Résumé : On trouve dans l’art rupestre du Sahara Central des
représentations très diversifiées selon les régions et les époques.
Parmi les chronologies proposées par plusieurs chercheurs, celle de Le
Quellec a l’avantage d’être récente (2013) et de faire la liaison entre
art rupestre, monuments, climat, et faune.
Nous avons choisi quelques exemples de peintures et gravures pour
illustrer quatre ensembles stylistiques majeurs du Sahara central : les
Têtes Rondes, le style du Messak, le style d’Iheren, les Caballins.
Le présent exposé se veut une introduction à l’art rupestre saharien,
il est destiné plus particulièrement au public pour qui ce sujet n’est
pas familier. Par contre, iI n’apporte rien de novateur pour les
participants qui sont déjà des spécialistes de l’art rupestre du Sahara.
Pourquoi le choix du Sahara Central ? parce que c’est la région où les
recherches sont les plus anciennes (une centaine d’années !), les plus
abouties ; quelques styles ont pu y être définis. Ces styles et leurs
séquences chronologiques ne peuvent pas caractériser d’autres régions
sahariennes (le Tchad par exemple).
L’étude et la définition de STYLES régionaux , démarche majeure pour
les chercheurs actuels, sa fait avant tout à partir des formes ;
l’identification de signes, si elle a lieu, est occasionnelle - dans la
mesure où un signe est porteur de sens ; (la plupart du temps le sens
des graphismes ou symboles, concrets ou abstraits, reste hypothétique)
1- Tableau chronologique (J.L.Le Quellec, 2013)
On repère les périodes arides et humides :
- le « Sahara vert », très humide, correspond aux 7è-6è millénaires AEC
(y compris une petite détérioration vers-6200)
- une autre période humide est présente au 4è millénaire
- l’aridité est croissante à partir du 3è millénaire
Les animaux sont représentés par :
- la grande faune africaine (sauvage) du 7è au 3è millénaire
- les animaux domestiques: ils apparaissent, pour les bovins du 5è au
2è millénaires, pour les moutons et chèvres: à partir du 5è millénaire
2- Style classique des « Têtes Rondes »
fig1-2
Ces peintures sont les plus anciennes représentations connues ? Elles
remontent aux 6è-5è millénaires AEC – début possible dès le 7ème selon
des travaux récents de la mission franco-algérienne de datation (2009),
Notre choix provient des peintures de la Tassili n’Ajjer, Algérie.
Exemples de Têtes Rondes classiques ou archaïques
Séfar, le « Grand dieu »
fig2
même vue après traitement Image J/D-Stretch. On dispose actuellement de
moyens techniques pour rendre les peintures plus visibles sur
l’ordinateur
fig3
On a appelé ces curieuses représentations d’anthropomorphes « grands
dieux », (ou « martiens » selon le terme de Lhote) ; ce vocabulaire
évoquant les personnages des bandes dessinées a parfois conduit à des
élucubrations fantaisistes (des « Martiens » seraient venus au Sahara !)
Ce sont de très grands sujets, vus de face, ils ne présentent pas de
traits du visage, des excroissances sont possibles. Présence
d’attributs ou symboles mystérieux (comme la forme en rosace festonnée
pourvue de filaments, en bas de l’image). Ils sont accompagnés souvent
par de petits sujets vus de profil, en posture d’adoration (voir en bas
à gauche).
Autre exemple! à Jabbaren : la procession dite « au poisson »
- après traitement : la scène est assez complexe
dans la partie gauche de l’image, on voit une procession de femmes
(reconnaissables par leurs seins), les bras tendus ; certaines portent
un objet sur la tête (interprétations variées…)
On trouve sur cette peinture l’essentiel des traits stylistiques des
Têtes Rondes (d’après Muzzolini 95, p 121) . Ce sont des critères
s’appliquant à la forme.
- les personnages (anthropomorphes) ont une tête souvent circulaire (ce
n’est pas le cas du Grand dieu)
- il n’y a pas de détails réalistes (visage sans traits, ici à décors
géométriques)
- ils n’ont pas de vêtements (parfois un pagne) mais peuvent porter des
accessoires (ceinture, queue postiche, colliers et bracelets…)
- les représentations sont souvent avec un contour sombre, et un
intérieur clair (pour les TR anciens – remarque : il y a un sujet à
intérieur foncé dans la file) ;
–La partie droite de l’image montre la présence d’éventuels décors
corporels (ici des pointillés)
- Ce ne sont pas des scènes de la vie courante, les attitudes des
anthropomorphes sont figées ou stéréotypées, évoquant un rituel : les
images ont une forte charge symbolique…
-Divers éléments énigmatiques non figuratifs sont présents ; par
exemple : des formes arrondies à filaments dites « méduses », comme sur
le Grand dieu de Séfar ; des ovales ou « poissons » comme à droite de
la procession de Jabbaren.
Peut-on les considérer comme des « signes » ? on en ignore le sens…
- Des animaux sauvages sont représentés: ici on voit surtout l’antilope
chevaline, il ya aussi souvent des mouflons. Les animaux domestiques
sont absents ou rares (les TR archaïques se situeraient avant la
domestication)
- Tan Timzar, Iharhaien – (site mentionné pour la première fois par
notre groupe en 2009 )
La photo montre un exemple de formes abstraites énigmatiques.
Le dessin pourrait-il évoquer le squiggle des psychanalystes? Après un
premier examen on pourrait y reconnaître des éléments humains déformés.
Remarque : l’antilope chevaline sous le graphisme est assez réaliste
3- Style du Messak (gravures et bas-reliefs, Libye)
Il se situe aux 5è-4è millénaires AEC
Auroch, caractérisé par ses cornes en tenaille
Traits stylistiques :
- la technique de gravure à double contour, avec un trait profond et
poli bien maîtrisé ; l’intérieur étant poli ou bouchardé.
- les animaux sauvages représentés, outre l’auroch, appartiennent à la
grande faune africaine : éléphant, rhinocéros, hippopotame, girafe,
bubale…
- un « bubale » ( Syncerus antiquus), bovidé disparu, au cornage
immense.
Remarquer à droite l’ovaloïde à cupule, signe souvent représenté, dont
le sens est inconnu…
- les animaux domestiques,sont également représentés (bovins,
ovi-caprinés) dès -5000 :
(Taleshut)- Ensemble de bovins domestiques (avec collier, longes,
selles – certains bovins sont montés). Dans d’autres sites on voit des
représentations de scènes de traite.
Ceux-ci sont parés (ornement dans les cornes) et portent des signes
symboliques (probable signe féminin)
Van Albada propose une évolution des signes au symbolisme féminin, à
partir d’une silhouette de femme dite « ouverte » (en offre sexuelle)
(les signes portés par le bovin du Taleshut sont reproduits en bas à
droite)
- les « théranthropes »
fig12
- ce sont des êtres hybrides mi-homme mi-animal, (représentés aussi au
paléolithique).
Ici il s’agit d’un « lycanthrope », à tête de lycaon (canidé sauvage
dangereux).
C’est un être mythique, symbole d’un chasseur très puissant (voir sa
denture agressive). Il porte un pagne, parfois un poignard ou une
hache, et une ceinture à laquelle sont accrochés des trophées de
chasse.
- Exemple d’autre être hybride: un homme-insecte
fig13
- scènes à caractère rituel :
- triade du Taleshut mettant en scène 3 personnages :
* 2 femmes à coiffure pointue (masque possible pour le sujet de droite)
et robe longue. Pour la femme de gauche, remarquer la posture
stéréotypée des bras, et le boviné tenu en longe ; de plus sa robe
porte un symbole arciforme (féminin) et une cupule.
* entre elles, un personnage masculin plus petit, avec un masque de
boviné (on voit la limite du masque) ; il porte à la ceinture un
pendentif de type trophée et une fausse queue.
4- Style Iheren (peintures, surtout dans laTassili n’Ajjer)
fig15-1
4è-3è millénaires AEC
Représentations de la vie d’éleveurs pacifiques, vivant en relative
abondance (eau, végétation), et ayant développé une culture raffinée
Les exemples suivants viennent du site éponyme (Iheren, Tassili
n’Ajjer).
Le style Iheren est celui qui parait le plus « beau », le plus
esthétique, aux yeux de l’amateur d’art occidental actuel.
Traits stylistiques :
fig15-2
Bovins buvant (dans une fissure)
Les animaux sont tracés à l’ocre au trait fin avec une grande maîtrise
technique; l’artiste a le sens du détail et aussi celui de la
composition. Le relief de la roche est utilisé : les museaux des bovins
sont alignés sur une fissure de la paroi.
après traitement - Homme et mouton
Remarquer : la coiffure du personnage et sa barbe, son pagne ; il tient
un petit bâton courbe en plus du long bâton de berger.
Les détails sont figurés avec précision (visage et mains du personnage,
cornes et oreilles des animaux…);
Dans les peintures de style Iheren, les hommes sont souvent représentés
accompagnés d’un mouton (animal favori, à rôle particulier ?); il
s’agit du mouton saharien Ovis longipes , à pattes longues
après traitement – Femme sur un bovin
Les scènes mêlant personnages et troupeaux sont fréquentes ; ici la
femme montée sur un bovin porte des récipients dans le bas de sa robe;
remarquer son beau profil, sa coiffure, son maquillage (cou en ocre
rouge)
après traitement – Scène de camp à Iharhaien , Ouan Azaoua ( site
mentionné pour la première fois par notre groupe en 2009 )
Cette belle peinture polychrome est peut-être plus récente que les
peintures du site d’Iheren. Remarquer les vêtements très élaborés
(capes et jupes des femmes, pagnes des hommes), les peintures
corporelles en ocre rouge, les coiffures.
Ce détail d’une femme avec son enfant est remarquable: la mère tient un
petit panier porteur pour mettre son enfant ; le garçonnet a
probablement des peintures corporelles, il tient un bâton courbe (jouet
?) et porte un collier. Le maquillage de la jeune femme est très
élaboré (œil, cou).
Un autre détail montre un archer à genoux, avec un arc de technologie
complexe, de type composite.
après traitement
– Homme portant un bébé (à Iheren) :dans cette civilisation l’homme
aussi s’occupe des enfants ; sa femme est assise sur le bovin derrière
(hors champ).
D’autres scènes, non montrées ici, représentent des chasses à l’arc et
au bâton de jet courbe (lièvre, autruche, antilope ; et même lion,
éléphant) (Maestrucci)
Un retour au tableau permet de montrer la correspondance entre styles
et types de monuments funéraires (travaux de Y.et C. Gauthier)
Les aires de répartition de certains styles de peintures ou gravures
sont superposables aux aires de répartition de certains types de
monuments funéraires, ainsi :
- les monuments à couloir et enclos (dits en « trou de serrure »)
correspondent au style Iheren
- les monuments en corbeille correspondent au style du Messak
5- Art Caballin (en général peintures, + quelques gravures) 2è-1er
millénaires AEC
C’est une période plus récente,
correspondant à une phase de répit dans le processus d’aridification du
Sahara (petit retour des lacs).
Elle est marquée par des nouveautés importantes : métal (et armes
métalliques), chars, chevaux (remarque : les chars et les chevaux ne
sont pas présents dans plusieurs scènes de style dit « caballin »). Les
bovins sont présents aussi, mais ne seront pas montrés ici.
Traits stylistiques :
- les chars au « galop volant » - (gravure, oued Djerat)
Deux chevaux sont représentés très allongés, les pattes parallèles ;
l’aurige avec deux lances ou javelots est à l’arrière.
après traitement (peinture, oued Djerat)
Les deux chevaux sont encore plus allongés, le char est monté par 3
personnages munis de boucliers ronds (1 sur l’encolure, 2 à l’arrière
avec javelots). Est-ce une course ? une parade de prestige ? une chasse
?
Remarquer en haut à droite les 2 chiens représentés aussi au « galop
volant ».
La représentation des chevaux en « galop volant » est non réaliste.
C’est une convention stylistique donnant l’impression de grande vitesse
et de puissance.
après traitement : (peinture, Ouahiressen)
Sur cet autre exemple de la Tassili n’Ajjer, on remarque la précision
du dessin du char, le costume de l’aurige, la représentation en
perspective des chevaux avec un trait de réserve
- les personnages sont schématisés avec souvent une « tête-bâton » et
un corps « bi-triangulaire » (le vêtement étant une tunique courte
évasée à la base)
Les sujets sont peints en aplat ocre sans détails internes.
(Torset, Tassili n’Ajjer) :
Il s’agit d’une scène galante, avec 3 belles filles en mini jupe.
Afoziggiar, Libye) :
Les guerriers qui apparaissent ici en blanc portent de grandes
coiffures à plumes, et tiennent un bouclier décoré spectaculaire
(prestige, faire-valoir).
avec traitement (Djerat)-
Le combat se fait avec des lances (probable lame métallique) et de
petits boucliers – remarquer cependant à droite la présence d’un
archer. En haut, on aperçoit une chasse au mouflon avec des chiens.
Cette peinture est probablement tardive, à la limite du camelin ancien
– il n’y a d’ailleurs plus de tête-bâton.
avec traitement (Djerat, même site).
Deux dignitaires fumant la pipe sont assis sur des tabourets aux pieds
arqués (les sièges, peu courants dans l’art saharien, sont réservés aux
personnages importants). Les dames en jupe longue sont représentées à
côté, un peu en retrait.
Une autre chasse au mouflon est visible en haut.
La société caballine, dans un contexte d’aridification, a évolué depuis
la période « pastorale » :
- emploi d’armes en métal,
- recherche des démonstrations de prestige (pour les guerriers les plus
valeureux ?)
- structure sociale probablement hiérarchisée.
Suzanne Lachaud est professeur honoraire de l’Université de Poitiers,
membre de l’ AARS.