Notre but ici n'est
pas d'ouvrir un débat de fond mais simplement de donner quelques
informations de nature à mieux cerner ce qui constitue la spécificité
de l'art rupestre saharien.
Rappelons tout d'abord que l'art
rupestre saharien correspond à une période beaucoup plus récente que
les oeuvres rupestres européennes: Si les sites tels que Chauvet,
Lascaux , Altamira , etc... correspondent à la fin du paléolithique les
oeuvres sahariennes datent du néolithique pour les plus anciennes (de
l'ordre de 35000 ans d'un côté et 8000 ans de l'autre).
D'autre
part la localisation des oeuvres sahariennes est elle aussi très
différente de celles des oeuvres du Paléolithique comme Chauvet ,
Lascaux,...Si les oeuvres rupestres européennes se situent dans des
grottes plus ou moins profondes , fermées et préservées de l'atmosphère
ambiante il n'en est pas de même pour l'art saharien qui pour son
immense majorité se trouve à l'air libre dans des abris sous roche plus
ou moins élevés et souvent sujets à diverses agressions naturelles qui
expliquent les problèmes consécutifs de sa conservation.
On voit bien ici que cet abri situé à
Tajouiset sur la Tassili
n'Ajjers,(Algérie) que nous allons prendre comme premier exemple, est
largement ouvert, les peintures se trouvent sur le plafond
Une peinture ocre rouge représente deux personnages dans un ovaloïde.
Cette oeuvre semble la seule sur ce plafond.
Toutefois en cadrant la partie du plafond située en avant de cette
peinture on distingue une silhouette plus sombre très effacée
C'est ici que va être utilisé à l'ordinateur un procédé de
décorrélation des couleurs appelé Image J -D Stretch qui permet de
mettre en valeur les pigments de cette silhouette
Les couleurs obtenues par ce procédé ne sont pas les couleurs
naturelles.
Ce traitement va faire apparaître non seulement le dessin d'un petit
éléphant mais la trace d'autres peintures.
Si
alors l'on regarde la voûte où il ne semblait pas y avoir de dessin
c'est tout un ensemble de représentations que le traitement permet de
découvrir
Le procédé a donc permis , sans
aucune intervention sur la paroi , de faire réapparaître plusieurs
strates de peintures presqu'effacées, que nous avons mises en évidence
en effectuant avec Photoshop un relevé graphique superposé à l'image:
Sur ce relevé, là où l'on ne percevait qu'un petit éléphant, on peut
voir à sa droite en réalité:
-une antilope sous-jacente très effacée dont on aperçoit les longues
cornes ondulées
-Deux grands éléphants, un gris assez effacé au centre, dont on voit
bien les pattes et un grand ocre rouge à droite - voici un détail de sa
tête
Un homme qui brandit un objet courbe et deux théranthropes à tête de
canidé assis, ils semblent deviser.
Sans étudier plus le relevé de ces peintures on peut constater:
-que les peintures ont beaucoup souffert du passage du temps au point
de presque disparaître
- que le procédé D Stretch permet de retrouver le dessin et de
percevoir les superpositions de ces représentations.
Cet
exemple n'est pas unique et on peut regarder une autre peinture vue au
Tchad dans la région de l'Ennedi en 2017, au lieu nommé Séliki, lors
d'une expédition avec Y.Gauthier.
La paroi aux nombreuses
représentations de bovins et de personnages a attiré notre attention.
Là encore le traitement D-Stretch met bien en valeur le détail de ces
peintures.
On voit par exemple une grande femme et des bovins peints à l'ocre
rouge.
Mais à gauche en bas, une zone ( que nous avons cernée d'un ovale
blanc) semblait recéler une superposition que le retraitement va nous
révéler plus en détail .
Le D Stretch fait apparaître sous les bovins peints à l'ocre rouge un
ensemble de personnages gris bleu .
En utilisant ensuite plusieurs retraitements avec Photoshop on a pu
diminuer l'intensité des peintures rouges récentes de bovins pour
mettre en évidence les peintures gris-bleu dissimulées
Il s'agit de 3 couples constitués chacun par une grande femme assise
sur un siège et suivie d'un personnage masculin.
On distingue bien pour la femme les seins pointus, le grand chignon et
la houlette qu'elle tient dans la main droite .
Les femmes sont assises sur un siege.
L'homme debout a une coiffure volumineuse et semble porter un pagne
dont on voit le pan retombant. Les deux personnages semblent se tenir
par la main ce qui est surtout visible pour le couple central.
Voici d'autres essais de traitement coloré :
Les techniques de retraitement ont donc permis ici de mettre en valeur
une scène exceptionnelle qui était dissimulée sous des peintures plus
récentes.
- les représentations de personnages assis sur un siège
sont rares au Sahara et quasiment inexistantes en Ennedi ; de plus ce
sont toujours des hommes alors qu'il s'agit ici de femmes.
- la femme tient une houlette, objet qui a été assimilé à un bâton de
commandement (voir les images de Pharaon égyptien)
- la conjonction des deux paramètres siège + houlette peut renforcer
l'idée d'une prééminence du personnage.
On peut évoquer à ce sujet une terre cuite néolithique découverte en
Hongrie à Szegvar-Tuzkoves.
fig19
Elle
représente un personnage assis sur un siège et tenant sur l'épaule un
objet en forme de crosse , ce qui indique "la mise en scène du pouvoir"
selon J.P.Demoule (2007:158).
fig20
On peut donc s'interroger sur la signification de cette peinture
saharienne à Séliki.
Ces deux exemples montrent bien comment l'analyse des images rupestres
est enrichie par l'usage de procédés informatiques sans lesquels de
nombreux sites seraient invisibles.
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1 Membre de l’ Association des Amis de l’ Art Rupestre Saharien.