Fragments du séminaire du mardi à l'hôpital Sainte Anne 1995-1996
Je
vais essayer de vous donner une idée de ce que veut dire cette clinique
de l'hypothèse : en réalité c'est une façon de caresser l'espoir que
l'on pourrait aborder les enfants autrement que d'une façon imaginaire.
Je ne suis pas sûr que l'imaginaire, bien qu'on puisse s'en servir,
dépasse ce qui, dans la thérapie ou dans l'analyse, a affaire avec le
corps. J'essaie cette année de parler de la clinique de l'hypothèse.
La clinique est saturée de regards et à partir du moment où, même sans
aller chercher Foucault, il en est question, le clinicien est assujetti
au voir, en train de pointer, en train de remarquer, en train de
chercher un signe distinctif, ou une signification l' usage, il me
semble que ce n'est pas avec le signe ni avec la signification que l'on
avance dans la psychanalyse ou dans la psychothérapie de l'enfant, et
c'est dans cette mesure que j'essaie de mettre l'accent sur l'hypothèse. Ce
dans quoi je. m'embarque cette année, c'est que, précisément, la
clinique a quelque chose à faire avec les aléas, les vicissitudes de
l'hypothèse. Le mot " ypothétique ", sans " h ", est apparu dans la
langue 120 ou 130 ans avant celui d'hypothèse. Et aujourd'hui pourquoi
ne pas prendre ce parti de l'hypothétique ? Que pourrait être une
clinique de l'hypothèse, c'est-à-dire de l'hypothétique ?
" TOUT... MAIS PAS ÇA "
Si
j'essaie de m'exprimer dans cette direction, c'est d'abord parce que
nous avons rencontré, aussi bien lorsqu'il était question du savoir de
la mère, des rapports de la mère avec la Chose, ou des rapports de
l'enfant avec le savoir, ce que j'appellerais la nécessité logique,
pour chacun de ces protagonistes, de faire des hypothèses, d'être dans
l'hypothétique. D'une certaine façon, et à mes yeux ceci est d'une
importance tout à fait centrale, c'est du caractère hypothétique des
dispositions de la pensée des mères qu'émerge dans leur discours la
métaphore paternelle. À savoir que leur hypothèse n'est concevable que
de se soutenir de la possibilité de substituer un signifiant à un autre
(définition de Lacan de la métaphore paternelle dans les formations de
l'inconscient). Cette disposition dans la pensée des mères, dans son
caractère hypothétique, vient en somme constituer ce que Freud appelle
la Bejahung, c'est-à-dire l'affirmation. Ce n'est pas aune affirmation
après coup ; c'est une affirmation supposée. La mère va donc tenir un
discours dont elle suppose qu'il va, si je peux dire, être sanctionné,
être ponctué par une affirmation, par une Bejahung. Cette affirmation
au sens fort s'articule de l'émergence dans le discours de la mère de
ce que Lacan appelle la métaphore paternelle. Je vous donnerai un
exemple dans les formules habituelles, que vous entendez journellement,
de la maman qui parle de son enfant qui fait une bêtise et elle dit : "
Tout... mais pas ça ! " ; c'est ça la Béjahung, c'est-à-dire que " tout
" c'est la mère, en somme l'unité, la globalité, tout est prévu, tout
est là ; " ... mais pas ça ", c'est le père : c'est-à-dire qu'il y a,
dans cette exclusion, dans ce " mais pas ça ", il y a la marque de
l'affirmation de la mère. Que le Nom du Père ne puisse être avancé
que dans l'hypothétique, voilà qui nous est familier ; mais ce qui est
à explorer cette année, c'est la proposition que ce Nom du Père ne peut
être prononcé qu'à l'occasion d'une parole régie par l'hypothétique ;
c'est-à-dire relevant à la fois d'une anticipation et d'une
anticipation supposant l'acceptation d'un manque : "Tout, mais pas ça. " Dans
quel entonnoir, vers quelle bouche aspirante est lancée comme un
vecteur aux armes du désir cette anticipation ? Vers ce que l'on
appelle avec Lacan le grand Autre. Dans la mesure où il comporte un
trou. Qu'est-ce à dire ? Lancé vers ce trou, un peu malgré soi,
peut-être peut-on essayer de démarrer une aventure qui serait celle,
non pas de la première hypothèse, de la première naissance d'un
discours hypothétique, mais plutôt du fondement de l'hypothétique comme
d'une nécessité logique de structure, de structure construite,
précipitée au sens chimique, précipitée au moment même de la phase du
miroir. - Fondement de l'hypothétique, plongeant ses racines,
peut-être ses déterminants, dans la compétence, les compétences de ce
que nous avons appelé avec G. Balbo la mère " préspéculaire ". Cette
nécessité de l'hypothétique, nous allons le voir à l'instant, tire sa
logique même non d'un devenir, d'une genèse, d'une harmonie préétablie
dans les rapports entre la mère et l'enfant, mais avant tout de la
dysharmonie foncière qui va s'instaurer entre d'un côté, les effets de
capture de l'imago du corps dans le miroir et, de l'autre, le fait
qu'il faut bien qu'il y en ait un qui parle, qu'il n'y ait pas
seulement l'image, représentée par le corps de la mère, mais qu'il y a
là de la parole. C'est, en somme, cette contradiction qui me semble à
l'origine de l'hypothétique. C'est, en tout cas, pour reprendre les
choses, dans l'imago du corps maternel que l'enfant immature
posturo-moteur vient tout à coup dans le miroir découvrir l'intuition
anticipée de sa complétude, de son unicité. Anticipée sur quoi ?
Anticipée sur sa motricité, anticipée sur sa posture, sur son attitude,
sur le fait qu'il puisse marcher. C'est un premier décalage. Et voilà
que se produit l'émergence du concept de sujet, dont Lacan trouve la
preuve dans la recherche par l'enfant d'une confirmation dans le regard
de la personne qui est derrière lui, et qui le soutient, de ce qu'il
voit dans le miroir. L'enfant se retourne et prend à témoin celle-ci de
ce qu'il vient de se voir dans le miroir. Ce regard en arrière, dans la
jubilation motrice, dans l'excitation motrice, qui vient faire retour
au milieu d'un cadre dont les objets qui le bordent sont moteurs et
posturaux, ce regard en arrière vient en somme couronner les
anticipations visuo-auditives des premiers jours. Anticipations
visuo-auditives qui exercent l'enfant à pallier le manque auditif par
la recherche, par le regard de la source sonore qui vient de
s'éteindre. Cette préfiguration anticipatoire de ce qui vient à manquer
dans le son cherché dans le regard, nous la rencontrons à nouveau au
moment du stade du miroir dans l'émergence du sujet qui vient anticiper
l'accord, le constat, le témoignage de la mère qui le porte, de l'image
qu'il a vue dans le miroir. Mais ce n'est pas de cette dysharmonie
entre la prématurité motrice et l'anticipation visuelle liée à la
prématuration de l'enfant que je veux m'autoriser aujourd'hui pour
parler d'hypothétique.
" ÇA PARLE "
En effet, ce jeu
d'images, de capture du regard, d'échanges de coups d'œil supposant
l'image du corps de l'autre, et d'abord de la mère, est tout du côté de
l'imaginaire. Mais voilà qu'il s'agit de quelqu'un qui parle ; il y a
des commentaires, des exclamations, il y a de l'interrogation. C'est de
cet endroit-là, dans ce lieu où il y en a un Autre, avec un grand A,
pour le nommer différemment du - semblable, du même, du prochain, qui
est au lieu de l'image, qui est dans le miroir. La majuscule du grand
Autre n'est rien d'autre que cette nécessité absolue liée au fait que
ça parle et que ça ne fait pas qu'être regardé ou regarder. La
dysharmonie ici, si je peux dire, est en ', train d'émerger de cette
symétrie. Tandis que le sujet vient à se constituer dans la mise en jeu
du tiers qui l'interroge par derrière, qu'il prend à témoin, que ce
sujet le prend à témoin du regard, aux' prises avec l'objet regard, en
même temps ça parle dans un lieu Autre. Ce grand Autre qui parle,
puisqu'il parle, en même temps que sa parole qui est un nouvel objet
qui accompagne le regard, ne véhicule pas seulement les phénomènes de
souffle, de tonalité, d'amplitude, de musicalité, de rythmicité de cet
objet voix ; en même temps, le sujet ne lance pas seulement cet objet,
mais il se lance lui-même dans la phrase adressée à l'enfant. La mère
ou celle, ou celui, qui en tient lieu ne lance pas seulement l'objet
voix de cet endroit Autre que celui dans lequel je me vois, que celui
dans lequel je viens de découvrir mon unité, il ne lance pas seulement
cet objet avec ses qualités particulières ; la mère, la personne qui
tient sa place, se lance elle-même dans la phrase qu'elle adresse à cet
enfant. Elle s'y lance au péril, je dirais, de la structure profonde de
cette phrase. Cette phrase dont la mère anticipe une réponse dans la
forme interrogative qu'elle lui,, donne. C'est là l'essentiel. La mère
ne part pas simplement à l'aventure de sa phrase : cette phrase est en
quelque sorte la démonstration-` de la supposition que l'enfant a
quelque chose à comprendre de cette phrase, qu'il a quelque chose à
entendre, qu'il a quelque chose répondre. Cette phrase, bâtie sur une
syntaxe interrogative, est essentiellement hypothétique. Elle ne
consiste que de la logique d'uns, hypothèse nécessaire. C'est ce
mouvement vers, Engegenkommen comme dit Freud, cet élan, cette invite,
cet entraînement à répond qui suppose l'anticipation de la réponse, et
l'anticipation de compétence à entendre. Voici en quoi ici se
distingue radicalement cet hypothétique d'un mécanisme
cognitif-déductif. Le sujet n'est pas du côté de proposition lancée
hypothétique, il est émergent de ce que cet hypothétique est
logiquement nécessaire, mais du coup le suppose, ce sujet. C'est ce que
Lacan résume dans la formule : S le sujet de grand A barré S(A/),
c'est-à-dire de cet endroit qui parle. Mais cet Autre, de ce lieu, ne
dit pas une affirmation, une assertion, il envoie une interrogation et
donc - et c'est pourquoi le grand A est barré - il attend une réponse.
Mais si la mère ne peut pas attendre de réponse, ne peut pas apparaître
comme un A barré, elle apparaît, comme un A tout court dans lequel il
n'y a pas de place. n'y a pas de place pour autre chose que le discours
de la mère. C'est une formulation à laquelle il est peut-être un peu
difficile d'accéder, mais je pense que c'est là la différence vraiment
essentielle dans laquelle vient s'inscrire la nécessité logique du
caractère hypothétique du discours de la mère. Parce que si le discours
de la mère n'est pas hypothétique, elle ne laisse aucune place dans le
lieu d'où elle parle. Quand on dit, par exemple, que la mère est au
lieu du grand Autre ou que la mère c'est le grand Autre, il faut faire
attention à ce que l'on dit.
HYPOTHÈSE ET DISCOURS INTERROGATIF
C'est
de là que ça parle, c'est là qu'il y a, comme dit Lacan, le trésor des
signifiants, tous les mots. Évidemment, les mots sont tous là ;
seulement si 'le trésor en question apparaît à la surface comme la
caverne d'Ali Baba, rempli jusqu'au bord, comment peut-il être
interrogatif ? C'est dire que le trésor des signifiants, il, est
nécessaire qu'il soit hypothétique. Mais je me permets de dire que
cette affaire-là, du côté des compétences de la mère, n'est pas
seulement de la capacité à tenir un discours interrogatif ; elle est
aussi de la capacité à tenir un discours, c'est-à-dire de se lancer
dans ce que la phrase a d'incertain. Elle ne lance pas que la voix,
c'est cela qui est, je crois, essentiel dans la différence entre
l'objet regard et l'objet voix ; l'objet voix, il tient évidemment à
ses caractéristiques, que j'appellerais corporelles, qui fait qu'il a à
voir avec les lèvres, la respiration, la tonalité, le larynx, etc. ;
mais en même temps, ce qu'il véhicule sont les signifiants, ce qu'il
véhicule, ce n'est pas asséné, c'est une interrogation ; c'est dire que
la mère se lance dans la phrase à double titre : d'abord, parce que, en
effet, comme vous et moi, elle est prise par la structure profonde de
la phrase et elle s'en débrouille comme elle peut d'où les lapsus,
etc., ou les trébuchements divers -, mais en même temps, elle se lance
à se découvrir, à se découvrir dans la mesure où elle attend de
l'enfant qu'il entende ce qu'elle dit, dans les peux sens du verbe
entendre, et qu'il puisse répondre ; parce que si elle parle à l'enfant
qui n'entend pas et qui ne peut pas répondre, eh bien il s'agit d'un
enfant " autiste ". / Mais la mère qui, au lieu pu grand Autre, ne
fait en somme qu'émettre une voix que j'appellerais tonitruante, parce
que prenant tout l'espace et assertive, affirmative ou impérative,
cette mère, pu même coup, dépouille l'enfant de sa capacité à être
sujet, S sujet de grand A barré. C'est ce en quoi l'enfant apparaît
dysharmoniquement tributaire : d'une part, il est pris tout entier pans
le processus en jeu pans le miroir, processus dangereux car produisant
pu leurre, de la capture imaginaire, chez l'enfant bien sûr mais aussi
chez la mère qui, d'être le miroir, risque de s'identifier à son imago
propre, pans un mouvement de reduplication pu jeu spéculaire de son
enfant, d'autant plus problématique ; miroir devant le miroir c'est ce
que G. Balbo appelle la bi-univocité, c'est-à-pire qu'un point de l'un
correspond au point de l'autre. Je vous rappellerai cet exemple d'une
jeune fille qui était un mannequin et qui, se regardant pans la glace,
jouissait du fait remarquable que chaque point de son corps pouvait
être repéré pans la glace, exactement identique à lui-même, mais qui ne
pouvait pas regarder son sexe,) Pour la mère, il est donc question
d'une reduplication du jeu spéculaire de son enfant, d'autant plus
problématique que pèse la surdétermination des aléas de son propre
miroir, de sa propre phase du miroir. Danger de la fascination muette
de la mère, de l'émerveillement, de l'aveuglement devant le nimbe de
gloire irradiant autour de sa majesté ; bouche bée, sous le charme de
sa propre image, la mère reste sans mot pire, pans un ravissement de
madone espagnole, tout regard voilé, tout imaginaire ; en somme, vous
reconnaissez là certaines analystes d'enfants qui ne peuvent parler
,que du regard. D'autre part, pans cette aliénation où la confusion
bi-univoque des images constitue une fallacieuse harmonie, la parole
lancée pu lieu de l'Autre où ça parle, non seulement peut me parvenir
mais, quand elle vient, il faut qu'elle soit, comme nous l'avons vu,
hypothétique ; c'est-à-dire qu'elle ne soit pas simple ment la devise,
énoncée sous le blason pu corps imaginaire qui n'est `que
signification, imaginaire parlé, mais qu'il s'agisse de cet
hypothétique lié au symbolique car anticipateur et supposant chez l'en
fart un sujet entendant. Cliniquement, il semble que l'on doive ici i'
situer ce que l'or appelle les retards de parole et quelquefois aussi
de langage. Les questionnements posés par les parents, par le médecins
de médecine générale sur la qualité auditive des enfants sur le fait
que " peut-être, il n'entend pas". À l'opposé, vous savez qu'en
clinique, nombre d'enfants sort sourds, ce dort personne m s'aperçoit
jusqu'à un âge très avancé. Soulignons les peux extrême de cette
position, cependant très comparables. Dans un cas : " Il me déçoit de
ne pas obtempérer ", et pans l'autre : " Cela n'a pas d'importance
qu'il entende, il suffit que je parle. " C'est une position, celle du
sujet entendant, qui va émerger chez l'enfant, qui me semble tout à
fait en rapport avec ce que j'essaie de mettre en place de cette
dysharmonie pu côté de l'hypothétique. La quête de l'enfant qui, en se
retournant, cherche la reconnaissance de son unité par l'autre est
visible par celui qui porte l'enfant, tandis que la quête de la
question, qui n'est rien d'autre que la demande, suppose la phrase
interrogative qui se trouve tacite, latente, mais nécessaire. Dans
les deux cas, se présente comme centrale la production d'un tiers, d'un
tiers terme, et c'est là, je crois, un des ancrages de l'hypothétique.
L'hypothétique n'est pas pu côté pu regard qui découvrirait un objet
pont le sujet saurait qu'il se trouve là, l'hypothétique n'est pas pans
la présence de l'objet caché, l'hypothétique ne se situe pas pans le
rapport dialectique de la présence qui suppose qu'il puisse être absent
et de l'absence qui suppose qu'il puisse être présent ; en d'autres
termes, ces suppositions pu côté de l'objet reposent sur le regard et
n'ont pas à voir avec l'hypothèse. Pourquoi ? Parce qu'il n'y a pas
d'absence sans présence et il n'y a pas de présence sans absence.
Tandis que pu côté de l'objet voix, pu côté de cette parole qui vient
pu grand Autre, c'est là que se trouve le support de l'hypothétique,
pas seulement parce qu'il s'agit du symbolique du langage véhiculé par
la parole, mais parce qu'il s'agit de la position de la mère concernant
le sujet port elle fait crédit à l'enfant La disparition de l'objet
caché n'a rien à voir avec le crédit que la mère fait à l'enfant. Le
fait d'envoyer une phrase, de s'embarquer dans une phrase
interrogative, pu côté de la mère, suppose qu'elle le crédite : 1) de
la capacité à comprendre ; 2) de la capacité à répondre, c'est-à-dire à
savoir. Ce pont elle crépite l'enfant pans l'hypothétique, c'est d'un
savoir Ce qui me paraît essentiel ans cette question, c'est
qu'évidemment, dans la psychanalyse, le savoir a une place tout à fait
particulière. Ce n'est pas de la connaissance que l'analyste a à
créditer l'analysant, c'est de son savoir inconscient insu. L'analyste
fait le crédit à l'analysant qu'il va pouvoir avancer dans la
compréhension de ce en quoi son symptôme, du côté de son réel, peut
être compris par le symbolique. C'est l'hypothétique qui est à
enseigner dans la psychanalyse. C'est cet aspect-là de la question du
savoir. Ce n'est pas parce que l'analyste sait (toute l'oeuvre de Freud
ou toute l'oeuvre de Lacan), c'est parce qu'il fait le crédit, à
l'analysant, de pouvoir utiliser le symbolique oui comprendre D'une
certaine façon, quand je fais une interprétation, je dénie ce savoir,
je dénie ce crédit, je ne fais pas crédit. C'est dans cette mesure
qu'il faut se méfier, dans la cure, de ces moments ou de ces phrases où
ce que 'appellerai le transfert est " maternel ". Il faut faire très
attention à ce que ce transfert " maternel " ne soit pas discréditant
de l'analysant. Quand il s'agit d'enfants, la situation est encore plus
délicate. Si j'utilise des objets en disant par exemple : " C'est le
pénis de ton père ",.quel crédit fais-je à l'enfant ? Je ne lui laisse
faire aucune hypothèse.
QUE VIENT CHERCHER L'ENFANT DANS LE MIROIR?
La
question que je voudrais aborder aujourd'hui est la suivante : dans ce
qui se passe dans le stade du miroir, pouvons-nous envisager que, en
cherchant son image, l'enfant fasse l'hypothèse qu'il va la trouver ;
puisqu'il ne va pas de soi que l'enfant cherche son image dans le
miroir. Ce qui va de soi, c'est la satisfaction qu'il y trouve, mais ce
qui ne va pas de soi, c'est qu'il ait envie de l'y trouver. Envie qui
va évidemment dériver petit à petit vers le désir. Alors sur ce point,
ce que je dis aujourd'hui est une sorte d'hommage que je rends à la
leçon de Lacan du 21 mars 1963, du séminaire L'identification, leçon
que je trouve absolument sensationnelle. En somme, la question du
stade du miroir suppose-t-elle une hypothèse ? Ce qui correspond à la
question : " Que vient chercher le petit de l'homme d'une image dans le
miroir? " Est-ce un besoin - ou bien est-ce une forme de demande que
cette saisie de sa propre image, dans la mesure où le miroir lui
fournit une forme qui va être celle qui suscite l'intérêt de l'enfant ? Parce
qu'évidemment, c'est dans la mesure où l'enfant y trouve -` un intérêt,
où il est " inter-essé ", que la question de la demande se pose. Ce
n'est pas comme si l'enfant dévorait son image, comme s'il, se
précipitait sur le miroir, la bouche en avant, ce qu'il fait pour tout
autre objet ; il regarde, et ce qu'il voit entraîne chez lui une
modalité d'intérêt dont vous connaissez les paramètres moteurs et
psychomoteurs. En somme, cet intérêt que l'enfant trouve dans une forme
qu'il repère, est-ce un argument pour parler de demande ? Peut-on
rendre compte de ce qui mène le bébé à se retrouver dans une forme ?
Que ce soit celle de sa mère ou celle du miroir ? Telle est la question
qui me tracasse. Cet intérêt passe assurément par le regard, par la
capture du regard, en somme par la pulsion scopique elle-même. Pulsion
scopique qui suppose qu'il y a une quête d'image qui vise à une
satisfaction. Parce que la fonction principale de la pulsion est de
viser à sa satisfaction, et ce que met en jeu la pulsion scopique de
l'enfant devant le miroir, qu'est-ce d'autre que la recherche, que la
quête de la satisfaction ? Et sur ce point, je me permets de vous
rappeler que, avec G. Balbo, nous avons essayé de mettre en place une
hypothèse concernant ce que nous avons appelé " l'excès d'image ". Je
crois que cela a sa place ici pour saisir ce qu'il en serait de la
différence du besoin, ou de la demande, dans cette quête de l'enfant
vers sa propre image dans le miroir. En effet, la jubilation
motrice, les mouvements désordonnés que l'enfant produit dans sa
découverte de son image dans le miroir, nous avons proposé de les
considérer comme des objets a circulant comme un cadre autour de
l'image. Objet a qui n'est pas spéculaire ; autrement dit, mouvements
qui ne sont pas vus dans le miroir. En somme, mouvements qui ne font
pas partie de l'image lu corps. Ils ne font pas partie de l'image
réelle. Mais ce qui ne fait pas partie de l'image du corps, dans
certains cas, peut s'y introduire. Ce qui n'est pas spécularisable s'y
introduit, ce qui n'est pas mage le devient : c'est là ce que nous
appelons un excès d'image et tomme exemple, nous donnons ce qui se
passe avec les jumeaux et e qui se passe chez l'autiste. Avec le
jumeau, dans la mesure où c'est le jumeau qui sert de miroir et qui
vient prendre la place vide que la mère, au lieu du ;rand Autre, a
laissée ; c'est cette image du jumeau qui vient faire bouchon dans le
trou du grand Autre. Et chez l'autiste, c'est cette fascination du côté
du regard qui vient en quelque sorte empêcher j toute autre pulsion de
venir prendre sa place. Les mouvements incoordonnés de la jubilation
ne font pas partie de ce qui apparaît dans le miroir, ne sont pas
spécularisables ; 'est en cela que la motricité est symbolique. C'est
dans la mesure où elle ne fait pas partie de l'imaginaire, cette
posturo-motricité, que précisément elle ne peut être qu'anticipée, elle
ne peut être que redécouverte, elle ne peut, en somme, faire autre
chose que l'objet d'une hypothèse. L'incoordination des mouvements, par
son caractère incoordonné non visible dans le miroir, suppose, du côté
symbolique, une coordination possible, hypothèse d'une coordination
motrice possible car l'enfant ne la voit pas, cette coordination
motrice) s C'est ainsi qu'il y est introduit symboliquement, non par
l'ima ginaire, mais par l'hypothèse qui lui permet d'établir un rapport
:â entre ce qu'il éprouve de sa coordination et ce qu'il ne voit pas de
sa motricité dans le miroir. C'est dans la mesure où l'image de sa
motricité est virtuelle que l'incoordination motrice permet à cet
enfant d'être introduit symboliquement à ce que représente la
coordination, c'est-à-dire une fonction phallique. Autrement dit, c'est
par 'intermédiaire de ce que cette onction a de phallique (véhiculant
un imaginaire phallique) que l'enfant se trouve introduit au
symbolique, c'est-à-dire à ce que cette fonction a de possibilité à
être anticipée dans son fonctionnement. Ainsi, c'est le caractère
négatif, si je peux dire, de l'imaginaire du fonctionnement qui rend
cette fonction symbolique, par l'intermédiaire du fait qu'elle est
phallicisée, en particulier par la mère, qui comme', vous le savez,
prend l'enfant, le soulève, le dresse, etc., qui introduit ' l'enfant
donc à cette symbolique) En somme, cette introduction symbolique va
être ce en quoi la coordination motrice est inscrite (et ce qui
s'inscrit, c'est ce qui ne se voit pas dans le miroir) : ce qui
s'inscrit de la fonction motrice ± en tant qu'elle est symbolisable,
c'est-à-dire anticipable et répondant obligatoirement à une hypothèse,
puisque je ne la vois pas cette inscription, et dès lors devient
possible ; elle se fait anticipatrice. C'est ce que, en
psychomotricité, on appelle le projet moteur. Alors, pas étonnant
que les dyspraxiques nous posent des questions vraiment difficiles à
résoudre. D'un côté, ce qu'il en est du stade du miroir dans son
rapport avec le figuratif et, de l'autre, le rapports du figuratif avec
l'opératif se trouvent justement pris de telle façon que des questions
se posent, pas seulement sur la clinique, chez les dyspraxiques, mais
aussi sur le pronostic : notatament au moment de l'adolescence,
c'est-à-dire moment où le corps;; dans sa représentation se trouve
complètement remanié et que la !; question d'une psychose, quant à la
relation à l'objet, se pose chez l'adolescent. Ce qui est vraiment
essentiel, sur ce point concernant l'importance de cette motricité qui
fait cadre autour du miroir, c'est que, si elle n'est pas inscrite, par
exemple par la mère, dans la fonction phallique, les objets a que
représente cette motricité, au lieu de circuler autour de l'imaginaire,
au lieu de faire lien, rapport, articulation entre la mère et l'enfant,
se trouvent précisément venir '' boucher le trou du symbolique dans ce
que la mère ne dit pas, c'est-à-dire dans l'Autre, et abolir ou mettre
en péril justement ce (lue la psychomotricité a de symbolique, à savoir
le côté hypothétique de la coordination des mouvements, comme j'ai
essayé de vous le montrer tout à l'heure. Chez l'autiste, cet excès
d'image pose la question de la tare principale de l'autiste, à savoir
l'unicité du canal visuel dans sa pulsion. La pulsion de l'autiste est
monocorde. C'est unicité de ce canal visuel qui aboutit à un
désarrimage, désar-image, ou manque d'arrimage, des autres pulsions ;
c'est ce sur quoi Freud insiste dans ce qu'il appelle la désintrication
des pulsions. Je pense qu'ici, avec ce jeu de mots que vous me
permettrez sur désar-image, on voit mieux que, dans cet excès d'image
qui vient empêcher toute( symbolisation, rien ne serait caché, rien
n'échapperait au regard de l'autiste ; ce désarrimage vient en quelque
sorte prendre tout le champ de la pulsion, celui-ci étant strictement
scopique. Nous revenons au stade du miroir et à la question initiale, à ;savoir ce que cela met en jeu : est-ce un besoin ou une demande ?
STADE DU MIROIR : BESOIN OU DEMANDE ?
La
satisfaction déborde l'imago posturo-motrice dans le champ de
l'imaginaire par son fonctionnement même, et c'est de cet écart suscité
par le raté de la conformité au modèle que le bébé décolle du
transitivisme en étant, comme le dit Lacan, duplice. La dysharmonie
dans le miroir, c'est que l'enfant retrouve la globalité de son Y:
image dans l'image de la mère, ou dans le miroir, mais il arrive un
moment où la mère n'obéit pas à cette image. Elle s'esquive, si elle
vient au-devant de l'enfant, dans sa posture et dans sa motricité, elle
ne lui est pas autrement soumise. La mère n'imite pas de façon
,aliénante son enfant constamment. Il arrive un moment où elle prend
l'initiative d'autre chose et, en même temps, elle permet à l'enfant
d'en prendre une. C'est dans la mesure où elle devient absente, qu'elle
laisse ce champ à l'enfant, tout en faisant en sorte qu'il puisse y
être absent à elle-même. Parce que si l'enfant ne peut pas être absent
à la mère, il est toujours bloqué dans le canal visuel de la mère, dans
ce que ce canal a d'imaginaire. C'est de cet écart donc au modèle, que
le bébé décolle du transitivisme, à la fois transitivant et d'autre
part dépassant, outrepassant la transitivité. Ici donc se démarque un
sujet qui serait " imaginaire ", c'est-à-dire pris dans l'intérêt pour
l'image du semblable, et un autre qui se constitue par son
fonctionnement même. En somme, décollement de l'image en tant que
besoin, avec le risque du trop-plein, de l'excès d'image, de la
saturation scopique de l'intérêt permettant l'accession à une demande. Comment
? Point délicat et essentiel, comment peut-il évoluer vers une demande
dès lors qu'il a décollé de l'image comme besoin ? Eh bien, par la
demande articulée par la mère, dans et par le fait qu'elle est
elle-même débordée. Cette demande, cette première demande de l'enfant,
le passage du besoin à la demande, ne vient pas de l'enfant, elle vient
de la mère. Dans quelle mesure, du grand Autre, s'articule-t-il, se
crée-t-il une demande vers l'enfant ? Dans la seule mesure où la mère a
une question à lui poser. Dans la seule mesure où elle attend de lui
quelque chose, c'est-à dire où elle se laisse déborder ; cette demande
est articulée par la mère dans la mesure donc où elle est débordable,
où elle se laisse déborder par le fonctionnement de l'enfant. La mère
en effet est interrogée par ce dépassement même de la part de cet
enfant, par l'originalité de l'image donnée à voir par rapport à
l'imago qu'elle fournit elle-même ; tel est l'écart. Ce n'est pas
l'enfant comme une image (" il est sage comme une image") ; c'est
précisément dans la mesure où la mère est capable d'avoir un enfant qui
ne soit pas comme une image qu'elle lui permet de la déborder dans son
fonctionnement, dans cet écart, de la déborder dans cette dysharmonie
d'image à image. C'est elle qui demande et qui, dans cette demande,
crée la béance du sujet à venir, qui vient se démarquer `par son écart
d'avec l'image. C'est là une façon de situer dans le corps le trait
unaire souligné par la mère elle-même. C'est cette demande de ne pas
savoir du grand Autre (de ne pas savoir parce qu'il n'y a pas
correspondance exacte entre les deux images) qui, aux dires de Lacan,
entrecroise la demande du sujet (lequel sait que le grand Autre ne peut
répondre) qui est ici mise en jeu, selon la façon dont la mère va
s'acquitter de cette interrogation qui lui est adressée par l'enfant
qui la déborde. Ou bien elle ne veut pas le savoir et, dès lors, il n'y
a pas de place dans le grand Autre pour le moindre " petit a " et rien
ne vient à manquer, elle sait : elle sait, elle vient faire obstacle au
passage d'une demande de besoin à une demande à proprement parler (voir
le séminaire L'identification du 21 mars, éditions de l'Association
lacanienne internationale, p. 198). De sorte que nulle hypothèse ne
peut se faire jour puisqu'il y a aucun manque. Ainsi, deux étages
inextricables : d'un côté, la mère suppose une demande de la part de
l'enfant qu'elle repère comme sujet ; que va-t-il se passer ? " La
demande est libérée de la demande du grand Autre dans la mesure où le
sujet exclut ce non savoir du grand Autre ", dit Lacan. Autrement dit,
pour que l'enfant arrive à libérer sa demande de la demande qui existe
dans le grand Autre, évidemment il faut qu'elle existe dans le grand
Autre. Il est absolument nécessaire que la mère attende quelque chose
de l'enfant, autrement dit que l'enfant ait quelque chose à lui
apprendre, qu'elle le repère comme sujet. Du côté de l'enfant, ou
bien ce que j'ai appelé l'excès d'image, c'est-à-dire la saturation du
côté de l'imaginaire, vient s'introduire dans l'image du corps ; c'est
exactement ce qui se passe en psychosomatique. Ou bien l'excès d'image
ne permet même pas de poser la question du savoir chez la mère,
c'est-à-dire ne permet même pas d'introduire la demande en tant que
telle. L'enfant en reste au besoin. C'est le regard qui est le canal
pulsionnel unique et sa satisfaction scopique. C'est un des aspects à
redouter dans la perspective des psychanalystes qui donnent beaucoup
d'importance à l'observation directe et à l'imaginaire en général ;
c'est que la satisfaction scopique rend le canal pulsionnel unique, de
sorte qu'il n'y a pas autre chose que du besoin. Ou bien l'enfant
veut que le grand Autre sache. Dans un cas, la mère sait tout et la
demande se trouve ainsi toute d'un côté, saturée ; il n'y a pas de " je
ne veux pas le savoir " du côté de la mère. Ce " je ne veux pas le
savoir " va se trouver du côté de l'enfant. Vous en connaissez un bout
sur ce point : ou bien l'obtusion, ou bien la débilité, et la plupart
des enfants qui nous sont amenés parce qu'ils ont des difficultés dans
les apprentissages sont dans cet ordre-là, ils ne veulent pas le savoir
: ce n'est pas parce qu'ils ne veulent pas le savoir, c'est parce que
le " je ne veux pas le savoir " étant confisqué par la mère ne peut
revenir que du côté de l'enfant. De sorte que ce n'est que dans la
mesure où l'enfant peut faire l'hypothèse que le grand Autre ne répond
pas, et ne répondant pas, c'est bien seulement dans cette non-réponse
que le grand Autre, où se trouve la mère, peut receler l'objet cause du
désir. Si l'enfant ne peut constituer d'hypothèse, c'est que le grand
Autre ne recèle rien, que sa structure est celle d'une sphère sans
trou, sans manque. Rien n'est caché dans le grand t Autre, et c'est
cette dimension du caché qui est le seul soutien et la seule garantie
qu'il puisse exister d'un objet quelconque. ; Mais, la vraie
question dans la clinique et dans la théorie est ce qui se passe dans
le miroir, est-ce un besoin ou une demande de l'enfant ?
HYPOTHÈSE ET SAVOIR INCONSCIENT
Ce
que je voudrais essayer d'étayer aujourd'hui, c'est que, s'il y a une
clinique de l'hypothèse, de l'hypothétique, cette hypothèse passe
nécessairement par le savoir inconscient. Autrement dit, c'est de ce
savoir, à travers ce savoir inconscient, que nous avons affaire , à la
clinique de l'hypothétique, soit dans ce que j'appellerais les
évaluations, soit dans la cure analytique elle-même. En somme, la
clinique de l'hypothétique, dans laquelle j'essaie d'avancer cette
année, vient à s'articuler plus ou moins étroitement avec ce qu'il y a
lieu de nommer la méconnaissance, c'est-à-dire l'insu, activement
maintenue comme telle par le refoulement. Comme vous savez, ce qui fait
la clinique, les symptômes, etc., ce sont l'échec ou les ratés du
refoulement. Cette méconnaissance se trouve au centre des raisons
d'être de l'hypothèse, de la clinique de l'hypothèse. Et cette clinique
constitue une mise en cause, une subversion du capital essentiel de la
méconnaissance, de l'imaginaire, c'est-à-dire du moi, du moi selon
Lacan. Les rapports entre l'inconscient et le moi sont mis en jeu à
travers les articulations dialectiques entre ce qu'il en est de la
méconnaissance, c'est-à-dire de la fonction du moi en tant qu'il est
tout imaginaire, d'un côté, et de l'autre, du savoir inconscient. Freud
pourrait dire de ses articulations avec le ça. Je vous propose en
somme de considérer, qu'au même titre que la Verneinung apparaît comme
une accession au symbolique par; l'émergence de ce que le non a de
symbolisant sur la négation du' savoir inconscient, la compétence à
faire des hypothèses vient permettre au sujet une modalité d'accession
à l'ordre du symbolique ; autrement dit, à se frayer un passage par le
symbolique, à travers la méconnaissance, au savoir inconscient. L'essentiel
de ce que montre Freud dans son article dont nous avons parlé plusieurs
fois sur la Verneinung, c'est que nous accédons' à la pensée par la
négation. Comme vous le savez, il prend l'exemple inaugural de son
article, le patient qui lui dit : " Il ne s'agit évidemment pas de ma
mère " ; cette négation lui permet de parler de sa mère en disant qu'il
se s'agit pas de sa mère. Ce " ne pas ", ce " il ne s'agit évidemment
pas ", est de l'ordre du symbolique : accession au symbolique du non. Je
vous propose de considérer que par l'hypothèse, nous accédons au
symbolique, en nous frayant un passage à travers la méconnaissance -
c'est-à-dire à travers le moi -, à travers le dispositif défensif, à
travers " ce que je ne sais pas ". Ainsi pouvons-nous accéder au savoir
inconscient par la clinique de l'hypothèse en soulevant le voile de la
méconnaissance.! Ce que j'essaie de vous montrer dans un premier
temps, c'est que la Verneinung et l'hypothèse peuvent remplir la même
fonction. Dans les deux cas, par le même processus d'Aufhebung,
c'est-à-dire de soulever l'inconscient par ce dispositif qui consiste à
le dégager Jas un peu, à laisser passer subrepticement le refoulé, à
laisser entendre que je sais, ce que je ne sais pas. Les procédés pour
arriver à ce subterfuge sont avant tout grammaticaux. C'est à un
exercice de grammaire que je vous convie. Mais un exercice de grammaire
autour de la clinique. Autrement dit, la clinique de l'hypothèse nous
montre de façon vraiment exemplaire que c'est dans la loi du langage
elle-même, dans la syntaxe, les formes verbales, dans ce que l'on
pourrait situer comme la structure langagière de la logique
propositionnelle, dans ce qui avait été débusqué par ces messieurs de
Port-Royal, dans leur grammaire ou leur logique, que se fomente le
travail d'Aufhebung, c'est-à-dire de soulèvement du refoulement, ton
pas grâce à un dévoilement, mais plutôt par une amplification
phonétique. Ce dévoilement n'est pas visuel, il est phonique, il est
phonétique, dans les formes verbales, dans les désinences, dans les
modifications syntaxiques des diverses propositions, dans la logique
propositionnelle d'une façon générale. Il ne s'agit pas de démontrer,
enlever l'occultation, ou de mettre en évidence, ou d'illustrer, ou e
colorer, ou de souligner : pas du tout ; il s'agit de modifications
phonétiques aboutissant à cette amplification phonique qui vient en
somme traverser l'insonorisation de la méconnaissance qui consiste ne
pas entendre ce que je dis dans cette insonorisation. Je vous propose
d'admettre un instant que la clinique de l'hypothèse est précisément là
pour permettre une amplification, le potentiomètre monte : je
n'entendais pas grand-chose et tout d'un coup, je me mets à entendre
clairement. Ce sont les accents barbares du savoir inconscient, le
bruit brut des lettres, qui deviennent linguistiques, audibles, qui, à
travers ce travail d'hypothèse, passent du bruit, du vacarme ou du
chuchotement à ce qui peut être déchiffré, à ce qui devient audible. La
langue maternelle ne consiste-t-elle pas à faire rentrer dans cette
espèce de magma phonique quelque chose qui a affaire avec
l'articulation, avec la parole, avec la langue, c'est-à-dire avec une
loi c'est-à-dire avec ce que la mère véhicule du père en tant qu'il est
représentant du symbolique ; ce en quoi cette langue vient finalement
donner une logique propositionnelle aux bruits en question. La
méconnaissance, pour moi, jouxte ce qu'il en est de la langue
maternelle avant que la mère soit intervenue, quand elle intervient,
pour bien montrer que la langue refoule. Le potentiomètre en question,
amplification du savoir inconscient dans cet embrouillamini de paroles
et de langue, je vais essayer de montrer qu'il se trouve en quelque
manière mis en cause dans la clinique par le fait qu'il y a possibilité
pour le sujet de faire des hypothèses. Ce travail d'hypothèse, c'est
ce qui le différencie de façon centrale du travail de la Verneinung ;
ce travail ne porte pas sur la dénégation du savoir, ou du souhait, il
ne met pas en jeu direct la souffrance de la vérité par le symbolique
du non ; mais c'est dans une duplicité du sujet qui affleure dans le
dispositif hypothétique, dans une tentation de faire intervenir,
d'immiscer une temporalité, ou du moins ce que l'on pourrait appeler
une modalité verbale, que ce travail porte. Dans cette sonorisation,
dans cette amplification phonique des bruits du savoir inconscient,
l'hypothèse vient apporter quelque chose de l'ordre d'une temporalité.
C'est le fait cent fois signalé par Freud que l'inconscient ne connaît
ni passé, ni présent, ni futur, que le travail de l'hypothèse vient
alléger, vient infiltrer de diachronie ; non d'une diachronie réaliste
- c'est avant, c'est après, c'est génétique -, mais bien au contraire
d'une diachronie tout hypothétique, comme dans le cas du futur
antérieur par exemple, ou de certaines formes du conditionnel qui
véhiculent, dans la conditionnalité même, un questionnement, un réveil,
une allusion au savoir inconscient supposé qui, dès lors, impliquerait
la condition elle-même. Il en est de même dans un autre ordre de faits
ou de procédés, une autre forme de Verneinung, dans les formes
concessives qui, comme leur nom l'indique, cèdent du terrain sur la
connaissance assertive et glissent entre deux portes l'implication
logique d'un aboutissement de cette assertion même, pouvant aller jusqu'à sa négation programmée. Les propositions tond sont des propositions d'opposition logique.
EXEMPLE CLINIQUE
J'ai
mis au tableau la phrase autour de laquelle je me propose de faire un
petit bout de clinique, de ce patient qui me dit " Quand bien même
ferait-elle un geste, je ne pourrai la voir. " Il vous est
évidemment sensible que ce qu'il en est du savoir inconscient
concernant cet aveuglement : " Je ne pourrai la voir ", cette cécité du
désir, se trouve radicalement changer de camp et de sens, et du coup
modifier au fond ce qu'il en est de cette hypothèse prise dans le
concessif " quand bien même ", selon que nous mettons ou non un " s " à
" je ne pourrai " [futur] ou " je ne pourrais [conditionnel] la voir ". C'est
de cette lettre, si je peux m'avancer ainsi, que dépend dans la cure
que vienne à s'entendre ou ne pas s'entendre l'apostrophe refoulée de
l'avoir : je ne pourrai la voir ; je ne pourrais l'avoir. Autrement dit, la première forme de la phrase, qui suppose un futur, implique la méconnaissance, l'aveuglement, la cécité. Seulement,
évidemment, cette cécité, cet aveuglement, vous comprenez bien que, si
prenant " quand bien même " pour une forme vraiment concessive, je
passe au conditionnel ou au subjonctif, dès lors la présence de ce " s
" me permet de lever ce que " la voir ", ce que le côté visuel avait à
faire avec le savoir inconscient ; de le soulever. Cet Aufhebung me
permet de placer l'apostrophe qui a affaire avec le verbe avoir et non
pas avec le verbe voir. Ainsi, c'est de cette lettre que dépend dans la
cure donc, que l'on entende ou que l'on n'entende pas cette apostrophe
refoulée. C'est sur cette apostrophe lancée à mon désir inconscient que
le langage, la langue refoulante, vient d'abord mettre son veto, par
élision du a autour duquel tourne ma pulsion scopique. S'il est
question de voir, c'est de la " 1-a " qu'il s'agit : pas d'apostrophe,
pas de pulsion sexuelle découverte dans la syntaxe, et, comme vous le
savez, une faute d'orthographe peut en cacher une autre. Du côté de
la connaissance donc, c'est-à-dire de la grammaire, complément d'objet
direct, ici représenté par le pronom personnel féminin de la troisième
personne dans sa forme accusative la, " la voir ". Du côté du savoir
inconscient, aucune faute de grammaire, simplement élision du " a " au
profit d'une apostrophe, qui change tout. Mais cette équivoque " la
/l'a ", moyen décisif pour Lacan de l'interprétation dans la cure, et
qui permet de révéler l'apostrophe, voici que la clinique de
l'hypothèse vient s'en saisir, non pas en l'annulant, mais en jouant en
somme en deuxième ligne du côté de la désinence verbale. C'est de ce "
s " ou pas de " pourrai " que l'hypothétique se constitue. L'hypothèse
me permet de tenir compte du fait qu'on peut accéder au savoir
inconscient, c'est-à-dire aux petites lettres : ce qui fait que, bien
que je sache ma grammaire par coeur, je me sois trompé justement en
écrivant ma lettre de déclaration à cette dame ; voilà que j'ai mis une
apostrophe, me voici démasqué, non parce que je ne connais pas la
grammaire mais parce que la dame en question n'avait rien d'une
grand'mère. Si le refoulé porte sur l'apostrophe, je dirai " la voir
", je parlerai des yeux au lieu de " l'avoir ", qui parle de sexe, dès
lors en mettant un " s ". La clinique de l'hypothèse, justement,
consiste à glisser de la lettre de l'inconscient à la lettre de la
lecture, de l'orthographe ou de la prononciation... C'est de ce " s
" ou pas de " pourrai " que l'hypothétique se constitue. Alors, au
risque de vous lasser, j'irai jusqu'à assurer que, dans la structure
profonde de la phrase où le sujet vient de s'embarquer, ce " s ou pas s
" est antécédent de l'apostrophe et, si je peux dire, s'articule à
elle. De quelle articulation s'agit-il donc entre le " s ou pas s " et
l'apostrophe ? Sinon justement de la marque de l'hypothétique. Dès
lors, ce " s " hypothétique vient soulager mon savoir inconscient de ce
détournement qui avait, par l'apostrophe, ravi à la pulsion sexuelle
son objet au profit de la pulsion scopique. Avec un " s ", je peux
mettre ou ne pas mettre une apostrophe. Toute condition du
conditionnel ou condition liée au subjonctif fait perdre au fantasme ce
que j'appellerai son efficace, sa capacité à enclencher la jouissance.
Ainsi, à partir du moment où l'hypothèse est en jeu, elle destitue le
fantasme de sa forme indicative. Que fait d'autre la mère qui sans
cesse répond à la demande de l'enfant, demande d'amour, par la
production, la présentation d'un objet de besoin ? Elle prend le
discours de cet enfant sur un mode indicatif. Elle lui répond sur le
même mode. Pourtant, elle peut s'y prendre autrement. L'autre jour, je
remarquais le manège d'un garçon de 4 ans qui sans cesse demandait à sa
mère de se plonger dans la piscine. Il s'est déshabillé, est allé
chercher sa bouée, etc., celle-ci finit par céder ; mais lorsque,
transi de froid et tremblant, il vient la prier de le sécher et de le
rhabiller, elle lui répond de façon tout à fait égale : " Il faut que
tu attendes que j'aie terminé de lire ma page. " Ce qu'il a fait. Cette
dame est passée du mode indicatif au mode concessif. C'est le e de "
que j'aie terminé ma page " qui vient non pas priver, non pas frustrer
imaginairement, mais constituer un passage de modalité verbale
introduisant, non pas une condition (" si tu me fais un bisou, je te
sèche "), mais plus exactement l'idée d'un hypothétique faisant accéder
l'enfant à la qualité symbolique de la mère dans la mesure où, au lieu
d'être l'objet même, elle devient distributrice d'objets symboliques ;
et du même coup, elle introduit l'enfant à ce qu'il en est de
l'anticipation, capacité d'anticipation dont elle le crédite en lui
proposant d'attendre. Il s'agit d'un exemple simplet, mais cette
anticipation est symbolique à double titre. Elle est symbolique parce
qu'elle suppose en effet qu'il ne s'agit pas du mode indicatif mais
qu'il s'agit d'un mode qui nécessite une hypothèse : il faut que
j'attende, je fais l'hypothèse qu'elle est de parole, je vais attendre.
Premier point. Deuxième point, ce symbolique doit être également du
côté de la mère, parce qu'il faut aussi qu'elle fasse le crédit à son
enfant qu'il va, qu'il peut attendre, qu'il peut claquer des dents
pendant 10 secondes et qu'on n'est pas obligé de se précipiter pour
boucher les trous, sur un mode indicatif. Alors que le mode
interrogatif suppose le crédit d'une réponse.
" LE DÉSIR, C'EST LE DÉSIR DU DÉSIR "
Après
l'hypothèse à base d'imaginaire et de symbolique, je vais maintenant
passer à ce que je voulais dire de façon plus précise. Quand je fais en
effet une hypothèse, est-ce une anticipation dans le rapport avec le
grand Autre ? Est-ce que je viens placer dans le grand Autre quelque
chose que j'anticipe ? Est-ce cela une hypothèse ? Et corrélativement,
quelle différence entre le désir du désir de ce grand Autre, auquel se
réfère mon désir, et l'anticipation du désir ? On pourrait discuter :
est-ce que le désir a quelque chose à voir avec l'identification au
désir de l'Autre (du grand Autre) ou bien avec l'anticipation du désir
? Parce que l'hypothèse pose cette question : est-ce que, quand je me
réfère au désir de l'autre que je désire satisfaire, c'est mon désir ?
Il suffit d'écouter les messieurs et les dames qui viennent vous voir
sur le divan : est-ce le désir du monsieur qui m'allume ou est-ce le
mien ? En effet, cette question consiste-t-elle à identifier mon désir
au désir de l'autre ? La mère, par exemple, occupe-t-elle tout le
grand Autre ou bien est-ce qu'elle en tient un bout ? L'hypothèse
centrale qui permet à l'enfant d'accéder au symbolique, c'est que sa
mère fait l'hypothèse qu'il peut faire une hypothèse - autrement, c'est
mon hypothèse qui est la sienne : on est dans la dyade, c'est mon
appétit qui est le sien, ma crotte la sienne, etc. C'est en ce sens-là
que Lacan dit que " le désir, c'est le désir du désir ". La mère
anticipe, non pas seulement pour faire l'hypothèse que son enfant peut
en faire une, mais plutôt pour poser la différence avec le fait de
deviner, de faire l'oracle. Comment les oracles, les divinations ou les
prophéties viennent-ils faire obstacle à ce que l'enfant puisse faire
une hypothèse lui-même ? C'est-à-dire comment les prophéties et les
oracles de la mère viennent résister au débordement de la mère par le
fonctionnement, c'est-à-dire le symbolique de l'enfant ? Tant qu'on est
dans l'imaginaire, il n'y a aucun débordement. Quand entre la mère
et l'enfant il n'y a que de l'imaginaire, il n'y a pas de sortie pour
l'enfant, il ne peut pas arriver à accéder au symbolique ; il faut
qu'il paye la forte note qui porte toujours sur son savoir. Alors,
quelle différence faire entre émettre un oracle et faire une hypothèse
? Dans l'hypothèse, il ne s'agit pas de dire un savoir qui serait en
harmonie avec le savoir inconscient de celui à qui je parle. Essayons
d'approcher un peu les effets de la suggestion dans cette perspective.
La suggestion, n'est-ce pas autre chose que d'imposer un savoir, une
connaissance à la connaissance de l'autre ? Quand je fais une
suggestion, cette intrusion de force de ce que je dis dans la
connaissance de l'autre est évidemment suggérée par le fait que
justement cet autre, il ne peut pas dire la vérité ; son savoir
inconscient, il ne peut pas le dire ; il ne peut pas dire la vérité et
moi, ce que je lui suggère, c'est une connaissance que je viens en
somme forer, faire pénétrer dans la vérité qu'il ne peut pas dire. Ou
bien alors, est-ce que la suggestion vient subvertir le savoir
inconscient par un trajet régrédient à celui que Freud établit dans La
science des rêves? Autrement dit, est-ce que je n'enverrais pas depuis
le conscient-préconscient une information qui devrait passer dans
l'inconscient ? Est-ce que je ne l'obligerais pas à dire le savoir
inconscient dans la suggestion ? D'où les sérums de vérité, c'est à
dire que j'endors le préconscient-conscient et je suppose que je vais
avoir accès à l'inconscient par un trajet régrédient de celui que Freud
suppose dans le mécanisme psychique entre l'inconscient et le
conscient. Est-ce que le pari de la suggestion comme thérapie serait de
faire, par la parole suggérante, un point d'appel dans le conscient
pour aider le passage de l'inconscient au préconscient ? Moi, je pense
que la suggestion, c'est un système qui justement va en sens inverse.
En ce qui concerne le cognitivisme, du côté de la thérapeutique, les
thérapies cognitivistes, le pari c'est que le renforcement du
conscient, de la connaissance, vient refouler davantage encore ce qu'il
y a de refoulé dans l'inconscient, c'est-à-dire que la thérapie
cognitiviste vient porter un renfort à l'impossibilité de dire la
vérité que je ne peux pas dire. Elle vient renforcer la résistance qui
oppose mon savoir inconscient à accéder à la conscience ; elle vient
s'opposer à ce que je dise la vérité, la vérité du sujet inconscient
évidemment. Troisième point qui me paraît jouxter celui-là : est-ce
qu'on peut rendre compte de la clinique de l'hypothèse dans ce qu'on
appelle le comportement ? Parce que j'ai été l'autre jour extrêmement
étonné de constater qu'en neurologie, les lésions neurologiques,
maintenant, s'appellent " atteintes psycho-comportementales ",
c'est-à-dire que l'hémiplégie fait partie du comportement. L'hyperactif
auquel on donne de la Ritaline pour lui permettre de ne pas être obligé
de remuer sans cesse pour ne pas s'endormir ; cet hyperactif angoissé
auquel il suffit de parler de la mort pour qu'il vienne s'asseoir à
côté de vous et qu'il reste pendant une demi-heure sans bouger en
écoutant ce que vous avez à dire de la mort est-ce que cela fait partie
de la clinique de l'hypothèse ? Comment l'imaginaire du corps peut-il
être en jeu dans l'hypothèse ? Premièrement, du côté de l'image
spéculaire, du miroir, je vous conseille sur ce point de lire l'article
de Lacan " L'agressivité en psychanalyse " dans les Écrits : du côté de
l'image spéculaire, l'image du semblable et son rapport à l'agressivité
se font sans aucune hypothèse possible. Je donne l'exemple vu dans un
film de Montagnier : il y a trois enfants qui ont à peine 14 mois,
tranquilles dans un parc ; l'adulte arrive et met un ours en peluche
dans le parc : il ne se passe rien pendant un moment et puis l'un des
enfants, " l'explorateur ", prend l'ours ; les deux autres se
précipitent sur lui, c'est une boucherie horrible... C'est l'image du
semblable : à partir du moment où le semblable a pris un objet dans sa
main, c'est ma main dont il s'agit. Alors comment faire ? C'est moi qui
ai cet objet, ce n'est pas lui, c'est ma main qui tient cet objet de
son choix. Donc, sans aucune hypothèse possible, sans differt, sur le
mode de l'imitation aliénante. Le comportement est commandé par celui
de l'autre, c'est le mimétisme. Le comportement agressif vient
déclencher les gestes agressifs de l'autre. Peut-on dire qu'il les
anticipe en les suscitant ? La spécularité apparaît ainsi comme un
impossible de l'anticipation et, en même temps, comme supposant de fait
une anticipation de l'image, c'est-à-dire du prochain, non pas dans
l'image de son corps mais dans le comportement du corps. C'est une
anticipation sans aucune hypothèse. Ainsi, comment les gestes
deviennent-ils susceptibles d'entraîner des hypothèses ? Dans la
clinique des adolescents et des enfants, on constate très souvent
l'indice persécutif des gestes, soit des gestes des autres, soit des
gestes propres, qui sont l'indice d'une hypothèse mise au jour.
Qu'est-ce que les adolescents et les enfants repèrent dans le
comportement des autres ou dans le leur ? C'est qu'une hypothèse, la
leur, a été mise au jour, ou va être mise au jour à travers ce geste,
devinée, et la conséquence est que je deviens transparent et " pris sur
le fait" ; c'est l'adolescent qui croit qu'on voit qu'il se masturbe, à
sa démarche par exemple, ou bien dans le métro quelqu'un a fait quelque
chose qui dit que je suis nul... À remarquer d'ailleurs, les
déstabilisations des nourrissons devant un geste brusque, inattendu ;
il y a des enfants qui sont tranquilles, quelque chose tombe, la
tétine, je fais un geste pour la rattraper et ça déclenche la réaction
tonico-émotionnelle de Wallon, les pleurs, la crispation ; les
explorations sont terminées... Il y a, de la part de cet écart entre
l'image que j'anticipe de ma mère en train de me nourrir et le geste
qui se produit, quelque chose qui vient faire écart avec l'image
spéculaire garante de ce que l'agressivité est de mon côté, de ce
côté-ci du miroir ; c'est ce que le geste a de non spéculaire qui fait
évoquer l'hypothèse d'une hypothèse ; et donc un renversement de
l'agressivité qui passe d'un camp à l'autre.