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Ah… Vieillir ! Après-Coup
The Woman writing a letter


Jacqueline BONNEAU1
Enfin !
Les premières journées d’étude sur cette question du vieillir ont eu lieu à l’ALI, précisément à l’Ecole Psychanalytique du Centre Ouest, à Poitiers les 15 et 16 novembre 2019. Elles furent, je le dis, des « journées–évènement », de ce simple fait d’être les premières, mais pas seulement.

C’est ainsi que, dans les lendemains, Alain Harly me proposa de les introduire, dans leur après-coup, avec un souci de transmission, un souhait de partager la réflexion que les intervenants avaient lancée sur ce processus du vieillir, ce qui n’est pas sans être engagé dans la vie de chacun quel que soit son âge.

Mon consentement fut spontané, en lien peut-être avec ce message singulier, cette carte adressée avec trois collègues du cercle d’étude ‘L’âge du sujet ?’. Il s’inscrivait au verso d’une reproduction d’un tableau de Vermeer, Woman writing a letter : par la fenêtre entr’ouverte une lumière subtile, comme surnaturelle, qui vient d’un ailleurs, illumine une femme écrivant une lettre… elle dit la présence de l’absent. Ce message ouvrait en quelque sorte à une suite espérée de ces journées.

Enfin, peut-être ma place de ‘femme très âgée’ et fière d’être ainsi devenue, serait-elle un aiguillon pour ce dire avec une pointe de narcissisme qui convient à cet âge.

Sans doute est-ce insolite de venir ici, dans l’après-coup de ces Journées auxquelles je n’ai pas assisté, introduire à la lecture des travaux, des interventions de mes collègues. L’intro-ducere de la transmission et le partage de ce qu’il y eut d’étonnement, d’effervescence, de paroles pour interroger plus précisément ce « Ah…vieillir ! ».

Au commencement

Ces journées d’étude furent annoncées dans le livret des enseignements dans le département psychanalyse et travail social entre poésie et topologie : une place bien intéressante.

Sans doute ce travail serait-il demeuré « confiné » dans l’aire régionale si Alain Harly n’avait désiré, dans son questionnement soutenu, dans cette erre, ce « quelque chose comme la lancée de quelque chose, quand s’arrête ce qui la propulse et continue de courir encore… » , s’il n’avait su lui donner une autre dimension, l’élargir, en recherchant comment cette question se pose ou s’était posée en quelques autres lieux de l’ALI et au-delà. Cette même question, je me l’étais posée dix ans plus tôt.

Une collègue lui indiqua Rozenn Le Duault et Paul Bothorel à Saint- Brieuc. Alors que le programme du Colloque et le nom des intervenants étaient déjà publiés– avec le portrait d’une très vieille femme, belle, au regard rayonnant - il adressa à Rozenn une invitation à participer, accompagnée éventuellement par d’autres collègues qu’elle souhaiterait convier. C’est ainsi que je suis entrée dans le jeu – notre compagnonnage à Paris dans le Cercle d’étude « L’âge du sujet ?» le rendait évident, comme celui de Véronique Ballu-Vernet.

Et ce fut l’effervescence des mois précédents –jusqu’à la veille même des Journées - les rendez-vous, les réunions devenues discussions téléphoniques, les écrits, les nombreux échanges croisés qui ont permis que chaque intervention prenne sa place et donne sens au projet. Je ne pouvais aller à Poitiers, à mon grand regret, mais une dernière question me fut posée : ‘Pourquoi n’avez-vous pas peur de la mort ? J’ai différé ma réponse et convenu qu’elle est si intime, si singulière, qu’elle s’inscrit selon tout un processus dans le « savoir mettre sa mort en place » et qu’il n’était sans doute pas pertinent de la présenter en ce lieu. Mais la question était posée.

Deux semaines plus tard, le 1er décembre, l’irruption sauvage d’un virus inconnu allait nous confronter au réel, à ce réel de la mort…Nous ne le savions pas encore.
De confinement en re-confinement… comme un temps suspendu

Ah…Vieillir ! Ces deux mots ainsi ponctués peuvent être entendus comme un long soupir exprimant dans l’instant, dans le suspens, le silence de cet espace du vieillir, du vieillissement à la vieillesse dans notre finitude et cette mort singulière, innommable, cachée… C’est tout un chemin, des temporalités diverses où se jouent des remaniements, un chemin de vie.


Quels commencements ?

Dix ans plus tôt (19 mai 2010) sur une proposition de Charles Melman, je devins consultante dans une entreprise de services à domicile auprès de personnes âgées - en vue de l’obtention de son agrément qualité. J’ai alors cherché ce qui avait été travaillé à l’ALI dans ce champ-là.

Ce fut déroutant ! Près de 40 années depuis la fondation de l’AFI, devenue ensuite ALI, puis « d’utilité publique » pourtant, nous en trouvons peu de trace. M’étonnant auprès de Charles Melman qu’aucune Journée d’étude n’ait eu lieu sur cette question de la vieillesse, du vieillir : « Que voulez-vous, ils ne se voient pas vieillir » me dit-il.

Cependant il y eut ces importantes Journées d’études sur la ménopause, en 2002, initiées et coordonnées par Pascale Belot-Fourcade avec des gynécologues (je participais à leur organisation). Ce mitan de la vie d’une femme qui « coïncide avec les premiers signes du temps, du vieillissement, et de ses menaces avec les pertes et les séparations inévitables, et suppose des modifications et des déplacements de l’espace et des lieux qu’occupent les femmes qui ne sont pas sans plainte, peurs, troubles somatiques, dévalorisation et quête de reconnaissance. ». Elles s’inscrivent très justement dans celles de ces journées pictaves du Ah…Vieillir, d’autant que l’andropause y est aussi évoquée avec le Docteur Sylvain Mimoun et Gérard Pommier.

Je commençai ainsi mon travail de consultante, conduit pendant près d’un an. De nombreux échanges eurent lieu avec des candidates auxiliaires de vie - qui disaient la parole des personnes âgées-, un professeur de gériatrie, divers professionnels spécialisés, jusqu’à Nicole Questiaux qui fut le Rapporteur du célèbre Rapport Laroque sur la Politique de la Vieillesse en France -avec le maintien à domicile en fer de lance-. Depuis 1962 il en demeure l’acte fondateur. Cet ensemble d’échanges a permis l’élaboration du projet de l’entreprise et de ses instances de travail. L’agrément qualité obtenu, j’ai quitté cette place.

En fait, je ne pouvais interrompre cette réflexion sur les questions de vie posées aux personnes âgées. Je me devais de la poursuivre et, comme une évidence, je l’ai portée à l’ALI, dans le département de Psychanalyse et travail social, après en avoir parlé à Charles Melman.

Le 17 mai 2011 nous avons créé avec Jean-Luc de Saint-Just et Leila Khalil-Hugues , assistante sociale à l’hôpital, un Cercle d’étude « L’âge du sujet ? », titre emprunté à Marie Jejcic, -en y ajoutant le point d’interrogation - de son remarquable article sur « Les chaises » de Ionesco, publié sur le site de l’ALI.

C’est dans une dimension politique implicite que s’inscrit ce cercle. « A une époque où notre civilisation et les progrès de la science permettent une longévité jamais atteinte, nous vivons une situation inédite. Elle interpelle vivement des psychanalystes comme des professionnels du travail social et de la santé, cette question est mise au travail : Que pouvons-nous élaborer à partir de la question du désir et du corps dans le vieillissement ? »

Avec Freud en référence « Pour introduire le narcissisme », notre texte fondateur est l’entretien de Charles Melman à l’ALI Languedoc-Roussillon (2007) avec le Pr. Jacques Touchon, neurologue au CHU de Montpellier, entretien qui pourrait se placer comme une ébauche intéressante de controverse sur la question Comment ne pas devenir de petits vieux ?
Nous pouvons y entendre, en particulier, « …on ne peut s’adresser à autrui que dans le cadre d‘un discours, c’est-à-dire qui fait lien social… chacun vient prendre une place, un certain nombre de discours que Lacan a disposé au nombre de quatre où le nombre des places que vous pouvez occuper est restreint, fixe. Simplement dans ces discours le vieux n’a plus de place, il n’y a plus de lieu d’où il puisse parler, d’où il puisse exercer une parole. Qu’est-ce que ça fait à quelqu’un ? Posons-nous la question à partir de lui. »

Dans ce même temps, j’interrogeais le secrétariat de l’ALI pour savoir en quelles Ecoles cette question du vieillir s’inscrivait dans le Livret des enseignements. Seule apparaît l’Ecole Psychanalytique de Bretagne (EPB). Le livret 2010-2011 présente un groupe de travail existant à Brest depuis 3 ans : « Dans la suite de ce qui a été fait précédemment, un Groupe d’études et de recherche cliniques conduit par Francesca Cirrito Le Perchec et Sandrine Wuy « ouvert à tous ceux qui s’intéressent au vieillissement » sur la thématique « Subjectivité et vieillissement ». Son argument avance « Si le sujet du désir est lié à la parole et au langage pourquoi poser la question des rapports de la subjectivité et du vieillissement… Sans doute parce qu’un sujet est aussi lié à un corps et se doit d’assumer ses limites et l’affaiblissement de ses aptitudes parce que l’approche ou l’imminence de la mort modifie les conditions de la vie et du lien social, de la temporalité et de la valeur. Parce qu’aussi le monde d’aujourd’hui imprime ses modifications culturelles à la subjectivité et particulièrement celles qui touchent à la discursivité. ». Avec Freud pour boussole : « Pulsion et destins des pulsions », « Pour introduire le narcissisme. »

C’est seulement en écrivant cet après-coup des journées pictaves que j’ai entendu la place de l’absent. Francesca Cirrito Le Perchec rejoignant ainsi « nos » travaux nous a adressé le texte de ce groupe : Réflexions du groupe clinique sur le vieillissement, publié dans les Cahiers de l’EPB (Séminaire d’hiver 2011).
Probablement d’autres travaux, d’autres textes restent-ils ainsi, discrètement, au sein de l’une ou l’autre Ecole psychanalytique régionale ou internationale, discrétion dommageable. Ne serait-ce pas intéressant de les retrouver et de les diffuser ?

Sans conclure,

Mon propos est bien une invitation à découvrir les travaux de ces journées, à en apprécier avec ces écrits une réflexion inédite et d’une certaine manière à la relancer pour qu’elle se poursuive dans notre association.

Sans doute est-ce par cette lumière qui tombe sur ma page blanche que je choisis de présenter un de mes récents rêves, en ce sixième mois d’un confinement prescrit.

Peut-être la fin d’une réunion dense une certaine perplexité j’hésite comme pour mettre fin à cela…… je m’écrie soudain je subsume suspens temps de silence réflexion muette intense je m’écris nous subsumons !

Je me réveille sur cette exclamation, étonnée par ce mot inconnu, je ne le reconnais pas. Il me ‘ren-voie’, il me re-bute. J’entends un instant Subway, le chemin sous terre, un métro New-yorkais, un chemin, un passage sous terre. Irais-je jusqu’à l’in-humus ? Soudain le « sum » me retient, je reconnais le "je suis » latin et je me mets à décliner, toujours avec la même joie, ce verbe être au présent de l’indicatif : sum, es, est, sumus… C’est cela !

Sum, je suis, et sur ce chemin du vieillir, du être-devenu-vieux, être-devenue-vieille, c’est le ‘être’, être-debout, debout jusqu’au bout.

Bien sûr je pourrais aller un peu plus loin, aller voir les dessous -le sub-way- mais c’est au-delà de mon rêve, de ce que je peux en interpréter ici.

Cela pourrait-il être la place singulière de chaque lecteur qui reçoit, entend cette invite dans l’après-coup de ces Journées-Evénement ?

Cela nous regarde.

Paris, 26 août 2020


1 Jacqueline Bonneau, psychanalyste, membre d’honneur de l’ALI, fondatrice du Département de psychanalyse et travail social et du Cercle d’étude « l’âge du sujet ? », ancienne conseillère technique à la Direction de l’Action sociale, Ministère des Affaires sociales et de la Santé.

Véronique Ballu-Vernet, Rozenn Le Duault, Jean-Luc de Saint Just.
Au fait, comment les nomme-t-on ? Les hommes souvent restent assignés à « vieillard ». Un esthète bienveillant nous a épargné le féminin, la « vieille » y suffit ! Nos « anciens », nos « aînés » semblent avoir cours aujourd’hui en politiquement correct.

Jacques Lacan, in le séminaire Les non-dupes errent, Leçon du 13 novembre 1973.
La ménopause. Regards croisés entre gynécologues et psychanalystes, ouvrage collectif sous la direction de Pascale Bélot-Fourcade et Diane Winaver, Ed.Eres, point hors ligne, 2004.
J’avais partagé mes interrogations avec eux, ainsi qu’avec Elisabeth La Selve et Mariette Murat. Elles n’ont pu nous rejoindre au Cercle (en raison de la distance de Paris à Marseille et Brest).

Rozenn le Duault nous a rejoints peu après.