Bienvenue à Poitiers pour ce colloque organisé par L’Ecole
Psychanalytique du Centre-Ouest, en partenariat avec l’Association des
psychologues de gériatrie du Poitou-Charentes et du collège de
Psychiatrie. Nous adressons aussi nos remerciements au Centre Henri
Laborit qui met à notre disposition cette salle de conférence.
J’ai donc le plaisir de vous accueillir pour ce colloque dont l’idée
était en route depuis plusieurs années mais dont la mise en place ne
s’est pas faite sans difficulté, sans être reporté plusieurs fois, sans
souci comme on dit volontiers aujourd’hui, on pourrait même se laisser
à dire qu’il n’est pas advenu sans douleur.
De quelques résistances.
Il était une fois, c’est ainsi qu’il convient de raconter les
histoires, des collègues -souvent de jeunes collègues- qui me parlaient
de leur clinique dans des institutions recevant des personnes âgées,
d’autres de celles qui accueillent des enfants ( et j’ai moi-même
travaillé longuement dans de telles institutions, IME , CMPP) , et
j’étais frappé par des problématiques qui n’étaient pas sans resonner
de l’une à l’ autre, soit pour s’y opposer soit pour indiquer une
étrange proximité. Cette résonnance passait par le langage, par des
signifiants que tout un chacun a pu entendre : « retomber en enfance »,
« c’est un vrai petit homme », « alors maintenant tu es une vraie femme
», « je suis un homme que d’apparence », « et il faut même lui faire
manger sa bouilli », « rien à faire pour lui faire manger des épinards
», « elle a recraché ses médocs », etc
Et puis on me faisait signe pour qu’un travail se fasse sur ces
cliniques, qu’on puisse les approfondir, les parler, voire les
théoriser. Très tôt j’ai pu répondre en proposant un groupe d’étude sur
la clinique infantile, elle nous apparait tout de suite plus joyeuse,
il y a maintenant plus de trente ans, et nous avons pu je crois prendre
le temps d’aborder les questions cruciales qui se posent dans notre
accueil des enfants présentant des symptômes psychogènes. Ajoutons que
dans ce labeur nous avons eu la chance de bénéficier des conseils de
Jean Berges et de quelques autres qui s’activent au sein de L’Ecole de
Psychanalyse de l’enfant et de l’adolescent représentée dans nos
journées par Sandrine Calmette et Catherine Ferron. C’est maintenant
Rima Traboulsi qui anime ici sur Poitiers ce groupe de psychanalyse de
l’enfant et de l’adolescent, et Jean-Jacques Lepitre s’y adonne sur
Limoges.
Et pour la clinique du sujet âgé alors ? je peux bien vous avouer que
malgré les signes insistants qui m’étaient adressés, j’ai attendu… « un
certain temps » avant de répondre, avant de pouvoir répondre serait
plus juste. Et puis comme toujours c’est quelques événements
personnels, une intervention chirurgicale risquée, et quelques tuchés
du même tabac qui remettent les pendules à l’heure, et bien sûr ces
deuils qui vous terrassent : la disparition de ma mère après une longue
agonie, le suicide d’un ami gravement handicapé qui m’avait quelque
temps auparavant demandé conseil.
Et puis l’éclat de rire d’un enfant qu’on m’avait amené pour une
hyperactivité sévère et qui au terme d’une cure analytique, sans doute
mouvementée, m’annonçait, goguenard : « Dans 1000 ans vous serez mort,
et moi aussi d’ailleurs ! »
Bref, j’ai pu dire « oui » à cette suggestion de se mettre au travail
sur la clinique du vieillir, avec cependant la notion qu’il pourrait
être fécond de mettre cette question dans une perspective plus large
que celle du sujet âgé, et de la considérer comme concernant aussi bien
l’enfance et tous les âges de la vie. Et surtout, il me semblait
souhaitable de ne pas s’enfermer dans un discours de la plainte. Qu’il
y avait sans aucun doute à entendre les dommages qui nous affectent
tous en particulier dans ces moments où le trajet d’une existence
semble faire étape, rupture, ces moments qui inscrivent un avant et un
après, bref ces scansions qui nous permettent d’écrire le roman d’une
vie, avec toujours ce doute qui vient quelque fois, et spécialement
quand on s’engage personnellement dans un travail analytique qu’il a pu
subir quelques arrangements, que la mémoire aura pu arranger les choses
d’une certaine manière.
Citons quelques travaux.
Je dois dire que je n’ai pas regretté d’avoir mis en place ce groupe de
travail intitulé avec un brin d’ironie « Ah…Vieillir » et que les
diverses contributions qui ont été amenées au cours des trois années de
son existence (de novembre 2015 à octobre 2018 ) m’ont beaucoup
apporté, en particulier sur la clinique du sujet âgé tel qu’elle peut
s’éprouver dans les institutions comme les EPAD, les services de
gériatrie, les services de gériatrie psychiatrique, ou encore en MAS,
en service de médecine, en soin palliatif, etc.
Nous avons pu aborder bien des aspects touchant à ces problématiques,
et de nombreuses interventions ont pu être faites avec une liberté de
ton, dans un engagement personnel ce qui fut précieux pour tout le
monde. Alors je vais me permettre d’évoquer cursivement quelques thèmes
qui ont été développés car c’est à partir de cet humus là que ces
journées ont pris forme.
Ainsi fut régulièrement rappelé le pouvoir de ces paroles qui peuvent
changer bien des choses mêmes dans des situations les plus péjoratives
où la tentation de l’abandon est grande, mais où il reste aussi du coté
du sujet un choix possible pour relancer disons « un élan vital » ( Dr
Laure Broekman). Mais aussi ces paroles qui peuvent aider un sujet à «
tirer sa révérence », voire on ira jusqu’à dire qui l’autorise à se
laisser aller. « Il s’en est allé » dira-t-on.
Que le vieillissement puisse se décliner selon son capital génétique
est une chose, mais la part de la structure psychique d’un sujet en est
une autre. Faut-il pour autant retenir la conception d’un dualisme
corps/psyché ? La clinique vient sans cesse interroger ce discours
courant, du moins dans notre culture. On a pu ainsi aborder comment
cela pouvait se présenter chez des sujets psychotiques (c’est
Frédérique Gobin qui nous apportait cette judicieuse notation ) ces
sujets pour qui il n’y a pas, le plus souvent, de plainte à propos du
vieillissement. Alors faut-il en déduire que c’est surtout une affaire
de névrosés ? Ou encore, autre aspect de cette question, comment
pouvait se particulariser le vieillissement d’une psychose infantile.
Un cas clinique apporté par Estelle Latterrade nous mettait là-dessus
au travail.
Sans aucun doute le vieillir comme processus biologique génère ses
effets somatiques qui vont s’articuler à toutes ces étapes d’une vie
humaine à des remaniements psychiques, voire des crises existentielles.
Mais ce qui est facilement observable c’est que la temporalité
subjective ne se règle pas sur l’horloge biologique. C’est cet écart
qui ne cesse de nous interroger et vient nous convoquer sur l’essence
du temps subjectif.
Avec la vieillesse ce ne sont pas seulement des modifications du corps
qui importent, c’est bien sûr aussi toute une réappréciation du sujet
dans la manière dont il va se considérer dans son existence et dont il
peut en jouir. Ce qui le conduit immanquablement vers le sens qu’il
peut y trouver, ce selon les réponses qui pourront se formuler, nous
auront des configurations variées, mais toutes remettront en jeu la
problématique de la perte avec cette particularité que ce qui a pu être
nécessaire à toutes ces étapes d’une vie pour que se relance le désir,
trouve ici un horizon limité surtout quand nous arrivons dans le grand
âge. (Sabrina Neumann nous avait fait part de ses remarques sur ce
point.)
Cette limite comme chacun le sait n’est pas toujours aperçue avec
crainte et tremblement. Elle peut apparaitre pour certains comme un
moment logique : « j’ai fait mon temps », voire une lassitude : « ça
commence à être long ». On peut même concevoir que cette conclusion
d’une existence humaine puisse être nécessaire pour donner à celle-ci
un certain ordonnancement.
Comme l’on sait dans les formes les plus sévères d’un syndrome de
Cotard, on observe des délires d’éternité dont le vécu est strictement
infernal. Ce qui n’est pas sans poser la question de savoir comment
chacune des pertes qu’un sujet éprouve dans une existence a pu trouver
à se symboliser. Elles affectent le sujet dans la mesure où elles sont
signifiantes, où elles sont prises dans les enjeux des signifiants de
telle manière qu’à chaque fois cela vient signifier quelque chose. Ce
fut la condition pour qu’à chaque fois face à ce dommage, un
déplacement ait pu être possible, que ces castrations aient pu
promouvoir le sujet sur une voie désirante.
Perte de la jouissance du nourrisson, perte de ses fantasmes de toute
puissance, perte de l’insouciance infantile, perte du fantasme qu’un
autre sans faille pourrait subvenir à tous ses besoins, qui pourrait
répondre à toutes ses demandes, perte de cette assurance que l’autre
pourrait entretenir continûment sa jouissance, perte de l’illusion que
ses amours viendraient enfin combler ces dommages, etc. Et pourtant
c’est paradoxalement à partir de ce dol, et la manière dont un sujet
humain va pouvoir le négocier comme pouvant se situer dans le champ
symbolique, comment pouvant participer d’une métaphore, qu’un
déplacement subjectif peut opérer.
Alors savoir vieillir cela relève-t-il d’un savoir-faire, d’un art en
quelque sorte comme le propose Joëlle Vincent qui nous disait « C’est
tout un art pour devenir vieillard. »
Il me viendrait ici que ce pourrait être un « savoir-y-faire » avec les
aléas d’une existence, et que ce savoir est une affaire de langage, de
comment un sujet a pu se trouver attrapé, aliéné par des signifiants
singuliers mais aussi sociaux, ceux de la culture, comment il a pu
aussi se donner un peu de jeu, un peu de souplesse avec cette
affectation.
Joëlle Vincent dans les ateliers qu’elle anime pour des personnes
âgées, voire très âgées, introduit des textes fondateurs de l’humanité
ainsi que des reproductions de tableaux qui les évoquent, ce qui n’est
pas sans susciter des débats et des rires, bref sans favoriser ce jeu
avec les signifiants et les représentations.
On retrouve chez Jean-François Coudreuse, gériatre, cette même
dialectique que « vieillir c’est vivre. » Il nous apporté de profondes
réflexions sur ce que sa longue expérience lui avait apporté en ayant
soin, c’est ce qui ma frappé, de nous faire entendre la parole de ses
patients, un véritable florilège ! En voici quelques aperçus :
A propos de l’âge qu’on a, Mme Emilie : «-Quel âge avez-vous Mme Emilie
– ça dépend, ça dépend de ce que j’ai à faire, […] de ce que je suis en
train de vivre. Ça dépend du moment où vous me le demandez, de mon
moral, de mes douleurs… »
A propos du regard, Mr Florinard : « Je suis un ancien jeune, c’est
terrible Docteur d’être jeune et que ça ne se voit plus ! » Ce qui
indique bien remarque Jean-François Coudreuse, que le vieux c’est quand
même l’autre. Ainsi Mme Baptiste se désespère : Regardez, Docteur, ils
sont vieux alors qu’ils ont mon âge. »
A propos des générations, Mme Ophélie : « Voilà Docteur, à moi toute
seule, je suis une intergénération. Je suis à la fois l’enfant que j’ai
été, et la vieille personne que je suis devenue. » Ce qui qui suscite
chez Jean-François Coudreuse, cette belle image : « Nous ne faisons pas
que grimper dans notre arbre généalogique, nous pouvons aussi passer
d’une branche à l’autre. »
A propos de la dégradation, Melle Marthe : « Je vais vous dire, la vue
s’éclaircit en vieillissant ! mais pas de près, mais de loin. Votre
jeunesse est trop prés de vous Docteur, vous ne pouvez pas la voir ;
moi, elle est très loin ma jeunesse, alors je la vois très bien. Mais
je suis trop près de mes 90 ans pour voir dans ma vie actuelle. »
Une incise ici : On retrouve cette question du savoir et de la
pertinence du côté des soignants les plus attentifs ; ainsi Cécile
Rabouan qui accompagnait un homme très âgé qui rédigeait alors un écrit
sur son vécu de vieillard, était prise d’une interrogation
existentielle : « Qui suis-je pour savoir ? Comment entendre quelque
chose de cet âge alors que j’en suis loin ? »
Cela revient à accorder au vieillard un savoir particulier qui ne
pourrait être accessible qu’en le vivant soi-même. Cela reviendrait à
supposer qu’il faudrait « comprendre » l’autre, et que la condition en
serait une identification possible.
D’autres configurations pourraient nous éclairer, paradoxalement quant
à l’inverse d’une attente, d’une demande cela prend l’allure d’un défi,
du genre « vous êtes si jeune, qu’est que vous pouvez comprendre de mon
état ? »
Peut être que l’important quelle que soit la tonalité de cette attente
ou de cette non-attente, c’est moins d’être le lieu d’un savoir, ou
inversement d’une ignorance, c’est tout de même de prendre en compte
qu’un message a été adressé. Sans doute y a-t-il des messages qui sont
plus facile à recevoir, que certains tentent d’annuler tout retour
possible.
C’est le cas il me semble des personnes mélancoliques : « Moi qui suis
dans la mort, tout nous sépare, ne vous approchez pas. »
Cette pente vers le hors-monde, peut prendre ce ton désabusé,
d’invalidation, de bilan morbide : Ainsi Melle Christine, une patiente
de J-F Coudreuse : « à quoi je sers ? à quoi je sers que je sois là ? A
quoi ça a servi ce que j’ai fait ? » C’est quand même une question qui
est adressée, qui suppose un savoir chez l’autre, même si la réponse
qui pourrait advenir est à priori invalidée.
S’agit-il chez cette patiente d’une angoisse à l’approche de la mort,
d’une manière de se représenter comme un rien sans valeur, un pur
déchet ? Remarquons que du fait même de le dire, de l’adresser à son
médecin reste une manière de témoigner de son être, y compris dans sa
déréliction. Même à ce point, cela n’est pas sans faire signe qu’il y a
du sujet.
Mme Ephese, plus sereine : « Mourir dans la dignité, c’est bien, mais
c’est pas facile » avoue-t-elle à son médecin.
Le lieu de ce temps ultime est dorénavant essentiellement l’hôpital ou
l’EPAD.
Philippe Texier apportait cette pensée que ces institutions pour
personnes âgées, avaient en plus d’être dans notre civilisation « un
lieu de concentration » de la vieillesse, une fonction secrète, celle
d’assurer un autre type d’hébergement soit de donner à nos angoisses de
mortels une représentation, un lieu.
Il notait aussi que toute l’ambivalence que nous avons vis-à-vis du
vieillir et du mourir trouvait là un espace, une scène où se déroulait
une confrontation entre vieillesse et jeunesse, entre vieillards et
plus ou moins jeunes soignants.
Ainsi se jouerait si je l’entends bien sur une scène laïque une
dramaturgie moderne où s’oppose la hantise du mal vieillir : plutôt
mourir au plus vite que de vivre ce désastre, on sait que le suicide du
vieillard est devenu courant, et vient contredire l’injonction moderne
du bien vieillir, figure prométhéenne d’une félicité dans un monde
radieux.
Charles Henri Mauduit nous apportait son jugement sur les EPAD comme
lieu où se déploie un nouveau discours, une novlangue qui claironne
haut ses valeurs de bientraitance, de projet personnalisé, et même «
d’humanitude », vocabulaire nouveau, qui n’est pas sans évoquer la «
care attitude » des anglo-saxons. Ce qui pourra nous interroger dans
ces bonnes intentions, c’est le peu de place qu’on peut y faire à
l’hypothèse d’un sujet habité par des désirs singuliers, et une
orientation de type sanitaire qui aborde le patient dans une
perspective de besoin.
Myriam Lellouch qui travaille au CHU témoignait aussi qu’à l’hôpital la
charge de travail laissait de moins en moins de place à la parole et de
plus en plus à la paperasse et surtout aux messages informatiques. La
gravité des pathologies, la proximité permanente avec la mort,
l’accélération exigée dans les différentes tâches, vient objecter à ce
discours lénifiant qui au nom du Bien (bien vieillir, bonne pratique,
bienveillance, bientraitance) rend cependant la vie des soignants
épuisantes et vidée d’une valorisation autre que comptable. Cette
idéologie gestionnaire hantée par le risque et le politiquement correct
conduit à cette fiction que le mourir pourra est suspecté de ne pas
être un fait de nature, mais relever d’une erreur médicale.
Comme vous l’entendez, nous avons approché bien des aspects de cette
question, approché seulement et bien sûr pas tous. Nous avons assez peu
abordé par exemple la pathologie démentielle, laissé de côté le milieu
de vie, abandonné le projet d’une appréciation différentielle selon le
sexe, ignorer les effets de la ménopause et tout aussi bien de
l’andropause, assez peu suivi la mode de la maladie d’Alzheimer même si
nous n’avons pu éviter la problématique de l’oubli en tant que
mécanisme psychique et son articulation à celui du refoulement, (Sonia
Pierron a pu l’ évoquer), mais bref nous avons été incomplets.
Heureusement que Michel Daudin avait pu déplier cette délicate question
des embarras de la libido qui est en effet au cœur du destin de la
pulsion selon les âges de la vie. S’il est le plus souvent improbable
que le vieillard sublime par exemple ses pulsions comme un adolescent
sur un terrain de foot, il peut assurément trouver d’autres terrains de
jeu. Cependant cette position subjective ne sera tenue que si l’objet,
la pulsion aura pu tourner autour, et qu’une perte aura ainsi permis de
relancer la balle.
Relancer la balle c’est aussi ce qui se propose avec ce colloque.
En conclusion : hommage et questions.
En engageant ce groupe de travail, il y avait l’idée que se serait un
groupe limité dans le temps, et qu’il conviendrait le temps venu d’y
mettre un terme et de le ponctuer d’une manière à définir. Ce ne fut
pas chose facile et bien des contingences ont dû en reporter la date
plusieurs fois.
D’autres part je prenais connaissance que d’autres groupes étaient en
travail sur ce thème à St Brieux et à Paris. De la quelques invitations
et nous allons pouvoir poursuivre en profitant des travaux qui ont pu
se mener ailleurs. J’en profite pour rendre hommage à Jacqueline
Bonneau qui a fondé dans le cadre de l’ALI le Département de
psychanalyse et travail social et que le travail qu’elle y a mené, avec
quelques autres, n’est pas sans effet sur la possibilité de dire ces
questions si délicates et pourtant si essentielles.
Pour terminer ce propos introductif, je me permets de lancer quelques
questions, et nous verrons bien si cela résonne avec les différentes
interventions prévues.
Comment aller au-delà de la plainte sur le vieillir, sans que cela soit
un déni sur toutes ces pertes qui ponctuent une existence humaine, et
sans éviter la dimension tragique de la douleur d’exister qui affecte
le sujet ?
Comment concevoir ce temps du vieillir pas seulement en suivant le
calendrier mais en posant aussi la question de l’essence du temps en
tant qu’il est celui d’un sujet, et plus précisément d’un sujet de
l’inconscient qui lui ignore le temps ?
Comment enfin prendre en compte que le vieillir comme le mourir
d’ailleurs est une affaire qui n’est jamais strictement individuelle ?
De même que le naitre et que le grandir d’ailleurs. L’immaturité native
du petit d’homme, sa débilité disait parfois Jean Berges, provoque
toute une préoccupation pour prendre soin de lui, pour répondre à ses
besoins et lui supposer un désir de vivant. De là l’urgence à le
nommer, à l’inscrire dans le monde du symbolique.
Quant au mourir, quelle que soit l’attention de ses proches, absolument
personne pour comprendre ce moment absolu de solitude. De ce silence,
surgit toute l’affectation douloureuse spécifiquement humaine et aussi
toute une agitation symbolique qui tente de prendre en charge cette
perte, ce trou que cela creuse dans la communauté des vivants.
Entre ces deux moments il reste au sujet humain à faire avec cette
inscription et à négocier avec ce désir singulier qui l’a fait naître
et qui du même coup lui a fait signe de sa propre finitude.
1 Psychologue clinicien, Psychanalyste, membre de l’ ALI, membre fondateur de l’ Ecole Psychanalytique du Centre-Ouest.