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Les aléas de
la jouissance


Jouissance et masochisme

Alain Harly Séminaire "Les aléas de la jouissance" Séance III du 12 mars 2020
Je vais aborder ce soir l’articulation de la jouissance et du masochisme. On avait un peu évoqué cela la dernière fois, je vais insister en prenant appui sur l’article de Freud « Le problème économique du masochisme ». Et puis tout doucement, par petites touches, nous arriverons jusqu’à quelques assertions de Lacan.
Donc j’avais été interpelé par le fait que cette notion de masochisme, Freud la repère dans le jeu de l’enfant avec une bobine, son petit-fils. Ça l’interroge : comment cette répétition de l’expérience douloureuse, là, l’absence de la mère, peut-elle venir à se répéter, soit s’opposer à la tendance au plaisir, comment est-ce que c’est possible une chose pareille, comment est-ce qu’on peut trouver des satisfactions dans la souffrance ?
Il avait bien déjà indiqué un certain nombre de choses en 1905, dans ses essais sur la théorie sexuelle sur le masochisme. Il en reparle encore un peu en 1915 dans « Pulsion et destin des pulsions ». Et puis il y a aussi ce magnifique travail sur ce fantasme « un enfant est battu », ce fantasme qu’il va déplier et dont il va tirer des remarques essentielles. Et puis, un an plus tard, c’est ce texte, « Au-delà du principe de plaisir ». Jones, son biographe attitré, dit que c’est un texte qui n’est pas très bien construit, que ça part dans tous les sens, que ça ressemble à des associations libres. Mais en quoi des associations libres n’auraient-elles pas de sens du point de vue de l’ inconscient ? Et puis 4 ans après, 1924, il y a ce texte « le problème économique du masochisme ». Cela fait donc 20 ans en gros que cette question le travaille.
Dans ces « Trois essais… » au départ, le masochisme est conçu comme un renversement du sadisme. C’est une conception assez courante d’ailleurs. Lui, il précise à ce moment-là ainsi les choses : la première pulsion serait sadique, et elle se retournerait sur un mode masochiste. Il fait valoir à ce propos que c’est un passage de l’activité à la passivité. Dans le sadisme, c’est un objet extérieur qui serait visée, alors que dans le masochisme ce serait la personne propre. Ce masochisme-là, tel qu'il le conçoit au départ, ce masochisme primaire serait refoulé mais resterait en quelque sorte dans l’inconscient et prêt à donner matière à divers fantasmes.
C’est bien ce qu’il va repérer avec ce fantasme « un enfant est battu » beaucoup plus tard. Dans ce fantasme il utilise aussi cette dialectique-là, d'un renversement du sadisme. C'est un fantasme, dit-il, qu'il a beaucoup entendu, qui est très fréquent dans sa clinique avec des adultes. Il va donc déplier ce fantasme, à partir de cures qu’il a eues à connaitre, et il observe plusieurs niveaux selon les refoulements et les formations de compromis. A partir de l’énoncé « on bat un enfant » qui reste dans une espèce d’indétermination, on passe à un deuxième étage où ce n’est plus un enfant indéterminé qui est battu, mais c’est « je suis battu par le père ». Et enfin, le premier niveau serait « le père bat un enfant que je hais, moi. » Donc il y a toute une construction, avec des niveaux de refoulement plus ou moins engagés selon les étages.
Alors, avec cet article « Au-delà du principe de plaisir », et aussi avec « Le problème économique du masochisme », nous avons un tournant tout à fait important dans son élaboration puisque ça l’amène à remanier complètement sa théorie des pulsions et d’introduire la pulsion de mort comme primordiale et fondatrice. Alors que dans la première théorie des pulsions nous avions cette dialectique entre pulsions du moi et pulsions sexuelles, Dans cette 2ème théorie des pulsions, on a cette dialectique pulsion de vie/pulsion de mort. Et dans ce cadre et bien le masochisme est premier. Il y a un masochisme primaire qui relève de la pulsion de mort, mais il est cependant lié à la libido. Ce n'est pas une pure pulsion de mort, c'est quelque chose qui serait lié, c'est à dire qu'il y aurait une érotique articulée à ce masochisme primaire.
C'est une théorie qui, vous le savez, n'a pas été bien reçue par ses lecteurs, et y compris parmi ses élèves. Il y a eu des débats tout à fait vifs. Certains ont acceptés cette proposition et d’autres l’ont refusée. Freud veut bien admettre que ce n’est pas si facile à concevoir. S'il en arrive là, c'est qu'il y a pu avoir dans sa clinique un certain nombre d’observations qui l'ont conduit à cette hypothèse. Il y a entre autres des données comme la compulsion à la répétition, comme la névrose traumatique.
Qu’il y ait de la répétition dans la vie psychique, cela peut être facilement se concevoir. Mais de là à dire que cela participe d’une pulsion de mort, ça suppose toute une construction et c’est ce dont il nous fait part effectivement dans cet article. La réduction de la tension pourrait aller jusqu’à l’inanimé et d’une certaine manière donc serait une tendance vers la mort. Alors le masochisme ici comment le situer ? Ça serait effectivement un reliquat de cette pulsion de mort, une pulsion qui travaillerait en silence, et qui dit-il s’activerait à la destruction de sa propre maison. C’est dans la mesure où elle ne serait plus liée à la pulsion érotique que nous aurions cette perspective.
Il n’est pas très content de son élaboration, il exprime cela à la fin de son article, il est rarement content d’ailleurs dans son travail théorique : plus tard peut-être qu’on y verra plus clair mais pour le moment ce n’est pas le cas, mais j’en arrive là ! Il faudrait reprendre cela. Et effectivement il va reprendre cette question 4 ans plus tard dans « Le problème économique du masochisme » et on pourrait dire que là vraiment, il enfonce le clou sur ce masochisme primaire qui serait indissociable de sa théorie de la pulsion de mort. Et c’est ce qui va donner le socle de sa théorie du masochisme et lui permettre d’en concevoir diverses formes cliniques avec au départ ce masochisme primaire.
Il va donc proposer plusieurs déclinaisons de ce masochisme, je l’évoquais la dernière fois. Le masochisme érogène, c’est un mode d’excitation érogène ou le plaisir est apporté par la douleur. Le deuxième, le masochisme féminin. Alors ce serait mieux de dire « au féminin ». Parce qu’il admet effectivement que ça peut aussi bien concerner des hommes. C’est une notion un peu délicate, on l’abordera bien sûr. Et puis le troisième mode c’est le masochisme moral qui serait la satisfaction obtenue par la souffrance produite par l’intervention du surmoi.
Pour ce soir, je vais surtout d’insister sur le masochisme moral mais il nous faut dire quelques mots sur le masochisme érogène tel que Freud le présente.
Le masochisme primaire, originaire, comporte une dimension érogène. C’est une hypothèse, cela ne peut pas se saisir isolément, il faut que ça soit lié à autre chose pour qu’on puisse le reconnaitre. En soi ce n’est pas observable, tout seul. Pour l’enfant à la bobine par exemple , il y a bien la répétition de l’ expérience douloureuse, mais il y a aussi le plaisir de la reproduction où l’enfant devient actif.
Et puis il y a le cas du masochisme féminin, qui serait lié à une identification au féminin, à une tendance à la passivité. Ce type de tendance va être plus spécialement repérable dans la perversion masochiste car c’est alors lié au sexuel.
Alors il revient sur l’émergence du sexuel dans le corps et sa tendance à la liaison. Il admet une co-excitation. « Il ne se passe rien d’important dans l’organisme qui ne fournisse sa composante sexuelle. » Ce qui fait que « la douleur et le plaisir en tant qu’excitation aurait dès lors le même rôle . »
A admettre une telle formulation, ça nous amène assez loin. Parce que ça revient à dire que tout mouvement, en quelque sorte, de la physiologie, tout ce qui serait en quelque sorte de l’organisme humain serait « sexualisable ». C’est une assertion forte. Est-ce que mon poumon, mon intestin, etc. c’est sexualisable ? La réponse de Freud est de dire oui. C’est bien sûr la clinique de l’hystérie qui lui a soufflé cela. Mais cela peut aussi aller plus loin, il nous laisse entendre , même s’il ne le dit pas tout à fait comme ça ici : la maladie participerait d’une certaine forme de sexualisation. En quoi par exemple, puisque c’est une des questions que je pensais aborder dans ce chantier, en quoi les phénomènes psychosomatiques ne pourraient-il pas se situer dans ces coordonnées du masochisme ?
Cela nous conduit à poser ce genre de question : comment distinguer le fonctionnel du pulsionnel ? Quand Freud dit que tout est sexualisable, il ne dit pas que tout est sexualisé. Ce qui n’est pas la même chose. On pourrait prendre les choses à l’envers : qu’est-ce qui va faire que tout du fonctionnement du corps ne serait pas érotisé ? Et bien, la réponse qu’il donne, il la donne très tôt c’est que le sexuel ne va pas investir la totalité du corps, qu’il va y avoir une sorte de découpe, et qu’il va investir plus spécialement certaines zones du corps, ce qu’il appelle les zones érogènes. On pourrait dire ça autrement : la pulsion sexuelle, elle ne va pas se totaliser dans une érotisation du corps, mais elle se partialise.
Alors la sexualité, dit-il aussi, c’est la rencontre avec l’autre. Et il en parle d’abord en termes d’effraction. Le sexuel est par essence intrusif, en d’autres termes traumatique. Ça prend à rebrousse-poil toutes les conceptions gentilles qu’on a de ça. Si nous considérons le nourrisson qui est manipulé, soigné, baigné, caressé, dorloté, qui est parlé, fantasmé, tout ça, qu’est-ce que c’est d’autre qu’une intrusion considérable de l’autre ? La clinique du nourrisson nous apprend beaucoup de chose. Cette effraction vient faire une découpe dans le corps, l’excitation ici produite vient prendre sa valeur, sa consistance, au regard de l’autre. Et là, dans cette effraction, le déplaisir voire la douleur, viendrait avoir le même rôle que le plaisir sexuel. C’est ça qui l’amène à dire qu’il y aurait une composante masochiste dans la sexualité humaine. C’est ce qu’on va retrouver d’une manière exemplaire dans la perversion masochiste avec cette recherche d’être humilié, d’être abimé, d’être battu, insulté. Sur des modes un peu moins hard, on peut lire les confessions de Jean-Jaques Rousseau. Il raconte comment les fessées de sa nourrice provoquaient chez lui une jouissance. Ce n’est pas une notion très simple à attraper.
Alors un autre truc pas facile à entendre aussi, c’est le masochisme féminin. Quand il dit par exemple « le masochisme serait l’expression de l’être de la femme ». Qu’en dites-vous Mesdames ? Il dit ça en 1924, et même plus tard en 1932, il insiste « le masochisme est authentiquement féminin ». Il évoque la position d’attente, les menstruations, la maternité, l’accouchement. Il a une autre remarque que je trouve plus accessible. Il dit l’agressivité chez la femme serait réprimée, retournée vers l’intérieur et liée érotiquement. C’est pourquoi il y aurait un masochisme féminin.
Je préfère dire au féminin. Lui-même d’ailleurs l’indique aussi, puisqu’il peut tout à fait concevoir que les hommes peuvent présenter ces traits mais à partir du moment où il y aurait une identification féminine ou en tout cas à des traits féminins. Je suis assez preneur pour avoir écouté quelques patients pour qui ça se jouait comme ça.
Question : est-ce lié à l’inconscient collectif ? La représentation de la femme n’est pas du tout inconsciente, ça fait partie du discours dominant, effectivement. Ça peut être un effet du discours ambiant, du contexte culturel. Ça peut être le cas d’une situation de violence, de dictature, d’une idéologie machiste, bien sûr. Si l’agressivité ne peut pas s’exprimer, de part cet état de violence, effectivement, cette agressivité se retourne sur la personne propre. Cela peut s’entendre. Ce qui va nous choquer, c’est quand il avance que ce masochisme serait l’expression de l’être de la femme. C’est plus difficile à admettre, les mouvements féministes y compris de son temps n’avaient pas laissé passer ça.
Lacan par rapport à cette idée d’un masochisme féminin y voit plutôt un fantasme côté homme, Et que ça le dédouanerait de la violence sadique en quelque sorte qu’il suppose dans l’acte sexuel. Ce fantasme-là est un fantasme infantile. C’est le fantasme que le commerce sexuel des parents est de l’ordre d’une violence. On en avait parlé dans le séminaire précédent, chez Freud il y a un brouillage, il y a des choses difficiles à retenir quant à la position féminine avec toute cette conception actif/passif. Freud essaie tout de même de définir une essence du masculin et du féminin en soi. Or c’est dépendant du discours et de l’idéologie de l’époque bien évidemment.
Lacan va déplacer la problématique en termes de position au regard d’une fonction, la fonction phallique. Quand on est coté femme, indépendamment de l’anatomie, ça n’a rien à voir avec l’anatomie, ce n’est pas être toute entière dans la logique phallique. C’est avec les fameux tableaux de la sexuation qu’il le développera . Quand on est du côté homme, il y a une stricte logique phallique, rien n’empêche une femme d’être de ce côté-là d’ailleurs c’est assez courant. Et un homme peut tout à fait être pour une part côté femme bien évidemment. Et que s’il y a effectivement masochisme au féminin, c’est moi qui rajoute le « au », je trouve ça intéressant, c’est l’hypothèse de l’œdipe inversé. Quand effectivement le petit enfant, le petit garçon va être en quelque sorte dans un mouvement d’attrait sexuel vis-à-vis du le père. Ce qui suppose pour lui une position de passivité. Il y a une rivalité mais en même temps il y a un amour qui peut être sexualisé vis à vis du père. Nous avons alors un enfant qui s’oriente de cette manière-là, ce qui peut engager une position masochiste.
J’ai eu en thérapie il y a très longtemps, un enfant qui était dans une identification féminine tout à fait aboutie. Le père travaillait dans une carrière, à découper et à extraire des pierres. Un monsieur bien proportionné. Il n’y avait rien de très particulier dans la composition familiale. Cet enfant développait une position typiquement féminine avec des intérêt féminins, des revendications de ce type, des jeux féminins. C’était un peu lassant à entendre, c’était vraiment une espèce de caricature de la petite fille dans ce que ça peut avoir quelque fois d’irritant, les petites poupées, les dinettes, les petites robes … je pense que pour lui il y avait eu une identification non pas à la mère mais à la petite sœur qui elle était tout à fait une petite fille ordinaire, mais qui était effectivement l’enfant adoré de la mère. Et cette identification à l’enfant adoré de la mère l’avait conduit à cette espèce de forçage dans une identification féminine. Donc ça ne correspond pas tout à fait à ce que Freud raconte là.
Alors pour la petite fille, est ce qu’il y aurait un masochisme au féminin qui lui serait nécessaire pour entrer dans l’œdipe ? C’est comme ça que Freud le raconte, être possédée par le père, c’est-à-dire être sa chose la plus précieuse, c’est-à-dire être son phallus. Ce qui lui demanderait une certaine passivation. Il s’agirait de se faire l’objet de l’autre paternel pour avoir l’objet, c’est-à-dire l’enfant. Donc ça serait en quelque sorte le déroulement normal de l’œdipe au féminin. Mais si la petite fille reste en quelque sorte dans un attrait sexuel a la mère, on a un œdipe inversé côté petite fille. A ce moment-là elle ne peut pas opérer ce mouvement de conversion. Ce qui peut conduire par la suite à formuler une plainte, une demande d’amour adressée à la mère qui n’en donne jamais assez. Je survole très vite, ça demanderait de plus ample développement. J’en arrive à ce qu’il raconte sur le masochisme moral qui est la forme la plus courante du point de vue clinique. La perversion masochisme ça a un intérêt théorique mais c’est beaucoup plus rare.
Ce qui est remarquable dans le masochisme moral, nous dit Freud, c’est que contrairement aux autres modalités du masochisme, et particulièrement à la perversion masochisme, il n’y a pas besoin dans ce cas de l’autre, de l’autre aimé pour y satisfaire. Ça demanderait à être nuancé. Je ne suis pas toujours d’accord avec Freud. Mais en même temps il est dans une telle honnêteté intellectuelle qu’il met tout sur la table, il nous donne les moyens d’entendre pourquoi il en est arrivé là , ce qui nous permet aussi de critiquer certaines positions qu’il a pu prendre.
Il fait donc cette remarque à propos du masochisme moral : peu importe qui inflige cette souffrance. Peu importe que cet autre soit aimé ou pas, ça peut même prendre l’allure de puissance impersonnelle. Et il avance qu’il serait bien tentant d’expliquer ce comportement par un retournement de la pulsion agressive. Le masochisme moral, c’est le masochisme de tout le monde, ne faut pas en faire un fromage. On peut s’y reconnaitre, l’important c’est de piger comment ça fonctionne. Donc ça serait bien tentant d’expliquer ce fonctionnement par un retournement de la pulsion agressive, de la pulsion dirigée vers l’autre et qui là, se déchaînerait vers la personne propre. Par exemple c’est le jour où vous n’avez pas osé-vous engueuler avec votre supérieur hiérarchique, vous sortez du parking, et bing vous amochez votre voiture.
Il va aussi évoquer les difficultés de la cure analytique, ce qu’il appelle la réaction thérapeutique négative. C’est là, dit-il, une des formes les plus sérieuses de la résistance au processus analytique. Il fait l’hypothèse d’un sentiment de culpabilité inconscient qui va avoir pour effet de s’opposer en quelque sorte à la réduction du symptôme. Des forces inconscientes s’opposent à la guérison, ce qui implique à contrario, que la maladie, le symptôme, satisfait à quelque chose ; Qu’il y a un bénéfice inavouable au maintien de la maladie. Freud reconnait dans cette résistance, dans cette satisfaction, une tendance masochiste.
Il remarque ici cette singularité qu’un névrosé, pour qui tous les efforts thérapeutiques ont échoué, va se trouver aliéné à ses symptômes, et rencontrer dans sa vie les impasses les plus douloureuses : Maladie organique grave, perte de fortune, misère d’un mariage néfaste, etc. Ce qui importe, c’est qu’une quantité de souffrance soit maintenue. On a beau expliquer au patient ce qu’il se passe là, ce mécanisme de culpabilité inconsciente, il n’est pas d’accord. Il n’adhère pas cette explication.
Ce qu’il peut s’admettre c’est la culpabilité tant que ça reste conscient, tant que ça relève de la conscience. J’ai fait une bêtise, je me reçois un mauvais coup en retour. Mais dans la mesure où l’analyste propose l’hypothèse d’une culpabilité inconsciente, dans la mesure où l’analysant ne l’ a pas ressentie, et bien il n’est pas question de s’accorder avec cette hypothèse.
Freud admet que ce sentiment de culpabilité inconsciente, ce n’est peut-être pas tout à fait ça, et qu’il serait plus juste de parler d’un besoin de punition. On entend bien le travail qu’il a fait avec « on bat un enfant » qui l’oriente sur ce point. C’est un fait que nous concevons ces mécanismes orientés par de sentiment inconscient de culpabilité sur le modèle du sentiment conscient de culpabilité. C’est une des grandes difficultés de la psychanalyse, de penser les mécanismes de l’inconscient, puisque si c’est inconscient, c’est inconscient.
Ce sentiment de culpabilité, ce sentiment de la faute en d’autres termes, ça le conduit à parler de la conscience morale. Et celle-ci, pour Freud, relève d’une instance psychique qu’il nomme Über ich : le sur-moi. Le sens morale relève du surmoi. Si un affect déplaisant surgit au niveau du moi, c’est là qu’il peut y avoir du « ressenti », c’est que des exigences imposées par l’idéal du moi, donc par le surmoi, cet idéal n’a pas été respecté et alors on devient un mauvais garçon ou une mauvaise fille.
Comment s’est constitué ce surmoi, ce siège de la conscience morale ? Il dit par l’introjection des objets qui furent investis par l’investissement libidinal, c’est-à-dire, le plus couramment par les parents. La relation va, au cours du processus, se désexualiser, et c’est proprement ce qu’il va appeler le dépassement du complexe d’œdipe. C’est parce que ça se désexualise, ce lien aux parents, que ce drame , que ce complexe œdipien peut se dépasser. Mais le surmoi va en conserver quelque chose. Il va conserver en particulier des caractéristiques des objets introjectés, des objets investis, c’est-à-dire les personnes de ses parents, avec leurs traits. C’est ça qui va être introjecté, leur puissance, leur sévérité, leur travers. Il n’est pas exclu que ces traits de sévérité aient pu être augmentés et devenir bien plus féroces. Le cas le plus simple à observer en clinique infantile est le cas de la phobie infantile. Pourquoi l’enfant a besoin de se construire des bêtes qui vont le dévorer à longueur de nuit alors qu’il a des parents absolument adorables. Du point de vue de son inconscient, il y a ces formations qui présentent cette férocité. Alors quand les impulsions libidinales se sont modérées, surtout ont été détournées, le surmoi va prendre le relais de la conscience morale et devenir le modèle des aspirations du moi. Pas seulement la punition mais aussi les idéaux qui vont être portés par cette instance. Si nous avons un détachement progressif des parents en tant qu’objet libidinalement investis, les imagos restent bien présents et se mêlent a l’influence des professeurs, des héros etc.et aussi des figures plus impersonnelles mais puissantes, on peut y mettre quelques dieux, ou le destin. Mais tout ça, ça se rattache mythiquement, aux imagos parentaux.
Alors pour en revenir au masochisme moral, les personnes qui sont orientées dans les modalités de leur jouissance dans ce côté-là, Freud dit qu’elles sont sous l’emprise d’une conscience morale excessive. Il y aurait à distinguer d’après lui, un moralisme excessif et un masochisme moral proprement dit. En quelque sorte dans le moralisme excessif, le moi se soumet au surmoi sadique. Alors que dans le masochisme moral ça va un peu plus loin puisque ce qui est recherché, c’est la punition. Il faut qu’il y ait de la punition. Cela va aussi se jouer de telle façon que dans l’existence de ce sujet-là, il ne va pas rater de rencontrer un certain nombre d’instances qui vont jouer ce rôle de donneur de coups. Dans ce cas nous avons une relation entre le moi et le surmoi sur le mode de la punition et de la souffrance.
Dans le premier cas du moralisme excessif nous avons donc un sadisme du surmoi qui est parfaitement conscient, et dans le deuxième cas du masochisme moral, les tendances masochistes ne sont pas reconnues en tant que telles par le sujet lui-même. Il ne l’évoque pas là mais c’est cela renvoie bien à la névrose d’échec. C’est de cet ordre-là. Freud admet donc , dans le masochisme moral, un besoin de punition qui vient traduire ce sentiment de culpabilité inconscient, l’agent de cette punition étant une imago parentale qui intervient dans le fantasme et va orienter aussi la réalité du sujet. La logique de sa positon subjective va le conduire à cette répétition et va faire qu’effectivement du côté de l’autre ça va fonctionner sur ce mode. C’est évidemment tout à fait désagréable à reconnaitre.
Freud a pu, par l’analyse d’un fantasme courant « on bat un enfant », y reconnaitre celui d’être battu par le père, et que ce fantasme était fort proche d’un autre fantasme, celui d’avoir une relation sexuelle passive avec le père. Ce qui ne serait qu’une déformation du premier fantasme. L’important, dans sa démonstration, c’est de bien noter, qu’il y a là-dedans un érotisme qui y est engagé de manière inconsciente. Ça fait jouir quelque chose. Et donc Freud reconnait là le sens secret du masochisme moral.
Si on admet que la conscience morale est née d’un dépassement du complexe d’œdipe, c’est-à-dire d’une désexualisation, alors le masochisme moral va opérer, en quelque sorte, une re sexualisation du complexe d’œdipe. C’est en sorte une régression. Cela ne veut pas dire que tout dans la moralité de ce sujet-là est pris dans cette économie, mais il y a quelque chose d’essentiel qui y est engagé et qui va orienter son existence.
Par ailleurs, le masochisme c’est aussi la tentation de l’interdit, ce qui résonne avec un pêché qui doit ensuite être expié ce qui n’est pas sans lien avec la position religieuse. C’est-à-dire que plus vous fournissez de ce côté-là de l’expiation et plus il faut fournir. Pour provoquer cette punition, le masochiste va s’engager dans une voie couteuse, va œuvrer contre ses propres intérêts, va détruire les meilleures perspectives qui s’ouvrent à lui, voire aller jusqu’à anéantir sa propre existence.
Ainsi le sadisme du surmoi et le masochisme du moi se complètent. Le sentiment de culpabilité, estime Freud, résulte d’une répression des pulsions. La conscience morale devient d’autant plus sévère que le sujet inhibe toute agression contre les autres. On pourrait supposer qu’un sujet qui évite toute agression, voire même toute pensée agressive, qu’il aurait l’idée d’être une bonne personne, et qu’il n’y aurait pas besoin d’être surveiller, qu’il pourrait être tranquille. Et bien ce n’est pas ce qui se passe. Vous pouvez le vérifier tous les jours.
Une autre erreur, nous dit Freud c’est qu’il est habituellement admis qu’il y ait d’abord une prescription morale et qu’ensuite il y a renonciation des pulsions. On entend régulièrement ce type de discours. Et bien avance t-il c’est l’inverse qui a lieu. Il y a un premier renoncement des pulsions qui a été obtenu sous la contrainte. Et à partir de là une moralité est obtenue, elle s’exprime dans la conscience morale. Mais c’est elle qui va exiger un renoncement ultérieur puissant.
Alors ce masochisme moral c’est le terrain exemplaire de l’union des pulsions. C’est ce qui en fait quelque chose de dangereux estime-t-il, puisqu’il est généré par la pulsion de mort. Il comporte une composante érotique méconnue. Et même dans le suicide, dit-il, il y a une satisfaction libidinale qui y participe.

Alors je vais maintenant me libérer un peu de Freud, et avancer quelques remarques. Ce masochisme moral est sans doute le plus désexualisé, le plus civilisé, le plus sublimé, on pourrait dire, au regard du masochisme érogène primaire et de la perversion masochiste. Le masochisme moral qui travaille en sourdine, qui ne recourt pas aux fastueuses mis-en-scènes du pervers masochiste, ne s’avance pas comme tel, et qui peut d’ailleurs cohabiter avec les plus belles figures morales, les plus belles positions éthiques. Je ne sais plus si c’est à la mode mais en tout cas, au début du 20ieme siècle, il y a eu un certain nombre d’histoires qui ont défrayé la chronique, où des gens de justices qui étaient tout à fait irréprochables dans leur travail, pouvaient s’adonner à des pratiques masochistes par exemple.
Donc cette jouissance du masochisme moral va avoir des effets ravageant. La recherche de la douleur est l’enjeu d’une passion au sens fort, d’un besoin absolu, une sorte d’addiction. Le masochiste moral tire de son malheur un plaisir secret, ou pour mieux dire, une jouissance insue. Les coups qui lui viennent de l’autre, vont être interprété comme autant de figures mauvaises, voire celle du destin. La vie s’organise sur le mode d’un mal-heur chronique. Freud, quand il décrit l’existence du masochisme moral, n’est pas sans reprendre les critères retenus dans les meilleurs horoscopes : amour, argent, santé. Il ne fait que vivre des amours malheureux, il ne rencontre que des embarras financiers, il risque sans cesse des pépins de santé. Si on reprend cette déclinaison assez amusante, c’est assez classique que face à des échecs, on va chercher un remède dans l’amour. Que ce soit une demande d’amour envers ses parents, ses amis ou envers un partenaire. Et souvent, c’est sur le mode d’une revendication. J’ai le droit à cet amour et ça peut prendre des formes plus raffinées bien sûr. Mais si c’est orienté par un masochisme moral, dans une névrose d’échec, ça conduit exactement à la même impasse. Je ne sais pas si vous seriez d’accord mais il me semble par exemple que quand un homme veut changer de femme, en général il retrouve d’une certaine manière « la même ».
Autre configuration : pour réduire un endettement, le sujet s’engage dans des emprunts, ce qui ne fera qu’augmenter la dette et du coup le conduire dans un état de cruelle pauvreté et que bien sûr, il va toujours se trouver quelque autres pour profiter de cette compulsion à l’échec. Sans doute, ce qui n’est pas entendu, c’est qu’il est effectivement question de dette. A vouloir la monnayer en ces termes, cela ne fait que l’aggraver. C’est toute la problématique que Freud repère dans la cure de « l’homme aux rats ».
Nous pourrions ici évoquer une autre disposition où nous avons la répétition des accidents du corps, des maladies, des dysfonctionnements des organes, qui viennent menacer, frapper, amputer et soumettre le sujet à un risque vital. Cela peut s’accompagner d’une certaine gloire. J’ai très bien connu quelqu’un, dont j’étais proche, et avec qui on ne pouvait avoir la moindre conversation sans qu’elle ne fasse la liste de toutes ces interventions chirurgicales. Elle a réussi à passer sur le billard une trentaine de fois dans son existence pour des raisons médicales qui restaient floues ; mais ce qui était clair c’est qu’il s’agissait manifestement d’afficher un destin désastreux et en même temps c’était sa manière de se présenter à l’autre, une manière de se donner une certaine allure. Vous connaissez certainement des cas de ce type. Cela pourrait nous conduire du côté de la maladie et d’y distinguer la particularité des phénomènes psychosomatiques. Nous y viendrons dans ce séminaire.
Toutes ces observations nous conduisent donc à poser la question de savoir qu’est-ce que ça fait jouir tout ça ? Comment entendre cette jouissance qui ordonne le masochisme moral ? Comment expliquer cette marche forcée qui pousse le masochiste dans le mur encore et encore. Freud avance que cela tient à une culpabilité inconsciente mise en œuvre par un surmoi cruel et féroce. Mais il a pu dire aussi qu’il y a un masochisme originaire qui infiltre, qui relance les autres formes de masochismes.
Alors est-ce qu’il faut concevoir une culpabilité originaire ? La culture judéo-chrétienne nous en propose une version. Cet effet de la culture, de l’Autre de la culture est à prendre en compte, mais on pourrait remarquer que dans les cultures où la religion n’est plus déterminante dans les mentalités, on continue à observer ces mêmes dispositions. Il nous faudrait donc supposer que cette culpabilité originaire se maintient en dehors d’une mentalité religieuse. Freud aborde cette problématique dans « L’avenir d’une illusion » et dans « Malaise dans la culture », et suggère que la culture en elle-même , dans la mesure où elle nécessite le refoulement, ne peut que produire des configurations psychiques où la culpabilité opère et ne pourra que s’agraver.
La question d’une transmission intergénérationnelle de la culpabilité inconsciente s’impose. Encore que le problème qui se pose alors c’est de savoir qui a commencé. La clinique peut effectivement nous indiquer des formes patentes de transmission de ce type, avec « l’homme aux rats » , il y a bien une histoire comme ça. Il paie la dette du père. Alors bien sûr il y a de l’intergénérationnelle, il y en a toujours.
Freud conçoit d’abord la logique de l’appareil psychique comme mue par le principe de plaisir mais comment se fait-il, qu’au-delà du principe de réalité il y ait cette répétition du déplaisir ? Si on peut facilement admettre un déplaisir parce que le sein (maternelle) n’est pas là, comment concevoir que le sein soit mauvais par exemple. Il y a Mélanie Klein qui, de ce point de vue-là a avancé des hypothèses audacieuses en faisant intervenir un surmoi archaïque ce qui suppose dans cette structure extrêmement élaborée un troisième terme. Comment concevoir cette structure primaire, originaire ? Nous ne pouvons pas en avoir un accès direct mais nous nous pouvons sans doute en extrapoler certains aspects avec ce qu’on rencontre à ciel ouvert dans l’expérience du psychotique, dans les délires, dans les hallucinations, ou l’Autre est dévorant, malfaisant, injurieux, tente de vous réduit à rien.
Avec le masochisme moral, on est pas du tout dans ce type de présentation, c’est quelque chose d’un peu plus soft. Mais cela ne veut pas dire que ce n’est pas ravageant. Puisque c’est le surmoi qui, dans son activité silencieuse et malfaisante va orienter l’économie psychique du sujet.
Alors, est-ce que tout du surmoi va dans ce sens-là ? Sans doute pas, dans le cas de la névrose on peut faire l’hypothèse d’un surmoi secondaire, qui lui serait plus sympathique, pacificateur, porteur de la loi qui s’est constituée à la résolution du complexe d’œdipe et qui est à la manœuvre pour effectivement faire qu’on soit à peu près des sujets civilisés, pour vivre avec les autres.
Si on en reste à une lecture freudienne, on va donc dire que selon le niveau de résolution du complexe d’œdipe, le destin du sujet va s’en trouver orienté. Ainsi la non-résolution du complexe d’œdipe veut dire entre autre que la castration symbolique n’ a pas pu se symboliser, ou mal, et que nous allons avoir des formes de castration imaginaire voire réelle qui vont amputer le sujet dans son existence.
Je parlais par exemple du phobique, par exemple de l’agoraphobie, et bien ce sont des gens pour qui la vie se trouve limitée objectivement. Peut-être pas tout de leur existence mais en tout cas il y a des limitations qui vont se faire. Evidemment ce sont des constructions complètement imaginaires mais qui vont avoir des effets réels. Une charmante jeune femme était venue me voir il y a un certain nombre d’année, elle ne pouvait pas sortir seule en ville, le soir, elle ne pouvait pas prendre le métro, elle ne pouvait pas prendre plaisir dans sa propre existence, rencontrer des gens, parce que sortir dans la rue ça supposait pour elle des stratégies d’une complexité incroyable dont la logique pouvait nous échapper complètement. Elle avait peur. Bien sûr peur d’une agression à connotation sexuelle. Elle pouvait admettre que ce n’était pas justifié, mais sa peur était complètement irraisonnable. Et le plus étrange, c’est que son métier justement, l’amenait à travailler dans un contexte ou personnellement moi j’aurais pu avoir peur. Elle travaillait dans une centrale atomique ! Cette phobie n’a rien à voir avec un danger réel. Et donc là, la castration va opérer effectivement sur ce mode là d’une limitation imaginaire.
Dans d’autres configurations on pourrait parler de castration réelle, comme ces sujets qui vont réussir à se faire enfermer, se faire incarcérer. Chez un certain nombre de personnes qui se prennent de la taule, on peut repérer un désir inconscient de se faire enfermer. Nous avons aussi dans certains cas plus graves, c’est plutôt de l’ordre de la psychose où ces sujets vont se castrer réellement, vont se mutiler réellement.
Avec la perversion c’est tout à fait éloquent. Le sujet pervers va toujours aller toujours finalement chercher une loi réelle, faute que la loi ait pu chez lui se dialectiser et se symboliser, c’est bien une loi réelle qui est recherchée. L’exhibitionniste par exemple qui va procéder à sa manœuvre à la sortie des collèges, 99 fois sur 100 il se fait pincer. D’une certaine manière, au-delà de la jouissance éprouvée d’avoir provoqué l’ effroi de l’ Autre, c’est cela qui était attendu : rencontrer une limite réelle.
Pour revenir au masochisme, toutes ces cliniques nous indiquent de quoi il s’agit. C’est-à-dire que si effectivement au niveau de cette castration symbolique, c’est resté un peu en suspens, ça va se jouer autrement.
Avec le masochisme moral, on peut dire que pour une part, la problématique œdipienne reste active, que la castration symbolique reste en partie suspendue et qu’une jouissance primaire préœdipienne, incestueuse si on veut, reste active, et qu’une culpabilité inconsciente produit son ravage. Le moi est soumis à un surmoi sadique, animé par une pulsion de destruction. Le moi se nourrit de cette destrudo, il n’est pas sans se faire le complice de la férocité d’un autre archaïque, qui va prendre le masque, tous les masques que vous voulez. Le masque d’un rival par exemple, d’un supérieur hiérarchique, voire de sa compagne, son compagnon. Le conjungo offre à cet égard un champ d’une grande richesse puisque nous ne sommes jamais aussi mal protégés contre la douleur qu’en étant amoureux. Freud, dans Malaise dans la culture écrit ceci : « étant dépendant de l’objet d’amour choisi, on s’expose à la plus forte des douleurs si on est dédaigné par lui ou si on le perd pour cause d’infidélité ou de mort. Avec le masochisme moral le complexe d’œdipe est sans cesse réactivé nous dit Freud, et qu’ainsi, par cette voie régressive, le moi jouit de cette douleur car le besoin de punition est ainsi satisfait. Nous avons dans cette fantasmatique une discordance exemplaire entre la recherche d’un apaisement d’un plaisir et le besoin de punition qui apporte de la douleur. Sur la scène psychanalytique, au cœur même du processus thérapeutique, il n’est pas rare de voir des moments de rechute, de régression, de passage à l’acte alors que le travail s’approchait d’une zone d’une possible dévoilement de ce lien entre pulsion de vie et pulsion de mort. »
Dans une orientation lacanienne , on pourrait évoquer ici le travail de Nasio, avec son livre « Le livre de la douleur et de l’amour ». Il voit par exemple dans la réaction thérapeutique négative une des figures de l’objet petit a. Cela nous demande de faire un saut conceptuel. Il écrit que la réaction thérapeutique négative est un phénomène observable, qu’analystes et patients perçoivent sans difficulté, en revanche la culpabilité inconsciente, et la douleur fantasmatique qui est en jeu restent difficilement saisissable. Il en déduit d’ailleurs que la non saisie même, c’est là que c’est habile, la manière dont il aborde la chose, cette non saisie même de cette douleur perçue, qui reste masquée dans sa cause, c’est sous cette forme que l’objet apparait au sujet. Et l’objet qu’il entend par là c’est effectivement l’objet insaisissable, l’objet non représentable, non spécularisable. Il emprunte avec ces articulations à Lacan ce qui pourrait nous permettre de sortir du pessimisme freudien qui situe dans « analyse finie ou infinie » les points de difficultés du processus analytique, où les butées qui sont en jeu sont le roc de la castration et le penisneid. On dira de la castration de manière générale.
Alors je vous disais que j'avais trouvé pour ma part, dans Freud même, de quoi faire un pas de côté, en particulier, avec cette observation de l'enfant à la bobine qu'il nous donne dans son article « Au-delà du principe de plaisir ». Observation d'un grand-père qui a cette distance suffisante par rapport justement à ces mouvements pulsionnels, lui-même étant dans une position subjective tout autre, par rapport à celle que peuvent avoir les parents. Donc ils observent effectivement le jeu de son petit-fils. Ce n'est pas seulement l'observation du grand-père, mais la réflexion du psychanalyste, qui se retourne sur son expérience clinique et qui va tirer les conséquences des contradictions qui relèvent au regard de la théorie qu’il avait jusqu’ici élaboré. C'est un texte quelque peu décousu, remarque son biographe Jones, que ça avance par association libre remarque-t-il. Cela en tout cas le conduit à des hypothèses nouvelles, qui prend en compte la pulsion de répétition avec la proposition d'un nouveau dualisme, je le répète la pulsion de vie et la pulsion de mort Qui ne fut pas bien vu par ses lecteurs et parmi ses élèves.
Pour l'instant je vais revenir sur les observations du grand-père , en particulier ses notes de bas de page dont je vous avais déjà parlé, et que j'avais déjà été amené à articuler ce jeu du Fort Da et le masochisme primaire. L'enfant prend plaisir à répéter une expérience désagréable, à scander la présence et l'absence d'un objet, dont il maîtrise le mouvement et scande par une vocalisation signifiante. Lacan remarque que par cette alternance, il transcende son expérience, d’une alternance de la présence et de l’absence, dans une opposition situable sur le plan symbolique. Il note de plus qu’il fait appel au symbole dans une anticipation inversée. L’enfant dit fort quand l’objet est là et da quand l’objet est loin. C’est plus complexe qu’un cri puisque qu’il emprunte aux signifiants de la langue, il se saisit d’élément du discours de l’Autre. C’est avec ces éléments symboliques que l’enfant fomente son expérience et du coup il se situe dans un ordre symbolique. Il ne fait pas que crier, que d’exprimer une douleur , il se déplace avec cette anticipation symbolique de la perte et du retour de l’ Autre maternel.. Nous avons donc un maniement dialectique de la négativation, ce que Lacan interprète comme l’interprétation d’un masochisme primordial puisque le sujet traverse une négativité, l’absence de la mère mais que le sujet lui-même, de part cet usage du discours de l’Autre en passe lui-même par une négativité, par un fading.
Lacan dans le séminaire I , Les écrits techniques de Freud , va situer , ce masochisme non comme un symptôme mais comme une forme structurante à la jonction entre l’imaginaire et le symbolique. Bien qu’on puisse y saisir dans sa pureté la manifestation de la pulsion de mort dans l’éjection de l’objet c’est, dit-il, quelque chose de constituant la position fondamentale du sujet humain.
Alors je vous propose de faire un autre saut conceptuel et de vous projeter quelques décennies plus tard, dans l’œuvre de Lacan. Lacan avait déjà utilisé le ternaire imaginaire, symbolique, réel, une conférence dans les années 50 porte ce titre. Ce n’est qu’en 1973, il faut peut-être 20 ans pour maturer ce genre de question, il faut peut-être le temps d’une génération. On vous fait croire à l’Université qu’il suffit d’avoir bien appris sa leçon pour être au courant. Il faut du temps, il faut ce temps là pour piger quelque chose. Il va concevoir l’appareillage sous la forme du nœud borroméen, d’une chaîne borroméenne.
Donc si en 52 il suggère de situer le masochisme primaire à la jonction de l’imaginaire et du symbolique, dans la mesure où en 1973 il va utiliser le nouage borroméen, je propose de situer ce masochisme primaire à la jonction de I et de S mais aussi de R, le Réel. Or c’est dans cette intersection de R,S,I, que Lacan va situer l’objet petit a.
On peut donc concevoir comment cet objet a était peut être effectivement la proposition de Lacan pour reprendre cette hypothèse d’un masochisme primaire.
Je ne l’ai pas vu articulé d’une manière aussi précise dans ces textes, mais ça me semble pouvoir se tenir sans trop de forçage, et en tout cas ça va bien avec cette idée que l’objet a, c’est aussi ce qui ne se représente pas , et qui pourtant va donner la raison de la manière dont les différentes jouissances vont se distribuer. Il participe des différentes jouissances sans y être vraiment identifié.

P.S. : Remerciement à Carine Boutoudou qui fait une trascription de l’enregistremet audio de cette séance.