On peut réglementer les psychothérapeutes, pas les
psychothérapies. Leurs modalités en effet ont toujours été sous la
dépendance de l'évolution culturelle de la société, des courants
philosophiques, moraux, religieux, politiques, voire esthétiques. Parmi
elles peuvent certes se glisser des entreprises vénales. Mais, outre
qu'elles sont le déchet normal de la vie sociale, l'essentiel des
psychothérapies est qu'elles représentent une conception idéale chaque
fois particulière de l'homme et de son bien-être.
La
médecine est gardienne de la vie. Mais de quoi la psychothérapie
est-elle gardienne sinon de la représentation que chacune se donne
d'une existence belle et bonne ? La psychiatrie elle-même n'a pas
échappé à cette loi.
Le «traitement moral» de la folie par Pinel
répond ainsi à l'exigence révolutionnaire d'un accès citoyen à l'ordre
et au droit. La psychiatrie allemande, celle de l'illustre Kraepelin,
est entièrement issue de Kant ; les Japonais l'ont importée en ignorant
tout de cette filiation. Nous avons connu une psychiatrie marxiste,
d'inspiration pavlovienne ; existentialiste, dite humaniste. Une
antipsychiatrie avec Foucault, etc.
La psychiatrie française
repose, certes, sur un corpus d'observations cliniques apparemment
désintéressées. Il est facile pourtant d'y retrouver les influences des
penseurs dominant chaque époque (Taine, Renan, Bergson, Alain, Husserl,
etc.).
Le cognitivo-comportementalisme et les progrès de
l'imagerie médicale donnent aujourd'hui à la psychiatrie une forte
apparence de scientificité. Mais, outre que cette dernière en est à ses
balbutiements et suscite déjà des divisions entre courants, elle est
également un trait culturel, peut-être éphémère, de notre actualité.
Quoi
qu'il en soit, un engagement de l'Etat dans la discrimination des
méthodes existantes serait une stupéfiante intervention contre la
liberté de penser et d'évaluer. Car l'évaluation, en ce domaine, et
contrairement au champ médical, reste subjective. Les médecins
connaissent bien ces malades guéris, qui continuent de se plaindre ;
ceux aussi pleins d'allant alors qu'ils sont atteints d'un mal
incurable.
Il est difficile de croire à la mise en place dans
notre société libérale d'une «psychothérapie d'Etat» avec définitions
des normes spécifiques de ce que serait la santé mentale. Prenons des
exemples banaux : celui du jeune trader qui vient demander de l'aide
parce qu'il manque de l'agressivité brutale et de l'esprit de
concurrence sans retenue qu'exige la profession. Le secours
relèvera-t-il de la science ou d'une option éthique ? Le jeune sans
vocation ni activité inquiet de savoir ce qu'il pourrait désirer. Que
faire ? La femme prête à une IVG tardive (prévue à l'étranger)
soucieuse d'un soutien psychothérapique. Une réponse standard est-elle
possible ? La mère endeuillée par le suicide de son fils schizophrène
et dont le théâtralisme dissimule mal l'horrible jouissance qu'elle y
prend. La conduite à tenir est-elle scientifique ?
Le
législateur ne semble pas prendre la pleine mesure des conséquences
d'une méthode psychiatrique qui, en privilégiant le comportement sur
l'engagement subjectif de la personne, sa réflexion et ses libres
choix, favorise la venue d'un individu aux réactions primaires.
Vouloir, par la fixation de normes définissant une santé mentale dont
l'évaluation serait de règle au cours des psychothérapies, imposer les
comportements à tenir, est un outrage à la société démocratique, laïque
et libérale.
L'intention de l'amendement est de protéger le
public contre les risques d'infiltration de ces thérapies par les
sectes. Or il est vérifiable que, sur ce plan, il sera impuissant. Il
est en effet avéré que des psychiatres, des psychologues, voire des
chefs d'orchestre peuvent déjà travailler pour des sectes. Aux nouveaux
venus, il suffira de quelques années d'études pour obtenir la
validation universitaire de pratiques laissées à leur choix. Enfin déjà
se voient des changements de nomination qui, renonçant à l'appellation
de psychothérapeutes, s'affranchissent de la réglementation des soins.
Qui ne prévoit l'apparition proche sur le marché de «psychopraticiens»
par exemple, dont l'exercice restera libre ?
Cet amendement,
inefficace dans ses effets, n'est pas moins malheureux dans son
inspiration. Il ne nous appartient pas de juger les options du docteur
Cléry-Melin, directeur des deux importantes et réputées cliniques de la
région parisienne et auteur du rapport qui sert de soubassement à cet
amendement. Mais le corps psychiatrique français est assez riche et
diversifié pour qu'on ne lui fasse pas l'injure de le réduire à une
option partisane. Ce n'est pas faire offense à notre excellent confrère
le docteur Christian Vasseur, premier moteur de cette aventure, de
rappeler son fort engagement idéologique personnel et l'opportunité
qu'il y aurait à ce qu'il revienne devant son syndicat pour vérifier la
popularité de ses options. Il serait navrant qu'un projet de loi
concernant la santé publique ne se referme sur un banal règlement de
comptes corporatiste.
Le légitime souci de préserver le public,
mais aussi l'Etat, peut être satisfait autrement. L'établissement d'un
annuaire comprenant la liste des praticiens dont la formation
universitaire permet de reconnaître l'aptitude, et la liste des
non-certifiés dont la formation est donc indépendante, mentionnant dans
chaque cas la formation, les titres, travaux, méthode, école,
ancienneté... permettrait au public de s'orienter en parfaite
connaissance de cause et de choix. On pourrait exiger de chaque
psychothérapeute qu'il signale sur sa plaque : certifié, ou
non-certifié.
Le caractère contractuel de la relation serait
préservé, de même que la limite de l'engagement de l'Etat dans un
domaine où la liberté, dûment éclairée, de chacun est interpellée. Non
pas, donc : voilà comme tu dois être, mais : que veux-tu être ?