Alain Harly Séminaire "Les aléas de la jouissance" Séance
X du 25 mars 2021
-I- Introduction
Je vous faisais part le mois dernier de mon interrogation sur le fait
que les thèses de la psychanalyse était devenu inaudibles ; et je
m’interrogeais sur cette surdité.
Je me disais aussi que la communauté des psychanalystes avait là une
responsabilité.
Serait-il encore possible de rattraper les choses ? C’est une question,
ce n’est pas assuré. Mais on peut au moins reprendre l’itinéraire de
cette invention et tenter de situer les points de difficulté. On
pourrait se plaindre de rencontrer sans cesse des malentendus ?
N’est-ce pas là le nœud même de la psychanalyse que d’avoir à faire
avec le malentendu ? Certes l’enseignement de Lacan est ponctué de
fulgurances et aussi de formulations ambiguës qui déroutent ses
lecteurs les plus intéressés.
C’est un fait que d’entrer dans l’étude du corpus qu’il nous a laissé
nous déroute, nous malmène, nous embrouille parfois. La tentation est
grande de se détourner et d’aller à la recherche de théorisation plus
limpide, plus évidente, plus aisément saisissable. Par exemple comme
cette mode actuelle qui cherche dans le comportement animal des
réponses à l’être de l’humain ; Ou encore trouver dans les recherches
sur le genre de quoi expliquer enfin les raisons de son malaise.
On pourrait toute de même se souvenir que c’est à partir d’une critique
de ce que les élèves de Freud avaient pu faire de son enseignement que
Lacan a engagé sa propre démarche. Il avait la conviction d’un ratage
dans la transmission de l’héritage freudien. Que dire de son propre
effort pour rectifier cette dégradation ? Je laisse la question ouverte.
Rien ne nous empêche de faire une lecture critique de Lacan, mais ce
qui reste exigible c’est de reprendre avec autant de rigueur que
possible ses propres articulations, quitte à emprunter parfois des
voies de traverses, et surtout à inventer notre propre chemin, c’est
d’ailleurs ce qu’il nous invitait à faire, que c’était la tache du
psychanalyste que d’inventer la psychanalyse ; sans doute c’est ce qui
se rejoue dans chaque démarche psychanalytique , que le savoir- faire
du psychanalyste y est requis, mais il y aussi à l’articuler dans un
corpus doctrinal, dans un discours qui saurait en reprendre le souffle
; C’est bien ce qui est tout aussi difficile, voire ce qui rencontre
des points d’impossible.
Je vais reprendre ce soir quelques-unes de ses assertions,
principalement à partir du séminaire Encore dans la mesure où il y
traite de la jouissance sexuelle, et qu’il avance des propositions
inédites sur la jouissance féminine.
-II- Le phallus, signifiant de la jouissance sexuelle
Une formule qui avait beaucoup surpris son auditoire, c’est celle-ci «
Il n’y a pas de rapport sexuel » , ce qui pouvait paraitre comme une
ineptie quelque peu délirante. On a appris depuis à entendre un peu
mieux la chose.
Bien sûr dans son propos cela ne veut pas dire que le parlêtre n’a pas
de rapport au sexe. Mais comment en arrive t-il à cette formulation ?
Quelle est son intérêt ? En quoi cela peut-il aider les psychanalyses à
écouter ses analysants ?
Il nous faut pour le suivre revenir encore sur la notion de phallus.
Dans l’histoire de la psychanalyse on peut repérer trois moments dans
la conception du phallus.
Le premier, c’est avec la querelle qui fut déclenché par la proposition
de Freud qu’il y aurait un primat du phallus, en d’autres termes qu’il
n’y aurait qu’une seule libido, qu’on soit homme ou femme ; nous sommes
dans les années 30. Des psychanalystes comme Karen Horney, Ernst Jones,
Mélanie Klein s’y opposèrent, faisant valoir que la castration ne
saurait se présenter de la même manière du fait des différences
anatomiques, et qu’il y avait même d’une manière précoce une sexualité
féminine, dont la jouissance clitoridienne serait l’argument le plus
évident.
Freud avait maintenu sa position. Il n’y a qu’une libido, et c’est le
phallus qui en est le symbole.
Deuxième moment situable dans les années 50, pourrait tourner autour de
la distinction non pas entre l’avoir ou pas, ce à quoi se ramène
finalement la querelle que je viens d’évoquer, mais d’avoir le phallus
ou d’être le phallus. Cela correspond au débat que Lacan lance avec son
article de 1958 sur la signification du phallus. Si le phallus n’est
pas seulement un symbole, mais aussi un signifiant, rien ne s’oppose à
ce qu’il soit le support d’une identification. Avec ce « être le
phallus » il y voit d’ailleurs un des aléas de la femme. A l’homme
d’être dans le dilemme de se demander avec inquiétude s’il l’a ou s’il
ne l’a pas.
Et enfin troisième moment avec le séminaire Encore où Lacan déplace la
perspective : il s’agirait de distinguer les parlêtres non pas à partir
d’une distinction anatomique ou d’une identification sociale, mais à
partir d’une logique de l’inconscient. Cette logique s’écrit en prenant
acte que l’identification sexuée se règle à partir du signifiant, et
plus spécialement du signifiant de la castration qui entre d’une
manière déterminante dans la fonction phallique.
De dire que le phallus c’est un signifiant, je vous accorde que ce
n’est pas ce qui saute aux yeux. Mais pas plus qu’un homme, qu’une
femme, qu’un enfant, qu’un père se sont des signifiants, Pour admettre
cela, il faut s’arrêter, il faut ouvrir ses oreilles. Pour ma part j’ai
mis plusieurs décennies à admettre cette assertion que l’enfant c’était
un signifiant, qu’on ne pouvait en saisir la pertinence qu’à partir
d’une écoute d’un dire, celui des parents, mais surtout celui de
l’enfant. Et il y a la question qui déboule aussitôt, c’est « mais
qu’est qu’un père ? », cela m’a demandé encore pas mal de temps. Il est
vrai que je suis lent dans ma cogitation. Il y a des gens plus rapides
que moi !
Lacan lui quand il reprend la question de Freud « Que veut une femme ?
» va aussi prendre son temps. Il commence à l’aborder clairement en
1958 dans ses « Propos directifs pour un Congrès sur la sexualité
féminine ». J’en lis les premières lignes : « Si l'on considère
l'expérience de la psychanalyse dans son développement depuis soixante
ans, on ne surprendra pas à relever le fait que, s'étant conçue d'abord
comme fondant sur la répres¬sion paternelle le complexe de castration,
premier issu de ses origines, - elle a progressivement orienté vers les
frustrations venant de la mère un intérêt où ce complexe n'a pas été
mieux élucidé pour distordre ses formes. » Ce n’est que dans les années
1970 soit une quinzaine d’années plus tard qu’il va avancer des
propositions originales sur la jouissance sexuelle.
La forme que prennent ces propositions est elle-même novatrice
puisqu’il le fait en ayant recours à des écritures de type logique,
prenant dans un sens mathématique les notions de fonction, d’argument,
d’affirmation, de négation. Les séminaires précédents avaient déjà usé
de ce mode d’approche, et mis en place une sorte d’algèbre spécifique à
la psychanalyse, ce qu’il va appeler les mathèmes qui vont se prêter à
une écriture, à des formules, à des articulations rigoureuses. Sans
doute que Lacan espérait entre autres que cela faciliterait la
transmission d’un savoir psychanalytique et éviterait ce qui a pu se
passer pour l’ œuvre de Freud.
Alors dans le séminaire « Encore » (1972-1973 ) , il a alors passé les
70 printemps, il apporte les formules de la sexuation. Nous allons nous
y arrêter un moment, je vais essayer de les présenter, de les
expliciter. Elles ont fait l’objet de bien des commentaires, je vais en
rester ce soir à un niveau élémentaire de présentation.
Disons d’entrée qu’avec ce tableau d’allure algébrique, il ne s’agit
pas d’instituer, de mathématiser deux sexes, mais plutôt d’articuler
deux positions qui concernent la jouissance sexuelle du parlêtre, en
tant que celle-ci est orientée par le signifiant.
On pourrait déjà être arrêté par une telle assertion qui rompt
clairement avec un repérage anatomique. La jouissance dans cette
proposition tiendrait donc au signifiant, et non à une matérialité
organique, neuronale, hormonale. D’une certaine manière cela revient à
dire que le semblant y joue un rôle essentiel, puisqu’un signifiant,
c’est bien ce qui vient assurer un semblant de la chose, il vient
présentifier la chose absente. Et ainsi il avance que le réel de la
jouissance sexuelle se déploie dans un espace réglé par le signifiant
et une logique particulière. C’est cette logique que Lacan va tenter de
formaliser.
Rappelons la signification de ces différents symboles :
- Ce E majuscule inversée, c’est le symbole mathématique de
l’existence. ∃x se lit ainsi : Il existe un x
- ϕ : Avec cette lettre grecque, c’est précisément le signifiant du
phallus qui est ainsi écrit, ou encore de la fonction phallique, ou en
plus freudien la castration.
- V : C’est le symbole mathématique de la totalité, c’est « Tout ».
- La barre au-dessus d’une proposition négative celle-ci. Ce que Lacan
propose de lire « pas tout »
- S , ce S majuscule barré, c’est dans l’ algèbre lacanien le symbole
du sujet, du sujet de l’inconscient, du sujet barré, divisé. Ce n’est
surtout pas à confondre avec l’in-dividu. Si on le fait, comme il
arrive bien souvent, c’est qu’on oublie justement cette division, on
oublie cette « dividuation » du sujet si vous me permettez ce
néologisme, en d’autres termes on ne veut rien savoir de cette
division.
- a : cette première lettre de notre alphabet en minuscule , dit encore
« le petit a », est à distinguer radicalement du grand A. Ce petit a,
Lacan nous le propose comme le symbole de l’objet, reprenant dans un
premier temps la notion freudienne de l’objet perdu. C’est objet qui
serait du corps mais qui échapperait à toute représentation, à toute
image, et qui pourtant pourra se partialiser à partir de certaines
zones du corps, celles qui font orifices à cette totalisation
imaginaire du corps. Les pulsions vont y situer leur point de départ,
leur Quelle comme disait Freud. Lacan va complexifier sa fonction
puisqu’il en fait l’objet engagé dans le désir humain, l’objet
précisément qui cause le désir.
- S (A) : c’est le signifiant de l’Autre ; Nous l’aurons selon deux
formes : avec le A majuscule et avec le A majuscule mais biffé,
traversé par un trait, par une barre qui fait pendant à celle qui
divise le sujet de l’inconscient, elle vient signifier que le Grand
Autre n’est pas totalisant, qu’il est lui-même marqué d’une
incomplétude, qu’il y a un manque dans ce grand Autre. Il s’impose à
partir de là cette question redoutable : Ce grand A, barré ou pas,
existe-t-il ? Qu’est qui pourrait nous éclairer sur son existence ou
son non-existence ? C’est la même question nous suggère Lacan que celle
de l’existence de « La femme ».
- La : Dans le tableau c’est le symbole de La femme justement, et c’est
en tant qu’elle n’existe pas, formule qui peut choquée, mais que le
psychanalyse entend régulièrement, mais sur un mode singulier : En tant
que t’elle, suis-je femme ?, ou Assez femme ? ou Trop femme ? , Est ce
qu’en tant que mère, suis-je toujours femme ? Qu’elle femme suis-je si
je n’ai pas d’enfant ? ou encore Puis-je être femme si je suis mariée
avec Dieu ?
C’est donc une question aux multiples variations que « chacune » femme
se pose d’une manière ou d’une autre, à un moment ou à un autre, avec
plus ou moins d’intensité et de dramatisme. Donc ce n’est pas seulement
la question de Freud !
Nous allons tenter de nous approcher de cela.
-III- Présentation de ce tableau.
Il va donc distinguer les parlêtres en tant qu’ils se définissent par
la fonction phallique et ceux qui ne s’y définissent que partiellement.
Dans la partie supérieure nous avons des formules qui sont des
propositions au sens mathématique du terme, ce sont des formules
propositionnelles, qu’il avait commencé à écrire dans le séminaire
précédent « Ou pire ».
Dans la partie inferieure nous savons des symboles de type algébrique,
des barres, des lettres majuscules ou minuscules, certaines sont
biffées d’un trait, et puis des flèches .
On y reconnait pour ceux qui sont familier des séminaires de Lacan des
symboles, des signifiants, des articulations logiques originales car
bien qu’elles empruntent aux usages de la logique formelle, elles
innovent cependant dans ce champs-là. Ainsi la barre au-dessus vient
négativer la proposition.
Côté Homme
Ceux qui se définissent que de cette seule fonction phallique, ce sont
ceux qui se disent Homme . Cela correspond à la partie gauche du
tableau.
Ce qui peut se lire ainsi : Il existe un x non Φx
Ce qui peut se lire ainsi : Tout x est Φx
Pour tous les parlêtres qui vont se situer de ce côté-là, il use du
symbole mathématique Tout : V
Pour tout homme V x, il y a cette inscription dans la fonction
phallique. Pour symboliser cette fonction Lacan utilise la lettre
grecque Phi. Phi de x est donc satisfait logiquement pour tout homme,
soulignons-le encore pour tout parlêtre qui se dit Homme.
Un autre problème se pose avec cette écriture, c’est celui de la
consistance de ce Tout. Il serait utile ici de se rappeler du séminaire
« L’identification » où il démontre que l’Universelle ne se soutient
logiquement qu’en admettant une exception refoulée, qui n’apparait pas
dans le compte mais qui permet le décompte. Pour bien entendre cela, il
faudrait faire un détour du côté de la théorie mathématique des
nombres, chez Gottlob Frege entre autres.
Mais on peut en avoir une intuition à partir de l’affect qui nous
saisit quand vous arrivez dans une communauté qui est radicalement
nouvelle pour vous, et que rien de votre place dans celle-ci ne vous y
est destiné. Pour se compter un parmi d’autre, il faut que cette place
y soit symbolisée, c’est-à-dire qu’elle soit marquée d’un manque, et
vous pouvez donc être amené à en assumer le symbole.
Il y a donc la supposition d’une place vide pour que cette totalité
consiste. En d’autres termes, il faut une exception à ce tout, pour que
ce tout consiste.
Alors pour que ce Tout x Phi de x consiste, cela suppose une exception,
soit un x pour lequel la castration ne vient pas prendre place dans la
fonction phallique.
C’est bien ce dont Freud avait eu l’intuition avec son mythe de la
horde primitive et d’un Urvater, d’un père originaire qui serait hors
castration.
Ce que Lacan va écrire aves la formule suivante :
Ce qui va se lire : il existe un x non Φx
Il existe un x pour qui la fonction phallique phi de x n’est pas
satisfaite : C’est la barre au-dessus vient écrire la négation, la non
inscription dans la castration.
Côté Femme
Et il y a les parlêtres qui ne sont pas complétement définies par cette
fonction phallique. Elles ne sont donc pas-toutes dans cette fonction
phallique et la jouissance qui va avec. Ce sont les parlêtres qui se
disent femme. Ce que Lacan écrit avec deux formulations :
La première ligne peut se lire ainsi : il n’existe pas de parlêtre qui
échappe à la fonction phallique.
Et sur la deuxième ligne, nous avons une écriture qui traite non de
l’existence, mais de la totalité, de la totalisation, du tout : En
d’autres termes cela pourrait se dire ainsi pour ce côté-là : Pas tout
sujet de l’inconscient, pas tout du sujet de l’ inconscient satisfait à
la fonction phallique, et donc du coup côté femme , il n’y aurait pas
de totalisation inscriptible du point de vue de l’ inconscient ;
Contrairement à ce qui se passe côté Homme où il y a une limite à ce
pour tout homme, il y a une exception, alors que du côté femme , il n’y
a pas d’exception qui fasse limite, ce qui peut se dire ainsi : elles
ne sont donc pastoutes. Elles ne sont pas toute -dans la fonction
phallique- et du coup elles ne sont pas « toutes », elles ne peuvent
faire totalité du fait de l’ absence d’une exception.
En d’autres termes, « toutes » sont « pas-toutes ».
C’est comme cela qu’il nous propose de définir La femme, mais à la
condition de barrer l’universel du La . Ce qui lui permettra d’avancer
cette assertion qui comprend sa charge de provocation : La femme
n’existe pas.
Mais cela n’empêche rien du côté de la jouissance, bien au contraire,
puisqu’à côté de la jouissance phallique dont elle n’échappe pas ainsi
qu’avec les impasses qui la caractérisent, il y a une jouissance
supplémentaire, une jouissance au-delà du phallus. Cette jouissance est
supplémentaire et non- complémentaire car sinon il y aurait l’idée
d’une totalisation que l’imaginaire de la bête à deux dos nous indique,
manière de redonner une figure de la complétude.
Cette jouissance supplémentaire qui serait spécifique côté femme reste
tout de même bien énigmatique y compris pour les femmes elles-mêmes qui
ne peuvent pas en articuler un savoir, mais qui peuvent être assurées
de son éprouvé.
Ce qui pourrait se rapprocher de la jouissance des mystiques qui
témoignent qu’ils l’éprouvent mais qu’ils n’en savent rien ; le dit
mystique pouvant être aussi bien mâle que femelle comme nous l’indique
fort bien Saint Jean de la Croix.
Mais sans être un mystique, on peut tout à fait concevoir qu’un homme
homosexuel puisse être de ce côte-là quant à sa jouissance.
Un parlêtre qui se situe côté femme va donc se situer comme La barré,
et va de ce fait avoir cette liberté qu’on lui envie souvent côte
homme, puisque cela la met d’une manière particulière en proximité avec
ce lieu de l’ Autre, ce lieu de l’inconscient . Le transsexualisme du
Président Schreber pourrait peut-être nous en donner une idée. Ce qui
veut dire aussi que ce n’est pas sans risque d’un certain dérapage dans
la jouissance, dans la manière de pourvoir outrepasser les limites.
Mais dans la mesure où ce lieu est aussi celui des signifiants, il est
lui-même barré, et donc une femme à défaut d’être le pur phallus, à
défaut de pouvoir s’identifier à un savoir sans faille, a un rapport à
l’Autre comme signifiant, comme signifiant de l’Autre barré : S ( A ) ,
ce qu’indique la flèche qui va de La à S(A).
Elle a aussi rapport avec le phallus, ce signifiant du phallus qui se
trouve du côté des parlêtres qui sont tout dans la fonction phallique,
ce qu’indique la flèche qui passe de droite à gauche en bas du tableau.
Alors que du côté homme, le sujet va être tendu vers l’objet a situable
dans l’Autre, dans l’Autre du sexe, situable dans les situations les
plus courantes côté femme. Mais dans la mesure où cet objet est marqué
d’un impossible, c’est à défaut avec le fantasme qu’il lui faudra
faire, faire l’amour entre autres.
-IV- Pour conclure cette partie, et synthétiser ses propositions.
C’est donc avec ces formules que Lacan envisage la jouissance masculine
et la jouissance féminine. Je les résumerai sans doute abusivement
ainsi :
Pour le parlêtre qui se situe côté homme, la jouissance sexuelle va
trouver essentiellement dans la jouissance phallique son support, ce
qui trouve dans la castration sa raison et sa limite. L’accès à la
jouissance de l’Autre est marqué d’un impossible.
Le corps de l’Autre en vient à se réduire à l’objet a comme cause du
désir, ce qui en passe par un semblant , par le fantasme qui donne un
cadre pour maintenir l’objet comme interdit.
L’Autre va se définir ici comme l’Autre sexe, ce qui peut s’entendre
comme l’Autre du sexe.
Pour le parlêtre qui se situe côté femme, il n’y a pas cette même
tension vers l’objet a, alors qu’elle va être fantasmée comme le lieu
de son recel par le côté homme.
Ce qui cause son désir c’est le phallus qu’elle n’a pas, avertie
qu’elle est qu’il est le signifiant du manque dans l’Autre. Une femme
en tant que telle n’a pas à se confronter en première instance à la
castration, et elle en passera pour ce faire par l’intermédiaire de
l’homme.
En tant que sa jouissance, bien qu’elle soit divisée, est aussi
phallique et à ce titre elle pourra rencontrer les mêmes impasses que
l’homme.
Mais elle a accès à une Autre jouissance, celle à laquelle l’homme
ordinairement n’accède pas.
Il n’y a pas de rapport sexuel
Nous avons donc deux modalités de jouissance, qui ne sont pas sans être
suspendue l’une à l’autre, mais qui strictement ne sont pas liées par
une nécessité, elles ne sont pas en rapport l’une de l’ autre. Il y a
une jouissance à lui, et il y a une jouissance à elle, Il n’y a donc
pas de rapport sexuel. Ce qui n’empêche nullement l’existence de
jouissances différentes, contingentes et plus ou moins simultanée.
A suivre Lacan, la jouissance sexuelle rencontre donc une impasse.
L’impasse côté mâle tient au fait que la jouissance phallique est
hors-corps et l’impasse côté femme tient à cette jouissance au-delà du
phallus qui est hors symbolique.
Finalement, il y aurait une jouissance phallique dit masculine,
symbolisée par l’ écriture S( A ) alors qu’une jouissance
spécifiquement féminine , non symbolisable, pourrait s’écrire S(A).
-V- Remarque sur l’empire de la jouissance.
Lors de son séminaire le sinthome, à la séance du 16 mars 1976 , Lacan
évoque un film qui l’ a beaucoup impressionné, c’est un film japonais
de Oshima (1976) « L’empire des sens », il dit en avoir été «
complètement soufflé. »
Pour ma part je me souviens d’avoir vu ce film à cette époque en
compagnie d’une amie. En sortant de la séance, j’étais, je ne dirai pas
soufflé, mais en piteux état, défait, blanc. Alors que mon amie avait
plutôt l’air enjoué, ce qui fut pour moi source d’une certaine
perplexité, je ne pouvais saisir si c’était à cause du film ou bien de
l’effet qu’il avait eu sur moi !
Vous connaissez sans doute ce film qui a eu un grand succès. Cela
raconte les rendez-vous réguliers d’un homme et d’une femme prostituée
genre geisha et de la montée d’une jouissance qui cherche à aller bien
au-delà des limites ordinaires, ce qui va se terminer d’une manière
tragique. Pour accentuer la jouissance de l’homme, la femme procède à
des étranglements, le jeu érotique s’emballe et va jusqu’à un
étouffement létal. Une fois mort, la femme sectionne son pénis et s’en
saisi.
Le film s’appuierait sur un fait divers réel d’une femme errant dans la
ville avec le sexe de son amant.
Ici c’est une fiction mais Lacan y voit une représentation extrême d’un
fantasme féminin qui serait de tuer l’homme dans le coït. Mais il
s’interroge pourquoi elle lui coupe la queue après que l’homme soit
mort et non pas avant !
Ce qui lui permet d’introduire cette remarque sur la distinction qu’il
y a à faire entre le fantasme et la castration. Il y a à différencier
le fantasme de castration et la castration en elle-même.
Alors que dire alors de la castration dans la cure ? Il admet que ce
n’est pas si facile que ça à situer car elle est « fantasmatisée », ce
que j’entends ainsi : elle est prise en charge par l’imaginaire du
fantasme mais l’opération de la castration c’est autre chose. C’est une
opération symbolique.
La lettre phi qui symbolise le phallus peut aussi bien être la première
lettre du fantasme.
L’homme ne fait pas l’amour avec l’Autre , avec le S(A), mais avec son
propre inconscient. C’est lui le vrai partenaire.
D’ailleurs l’instrument avec le lequel on opère dans la copulation,
c’est l’expérience la plus ordinaire, il est assez vite mis au rancard,
il est mis en retraite.
Autre chose est concerné avec S(A), ce qui signifie que le grand Autre
est barré, soit qu’il n’y a pas d’ Autre .
L’inconscient avance ici Lacan, comme lieu de l’inconscient est une
suppléance de l’Autre, c’est ce qui vient à la place de l’Autre qui
n’existe pas.
Or cette barre c’est aussi celle qui se tient entre signifiant et
signifié, et bien n’importe quelle femme est en mesure de la faire
sauter. C’est ce que ce film nous prouve avance Lacan.
Comment entendre cela ?
Que n’importe quelle femme, à outrepasser sa jouissance, en faisant
sauter cette distinction peut glisser du côté de la folie. Je pense aux
bouffées délirantes post- partum par exemple.
Une autre barre, celle de la négation au-dessus de phi de x, il
regrette de ne pas avoir usé de la même écriture, soit d’une certaine
manière de faire une sorte de rature sur l’écriture de cette fonction.
La barre sur le grand A vient dire qu’il n’y a pas d’Autre qui serait
en mesure de répondre comme partenaire.
L’espèce humaine ne cesse de rêver à un Autre de l’Autre. Généralement,
on y met Dieu. Mais c’est aussi bien La femme qu’on y place. Or elle
n’existe pas. On pourrait entendre : pas plus que Dieu.
« La seule chose qui permette de supposer La femme, c’est que comme
Dieu, elle soit pondeuse. Allusion au film où dans un jeu érotique la
femme mime de pondre un œuf. Mais il précise qu’il n’y a que « des
pondeuses particulières ».
Comment entendre cela ? Je dirai ceci : Dieu en tant que créateur est
celui qui donne, qui fait consister le monde. La femme pourrait aussi
bien symboliser une fonction de donation, de partage mais sans que cela
fasse un universel, il n’y a que des « unes » qui une par une, se
partagent, sont dans le partage.
Cette écriture de S(A)st le signifiant de ceci qu’il n’y a pas d’Autre
de l’ Autre.
Dans ce film la jouissance phallique se présente comme la répétition
morne de la copulation. Alors que la jouissance Autre que la femme va
éprouver, c’est avec un partenaire mort et châtré. Mais elle en devient
folle.
Dans cette fiction, nous avons bien une représentation d’une castration
réelle, mais c’est la mise en scène d’un fantasme.
Cela met en évidence c’est que la limite de la jouissance n’est pas la
mort, mais la castration symbolique.
Cette fiction nous donne les cordonnées de la jouissance féminine quand
elle est portée à son en pire.
J’ajouterai qu’on pourrait aussi bien y apercevoir un ultime de la
jouissance phallique puisque l’homme en question n’est pas s’en
s’offrir à cette mutilation. Notre policier de la BRI comme on l’a dit
au séminaire précèdent, c’est jusque-là qu’il est conduit.
Un fantasme côté homme serait que dans l’ultime de la jouissance, il en
vienne à être châtré par l’Autre du sexe.