Alain Voisinne Bruno est un professionnel qui a déjà un peu de « pratique » comme on dit.
Une
bonne dizaine d’années, peut-être un peu plus qu’il travaille dans le
social où il n’en est pas à sa première institution. Actuellement il
est éduc spé, éducateur spécialisé dans une Mecs. Mecs ça tente plus
précisément de dire « foyer d’action éducative classifié maison
d’enfants à caractère social ». Aujourd’hui, dans le cadre de la
supervision d’équipe, il a souhaité évoquer une situation qui
l’interroge et dont il essaie de démêler les fils, une situation où il
est référent d’un jeune depuis déjà quelque temps.
Il dit bien
qu’il a installé avec ce jeune dont il est question une relation
différente qu’avec ces autres jeunes dont il est également référent.
Son propos est lent, presque hasardeux, douloureux et il insiste bien
lui-même dans l’idée que c’est difficile pour lui de parler de cette
situation-là, que ça fait longtemps qu’il hésitait dans l’évocation de
ce contexte singulier. L’émotion qui l’envahit peu à peu finit par
autoriser des larmes qui l’amènent à dire avec une certaine véhémence
qu’il n’en peut plus. Et puis « que ce n’est pas possible de pouvoir
considérer que ce jeune-là va finir à la rue du fait que le contrat
jeune majeur qu’il a signé avec l’aide sociale à l’enfance se termine
dans deux mois et que, faute de moyens ce contrat ne sera pas renouvelé
».
(Pour information la loi spécifie que les majeurs de 18 à 21
ans qui éprouvent certaines difficultés d’insertion sociale faute d’un
soutien, d’un environnement familial suffisant peuvent être accompagnés
à titre temporaire par l’aide sociale à l’enfance dans le cadre d’un
contrat signé à la fois par eux et le dit service).
Et ce
professionnel de poursuivre et de considérer que « de toute façon
l’institution ne fait pas son travail, qu’il se sent seul dans sa
référence, dans son travail, que l’équipe ne le soutient peut-être pas
assez, qu’il ne se sent pas accompagné par son chef de service, que le
directeur n’est jamais là » et que de toutes les façons c’est un gâchis
énorme, cette histoire qui se termine mal selon lui, compte tenu des
capacités qu’il suppose à ce jeune et que, à l’évidence, c’est un peu
comme s’il considérait que ce jeune n’a pas l’âge de sa majorité.
Cette supervision ne permettra pas à ce professionnel d’élaborer suffisamment, ce qui l’amènera à engager un travail individuel.
Il
y a dans cette situation quelque chose qui vient indiquer ou souligner
quelque chose d’insistant, de persistant dans la mesure où le champ du
social est traversé par des mutations diverses qui ne sont pas sans
effets sur les professionnels qui tentent d’y œuvrer. Outre les
incidences de la transformation des liens qui organisent et articulent
les discours et places de chacun, ce champ dit social se trouve aux
prises avec des évolutions notoires qui vont des réorganisations
institutionnelles (regroupements, fusions) à l’organisation même de ce
secteur (apparition des ARS) en passant par des modes nouveaux de
management (on parle maintenant de manager d’institution sociale). Sans
doute faudrait-il ajouter à cela la question cruciale des financements
et des budgets, souvent revus à la baisse au regard des contingences
nouvelles directement démontrées en regard de ce qu’il est commun
d’appeler la crise.
Dans ces temps nommés analyse de la pratique
ou supervisions il est ainsi donné à entendre les discours de ces
professionnels qui tentent, à partir de ce qu’il est convenu d’appeler
une plainte, d’élaborer, d’articuler quelque chose qui viendrait dire
ce qu’il en est pour eux du manque, de l’impuissance ou de
l’impossible, du réel. Encore faut-il que ce pas puisse être envisagé,
tant les enjeux de la jouissance sont prégnants dans cette affaire.
Avec le risque d’un télescopage cruel entre la jouissance d’un symptôme
et la jouissance d’un savoir interdisant ou contrariant tout nouage
fécond. Il n’est pas rare en effet que divers points de butée
n’autorisent rien d’autres que des crispations sur ces plaintes
nostalgiques qui semblent inscrites tour à tour dans le soupir d’un
temps où il se disait que le chef faisait adresse, où les moyens
étaient suffisants, où « ils » se sentaient « pris en compte »,
reconnus et où régnait l’autorité, etc.
Est-ce d’une certaine
manière à un ou au remaniement de plusieurs signifiants voire d’un
champ de signifiants auquel nous nous trouvons conviés? Ou bien encore
à un changement de paradigme? Nous pouvons peut-être convenir de nous
trouver ici en face d’un moment qui ferait authentiquement symptôme.
Les aspects pluriels de celui-ci s’ordonnent autour de plusieurs
traductions diversement exprimées et il y a sans doute lieu ici de
tenter d’en déplier le lien.
Mais, auparavant, n’y aurait-il pas à revenir sur un malentendu qui sous-tend l’idée même du social et du travail social ?
Celui-ci
est souvent présenté comme se trouvant directement associé à la
relation d’aide. Une définition a été donnée par les Nations unies en
1959, laquelle insiste sur le type de relation entre le travailleur
social et l’individu : « Le travail social est une activité visant à
aider à l’adaptation réciproque des individus et de leur milieu social,
cet objectif est atteint par l’utilisation de techniques et de méthodes
destinées à permettre aux individus, aux groupes, aux collectivités de
faire face à leurs besoins, de résoudre les problèmes que pose leur
adaptation à une société en évolution, grâce à une action coopérative,
d’améliorer les conditions économiques et sociales. » On entend bien
ici le signifiant adaptation. Quarante années plus tard, la définition
proposée par la Fédération internationale des travailleurs sociaux ne
se différencie pas tant de la toute première Le travailleur social est
présenté comme celui qui « cherche à promouvoir le changement social,
la résolution des problèmes liés aux relations humaines, la capacité et
la libération des personnes afin d’améliorer le bien-être général.
Grâce à l’utilisation des théories du comportement et des systèmes
sociaux, le travail social intervient au point de rencontre entre les
personnes et leur environnement. Les principes des droits humains et de
la justice sociale sont fondamentaux pour le travail ». L’utilisation
des théories constitue ici un point avancé de la proposition tout comme
les droits humains et la justice sociale.
Pour aussi autorisée
que puisse être cette proposition elle n’en demeure pas moins source de
questionnement dans la mesure où, à partir de cet énoncé, le social
aurait pu se trouver perçu comme une sorte de succédané d’un idéal
relationnel fantasmé, comme affranchi des règles de la division du
sujet, des effets de sa prise dans le langage et du malaise dans la
civilisation dans la mesure où, du sujet divisé et des effets de cette
division, ne viendraient subsister qu’une réparation risquant de venir
parfois ignorer, entre autres, la question du désir, du désir du sujet.
Ce
fil conduit également à venir interroger le risque d’envisager un
professionnel « tout sachant, tout maitrisant, tout réparant, quasiment
orthopédique » investi d’un tout professionnel, peut-être non troué,
chargé de cette réparation que commande l’opinion et à laquelle le
politique tente de répondre. Je pense ici à Marc Nacht quand il écrit,
dans son ouvrage l’inconscient et le politique « Le discours du
politique tente alors vainement de signifier du symbolique dont il ne
véhicule plus qu’une sorte d’ersatz qui s’articule bien avec le
fantasme d’un citoyen devenu bien illusoirement maître du jeu »
Tout
ceci n’est pas sans effets sur les positionnements et sur ces métiers
dits impossibles consistant par exemple, tel que le disait Freud à
gouverner, éduquer, psychanalyser. L’évolution de ces métiers, la «
professionnalisation du métier» comme il est dit maintenant tend
parfois à placer le professionnel à cette sorte de place exceptionnelle
au risque d’une symbolisation bien singulière de l’individu, du
professionnel, du sujet alors que les effets sont autres si celui tente
de se tenir à cette place d’exception dont vous parlez Jean Pierre
Lebrun, d’une place qui s’excepte du groupe, non pour le soumettre à sa
propre loi, pour le dominer mais pour permettre au sujet de tenter une
mise au travail et au collectif de développer une dynamique de
transformation, de prise en main d’un destin commun. Il y aura sans
doute ici à revenir sur la question de la transmission.
Par
ailleurs la modernisation ou plus précisément cette nouvelle
interprétation consécutive des exigences ou contraintes économiques est
telle que les professionnels se trouvent aux prises d’un réel qui les
exclut des représentations historiques qui pouvaient être les leurs et
qui idéalisaient, sacralisaient les pratiques sociales comme une
parenthèse imaginaire bordée d’un savoir et d’une reconnaissance sans
limite les rendant imaginairement invulnérables à toute réalité
politique, économique, sociale ou culturelle. Un peu comme si se
trouvait le social et le reste du monde. Un peu comme si l’action
sociale, c’était « le »social, un social socialisé ne prenant pas en
compte les contingences d’un sujet divisé et de l’inconscient.
Parmi
d’autres questions contemporaines aux institutions, vient s’en trouver
une, quasi redondante, sur l’idée d’autorité, d’une autorité qui se
serait historiquement trouvée présente comme inscrite imaginairement en
tant qu’immanente compte tenu de la présence constatée d’un chef
(directeur, chef de service, etc). Cette autorité se serait trouvée
particulièrement nommée, toujours imaginairement du fait de la présence
physique, de l’installation dans un bureau « in situ », « intra-muros »
tel un recours possible, immédiat en cas de difficulté et pouvant par
ailleurs revêtir les allures d’un Autre illusoire. Il est effectivement
fréquent d’entendre ce réel embarras comme il est assez remarquable de
constater que les professionnels peineraient à se supposer pour
eux-mêmes de pouvoir faire autorité, de faire Autre un peu comme si,
seule l’institution en tant qu’elle est constituée pouvait elle et elle
seule se tenir au lieu de l’Autre.
La situation présentée par ce
professionnel dont j’ai parlé au début de cette présentation exprime
sans doute divers éléments liés à ces questions contemporaines
institutionnelles articulées à ce malentendu lié au social, à
l’autorité et à la loi.
Pour y revenir donc, ce professionnel
considère que l’institution ne fait pas son travail, qu’il se sent seul
dans sa référence, dans son travail, que l’équipe ne le soutient pas
assez, qu’il ne se sent pas accompagné par son chef de service, que le
directeur n’est jamais là et que de toutes les façons c’est un gâchis
énorme compte tenu de ce que les effets du transfert l’amènent à
supposer à ce jeune comme potentialités en devenir et qu’il lui est
insupportable de s’imaginer « le laisser à la porte de l’institution
livré à lui-même avec sa seule valise et avec pour horizon une place
éventuelle en CHRS ou en hébergement d’urgence ».
Confronté à
cet impossible, il est en attente ce professionnel, de quelque chose
qui, effectivement fasse définitivement autorité par lui, pour lui et
en lui (si j’ose dire) et que d’une certaine manière seule
l’institution pourrait venir répondre de cette affaire. N’y aurait-il
pas également à cet endroit ce quelque chose d’allure maternel espéré,
fantasmé, implicite et qui permettrait imaginairement de venir tenir à
distance les effets d’un réel perçu comme menaçant et duquel il
faudrait donc à tout prix préserver ce jeune à l’avenir logiquement
incertain.
Une remarque littorale me vient sur les embarras
fréquents des professionnels à s’engager du côté d’un dire subjectif.
Au mieux ils se laissent aller à risquer le terme affectif affleurer
dans leur discours, comme si affectueux, affection ne venaient pas
recouvrir une dimension suffisamment professionnelle, suffisamment
distanciée, comme on peut l’entendre dire. Malgré tout au fil des
rencontres, il devient possible d’entendre le mot transfert, comme si
ce terme pouvait être adressé avec plus d’aisance que le mot amour.
C’est vrai, comme on l’entend souvent dans les institutions, « on est
pas les parents », « on n’est pas là pour les aimer !». C’est un peu
comme si le terme de transfert pouvait être plus facilement maniable,
agrémenté d’une certaine technicité dans la mesure où le transfert
pourrait être « manipulé », « manié », « installé », « liquidé » avec
peut-être également en arrière-plan l’idée d’une technicité qui
tiendrait à respectueuse distance les effets de la subjectivité. Nous
savons bien pourtant, pour y avoir un peu réfléchi, qu’il n’en est rien
et que, bien au-delà de la complexité qui vient s’engager dans ce «
processus » complexe le transfert n’en demeure pas moins intimement lié
à l’amour. En 1960, Lacan lui-même, dans le séminaire « le transfert »
ne l’écrivait-il pas ainsi « Le transfert c’est de l’amour qui
s’adresse au savoir » avec cette référence implicite au supposé savoir
(qui viendrait installer un amour « nouveau » Autre que le vieil amour
romantique).
Pour revenir à cet aspect de l’autorité il est
remarquable d’entendre ce clivage entre la nécessité d’un chef et la
difficulté de s’en servir. Je pense ici à cette équipe qui, après avoir
réclamé avec insistance un chef de service avait finalement obtenu gain
de cause. Plusieurs mois après sa nomination ce même chef de service
n’avait toujours pas de bureau et se trouvait en situation de
colocation dans le bureau de la secrétaire! Il espérait, attendait que
l’équipe éducative lui en propose un et l’équipe éducative attendait «
qu’il se trouve un bureau et pose sa plaque » (sic). « Le nom propre
est totémique » dit Gérard Pommier. Le nom du chef de service aussi
peut être et la difficulté de mettre à une place et de nommer le
souligne sans doute ici.
((Peut-être un peu comme si le retour à
une certaine verticalité à condition que celle-ci soit plutôt
maternelle ce qui n’est guère envisageable. (A tort ou à raison on
pourrait penser ici aux deux triades mère enfant phallus et père mère
enfant).))
A ce lieu de la réflexion et dans le fil de ce que
vient amener ce professionnel, me semble articulée la question de la
transmission. D’un Autre qui viendrait lui dire à cet éducateur
spécialisé, lui en dire quelque chose d’une sorte de savoir définitif
qui viendrait faire vérité du sujet. Avec toute la difficulté que cela
peut venir signifier de s’y mettre à plusieurs pour recevoir quelque
chose qui ferait identité, qui ferait « autre chose » comme dit Lacan
dans son séminaire « les formations de l’inconscient ».
Et c’est
bien entre autres choses ce qu’on lui demande au directeur, au chef de
service, de transmettre, de transmettre la loi, une visée, une vision,
un projet, quelque chose qui fasse tenir l’institution et qui
garantisse à chacun sa place et rien que la sienne, d’y mettre du Un en
quelque sorte et puis ce directeur, s’il pouvait être le plus souvent
possible là, présent, dans son bureau, tel un recours immédiat dès lors
que se présente le risque d’une impasse, d’un impossible, dès lors, au
fond que le réel donne du fil à retordre. Le réel il est sans doute ici
présent chez ce professionnel qui vient buter sur un bec, un roc que
dis-je une péninsule, oui la péninsule d’un désir mal amarré au
continent d’un réel dont « le cristal initiateur », comme le dit Gérard
Pommier, serait dissimulé par les effets de l’imaginaire. Parce que le
réel, il ne suffit sans doute pas de le considérer, voire de l’invoquer
comme seulement cette voie sans issue ou « ce terminus tout le monde
descend ». Le réel il faut aller le chercher qui ne se présente pas de
lui-même.
Le réel, en tant que cristal initiateur pour reprendre
les termes de Pommier, ne prend fondamentalement sens qu’inscrit dans
cette trilogie dont les deux autres composantes sont le symbolique et
l’imaginaire comme autant d’effets des trois états de la réalité du
sujet.
Ce n’est évidemment pas tout à fait un hasard si Lacan
inscrit RSI dans cet ordre Réel, Symbolique, Imaginaire et cette
conception du réel a d’ailleurs évolué chez Lacan et il faut attendre
un peu tout de même pour que le Réel fasse primauté chez lui. Pour lui,
la réalité se tisse de l’imaginaire, c’est la réalité apprivoisée par
le symbolique dans la figure borroméenne. C’est entre autre dans le
séminaire « L’identification » que Lacan entame la précision de ce
qu’il élabore du réel. Je le cite « Loin qu’on puisse dire que tout
réel est possible, ce n’est qu’à partir du pas possible que le réel
prend place. Ce que le sujet cherche, c’est ce réel en tant que
justement pas possible, c’est l’exception et ce réel existe bien sûr.
Ce que l’on peut dire, c’est qu’il n’y a justement que du pas possible
à l’origine de toute énonciation » L’identification p.166.
Ce
n’est sans doute pas pour rien que Lacan répète aussi souvent que le
réel, c’est l’impossible. D’une certaine manière le réel serait plutôt
à envisager du côté de ce qui vient faire ratage, rebut, rébus de la
vie, ce après quoi le sujet du social, authentique s1 court, se démène
dans les entrelacs de ses réussites, erreurs, manques et autres
répétitions alors que le Sujet tente de se soustraire à ce qui vient
faire symptôme.
Le réel est à considérer du côté d’une béance,
d’une déchirure, d’un trou dans la structure quand la réalité tenterait
de venir l’occulter, le dissimuler. Le réel est comme une sorte de
point aveugle de notre connaissance en tant qu’impensable voire
irreprésentable et qui pourtant fait insistance et il y aurait à y
regarder d’un peu plus près à l’endroit du désir et d’une vérité qui
«se trouve au fond du puits».
C’est là où le discours de ce que
l’on veut bien nommer comme champ du social, en même tant qu’il peut
être symptomatiquement légitime, pourrait se perdre dans les méandres
imaginaires de la réalité, considérant pourtant et dans une certaine
bonne foi que c’est bien du réel qu’il parle.
Pour revenir sur
cette question de la transmission et de l’autorité, c’est un peu donc
parfois comme si, dans l’institution, on voudrait qu’il y ait du père à
condition de ne pas s’en servir, comme je le disais antérieurement.
Pour qu’il y ait du père cela suppose qu’il soit nommé, qu’il se nomme,
qu’il se soutienne de sa parole et de son dire, qu’il intervienne, ce
qui ne va pas forcément de soi dans l’institution contemporaine où la
transversalité est souvent à l’ordre du jour.
Pour Marcel
Czermak, une association c’est « un groupe de personnes réunies autour
d’un trou ». Il en va sans doute un peu du même dans une institution.
Que viennent dire ces demandes d’outillage, de solutions définitives,
transposables à l’envi voire universelles, ces paradoxes où, en même
temps que le fantasme du consensus déploie ses attendus, il y aurait
comme urgence à savoir comment empêcher qu’une décision soit possible
voire à s’entendre imaginairement sur cette décision dans une belle
feinte de non-recevoir compte tenu des impossibles fréquents à faire
Un, à envisager une castration qui serait collective alors que la
castration c’est chacun son tour. Le consensus institutionnel revêt
souvent les formes d’un faux Un. La clinique de l’institution pose la
question du transfert, du Un, elle pose la question de la place et de
quelqu’un qui veut s’y mettre, s’y mettre symboliquement. Sur ce point
ces nouveaux processus qui tendent à rendre les décisions acéphales ne
sont pas sans effet.
Je pense ici à cette institution où
plusieurs équipes se trouvaient prises dans des contentieux historiques
et où les rancœurs se cumulaient entre elles rendant difficile voire
impossible la perspective d’un travail collectif tant des scissions
contentieuses était venues figer le discours institutionnel, chacun
renvoyant à l’autre la responsabilité historique de la situation,
chacun s’arque boutant sur l’imploration de sa place jugée par lui
manquante ou défaillante. Dans le fil du travail engagé dans le cadre
des supervisions, la question de l’impossible, dépliée, vint ordonner
l’idée d’un travail sur l’historique de l’institution. Cette idée,
entendue et relayée par la direction permit un travail d’historisation
mais sans doute également d’hystérisation articulant, outre la parole
de chacun, comment certains signifiants venaient faire objet commun
sans pour autant se trouver symboliquement partagés. C’est aussi de ce
pas qu’il fût possible, peu à peu, pour ces professionnels d’envisager
leurs disparités subjectives quand précédemment ils se trouvaient pris
dans une sorte d’exigence de parité ou d’égalité en regard de places
qui peinaient à se dire et à se nommer.
Il serait sans doute
bien hasardeux de parler ici d’un pas tout institutionnel encore que
l’on peut s’interroger peut-être de savoir si les fameux projets
institutionnels ne sont pas parfois autant de tentatives aussi
nécessaires que vaines, en même temps que symptomatiques d’une «
association de malfaiteurs » tentant de dénier ce qu’il en serait des
effets du trou, ce trou dont parle Czermak. Trou qui ne manque pas
d’intérêt d’ailleurs dans la mesure où le sujet est un trou dans le
savoir et où le trou n’empêche pas le réel d’exister, de faire trou
dans sa réalité. Les enjeux des pratiques sociales rencontrent à
l’évidence, souvent le roc du réel, de la castration et c’est à cette
coupure que l’invite de la parole viendrait engager le sujet aux
risques de sa division. N’est-ce pas à cet endroit que viendrait, entre
autres s’établir le plus ardu de l’autorité.
De tous les
éléments symptomatiques à l’œuvre et entendus dans les dires
institutionnels il en est quatre à mon sens relativement chroniques :
l’autorité, le manque, la différenciation et l’altérité. Le transfert
se trouverait alors ici tel une sorte de dénominateur commun.
L’étymologie
du terme autorité s’ordonne d’une racine signifiant croître, faire
croître, fondateur, auteur. Dans son essai « Le pouvoir des
commencements » Myriam Revault d’Allonnes avance que l’autorité ce
n’est pas seulement l’ensemble des règles d’un vivre ensemble.
Nietzche, dans Le crépuscule des idoles, a cette formule hardie sur ce
signifiant quand il dit « tout ce qui fait que les institutions sont
des institutions est méprisé, haï, écartelé. On se croit à nouveau en
danger d’esclavage dès que le mot autorité se fait seulement entendre.
Pour revenir au propos de Myriam Revault d’Allonnes « l’autorité ne se
détient pas à la manière d’une « chose » que l’on a en sa possession.
Elle nous a été confiée et nous n’en sommes pour un temps que les
dépositaires. Parce qu’elle s’exerce dans un devenir, elle autorise. Et
elle poursuit :
C’est le caractère intemporel (plus précisément
la générativité) qui en fait une dimension incontournable du lien
social. Elle assure la continuité des générations, la transmission, la
filiation, tout en rendant compte des crises, des continuités, des
ruptures qui en déchirent le tissu, la trame. Il ne s’agit pas
d’englober ces discontinuités dans une continuité totalisante et
homogène, mais de penser la tension continu/discontinu fut-elle extrême
comme constitutive de la durée publique ».
C’est sans doute à
cette tâche qu’il convient de tenter d’ouvrir le champ de la parole de
manière à ce que celle-ci prenne la responsabilité d’un dire subjectif
et que, de cette autorité le sujet s’y autorise.
A cet endroit
de ma réflexion me vient l’envie, je ne sais pas trop pourquoi ni
comment vraiment l’articuler mais l’envie néanmoins de citer cet
extrait du séminaire « les formations de l’inconscient ». Je cite ici
Lacan, dans les formations de l’inconscient.
« il y a un moment
auquel vous ne pensez pas assez, j’en suis persuadé, parce que vous y
vivez comme dans votre air natal, si je puis dire, ça s’appelle
l’ennui. Vous n’avez peut-être jamais bien réfléchi à quel point
l’ennui est typiquement quelque chose qui arrive même à se formuler de
la façon la plus claire : qu’on voudrait autre chose. On veut bien
manger de la m… mais pas toujours la même…
…L’ennui où est-ce qu’il va où est-ce qu’il glisse…
Ce
sur quoi je voudrais attirer votre attention, c’est sur ces diverses
manifestations de la présence de l’autre chose en tant qu’elles sont
institutionnalisées. Vous pouvez faire un classement de toutes les
formations humaines en tant qu’elles installent des hommes où qu’ils
aillent, toujours et partout. Ce qu’ont les formations collectives
d’après la satisfaction qu’elles donnent à ces différents modes de la
relation à autre chose.
Dès que l’homme arrive quelque part, il
fait des bêtises, c’est-à-dire l’endroit où est véritablement le désir.
Dès qu’il arrive quelque part il attend quelque chose, un meilleur
monde, un monde futur. Il est là, il veille, il attend la révolution
mais surtout et surtout dès qu’il arrive quelque part, il est
excessivement important que toutes ses occupations suent l’ennui. En
d’autres termes une occupation ne commence vraiment à devenir sérieuse
que quand, ce qui la constitue, c’est-à-dire en règle générale la
régularité est devenu parfaitement ennuyeux. Et en particulier songez à
tout ce qui, dans votre pratique analytique, est très exactement fait
pour que vous vous y ennuyiez.
A cette ponctuation de la
réflexion que je vous adresse sur ces nouvelles contingences des
pratiques sociales me vient la question de savoir si le champ dit
social, le travail social, les pratiques sociales ne feraient pas
métaphore des effets dans la culture d’un être ensemble, d’un tu
aimeras ton prochain comme toi-même et métonymie d’un impossible qui
s’y ordonne.
Alain VOISINNE
La Rochelle « Passions maternelles » le 21/03/2015