n'avais pas
un plaisir dû à ma force d'imagination, mais causé directement par les
baisers sur la bouche de la femme. Je sens aussi que le charme que le
lupanar et les mérétrices exercent sur moi commence à s'effacer; mais
je sais pertinemment que certaines femmes pourront toujours m'exciter
par leurs baisers.
Aucune femme ne me semble désirable au point
d'être capable de surmonter quelque obstacle pour la posséder; aucune
ne le sera jamais, tandis que la crainte d'être découvert et livré à la
honte ne peut que difficilement me retenir dans la recherche des
étreintes des hommes.
Ainsi, je me suis laissé entraîner
dernièrement à me payer un soldat chez une mérétrice. La volupté fut
très vive et surtout, après la satisfaction obtenue, je fus remonté.
Les jours suivants je me sentais, pour ainsi dire, réconforté, ayant à
tout moment des érections; bien que je n'aie pu jusqu'ici retrouver ce
soldat, l'idée de pouvoir m'en payer un autre me procure une certaine
inquiétude; cependant, je ne serais parfaitement satisfait que si je
trouvais une âme-soeur parmi les gens de ma position sociale et de mon
instruction.
Je n'ai pas encore mentionné que, tandis qu'un
corps de femme, sauf la figure, me laisse absolument froid, le toucher
avec la main me dégoûterait, membrum virile me tangere dum os meum os
ejus osculatur, mihi exoptatum esse; de plus, je n'éprouverais aucun
dégoût à poser mes lèvres sur celles d'un homme qui me serait très
sympathique.
La masturbation, ainsi que je l'ai dit, m'est impossible.
OBSERVATION
111 (Hermaphrodisme psychique; sentiment hétérosexuel développé de
bonne heure, à la suite de masturbation épisodique, mais puissante;
sentiment homosexuel pervers ab origine; excitation sensuelle par les
bottes d'hommes).--M. X..., vingt-huit ans, est venu chez moi au mois
de septembre 1887, tout désespéré, pour me consulter sur la perversion
de sa vita sexualis, qui lui rend la vie presque insupportable et qui,
à plusieurs reprises, l'a déjà poussé au suicide.
Le malade est
issu d'une famille où les névroses et les psychoses sont très
fréquentes. Dans la famille du côté paternel, des mariages entre
cousins ont eu lieu depuis trois générations. Le père, dit-on, est bien
portant, et est heureux en ménage. Le fils, cependant, fut frappé par
la prédilection de son père pour les beaux valets. La famille du côté
maternel passe pour être composée d'originaux. Le grand-père et l'aïeul
de la mère sont morts mélancoliques; la soeur de la mère était folle.
Une fille du frère du grand-père était hystérique et nymphomane. Des
douze frères et soeurs de la mère, trois seulement se sont mariés,
parmi lesquels un frère qui était atteint d'inversion sexuelle et d'une
maladie de nerfs, par suite d'excès de masturbation. La mère du malade
était, dit-on, bigotte, d'une intelligence bornée, nerveuse, irritable
et portée à la mélancolie.
Le malade a un frère et une soeur: le
premier est névropathe, souvent en proie à une dépression mélancolique;
bien qu'il soit déjà adulte, il n'a jamais montré trace de penchants
sexuels; la soeur est une beauté connue et pour ainsi dire célèbre dans
le monde des hommes. Cette dame est mariée, mais sans enfants; on
prétend que c'est à cause de l'impuissance du mari. Elle resta, de tout
temps, froide aux hommages que lui rendaient les hommes; mais elle est
ravie par la beauté féminine et presque amoureuse de quelques-unes de
ses amies.
Le malade, en venant à sa personnalité, nous raconta
qu'à l'âge de quatre ans déjà, il rêvait de beaux écuyers, chaussés de
belles bottes. Quand il fut devenu plus grand, il ne rêvait jamais de
femmes. Ses pollutions nocturnes ont toujours été provoquées par des
«rêves de bottes».
Dès l'âge de quatre ans, il éprouvait une
étrange affection pour les hommes ou plutôt pour les laquais qui
portaient des bottes bien cirées. Au début, ils ne lui paraissaient que
sympathiques; mais, à mesure que sa vie sexuelle commença à se
développer, il éprouvait, à leur aspect, de violentes érections et une
émotion voluptueuse. Les bottes bien reluisantes ne l'excitaient que
quand elles étaient chaussées par des domestiques; sur les pieds des
personnes de son monde, elles l'auraient laissé absolument froid.
À
cet état de choses ne se rattachait aucune impulsion sexuelle dans le
sens d'un amour d'hommes. La seule idée de cette possibilité lui
faisait horreur. Mais il lui vint à l'esprit des idées, renforcées par
des sensations voluptueuses, d'être le valet de ses valets, de pouvoir
leur ôter leurs bottes, de se laisser fouler aux pieds par eux,
d'obtenir la permission de cirer leurs bottes. Sa morgue d'aristocrate
se révoltait contre cette idée. En général, ces idées de bottes lui
étaient pénibles et le dégoûtaient. Les sentiments sexuels se
développèrent chez lui de bonne heure et puissamment. Ils trouvèrent
alors leur expression dans ces idées voluptueuses de bottes, et, à
partir de la puberté, dans des rêves analogues, accompagnés de
pollutions.
Du reste, le développement physique et intellectuel
s'accomplissait sans troubles. Le malade apprenait avec facilité; il
termina ses études, devint officier, et, grâce à son apparence virile
et distinguée, ainsi qu'à sa haute position, un personnage très bien vu
dans le monde.
Il se dépeint lui-même comme un homme de bon
coeur, d'une grande force de volonté, mais d'un esprit superficiel. Il
affirme être un chasseur et un cavalier passionné, et ne jamais avoir
eu de goût pour les occupations féminines. Dans la société des dames,
il fut, comme il l'assure, toujours un peu timide; dans les salles de
bal, il s'est toujours ennuyé. Il n'a jamais eu d'intérêt pour une dame
du monde. Parmi les femmes, c'étaient, seules, les paysannes robustes,
comme celles qui posaient chez les peintres de Rome, qui
l'intéressaient, mais jamais une émotion sensuelle, dans la vraie
acception du mot, ne lui vint en présence de ces représentantes du sexe
féminin. Au théâtre et au cirque, il n'avait d'yeux que pour les
artistes hommes. Il n'éprouvait aucune excitation sensuelle même pour
ceux-ci. Chez l'homme, ce sont surtout les bottes qui l'intéressent, et
encore faut-il que le porteur de ce genre de chaussures appartienne à
la classe domestique et soit un bel homme. Ses égaux, quand même ils
porteraient les plus belles bottes, lui sont absolument indifférents.
Le
malade n'est pas encore clairement fixé sur la nature de ses penchants
sexuels, et il ne saurait pas dire si l'affection l'emporte chez lui
pour l'un ou pour l'autre sexe.
À mon avis, il a eu
primitivement plutôt du goût pour la femme, mais cette sympathie était,
en tout cas, très faible. Il affirme avec certitude que l'adspectus
viri nudi lui était antipathique, et celui des parties génitales
viriles lui serait même répugnant. Ce n'était précisément pas le cas
vis-à-vis de la femme; mais il restait sans excitation même devant le
plus beau corpus feminimum. Quand il était jeune officier, il était
obligé d'accompagner de temps en temps ses camarades au bordel. Il s'y
laissait décider volontiers, car il espérait se débarrasser, de cette
façon, de ses idées. Il était impuissant tant qu'il n'avait pas recours
à ses idées de bottes. Alors le coït avait lieu d'une façon tout à fait
normale, mais sans lui procurer le moindre sentiment de volupté. Le
malade n'éprouvait aucun penchant à avoir des rapports avec les femmes;
il lui fallait, pour cela, une impulsion extérieure, à vrai dire une
séduction. Abandonné à lui-même, sa vita sexualis consistait dans le
plaisir de penser à des bottes et en rêves analogues avec pollutions.
Comme chez lui l'obsession d'embrasser les bottes de ses valets, de les
leur ôter, etc., s'accentuait de plus en plus, le malade résolut de
faire tous les efforts possibles pour se débarrasser de cette impulsion
dégoûtante, qui le blessait dans son amour-propre. Il avait vingt ans
et se trouvait à Paris; alors il se rappela d'une très belle paysanne,
laissée dans sa lointaine patrie. Il espérait pouvoir se délivrer, avec
cette fille, de ses tendances sexuelles perverses; il partit aussitôt
pour sa patrie et sollicita les faveurs de la belle campagnarde. Il
paraît que, de sa nature, le malade n'était pourtant pas tout à fait
prédisposé à l'inversion sexuelle. Il affirme qu'à cette époque il
tomba réellement amoureux de la jeune paysanne, que son aspect, le
contact de son jupon lui donnaient un frisson voluptueux; un jour
qu'elle lui accorda un baiser, il eut une violente émotion. Ce n'est
qu'après une cour assidue d'un an et demi que le malade arriva à son
but auprès de la jeune fille.
Il était puissant, mais il
éjaculait tardivement (dix à vingt minutes), et n'avait jamais de
sensation voluptueuse pendant l'acte.
Après une période d'un an
et demi de rapports sexuels avec cette fille, son amour pour elle se
refroidit, car il ne la trouvait pas «aussi pure et fine» qu'il
l'aurait désiré. À partir de ce moment, il a dû de nouveau recourir à
l'évocation des images de bottes pour rester puissant dans ses rapports
avec sa paysanne. À mesure que sa puissance diminuait, ses idées de
bottes revenaient spontanément.
Plus tard le malade fit aussi le
coït avec d'autres femmes. Par-ci, par-là, quand la femme lui était
sympathique, la chose se passait sans l'évocation des idées de bottes.
Une
fois il est même arrivé au malade de se rendre coupable de stuprum.
Fait curieux, cette seule fois cet acte--qui était cependant forcé--lui
procura un sentiment de volupté.
À mesure que sa puissance
baissait, et qu'elle ne pouvait plus se maintenir que par les idées de
bottes, le libido pour l'autre sexe baissait aussi. Chose
significative, malgré son faible degré de libido, son faible penchant
pour les femmes, le malade en arriva à la masturbation pendant qu'il
entretenait des rapports sexuels avec la fille de paysans. Il apprit
ces pratiques par la lecture des «Confessions» de J.-J. Rousseau,
ouvrage qui lui tomba par hasard entre les mains. Aux impulsions dans
ce sens se joignirent des idées de bottes. Il entrait alors dans des
érections violentes, se masturbait, avait pendant l'éjaculation une
volupté très vive qui manquait pendant le coït; il se sentait au
commencement ragaillardi et stimulé intellectuellement par la
masturbation.
Avec le temps cependant les symptômes de la
neurasthénie, sexuelle d'abord, ensuite générale, avec irritation
spinale, firent leur apparition. Il renonça pour un moment à la
masturbation et alla trouver son ancienne maîtresse. Mais elle lui
était devenue tout à fait indifférente et, comme il ne réussissait
plus, même avec l'évocation des images de bottes, il s'éloigna de la
femme et retomba de nouveau dans la masturbation qui le mettait à
l'abri de l'impulsion de baiser et de cirer des bottes de valets.
Toutefois, sa situation sexuelle restait bien pénible. Parfois il
essayait encore le coït et réussissait quand, dans son imagination, il
pensait à des bottes cirées. Après une longue abstinence de la
masturbation, le coït lui réussissait quelquefois, sans qu'il eût
besoin de recourir à aucun artifice.
Le malade déclare qu'il a
de très grands besoins sexuels. Quand il n'a pas éjaculé depuis un long
laps de temps, il devient congestif, très excité et psychiquement
tourmenté par ses horripilantes idées de bottes, de sorte qu'il est
forcé de faire le coït ou, ce qu'il préfère, se masturber.
Depuis
un an sa situation morale s'est compliquée d'une façon fâcheuse par le
fait, qu'étant le dernier rejeton d'une famille riche et noble, sur le
désir pressant de ses parents, il doit enfin penser au mariage.
La
fiancée qui lui est destinée est d'une rare beauté et elle lui est tout
à fait sympathique au point de vue intellectuel. Mais comme femme elle
lui est indifférente, comme toutes les femmes. Elle le satisfait au
point de vue esthétique comme n'importe quel «chef-d'oeuvre de l'art».
Elle est devant ses yeux comme un idéal. L'adorer platoniquement serait
pour lui un bonheur digne de tous ses efforts; mais la posséder comme
femme est pour lui une pensée pénible. Il sait d'avance qu'en face
d'elle il ne pourra être puissant qu'à l'aide de ses idées de bottes.
Mais sa haute estime pour cette personne, ainsi que son sens moral et
esthétique, se révolteraient contre l'emploi d'un pareil moyen. S'il la
souillait avec ces idées de bottes, elle perdrait à ses yeux même sa
valeur esthétique, et alors il deviendrait tout à fait impuissant; il
la prendrait en horreur. Le malade croit que sa situation est
désespérée, et il avoue que ces temps derniers il fut à plusieurs
reprises tenté de se suicider.
C'est un homme d'une haute
culture intellectuelle, d'habitus tout à fait viril, à la barbe
fortement développée, à la voix grave et aux parties génitales
normales. L'oeil a l'expression névropathique. Aucun stigmate de
dégénérescence. Symptômes de neurasthénie spinale. On a réussi à
rassurer le malade et à lui inspirer confiance dans l'avenir.
Les
conseils médicaux consistaient en moyens pour combattre la
neurasthénie: interdiction de continuer la masturbation et de
s'abandonner à ses idées de bottes, affirmation qu'avec la guérison de
la neurasthénie la cohabitation serait possible sans le secours des
idées de bottes, et qu'avec le temps le malade serait apte au mariage
moralement et physiquement.
Vers la fin du mois d'octobre 1888,
le malade m'écrivait qu'il avait résisté victorieusement à la
masturbation et aux idées de bottes. Il n'a rêvé qu'une seule fois de
bottes et il n'a presque plus eu de pollutions. Il est affranchi des
tendances homosexuelles, mais, malgré de fréquentes et puissantes
émotions sexuelles, il n'a aucun libido pour la femme. Dans cette
situation fatale, il est forcé par les circonstances de se marier dans
trois mois.
2. HOMOSEXUELS OU URANISTES.
Contrairement au
groupe précédent, c'est-à-dire celui des hermaphrodites psychosexuels,
il y a ici, ab origine, un sentiment et un penchant sexuels exclusifs
pour les personnes du même sexe; mais, contrairement au groupe qui
suit, l'anomalie des individus se borne uniquement à la vita sexualis
et n'exerce pas un effet plus profond et plus grave sur le caractère ni
sur la totalité de la personnalité intellectuelle.
La vita
sexualis est, chez ces homosexuels (uranistes), mutatis mutandis, tout
à fait semblable à celle de l'amour normal hétérosexuel; mais, comme
elle est contraire au sentiment naturel, elle devient une caricature,
d'autant plus que ces individus sont en général atteints
d'hyperæsthesia sexualis et que, par conséquent, leur amour pour leur
propre sexe est un amour ardent et extatique.
L'uraniste aime,
idolâtre son amant masculin, de même que l'homme qui aime la femme,
idolâtre sa maîtresse. Il est capable de faire pour lui les plus grands
sacrifices; il éprouve les tortures de l'amour malheureux, souvent non
payé de retour, de l'infidélité de l'amant, de la jalousie, etc.
L'attention
de l'homme homosexuel n'est captivée que par le danseur, l'acteur,
l'athlète, la statue d'homme, etc. L'aspect des charmes féminins lui
est indifférent, sinon répugnant; une femme nue lui paraît dégoûtante,
tandis que la vue des parties génitales viriles, la vue des cuisses de
l'homme, etc., le fait tressaillir de joie.
Le contact charnel
avec un homme qui lui est sympathique lui donne un frisson de volupté;
et, comme de pareils individus sont souvent neurasthéniques
sexuellement, soit de naissance, soit par suite de la pratique de
l'onanisme ou d'une abstinence forcée de tout rapport sexuel, il se
produit facilement des éjaculations qui, dans les rapports les plus
intimes avec la femme, n'auraient pas lieu du tout ou ne pourraient
être forcément provoquées que par des moyens mécaniques. L'acte sexuel
de n'importe quel genre, accompli avec l'homme, procure du plaisir et
laisse derrière lui un sentiment de bien-être. Quand l'uraniste est
capable de se forcer au coït, le dégoût agit régulièrement comme idée
d'entrave et rend l'acte impossible; il éprouve à peu près le même
sentiment qu'un homme qui serait forcé de goûter à de la nourriture ou
à des boissons nauséabondes. Toutefois, l'expérience nous apprend que
souvent des invertis de ce second degré se marient pour des raisons
éthiques ou sociales.
Ces malheureux sont relativement
puissants, quand, au milieu de l'étreinte conjugale, ils fouettent leur
imagination et se figurent tenir, au lieu de l'épouse, un homme aimé
entre leur bras.
Mais le coït est pour eux un lourd sacrifice,
et non un plaisir; il les rend pour des journées entières faibles,
énervés et souffrants. Quand ces uranistes ne sont pas capables de
contrebalancer les idées et les représentations d'entrave, soit par
l'effort énergique de leur imagination, soit par l'emploi de boissons
alcooliques excitantes, soit par des érections artificiellement créées
à l'aide de vessies pleines, etc., ils sont complètement impuissants,
tandis que le seul contact d'un homme peut leur donner des érections et
même de l'éjaculation.
Danser avec une femme est désagréable à
l'uraniste. La danse avec un homme, surtout avec un homme de formes
sympathiques, lui paraît être le plus grand plaisir.
L'uraniste
masculin, quand il est d'une classe bien élevée, n'a pas d'antipathie
pour les rapports non sexuels avec les femmes, quand leur conversation
et leur goût artistique lui paraissent agréables. Il n'abhorre la femme
que dans son rôle sexuel.
La femme homosexuelle présente ces
mêmes phénomènes, mutatis mutandis. À ce degré de l'aberration
sexuelle, le caractère et les occupations restent conformes au sexe que
l'individu représente. La perversion sexuelle reste une anomalie
isolée, mais qui laisse des traces profondes dans l'existence sociale
et intellectuelle de la personne en question. Conformément à ce fait,
elle se sent, dans n'importe quel acte sexuel, dans le rôle qui lui
échouerait dans le cas d'une tendance hétérosexuelle.
Il y a
cependant des cas intermédiaires, formant une transition vers le
troisième groupe, dans ce sens que la personne s'imagine, désire ou
rêve le rôle sexuel qui correspondrait à ses sentiments homosexuels et
qu'il se manifeste incomplètement des penchants à des occupations, des
tendances de goût, qui ne sont pas conformes au sexe que l'individu
représente. Dans certains cas on a l'impression que ces phénomènes ont
été artificiellement produits par l'influence de l'éducation, dans
d'autres qu'ils représentent des dégénérescences plus profondes et
produites, dans les limites du degré en question, par une activité
sexuelle perverse (masturbation); ces derniers cas présentent des
phénomènes de dégénérescence progressive analogues à ceux que nous
avons observés dans les inversions sexuelles acquises.
En ce qui
concerne la façon de se satisfaire au point de vue sexuel, il faut
remarquer que, chez beaucoup d'uranistes hommes, qui sont atteints de
faiblesse sexuelle irritable, la seule accolade suffit pour provoquer
une éjaculation. Les personnes sexuellement hyperesthésiques et
atteintes de paresthésie des sentiments esthétiques, ont souvent un
plus grand plaisir à se commettre avec des individus sales et communs,
pris dans la lie de la populace.
Sur le même terrain se
produisent des désirs pédérastes (naturellement actifs) et d'autres
aberrations; mais il est rare, et évidemment c'est seulement chez des
personnes d'une moralité défectueuse et très cupides, que le libido
nimia amène aux actes de pédérastie.
Contrairement aux vieux
débauchés corrompus qui préfèrent des garçons et pratiquent de
préférence la pédérastie, l'affection sexuelle des uranistes adultes ne
paraît pas se tourner vers les individus masculins non développés.
L'uraniste
ne pourrait probablement devenir dangereux pour les garçons que par
suite d'un rut violent, ou quand il ne trouve pas mieux.
Le mode
de satisfaction sexuelle des uranistes féminins est probablement la
masturbation mutuelle et passive; ces personnes trouvent le coït aussi
dégoûtant, fatigant et inadéquat que l'homme uraniste.
OBSERVATION
112.--L'observation suivante est l'extrait d'une très longue
autobiographie qu'un médecin atteint d'inversion sexuelle a mise à ma
disposition.
J'ai quarante ans; je suis né d'une famille très
saine[94], j'ai toujours été bien portant; je passais pour un modèle de
fraîcheur physique et intellectuelle, d'énergie; je suis d'une
constitution robuste, mais je n'ai que peu de barbe; sauf aux aisselles
et au mons Veneris, je n'ai pas de poils sur le corps.
[Note 94:
Plus tard, on a appris qu'un proche parent était mort fou, et que huit
soeurs et frères du malade avaient péri entre l'âge de un à huit ans
d'hydrocephalus acutus ou chronicus.]
Peu après ma naissance,
mon pénis était déjà extraordinairement grand; à l'heure qu'il est, il
a en statu erectionis 21 centimètres de longueur et une circonférence
de 14 centimètres. Je suis excellent cavalier, gymnaste, nageur; j'ai
pris part à deux campagnes comme médecin militaire. Je n'ai jamais eu
de goût pour les vêtements de femme ni pour les occupations féminines.
Jusqu'à l'âge de puberté, j'étais timide en face du sexe féminin, et je
le suis encore quand je me trouve en présence de femmes que je ne
connais que depuis peu de temps.
De tout temps la danse me fut
antipathique. À l'âge de huit ans s'éveilla en moi l'affection pour mon
propre sexe. Tout d'abord j'éprouvais du plaisir en regardant les
parties génitales de mes frères. Fratrem meum juniorem impuli ut alter
alterius genitalibus luderet, quibus factis penis meus se erexit. Plus
tard, en prenant un bain avec les enfants de l'école, les garçons
m'intéressaient beaucoup, les filles pas du tout. J'avais si peu de
goût pour elles qu'à l'âge de quinze ans encore je croyais qu'elles
étaient munies d'un pénis comme nous autres. En compagnie de garçons
ayant les mêmes sentiments, nous nous amusions vicissim genitalibus
nostris ludere. À l'âge de onze ans et demi, on me donna un précepteur
très sévère; je ne pouvais que rarement aller en cachette trouver mes
camarades. J'apprenais très facilement, mais je ne m'accordais pas bien
avec mon précepteur; un jour qu'il m'ennuyait trop, je me mis en rage
et je courus sur lui avec un couteau; je l'aurais tué avec plaisir,
s'il ne m'avait pas saisi le bras. À l'âge de douze ans et demi, j'ai
déserté la maison paternelle pour une raison analogue, et pendant six
semaines je rôdai dans le pays voisin.
On me mit ensuite au
lycée; j'étais déjà développé sexuellement, et, en nous baignant, je
m'amusais avec les garçons de la manière que j'ai indiquée, plus tard
aussi par l'imitatio coïtus inter femora. J'avais alors treize ans. Les
filles ne me plaisaient pas du tout. Des érections violentes
m'amenèrent à jouer avec mes parties génitales; l'idée me vint aussi
penem in os recipere, ce à quoi j'arrivai en me courbant. Je provoquai,
par ce moyen, une éjaculation. C'est ainsi que j'arrivai à pratiquer la
masturbation. J'en fus vivement effrayé, je me considérais comme un
criminel; je me découvris à un condisciple âgé de seize ans. Celui-ci
m'éclaira, me rassura et conclut avec moi une liaison d'amour. Nous
étions heureux et nous nous satisfaisions par l'onanisme mutuel. En
outre, je me masturbais aussi; au bout de deux ans, cette union fut
rompue, mais, aujourd'hui encore, quand nous nous rencontrons par
hasard--mon ami est un fonctionnaire supérieur--l'ancienne flamme se
rallume de nouveau.
Ce temps que j'ai passé avec mon ami H...
fut bien heureux, et j'en payerais le retour avec le sang de mon coeur.
La vie m'était alors un plaisir; mes études étaient pour moi comme un
jeu facile; j'avais de l'enthousiasme pour tout ce qui est beau.
Pendant
ce temps, un médecin, ami de mon père, me séduisit en me caressant, à
l'occasion d'une visite, en m'onanisant, en m'expliquant les procédés
sexuels et en m'engageant à ne jamais me faire de manustuprations, cet
acte étant très préjudiciable à la santé. Il pratiqua alors avec moi
l'onanisme mutuel et me déclara que c'était pour lui le seul moyen de
fonctionner au point de vue sexuel. Il a, dit-il, le dégoût des femmes;
voilà pourquoi il a vécu en désaccord avec sa femme, morte depuis. Il
m'invita avec insistance à venir le voir le plus souvent possible. Ce
médecin était un homme de belle prestance, père de deux fils âgés du
quatorze et quinze ans, avec lesquels, l'année suivante, je nouai une
liaison d'amour analogue à celle que j'entretenais avec mon ami H...
J'avais honte d'avoir fait des infidélités à ce dernier; toutefois je
continuais mes rapports avec le médecin. Il pratiquait avec moi
l'onanisme mutuel, me montrait nos spermatozoïdes sous le microscope;
il me montrait aussi des ouvrages et des images pornographiques, mais
qui ne me plaisaient guère, car je n'avais d'intérêt que pour les corps
masculins. Plus tard, à l'occasion d'une visite, il me pria de lui
accorder une faveur qu'il n'avait encore jamais goûtée et dont il avait
grande envie. Comme je l'aimais, je consentis à tout. Instrumentis anum
dilatavit, me pædicavit, dum simul penem meum trivit ita ut eodem
tempore dolore et voluptate affectus sim. Après cette découverte
j'allai immédiatement trouver mon ami H..., croyant que cet homme aimé
me donnerait un plaisir plus grand encore. Alter alterum pædicavit;
mais nous fûmes déçus tous les deux et nous n'y revînmes plus; car,
passif, je n'éprouvais que de la douleur; et, actif, je n'avais pas de
plaisir, tandis que l'onanisme mutuel nous procurait la plus grande
jouissance. Je me laissai faire encore plusieurs fois par le médecin,
et encore je ne le fis que par gratitude. Jusqu'à l'âge de quinze ans,
je pratiquai avec des amis l'onanisme passif ou mutuel.
J'étais
devenu grand; les femmes et les filles me faisaient toutes sortes
d'avances; mais je les fuyais comme Joseph fuyait la femme de Putiphar.
À l'âge de quinze ans, je vins dans la capitale. Je n'avais que
rarement l'occasion de satisfaire mon penchant sexuel. En revanche, je
jouissais à l'aspect des images et des statues d'hommes, et je ne
pouvais m'empêcher d'embrasser ardemment les statues aimées. L'ennui
principal pour moi, c'étaient les feuilles de vigne qui couvraient les
parties génitales.
À l'âge de dix-sept ans, je me fis inscrire à l'Université. De nouveau je vécus deux ans avec mon ami H...
À
l'âge de dix-sept ans et demi on me poussa, alors que j'étais en état
d'ivresse, à faire le coït avec une femme. Je me forçai; mais, aussitôt
l'acte accompli, je pris la fuite, rempli de dégoût. De même qu'après
ma première manustupration active, j'eus comme le sentiment que j'avais
commis un crime. Dans un nouvel essai que je fis, sans être ivre,
puella nuda pulcherrima operante erectio non evenit, tandis que la vue
seule d'un garçon ou le contact de ma cuisse avec une main d'homme
rendait mon pénis raide comme de l'acier. Mon ami H... venait, il y a
peu de temps, de faire la même expérience. Nous nous creusâmes alors la
tête, mais en vain, pour en découvrir la cause. Je laissai donc les
femmes pour ce qu'elles sont, et je trouvai mon plaisir chez des amis
par l'onanisme passif et mutuel: entre autres je le pratiquais avec les
deux fils du médecin qui, depuis mon départ, avait abusé de ses enfants
en leur faisant de la pædicatio.
À l'âge de dix-neuf ans je fis la connaissance de deux vrais uranistes.
A...,
cinquante-six ans, d'un extérieur féminin, imberbe, très médiocre au
point de vue intellectuel, avec un instinct sexuel très fort et qui
s'est manifesté trop prématurément, a pratiqué l'amour uraniste depuis
l'âge de six ans. Il venait tous les mois une fois dans la capitale.
J'étais obligé de coucher avec lui: il était insatiable d'onanisme
mutuel et me força aussi à la pædicatio active et passive, ce que j'ai
dû accepter à contre-coeur, par-dessus le marché.
B...,
négociant, trente-six ans, d'apparence tout à fait virile, avait des
besoins énormes, de même que moi-même. Il savait donner à ses
manipulations sur mon corps un tel charme que je dus lui servir de
cynède. C'est le seul avec lequel j'éprouvai dans le rôle passif
quelque jouissance. Il m'avoua que, rien qu'en me sachant près de lui,
il était pris d'érections très tourmentantes: quand je ne pouvais pas
le servir, il était obligé de se soulager par la masturbation.
Malgré
ces amourettes, j'étais assistant de clinique à l'hôpital et je passais
comme très zélé et très capable dans mon métier. Bien entendu, j'ai
cherché dans toute la littérature médicale une explication de ma
bizarrerie sexuelle. Partout je la trouvais stigmatisée comme un délit
qui mérite d'être puni, tandis que moi je n'y pouvais reconnaître que
la simple et naturelle satisfaction de mes désirs sexuels. J'avais la
conscience que cette particularité m'est venue de naissance; mais, me
sentant en antagonisme avec le monde entier, et souvent près de la
folie et du suicide, j'essayais toujours et toujours de satisfaire avec
les femmes mon immense appétit génital. Le résultat était toujours le
même: ou il y avait absence de toute érection ou, quand je réussissais
à faire l'acte, il y avait dégoût et horreur d'y revenir.
Étant
médecin-major, je souffris énormément à la vue et au contact de
milliers de corps d'hommes nus. Heureusement, je contractai une liaison
d'amour avec un lieutenant qui partageait mes sentiments, et je passai
encore une fois une période de divines délices.
Par amour pour
lui, je me laissai décider à la pædicatio, que son âme désirait tant.
Nous nous aimâmes jusqu'à sa mort, à la bataille de Sedan. Depuis, je
n'acceptai plus jamais la pædicatio ni passive, ni active, bien que
j'aie eu beaucoup d'amourettes et que je sois un personnage très
demandé.
À l'âge de vingt-trois ans, je suis allé m'établir
comme médecin à la campagne, j'étais très couru et très aimé comme
médecin. Pendant cette période, je me satisfaisais avec des garçons de
quatorze ans. Je me suis, à cette époque, lancé dans la vie politique
et brouillé avec le clergé. Un de mes amants me trahit, le clergé me
dénonça et je fus forcé de prendre la fuite. L'enquête judiciaire
conclut en ma faveur. J'ai pu rentrer, mais je fus vivement ébranlé et
je profitai de la guerre qui venait d'éclater (1870) pour servir sous
les armes, espérant trouver la mort. Je rentrai de la guerre, avec
nombre de distinctions honorifiques; homme mûr et calme, je ne trouvais
plus de plaisir que dans les travaux assidus de mon métier. J'espérais
que mon énorme instinct génital était près de s'éteindre, épuisé que
j'étais par les immenses fatigues de la campagne.
À peine fus-je
reposé que l'ancien instinct indomptable recommença à se faire sentir
en moi et m'entraîna à des satisfactions effrénées. Souvent je faisais
mon examen de conscience, me reprochais mon penchant répréhensible aux
yeux du monde, sinon aux miens.
Pendant un an, je m'abstins, en
déployant toute ma force de volonté; ensuite, j'allai dans la capitale
pour me forcer aux rapports avec les femmes. Moi qui, à la vue du plus
sale garçon d'écurie, étais pris d'érections violentes, je n'avais
guère d'émotion auprès de la plus belle des femmes. Je rentrais
anéanti. J'avais un garçon pour mon service et en même temps pour mes
satisfactions sexuelles.
La solitude de la vie du médecin du
campagne, le vif désir d'avoir des enfants, me poussaient au mariage.
Du reste, je voulais couper court aux cancans des gens, et j'espérais
en outre triompher enfin de mon fatal penchant.
Je connaissais
une demoiselle pleine de bonté et de coeur, et de l'amour de laquelle
j'étais convaincu. Je réussis, grâce à l'estime et à l'adoration que
j'avais pour ma femme, à remplir mes devoirs conjugaux. Ce qui me
facilita ma tâche, ce fut l'air garçon qu'avait ma femme. Je l'appelais
mon Raphaël, je fouettais mon imagination pour évoquer des images de
garçons et arriver ainsi à l'érection. Mon imagination se lassa au bout
d'un moment: c'en était fait de l'érection. Je ne pouvais pas dormir
dans le même lit que ma femme. Dans ces deux dernières années, le coït
m'a toujours été de plus en plus difficile à exécuter, et, depuis deux
ans, nous y avons renoncé. Ma femme connaît mon état d'âme. Sa bonté de
coeur et son amour pour moi ont pu la décider à n'y attacher aucune
importance.
Mon penchant sexuel pour mon propre sexe est resté
toujours le même, et malheureusement il m'a forcé souvent à faire des
infidélités à ma femme.
Aujourd'hui encore, l'aspect d'un garçon
de seize ans me met dans une vive excitation sexuelle avec des
érections gênantes, de sorte que je me soulage à l'occasion par la
manustupration du garçon ou par la masturbation sur moi-même.
Les
tourments que je souffre sont indescriptibles. Faute de mieux, uxor mea
penem lerit, sed quod mulieris manus magno opere post dimidiam horam
aduquitur, pueri manus post nonnulla momenta adsequitur. Et ainsi je
passe ma vie misérable, esclave de la loi et de mon devoir envers ma
femme!
Je n'ai jamais eu le désir de la pædicatio ni active ni
passive. Quand je la faisais ou la subissais, c'était toujours par
gratitude et par complaisance.
Le médecin auquel je dois cette
auto-observation m'affirme que, jusqu'ici, il a eu des rapports sexuels
avec au moins six cents uranistes. Il y en a beaucoup qui vivent encore
et occupent des positions sociales très élevées et très respectées (10
p. 100 seulement d'entre eux sont devenus plus tard amateurs de
femmes). Une autre partie ne déteste pas la femme, mais a plus de
penchant pour le sexe masculin; les autres sont exclusivement et pour
toujours amateurs d'hommes.
Ce médecin prétend n'avoir jamais
rencontré de conformations anormales des parties génitales chez ces six
cents uranistes; mais il a souvent pu remarquer certains rapprochements
vers les formes féminines, le peu d'abondance des poils, un teint plus
tendre, une voix plus haute. Il y avait souvent aussi un développement
des mamelles; X..., affirmat ab 13-15 anno lac in mammis suis habuisse
quod amicus H... esuxit. Seuls 10 p. 100 de ces hommes montraient du
goût pour les occupations féminines. Tous ses amis étaient atteints
d'un penchant sexuel anormalement précoce et fort. La grande majorité
d'entre eux se sentait vis-à-vis l'un de l'autre comme hommes, se
satisfaisait par l'onanisme mutuel, manustupration sur l'amant ou par
l'amant. La plupart d'entre eux inclinaient vers la pédérastie active.
Mais souvent, la crainte du Code pénal ou des raisons esthétiques
contre l'anus, sont les causes pour lesquelles l'acte n'est pas
exécuté. Ils se sentent rarement dans le rôle de femme vis-à-vis des
autres, et ont rarement un penchant à la pédérastie passive.
Au
commencement de l'année 1887, ce médecin fut arrêté parce qu'il s'était
livré à des actes d'impudicité avec deux garçons de quatorze ans. Le
délit consistait en ce qu'il faisait d'abord frotter par les garçons
mentulam propriam inter femora viri jusqu'à ce que l'éjaculation se
produisît, et qu'il exécutait le même procédé cum mentula propria inter
femora pueri. Lors des débuts judiciaires, on admit qu'on se trouvait
en présence d'un instinct morbide; mais il fut prouvé que l'inculpé
n'avait pas de troubles mentaux, qu'il n'avait pas perdu son libre
arbitre, en tout cas qu'il n'avait pas agi sous une impulsion
irrésistible.
Toutefois, il fut condamné à un an de prison, tout en tenant compte des plus grandes circonstances atténuantes.
OBSERVATION
113.--M. X..., de haute position sociale, m'a consulté pour une
neurasthénie et une insomnie dont il souffre depuis des années.
L'enquête sur la cause du mal a amené le malade à avouer qu'il a un
penchant sexuel anormal pour son propre sexe, qu'il a en général de
grands besoins sexuels, et que probablement sa maladie de nerfs vient
de là. Les passages suivants de l'historique de la maladie de cet homme
très intelligent pourront présenter quelque intérêt scientifique.
«Mon
sentiment sexuel anormal remonte à l'époque de mon enfance. À l'âge de
trois ans, un journal de modes me tomba par hasard entre les mains.
J'embrassai les belles gravures d'hommes à en déchirer le papier, et je
ne fis pas même attention aux figures de femmes. Je détestais les jeux
des garçons.
J'aimais mieux jouer avec les filles, car elles
avaient toujours des poupées. Je confectionnais de préférence des robes
pour les poupées; aujourd'hui encore, malgré mes trente-trois ans, les
poupées m'intéressent beaucoup. Étant encore petit garçon, je restais
des heures entières aux aguets des cabinets ut virorum genitalia
adspicerem. Quand je réussissais à en apercevoir, j'avais toujours une
émotion étrange et j'étais pris d'une sorte de vertige. Les hommes
frêles m'étaient peu sympathiques, mais les garçons surtout m'étaient
absolument indifférents. À l'âge de treize ans, je me livrai à
l'onanisme. De l'âge de treize ans jusqu'à quinze ans, je dormis dans
le même lit qu'un très beau jeune homme. C'était mon bonheur! Per
multas horas vespere pene erecto illum domum venientem expectavi. Quod
si ille fortuito genitalia mea in tecto tetigit, summa voluptate
affectus sum. À l'âge de quatorze ans, j'avais un camarade d'école qui
partageait mes goûts. In schola per nonnulas horas alter genitalia
alterius tenebat manibus. Ah! quelles heures délicieuses! Je
stationnais dans les maisons de bains le plus souvent que je pouvais.
L'aspect des parties génitales viriles me causait de violentes
érections. À l'âge de seize ans, je fus envoyé dans la grande ville. La
vue de tant de beaux hommes me ravissait. À l'âge de dix-sept ans et
demi, j'essayai le coït avec une fille publique, mais, pris de dégoût
et de répugnance, je fus incapable de l'accomplir. D'autres essais
encore échouèrent, jusqu'à l'âge de dix-neuf ans. Alors je réussis une
fois; mais le coït ne me procura aucun plaisir, il me laissa plutôt un
sentiment de dégoût. Je me fis violence; j'étais fier du succès, de
cette preuve que j'étais pourtant un homme, ce dont j'avais commencé à
douter.
Des essais ultérieurs ne réussirent plus. Le dégoût
était trop vif. Quand la femme se déshabillait j'étais obligé
d'éteindre tout de suite la lumière. Je me crus alors impuissant; je
consultai des médecins; je fréquentai les bains et les établissements
hydrothérapiques pour guérir ma prétendue impuissance, car je ne savais
pas du tout ce que je devais en penser. J'aimais la société des dames,
par vanité peut-être, car je paraissais sympathique et aimable à la
plupart des femmes. Je n'estimais chez la femme que les qualités
spirituelles et esthétiques. J'aimais à danser avec des femmes douées
de ces qualités, mais quand ma danseuse se serrait pendant la danse
contre moi, j'éprouvais une sensation fortement désagréable, du dégoût
même, et j'aurais bien voulu la battre. Quand, par hasard, il arrivait
qu'un monsieur, par pure plaisanterie, dansait avec moi, j'avais
toujours le rôle de la dame. Alors je me serrais, je me pressais contre
lui, et j'en étais tout ravi et content. Quand j'eus dix-huit ans, un
monsieur qui venait dans notre bureau dit un jour: «C'est un gentil
garçon, pour lequel on pourrait, en Orient, demander à chaque instant
une livre sterling.» Ce propos m'intrigua beaucoup, et j'aurais bien
voulu avoir le mot de cette énigme. Un autre monsieur aimait à
plaisanter avec moi et, en sortant de chez nous, il m'enlevait souvent
des baisers que, hélas! je lui aurais si volontiers accordés. Ce voleur
de baisers est devenu plus tard un de mes amants. Grâce à ces
circonstances, mon attention fut éveillée, et j'attendais une occasion
propice.
Quand j'eus atteint l'âge de vingt-cinq ans, il arriva
un jour qu'un ancien capucin me fixa du regard. Il devint pour moi
comme un Méphisto. Enfin il m'adressa la parole. Aujourd'hui encore, en
y pensant, je crois sentir les battements précipités de mon coeur;
j'étais près de m'évanouir. Il me donna rendez-vous pour le soir dans
un restaurant. J'y allai; mais, arrivé à la porte, je m'en retournai;
je redoutais des mystères terribles. La soirée suivante, le capucin me
rencontra de nouveau. Il me persuada, m'amena dans sa chambre, car
c'est à peine si je pouvais marcher, tellement mon émotion était
grande. Mon séducteur me fit asseoir sur le canapé, me fixa en souriant
de ses beaux yeux noirs: je perdis connaissance.
Il me faudrait
beaucoup écrire pour pouvoir donner une idée approximative de cette
volupté, de ces joies divines et idéales qui remplissaient toute mon
âme; je crois que seul un jeune homme innocent, amoureux par-dessus les
oreilles, qui, pour la première fois, arrive à satisfaire sa langueur
amoureuse, pourrait être aussi heureux que je le fus dans cette soirée
mémorable. Mon séducteur exigea ma vie par plaisanterie--(ce que je
pris d'abord au sérieux). Je le priai de me laisser être heureux encore
pendant quelque temps, et alors je serais prêt à mourir avec lui. C'eût
été bien conforme à mes idées exaltées de cette époque. J'entretins
alors pondant cinq ans une liaison avec cet homme qui m'est encore si
cher aujourd'hui. Ah! que j'étais heureux à cette époque, mais souvent
aussi malheureux! Je n'avais qu'à le voir causer avec un joli garçon,
et la rage de la jalousie s'éveillait en moi.
À l'âge de
vingt-sept ans, je me suis fiancé avec une jeune dame. Son esprit, ses
sentiments délicats et esthétiques ainsi que des raisons financières,
dans l'intérêt de mon commerce, me décidèrent à songer à me marier avec
elle. D'ailleurs, je suis un grand ami des enfants, et toutes les fois
que je rencontrais un pauvre journalier qui avait avec lui sa femme et
un bel enfant, j'enviais son bonheur de père de famille.
Je
m'illusionnais donc moi-même; je traversai sans accident ma période de
fiançailles; cependant, en embrassant ma fiancée, j'éprouvais plutôt de
l'angoisse et de la peur que du plaisir. Une ou deux fois il arriva
pourtant qu'après un copieux dîner, en l'embrassant vivement et
courageusement, j'eus des érections. Que j'étais alors heureux! Je me
voyais déjà papa! Deux fois je fus sur le point de rompre le mariage.
Le jour des noces,--les invités étaient déjà réunis,--je m'enfermai
dans ma chambre; je pleurai comme un enfant; je ne voulais pas me
marier. Cédant aux persuasions des membres de ma famille auxquels je
donnais les raisons les plus futiles, je me laissai traîner en toilette
de rue devant l'autel.
Uxor mea nuptiarum tempore menses habuit.
Oh!
que j'en rendis grâce à tous les saints! Aujourd'hui encore je suis
convaincu que seule cette circonstance m'a permis d'accomplir plus tard
le coït.
J'ignore encore aujourd'hui comment je suis arrivé à
pouvoir plus tard faire cet acte avec ma femme et procréer un charmant
garçon. Il est ma consolation dans ma vie manquée. Je ne puis que
remercier le bon Dieu du bonheur d'avoir un enfant. Ma vie conjugale
fut pour ainsi dire une filouterie. Ma femme, que j'estime beaucoup à
cause de ses qualités excellentes, ne se doute pas du tout de mon état
réel; seulement elle se plaint souvent de ma froideur. Grâce à sa bonté
de coeur et à sa naïveté, il me fut possible de lui faire accroire que
l'accomplissement du devoir conjugal ne se fait qu'une fois par mois.
Comme elle n'est pas sensuelle et que je trouve toujours une excuse
dans ma nervosité, je réussis à la tromper. Le coït est pour moi le
plus grand sacrifice qu'on puisse imaginer. Grâce à de fortes libations
de vin et en utilisant le matin les érections produites sous
l'influence de la réplétion vésicale, je réussis à faire le coït une
fois par mois; mais je n'éprouve aucune volupté; j'en suis tout
affaibli, et le lendemain je sens une aggravation de mes malaises
nerveux. Seule la conscience d'avoir rempli mon devoir conjugal envers
ma femme, que j'aime du reste, m'est alors un plaisir, une satisfaction
morale. Il n'en est pas ainsi avec un homme. Je peux cohabiter avec lui
plusieurs fois dans la même nuit, en me sentant toujours dans le rôle
de l'homme. J'éprouve alors la plus grande volupté, le bonheur le plus
pur, et je m'en sens rasséréné et content. Ces temps derniers, mon
penchant pour les hommes s'est un peu relâché. J'ai même eu le courage
d'éviter un beau jeune homme qui me faisait la cour. Cela durera-t-il?
Je crains que non. Je ne puis pas du tout me passer de l'amour des
hommes; quand je suis forcé de m'en priver, je me sens abattu, fatigué,
misérable, et j'ai alors des douleurs et des congestions à la tête.
J'ai toujours compris que ma bizarrerie regrettable est morbide et
congénitale; je m'estimerais heureux si je n'étais pas marié. Je plains
ma femme, si bonne et si gentille. Souvent je suis pris de la peur de
ne pouvoir plus vivre avec elle. Alors des idées de divorce me
viennent, ou je fais le projet de me suicider ou bien de partir pour
l'Amérique.
Le malade, auquel je dois cette communication, ne
présente à première vue aucun signe de son état. Il est d'un habitus
tout à fait viril, porte une forte barbe, a la voix forte et grave, et
les parties génitales tout à fait normales. Le crâne a une conformation
normale; les stigmates de dégénérescence manquent absolument; seulement
son oeil, particulièrement nerveux, rappelle la névropathie. Les
organes végétatifs fonctionnent normalement. Le malade présente les
symptômes ordinaires d'une neurasthénie qu'on peut attribuer aux excès
sexuels d'un homme ayant des besoins anormaux, dans ses rapports avec
des personnes de son propre sexe, et aux influences nuisibles du coït
forcé avec sa femme malgré son horror feminæ.
Le malade déclare
être né de parents sains et n'avoir dans son ascendance ni névropathes
ni aliénés. Son frère aîné fut marié pendant trois ans. Le mariage fut
dissous parce que l'époux n'avait jamais eu de rapports sexuels avec sa
femme. Il se maria une seconde fois. La seconde femme aussi se plaignit
d'être négligée par son mari; mais elle a quatre enfants dont la
légitimité n'est pas mise en doute. Une soeur est hystérique.
Le
malade prétend avoir, étant jeune homme, souffert d'accès de vertige
qui duraient plusieurs secondes et pendant lesquels il avait comme le
sentiment que tout son être se désagrégeait. Il dit avoir été de tout
temps très irritable, très émotif, et avoir eu de l'enthousiasme pour
la poésie et pour la musique. Lui-même il dépeint son caractère comme
mystérieux, anormal, nerveux, inquiet, extravagant et hésitant. Il est
souvent exalté sans aucune raison, et ensuite déprimé sans motif,
jusqu'à concevoir des idées de suicide. Il peut, par une transition
rapide et subite, passer des sentiments religieux à la frivolité, de
l'esthétique au cynisme, de la lâcheté à la provocation, de la
crédulité bonasse à la méfiance, enfin de la tendance à faire du mal à
autrui à celle d'être touché aux larmes du malheur des autres, d'être
libéral jusqu'à la prodigalité et ensuite avare comme Harpagon. En tout
cas, le malade est un être taré. Intellectuellement il semble être très
bien doué; aussi nous a-t-il affirmé avoir appris avec facilité et
avoir toujours été parmi les premiers en classe.
Le mariage de
cet homme ne fut pas heureux. Le malade est resté neurasthénique malgré
qu'il n'ait que rarement accompli avec sa femme l'acte sexuel si
inadéquat et si nuisible pour lui, et qu'il n'ait pas moins rarement
trouvé de compensations chez des amants masculins. Sa souffrance
présentait par moments des exacerbations considérables jusqu'à
désespérer de sa situation conjugale et sexuelle, et allant même
jusqu'au plus violent tædium vitæ.
Sa femme est devenue
hystéropathe, anémique, et le malade lui-même est d'avis qu'elle l'est
devenue ex abstinentia. Quelque violence qu'il se fasse, quelque effort
qu'il déploie, il lui est impossible depuis quelques années de faire le
coït; les érections font absolument défaut, tandis qu'il se sent très
puissant dans ses rapports avec ses amants masculins.
Le garçon de ces malheureux parents a maintenant neuf ans et se porte bien.
Le
malade m'avoua encore qu'autrefois il n'était puissant pendant le coït
avec sa femme qu'en évoquant par artifice dans son imagination l'image
d'un homme aimé. (Extrait du Lehrbuch der Psychiatrie de l'auteur, 2e
édition, avec des notes supplémentaires).
OBSERVATION 114. Autobiographie.--L'auteur de ces lignes est uraniste de naissance.
Bien
que je n'aie jamais rencontré d'autres uranistes, je suis complètement
renseigné sur mon état, ayant réussi à me procurer avec le temps tous
les ouvrages scientifiques qui traitent de ce sujet. Il n'y a pas
longtemps que j'ai eu l'occasion de lire votre livre Psychopathia
sexualis.
Je vis que vous examiniez et précisiez les choses sans préjugé, seulement dans l'intérêt de la science et de l'humanité.
Bien
que je ne puisse vous communiquer beaucoup de faits nouveaux, je tiens
tout de même à vous mentionner certaines choses que vous voudrez bien
accepter comme une pierre de plus pour votre édifice; je les remets en
pleine confiance entre vos mains, convaincu que vous vous en servirez
pour notre réhabilitation sociale.
Vous êtes peut-être dans le
vrai en supposant que nous sommes souvent atteints d'une tare
héréditaire. Mon père souffrait d'une maladie de la moelle épinière
avant ma naissance; plus tard, il est devenu mélancolique et s'est
suicidé.
Un autre point cependant sur lequel je ferai mes
réserves, est l'opinion exprimée par vous, dans un autre passage, que
l'onanisme, pratiqué dès la première jeunesse, pourrait amener un
individu à des penchants pervers.
Négociant, propriétaire d'un
petit fonds de commerce, célibataire--(cela va de soi),--je viens de
passer ma trentième année; j'ai l'apparence d'un homme bien portant et
mon extérieur s'écarte à peine du type viril normal. J'ai ressenti à
partir de l'âge de dix ans mes premières émotions sexuelles qui, dès le
début, se portèrent exclusivement vers le sexe masculin.
À
partir de l'âge de douze ans, j'ai pratiqué la masturbation. J'ai dû
jusqu'à aujourd'hui me contenter de ce genre de satisfaction, le coït
avec la femme ayant été impossible, malgré tous mes essais, et n'ayant
jamais éprouvé de désirs mais plutôt du dégoût pour la femme, et par
conséquent n'ayant jamais la moindre érection.
Si je dois faire
maintenant une confession sur la manière de satisfaire mon instinct
sexuel, je dois avouer qu'autrefois des camarades d'école, des garçons
de mon âge, pouvaient provoquer chez moi une excitation sexuelle. Mon
penchant pour les garçons de dix ans, mais surtout pour les jeunes gens
de quinze à vingt ans, subsiste encore aujourd'hui.
Ce qui me
charme avant tout, ce sont les formes des corps bien vigoureux mais
pourtant délicats des cadets (élèves militaires), dont l'uniforme plein
de goût et les manières distinguées m'excitent particulièrement.
Je
n'ai pas eu l'occasion d'entrer avec eux en rapports, même purement
sociaux. Je dois me contenter de les suivre dans les rues et les
promenades ou bien dans les cas plus favorables, au restaurant, sur le
tramway ou en chemin de fer; je m'assieds près d'eux et, quand je puis
le faire sans être aperçu, je me satisfais au moyen de l'onanisme.
Mon désir le plus ardent serait souvent d'être l'ami, le serviteur ou l'esclave d'un de ces jeunes hommes.
Je
ne pense jamais à la pédérastie directe: exoptatum mihi est corpus
tangere, amplecti, membrum meum ab amato juvene tangi, me autem
genitalia vel podicem ejus osculare posse.
J'ai souvent cette
envie que Sacher Masoch dépeint dans son roman «La Vénus à la
fourrure», dans lequel un homme se fait volontairement l'esclave d'une
femme, et éprouve des frissons de volupté quand il est battu ou humilié
par elle. Seulement, chez moi, ce sentiment est modifié dans ce sens
que je ne voudrais nullement être l'esclave d'une femme, mais l'esclave
d'un homme ou plutôt d'un jeune homme que j'aimerais tellement que je
me mettrais à sa merci avec tout mon être.
Voilà quelles sont à
peu près les scènes de volupté qui sont présentes à mon esprit pendant
que je m'onanise, scènes dans lesquelles je me représente toujours les
jeunes hommes ou les garçons que j'ai rencontrés.
Je sens bien que l'onanisme est toujours un pis-aller bien triste et bien incomplet.
Voici
comment je procède dans mon rêve de volupté.--(Je dis tout, car je
tiens à écrire la vérité et toute la vérité.)--Je me figure m'être
engagé à une obéissance absolue envers un jeune homme qui me plaît au
physique. Je m'imagine qu'il vient m'humilier, qu'il exige, par
exemple, que je baise ses pieds ou qu'il m'oblige à renifler ses
chaussettes trempées de sueur. Quia quod exopto et concupisco mihi non
contingit meas crepidas (chaussettes) olfacio casque in os recipio,
genitalia mea iis praestringo, quibus factis mox pene erecto voluptate
perturbatus semen ejaculo.
Dans l'évocation de ces images, je
suis allé même jusqu'à me figurer que le jeune homme que je me
représentais comme mon maître, m'ordonnait pour m'humilier de manger de
ses excréments. Alors, à défaut de la réalisation de la scène imaginée,
je mange de mes propres excréments, toutefois en petite quantité
seulement, avec un dégoût partiel et un vif battement de coeur; alors
il se produit une violente érection suivie d'éjaculation.
Cependant,
je n'arrive à ces scènes malpropres d'une imagination fiévreuse et à
leur exécution que lorsque je me suis privé, pendant un laps de temps
plus ou moins long, du plaisir de me satisfaire par l'onanisme, dans le
voisinage immédiat d'un jeune homme.
Ce dernier procédé est plus
conforme à mon naturel, car il me procure un peu plus de jouissance et
en quelque sorte un rassérènement physique et intellectuel, bien que je
n'aie pas encore pu arriver à mon idéal d'une satisfaction réelle et
directe, accordée avec consentement mutuel.
Je crois presque que
l'horrible fantaisie dont j'ai parlé n'est que la conséquence de la
privation des satisfactions normales, c'est-à-dire des satisfactions
qui sont normales pour moi, dans ma nature d'uraniste. Je crois que,
par une satisfaction régulière, corps à corps, cette passion poussée
jusqu'à la folie se calmerait et renoncerait en tout cas à de pareilles
extravagances. Ou, pour être plus précis, c'est l'effet final de mes
essais d'abstinence, car c'est seulement après une plus ou moins longue
période de privation que j'aboutis à ces images de folie et de volupté.
Je
crois même que, dans d'autres circonstances sociales, je serais capable
de grandes et de nobles affections ainsi que d'abnégation. Mes idées ne
sont point exclusivement charnelles ou morbidement sensuelles. Que de
fois, à l'aspect d'un beau jeune homme, je suis saisi d'un sentiment
profond et romanesque! Et alors, je récite comme une prière ce beau
vers de Heine:
«Tu es comme une fleur, si délicieuse, si belle, si pure, etc.»
Un
jour que je dus me séparer d'un jeune homme que j'estimais et que
j'appréciais, bien qu'il ignorât mon amour pour lui, ce furent les
beaux vers de Scheffel qui me revinrent, ces beaux vers dont la dernier
couplet--mutatis mutandis--résonnait surtout dans mon âme:
«Le
monde est devant moi, gris comme le ciel. Mais que mon sort tourne au
bien ou au mal!--Cher ami, fidèle je pense à toi;--Que Dieu t'ait en sa
garde! C'eût été trop beau!--Que Dieu te protège! Le sort en a décidé
autrement.»
Jamais un jeune homme ne s'est encore douté de mon
amour pour lui; je n'ai porté à aucun un funeste préjudice au point de
vue moral; mais il y en a beaucoup à qui j'ai frayé le chemin; alors je
ne recule devant aucune peine, et je fais tous les sacrifices que je
puis faire.
Quand j'ai l'occasion d'avoir auprès de moi un ami
aimé, de le former, de le maintenir et de le protéger, quand mon amour,
resté ignoré, est payé de retour (bien entendu par une affection non
sexuelle), alors les sales images de mon imagination se dissipent.
Alors mon amour devient presque platonique; il s'ennoblit, pour
retomber ensuite dans la fange, quand il ne lui est pas donné de se
manifester dignement.
Je suis d'ailleurs, sans me flatter, un
homme qui ne compte pas parmi les plus méchants. D'un esprit plus vif
que la moyenne des gens, je prends part à tout ce qui émeut l'humanité.
Je suis bon, doux et facile à apitoyer; je ne ferais pas de mal à une
bête et moins encore à un être humain; au contraire, partout où je le
peux, je fais le bien et des actions humanitaires.
Bien que,
devant ma conscience, je ne puisse rien me reprocher et que je repousse
vivement le jugement du monde sur nous, je souffre beaucoup. Il est
vrai que je n'ai jamais fait de mal à personne et que je crois mon
amour, dans ses manifestations nobles, un sentiment aussi élevé que
l'amour des hommes normaux; mais, avec le sort malheureux que nous
prépare l'intolérance et l'ignorance, je souffre souvent très durement,
au point d'être las de cette vie.
Il n'y a pas d'écrits ni de
paroles qui puissent dépeindre toute notre misère, toutes nos
situations malheureuses, la peur continuelle d'être découverts dans
notre anomalie et d'être mis au ban de la société. La seule idée d'être
découvert, de perdre sa position et d'être répudié par tout le monde,
est plus pénible qu'on ne le croit. Alors tout ce qu'on aurait fait de
bien serait oublié; tout individu de prédisposition normale se
rengorgerait, fort de son sentiment de haute moralité, même s'il eût
agi le plus cyniquement en ce qui concerne son amour. Je connais plus
d'un individu normal dont la frivolité en amour me semblera toujours
difficile à comprendre.
Cependant, qu'importe notre misère! Nous
pouvons finir nos jours malheureux en maudissant l'humanité. En vérité,
souvent j'aspire au calme de l'asile d'aliénés. Que ma vie finisse
quand il le faudra! Le plus tôt serait le mieux; je suis prêt.
Pour
passer à une autre question, je crois aussi, comme les autres qui vous
ont écrit, que notre nervosité n'est que le résultat de notre existence
malheureuse et infiniment misérable au milieu de la société humaine.
Et
maintenant, encore une remarque. À la fin de votre ouvrage, vous parlez
de la suppression de l'article du Code relativement à nos actes.
Certes, par cette suppression l'humanité ne périra point. En Italie,
comme je crois le savoir, il n'y a pas de paragraphe de ce genre. Et
pourtant l'Italie n'est pas une contrée sauvage, mais un pays civilisé.
Et moi qui suis obligé de saper ma santé par l'onanisme, je ne pourrais
pas être atteint par la loi, dont jusqu'ici je n'ai violé aucun
article. Pourtant je souffre de ce maudit mépris qui pèse sur nous.
Mais comment l'opinion de la société pourrait-elle se modifier, tant
qu'un article du Code la confirmera dans sa fausse moralité. La loi
doit en tout cas répondre à la conscience du peuple, non pas à la
conscience populaire qui est erronée, mais aux opinions des gens les
mieux pensants et les plus instruits de la nation; elle ne doit pas se
régler sur les désirs et les préjugés d'une populace superstitieuse et
obscure.
Les esprits perspicaces ne doivent pas persévérer plus longtemps dans les vieilles opinions à ce sujet.
Excusez-moi,
Monsieur, de terminer sans me nommer. Ne cherchez pas après moi. Je ne
pourrais rien ajouter qui soit digne d'être noté. Je vous remets ces
lignes dans l'intérêt de mes compagnons de malheur. Publiez-en ce que
vous croyez utile dans l'intérêt de la science, de la vérité et de
l'équité.
OBSERVATION 115.--Par une soirée d'été, au crépuscule,
X. Y..., docteur en médecine dans une ville de l'Allemagne du Nord, a
été pris en flagrant délit par un garde champêtre, au moment où il
faisait sur un chemin des actes d'impudicité avec un vagabond. Il
masturbait ce dernier et ensuite mentulam alius in os suum immisit.
X... s'est soustrait aux poursuites judiciaires en prenant la fuite. Le
procureur royal abandonna la plainte parce qu'il n'y avait aucun
scandale public et que l'immissio membri in anum n'avait pas eu lieu.
On a trouvé en la possession d'X... une vaste et longue correspondance
uraniste qui a permis de constater que, depuis des années, il avait des
rapports uranistes suivis avec des personnes appartenant à toutes les
classes de la société. X... est issu d'une famille tarée. Le grand-père
du côté paternel est mort aliéné et s'est suicidé. Le père était un
homme de constitution faible et de caractère bizarre. Un frère du
malade s'est masturbé dès l'âge de deux ans. Un cousin était inverti,
il commit les mêmes actes contre les bonnes moeurs que X...; c'était un
jeune homme imbécile; il a fini ses jours avec une maladie de la moelle
épinière. Un frère de son grand-père du côté paternel était
hermaphrodite. La soeur de sa mère était folle. La mère passe pour être
bien portante. Le frère de X... est nerveux et à des accès de colère
violente.
Étant enfant, X... était aussi très nerveux. Le
miaulement d'un chat lui causait une peur terrible; on n'avait qu'à
imiter la voix d'un chat pour qu'il se mît à pleurer amèrement et à se
cramponner de peur aux personnes de son entourage.
À l'occasion
de maladies peu graves, il était toujours pris de fièvres violentes.
C'était un enfant calme, rêveur, doué d'une imagination très vive, mais
de faibles moyens intellectuels. Il ne rechercha jamais les jeux des
garçons. Il s'amusait, de préférence, aux occupations féminines. Il
avait un plaisir particulier à coiffer la servante de la maison ou son
frère.
À l'âge de treize ans, X... fut mis en pension. Là, il
pratiqua l'onanisme mutuel, séduisit ses camarades, se rendit
impossible par sa conduite cynique, de sorte qu'on dut le renvoyer chez
ses parents. Déjà, à cette époque, des lettres d'amour, d'un caractère
lascif et parlant d'inversion sexuelle, tombèrent entre les mains des
parents.
À partir de l'âge de dix-sept ans, X... fit ses études
sous la direction sévère d'un professeur de lycée. Il faisait des
progrès convenables. Il n'avait du talent que pour la musique. Après
avoir fait son baccalauréat, X... devint, à l'âge de dix-neuf ans,
étudiant de l'Université. Là, il se fit remarquer par son genre cynique
et par la fréquentation de jeunes gens sur lesquels toutes sortes de
bruits couraient, avec force allusions à leurs amours homosexuelles. Il
commença à devenir coquet dans sa mise; il aimait les cravates
voyantes, portait des chemises très échancrées au cou, serrait ses
pieds dans des bottes étroites et peignait ses cheveux d'une façon
étrange. Ces penchants disparurent lorsqu'il eut terminé ses études
universitaires et qu'il fut rentré chez ses parents.
À l'âge de
vingt-quatre ans, il fut gravement neurasthénique pendant quelque
temps. À partir de cette époque et jusqu'à l'âge de vingt-neuf ans, il
parut très sérieux, se montrant très capable dans son métier; mais il
évitait la société du beau sexe et rôdait toujours avec des messieurs
d'une réputation douteuse.
Le malade n'a pas consenti à un
examen personnel. Il s'est excusé par lettre, en disant qu'il le croit
sans utilité, son penchant pour son propre sexe existant chez lui
depuis son enfance et étant congénital. De tout temps, il a eu l'horror
feminæ, et il n'a jamais pu se décider à goûter les charmes féminins.
Vis-à-vis de l'homme, il se sent dans le rôle masculin. Il reconnaît
que son penchant pour son propre sexe est anormal, mais il s'excuse de
ses excès sexuels par sa prédisposition morbide.
Depuis sa fuite
d'Allemagne, X... vit dans le sud de l'Italie, et, comme je l'apprends
par une lettre qu'il m'a adressé, il s'adonne, comme autrefois, à
l'amour uraniste.
X... est un homme grave, de très belle
prestance et de traits tout à fait virils; il a une barbe très fournie;
ses parties génitales sont normalement développées. Le docteur X... a
mis, il y a quelque temps, son autobiographie à ma disposition; les
passages suivants méritent d'en être reproduits. «Quand, à l'âge de
sept ans, je suis entré dans une pension, je me sentis très mal à mon
aise, et j'ai trouvé un accueil très peu avenant de la part de mes
condisciples. Je ne me sentais attiré que vers un seul d'entre eux, un
très joli enfant que j'aimais presque passionnément. Dans nos jeux
d'enfants, je savais toujours arranger les choses pour paraître habillé
en fille; et mon plus grand plaisir était de faire à notre bonne des
coiffures bien compliquées. Je regrettais souvent de n'être pas né
fille.
«Mon instinct génital s'éveilla à treize ans et se porta,
dès son origine, vers les jeunes gens vigoureux. Au commencement, je ne
me rendis pas encore compte du caractère anormal de ce penchant; je
n'en eus conscience que quand je vis et entendis comment mes camarades
étaient conformés sous le rapport sexuel. À l'âge de treize ans, je
commençai à me masturber. À l'âge de dix-sept ans, je quittai la maison
paternelle et je fréquentai le lycée d'une grande capitale, où l'on
m'avait mis en pension chez un professeur marié. J'eus plus tard des
rapports sexuels avec le fils de ce professeur. C'était la première
fois que j'éprouvais une satisfaction sexuelle. Ensuite, je fis la
connaissance d'un jeune artiste, qui s'aperçut bientôt de mon naturel
anormal et qui m'avoua que c'était aussi son cas. J'appris par lui que
cette anomalie était très fréquente: cette communication anéantit
l'idée qui m'affligeait beaucoup que j'étais le seul individu anormal.
Ce jeune homme avait de nombreuses connaissances de son goût et il
m'introduisit dans ce cercle d'amis. Là, je fus bientôt l'objet de
l'attention générale, car, comme on disait, au physique je promettais
beaucoup. Bientôt, je fus idolâtré par un monsieur d'un âge mûr, que je
reçus pour une courte période; puis, j'écoutai avec complaisance les
propositions d'un jeune et bel officier qui était à mes pieds. À vrai
dire, celui-ci était mon premier amour.
«Après avoir fait mon
baccalauréat, à l'âge de dix-neuf ans, affranchi de la discipline de
l'école, je fis la connaissance d'un grand nombre de gens ayant mes
penchants, entre autres celle de Karl Ulrichs (Numa Numantius).
«Lorsque,
plus tard, je passai à l'étude de la médecine et que j'eus des
relations avec beaucoup de jeunes gens de nature normale, je me trouvai
souvent dans l'obligation de céder aux invitations de mes camarades et
d'aller chez des filles publiques. Après m'être couvert de honte devant
plusieurs femmes, parmi lesquelles il y en avait de très belles,
l'opinion se répandit parmi mes amis que j'étais impuissant. Je donnai
à ce bruit de la consistance en racontant de prétendus exploits
excessifs que j'avais autrefois accomplis avec des femmes. J'avais, à
cette époque, de nombreuses relations au dehors. Dans les cercles, on
vantait tellement ma beauté physique, que ma réputation de beauté prit
une très grande extension. Ceci eut pour conséquence qu'à chaque
instant un voyageur se présentait et que je recevais une telle quantité
de lettres d'amour que j'en étais souvent embarrassé. Cette situation
atteignit son apogée quand, plus tard, je fus logé au lazaret comme
médecin faisant son volontariat d'un an. Il y avait là un va-et-vient
comme chez une personnalité célèbre, et les scènes de jalousie qui s'y
jouaient à cause de moi faillirent amener la découverte de toute cette
affaire. Peu de temps après, je tombai malade: j'avais une inflammation
de l'articulation de l'épaule, dont je ne guéris que trois mois plus
tard.
«Pendant ma maladie, on me fit plusieurs fois par jour des
injections sous-cutanées de morphine, qu'on cessa brusquement un jour,
mais que, en secret, je continuai de pratiquer, même après ma guérison.
Avant de commencer à pratiquer comme médecin, je fis un séjour de
plusieurs mois à Vienne pour faire des études spéciales. Grâce à des
recommandations, j'eus dans cette ville mes entrées dans divers cercles
de personnes de mon genre. J'y fis la remarque que l'anomalie dont il
est ici question est, dans ses formes variées, aussi répandue dans les
classes populaires que dans les hautes classes de la société, et que
ceux qui sont abordables par métier, contre espèces sonnantes, se
rencontrent fréquemment aussi dans les hautes classes.
«Quand je
me suis établi comme médecin à la campagne, j'espérais pouvoir me
débarrasser de la morphine en prenant de la cocaïne. Ainsi je tombai
dans le cocaïnisme qu'on n'a pu supprimer qu'après trois rechutes, il y
a un an et neuf mois. Dans ma position, il m'était impossible de
trouver des satisfactions sexuelles, et je m'aperçus avec plaisir que
l'usage de la cocaïne avait pour conséquence d'éteindre mes désirs.
Quand je fus délivré pour la première fois du cocaïnisme, grâce aux
soins énergiques de ma tante, je partis en voyage pour quelques
semaines afin de me rétablir complètement. Les envies perverses étaient
revenues avec toute leur force. Un soir que je m'étais amusé avec un
homme en champ libre, dans les environs de la ville, je fus le
lendemain mandé au cabinet du procureur royal, qui me dit que j'étais
surveillé, qu'on m'avait déjà dénoncé, mais que l'acte dont on
m'accusait ne tombant pas sous le coup de la loi, selon la décision de
la Cour suprême de l'empire allemand, je devais cependant prendre
garde, car le bruit de cette affaire avait déjà pénétré partout. À la
suite de cet incident, je me vis dans la nécessité de quitter
l'Allemagne et de me chercher une nouvelle patrie dans un pays où les
lois et l'opinion publique considèrent que tous les penchants anormaux
ne peuvent pas être supprimés par la force de la volonté. Comme je me
rendais parfaitement compte que mes penchants étaient en contradiction
avec la manière de voir de la société, j'essayai à plusieurs reprises
de les maîtriser; je ne faisais que les attiser davantage, et mes amis
disaient qu'ils avaient observé sur eux le même effet. Me sentant
exclusivement attiré vers les jeunes gens vigoureux et très virils, et
ne trouvant que rarement des complaisances chez ces individus, j'en
étais souvent réduit à acheter ce consentement. Comme mes désirs ne
visaient que des personnes de la classe inférieure, j'en trouvais
toujours qui, pour de l'argent, se prêtaient à mes fantaisies. J'espère
que les révélations que je vais faire ne provoqueront pas votre
indignation; j'ai voulu d'abord les passer sous silence, mais il faut
que je les ajoute pour rendre ma communication plus complète,
puisqu'elles sont destinées à augmenter le nombre des cas que vous avez
observés. J'éprouve le besoin d'accomplir l'acte sexuel de la façon
suivante:
«Pene juvenis in os recepto, ita ut commovendo ore meo
effecerim, ut is quem cupio, semen ejaculaverit, sperma in perinæum
exspuo, femora comprimi jubeo et penem meum adversus et intra femora
compressa immitto. Dum hæc fiunt, necesse est ut juvenis me, quantum
potest, amplectatur. Quæ prius me fecisse narravi, eumdem mihi afferunt
voluptatem, acsi ipse ejaculo. Ejaculationem pene in anum immitendo vel
manu terendo assequi, mihi sequaquam amoenum est.
«Sed inveni qui penem meum recaperint atque ea facientes quæ supra exposui, effecerint, ut libidines meæ plane sint saturatæ.
«Quant
à ma personne, je dois encore donner les renseignements suivants. J'ai
1 m, 80 de taille; je suis d'un habitus tout à fait viril, et bien
portant, sauf une irritabilité anormale de la peau. J'ai des cheveux
blonds et touffus, la barbe idem. Mes parties génitales sont de
grosseur moyenne et d'une conformation normale. Je suis capable de
faire, dans les vingt-quatre heures, quatre à six fois l'acte dont j'ai
parlé, sans éprouver la moindre fatigue. Mon genre de vie est très
régulier. Je ne bois que très peu d'alcool et je suis très modéré dans
l'usage du tabac. Je joue assez bien du piano, et quelques petites
compositions que j'ai faites ont été très applaudies. Il n'y a pas
longtemps, j'ai achevé un roman qui, comme premier ouvrage, est très
favorablement apprécié par mes amis. Ce roman a pour sujet plusieurs
problèmes de la vie des invertis sexuels. Étant donné le grand nombre
de compagnons de souffrance que j'ai connus personnellement, je fus,
bien entendu, souvent à même de faire des observations sur les diverses
formes de cette anomalie; les renseignements suivants pourront donc
vous être de quelque utilité.
«Le fait le plus anormal que je
connaisse, c'est la manie d'un monsieur habitant les environs de
Berlin. Is juvenes sordidos pedes habentes aliis proefert, pedes eorum
quasi furibundus lambit. Tel est un monsieur de Leipzig, qui linguam in
anum coeno iniquatum quod ei gratissimum est, immittere narratur.
«À
Paris, il y a un monsieur qui, par ses insistances, a décidé un de mes
amis, ut in os ei mingat. On m'affirme que d'aucuns, à la vue de bottes
de cavaliers ou de pièces d'uniforme militaire, entrent dans une telle
extase qu'il se produit chez eux spontanément des éjaculations.
«L'exemple
de deux personnages de Vienne nous montre jusqu'à quel point certains
invertis se sentent femmes, ce qui n'est pas du tout mon cas. Ces deux
individus ont des sobriquets féminins: l'un est un coiffeur, qui
s'appelle Die französische Laura (Laura la Française), l'autre est un
ancien boucher qu'on appelle Die Selcher Fanny (Fanny la Charcutière).
Tous deux ne manquent jamais, pendant le carnaval, l'occasion de se
montrer déguisés en femmes. À Hambourg, il y a un personnage que
beaucoup de gens prennent pour une femme, parce que cet individu est
toujours, chez lui, habillé en femme et que, dans ses rares sorties, il
est également revêtu d'une toilette féminine. Ce monsieur a même voulu,
à l'occasion d'un baptême, figurer comme marraine, ce qui a provoqué un
scandale énorme.
«Les défauts des femmes, commérages, manque à
la parole donnée, faiblesse de caractère, sont le partage régulier de
pareils individus.
«Je connais plusieurs cas de tendance
sexuelle perverse où l'individu est en même temps atteint d'épilepsie
et de psychoses; ce qui est surprenant, c'est la fréquence des hernies
dans ces cas. Pendant que je pratiquais la médecine, plusieurs
personnes auxquelles je fus recommandé par mes amis, s'adressèrent à
moi pour des maladies contractées à l'anus. J'ai constaté deux chancres
syphilitiques, un chancre mou, plusieurs fissures, et actuellement j'ai
en traitement un monsieur qui a, à l'anus, des conditomes pointus, qui
forment une sorte de gonflement ressemblant à un chou-fleur et ayant
presque la grosseur du poing. J'ai vu à Vienne un cas d'affection
primitive du palais chez un jeune homme qui avait l'habitude de
fréquenter, déguisé en femme, les bals masqués et d'y attirer à l'écart
les messieurs. Il prétendait toujours, au moment psychologique, avoir
ses règles, et par ce moyen, il savait s'arranger de façon à ce qu'on
se servît de lui per os. De cette manière il aurait, en une seule
soirée, séduit quatorze jeunes gens.
«N'ayant, dans aucun des
ouvrages sur l'inversion sexuelle qui me sont tombés sous les yeux,
rien trouvé sur les rapports des pédérastes entre eux, je voudrais vous
donner, pour finir, encore quelques renseignements à ce sujet.
«Aussitôt
que deux invertis font connaissance, ils échangent mutuellement des
communications sur les incidents de leur passé, sur leurs amours et
leurs conquêtes, à moins qu'une pareille conversation soit impossible
par la grande distance sociale qui sépare un uraniste de l'autre. Ce
n'est que rarement qu'on s'abstient d'une pareille conversation quand
on fait une nouvelle connaissance. Entre eux, les invertis se désignent
par le mot «tantes»; à Vienne ils s'appellent «soeurs». Deux
prostituées viennoises, d'allures masculines, dont j'ai fait la
connaissance par hasard, et qui ont entre elles des rapports
d'inversion sexuelle, me racontèrent que, dans des circonstances
analogues, les femmes se servent de la désignation d'«oncles». Depuis
que j'ai une conscience nette de mon état anormal, je suis entré en
relations avec plus de mille individus, ayant des sentiments conformes
à ma nature. Presque dans chaque grande ville il y a un lieu de réunion
pour eux, ce qu'on appelle «un trottoir», un lieu de raccolage. Dans
les petites villes il y a relativement peu de «tantes»; cependant, j'en
ai trouvé huit dans une bourgade de 2.300 habitants; dans une ville de
7.000 habitants dix-huit dont j'étais sûr, sans parler des autres que
je soupçonnais. Dans ma ville natale, qui a 30.000 habitants, je
connais personnellement environ cent-vingt tantes. La plupart ont la
faculté, et pour ma part je la possède au plus haut degré, de juger du
premier coup d'oeil si un individu a nos tendances ou non, ou, pour
employer l'argot des tantes, «s'il est raisonnable ou non raisonnable».
Mes amis étaient souvent étonnés de la sûreté extraordinaire de mon
coup d'oeil. Je reconnaissais au premier coup d'oeil des «tantes» chez
des individus qui, selon toute apparence, étaient organisés tout à fait
virilement. D'autre part, j'ai tellement la faculté de me comporter
virilement que, dans les cercles où je fus recommandé par des amis, on
manifesta au premier abord des doutes sur l'authenticité de mon
caractère. Quand je suis de mauvaise humeur, je peux me comporter tout
à fait comme une femme. La plupart des «tantes», y compris moi, ne
regardent pas leur anomalie comme un malheur; ils regretteraient plutôt
de voir leur état changer. Comme, selon mon opinion et celle des autres
tantes, cet état congénital ne peut guère être influencé par rien, nous
n'avons qu'un espoir, c'est de voir un jour modifier les articles du
Code dans ce sens que le viol ou la provocation au scandale public,
quand ils sont constatés simultanément, pourraient être poursuivis par
la loi».
OBSERVATION 116 (Inversion sexuelle chez une
femme).--S... I..., trente-huit ans, institutrice, m'a consulté pour
des souffrances nerveuses. Le père fut passagèrement aliéné; il est
mort d'une maladie du cerveau. La malade est une enfant unique. Déjà,
dans sa première jeunesse, elle souffrait de sentiments d'angoisse et
d'idées qui la tourmentaient, par exemple, qu'elle se trouvait dans un
cercueil et qu'elle s'éveillerait après qu'on l'aurait fermé, qu'elle
avait oublié de dire quelque chose à confesse et qu'elle ne serait pas
digne de la communion. Elle souffrait beaucoup de maux de tête, était
très émotionnable, peureuse, mais avait tout de même des impulsions à
voir des choses émouvantes, par exemple des cadavres.
Dès sa
plus tendre enfance, la malade était excitée sexuellement, et elle en
vint à la masturbation sans y avoir été entraînée par personne. Les
règles se produisirent à l'âge de quatorze ans, plus tard elles
s'accompagnèrent de douleurs et de coliques, d'une violente excitation
sexuelle, de migraines et d'une forte dépression morale. À partir de
l'âge de dix-huit ans, la malade a pu supprimer son penchant à la
masturbation.
La malade n'a jamais ressenti d'affection pour une
personne de l'autre sexe. Quand elle pensait au mariage, ce n'était que
parce qu'elle désirait par ce moyen se caser. En revanche, elle se
sentait puissamment attirée vers les filles. Elle prit au commencement
cette affection pour un sentiment d'amitié. Mais bientôt elle reconnut,
à l'ardeur avec laquelle elle s'attachait à ses amies, à l'immense
langueur qu'elle éprouvait sans cesse pour elles, que ces sentiments
étaient pourtant plus que de l'amitié.
La malade ne peut pas
comprendre qu'une fille puisse aimer un homme, mais elle comprend très
bien qu'un homme puisse avoir de l'affection pour une fille. Elle s'est
toujours vivement intéressée aux belles femmes et aux belles filles, et
leur aspect lui a toujours causé une puissante émotion. Son plus grand
désir a toujours été de pouvoir embrasser ces gentilles créatures. Elle
n'a jamais rêvé d'hommes, mais toujours de filles. Son bonheur était de
jouir de leur vue. La séparation de ses «amies» l'a toujours plongée
dans le désespoir.
La malade, dont l'extérieur est tout à fait
féminin et très décent, dit qu'elle ne s'est jamais sentie dans un rôle
particulier vis-à-vis de ses amies, pas même dans ses rêves de bonheur.
Le bassin est de conformation féminine, les mamelles sont fortes;
aucune trace de barbe sur la figure.
OBSERVATION 117.--Mme R...,
trente-cinq ans, femme du monde, m'a été amenée par son mari, en 1886,
pour une consultation médicale. Le père était médecin et très
névropathe. Le grand-père paternel était bien portant, normal, et a
atteint l'âge de quatre-vingt-dix ans. Sur la mère du père de la malade
on n'a pas de renseignements. Les frères et soeurs du père sont,
dit-on, tous nerveux. La mère de la malade était atteinte d'une maladie
de nerfs et souffrait d'asthme. Les parents de cette dernière étaient
tout à fait sains. La soeur de la mère fut atteinte de mélancolie.
Depuis
l'âge de dix ans, la malade a souffert de mal de tête habituel; sauf la
rougeole, elle n'a eu aucune maladie; elle était très douce, a reçu la
meilleure éducation; avait un talent particulier pour la musique et les
langues étrangères; fut obligée de faire des études pour obtenir un
brevet d'institutrice; fut pendant sa période de développement
intellectuellement très surmenée et a eu, à l'âge de dix ans, une
mélancolie sans délire qui a duré plusieurs mois. La malade affirme
que, de tout temps, elle n'a eu de sympathie que pour des personnes de
son propre sexe et qu'elle n'a eu que tout au plus un intérêt
esthétique pour les hommes. Elle n'a jamais eu de goût pour les travaux
de femmes. Étant petite, elle préférait à tout, courir et jouer avec
les garçons.
La malade dit qu'elle est restée bien portante
jusqu'à l'âge de vingt-sept ans. Alors elle est devenue, sans aucune
raison extérieure, mélancolique; elle se prenait pour une mauvaise
personne pleine de péchés, n'avait plus de joie à rien, était sans
sommeil. Pendant cette période de maladie, elle était tourmentée
d'idées obsédantes; elle se représentait sa mort, son agonie et celle
de son entourage. Elle guérit après cinq mois. Elle devint alors
gouvernante; elle était très surmenée; elle était bien portante sauf
quelques malaises neurasthéniques et des irritations spinales
périodiques.
À l'âge de vingt-huit ans, elle fit la connaissance
d'une dame plus jeune qu'elle de cinq ans. Elle en tomba amoureuse et
en fut aimée. Leur amour était très sensuel et trouvait à se satisfaire
dans l'onanisme mutuel. «Je l'ai idolâtrée, c'est un être si noble!»
disait la malade en parlant de cette liaison d'amour qui a duré quatre
ans et qui s'est terminée par le mariage malheureux de cette amie.
En
1885, après bien des émotions morales, la malade fut atteinte d'une
maladie, une sorte d'hystéro-neurasthénie (dyspepsie gastrique,
irritation spinale, accès de catalepsie, d'hémianopie avec migraine,
accès d'aphasie transitoire, pruritus pudendi et ani).
Au mois du février 1886, ces symptômes disparaissaient.
Au
mois de mars, la malade fit la connaissance de son mari actuel,
l'épousa sans hésiter, car il était riche, avait beaucoup d'affection
pour elle, et son caractère lui était sympathique.
Le 6 avril,
elle lit un jour cette phrase: «La mort n'épargne personne.» Comme un
coup de foudre, ses anciennes idées obsédantes de la mort lui
reviennent. Dans son obsession elle s'imaginait la mort la plus
terrible pour elle et son entourage; elle se représentait des scènes
d'agonie particulière; elle en perdit la tranquillité et le sommeil, et
ne se plaisait plus à rien. Son état s'améliora. Son mariage eut lieu
fin mai 1886, mais elle fut encore tourmentée de l'idée pénible qu'elle
porterait malheur à son mari et à sa parenté.
Le 6 juin, premier
coït. Elle en fut moralement très déprimée. Ce n'est pas comme cela
qu'elle s'était figuré le mariage! Au commencement elle fut tourmentée
par un violent tædium vitæ. Sou époux qui l'aimait sincèrement, faisait
tout son possible pour la rassurer. Les médecins consultés étaient
d'avis que tout irait bien, une fois que la malade serait grosse. La
mari ne pouvait s'expliquer la conduite énigmatique de sa femme. Elle
était aimable pour lui, tolérait ses caresses, se comportait d'une
façon tout à fait passive dans le coït qu'elle cherchait à éviter
autant que possible; elle était, après l'acte, pendant des jours
entiers fatiguée, épuisée, tourmentée par une irritation spinale et
nerveuse.
Un voyage des époux lui permit de revoir son amie qui,
depuis trois ans, vivait malheureuse en ménage. Les deux femmes
tressaillirent de joie et d'émotion, quand elles tombèrent dans les
bras l'une de l'autre; elles furent dès ce moment inséparables. Le mari
trouva cette liaison amicale quelque peu étrange et pressa le départ.
Il se convainquit en prenant connaissance de la correspondance de sa
femme avec cette amie, que cet échange de lettres ressemblait
absolument à celui qui est en usage entre amoureux.
Mme R...
devint enceinte. Pendant sa grossesse, les restes de sa dépression
psychique et ses obsessions disparurent. Vers le 15 septembre,
avortement environ à la neuvième semaine de la grossesse. À la suite,
nouveaux symptômes d'hystéro-neurasthénie; de plus antéflexion et
latéroflexion à droite de l'utérus, anémie, atonie ventriculaire.
À
la consultation, la malade fait l'impression d'une personne très tarée
névropathiquement. L'expression névropathique de l'oeil est manifeste.
Habitus tout à fait féminin. Sauf un palais très étroit et très
incurvé, il n'y a pas d'anomalies du squelette. Ce n'est que
difficilement que la malade s'est décidée à faire des confidences sur
son anomalie sexuelle. Elle se plaint d'avoir fait un mariage sans
savoir ce que c'est que la vie conjugale entre homme et femme. Elle
aime son mari cordialement à cause de ses qualités d'esprit, mais les
rapports conjugaux lui sont un supplice; elle n'y consent qu'à
contre-coeur et sans en éprouver jamais la moindre satisfaction. Post
actum, elle est pendant des jours entiers tout à fait fatiguée et
épuisée. Depuis l'avortement et l'interdiction du médecin de continuer
les rapports conjugaux, elle se sent mieux, mais c'est l'avenir qui lui
paraît terrible. Elle estime son mari, elle l'aime psychiquement, elle
ferait tout pour lui, si seulement il voulait dorénavant l'épargner
sexuellement. Elle espère qu'avec le temps elle pourrait devenir
capable d'un sentiment sensuel pour lui. Quand il joue du violon, elle
croit souvent qu'il surgit en elle un sentiment qui est plus que de
l'amitié, mais ce n'est qu'un sentiment éphémère dans lequel elle ne
voit aucune garantie pour l'avenir. Son suprême bonheur c'est sa
correspondance avec son ancienne amante. Elle sent que c'est un tort,
mais elle ne peut y renoncer; sans cela elle se sentirait trop
malheureuse.
Il faut noter comme très remarquable le fait que
l'anomalie peut, pendant longtemps, se borner à une simple inversion du
sentiment sexuel et que l'impulsion à une satisfaction perverse ne se
manifeste qu'à la suite d'une cause occasionnelle, par exemple une
séduction, ou d'une névrose qui vient de se déclarer. Ces cas peuvent
être facilement confondus avec ceux d'inversion morbide acquise, quand
on ne peut pas démontrer anamnestiquement qu'ils sont primitifs et
congénitaux par rapport au sens sexuel.
OBSERVATION 118.--Mme
C..., trente-deux ans, femme d'un fonctionnaire, grande, pas laide,
d'un extérieur tout à fait féminin, est née d'une mère névropathe et
très émotive. Un frère était psychopathe et a péri par potus. La malade
fut, de tout temps, bizarre, entêtée, renfermée, violente, coléreuse,
excentrique. Ses frères et soeurs aussi sont des gens très irritables.
Dans la famille, il y eut plusieurs cas de phtisie pulmonaire. À treize
ans, la malade se faisait déjà remarquer par des signes d'une grande
émotivité sexuelle et par un amour extatique pour une camarade de son
âge. Son éducation fut très sévère; toutefois la malade lisait
clandestinement beaucoup de romans et écrivait des poésies en quantité.
À l'âge de dix-huit ans, elle s'est mariée, pour échapper à la
situation désagréable qu'elle avait dans la maison paternelle.
Elle dit qu'elle a toujours été indifférente aux hommes. En effet, elle évitait les bals.
Les
statues de femmes lui plaisaient beaucoup. Le comble du bonheur pour
elle, serait d'être mariée avec une femme aimée. Il est vrai que cela
lui a toujours paru inexplicable. Elle dit qu'avant d'avoir conclu son
mariage, elle n'avait pas conscience de son anomalie sexuelle. La
malade s'est soumise au devoir conjugal; elle a donné naissance à trois
enfants dont deux ont souffert de convulsions; elle vécut d'accord avec
son mari qu'elle estimait, mais uniquement pour ses qualités morales.
Elle évitait volontiers le coït. «J'aurais préféré avoir des rapports
avec une femme.»
En 1878, la malade a fini par devenir
neurasthénique. À l'occasion d'un séjour dans une station balnéaire,
elle fit la connaissance d'un uraniste féminin, dont j'ai publié
l'histoire dans l'Irrenfreund (1884, nº 1, observation nº 6).
La
malade rentra changée dans sa famille. Le mari rapporte à ce sujet:
«Elle n'était plus mon épouse, elle n'avait plus d'affection ni pour
moi, ni pour ses enfants, et ne voulait plus entendre parler de
rapports conjugaux.» Elle était prise d'amour ardent pour son amie;
elle n'avait plus d'idées pour autre chose. Quand son mari eut interdit
la maison à la dame en question, il y eut une correspondance où l'on
pouvait lire des passages comme celui-ci: «Ma colombe, je ne vis que
pour toi, mon âme!» C'était une émotion terrible quand une lettre
attendue n'arrivait pas. La liaison n'était pas du tout platonique.
Certaines allusions laissent supposer que le procédé du satisfaction
sensuelle était l'onanisme mutuel. Cette liaison amoureuse dura
jusqu'en 1882 et rendit la malade neurasthénique au plus haut degré.
Comme elle négligeait absolument la maison, le mari prit une dame de
soixante ans comme femme de ménage, et, en outre, une gouvernante pour
les enfants. La malade est devenue amoureuse de toutes les deux;
celles-ci toléraient ses caresses et tiraient un profit matériel de la
passion de leur maîtresse.
Vers la fin de 1883, elle dut faire
un voyage dans le Midi à cause d'une tuberculose pulmonaire qui
commençait à se développer. Là elle fit la connaissance d'une Russe,
âgée de quarante ans, en tomba passionnément amoureuse, mais ne trouva
pas l'amour en retour qu'elle aurait désiré. Un jour la malade fut
frappée d'aliénation mentale; elle prenait la Russe pour une nihiliste,
se croyait magnétisée par elle; elle eut un délire de persécution
manifeste, s'enfuit, fut prise dans une ville d'Italie, transportée à
l'hôpital où elle se calma bientôt. Elle poursuivit alors de nouveau la
dame de ses propositions d'amour, se sentant infiniment malheureuse et
songeant au suicide.
Rentrée au domicile de son mari, elle fut
prise d'une profonde dépression de ne pas avoir sa Russe, et se montra
froide et brusque envers son entourage. Vers la fin du mois de mai
1887, il se déclara chez elle un état d'excitation érotique avec
délire. Elle dansait, jubilait, déclarait qu'elle était du sexe
masculin, demandait après ses anciennes maîtresses, prétendait être de
la famille impériale; elle prit la fuite, déguisée en homme; elle fut
ensuite amenée dans un état d'émotion érotico-maniaque à l'asile
d'aliénées. L'état d'exaltation disparut au bout de quelques jours. La
malade devint calme, déprimée; elle fit une tentative de suicide par
désespoir, elle fut ensuite atteinte d'un douloureux tædium vitæ,
l'inversion sexuelle passant de plus en plus au second rang; la
tuberculose faisait des progrès. La malade est morte de phtisie au
commencement de l'année 1885.
L'autopsie du cerveau n'a montré
rien d'étrange en ce qui concerne la structure et l'ordre des
circonvolutions. Le poids du cerveau était de 1,150 grammes. Le crâne
était légèrement asymétrique. Aucun signe anatomique de dégénérescence.
Les parties génitales internes et externes étaient normales.
3. EFFÉMINATION ET VIRAGINITÉ.
Il
y a, entre le groupe précédent et celui-ci, plusieurs cas
intermédiaires qui servent de transition, et qui sont caractérisés par
le degré d'influence du penchant sexuel sur la personnalité psychique,
spécialement sur les penchants et l'ensemble des sentiments. Dans les
cas les plus avancés du troisième groupe, des hommes se sentent femmes
devant l'homme, et des femmes se sentent hommes en face de la femme.
Cette anomalie dans le développement des sentiments et du caractère se
manifeste souvent dès l'enfance. Le garçon aime à passer son temps dans
la société de petites filles, à jouer aux poupées, à aider sa maman
dans les occupations du ménage; il aime les travaux de la cuisine, la
couture, la broderie, montre du goût dans le choix des toilettes
féminines, de sorte que, en cette matière, il pourrait même donner des
consultations à ses soeurs. Devenu plus grand, il n'aime pas à fumer, à
boire, à se livrer aux sports virils; il trouve, au contraire, plaisir
aux chiffons, aux bijoux, aux arts, aux romans, etc., au point de faire
le bel esprit. Quand la femme représente ces tendances, il préfère
fréquenter la compagnie des dames.
Son plus grand plaisir c'est
de pouvoir se déguiser en femme, à l'occasion d'une mascarade. Il
cherche à plaire à son amant en cherchant, pour ainsi dire
instinctivement, à lui montrer ce qui plaît dans le sexe opposé à
l'homme hétérosexuel: pudeur, grâce, sens esthétique, poésie, etc.
Souvent il fait des efforts pour se donner une allure féminine par sa
démarche, par son maintien, par la coupe de ses vêtements.
La
contre-partie est représentée par l'uraniste féminin, dès l'âge de
petite fille. L'endroit qu'elle préfère est le préau où s'ébattent les
garçons; elle cherche à rivaliser avec eux dans leurs jeux. La petite
fille ne veut rien savoir des poupées; sa passion est le cheval à
bâton, le jeu de soldats et de brigands. Elle montre non seulement de
l'antipathie pour les travaux féminins, mais elle y montre aussi une
maladresse insigne. Sa toilette est négligée; elle aime les manières
rudes et garçonnières. Au lieu des arts, son goût et ses penchants la
portent vers les sciences. À l'occasion, elle fait un effort pour
s'essayer à boire et à fumer. Elle déteste les parfums et les
sucreries. L'idée d'être née femme lui inspire des réflexions
douloureuses, et elle se sent malheureuse d'être à jamais exclue de
l'université, de la vie gaie d'étudiant et de la carrière militaire.
Une
âme d'homme sous un sein de femme se traduit par des penchants
d'amazone pour les sports virils, de même que par des actes de courage
et des sentiments virils. L'uraniste féminin aime la coupe de cheveux
et de vêtements des hommes, et le comble de son plaisir serait de
pouvoir, à l'occasion, se montrer habillée en homme. Son idéal réside
dans les personnages féminins de l'histoire ou de l'époque
contemporaine qui se sont signalés par leur esprit et leur énergie.
Quant
aux penchants et aux sentiments sexuels de ces uranistes, dont tout
l'être psychique est également atteint, les hommes se sentent femmes
devant un homme, et les femmes se sentent hommes devant une femme. Ils
éprouvent donc une répulsion en face des personnes de même sexe que le
leur, mais ils sont attirés par les homosexuels ou même les gens
normaux de leur propre sexe. La même jalousie qu'on trouve dans la vie
sexuelle normale, se rencontre aussi là, quand une rivalité menace leur
amour; cette jalousie est même souvent incommensurable, étant donné que
les invertis sont, dans la plupart des cas, sexuellement
hyperesthésiques.
Dans les cas d'une inversion sexuelle
complètement développée, l'amour hétérosexuel paraît à l'individu
atteint comme quelque chose de tout à fait incompréhensible; les
rapports sexuels avec une personne de l'autre sexe lui semblent
inconcevables, impossibles. Un essai dans ce sens échoue, par le fait
que l'idée entravante de dégoût et même d'horreur rend l'érection
impossible.
Deux individus seulement, des sujets de transition
vers la troisième catégorie, que j'ai observés, ont pu parfois faire le
coït, en ayant recours aux efforts de leur imagination, se figurant que
la femme qu'ils tenaient entre leurs bras était un homme. Mais cet acte
qui leur était inadéquat, était un grand sacrifice pour eux et ne leur
donnait aucune jouissance.
Dans les rapports homosexuels,
l'homme, pendant l'acte, se sent toujours comme femme et la femme comme
homme. Les procédés sont, chez l'homme, quand il y a faiblesse
irritable du centre d'éjaculation, simplement le succubus ou le coït
passif inter femora, ou dans d'autres cas la masturbation passive ou
ejaculatio viri dilecti in ore. Il y en a qui désirent la pédérastie
passive. À l'occasion, il y a aussi des désirs de pédérastie active.
Dans un cas d'essai fait dans ce sens, l'homme y renonça, car il fut
pris de dégoût pour un acte qui rappelait trop le coït normal.
Jamais
il n'existait dans les cas observés, un penchant pour des mineurs
(amour des garçons). Dans des cas assez nombreux, on s'en tenait aux
affections platoniques. La satisfaction sexuelle de la femme consiste
probablement dans l'amor lesbicus ou la masturbation active.
OBSERVATION
119. Autobiographie.--I. Antécédents.--J'ai maintenant vingt-trois ans;
comme vocation j'ai choisi les études de l'École polytechnique (École
des Ingénieurs et des Mines) où je trouve une parfaite satisfaction. Je
n'ai eu que des maladies d'enfance sans gravité, tandis que mon frère
et ma soeur qui sont maintenant bien portants, ont eu à en supporter de
très graves. Mes parents sont vivants et mon père est avocat. Il est,
ainsi que ma mère, comme on a l'habitude de dire, nerveux et très
surexcité. Mon père a eu un frère et une soeur qui sont morts à un âge
tendre.
II. État personnel.--En ce qui concerne mes attributs
physiques, j'ai un corps robuste, sans être très bien bâti; les yeux
sont gris, les cheveux blonds. Barbe et poils sur le corps,
raisonnablement pour mon âge et mon sexe. Les seins et les organes
génitaux sont normalement développés, ma démarche est ferme, presque
lourde, le maintien négligé. Ce qui est surprenant, c'est que la
largeur de mon bassin soit égale exactement à celle de mes épaules.
De
ma nature je suis bien doué intellectuellement. Dans un de mes
certificats on a même déclaré mes capacités «excellentes». Sans vouloir
me vanter, je dois dire que j'ai passé brillamment mes examens, et j'ai
un vif intérêt pour tout ce qui concerne le salut de l'humanité, pour
la science, les arts et l'industrie. Mon énergie a pu, avec assez de
facilité relativement, ajourner à une époque opportune la satisfaction
de mes besoins dont je donnerai la description plus loin. Je condamne
avec intention et en pleine conscience la morale d'aujourd'hui qui
force les anormaux sexuels à enfreindre des lois arbitrairement créées,
et j'estime que les rapports sexuels entre deux personnes du même sexe
ne doivent dépendre que du consentement libre des individus, sans que
le législateur ait le droit d'intervenir. J'ai puisé dans mes études la
première idée de former, d'après le procédé de Carneri, une morale
basée sur les doctrines darwiniennes, morale qui, il est vrai, ne
s'accorde guère avec celle d'aujourd'hui, mais qui serait capable
d'élever l'homme à un niveau supérieur, et de l'ennoblir dans le sens
des lois naturelles.
Je ne crois pas qu'il y ait chez moi
beaucoup de stigmates ni de tares. J'ai une certaine surexcitation. Ce
qui me paraît à ce sujet important à noter, c'est que j'ai fréquemment
des rêves où il ne s'agit, en général, que de choses indifférentes, et
qui n'ont jamais pour sujet de soi-disant images voluptueuses; tout au
plus ils roulent sur les toilettes féminines, sur leur essayage, sur ce
qui pour moi constitue, en tout cas, une idée voluptueuse. Parfois,
surtout jusqu'à l'âge de seize ans, la vivacité de mes songes
s'accentuait jusqu'au somnambulisme, et très souvent, ce qui m'arrive
encore aujourd'hui, jusqu'à me faire parler à haute voix pendant mon
sommeil.
Mes penchants. Mon penchant anormal dont j'ai parlé
plus haut, est le principe fondamental de mon sentiment sexuel. Quand
je me suis habillé en femme, j'éprouve une satisfaction complète. J'ai
alors une tranquillité, un bien-être particulier, qui me permettent de
me livrer plus facilement à une occupation intellectuelle. Mon libido
pour l'accomplissement de l'acte sexuel est très minime. J'ai aussi
beaucoup de dispositions et de goût pour les travaux manuels de la
femme; sans avoir reçu la moindre éducation, j'ai appris la broderie et
le crochet et, en secret, j'aime à faire ces travaux. J'aime aussi à
m'occuper d'autres travaux féminins, tels que la couture, etc. De sorte
qu'à la maison, où je cache soigneusement mon penchant et me garde bien
de m'y livrer, des preuves que je donnai involontairement de mes
aptitudes, m'ont valu cet éloge que je ferais une excellente femme de
chambre, éloge dont je ne rougis pas du tout, mais qui au contraire m'a
beaucoup flatté en secret. Je faisais peu de cas de la danse avec les
femmes; je n'aimais à danser qu'avec mes camarades d'école. Notre cours
de danse était organisé de sorte que j'en avais souvent l'occasion;
mais en dansant avec un camarade, je n'avais de plaisir qu'à la
condition d'être dans le rôle de la dame. Je passe sur une série de
rêveries et de désirs qui semblent avoir un caractère typique, étant
d'une ressemblance parfaite avec les phénomènes cités dans la
Psychopathia sexualis: par exemple, les fantaisies funèbres de ce jeune
officier, le costume de ballerine, etc. Pour le reste, mes goûts ne
diffèrent pas d'une façon notable de ceux de mon sexe. Je fume et bois
modérément; j'aime beaucoup les sucreries, et je fais peu de cas des
exercices du corps.
III. Historique de l'anomalie.--Après cette
description sommaire de mon individualité, je peux passer à l'analyse
historique du développement de mon anomalie. Dès le moment où j'ai pu
quelque peu penser par moi-même et que je me suis occupé de la
différence des sexes, j'eus le désir ferme et secret d'être une fille.
Je croyais même l'être. Mais, en prenant un bain avec des camarades, je
vis chez les autres garçons les mêmes parties génitales que chez moi,
je me rendis compte de l'impossibilité de mon idée. Je dus rabattre de
mes désirs et me nourrir de l'espoir d'être du moins hermaphrodite.
Comme j'avais une certaine répulsion à regarder de près les images et
les descriptions des parties génitales, bien que de pareils ouvrages me
soient tombés souvent entre les mains, cette espérance subsista
jusqu'au moment où mes études m'obligèrent à m'occuper de plus près de
cette matière. Pendant ce temps, je lus tous les livres où il était
question d'hermaphrodites, et quand parfois les journaux racontaient
comment une personne du sexe féminin avait été élevée en homme et
rendue plus tard par hasard à son sexe, j'avais le plus vif désir
d'être à la place de cette personne. Bien fixé sur mon caractère
masculin, j'ai dû mettre fin à mes rêves, ce qui ne m'a causé aucune
joie. J'essayai par toutes sortes de moyens d'annihiler mes glandes
génitales; mais les douleurs que j'éprouvai me firent renoncera à ces
tentatives. Maintenant encore j'ai le désir très vif d'avoir les signes
extérieurs du sexe féminin, d'avoir une jolie natte, un buste bien
arrondi, une taille de guêpe.
À l'âge de douze ans, j'ai eu pour
la première fois l'occasion de mettre des vêtements féminins; bientôt
après l'idée m'est venue d'arranger le soir les draps et les
couvertures de mon lit comme des jupons. Plus tard, avec l'âge, mon
plus grand bonheur était de prendre en cachette les robes de mes soeurs
et de m'en revêtir, ne fût-ce que pour quelques minutes et au risque
d'être découvert. À ma grande joie il me fut un jour permis de jouer un
rôle de femme dans une représentation théâtrale d'amateurs; on dit que
je m'en suis assez bien acquitté. Depuis que je suis devenu étudiant et
que je mène une vie plus indépendante, je me suis procuré des vêtements
et du linge de femme, que je tiens moi-même en bon état. Quand le soir,
à l'abri de toute découverte, je puis mettre une pièce après l'autre,
depuis le corset jusqu'au tablier et aux bracelets, je suis tout à fait
heureux, et je me mets au travail, calme, content dans mon for
intérieur, et plein de zèle pour mon ouvrage. Quand je m'habille en
femme, il se produit régulièrement une érection qui n'est jamais suivie
d'éjaculation, mais qui s'apaise d'elle-même en très peu de temps. Je
cherche aussi à me rapprocher extérieurement davantage du type féminin,
en donnant à mes cheveux une coiffure correspondant à ce caractère et
en rasant ma barbe que j'aimerais mieux voir arrachée.
IV.
Penchants sexuels.--En passant à la description de mes penchants
sexuels, je dois tout d'abord faire remarquer que ma maturité sexuelle
s'est faite d'une façon normale, si j'en conclus par mes pollutions, la
mue de ma voix, etc. Les pollutions se produisent maintenant encore
régulièrement toutes les trois semaines et rarement à des intervalles
plus rapprochés. Je n'en éprouve jamais une sensation de volupté. Je
n'ai jamais pratiqué l'onanisme; jusqu'à ces temps derniers je n'en
connaissais que le nom; quant à la chose, j'ai dû me renseigner à ce
sujet par des informations directes pour être éclairé. En général, tout
attouchement de mon membre en érection m'est pénible et douloureux,
loin de me donner aucune sensation voluptueuse.
Autrefois mon
attitude en face des femmes était très timide; maintenant je me
comporte avec calme, comme un égal avec des égaux. C'est très rarement
qu'une excitation directe, dans le sens sexuel, a été provoquée chez
moi par une femme; mais, en analysant de plus près ces faits rares, il
me semble que ce n'était jamais la personne de la femme, mais seulement
sa toilette qui produisait cet effet. Je m'amourachais de ses vêtements
et l'idée d'en pouvoir porter de pareils m'était agréable. Ainsi, je
n'eus jamais d'excitation sexuelle, même au bordel, où mes amis
m'entraînaient quelquefois; je restais indifférent malgré l'étalage de
toutes sortes de charmes imaginables et même devant de véritables
beautés. Mais mon coeur était capable de sentiments amicaux pour le
sexe féminin. Souvent je me figurais que j'étais déguisé en femme, que
je vivais inconnu parmi elles, que j'avais des relations avec elles, et
que j'étais très heureux ainsi. C'étaient les jeunes filles dont le
buste n'était pas encore trop développé et surtout celles qui portaient
les cheveux courts, qui étaient plutôt capables de me faire quelque
impression, parce qu'elles se rapprochaient le plus de ma manière de
voir. Une fois j'eus la chance de trouver une fille qui se sentait
malheureuse d'appartenir au sexe féminin. Nous conclûmes un pacte
d'amitié solide et nous nous réjouissions souvent à l'idée de pouvoir
échanger notre situation sociale. Il convient peut-être de relater
encore le fait suivant qui pourrait avoir quelque importance pour
caractériser mon cas. Lorsqu'il y a quelques mois, les journaux
rapportèrent l'histoire d'une comtesse hongroise qui, déguisée en
homme, avait contracté un mariage et qui se sentait homme, je songeai
sérieusement à me présenter à elle pour conclure un mariage inverti où
j'aurais été la femme et elle l'homme... Je n'ai jamais essayé le coït
et je n'en ai jamais eu envie. Prévoyant que, en face de la femme
l'érection nécessaire me ferait défaut, je me proposais de mettre, au
cas échéant, les vêtements de la femme, et je crois que, ces
préparatifs faits, le succès attendu n'aurait pas manqué de se produire.
Pour
ce qui concerne mon attitude vis-à-vis des personnes du sexe masculin,
je dois avant tout relever le fait que, pendant la période où j'allais
à l'école, j'entretenais avec des camarades des amitiés des plus
tendres. Mon coeur était heureux quand je pouvais rendre un petit
service à l'ami adoré. Je l'idolâtrais réellement avec ferveur. Mais
d'autre part je lui faisais pour un rien des scènes de jalousie
terribles. Pendant la brouille, j'avais le sentiment de ne pouvoir ni
vivre, ni mourir. Réconcilié je redevenais pour quelque temps l'être le
plus heureux. Je cherchais aussi à me faire des amis parmi les petits
garçons que je choyais, que je comblais de sucreries et que j'aurais
volontiers embrassés. Bien que mon amour en restât toujours aux termes
platoniques, il était pourtant d'un caractère anormal. Un propos que
j'ai tenu alors inconsciemment sur un camarade adoré et plus âgé que
moi, en fournit la preuve: «Je l'aime tant, disais-je, que je
préférerais à tout le pouvoir de l'épouser.» Maintenant encore où je
vis très retiré, je raffole facilement d'un bel homme, à barbe fine et
aux traits intelligents. Mais je n'ai jamais trouvé une âme-soeur à
laquelle j'aurais pu me découvrir, pour être comme une amie auprès de
lui. Jamais je n'ai essayé de réaliser directement mes penchants ou de
commettre quelque imprudence à ce sujet. J'ai finalement cessé de
fréquenter les musées où sont exposés des corps d'hommes nus, car les
érections que me produisait cette vue, étaient très gênantes. En secret
j'ai parfois soupiré après l'occasion de pouvoir dormir à côté d'un
homme, et j'en ai trouvé aussi l'occasion. Un monsieur plus âgé, et qui
ne m'était guère sympathique, m'y invita un jour.
Cum eo
concubui, ille genitalia mea tetigit et bien que sa personne me fût
antipathique, j'éprouvai le plus grand bonheur. Je me sentais tout à
fait livré à lui; en un mot je me sentais femme.
S'il m'est
permis d'ajouter encore une remarque pour finir, je dois formellement
déclarer que, bien que j'aie la pleine conscience de l'anomalie de mes
penchants, je ne désire nullement les changer. Je ne fais qu'aspirer
après le temps ou je pourrai m'y livrer avec plus de commodité et sans
risque d'être découvert, afin de me procurer un plaisir qui ne fait de
tort à personne.
OBSERVATION 120.--Mlle Z..., trente et un ans,
artiste, est venue à la consultation pour des malaises neurasthéniques.
Elle attire l'attention par les traits grossiers et virils de sa
figure, sa voix creuse, ses cheveux courts, ses vêtements à coupe
masculine, sa démarche virile et son aplomb. Pour le reste, elle est
tout à fait femme; elle a des seins assez développés; le bassin est
féminin; pas de poils sur la figure.
L'interrogatoire, relativement à l'inversion sexuelle, donne un résultat positif.
La
malade raconte qu'étant encore petite, elle aimait mieux jouer avec des
garçons, notamment aux jeux «de soldat», «au marchand», «au brigand»
etc. Elle dit que dans ces jeux de garçons elle était très violente et
effrénée; elle n'a jamais eu de goût pour les poupées ni pour les
travaux manuels de la femme; elle n'a appris que les plus rudimentaires
(tricoter et coudre).
À l'école, elle fit de bons progrès et
s'est surtout intéressée aux mathématiques et à la chimie. De très
bonne heure, s'est éveillé en elle un penchant pour les beaux-arts pour
lesquels elle montrait quelques aptitudes. Son but suprême était de
devenir une artiste remarquable. Dans ses rêves d'avenir, elle n'a
jamais pensé à une liaison conjugale. Comme artiste, elle s'intéressait
aux beaux êtres humains, mais c'étaient seulement les corps de femmes
qui l'attiraient; quant aux figures d'hommes, elle ne les contemplait
«qu'à distance». Elle ne pouvait souffrir les «niaiseries des
chiffons»; il n'y a que les choses viriles qui lui plaisaient. Les
rapports quotidiens avec les filles lui déplaisaient, parce que leur
conversation ne roulait que sur les toilettes, les chiffons, les
amourettes avec les hommes, etc., ce qui lui paraissait insipide et
ennuyeux. Par contre elle avait, dès son enfance, des relations
d'amitié extatique avec certaines filles; à l'âge de dix ans, elle
brûlait pour une camarade d'école et inscrivait son nom partout où elle
pouvait.
Depuis elle eut de nombreuses amies auxquelles elle
prodiguait des baisers «enragés». En général, elle plaît aux filles à
cause de ses manières garçonnières. Elle adresse des poésies à ses
amies pour lesquelles elle serait capable de grimper sur les toits.
Elle-même trouve surprenant ce fait qu'elle soit gênée devant des
filles et surtout des amies. Elle ne serait pas capable de se
déshabiller devant elles.
Plus elle aime une amie, plus elle est pudique en face d'elle.
À
l'heure qu'il est, elle entretient une de ces liaisons d'amitié. Elle
embrasse et enlace sa Laura, se promène devant ses fenêtres, souffre
tous les supplices de la jalousie, surtout quand elle voit son amie
s'amuser avec des messieurs. Son seul désir est de vivre toujours à
côté de cette amie.
La malade raconte qu'il est vrai que, deux
fois dans sa vie, des hommes auraient fait quelque impression sur elle.
Elle croit que, si on avait sérieusement sollicité sa main, elle aurait
conclu un mariage, car elle aime beaucoup la vie de famille et les
enfants. Si un monsieur voulait la posséder, il devrait d'abord la
mériter par la lutte, de même qu'elle préfère se conquérir une amie par
un combat acharné. Elle trouve que la femme est plus belle et plus
idéale que l'homme. Dans les cas très rares où elle eut des rêves
érotiques, il s'agissait toujours de femmes. Elle n'a jamais rêvé
d'hommes.
Elle ne croit pas qu'elle puisse encore aimer un homme, car les hommes sont faux; elle est d'elle-même nerveuse et anémique.
Elle
se croit tout à fait femme, mais elle regrette de n'être pas homme.
Déjà à l'âge de quatre ans, son plus grand plaisir était de s'habiller
en garçon. Elle a décidément un caractère viril; aussi n'a-t-elle
jamais pleuré de sa vie. Sa plus grande passion serait de monter à
cheval, de faire de la gymnastique, de l'escrime, de conduire des
chevaux. Elle souffre beaucoup de ce que personne de son entourage ne
la comprenne. Elle trouve bête de parler affaires de femmes. Beaucoup
de gens qui la connaissent ont déjà émis l'opinion qu'elle aurait dû
naître homme.
La malade dit qu'elle n'a jamais eu un tempérament
sensuel. En donnant l'accolade à ses amies, elle a souvent éprouvé une
curieuse sensation de volupté. L'accolade et les baisers étaient ses
seules manifestations d'amitié.
La malade prétend être née d'un
père nerveux et d'une mère folle qui, jeune fille, était tombée
amoureuse de son propre frère qu'elle voulut persuader de partir avec
elle pour l'Amérique. Le frère de la malade est un homme très étrange
et très bizarre.
La malade ne présente aucun signe extérieur de
dégénérescence; le crâne est normal. Elle prétend avoir eu ses
premières menstrues à l'âge de quatorze ans. Elles viennent
régulièrement, mais lui causent toujours des douleurs.
OBSERVATION
121.--Pour donner tout de suite à mon malheureux état le nom qui lui
convient, je vous ferai tout d'abord remarquer qu'il porte tous les
symptômes de l'état que vous avez désigné sous le nom d'effeminatio
dans votre ouvrage Psychopathia sexualis.
J'ai maintenant
trente-huit ans: grâce à mon anomalie, j'ai derrière moi une vie
remplie de tant d'indicibles souffrances que je m'étonne souvent de la
force d'endurance dont l'homme peut être doué. Ces temps derniers la
conscience d'avoir traversé tant de supplices m'a inspiré une sorte
d'estime pour moi-même, sentiment qui seul est capable de me rendre la
vie encore quelque peu supportable.
Je vais maintenant
m'efforcer de dépeindre mon état tel qu'il est, et selon l'exacte
réalité. Je suis au physique bien portant; autant que je puis m'en
souvenir, je n'ai jamais fait de maladie grave et je suis issu d'une
famille saine. Mes parents, il est vrai, sont tous les deux des natures
très irritables; mon père est ce qu'on appelle un tempérament coléreux,
ma mère un tempérament sanguin avec un fort penchant à de sombres
mélancolies. Elle est très vive, très aimée à cause de son bon coeur et
de son active charité, mais elle manque de confiance en elle-même et
éprouve un impérieux besoin de s'appuyer sur quelqu'un. Toutes ces
particularités étaient aussi très prononcées dans le caractère de son
père. J'appuie sur ce fait, parce qu'on dit de moi que je leur
ressemble; quant à ces dernières particularités, je puis moi-même
constater la ressemblance. J'ai toujours cru que mon amour pour mon
propre sexe n'était que l'hypertrophie de ces deux traits de caractère.
Mais, même quand j'essaie de me raffermir intérieurement par l'illusion
que je suis fort et vigoureux, de déchirer le lien qui m'attire avec un
pouvoir magique vers l'homme, il me reste toujours dans le sang un
résidu que je ne puis éloigner. Aussi loin que je puis remonter dans
mes souvenirs, je vois partout ce désir primitif et énigmatique d'avoir
un amant. Il est vrai que la première manifestation fut d'une nature
grossièrement sensuelle. Je ne suis pas si j'avais déjà dix ans, quand
un jour que j'étais couché dans mon lit, je fus surpris de provoquer
par une pression sur mes parties génitales des sensations nouvelles et
enivrantes, en me figurant en même temps qu'un homme de mon entourage
me faisait des manipulations voluptueuses. Bien des années plus tard
seulement, j'appris que c'était de l'onanisme. Dans les premiers temps,
je fus tellement effrayé et tellement assombri par mon mystérieux
penchant que je fis alors ma première tentative de suicide. Que n'ai-je
pas réussi alors! Car j'eus ensuite une série de secousses physiques et
psychiques si violentes, qu'elles mirent comme une chaîne autour de mon
coeur qu'elles rétrécirent et rendirent brutal et dur. Pour le dire
tout de suite: jusqu'à aujourd'hui, l'onanisme ne m'a pas lâché de ses
griffes; il a résisté à tous les essais, à tous les efforts de ma
volonté brisée pour rompre avec lui. Trois ou quatre fois je l'ai
abandonné pendant des mois entiers, dans la plupart des cas sous
l'influence d'émotions morales. À l'âge de treize ans, j'eus mon
premier amour. Aujourd'hui, il me souvient, qu'alors le comble de mes
désirs était de pouvoir embrasser les jolies lèvres roses et fraîches
de mon camarade. d'école. C'était une langueur pleine de rêves
romanesques. Il devint plus violent à l'âge de quinze et seize ans,
lorsque pour la première fois je souffris les supplices d'une folle
jalousie plus dévorante qu'elle ne saurait jamais l'être dans l'amour
naturel. Cette seconde période amoureuse a duré pendant des années,
bien que je n'eusse passé que quelques jours avec l'objet de mon amour
et qu'ensuite nous ne nous soyons pas revus pendant quinze ans. Peu à
peu mon sentiment s'est refroidi pour lui, et je suis encore à
plusieurs reprises devenu amoureux fou d'autres hommes qui, sauf un
seul, étaient tous de mon âge.
Jamais mon amour--vous me
permettrez cette expression pour désigner un sentiment condamné par la
majorité des hommes--n'a été payé de retour; je n'ai jamais eu avec un
homme des rapports du genre de ceux qui doivent craindre le grand jour;
jamais un seul d'entre eux n'a eu pour moi plus qu'un intérêt
ordinaire, bien qu'un des amis auxquels je faisais la cour, eût deviné
mon désir secret. Et pourtant, je me suis consumé dans le désir ardent
de l'amour des hommes. Mes sentiments sont, dans ce cas à mon avis,
tout à fait ceux d'une femme aimante; et j'aperçois avec épouvante que
mes représentations sensuelles deviennent de plus en plus semblables à
celles d'une femme. Pendant les périodes où je suis libre d'une
affection précise, mon désir dégénère, car, en me livrant à mes
procédés d'onanisme, j'évoque des idées grossièrement sensuelles. Je
peux encore lutter contre ce mal, mais c'est bien vainement que je
tente de supprimer l'amour même. Depuis une année, je souffre de cette
exaltation de mes sentiments; j'ai tant médité sur leur particularité,
que je crois pouvoir vous donner une description exacte de mes
sensations. Mon intérêt est toujours éveillé par la beauté physique.
J'ai fait, à ce propos, la curieuse remarque que je n'ai jamais aimé un
homme barbu.
On pourrait en inférer que je suis voué à ce qu'on
appelle l'amour des garçons. Cependant cette supposition n'est pas
exacte. Car au charme sensuel dont j'ai parlé, se joint un intérêt
psychique pour la personne que je fréquente, ce qui est une source de
tourments. Je suis pris d'une affection si profonde que je m'attache
avec une sorte d'abnégation. On se lie à moi et cette confiance
réciproque pourrait développer une amitié très cordiale, si au fond de
mon âme ne sommeillait ce démon qui me pousse à une union plus intime
qu'on ne saurait admettre qu'entre personnes de sexes différents. Tout
mon être en languit, chaque fibre en palpite et je me consume dans une
passion brûlante. Je m'étonne d'être capable d'exposer ici en quelques
mots secs les sensations qui ont déchiré tout mon être. Il est vrai
qu'à force de lutter, pendant des années, j'ai dû apprendre à
dissimuler mes penchants et à sourire quand j'étais déchiré par les
souffrances. Car n'ayant jamais été payé de retour, je n'ai connu de
l'amour que les supplices, la jalousie, cette jalousie folle qui
obscurcit l'esprit, pour tous ceux ou celles avec qui l'être adoré
échangeait un seul regard.
J'ai réservé de m'arrêter à la fin
sur l'élément psychique afin de montrer combien mon penchant anormal
est enraciné. Je n'ai jamais éprouvé le moindre souffle d'amour sensuel
pour l'autre sexe. L'idée d'avoir avec lui des rapports sexuels me
répugne. Plusieurs fois déjà j'ai souffert en entendant affirmer que
telle ou telle jeune fille était amoureuse de moi. Comme tout jeune
homme, j'ai abondamment goûté aux plaisirs du monde, entre autres à
celui de la danse. Je danse avec plaisir, mais je serais heureux si je
pouvais danser comme dame avec des jeunes gens.
Je voudrais une
fois de plus insister sur le fait que mon amour est tout à fait
sensuel. Comment expliquer autrement que la poignée de main du
bien-aimé et souvent son aspect me provoquent un serrement de coeur et
même de l'érection!
J'ai employé tous les moyens pour arracher
cet «amour» de mon «coeur». J'ai essayé de l'étourdir par l'onanisme,
de l'abaisser dans la fange pour pouvoir d'autant mieux me placer
au-dessus de lui.--(Il y a dix ans, pendant une de ces périodes
d'amour, j'avais repoussé l'onanisme et j'avais eu la sensation que mon
sentiment amoureux s'ennoblissait).--Maintenant encore j'ai l'idée fixe
que si mon bien-aimé me déclarait m'aimer, et n'aimer que moi, je
renoncerais avec plaisir à toute satisfaction sensuelle, et je me
contenterais de pouvoir reposer dans ses bras fidèles. Mais c'est une
illusion que je me fais.
Très honoré monsieur, j'ai une position
sociale pleine de responsabilités, et je crois pouvoir affirmer que mon
penchant anormal ne me fera jamais dévier, pas même de l'épaisseur d'un
fil, du devoir que je suis obligé d'accomplir. Sauf cette anomalie, je
ne suis pas fou et je pourrais être heureux. Mais, l'année dernière
surtout, j'ai trop souffert pour ne pas envisager avec terreur l'avenir
qui, certes, ne m'apportera point la réalisation de mon désir qui couve
toujours sous la cendre, c'est-à-dire le désir de posséder un amant qui
me comprenne et qui réponde à mon amour. Seule une telle union me
donnerait un réel bonheur psychique. J'ai beaucoup réfléchi sur
l'origine de mon anomalie, surtout parce que je crois pouvoir supposer
qu'elle ne m'est pas venue par hérédité. Je crois que c'est l'onanisme
qui a allumé ce sentiment congénital. Il y a longtemps que j'aurais pu
mettre fin à toutes ces misères, puisque je ne crains pas la mort, et
que dans la religion qui, fait curieux, ne s'est pas retirée de mon
coeur impur, je ne trouve aucun avertissement contre le suicide. Mais
la conviction que ce n'est pas exclusivement ma faute qui fait qu'un
ver rongeur a rongé ma vie dès son origine, un certain défi de rester
quand même, défi que j'ai conçu précisément ces temps derniers à la
suite d'un indicible chagrin, m'amènent à tenter l'expérience afin de
voir s'il n'y a pas possibilité d'échafauder sur une nouvelle base un
modeste bonheur pour ma vie, quelque chose qui me remplisse le coeur.
Je crois que, sous l'influence d'une vie de famille tranquille, je
pourrais devenir heureux. Mais je ne dois pas vous cacher que l'idée de
vivre maritalement avec une femme m'est horrible, que je
n'entreprendrais que le coeur saignant cette tentative de revirement,
car alors je devrais rompre radicalement avec l'espoir toujours vivace,
avec cette illusion que le hasard pourrait pourtant m'amener un jour le
bonheur rêvé.
Cette idée fixe s'est tellement enracinée que je crains que, seule, la suggestion hypnotique puisse m'en guérir.
Pourriez-vous
me donner un conseil? Vous me rendriez infiniment heureux. Le conseil
le plus pressant se bornera probablement à m'interdire l'onanisme. Que
je voudrais le suivre! Mais si je n'ai pas sous la main des moyens
directement matériels ou mécaniques, je ne pourrai pas m'arracher à ce
vice. D'autant moins que je crains qu'à la suite de ces pratiques
durant des années, ma nature s'y soit déjà habituée. Les suites, il est
vrai, ne m'en ont pas été épargnées, bien qu'elles ne soient pas aussi
horribles qu'on les dépeint ordinairement. Je souffre d'une nervosité
peu intense; je suis, il est vrai, affaibli et je paie ce vice par des
troubles périodiques de la digestion; mais je suis capable encore de
supporter des fatigues; j'y trouve même quelque plaisir si elles ne
sont pas trop fortes. Je suis d'humeur sombre, mais je peux être très
gai par moments; heureusement j'aime mon métier; je m'intéresse à bien
des choses, surtout à la musique, aux arts, à la littérature. Je ne me
suis jamais livré à des occupations féminines.
Ainsi que cela
ressort de tout ce que je viens d'exposer, j'aime à fréquenter les
hommes, surtout quand ils sont beaux, mais je n'ai jamais entretenu
avec aucun d'eux des relations intimes. C'est un abîme profond qui me
sépare d'eux.
Post-Scriptum.--Je crains de n'avoir pas assez
précisé ma vie sexuelle dans les lignes précédentes. Elle ne consiste
que dans l'onanisme, mais, pendant l'acte, je me laisse influencer par
ces représentations horribles qu'on désigne par coïtus inter femora,
ejaculatio in ore, etc.
Mon rôle est, dans ces cas, passif. Ces
images se transforment et passent à celles de l'accouplement quand une
passion m'a enchaîné. La lutte contre cette passion est terrible, parce
que mon âme participe aussi au combat. Je désire l'union la plus
étroite, la plus complète qu'on puisse imaginer entre deux êtres
humains, la vie commune, des intérêts communs, une confiance absolue et
l'union sexuelle. Je pense que l'amour naturel ne diffère de celui-ci
que par son degré de chaleur, fort au-dessous du feu de notre passion.
Précisément en ce moment j'ai de nouveau cette lutte à soutenir et je
refoule par la violence cette folle passion qui me tient captif déjà
depuis si longtemps.
Pendant des nuits entières je me roule dans
mon lit, poursuivi par l'image de celui pour l'amour duquel je
donnerais tout ce que je possède. Qu'il est triste que le plus noble
sentiment qui ait été donné à l'homme, l'amitié, soit impossible à
cause d'un vil penchant sensuel!
Je voudrais encore une fois
déclarer que je ne puis pas me décider à transformer ma vie sexuelle
par des rapports sexuels avec des femmes. L'idée de ces rapports
m'inspire du dégoût et même de l'horreur.
OBSERVATION
122.--J'écrirai, tant bien que mal, l'histoire de mes souffrances; je
ne suis guidé que par le désir de pouvoir contribuer par cette
autobiographie à renseigner quelque peu sur les malentendus et les
erreurs cruelles qui règnent encore dans toutes les sphères contre
l'inversion sexuelle.
J'ai maintenant trente-sept ans, et je
suis né de parents qui tous deux étaient très nerveux. Je rappelle ce
fait parce que souvent j'ai eu l'idée que mon inversion sexuelle
pourrait m'être venue par voie d'hérédité; cependant cette assertion
n'est que bien vague. Quant à mes grand-pères et grand'mères, que je
n'ai jamais connus, je voudrais seulement citer comme fait digne d'être
retenu, que mon grand-père du côté maternel avait la réputation d'être
un grand «don Juan».
J'étais un enfant assez faible et, pendant
mes deux premières années, j'ai souffert de ce qu'on appelle des
arthrites; c'est probablement à la suite de cette maladie que mon don
d'assimilation et ma mémoire se sont affaiblis; car j'apprends
difficilement les choses qui ne m'intéressent pas, et j'oublie
facilement ce que j'ai appris. Je voudrais encore faire mention du fait
que, avant ma naissance, ma mère fut en proie à de vives émotions
morales, et qu'elle eut souvent des frayeurs. Depuis l'âge de trois
ans, je suis très bien portant et jusqu'ici j'ai été épargné par les
maladies graves. Entre l'âge de douze et de seize ans, j'eus parfois
des sensations nerveuses étranges que je ne puis pas décrire et qui se
faisaient sentir dans la tête et sur le bout des doigts. Il me semblait
alors que tout mon être voulait se dissoudre. Mais, depuis de longues
années, ces accès ne se sont plus renouvelés. Du reste, je nuis un
homme assez vigoureux, avec une chevelure touffue, et d'un caractère
tout à fait viril.
À l'âge de six ans, je suis arrivé tout seul
à pratiquer l'onanisme auquel malheureusement je fus très adonné
jusqu'à l'âge de dix-neuf ans. Faute de mieux, j'y ai recours encore
assez souvent, bien que je reconnaisse le caractère répréhensible de
cette passion et que je m'en sente toujours affaibli, tandis que le
rapport sexuel avec un homme, loin du me fatiguer, me donne au
contraire le sentiment d'avoir retrempé mes forces. À l'âge de sept
ans, je commençai à aller à l'école et bientôt j'éprouvai une vive
sympathie pour certains de mes camarades, ce qui d'ailleurs ne me
paraissait nullement étrange. Au lycée, quand j'eus quatorze ans, mes
condisciples m'ont éclairé sur la vie sexuelle des hommes, chose que
j'ignorais absolument; mais leurs explications n'ont pu m'inspirer
aucun intérêt. À cette époque je pratiquais avec deux ou trois amis
l'onanisme mutuel auquel ceux-ci m'avaient incité et qui avait un
charme immense pour moi. Je n'avais toujours pas conscience de la
perversité de mon instinct génital; je croyais que mes fautes n'étaient
que des péchés de jeunesse, comme en commettent tous les garçons de mon
âge. Je pensais que l'intérêt pour le sexe féminin se manifesterait
quand l'heure serait venue. Ainsi j'atteignis l'âge de dix-neuf ans.
Pendant les années suivantes, je fus amoureux fou d'un très bel artiste
dramatique, ensuite d'un employé d'une banque et d'un de mes amis, deux
jeunes gens qui étaient loin d'être beaux et de porter sur les sens.
Cet amour était purement platonique et m'entraînait parfois à faire des
poésies enflammées. Ce fut peut-être le plus beau temps de ma vie, car
j'envisageais tout cela avec des yeux innocents. À l'âge de vingt et un
ans, je commençai pourtant à m'apercevoir peu à peu que je n'avais pas
tout à fait les mêmes prédispositions que mes camarades; je ne trouvais
aucun plaisir aux occupations viriles, ni à fumer, ni à boire, ni au
jeu de cartes; quant au lupanar, il m'inspirait réellement une peur
mortelle. Aussi n'y suis-je jamais allé; j'ai toujours réussi à
m'esquiver sous un prétexte, quand les camarades y allaient. Je
commençai alors à réfléchir sur moi-même; je me sentais souvent
abandonné, misérable, malheureux, et je languissais de rencontrer un
ami prédisposé comme moi, sans parvenir à l'idée qu'il pouvait bien
exister hors de moi des gens de cet acabit. À l'âge de vingt-deux ans,
j'ai fait la connaissance d'un jeune homme qui enfin m'a éclairé sur
l'inversion sexuelle et sur les personnes atteintes de cette anomalie,
car lui aussi était uraniste et, ce qui est plus, amoureux de moi. Mes
yeux se dessillèrent et je bénis le jour qui m'a apporté cet
éclaircissement. À partir de ce moment, je vis le monde d'un autre
oeil, je vis que le même sort était échu à beaucoup de gens et je
commençai à comprendre et à m'accommoder autant que possible de ce
sort. Malheureusement cela marchait très mal, et aujourd'hui encore je
suis pris d'une révolte, d'une haine profonde contre les institutions
modernes qui nous traitent si mal, nous autres pauvres uranistes. Car
quel est notre sort? Dans la plupart des cas, nous ne sommes pas
compris, nous sommes ridiculisés et méprisés et, dans le meilleur cas,
si l'on nous comprend, on s'apitoie sur nous comme sur de pauvres
malades ou des fous. C'est la pitié qui m'a toujours rendu malade. Je
commençai donc à jouer la comédie, pour tromper mes proches sur l'état
de mon âme, et, toutes les fois que j'y réussissais, j'en avais une
grande satisfaction. J'ai fait aussi la connaissance de plusieurs
compagnons de sort; j'ai noué avec eux des liaisons qui malheureusement
étaient toujours de courte durée, car j'étais très peureux et prudent,
en même temps que difficile dans mon choix et gâté.
J'ai
toujours profondément abhorré la pédérastie, comme quelque chose
d'indigne d'un être humain, et je désirerais que tous mes compagnons de
sort en fissent autant; malheureusement, chez certains d'entre eux, ce
n'est pas le cas; car, si tous pensaient sur ce sujet comme moi,
l'opprobre et la raillerie des hommes d'un sentiment diffèrent du nôtre
seraient encore plus injustes.
En face de l'homme aimé je me
sens complètement femme, voilà pourquoi je me comporte assez
passivement pendant l'acte sexuel. En général, toutes mes sensations et
tous mes sentiments sont féminins; je suis vaniteux, coquet, j'aime les
chiffons, je cherche à plaire, j'aime à me bien habiller, et, dans les
cas où je veux particulièrement plaire, j'ai recours aux artifices de
toilette pour lesquels je suis assez bien expérimenté.
Je
m'intéresse très peu à la politique, mais je n'en suis que plus
passionné pour la musique; je suis un partisan enthousiaste de Richard
Wagner, prédilection que j'ai remarquée chez la plupart des uranistes.
Je trouve que c'est précisément cette musique qui correspond le mieux à
notre caractère. Je joue assez bien du violon, j'aime la lecture et je
lis beaucoup, mais je n'ai que peu d'intérêt pour les autres sujets; de
même tout le reste dans la vie m'est assez indifférent, par suite de la
sourde résignation qui m'envahit de plus en plus.
Bien que j'aie
tout sujet d'être content de la destinée, ayant comme technicien une
position assurée dans une grande ville d'Allemagne, je n'aime pas mon
métier. Ce que j'aimerais le mieux, ce serait d'être libre et
indépendant, de pouvoir, en compagnie de l'être aimé, faire de beaux
voyages, consacrer mes loisirs à la musique et à la littérature,
surtout au théâtre qui me paraît comme un des plus grands plaisirs.
Être l'intendant d'un théâtre de la Cour, voilà une position que je
trouverais acceptable.
La seule position sociale ou vocation qui
me paraisse vraiment désirable, est celle de grand artiste, soit
chanteur, soit acteur, soit peintre ou sculpteur. Il me semblerait
encore plus beau d'être né sur un trône royal; ce désir répond à mon
envie très prononcée de régner.--(S'il y a vraiment une métempsychose,
question dont je m'occupe beaucoup et théorie qui me paraît très
probable, je dois avoir déjà vécu une fois comme imperator ou comme
souverain quelconque).--Mais il faut être né pour tout cela, et comme
je ne le suis pas, je n'ai pas d'ambition pour les soi-disant honneurs
et distinctions de la société.
En ce qui concerne les tendances
de mon goût, je dois constater qu'il y a là une certaine scission. De
beaux jeunes gens de talent et qui ont au moins vingt ans, qui se
trouvent au même niveau social que moi, me paraissent plutôt créés pour
un amour platonique, et je me contente, dans ce cas, d'une amitié très
sincère et très idéale qui rarement dépasse les bornes de quelques
accolades. Mais sensuellement je ne saurais être excité que par des
hommes plus rudes et plus robustes qui ont au moins mon âge, mais qui
doivent occuper une position sociale et intellectuelle inférieure à la
mienne. La raison de ce phénomène curieux est peut-être que ma grande
pudicité, ma timidité native et ma réserve en présence des hommes de ma
position, exercent l'effet d'une idée entravante, de sorte que, dans ce
cas, je n'arriverais que difficilement et rarement à une émotion
sexuelle. Je souffre beaucoup de cet antagonisme,--cela
s'explique,--car j'ai toujours peur de me révéler à ces gens simples
qui sont au-dessous de moi et qu'on peut souvent acheter pour de
l'argent. Car, dans mon idée, il n'y aurait rien de plus terrible qu'un
scandale qui me pousserait immédiatement au suicide. Je ne puis pas
assez me figurer combien ce doit être terrible d'être, à la suite d'une
petite imprudence ou par la méchanceté du premier venu, stigmatisé
devant le monde entier, et pourtant sans que ce soit de notre faute.
Car que faisons-nous autre chose que ce que les hommes de dispositions
normales peuvent se permettre de faire souvent et sans gêne? Ce n'est
pas notre faute si nous n'éprouvons pas les mêmes sentiments que la
grande foule: c'est un jeu cruel de la nature.
Maintes fois j'ai
cherché dans ma tête si la science et quelques hommes scientifiques
sans préjugés, penseurs indépendants, ne pourraient imaginer des moyens
pour que, nous, les «Cendrillons» de la nature, nous puissions avoir
une position plus supportable devant la loi et les hommes. Mais
toujours je suis arrivé à cette triste conclusion que pour se faire le
champion d'une cause, il faut tout d'abord la bien connaître et la
définir. Qui est-ce qui, jusqu'à ce jour, pourrait expliquer et définir
avec exactitude l'inversion sexuelle? Et pourtant il faut qu'il y ait
pour ce phénomène une explication juste, qu'il y ait une voie par
laquelle on puisse amener la grande foule à un jugement plus sensé et
plus indulgent, et, avant tout, obtenir du moins ceci: qu'on ne
confonde plus l'inversion sexuelle avec la pédérastie, confusion qui
malheureusement règne encore chez la plupart des gens, je dirais même
chez tous. Par un pareil acte, on s'érigerait un monument impérissable
à la reconnaissance de milliers d'hommes contemporains et futurs; car
il y a toujours eu des uranistes, il y en a et il y en aura à toutes
les époques, et en plus grand nombre qu'on ne le suppose.
Dans
le livre de Wilbrand: Fridolins heimliche Ehe, je trouve énoncée une
théorie tout à fait acceptable à ce sujet, ayant eu moi-même déjà à
plusieurs reprises l'occasion de constater que tous les uranistes
n'aiment pas au même degré l'homme, mais qu'il y a parmi eux
d'innombrables subdivisions depuis l'homme le plus efféminé jusqu'à
l'inverti qui aime encore autant et aussi souvent les charmes féminins
que les autres. Ceci pourrait peut-être expliquer la soi-disant
différence entre l'inversion congénitale et l'inversion acquise,
différence qui, à mon avis, n'existe pas du tout. Cependant chez les
cinquante-cinq individus que j'ai connus dans les trois années écoulées
depuis que j'ai compris mon état, j'ai rencontré les mêmes traits de
tempérament, d'âme et de caractère; presque tous sont plus ou moins
idéalistes, ne fument que peu ou pas du tout, sont dévots, vaniteux,
coquets et superstitieux, et réunissent en eux--(je dois l'avouer
malheureusement)--plutôt les défauts des deux sexes que leurs qualités.
Je sens un véritable horror pour la femme dans son rôle sexuel, horreur
que je ne saurais vaincre, pas même avec tous les artifices de mon
imagination qui est extrêmement vive; aussi je ne l'ai jamais essayé,
car je suis convaincu d'avance de la stérilité d'une tentative qui me
paraît contre nature et criminelle.
Dans les rapports purement
sociaux et amicaux, j'aime beaucoup à être en relation avec les filles
et les femmes, et je suis très bien vu dans les cercles de dames, car
je m'intéresse beaucoup aux modes, et je sais parler avec beaucoup
d'à-propos et de justesse de ces matières. Je puis, quand je veux, être
très gai et très aimable, mais ce don de conversation n'est qu'une
comédie qui me fatigue et qui m'affecte beaucoup. De tout temps j'ai
montré beaucoup d'intérêt et d'adresse pour les travaux de femmes;
étant enfant, j'ai jusqu'à l'âge de treize ans passionnément aimé à
jouer aux poupées auxquelles je faisais moi-même des robes. Maintenant
encore, j'ai beaucoup de plaisir à faire de belles broderies,
occupation à laquelle malheureusement je ne puis me livrer qu'en
secret. J'ai une prédilection non moins vive pour les bibelots, les
photographies, les fleurs, les friandises, les objets de toilette et
toutes les futilités féminines. Ma chambre que j'ai arrangée et décorée
moi-même, ressemble à peu près au boudoir surchargé d'une dame.
Je
voudrais encore mentionner, comme particularité curieuse, que je n'ai
jamais eu de pollutions. Je rêve beaucoup et très vivement presque
chaque nuit; mes rêves érotiques, quand j'en ai, ne s'occupent que
d'hommes, mais je suis toujours réveillé avant qu'une éjaculation ait
pu se produire. Au fond, je n'ai pas de grands besoins sexuels; il y a
chez moi des périodes de quatre à six semaines, pendant lesquelles
l'instinct génital ne se manifeste pas du tout. Malheureusement ces
périodes sont très rares et sont suivies ordinairement d'un réveil
d'autant plus violent de mon terrible instinct, qui, s'il n'est pas
satisfait, me cause de grands malaises physiques et intellectuels. Je
suis alors de mauvaise humeur, déprimé moralement, irritable; je fuis
la société; mais toutes ces particularités disparaissent à la première
occasion qui me permet de satisfaire mon instinct génital. Je dois
remarquer que, en général, pour les causes les plus futiles, mon humeur
peut varier plusieurs fois dans la même journée; elle est comme le
temps d'avril.
Je danse bien et volontiers; mais je n'aime la
danse qu'à cause de ses mouvements rythmiques et de ma prédilection
pour la musique.
Enfin je dois faire mention d'une chose qui
provoque toujours mon indignation. On nous prend en général pour des
malades; c'est à tort. Car, pour toute maladie, il y a un remède ou un
calmant; or aucune puissance au monde ne pourrait ôter à un uraniste sa
prédisposition invertie. La suggestion hypnotique même, qu'on a souvent
appliquée avec un succès apparent, ne peut pas amener de transformation
durable dans la vie psychique d'un uraniste. Chez nous, on confond
l'effet avec la cause. On nous prend pour des malades, parce que la
plupart d'entre nous le deviennent réellement avec le temps. Je suis
profondément convaincu que les deux tiers de nous, arrivés à un âge
avancé, s'ils y arrivent jamais, auront une défectuosité mentale, et
c'est facile à expliquer. Quelle force de volonté et quels nerfs ne
doit-on pas avoir pour pouvoir pendant toute sa vie et sans
interruption dissimuler, mentir, être hypocrite! Que de fois, quand,
dans un cercle de gens normaux, la conservation tombe sur l'inversion
sexuelle, n'est-on pas obligé de se rallier aux calomnies et aux
injures, tandis que chacun de ces propos agit sur nous comme un couteau
tranchant! D'autre part, être obligé d'écouter les propos et les mots
d'esprit inconvenants et ennuyeux sur les femmes, feindre un intérêt et
une attention pour ces conversations qui aujourd'hui sont en vogue dans
la soi-disant «bonne compagnie»! Voir tous les jours, presqu'à chaque
heure, de beaux hommes auxquels on ne peut se révéler, être forcé de se
priver pendant des semaines, des mois même, de l'ami dont nous aurions
tellement besoin, et par-dessus tout la peur terrible et continuelle de
se trahir devant les hommes, d'être couvert de honte et d'opprobre!
Vraiment, il ne faut pas s'étonner que la plupart d'entre nous soient
incapables de tout travail sérieux, car la lutte avec notre triste
destinée absorbe toute notre force de volonté et notre persévérance.
Combien il est funeste pour nos nerfs d'être obligés de renfermer
toutes nos pensées, tous nos sentiments dans notre for intérieur, où
notre imagination déjà si vive, alimentée par tout cela, travaille avec
d'autant plus d'activité, de sorte que nous portons avec nous une
fournaise qui menace de nous dévorer! Heureux ceux de nous qui ne
manquent jamais de la force pour pouvoir mener une telle vie, mais
heureux aussi ceux qui en ont déjà fini!
OBSERVATION 123.
Autobiographie.--Vous recevrez ci-jointe la description du caractère
ainsi que des sentiments moraux et sexuels d'un uraniste, c'est-à-dire
d'un individu qui, malgré la conformation virile de son corps, se sent
tout à fait femme, dont les sens ne sont nullement excités par les
femmes et dont la langueur sexuelle ne vise que les hommes.
Pénétré
de la conviction que l'énigme de notre existence ne saurait être
démêlée ou du moins éclaircie que par des hommes de science qui pensent
sans préjugés, je vous donne ma biographie uniquement dans le but de
contribuer par ce moyen à l'éclaircissement de cette erreur cruelle de
la nature et de rendre peut-être un service à mes compagnons de sort de
la future génération. Car des uranistes il y en aura, tant qu'il y aura
des hommes, de même que c'est un fait irréfutable qu'il y en a eu à
toutes les époques. Mais à mesure que l'instruction scientifique de
notre époque fera des progrès, on finira par voir en moi et en mes
semblables non pas des êtres haïssables, mais des êtres dignes de
commisération, qui ne méritent jamais le mépris, mais plutôt la suprême
pitié de leur prochain plus heureux qu'eux. Je tâcherai d'être aussi
bref que possible dans mon récit, de même que je ferai tous les efforts
pour rester impartial. Je dois d'ailleurs faire remarquer, au sujet de
mon langage cru et souvent même cynique, que, avant tout, je tiens à
être vrai: voilà pourquoi je n'évite point les expressions les plus
crues, car ce sont elles qui peuvent le mieux caractériser le sujet que
je veux exposer.
J'ai trente-quatre ans et demi; je suis un
négociant à revenu modique; ma taille est au-dessus de la moyenne, je
suis maigre, je n'ai pas les muscles forts, j'ai une figure tout à fait
ordinaire, couverte de barbe et, au premier aspect, je ne diffère en
rien des autres hommes. Par contre, ma démarche est féminine, surtout
quand je presse le pas; elle est un peu dandinante; les mouvements sont
anguleux, peu harmonieux et manquent de tout charme viril. La voix
n'est ni féminine ni aiguë, mais plutôt d'un timbre de baryton.
Tel est mon habitus extérieur.
Je
ne fume ni ne bois pas; je ne puis ni siffler, ni monter à cheval, ni
faire de la gymnastique, ni tirer de l'épée, ni au pistolet non plus;
je ne m'intéresse pas du tout aux chevaux ni aux chiens; je n'ai jamais
eu entre les mains ni un fusil ni une épée. Dans mes sentiments intimes
et dans mes désirs sexuels, je suis parfaitement femme. Sans aucune
instruction bien solide--je n'ai passé que cinq années au lycée--je
suis pourtant intelligent; j'aime à lire de bons ouvrages bien écrits;
je dispose d'un jugement sain, mais je me laisse toujours entraîner par
l'état d'esprit du moment; qui connaît mon faible et sait en profiter,
peut me manier et me persuader facilement. Je prends toujours des
résolutions sans trouver jamais l'énergie de les mettre à exécution.
Comme les femmes, je suis capricieux et nerveux, irrité souvent sans
aucune raison, parfois méchant contre des personnes dont la figure ne
me va pas ou contre lesquelles j'ai de la rancune; je suis alors
arrogant, injuste, souvent blessant et insolent.
Dans tous mes
actes et gestes je suis superficiel, souvent léger; je ne connais aucun
sentiment moral profond, et j'ai peu de tendresse pour mes parents, mes
soeurs et mes frères. Je ne suis pas égoïste; à l'occasion je suis même
capable de faire des sacrifices; je ne puis jamais résister aux larmes,
et, comme les femmes, on peut me gagner par une prévenance aimable ou
par des prières instantes.
Déjà, dans ma tendre enfance, je
fuyais les jeux de guerre, les exercices de gymnastique, les bagarres
de mes camarades masculins; je me trouvais toujours dans la compagnie
des petites filles avec lesquelles je sympathisais plus qu'avec les
garçons; j'étais timide, embarrassé, et je rougissais souvent. Déjà à
l'âge de douze à treize ans, j'éprouvais des serrements de coeur
étranges à la vue de l'uniforme collant d'un joli militaire; les années
suivantes, pendant que mes camarades d'école parlaient toujours de
filles et commençaient même de petites amourettes, j'étais capable de
suivre pendant des heures un homme vigoureusement bâti avec des fesses
bien développées et plantureuses, et je me grisais à cet aspect.
Sans
réfléchir beaucoup sur ces impressions, qui différaient tant des
sentiments de mes camarades, je commençai à me masturber en pensant
pendant l'acte à des hommes bâtis comme des héros et bien mis, jusqu'à
ce que, à l'âge de dix-sept ans, je fusse éclairé sur mon état par un
compagnon de sort. Depuis ce temps j'ai eu huit à dix fois affaire avec
des filles; mais pour provoquer l'érection, j'ai toujours dû évoquer
l'image d'un bel homme de ma connaissance; je suis convaincu
aujourd'hui que, même en ayant recours à mon imagination, je ne serais
pas capable d'user d'une fille. Peu de temps après cette découverte, je
préférai fréquenter des uranistes vigoureux et âgés, car à cette époque
je n'avais ni les moyens ni l'occasion de voir de véritables hommes.
Depuis, cependant, mon goût a complètement changé, et ce ne sont que
les hommes, les vrais hommes, entre vingt-cinq et trente-cinq ans, aux
formes vigoureuses et souples, qui puissent exciter au plus haut degré
mes sens, et dont les charmes me ravissent comme si j'étais vraiment
femme. Grâce aux circonstances, j'ai pu au cours des années faire
environ une douzaine de fois connaissance avec des hommes, qui, pour
une gratification de 1 à 2 florins par visite, servaient à mes fins.
Quand je me trouve enfermé seul dans ma chambre avec un joli garçon,
mon plus grand plaisir, c'est avant tout membrum ejus vel maxime si
magnum atque crassum est, manibus capere et apprehendere et premere,
turgentes nates femoraque tangere atque totum corpus manibus
contractare et, si conseditur, os faciem atque totum corpus, immovero
nates, ardentibus oxculis obtegere. Quodsi membrum magnum purumque est,
dominusque ejus mihi placet, ardente libidine mentulam ejus in os meum
receptam complures horas sugere possum, neque autem detector, si semen
in os meum ejaculalur, cum maxima corum qui «uraniste» nominantur pars
hac re non modo delectatur, sed etiam semen nonnunquam devorat.
Cependant
j'éprouve la volupté la plus intense quand je tombe sur un homme qui
est déjà dressé à ces pratiques et qui membrum meum in os recipit et
erectionem in ore suo concedit.
Quelque invraisemblable que cela
paraisse, je trouve toujours, moyennant quelques cadeaux, des garçons
chics qui se laissent faire. Ces gaillards apprennent ordinairement ces
choses pendant leur service militaire, car les uranistes savent très
bien que, chez les militaires, on est bien disposé pour de l'argent; et
le drôle, une fois dressé à ce service, est souvent par les
circonstances amené à continuer, malgré sa passion pour le sexe féminin.
Les
uranistes, sauf quelques exceptions, me laissent froid d'habitude, car
tout ce qui est féminin me répugne au plus haut degré. Pourtant il y a
parmi eux des individus qui peuvent me charmer aussi bien qu'un
véritable homme et avec lesquels j'aime encore mieux avoir des rapports
parce qu'ils répondent à mes caresses enflammées avec une égale ardeur.
Quand je me trouve en tête-à-tête avec un de ces individus, mes sens
excités n'ont plus d'entraves et je laisse se déchaîner complètement
mes fureurs bestiales: osculor, premo, amplector eum, linguam meam in
os ejus immitto; ore cupiditate tremente ejus labrum superius sugo,
faciem meam ad ejus nates adpono et odore voluptari et natibus emanente
voluptate obstupescor. Les hommes véritables, en uniformes collants,
font sur moi la plus grande impression. Quand j'ai l'occasion d'enlacer
de mes bras un superbe gaillard et de l'embrasser, cela me donne une
éjaculation immédiate, fait que j'attribue surtout à une masturbation
fréquente. Car je me masturbais souvent dans les premières années,
presque toutes les fois que j'avais vu un solide gaillard qui me
plaisait; son image m'était alors présente pendant que je faisais
l'acte d'onanisme. Mon goût, en ces choses, n'est pas trop difficile;
il est comme celui d'une bonne qui voit son idéal dans un solide
sous-officier de dragons. Une belle figure est, il est vrai, un
accessoire agréable, mais pas du tout indispensable à l'excitation de
mon envie sensuelle; la principale condition est et reste: vir
inferiore corporis parte robusta et bene formosa, turgidis femoribus
durisque natibus, tandis que le torse peut être svelte. Un ventre fort
me dégoûte, une bouche sensuelle avec de belles dents m'excite et me
stimule vivement. Si cet individu a, en outre, un membrum pulchrum
magnum et æqualiter formatum, toutes mes exigences, même les plus
exagérées, sont parfaitement satisfaites. Autrefois l'éjaculation se
produisait cinq à huit fois dans une nuit, quand je me trouvais avec
des hommes qui me plaisaient et qui m'excitaient passionnément;
maintenant encore j'éjacule quatre à six fois, étant excessivement
lubrique et sensuel, au point que même le cliquetis du sabre d'un joli
hussard peut me causer de l'émotion. Avec cela j'ai une imagination
très vive et je pense pendant presque toutes mes heures de loisir à de
jolis hommes aux membres vigoureux, et je serais ravi si un gaillard
solide et resplendissant de force, magna mentula præditus me præsente
puellam futuat; mihi persuasum est, fore ut hoc aspectu sensus mei
vehementissima perturbatione afficiantur et dum futuit corpus
adolescentis pulchri tangam et si liceat ascendam in eum dum cum puella
concumbit atque idem cum eo faciam et membrum meum in ejus anum
imittum. Seuls mes moyens financiers restreints m'empêchent de mettre à
exécution ces projets cyniques dont mon esprit est très souvent rempli;
autrement il y a longtemps que je les aurais réalisés.
Le
militaire exerce sur moi le plus grand charme, mais j'ai encore, en
outre, un faible pour les bouchers, les cochers de fiacre, les
camionneurs, les cavaliers du cirque, à la condition qu'ils aient un
corps bien fait et souple. Les uranistes me sont odieux pour les
rapports intimes, et j'ai contre la plupart d'entre eux une aversion
tout à fait injustifiée que je ne saurais m'expliquer. Aussi, sauf une
seule exception, n'ai-je jamais eu une relation d'amitié intime avec
aucun uraniste. Par contre, les rapports les plus cordiaux, consolidés
par les années, me rattachent à quelques hommes normaux, dans la
société desquels je me trouve très bien, mais avec lesquels je n'ai
jamais ou de rapports sexuels et qui ne se doutent pas du tout de mon
état.
Les conversations sur les questions politiques ou
économiques, ainsi que toute discussion sur un sujet sérieux, me sont
odieuses; par contre, je cause avec beaucoup de plaisir et avec un
assez bon jugement des choses de théâtre. Dans les opéras, je me figure
être sur la scène, je ma crois entouré des applaudissements du public
qui me célèbre, et je voudrais, de préférence, représenter des héroïnes
passives ou chanter des rôles dramatiques de femmes.
Les sujets
de conversation les plus intéressants pour moi et mes semblables, ce
sont toujours nos hommes; ce thème est inépuisable pour nous autres;
les charmes les plus secrets de l'amant sont alors minutieusement
expliqués, mentulæ æstimantur, quanta sint magnitudine, quanta
crassitudine; de forma carum atque rigiditate conferimus, alter ab
altero cognoscit cujus semen celerius, cujus tardius ejaculatur. Je
mentionne encore qu'un de mes quatre frères s'est laissé entraîner à
des actes uranistes, sans être uraniste lui-même; tous les quatre sont
des adorateurs passionnés du sexe féminin et font sans cesse des excès
sexuels. Les parties génitales des hommes, dans notre famille, sont,
sans exception, très fortement développées.
Enfin, je répète les
paroles par lesquelles j'ai commencé ces lignes. Je ne pouvais pas
choisir mes expressions, car il s'agissait pour moi de fournir un sujet
pour l'étude de l'existence uraniste; pour cela, il importait, avant
tout, de ne donner que la vérité absolue. Veuillez donc excuser, pour
cette raison, le cynisme de ces lignes.
Au mois d'octobre 1890,
l'auteur des lignes qui précèdent se présenta chez moi. Son extérieur
répondait, en général, à la description qu'il m'en avait faite. Les
parties génitales étaient volumineuses, très poilues. Les parents
auraient été sains au point de vue nerveux; un frère s'est brûlé la
cervelle par suite d'une maladie nerveuse; trois autres sont nerveux à
un degré très prononcé. Le malade est venu chez moi en proie au plus
grand désespoir. Il ne peut plus supporter la vie qu'il mène, car il en
est réduit aux rapports avec des individus vénals, et il ne peut
pratiquer l'abstinence, étant donnée sa prédisposition excessive à la
sensualité; il ne peut pas comprendre non plus comment on pourrait le
transformer en un individu aimant les femmes et le rendre capable des
plus nobles jouissances de la vie, car, dès l'âge de treize ans, il
avait des penchants pour l'homme.
Il se sent tout à fait femme
et aspire à faire la conquête d'hommes qui ne soient pas uranistes.
Quand il est avec un uraniste, c'est comme si deux femmes se trouvaient
ensemble. Il préférerait plutôt être sans sexe que de continuer à mener
une existence comme la sienne. La castration ne serait-elle pas une
délivrance pour lui?
Un essai d'hypnose n'amena chez ce malade excessivement émotionnel qu'un engourdissement très léger.
OBSERVATION
124.--B..., garçon de café, quarante-deux ans, célibataire, m'a été
envoyé comme inverti par son médecin, dont il était amoureux. B...
donna de bonne volonté et avec décence des renseignements sur sa vita
ante acta et surtout sexualis, très heureux de trouver enfin une
explication sérieuse de son état sexuel qui, de tout temps, lui a paru
morbide.
B... ne sait rien de ses grands-parents. Son père était
un homme emporté, coléreux et très excité, potator, ayant eu, de tout
temps, de grands besoins sexuels. Après avoir fait vingt-quatre enfants
à la même femme, il divorça d'avec elle et mit trois fois en état de
grossesse sa femme de ménage. La mère aurait été bien portante.
De
ces vingt-quatre enfants, six seulement sont encore en vie: plusieurs
d'entre eux ont des maladies de nerfs, mais sans anomalie sexuelle,
sauf une soeur qui, de tout temps, a eu la manie de poursuivre les
hommes.
B... prétend avoir été maladif dans sa première enfance.
Dès l'âge de huit ans, sa vie sexuelle s'éveilla. Il se masturba et eut
l'idée penem aliorum puerorum in os arrigere, ce qui lui fit grand
plaisir. À l'âge de douze ans, il commença à devenir amoureux des
hommes, dans la plupart des cas de ceux qui avaient trente ans et
portaient des moustaches. Déjà, à cette époque, ses besoins sexuels
étaient très développés; il avait des érections et des pollutions. À
partir de ce moment, il s'est masturbé presque tous les jours, en
évoquant pendant l'acte l'image d'un homme aimé. Son suprême plaisir
était cependant penem viri in os arrigere. Il en avait une éjaculation
avec la plus vive volupté. Environ douze fois seulement, il a pu,
jusqu'ici, goûter ce plaisir. Quand il se trouvait en présence d'hommes
sympathiques, il n'a jamais eu de dégoût pour le pénis d'autrui, au
contraire. Il n'a jamais accepté les propositions de pédérastie qui,
soit active, soit passive, lui répugne au plus haut degré. En
accomplissant ces actes pervers, il s'est toujours figuré être dans le
rôle d'une femme. Sa passion pour les hommes qui lui étaient
sympathiques était sans bornes. Il aurait été capable de tout pour un
amant. Il tressaillait d'émotion et de volupté rien qu'en l'apercevant.
À
l'âge de dix-neuf ans, il s'est laissé souvent entraîner par des
camarades à aller au lupanar. Il n'a jamais trouvé de plaisir au coït.
Pour avoir de l'érection en présence de la femme, il a toujours dû
s'imaginer qu'il avait affaire à un homme aimé. Ce qu'il aurait préféré
à tout, c'est que la femme lui permît l'immissio penis in os, ce qui
lui a toujours été refusé. Faute de mieux, il pratiquait le coït; il
est même devenu deux fois père. Son dernier enfant, une fille de huit
ans, commence déjà à se livrer à la masturbation et à l'onanisme
mutuel, ce dont il est profondément affligé. N'y aurait-il pas quelque
remède à cela?
Le malade affirme qu'avec les hommes il s'est
toujours senti dans le rôle de la femme, même dans les rapports
sexuels. Il a toujours pensé que sa perversion sexuelle avait pour
cause originaire le fait que son père, en le procréant, avait voulu
faire une fille. Ses frères et ses soeurs l'avaient toujours raillé à
cause de ses manières féminines. Balayer la chambre, laver la vaisselle
étaient pour lui des occupations agréables. On a souvent admiré ses
aptitudes pour ce genre du travaux, et on a trouvé qu'il y était plus
adroit que bien des filles. Quand il pouvait le faire, il se déguisait
en fille. Pendant le carnaval, il allait dans les bals déguisé en
femme. Dans ces occasions, il réussissait parfaitement à imiter les
minauderies et les coquetteries des femmes, parce qu'il a un naturel
féminin.
Il n'a jamais eu beaucoup de goût à fumer ou à boire,
aux occupations et aux plaisirs masculins; mais il a fait avec passion
de la couture, et, étant garçon, il a été souvent grondé parce qu'il
jouait sans cesse aux poupées. Au théâtre et au cirque, son intérêt ne
se concentrait que sur les hommes. Souvent il ne pouvait pas résister à
l'envie de rôder autour des pissotières, pour voir des parties
génitales masculines.
Il n'a jamais trouvé plaisir aux charmes
féminins. Il n'a réussi le coït qu'en évoquant l'image d'un homme aimé.
Ses pollutions nocturnes étaient toujours occasionnées par des rêves
lascifs concernant des hommes.
Malgré de nombreux excès sexuels, B... n'a jamais souffert de neurasthénie, et il n'en présente aucun des symptômes.
Le
malade est délicat, a une barbe et une moustache peu fournies; ce n'est
qu'à l'âge de vingt-cinq ans que sa figure est devenue barbue. Son
extérieur, sauf sa démarche dandinante et légère, ne présente rien qui
puisse indiquer un naturel féminin. Il affirme qu'on a déjà souvent
ridiculisé sa démarche féminine. Les parties génitales sont fortes,
bien développées, tout à fait normales, couvertes de poils touffus; le
bassin est masculin. Le crâne est rachitique, un peu hydrocéphale, avec
des os pariétaux convexes. La face surprend par son exiguïté. Le malade
prétend qu'il est facile à irriter et enclin aux emportements et à la
colère.
OBSERVATION 125.--Le 1er mai 1880, les autorités
policières amenèrent à la Clinique psychiatrique de Gratz un homme de
lettres, le docteur en philosophie G...
G..., venant d'Italie et
passant, dans son voyage, par Gratz, avait trouvé un soldat qui,
moyennant argent, s'était livré à lui, mais qui finalement l'avait
dénoncé à la police. Comme celui-ci défendait avec le plus grand
sans-gêne son amour pour les hommes, la police trouva son état mental
douteux et le fit placer en observation près d'aliénistes. G... raconta
aux médecins, avec une franchise cynique, qu'il y a plusieurs années
déjà il avait eu, à M..., une affaire analogue à démêler avec la police
et qu'il avait été, alors, quinze jours en prison. Dans les pays du
Sud, il n'y a aucune loi contre les gens comme lui; en Allemagne et en
France seulement, on a trouvé l'affaire mauvaise.
G... a
cinquante ans; il est grand, vigoureux, avec un regard libidineux, des
manières coquettes et cyniques. L'oeil a une expression névropathique
et vague; les dents de la mâchoire inférieure sont bien plus en arrière
que celles de la mâchoire supérieure. Le crâne est normal, la voix
virile, la barbe bien fournie. Les parties génitales sont bien
conformées; cependant les testicules sont un peu petits. Physiquement,
G... ne présente rien à noter, sauf un léger emphysème du poumon et une
fistule externe à l'anus. Le père de G... était atteint de folie
périodique; la mère était une personne «excentrique»; une tante était
atteinte d'aliénation mentale. De neuf enfants issus du père et de la
mère de G..., quatre sont morts à un âge tendre.
G... prétend
avoir été bien portant, sauf qu'il a eu des scrofulides. Il a obtenu le
grade de docteur en philosophie. À l'âge de vingt-cinq ans il a eu des
hémoptysies, il alla en Italie où, sauf quelques interruptions, il
gagnait sa vie avec sa plume et en donnant des leçons. G... dit qu'il a
souvent souffert de congestions et aussi quelque peu «d'irritation
spinale», c'est-à-dire que le dos lui faisait mal. Du reste, il est
toujours de bonne humeur, seulement son porte-monnaie n'est jamais bien
garni, et il a toujours bon appétit, comme toutes les «vieilles
hétaïres». Il raconte ensuite avec beaucoup de plaisir et de cynisme
qu'il est atteint d'inversion sexuelle congénitale. Déjà, à l'âge de
cinq ans, son plus grand plaisir était videre mentulam, et il rôdait
autour des pissotières pour avoir ce bonheur. Avant l'âge de puberté,
il avait pratiqué l'onanisme. À sa puberté il s'aperçut qu'il avait un
sentiment très tendre pour ses amis. Une impulsion obscure lui montrait
le chemin que son amour prendrait. Il avait pour ainsi dire l'obsession
d'embrasser d'autres jeunes gens, et parfois de caresser le pénis du
l'un ou de l'autre. Ce n'est qu'à l'âge de vingt-six ans qu'il commença
à entrer en rapports sexuels avec des hommes; il se sentait alors
toujours dans le rôle de la femme. Étant encore petit garçon, son plus
grand plaisir était de s'habiller en femme. Il a été souvent battu par
son père, quand, pour obéir à son impulsion, il mettait les vêtements
de sa soeur. Quand il voyait un ballet, c'étaient toujours les danseurs
et jamais les ballerines qui l'intéressaient. Aussi loin que sa mémoire
remonte, il a toujours eu l'horror feminæ. Quand il allait dans un
lupanar, ce n'était que pour voir des jeunes gens, «puisque, dit-il, je
suis un concurrent des putains.» Quand il voit un jeune homme, il le
regarde tout d'abord dans les yeux; si ceux-ci lui plaisent, il regarde
la bouche pour voir si elle est faite pour les baisers, et ensuite
vient le tour des parties génitales pour voir si elles sont bien
développées. G... parle avec une grande suffisance de ses ouvrages
poétiques, et il fait valoir que les gens de son acabit sont tous des
hommes doués de beaucoup de talent. Il cite à l'appui de sa thèses
comme exemples: Voltaire, Frédéric le Grand, Eugène de Savoie, Platon,
qui, selon lui, étaient tous des «uranistes». Son plus grand plaisir
est d'avoir un jeune homme qui lui soit sympathique et qui lui fasse la
lecture de ses vers (les vers de G... ). L'été dernier, il a eu un
amant de ce genre. Lorsqu'il dut se séparer de lui, il s'abandonna au
désespoir; il ne mangeait plus, ne dormait plus et ne put que peu à peu
se ressaisir. L'amour des uranistes est profond et extatique. A Naples,
raconte-il, il y a un quartier où les effeminelli vivent en ménage avec
leurs amants, de même qu'à Paris les grisettes. Ils se sacrifient pour
leur amant, entretiennent son ménage, tout comme les grisettes. Par
contre, il y a répulsion entre uraniste et uraniste, tout comme «entre
deux putains; c'est une question de boutique».
G... éprouve une
fois par semaine le besoin d'avoir des rapports sexuels avec un homme.
Il se sent heureux de son étrange sentiment sexuel qu'il considère
comme anormal, mais non comme morbide ni comme illégitime. Il est
d'avis qu'il ne reste à lui et à ses compagnons qu'un parti à prendre,
c'est d'élever au niveau du surnaturel le phénomène contre-nature qui
est en eux. Il voit dans l'amour uraniste comme un amour plus élevé,
idéalisé, divinisé et abstrait. Quand nous lui objectons qu'un pareil
amour est contraire aux buts de la nature et à la conservation de la
race, il répond d'un air pessimiste que le monde doit mourir et la
terre continuer à tourner autour de son axe sans les hommes qui
n'existent que pour leur propre supplice. Afin de donner une raison et
une explication de son sentiment sexuel anormal, G... prend Platon
comme point de départ, Platon, dit-il, «qui certes n'était pas un
cochon». Déjà Platon a formulé la thèse allégorique que les hommes
étaient autrefois des boules. Les dieux les avaient coupées en deux
disques. Dans la plupart des cas l'homme se compasse sur la femme, mais
quelquefois aussi l'homme sur l'homme. Alors le pouvoir de l'instinct
de l'union est aussi puissant, et tous deux se raffraîchissent par
devant. G... raconte ensuite que ses rêves, quand ils étaient
érotiques, n'ont jamais eu pour sujet des femmes, mais toujours des
hommes. L'amour pour l'homme est le seul genre qui puisse le
satisfaire. Il trouve abominable de fouiller avec son pénis dans le
ventre d'une femme. Comme il l'a entendu dire, c'est de cette manière
dégoûtante qu'on pratique le coït. Il n'a jamais eu envie de voir les
parties génitales d'une femme; cela lui répugne. Il ne considère pas
comme un vice son genre de satisfaction sexuelle; c'est une loi de la
nature qui l'y force. Il s'agit pour lui de l'instinct de conservation.
L'onanisme n'est qu'un expédient misérable, et nuisible encore, tandis
que l'amour uraniste relève le moral et retrempe les forces physiques.
Avec
une indignation morale qui a l'air bien comique à côté de son cynisme
ordinaire, il proteste contre la confusion des uranistes avec les
pédérastes. Il abhorre le podex, un organe de sécrétion. Les rapports
des uranistes ont toujours lieu par devant et consistent dans un
système d'onanisme combiné.
Telles sont les descriptions de G...
dont l'individualité intellectuelle est aussi, en tout cas,
primitivement anormale. La preuve en est dans son cynisme, dans sa
frivolité incroyable, dans l'application de ses maximes au domaine
religieux, terrain sur lequel nous ne pourrions le suivre, sans
transgresser les limites tracées même pour une observation
scientifique; dans son raisonnement philosophique entortillé sur les
causes de son sentiment sexuel pervers; dans sa manière retorse
d'envisager le monde; dans sa défectuosité éthique dans tous les sens;
dans sa vie de vagabond; dans ses manières bizarres et dans son
extérieur. G... fait l'effet d'un homme originairement fou.
(Observation personnelle. Zeitschrift für Psychiatrie)